The Project Gutenberg eBook of Le Tour du Monde; Scandinavie

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Title : Le Tour du Monde; Scandinavie

Author : Various

Editor : Édouard Charton

Release date : May 17, 2008 [eBook #25503]

Language : French

Credits : Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TOUR DU MONDE; SCANDINAVIE ***

  

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Ce fichier est un extrait du recueil du journal "Le Tour du monde: Journal des voyages et des voyageurs" (2ème semestre 1860).

Les articles ont été regroupés dans des fichiers correspondant aux différentes zones géographiques, ce fichier contient les articles sur la Scandinavie.

Chaque fichier contient l'index complet du recueil dont ces articles sont originaires.

LE TOUR DU MONDE

IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris

LE TOUR DU MONDE

NOUVEAU JOURNAL DES VOYAGES

PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉDOUARD CHARTON
ET ILLUSTRÉ PAR NOS PLUS CÉLÈBRES ARTISTES

1860
DEUXIÈME SEMESTRE

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C ie
PARIS, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N o 77
LONDRES, KING WILLIAM STREET, STRAND
LEIPZIG, 15, POST-STRASSE

1860

TABLE DES MATIÈRES.

Un mois en Sicile (1843.—Inédit.), par M. Félix Bourquelot .

Arrivée en Sicile. — Palerme et ses habitants. — Les monuments de Palerme. — La cathédrale de Monreale. — De Palerme à Trapani. — Partenico. — Alcamo. — Calatafimi. — Ruines de Ségeste. — Trapani. — La sépulture du couvent des capucins. — Le mont Éryx. — De Trapani à Girgenti. — La Lettica. — Castelvetrano. — Ruines de Sélinonte. — Sciacca. — Girgenti (Agrigente). — De Girgenti à Castrogiovanni. — Caltanizzetta. — Castrogiovanni. — Le lac Pergusa et l'enlèvement de Proserpine. — De Castrogiovanni à Syracuse. — Calatagirone. — Vezzini. — Syracuse. — De Syracuse à Catane. — Lentini. — Catane. — Ascension de l'Etna. — Taormine. — Messine. — Retour à Naples.

Voyage en Perse , fragments par M. le comte A. de Gobineau (1855-1858), dessins inédits de M. Jules Laurens .

Arrivée à Ispahan. — Le gouverneur. — Aspect de la ville. — Le Tchéhar-Bâgh. — Le collége de la Mère du roi. — La mosquée du roi. — Les quarante colonnes. — Présentations. — Le pont du Zend-è-Roub. — Un dîner à Ispahan. — La danse et la comédie. — Les habitants d'Ispahan. — D'Ispahan à Kaschan. — Kaschan. — Ses fabriques. — Son imprimerie lithographique. — Ses scorpions. — Une légende. — Les bazars. — Le collége. — De Kaschan à la plaine de Téhéran. — Koum. — Feux d'artifice. — Le pont du Barbier. — Le désert de Khavèr. — Houzé-Sultan. — La plaine de Téhéran. — Téhéran. — Notre entrée dans la ville. — Notre habitation.

Une audience du roi de Perse. — Nouvelles constructions à Téhéran. — Température. — Longévité. — Les nomades. — Deux pèlerins. — Le culte du feu. — La police. — Les ponts. — Le laisser aller administratif. — Les amusements d'un bazar persan. — Les fiançailles. — Le divorce. — La journée d'une Persane. — La journée d'un Persan. — Les visites. — Formules de politesses. — La peinture et la calligraphie persanes. — Les chansons royales. — Les conteurs d'histoires. — Les spectacles: drames historiques. — Épilogue. — Le Démavend. — L'enfant qui cherche un trésor.

Voyages aux Indes Occidentales , par M. Anthony Trollope (1858-1859); dessins inédits de M. A. de Bérard .

L'île Saint-Thomas. — La Jamaïque: Kingston; Spanish-Town; les réserves ; la végétation. — Les planteurs et les nègres. — Plaintes d'une Ariane noire. — La toilette des négresses. — Avenir des mulâtres. — Les petites Antilles. — La Martinique. — La Guadeloupe. — Grenada. — La Guyane anglaise. — Une sucrerie. — Barbados. — La Trinidad. — La Nouvelle-Grenade. — Sainte-Marthe. — Carthagène. — Le chemin de fer de Panama. — Costa Rica: San José; le Mont-Blanco. — Le Serapiqui. — Greytown.

Voyage dans les États scandinaves , par M. Paul Riant . (Le Télémark et l'évêché de Bergen.) (1858.—Inédit.)

Le Télémark . — Christiania. — Départ pour le Télémark. — Mode de voyager. — Paysage. — La vallée et la ville de Drammen. — De Drammen à Kongsberg. — Le cheval norvégien. — Kongsberg et ses gisements métallifères. — Les montagnes du Télémark. — Leurs habitants. — Hospitalité des gaards et des sæters . — Une sorcière. — Les lacs Tinn et Mjös. — Le Westfjord. — La chute du Rjukan. — Légende de la belle Marie. — Dal. — Le livre des étrangers. — L'église d'Hitterdal. — L'ivresse en Norvége. — Le châtelain aubergiste. — Les lacs Sillegjord et Bandak. — Le ravin des Corbeaux.

Le Saint-Olaf et ses pareils. — Navigation intérieure. — Retour à Christiania par Skien.

L'évêché de Bergen . — La presqu'île de Bergen. — Lærdal. — Le Sognefjord. — Vosse-Vangen. — Le Vöringfoss. — Le Hardangerfjord. — De Vikoër à Sammanger et à Bergen.

Voyage de M. Guillaume Lejean dans l'Afrique orientale (1860.—Texte et dessins inédits.)—Lettre au Directeur du Tour du monde (Khartoum, 10 mai 1860).

D'Alexandrie à Souakin. — L'Égypte. — Le désert. — Le simoun. — Suez. — Un danger. — Le mirage. — Tor. — Qosséir. — Djambo. — Djeddah.

Voyage au mont Athos , par M. A. Proust (1858.—Inédit.)

Salonique. — Juifs, Grecs et Bulgares. — Les mosquées. — L'Albanais Rabottas. — Préparatifs de départ. — Vasilika. — Galatz. — Nedgesalar. — L'Athos. — Saint-Nicolas. — Le P. Gédéon. — Le couvent russe. — La messe chez les Grecs. — Kariès et la république de l'Athos. — Le voïvode turc. — Le peintre Anthimès et le pappas Manuel. — M. de Sévastiannoff.

Ermites indépendants. — Le monastère de Koutloumousis. — Les bibliothèques. — La peinture. — Manuel Panselinos et les peintres modernes. — Le monastère d'Iveron. — Les carêmes. — Peintres et peintures. — Stavronikitas. — Miracles. — Un Vroukolakas. — Les bibliothèques. — Les mulets. — Philotheos. — Les moines et la guerre de l'Indépendance. — Karacallos. — L'union des deux Églises. — Les pénitences et les fautes.

La légende d'Arcadius. — Le pappas de Smyrne. — Esphigmenou. — Théodose le Jeune. — L'ex-patriarche Anthymos et l'Église grecque. — L'isthme de l'Athos et Xerxès. — Les monastères bulgares: Kiliandari et Zographos. — La légende du peintre. — Beauté du paysage. — Castamoniti. — Une femme au mont Athos. — Dokiarios. — La secte des Palamites. — Saint-Xénophon. — La pêche aux éponges. — Retour à Kariès. — Xiropotamos, le couvent du Fleuve Sec. — Départ de Daphné. — Marino le chanteur.

Voyage d'un naturaliste ( Charles Darwin ).—L'archipel Galapagos et les attoles ou îles de coraux.—(1838).

L'Archipel Galapagos. — Groupe volcanique. — Innombrables cratères. — Aspect bizarre de la végétation. — L'île Chatam. — Colonie de l'île Charles. — L'île James. — Lac salé dans un cratère. — Histoire naturelle de ce groupe d'îles. — Mammifères; souris indigène. — Ornithologie; familiarité des oiseaux; terreur de l'homme; instinct acquis. — Reptiles; tortues de terre; leurs habitudes.

Encore les tortues de terre; lézard aquatique se nourrissant de plantes marines; lézard terrestre herbivore, se creusant un terrier. — Importance des reptiles dans cet archipel où ils remplacent les mammifères. — Différences entre les espèces qui habitent les diverses îles. — Aspect général américain.

Les attoles ou îles de coraux. — Île Keeling. — Aspect merveilleux. — Flore exiguë. — Voyage des graines. — Oiseaux. — Insectes. — Sources à flux et reflux. — Chasse aux tortues. — Champs de coraux morts. — Pierres transportées par les racines des arbres. — Grand crabe. — Corail piquant. — Poissons se nourrissant de coraux. — Formation des attoles. — Profondeur à laquelle le corail peut vivre. — Vastes espaces parsemés d'îles de corail. — Abaissement de leurs fondations. — Barrières. — Franges de récifs. — Changement des franges en barrières et des barrières en attoles.

Biographie. —Brun-Rollet.

Voyage au pays des Yakoutes (Russie asiatique), par Ouvarovski (1830-1839).

Djigansk. — Mes premiers souvenirs. — Brigandages. — Le paysage de Djigansk. — Les habitants. — La pêche. — Si les poissons morts sont bons à manger. — La sorcière Agrippine. — Mon premier voyage. — Killæm et ses environs. — Malheurs. — Les Yakoutes. — La chasse et la pêche. — Yakoutsk. — Mon premier emploi. — J'avance. — Dernières recommandations de ma mère. — Irkoutsk. — Voyage. — Oudskoï. — Mes bagages. — Campement. — Le froid. — La rivière Outchour. — L'Aldan. — Voyage dans la neige et dans la glace. — L'Ægnæ. — Un Tongouse qui pleure son chien. — Obstacles et fatigues. — Les guides. — Ascension du Diougdjour. — Stratagème pour prendre un oiseau. — La ville d'Oudskoï. — La pêche à l'embouchure du fleuve Ut. — Navigation pénible. — Boroukan. — Une halte dans la neige. — Les rennes. — Le mont Byraya. — Retour à Oudskoï et à Yakoutsk.

Viliouisk. — Sel tricolore. — Bois pétrifié. — Le Sountar. — Nouveau voyage. — Description du pays des Yakoutes. — Climat. — Population. — Caractères. — Aptitudes. — Les femmes yakoutes.

De Sydney à Adélaïde (Australie du Sud), notes extraites d'une correspondance particulière (1860).

Les Alpes australiennes. — Le bassin du Murray. — Ce qui reste des anciens maîtres du sol. — Navigation sur le Murray. — Frontières de l'Australie du Sud. — Le lac Alexandrina. — Le Kanguroo rouge. — La colonie de l'Australie du Sud. — Adélaïde. — Culture et mines.

Voyages et découvertes au centre de l'Afrique , journal du docteur Barth (1849-1855).

Henry Barth. — But de l'expédition de Richardson. — Départ. — Le Fezzan. — Mourzouk. — Le désert. — Le palais des démons. — Barth s'égare; torture et agonie. — Oasis. — Les Touaregs. — Dunes. — Afalesselez. — Bubales et moufflons. — Ouragan. — Frontières de l'Asben. — Extorsions. — Déluge à une latitude où il ne doit pas pleuvoir. — La Suisse du désert. — Sombre vallée de Taghist. — Riante vallée d'Auderas. — Agadez. — Sa décadence. — Entrevue de Barth et du sultan. — Pouvoir despotique. — Coup d'œil sur les mœurs. — Habitat de la girafe. — Le Soudan; le Damergou. — Architecture. — Katchéna; Barth est prisonnier. — Pénurie d'argent. — Kano. — Son aspect, son industrie, sa population. — De Kano à Kouka. — Mort de Richardson. — Arrivée à Kouka. — Difficultés croissantes. — L'énergie du voyageur en triomphe. — Ses visiteurs. — Un vieux courtisan. — Le vizir et ses quatre cents femmes. — Description de la ville, son marché, ses habitants. — Le Dendal. — Excursion. — Angornou. — Le lac Tchad.

Départ. — Aspect désolé du pays. — Les Ghouas. — Mabani. — Le mont Délabéda. — Forgeron en plein vent. — Dévastation. — Orage. — Baobab. — Le Mendif. — Les Marghis. — L'Adamaoua. — Mboutoudi. — Proposition de mariage. — Installation de vive force chez le fils du gouverneur de Soulleri. — Le Bénoué. — Yola. — Mauvais accueil. — Renvoi subit. — Les Ouélad-Sliman. — Situation politique du Bornou. — La ville de Yo. — Ngégimi ou Ingégimi. — Chute dans un bourbier. — Territoire ennemi. — Razzia. — Nouvelle expédition. — Troisième départ de Kouka. — Le chef de la police. — Aspect de l'armée. — Dikoua. — Marche de l'armée. — Le Mosgou. — Adishen et son escorte. — Beauté du pays. — Chasse à l'homme. — Erreur des Européens sur le centre de l'Afrique. — Incendies. — Baga. — Partage du butin. — Entrée dans le Baghirmi. — Refus de passage. — Traversée du Chari. — À travers champs. — Défense d'aller plus loin. — Hospitalité de Bou-Bakr-Sadik. — Barth est arrêté. — On lui met les fers aux pieds. — Délivré par Sadik. — Maséna. — Un savant. — Les femmes de Baghirmi. — Combat avec des fourmis. — Cortége du sultan. — Dépêches de Londres.

De Katchéna au Niger. — Le district de Mouniyo. — Lacs remarquables. — Aspect curieux de Zinder. — Route périlleuse. — Activité des fourmis. — Le Ghaladina de Sokoto. — Marche forcée de trente heures. — L'émir Aliyou. — Vourno. — Situation du pays. — Cortége nuptial. — Sokoto. — Caprice d'une boîte à musique. — Gando. — Khalilou. — Un chevalier d'industrie. — Exactions. — Pluie. — Désolation et fécondité. — Zogirma. — La vallée de Foga. — Le Niger. — La ville de Say. — Région mystérieuse. — Orage. — Passage de la Sirba. — Fin du rhamadan à Sebba. — Bijoux en cuivre. — De l'eau partout. — Barth déguisé en schérif. — Horreur des chiens. — Montagnes du Hombori. — Protection des Touaregs. — Bambara. — Prières pour la pluie. — Sur l'eau. — Kabara. — Visites importunes. — Dangereux passage. — Tinboctoue, Tomboctou ou Tembouctou. — El Bakay. — Menaces. — Le camp du cheik. — Irritation croissante. — Sus au chrétien! — Les Foullanes veulent assiéger la ville. — Départ. — Un preux chez les Touaregs. — Zone rocheuse. — Lenteurs désespérantes. — Gogo. — Gando. — Kano. — Retour.

Voyages et aventures du baron de Wogan en Californie (1850-1852.—Inédit).

Arrivée à San-Francisco. — Description de cette ville. — Départ pour les placers. — Le claim. — Première déception. — La solitude. — Mineur et chasseur. — Départ pour l'intérieur. — L'ours gris. — Reconnaissance des sauvages. — Captivité. — Jugement. — Le poteau de la guerre. — L'Anglais chef de tribu. — Délivrance.

Voyage dans le royaume d'Ava (empire des Birmans), par le capitaine Henri Yule , du corps du génie bengalais (1855).

Départ de Rangoun. — Frontières anglaises et birmanes. — Aspect du fleuve et de ses bords. — La ville de Magwé. — Musique, concert et drames birmans. — Sources de naphte; leur exploitation. — Un monastère et ses habitants. — La ville de Pagán. — Myeen-Kyan. — Amarapoura. — Paysage. — Arrivée à Amarapoura.

Amarapoura; ses palais, ses temples. — L'éléphant blanc. — Population de la ville. — Recensement suspect. — Audience du roi. — Présents offerts et reçus. — Le prince héritier présomptif et la princesse royale. — Incident diplomatique. — Religion bouddhique. — Visites aux grands fonctionnaires. — Les dames birmanes.

Comment on dompte les éléphants en Birmanie. — Excursions autour d'Amarapoura. — Géologie de la vallée de l'Irawady. — Les poissons familiers. — Le serpent hamadryade. — Les Shans et autres peuples indigènes du royaume d'Ava. — Les femmes chez les Birmans et chez les Karens. — Fêtes birmanes. — Audience de congé. — Refus de signer un traité. — Lettre royale. — Départ d'Amarapoura et retour à Rangoun. — Coup d'œil rétrospectif sur la Birmanie.

Voyage aux grands lacs de l'Afrique orientale , par le capitaine Burton (1857-1859).

But de l'expédition. — Le capitaine Burton. — Zanzibar. — Aspect de la côte. — Un village. — Les Béloutchis. — Ouamrima. — Fertilité du sol. — Dégoût inspiré par le pantalon. — Vallée de la mort. — Supplice de M. Maizan. — Hallucination de l'assassin. — Horreur du paysage. — Humidité. — Zoungoméro. — Effets de la traite. — Personnel de la caravane. — Métis arabes, Hindous, jeunes gens mis en gage par leurs familles. — Ânes de selle et de bât. — Chaîne de l'Ousagara. — Transformation du climat. — Nouvelles plaines insalubres. — Contraste. — Ruine d'un village. — Fourmis noires. — Troisième rampe de l'Ousagara. — La Passe terrible. — L'Ougogo. — L'Ougogi. — Épines. — Le Zihoua. — Caravanes. — Curiosité des indigènes. — Faune. — Un despote. — La plaine embrasée. — Coup d'œil sur la vallée d'Ougogo. — Aridité. — Kraals. — Absence de combustible. — Géologie. — Climat. — Printemps. — Indigènes. — District de Toula. — Le chef Maoula. — Forêt dangereuse.

Arrivée à Kazeh. — Accueil hospitalier. — Snay ben Amir. — Établissements des Arabes. — Leur manière de vivre. — Le Tembé. — Chemins de l'Afrique orientale. — Caravanes. — Porteurs. — Une journée de marche. — Costume du guide. — Le Mganga. — Coiffures. — Halte. — Danse. — Séjour à Kazeh. — Avidité des Béloutchis. — Saison pluvieuse. — Yombo. — Coucher du soleil. — Jolies fumeuses. — Le Mséné. — Orgies. — Kajjanjéri. — Maladie. — Passage du Malagarazi. — Tradition. — Beauté de la Terre de la Lune. — Soirée de printemps. — Orage. — Faune. — Cynocéphales, chiens sauvages, oiseaux d'eau. — Ouakimbou. — Ouanyamouézi. — Toilette. — Naissances. — Éducation. — Funérailles. — Mobilier. — Lieu public. — Gouvernement. — Ordalie. — Région insalubre et féconde. — Aspect du Tanganyika. — Ravissements. — Kaouélé.

Tatouage. — Cosmétiques. — Manière originale de priser. — Caractère des Ouajiji; leur cérémonial. — Autres riverains du lac. — Ouatata, vie nomade, conquêtes, manière de se battre, hospitalité. — Installation à Kaouélé. — Visite de Kannéna. — Tribulations. — Maladies. — Sur le lac. — Bourgades de pêcheurs. — Ouafanya. — Le chef Kanoni. — Côte inhospitalière. — L'île d'Oubouari. — Anthropophages. — Accueil flatteur des Ouavira. — Pas d'issue au Tanganyika. — Tempête. — Retour.

Fragment d'un voyage au Saubat (affluent du Nil Blanc), par M. Andrea Debono (1855).

Voyage à l'île de Cuba , par M. Richard Dana (1859).

Départ de New-York. — Une nuit en mer. — Première vue de Cuba. — Le Morro. — Aspect de la Havane. — Les rues. — La volante. — La place d'Armes. — La promenade d'Isabelle II. — L'hôtel Le Grand. — Bains dans les rochers. — Coolies chinois. — Quartier pauvre à la Havane. — La promenade de Tacon. — Les surnoms à la Havane. — Matanzas. — La Plaza. — Limossar. — L'intérieur de l'île. — La végétation. — Les champs de canne à sucre. — Une plantation. — Le café. — La vie dans une plantation de sucre. — Le Cumbre. — Le passage. — Retour à la Havane. — La population de Cuba. — Les noirs libres. — Les mystères de l'esclavage. — Les productions naturelles. — Le climat.

Excursions dans le Dauphiné , par M. Adolphe Joanne (1850-1860).

Le pic de Belledon. — Le Dauphiné. — Les Goulets.

Les gorges d'Omblèze. — Die. — La vallée de Roumeyer. — La forêt de Saou. — Le col de la Cochette.

Excursions dans le Dauphiné , par M. Élisée Reclus (1850-1860).

La Grave. — L'Aiguille du midi. — Le clapier de Saint-Christophe. — Le pont du Diable. — La Bérarde. — Le col de la Tempe. — La Vallouise. — Le Pertuis-Rostan. — Le village des Claux. — Le mont Pelvoux. — La Balme-Chapelu. — Mœurs des habitants.

Liste des gravures .

Liste des cartes .

Errata .

(p. 065)

Costumes norvégiens d'Hitterdal.—Dessin de Pelcoq d'après le peintre norvégien Tiedeman.

VOYAGE DANS LES ÉTATS SCANDINAVES,
PAR M. PAUL RIANT.

I. LE TÉLÉMARK ET L'ÉVÊCHÉ DE BERGEN.
1858.—INÉDIT.

LE TÉLÉMARK.

Christiania. — Départ pour le Télémark. — Mode de voyager. — Paysage. — La vallée et la ville de Drammen.

En 1736, la France envoya, sous les ordres de M. de Maupertuis, une expédition scientifique au cercle polaire. L'abbé Outhier, chargé de la relation du voyage, fait partir l'expédition en carrosse de voiture . On déjeune à Louvres, on soupe à Senlis, et le long du chemin on ne perd pas une seule des curiosités de la Picardie et de l'Artois.

En 1860, devant les affiches des chemins de fer qui vous mènent de Paris à Copenhague en trente-six heures, il faut faire comme la vapeur et rayer d'un trait de plume ces distances qui n'en sont plus. Bientôt même la vieille terre des Goths et des Normands aura achevé son réseau de voies ferrées: les solitudes Scandinaves, à peine troublées par le «shooting» et le «fishing» britanniques, verront aux vacances s'abattre par légions les touristes du continent et il ne sera plus permis d'écrire sur le Nord d'autre livre que le Guide du voyageur . Pour ceux qui aiment à trouver de l'imprévu, à découvrir des sites ignorés, il faut se hâter: les vieilles idées qui assignaient pour patrie aux ours la banlieue de Copenhague (p. 066) s'en vont peu à peu et le canal de Gotha menace de devenir aussi banal que le Rhin ou la Loire.

Seuls, les fjelds (monts, plateaux) norvégiens feront peut-être exception pendant quelques années: l'âpreté particulière du sol, la configuration générale des montagnes, la longueur des distances, l'absence du confort le plus élémentaire, interdiront encore longtemps, aux touristes pressés, certaines excursions de longue haleine à la recherche de sites fameux par leur éloignement même.

Les deux parties de la Norvége qui offrent à la fois le plus de grandeur dans les paysages, le plus d'originalité dans les mœurs, sont le Télémark et l'évêché de Bergen.

La Norvége, longue et étroite bande de côtes qui étreint la Suède depuis le golfe de Varanger jusqu'à Gothembourg, se renfle dans la partie méridionale: c'est le centre de cette presqu'île secondaire qu'occupe le Télémark, avec ses grands lacs solitaires, ses montagnes abruptes, ses chutes immenses, et son peuple aux costumes bariolés.

..........

... Arrivés à Christiania dans les premiers jours de juin après un voyage assez long à travers les immenses forêts du Vermland et le long de la noble vallée de la Glommen, nous avions employé près d'un mois à parcourir les environs immédiats de la métropole norvégienne, admirablement assise au fond d'un des plus beaux fjords (golfes) de la côte, au pied de montagnes verdoyantes et à une heure des grands lacs de l'intérieur, grâce à quelques kilomètres de chemin de fer qu'on pourra prolonger plus tard.

Christiania, comme Stockholm, comme presque toutes les villes bâties en panorama, devrait n'être vue que de loin. Au bout de huit jours passés dans ses rues désertes, le long de ses bazars dégarnis, on a hâte de quitter cet immense village, aux monuments prétentieux, et on se prend à en vouloir aux habitants du désenchantement que l'on éprouve: ils ont presque gâté la nature.

Huit jours pourtant ne sont pas de trop avant de partir pour le Télémark, surtout si l'on veut, tout en parcourant le pays, se livrer aux divertissements favoris des Anglais, la chasse et la pêche. Comme on est sûr d'avance de ne trouver le long du chemin que du lait caillé et de la farine, il est nécessaire de se pourvoir de tout ce qui doit suppléer à l'insuffisance de ce menu quotidien.

Une petite voiture nationale non-suspendue, nommée du nom défiguré de «karriol» (et la seule que l'orgueil norvégien consente à raccommoder en cas d'accident), doit contenir votre personne et vos bagages. Le siège, en forme de sabot, repose sur une petite traverse en avant de l'essieu; le cheval, attelé d'une façon particulière, tire à l'extrémité des brancards; une forte malle est attachée à l'autre bout sur une planche, le gamin (skydskarl), qui ramène le cheval de poste, s'assied dessus. Entre ces deux points d'appui, le voyageur est mieux suspendu que dans bien des voitures à ressorts et l'on finit par s'habituer si bien à ce genre de locomotion qu'on arrive à faire des journées de seize ou dix-huit heures sans excès de fatigue.

On voudrait d'ailleurs voyager autrement qu'on serait obligé forcément d'y renoncer: les distances sont trop longues pour le voyage à pied; les petits chevaux, habitués à tirer ces légers véhicules, se refusent au poids plus gênant du cavalier. Quant aux voitures civilisées, les routes en feraient bientôt raison.

La poste, du reste, n'est pas d'une cherté exorbitante et, n'étaient certains règlements parfaitement défavorables aux voyageurs, on n'aurait aucun droit de s'en plaindre [1] .

Aussi, le 27 juin à cinq heures du matin, notre itinéraire étant arrêté pour huit jours, nos «forbuds [2] » étant envoyés et nos sacs chargés de la menue monnaie indispensable dans les montagnes, nous roulions sur la route de Télémark avec le projet d'aller le soir coucher à Kongsberg, chef-lieu du département de Bratsberg, l'un des plus riches de la Norvége en mines et en bois. La route qui y mène, admirablement percée en pleine montagne est, à quelques passages près, un chef-d'œuvre, chose rare dans le Nord, où l'on passe subitement de voies construites à grands frais à d'abominables traverses.

La route que nous suivons longe la rive droite du fjord de Christiania, dans un pays qui partout ailleurs serait un véritable parc: de grandes prairies semées de bouquets de pins et de frênes descendent jusqu'à la mer; à droite des fermes rouges et blanches s'étagent sur la montagne, perdues dans la nappe indéfinie des sapins; à gauche se découpent les mille bras du fjord. Chaque crique cache un petit débarcadère de bois avec quelque bateau à demi chargé. Le ciel est pur comme un ciel du midi, de grands églantiers couverts de fleurs bordent le chemin et s'accrochent aux rochers. À chaque chaumière, au bruit des chevaux, des marmots jambes nues accourent pour vous offrir des fraises. On se croirait sur quelque côte fleurie de la Méditerranée à deux pas de Nice ou d'Hyères, et l'on est en réalité sous le soixante-unième degré de latitude.

Carte du HAUT TÉLÉMARK (Norwège méridionale) d'après Mr Paul Riant.
Gravé chez Erhard. R. Bonaparte 42.

À Sandviken, petit port en miniature avec huit ou dix petits vaisseaux à l'ancre, la route quitte le fjord, qu'on n'aperçoit plus que dans un lointain bleuâtre, le paysage est toujours splendide, de longues files de paysans nous croisent avec de grands seaux pleins de lait et des charretées de légumes. Ils saluent en passant, mais de cette façon fière qui distingue les hommes libres des montagnes norvégiennes.

La vallée de Boskesjö.—Dessin de Doré d'après M. Riant.

(p. 069) C'est à trois lieues de Sandviken que commence la côte du Paradis, «Paradise Bakke,» ainsi nommée de l'admirable vue dont on jouit à son sommet; de là l'œil embrasse à la fois le fjord et le lac Tiri unis par la vallée de Drammen, riche, cultivée, animée par des scieries, par des fermes opulentes.

Costumes du Télémark.—Dessin de Pelcoq.

Au fond est la ville de Drammen. Après une descente d'une demi-heure, on en touche les faubourgs. Drammen, bâtie sur les deux rives d'un large cours d'eau, est un des entrepôts de bois les plus importants de la Norvége. La ville consiste en deux longues rues parallèles, bordées pendant trois kilomètres de maisons neuves en bois peint et découpé; le feu a passé par là, et en Norvége c'est un bienfait. Presque toutes les villes de Norvége payent à l'élément destructeur un tribut périodique. Tout brûle, mais tout est assuré, immeuble et mobilier: les compagnies anglaises payent les victimes en argent comptant, denrée rare en Norvége. Chacun rebâtit sa demeure au goût du jour, et Troie renaît de ses cendres, plus florissante que jamais. Le fait est que Drammen a un aspect fort opulent. Bourse, quais, maisons aussi vernies que les chalets d'Auteuil, vaisseaux au port, villas dans les faubourgs, rien n'y manque ... que de quoi manger; c'est ce qui arrive le plus souvent en Norvége, où l'œil est toujours satisfait avant l'estomac. À l'auberge, péniblement trouvée après une heure de recherche, une jeune et insolente «pige» nous refuse le pain et le sel sous prétexte que l'heure du dîner est passée.

À une raison aussi péremptoire, il n'y a rien à répondre. Le Norvégien, être flegmatique et intimement convaincu de sa propre sagesse, ne connaît point d'objection.

(p. 070) De Drammen à Kongsberg. — Le cheval norvégien. — Kongsberg et ses gisements métallifères.

Nous partons pour des lieux plus hospitaliers; d'immenses chantiers de planches et de poutres bordent la route. Il semble qu'il y a là de quoi approvisionner des villes entières: le bois s'élève en énormes monceaux; sans cesse de nouvelles poutres arrivent le long du fleuve, sont reconnues, rangées, empilées ou découpées en planches, vendues, embarquées à bord de gros clippers ad hoc , et c'est ainsi que se construisent les chemins de fer d'Espagne et les villas d'Alexandrie et du Caire.

Au bout d'une lieue, la vallée se rétrécit, et la route court plate et poudreuse jusqu'à Haugsund, gros bourg qui est comme la succursale de Drammen. C'est là qu'aboutissent en hiver les traînages de bois, les charrois de minerai, qui viennent des montagnes; en été, il y a moins d'animation.

Haugsund, comme Drammen, est séparé en deux parties qu'un pont de pierre unit. Un gœstgiver plus hospitalier que le premier, nous offre tout ce qu'il possède, mais, comme dans les posadas de la Manche, ce tout se réduit à peu de chose: une queue de saumon.

Le saumon est dans le Nord le pain du peuple, qui le mange de toutes les façons: cru, cuit, fumé, salé; c'est la grande ressource du voyageur, tant qu'il reste à quelques lieues de la mer.

À Haugsund apparaissent les premiers costumes télémarkiens, les corsages courts, les hautes jupes et les innombrables bijoux d'argent qui sont le luxe de ces populations encore un peu barbares.

D'Haugsund à Kongsberg, il n'y a qu'un relais, mais il est long: deux milles et demi, près de douze lieues de France. On frémit en pensant aux malheureux quadrupèdes qui font au grand trot ces distances énormes. Le cheval norvégien est de la hauteur d'un âne, il est presque toujours jaunâtre, excepté la queue et la crinière qui sont noires; une raie de la même couleur règne le long du dos; l'habitude locale est de tailler la crinière en brosse en ne laissant qu'une grosse touffe qui passe entre les oreilles et retombe jusqu'aux yeux. Cette crinière hérissée, cette petite tête, ce regard intelligent font penser aux chevaux naïvement dessinés des anciens bas-reliefs.

Si le cheval norvégien n'est pas d'une apparence satisfaisante au point de vue hippique, il est doué de qualités solides et d'un certain fond de gaieté patiente assez voisine du caractère de l'âne. Il répond plus à la parole qu'au fouet, s'arrête brusquement à ce son fortement accentué: «prrr,» qui ferait fuir ses congénères d'Europe. Le long du chemin, il se contente d'un peu de foin; l'avoine est inconnue ou sert à l'alimentation de l'homme. Quand il a soif, il va de lui-même à la source qu'il sent de loin au bord de la route et ne se regimbe que si vous le forcez à déroger à ses habitudes. Arrivé au relais, il s'étend, se couche et se roule dans la poussière pour sécher la sueur du voyage. Son maître ne le brutalise jamais et a pour lui une véritable affection. Malheur au voyageur qui surmène une bête dont le propriétaire est assis derrière la carriole. Il essuiera un feu roulant de raisonnements de toutes sortes. Quelquefois même le geste suivra la parole, et le Norvégien a la main lourde.

La route avant Kongsberg traverse d'admirables forêts, venues on ne sait comment sur des roches énormes. La mine a joué un grand rôle dans la construction du chemin, d'immenses quartiers rouges et noirs sont entassés pêle-mêle sur les flancs de la montagne; d'énormes arbres au feuillage vigoureux sortent de ces amas monstrueux: c'est un véritable chaos.

Peu à peu, la roche finit par l'emporter sur la végétation; les pins se rabougrissent, si bien qu'au sommet d'une interminable côte, il n'y a plus que des broussailles et des mousses, mais on a atteint la vallée de la Laagen qui se déroule à vos pieds comme un long ruban. Un nuage noir, semé de reflets rougeâtres par le soleil couchant, se balance au-dessus du fleuve. Plus bas encore apparaissent Kongsberg, ses usines royales et la chute de Larbrö, qui fournit à l'exploitation minière son puissant moteur.

Kongsberg est la seconde ville minière de Norvége et le centre des mines d'argent et de cobalt; c'est là que s'élabore le minerai recueilli à quelques lieues à la ronde.

Les mines d'argent forment une portion importante (un dixième) du revenu de l'État. Administrées sagement et en prévision d'un épuisement possible, elles ne rendent qu'une somme fixe par an. Elles ont été beaucoup plus riches, mais la première veine cessa subitement au siècle dernier, et ce ne fut qu'après un long intervalle qu'on trouva la veine actuelle.

Les mines de cobalt situées à quatre milles de Kongsberg sont en pleine exploitation.

La ville, groupée autour de l'église, domine un peu la chute et les scieries qu'elle alimente.

Le Gœstgivegaard , décoré du nom français d'Hôtel des Mines, est tenu par un jeune homme fort complaisant, qui met à notre disposition un phaéton pour aller aux puits même de la mine.

Ils sont à trois ou quatre lieues de Kongsberg, dans un pays stérile, plein de roches et de pins rabougris; la route, à peine faite, serpente dans ce dédale de pierres et d'arbres.

On se demande comment les équipages à quatre chevaux de la cour de Suède ont pu conduire par ces horribles sentiers le prince Napoléon qui, dans ses rapides voyages polaires, a visité les puits de Kongsberg.

Nous dépassons cinq ou six établissements mus par l'eau et destinés aux préparations successives du minerai avant son entrée dans l'usine de Kongsberg. Tout cela est fait avec ce luxe de charpente qu'on ne peut trouver qu'en Norvége ou en Amérique: de gigantesques viaducs amènent l'eau d'un côté et le minerai de l'autre. Bientôt les résidus terreux s'amassent en monceaux énormes et envahissent la charpente primitive, un second édifice se superpose alors au premier sans qu'on s'inquiète autrement ni de la matière ni de l'espace. À un détour de la (p. 071) route, nous reconnaissons enfin la triste maison de bois peinte en brun et les hangars un peu délabrés que MM. Giraud et Karl Girardet ont poétisés de leur crayon d'artiste dans le voyage du prince.

Pour le moment, les ouvriers soupent sous le hangar; un gentilhomme, en chapeau noir, en bottes molles et en lunettes, fume à l'entrée de la mine une énorme pipe allemande; il se montre poli et prévenant; la conversation s'engage en anglais, mais au bout de quelque temps les connaissances un peu superficielles de notre interlocuteur dans l'idiome britannique nous forcent à parler norvégien. Il nous introduit dans une salle basse et nue où trois ouvriers, munis chacun d'une clef, ouvrent un grand coffre plein des échantillons les plus remarquables d'argent natif, puis on nous invite à descendre dans les mines.

À part quelques excavations immenses et partout célèbres, rien ne ressemble à une mine comme une autre mine; des échelles vermoulues, de longues galeries noires dont le silence n'est troublé que par le grondement des fleuves souterrains, un brouillard humide et noir, tout un monde enterré vivant, rien de moins fait pour parler aux yeux et émouvoir l'imagination; mais en Norvége ce serait humilier profondément la gloire nationale que de négliger les moindres détails des exploitations qui font la richesse du pays.

La mine de Kongsberg consciencieusement visitée, nous retrouvâmes avec satisfaction la terre d'en haut .

Le Norvégien en bottes nous attendait pour nous faire entrer dans l'habitation des mines et nous inscrire sur le registre des voyageurs: un toast à la vieille Norvége compléta la visite; en sortant, il nous montra dans une salle une vitrine garnie des échantillons minéralogiques de la contrée. L'argent se présente sous deux formes dans la mine: à l'état natif, il sort en longs fils [3] d'une gangue pierreuse, ou à l'état de sulfure; dans ce dernier cas, une gangue blanche feuilletée renferme de gros noyaux cristallins noirs. Un magnifique échantillon de ce genre décorait la cheminée. Nous voulions nous procurer quelques-uns de ces échantillons, mais ce n'est qu'en ville qu'on les achète. Là un souper passable, préparé par l'hôte, nous attendait. Nous devions partir le lendemain de grand matin pour les montagnes et, quoiqu'il fût dix heures du soir, nous envoyons nos cartes au fonctionnaire préposé à la vente des précieux cailloux; un quart d'heure après, nous allons nous-mêmes le trouver et, tout en exprimant un dévouement sans bornes à la France, il nous vend fort cher quatre petits morceaux d'argent.

Nous le quittons et, après avoir admiré de plus près la splendeur de Larbröfoss [4] , nous revenons à l'hôtel, où nous trouvons toute préparée une vaste chambre contiguë à la salle de concert de la ville. Dans le Nord, où la construction est toujours en bois et par conséquent peu coûteuse, la poste-auberge, gœstgivegaard , atteint dans les petites villes des proportions respectables; au rez-de-chaussée, il y a cabaret pour le peuple, restaurant et table d'hôte pour les fonctionnaires; le premier est occupé par une vaste salle de concert destinée aux solennités musicales ou chorégraphiques de l'endroit, et flanquée de deux ou trois vastes chambres au parquet de sapin, semé de petites branches vertes.

Les montagnes du Télémark. — Leurs habitants. — Hospitalité des gaards et des sæters . — Une sorcière.

Kongsberg est la dernière étape de la civilisation de ce côté de la Norvége. À quelques heures seulement de Christiania, elle participe au mouvement de la capitale. Mais n'allez pas plus loin, si vous voulez vivre autrement que de vos propres ressources. Là commencent les âpres montagnes du Télémark qui enlacent les lacs Tinn, Mjös, Totak et Bandak et vont, s'entassant les unes sur les autres, former vers l'ouest l'inaccessible barrière du Hardanger fjeld, vaste désert de neige, où l'indigène même ne s'aventure pas sans horreur.

Pendant quelques milles encore on peut se servir de la carriole; c'est-à-dire que l'on trouve un ou deux sentiers assez larges pour lui livrer passage: frayés ou non, peu importe, dès qu'elle entre, elle va partout.

Le but principal d'une excursion en Télémark est la célèbre chute fumante , Rjukandfoss [5] , la plus grande de l'Europe, je dis la plus grande et non la plus haute ni la plus forte; car la chute du Rhin à Schaffhausen et les rapides de la Glommen à Kongsvinger l'emportent sur le Rjukan en puissance d'eau, de même que le filet d'eau qui, à Gudvangen, dans l'évêché de Bergen, tombe de 4000 pieds dans la mer, l'emporte en hauteur; mais la célébrité du Rjukan vient à la fois de la masse imposante de ses eaux et de la hauteur immense d'où elles tombent, un lac précipité dans un autre, de mille pieds de hauteur.

Le lac Mjös, immense nappe à six branches, grossie des eaux qui tombent du Hardanger fjeld, vient se déverser par le Maan Elv dans le bassin du Tinn.

La vallée du Maan Elv peut avoir douze lieues; c'est au tiers environ qu'a lieu la dépression énorme qui produit la chute. Pour aller de Kongsberg au Rjukan, il faut passer de la vallée de la Laagen dans celle du lac Tinn et franchir une chaîne de montagnes assez abruptes; en faisant un coude et les tournant au sud, on suit une route assez bonne mais insignifiante. Nous devrons prendre le chemin le moins frayé et le plus pittoresque.

À quatre heures du matin, nous quittions Kongsberg et, après avoir suivi pendant une heure la Laagen chargée de bois flottés et bordée de grands sapins écorcés, nous entrons dans la montagne ou plutôt dans la forêt, car de tous côtés ce ne sont que sapins et rochers, rochers et sapins à perte de vue.

La vallée de Vestfjordal.—Dessin de Doré d'après M. Riant.

Au bout d'une autre heure, les pentes s'adoucissent et l'on entre dans une vaste prairie traversée par une (p. 073) petite rivière et bordée de hautes collines: c'est le sæter de Moën. Rien en général n'est tranquille et poétique comme un sæter; c'est une petite ferme isolée, inhabitée l'hiver. Là, en été, une famille, quelquefois une jeune fille seule, garde dans les pâturages de la montagne des troupeaux de moutons et de vaches. Le mot sæter implique l'absence de culture; il n'y a autour de la ferme que de verdoyantes prairies.

Les gens de Moën sont doux et n'ont point l'air heureux. Ils nous vendent une de ces petites broches à pendeloques que, dans les longues veillées d'hiver, les paysans façonnent avec le filigrane naturel des mines de Kongsberg.

Après Moën, commence une longue montée sur un de ces plateaux tourbeux où depuis des siècles les sapins meurent et renaissent de leurs propres débris. Dans ces déserts marécageux, la route dépasse tout ce que l'imagination a jamais pu concevoir d'effrayant pour les voitures: lacets brusques, rochers laissés en travers, ponts vermoulus, pentes à pic, rien n'y manque.

Après une heure et demie de montée on arrive à Bolkesjö. Bolkesjö est une ferme de montagne importante, fondée il y a cent ans et encore tout empreinte du cachet original des vieux gaards norvégiens.

Intérieur d'auberge à Bolkesjö.—Dessin de Lancelot.

Du haut de la montagne au versant de laquelle les dix ou douze bâtiments de la ferme sont semés, on jouit d'une vue magnifique sur le lac Fol qui occupe le fond de la vallée et sur les plateaux boisés de Hofvin, tandis que vers l'ouest se découpe la cime neigeuse du mont Gausta.

À Bolkesjö tout est encore vraiment norvégien. La chambre des hôtes, peinte depuis le parquet jusqu'aux solives d'arabesques rouges et noires aux tons brunis par le temps, est parée de deux vastes alcôves aux lits élevés; le long des murs sont des bahuts chargés de vieux pots danois à couvercle d'argent et de large vaisselle de cuivre et d'argent; de vieilles chaises de bois peintes comme les solives et de vénérables tables en racine de bouleau complètent la mise en scène.

C'est dans cet intérieur d'un haut style que le maître de la maison nous sert une façon d'œufs au lard. Toute l'argenterie de la famille est exhibée dans cette occasion solennelle, et s'il est permis de juger, par ce déploiement de luxe, de l'opulence relative de note hôte, il doit être fort à son aise. Les paysans norvégiens, s'ils vivent avec frugalité, aiment à manger dans l'argent le peu qu'ils mangent: le contenant fait valoir le contenu. De là cette quantité de pots, de cuillers, d'assiettes fabriquées avec du métal fortement allié; le tout orné des dates les plus diverses et des formes les plus capricieuses.

Après le déjeuner continue la descente; la chaleur est toujours très-forte. La route n'en est plus une; c'est (p. 074) un casse-cou. La grande nappe au lac Fol apparaît à gauche, mais tout en bas, à deux ou trois cents pieds au-dessous de soi. On croit à chaque instant qu'on y roulera à pic, mais le chemin tourne brusquement et rentre dans la forêt. À droite, d'autres petits lacs tributaires du Fol brillent à travers les arbres. Tous sont solitaires: pas une barque, pas une maison au bord. Quelques roches seulement, quelques chevaux en liberté qui viennent s'abreuver à la rive. Ce silence nous étonne d'abord, mais on s'y fait. Les routes peuvent être étroites, on ne croise personne. En huit jours, nous ne trouverons pas une autre voiture que les nôtres.

Au bas de la montagne de Bolkesjö et presque au niveau du Fol, nous nous arrêtons un instant à Vik où le pays recommence à devenir cultivé. De larges prairies resplendissent au soleil et les clôtures reparaissent en travers des chemins. Dans un pays où il ne passe personne, à quoi bon clôturer les champs? Le long des routes, on se borne à construire des haies de bois pour limiter les héritages. Ces longues haies coupent en général les chemins. Une grande porte de bois pivotant sur un poteau de sapin barre la route. À chaque clôture, il faut que le skydskarl qui est assis derrière la carriole saute en bas pour aller ouvrir. En général, c'est un gros gamin, blond, lent et lourd. Il faut attendre qu'il ait vu la barrière, qu'il se soit laissé tomber de la valise, qu'il ait ouvert, puis, refermé la claie et enfin (ce qui est plus long), qu'il se soit hissé de nouveau à son poste. Pour peu qu'il y en ait une vingtaine par relai, on fait à peine deux lieues à l'heure.

À Kopsland, une dernière barrière ouvre sur de magnifiques prairies, arrosées par le Maan Elv, le même fleuve qui, après être tombé de neuf cents pieds au Rjukan, a traversé le lac Tinn, puis va se jeter, à Skien, dans la mer du Nord. Le Maan à cet endroit est fort large, toujours rapide et blanc d'écume. D'énormes sapins sont emportés avec une vitesse effrayante. Du reste, les bords du fleuve n'ont rien qui participe de la nature sévère et presque furieuse de ses eaux. Des massifs d'aulnes et de frênes s'étagent sur les dernières pentes des montagnes. Les prairies sont couvertes d'orchidées et de géraniums. Des bestiaux errent dans ces riches solitudes, conduits par quelque enfant à demi nu.

Deux petits chevaux commandés par les forbuds du matin nous attendaient dans le pré. Pendant qu'on les attelle, une misérable vieille en haillons nous adresse en chantant quelques paroles aiguës. Une poignée de shillings a peine à l'éloigner. Elle a l'œil hagard et l'on ne sait si les refrains qu'elle grince sont des malédictions ou des souhaits.

Interrogé sur cette apparition insolite, le skydskarl répond que c'est une sorcière. L'heure malheureusement ne prêtait point au fantastique. Le soleil brillait dans toute sa gloire; sans quoi, on eût pu se croire transporté au temps des anciennes «sagor» et des évocations nocturnes jetées aux quatre vents.

Après avoir côtoyé quelque temps le Maan, la route le traverse. Les carrioles descendent à pic sur une petite plage de sable.

Cinq ou six sapins bruts, liés en radeau par des cordes d'écorce attendent au rivage et deux vieux Télémarkiens, coiffés d'un bonnet rond, viennent prendre les carrioles. On en met une sur le radeau; puis, l'un de l'aviron, l'autre du croc, dirigent tant bien que mal, à travers les rapides et les bois flottés, l'édifice chancelant de ce bac improvisé.

Vient ensuite le tour de la deuxième carriole, puis enfin celui des voyageurs eux-mêmes et des skydskarls. On vacille en route, on a les pieds mouillés par l'écume du torrent, mais on passe. (De l'autre côté du fleuve est la blanche petite église de Grandherred, coquettement posée sur la rive.)

À l'autre bord, un coup de fouet au cheval: animal et voiture passent par-dessus le petit banc des rameurs, tombent dans l'eau, se relèvent, partent, et tout est dit.

Les lacs Tinn et Mjös. — Le Westfjord. — La chute de Rjukan. — Légende de la belle Marie.

Après deux heures de trot sur une belle route le long du fleuve, on arrive au lac Tinn où toute voie de communication cesse. À peine y a-t-il au pied des hautes falaises du lac la place du petit gaard de Tinoset et du jardin mal soigné qui l'entoure. Un vieillard en enfance, deux femmes d'une saleté repoussante habitent la chaumière. Leur faire entendre qu'on veut une barque pour traverser le lac et des chevaux pour le surlendemain à quatre heures du matin est tout un travail. Ils comprennent, mais font comme s'ils ne l'avaient point compris, et, comme les bateaux ne viennent point, nous en sommes réduits à nous coucher sur l'herbe, à l'ombre d'un magnifique pin, en vue du lac.

À Tinoset, le Tinn se termine en pointe et se décharge par une chute dans la vallée inférieure. Les bois que le courant très-lent du lac a amenés à l'extrémité se forment d'eux-mêmes en un immense cercle qui occupe le fond du golfe sans toucher aux rives.

Au loin, on dirait sur l'eau une vaste tache d'huile. Peu à peu un bois, puis un autre, s'en détachent, d'autres les remplacent, mais le cercle formé par quelque tournant invisible reste le même, toujours parfait de rondeur.

Le proverbe: «Tout vient à point à qui sait attendre,» devrait être pris pour la devise du touriste en Norvége. Si vous brusquez le paysan, il devient malhonnête, grossier, et vous tourne le dos. Exposez gracieusement votre demande, et, sans vous assurer s'il a compris, car en général sa pénétration réelle ne répond pas à son apparente lourdeur, attendez patiemment le résultat de l'affaire; il prendra son temps, consultera sa maisonnée et finira par arriver à vos fins. Ce ne sont certes pas les Normands, leurs pères, qui ont importé en Angleterre le dicton: Time is money .

Au bout d'une heure, nos bateliers arrivaient avec le bateau; ils étaient deux avec un plus jeune, à la figure sympathique. Ils s'asseyent pour ramer à l'arrière. Un paquet de ramure de bouleau occupe l'avant. C'est là-dessus (p. 075) que couvertures et sacs de voyage forment un lit sinon moelleux, du moins assez supportable.

En Norvége, où le voyage en barque est si usuel qu'à chaque relais de terre ( landskyde ) correspond presque toujours un relais d'eau ( vandskyde ), pour le lac, la rivière ou le golfe voisin, il n'y a pas d'autre manière de s'arranger. Si vous voulez apporter de la variété dans les différentes positions du corps et sortir d'une horizontalité fastidieuse, les rameurs vous rappellent à l'ordre, sous prétexte que la charge n'est plus équilibrée.

Église d'Hitterdal (voy. p. 78 ).—Dessin de Wormser.

Le lac Tinn inaugure agréablement ce genre de voyage; il a sa physionomie spéciale qui ne manque pas de grandeur. Enfermé entre deux murailles de granit de deux mille pieds de haut, sa nappe tranquille éclairée par le pâle soleil de dix heures du soir, se dore des tons les plus fantastiques; quelques îles de pins détachent leurs sombres silhouettes sur l'horizon étincelant; tandis que sur les bords quelques petites maisons de pêcheurs, accessibles seulement aux barques, se cachent dans les recoins de la montagne. Nos rameurs viennent aborder à une de ces cabanes; un homme et une femme en sortent pour nous offrir des hores [6] .

Cependant la nuit, ou ce qu'on est convenu d'appeler ainsi en Norvége, commence à tomber sur le lac: le silence devient encore plus profond et on n'entend plus que le choc des sapins flottés qui se rencontrent çà et là sur l'eau. À onze heures nous arrivons à Haakenœs, cap qui sépare le Tinn du Vestfjord, son bras occidental. Le maître de poste voudrait bien nous retenir chez lui, mais la nuit est si belle que nous préférons poursuivre notre excursion. La barque traverse le Vestfjord et à onze heures nous débarquions au pied de la petite église de Mœl: deux de nos bateliers prennent nos sacs sur leur dos, le troisième reste pour garder la barque, et nous entrons dans la vallée de Vestfjordal, formée par la continuation des rives du Westfjord et occupée par le cours impétueux du Maan.

Rien de calme et de lumineux comme les nuits d'été dans ces montagnes: le soleil, qui quitte à peine la cime neigeuse du Gausta, effleure en ce moment la pente nord-ouest, et dans une heure il sera venu blanchir le versant oriental. Tout le reste de la vallée est noyé dans l'ombre, mais dans une ombre transparente qui laisse aux objets toute leur forme et en poétise les contours. Le fleuve gronde à droite derrière les bouleaux, et ses vagues argentées semblent éclairer la route de blancs reflets dès qu'elle vient côtoyer les rives.

Nous voulions, la nuit même, atteindre Dal, la ferme la plus importante et comme le cœur du pays; de Mœl à Dal il y a quatorze ou quinze kilomètres: à une heure du matin, après une véritable promenade dans cette magnifique vallée, nous frappions à la porte d'un gaard, et une grosse fille, éveillée en sursaut, nous ouvrait une chambre assez grande, ornée de deux lits antiques; et dans le Nord, où les auberges des villes n'ont jamais que des canapés couverts d'une mince couchette, les alcôves peintes des paysans sont de vraies bonnes fortunes.

Dal peut servir de centre à un grand nombre d'excursions: il se trouve à portée des sites les plus célèbres du haut Télémark, et partant est visité chaque année par un certain nombre d'étudiants de Christiania ou de touristes britanniques. M. Bayard Taylor, le spirituel voyageur américain, le seul homme qui ait consciencieusement parlé du caractère norvégien, y a passé en 1856. Il en fait une peinture charmante.

Le Rjukandfoss.—Dessin de Doré d'après M. Riant.

Il faudrait, pour bien jouir de la beauté hors ligne du Vestfjordal, se fixer à Dal trois ou quatre jours: on pourrait au bout de vingt-quatre heures se procurer les chevaux [7] que nous n'avons pas eu le temps d'attendre, et faire sans fatigue l'excursion du Rjukan. Au retour (p. 077) on franchirait les fjeds du Gausta, célèbre par la légende de la noce pétrifiée, dont on montre toutes les victimes, y compris le chien et le chat. Pour nous, trompés par des renseignements inexacts, et forcés d'être de retour le surlendemain à Tinoset sous peine de manquer à nos forbuds, nous fûmes désagréablement surpris d'apprendre que, faute de chevaux, il faudrait faire à pied l'excursion du Rjukan.

En somme, à six heures du matin, après avoir pris pour guide un de nos bateliers, otage salutaire de notre bateau resté à Mœl, nous partions pour le Rjukan, situé à vingt kilomètres de là en remontant la vallée.

La route ombragée de bouleaux côtoie les prairies arrosées par le Maan. À deux kilomètres de Dal et de sa petite église, nous avons la bonne fortune de trouver un paysan qui nous promet un cheval pour revenir le soir de Dal à Mœl. La perspective de ne point refaire à pied le chemin de la veille nous fait paraître moins long celui-ci. À six kilomètres de Dal commence la côte d'Ingolfsland.

La vallée se rétrécit; au fond le Maan, qu'on domine de plus de trois cents pieds, n'est plus qu'un large ruban d'écume bondissant ça et là à travers les sapins qui couvrent les deux pentes opposées de la montagne. Au sommet de la côte est le sæter d'Ingolfsland, la route le dépasse pour monter sur le fjeld et gagner la nappe supérieure du Mjösvand.

Il faut s'arrêter au sæter pour jeter en arrière un coup d'œil sur la vue splendide delà vallée qu'on vient de remonter, avec les Fjelds du Tinn pour horizon et le Gausta à droite en premier plan.

Un chalet à Bamble.—Dessin de Lancelot d'après M. Riant.

À gauche, se précipitent du sommet même du Fjeld et serpentent le long de la montagne les longs bras d'une chute énorme qui tombe de rochers en rochers sans que l'œil perde un instant son cours écumant. Le torrent, passe sous un hardi pont de bois, et roule et court, avant de grossir le Maan, faire mouvoir une scierie à peine terminée.

Après le pont, jeté sur la chute, commence le sentier spécial du Rjukan, sorte d'escalier fort roide qui grimpe sur des roches branlantes. On dit qu'en général les chevaux passent parla, ce qui peut paraître paradoxal, mais ce qui n'a rien que d'ordinaire pour quiconque a vu descendre à des bêtes de somme les dix-huit cents marches de l'escalier de Vöring foss dans le Hardanger.

Pour le moment, c'est à pied que nous escaladons les marches naturelles qui, de roches en roches, nous mènent en trois quarts d'heure en vue de la chute qu'on aperçoit à travers les arbres.

Mais pour jouir de toute la grandeur du spectacle, il faut aller un peu plus loin et suivre, le long de la paroi presque polie de la montagne, une sorte de cran à peine accessible, véritable casse-cou, célèbre sous le nom de Maristien (passe de Marie).

Toute une légende se rattache à ce lieu: au temps jadis, on dit que le sentier fut découvert par la belle Marie de Vestfjordal: c'est par là qu'à l'insu des siens elle allait retrouver dans le fjeld, au bord du Mjös, Ejstein Halfoordsen son amant; mais un jour tout fut découvert, et Ejstein obligé de fuir la vengeance du père de Marie.

Les années s'écoulèrent, et le vieillard mourut. Désormais libre, Marie rappela l'exilé, qui, pour abréger la distance, voulut descendre dans la vallée par le sentier de sa bien-aimée, Marie l'attendait de l'autre côté du Rjukan: à la vue de son amant, elle pousse un cri joyeux; il veut s'élancer dans ses bras, le pied lui manque et le Rjukan renferme sur lui son abîme d'écume.

Marie devint folle; et depuis on la vit tous les jours errer le long de la passe fatale; et là, penchée sur le gouffre, elle semblait entretenir avec son amant invisible une douce conversation. Ses cheveux blanchirent: elle devint une vieille femme, et cependant jusqu'à sa mort (p. 078) elle ne cessa d'errer comme une ombre blanche sur les rives du Rjukan.

Est-ce elle que, dans les pâles et brumeuses journées d'hiver, les paysans du Westfjordal voient encore se découper vaguement dans les nuages de la chute? on ne sait: toujours est-il que Maristien est un lieu célèbre, et tout bon touriste doit accomplir le périlleux pèlerinage, au risque de faire comme Ejstein. Du reste, au milieu du sentier, un gros bouleau, fortement enlacé par ses puissantes racines aux roches environnantes, permet de faire halte et d'admirer la chute, qu'on domine d'une hauteur énorme.

Qu'on se figure une immense muraille de granit à parois presque surplombantes, de dix-huit cents pieds de haut. C'est la fin de la rive droite du Westfjordal. La rive gauche suit quelque temps, quoiqu'à une moindre hauteur, cette muraille immense, puis tout à coup s'élève et en même temps se creuse pour former comme deux puits énormes dont la section serait deux demi-cercles. Le premier sert comme d'antichambre à la chute: il est évident que c'est elle qui autrefois l'a creusé, mais que, dévorant toujours la roche, elle a fini par quitter cet espace vide pour se retirer en arrière et en creuser un autre. Celui-ci, elle le remplit tout entier de la masse énorme de ses eaux, des nuages de vapeur d'écume qui remontent jusqu'au niveau même du fjeld, et aussi du tumulte des rapides, qui s'élancent du gouffre pour former le large ruban d'écume qui sillonne les sapins de la vallée. J'ai dit tumulte, l'expression est inexacte; ce n'est pas un véritable tumulte, mais plutôt un bruit régulier que fait entendre le Rjukan. Il se produit six coups distincts suivi d'un septième plus fort qui fait rebondir la chute tout entière jusqu'à mi-chemin de sa hauteur, comme si les eaux remplissaient quelque caverne énorme, et qu'à un instant donné, comprimées à l'intérieur, elles s'échappassent avec fracas.

En somme, le Rjukand, la reine des chutes du Nord, n'est point au-dessous de sa réputation. Le volume de ses eaux, un lac tout entier, la hauteur d'où elles se précipitent, neuf cents pieds, et surtout le site étrange qui l'encadrent, offrent un de ces spectacles qu'il est impossible de dépeindre et qu'on n'oublie jamais.

Du bouleau où nous étions accrochés, après une vaine tentative pour pousser plus loin, nous redescendons vers un rocher inférieur qui surplombe la chute et d'où l'on est censé voir le gouffre. À gauche, un petit sentier, frayé par les chèvres, mène on ne sait où, «à la mort» dit notre guide. Le mieux pour des gens que le sort d'Ejstein ne tente point est de revenir sur ses pas. Le retour du Rjukan est plus agréable que l'aller; l'espérance du gîte, la fraîcheur de la soirée et la sensation agréable de la descente, abrègent le chemin.

Dal. — Le livre des étrangers. — L'église d'Hitterdal. — L'ivresse en Norvége. — Le châtelain aubergiste. — Les lacs Sillegjord et Bandak. — Le ravin des Corbeaux.

À Dal, Ole Torgensen et la charmante Aasta, sa fille, nous attendaient. Pendant qu'on prépare le dîner, fort passable pour un dîner de Norvége, nous engageons avec le maître de céans une conversation en norvégien; le livre des étrangers en fait les frais; mille et un insulaires y ont inscrit leurs réflexions en prose et en vers; dans un espace de trente ans nous ne voyons que deux noms français, M. le comte de R. et M. C., de Cherbourg. Tous les voyageurs n'ont qu'une voix sur la fille du logis, type télémarkien des plus gracieux, visage avenant, toujours prêt à rire, costume reluisant des mille bijoux montagnards, longues tresses emprisonnées dans le petit châle roulé qui fait la coiffure du pays, et, pour compléter la description, pipe en racine de bouleau fumée le plus naturellement du monde. Elle nous vend quelques ceintures chargées de cuivre, puis nous apporte un coffret de bois d'où elle tire une cinquantaine de bijoux d'argent d'un travail rare. C'est l'hiver que les paysans découpent ces jolies choses dans l'argent de Kongsberg. Chacun, même le mendiant, a sa broche et ses boutons de filigrane. Les bijoux d'Aasta nous tentent: «Combien en voulez-vous?—Je ne veux pas te les vendre, monsieur.—Seulement ces boutons.—Ce sont des boutons de femme, ils ne t'iraient pas, monsieur, et puis c'est ma parure de fiancée, je la mets le dimanche pour aller à Mœlkirke, je ne voudrais pas m'en priver, c'est si long à faire.»

..........

Cependant le gigh et le cheval attendaient à la porte. Nous quittons Dal après de vigoureuses poignées de main à Ole Torgensen et à sa charmante fille. Vers minuit nous étions à Mœl; nos lits de feuillage de bouleau nous attendaient dans la barque, et par une nuit magnifique nous traversions le Tinn.

À quatre heures du matin un choc violent nous réveille; c'est la barque qui donne contre un sapin à Tinoset. Nos carrioles étaient là, et après une toilette sommaire dans l'eau du lac, nous roulions sur la route d'Hitterdal.

Arrivés à Bamble nous devions faire une pointe sur l'église d'Hitterdal, un des rares monuments de bois du treizième siècle qui subsistent encore en Norvége. Hitterdalkirke est à deux ou trois lieues de Bamble.

Un peu plus loin est Lysthuus, affreuse posada où l'eau même est inconnue et où l'on nous fait payer 3 francs, quatre œufs, seul comestible de l'endroit. Une note adressée au bailli (qui tous les huit jours visite le livre de poste) est la seule punition que l'étranger puisse infliger à ce chantage indigène. En repassant devant l'église d'Hitterdal nous nous arrêtons pour la visiter (voy. p. 75 ). C'est une sorte de pyramide de bois à cinq ou six toits superposés comme ceux d'une pagode. Les murs sont revêtus de tuiles de bois en forme d'écailles de poisson, et les toits couverts de petites planches sculptées. Une galerie couverte règne tout autour de l'église pour abriter le peuple. Un porche sculpté est à l'entrée du cimetière, et de l'autre côté de la route le clocher en bois à jour se détache sur les arbres du prœstegjeld [8] . L'intérieur de l'église vient d'être sottement restauré à la luthérienne. (p. 079) Un vernis uniforme a remplacé la fresque naïve et de bons bancs confortables ont été substitués aux anciennes boiseries sculptées; seule la croix byzantine de l'autel en argent doré et la chaire du curé ornée des signes du zodiaque ont échappé au vandalisme local.

Mais l'extérieur est parfaitement conservé et surprend par son étrangeté. En somme, c'est avec la fameuse crypte de Sanct Mikaêl, sur le Nordfjord, près de Skien, le monument le plus ancien de l'architecture catholique dans ces pays.

De retour à Bamble, où nous faisons reposer les chevaux, un vieil ivrogne endimanché vient nous prononcer un discours interminable. Rien de triste comme l'ivresse en Norvége, ivresse due à la bière et au brandevin. Après une surexcitation d'un moment, elle rend les gens presque idiots: et là, loin d'exciter le dégoût, les gens ivres ont l'air d'être les bienvenus. Les enfants vont les agacer et jouer avec eux; les bonnes gens sourient aux refrains grivois qu'ils fredonnent, et n'était la loi qui depuis quelques années punit de peines corporelles cet odieux vice, on verrait se reproduire en Norvége les tristes scènes du dimanche en Suède.

Le paysan est lourd et inintelligent. On pourrait lui appliquer un dicton propre aux habitants d'une certaine province de France: Habit de velours, ventre de son. Rien en effet n'est curieux comme le contraste de ces habits brodés, soutachés, couverts d'oripeaux, et cette nourriture grossière qui a fait donner au Télémark le surnom de Pays du lait caillé .

La route qui passe à Bamble et à Hitterdal est presque une grande route. Elle vient de Kongsberg et, traversant tout le Télémark, ne s'arrête qu'à Gugaard, au pied de l'infranchissable barrière du Hardanger fjeld.

Nous allons la suivre jusqu'à Sundbo pour tourner vers le sud dans les vallées plus riantes du Bandak.

Nous sommes au pied du Lid fjeld et nous traversons les vallées de Hitterdal, de Laurdal et d'Hjertdal, arrosées par l'Hitter Elv.

À Saunland, encore une église antique réservée au marteau des démolisseurs. Une belle grange neuve, bien peinte va la remplacer, à la plus grande satisfaction du premier magistrat de l'endroit. Cette vallée d'Hjertdal est assez animée. Les usines n'y manquent point. De plus, c'est le temps de l'exercice annuel, et les soldats campent le long de la route. Ils ont du pain (quel pain!): nous l'achetons avec bonheur; c'est une rareté en Télémark.

Après Hjertdal, on monte assez longtemps pour gagner la crête dont le versant opposé descend à Sillegjord. L'œil, à droite, enfile la fertile vallée d'Aamotdal. Mais la route tourne à angle droit et descend à pic en face du mont Scorve, vers le lac Flaa. Rien n'égale la vue qui se déroule pendant cette descente d'une heure.

De beaux frênes ombragent le chemin. Entre les arbres apparaît la crête neigeuse du Scorve. Tout au fond de la vallée brille la nappe tranquille du Flaa. À droite, s'étale la croupe en éventail du Thors Nutten; à gauche, l'œil peut suivre à vingt lieues les sinuosités du lac Sillegjord, presque noyé dans la brume du soir.

À Sundbo, au bout du lac Flaa, on quitte la grande route du Hardanger pour entrer dans le canton de Sillegjord, tout parsemé de fermes opulentes, tout émaillé de prairies. C'est avec un plaisir assez naturel à la suite de trois jours de fatigues que nous entrons dans le village de Sillegjord.

Le gaard est infime. Où logerons-nous? Il y a là le presbytère, la maison du landsman, deux ou trois fermes de bonne apparence. Nos postillons jettent leur dévolu sur une sorte de château de bois dont l'avenue aboutit perpendiculairement à la route. Un portique à colonnes en décore la façade. De vastes communs précèdent une manière de parc anglais dont les pelouses descendent jusqu'au lac.

Nous n'avons que de vagues notions sur la nature du fonctionnaire qui occupe ce palais. Mais l'aplomb de nos skydskarls nous rassure et nos carrioles s'arrêtent au perron. Une servante nous reçoit et nous introduit dans un vaste salon orné d'un piano à queue et de deux énormes lauriers-roses en pleine fleur. De seigneur, point. Au bout de trois quarts d'heure, la même servante nous fait monter dans les mansardes, où deux lits et du thé nous attendent. La fatigue nous fait profiter sans réflexion de cette silencieuse hospitalité. Le lendemain, nous nous hasardons à parler de rétribution. On accepte, on demande même davantage. De seigneur, toujours point. Nous allons aux remises, nous faisons atteler.

C'était à croire ce castel inhabité, lorsque, tout à coup, au moment où nous prenions les guides, le piano de la veille rompt le silence et la Marseillaise, exécutée par des doigts novices, nous révèle l'existence de quelque princesse, héritière invisible du domaine.

Telle est l'hospitalité norvégienne. Autrefois gratuite, elle se fait payer (grâce aux Anglais) même chez les gens qui pourraient l'exercer autrement. Est-ce un excès de fierté qui fait fuir ces hôtes que le voyageur aimerait à voir? Je ne sais. En tout cas, si ce récit vient à tomber sous les yeux de la dame du logis, qu'elle y voie un regret plutôt qu'un reproche.

Nous voulions, de Sillegjord, gagner le Bandak avec l'intention de passer deux ou trois jours au milieu de ces sites romantiques qui sont en même temps le premier pays de chasse et de pêche de la Norvége. De Sillegjord au Bandak il y a quatre ou cinq lieues. La route d'abord plate et monotone monte bientôt sur un fjeld tout entouré de roches à pic. De ce cirque naturel où l'on entre par une vaste brèche, s'échappe une belle chute qui forme un lac. On monte encore, puis on tourne brusquement pour redescendre dans la vallée du Bandak. Même vue immense, même paysage splendide qu'à Sundbo. De tous côtés des prairies prêtes à être fauchées, des pentes fleuries d'églantiers, des fermes bien bâties et, à l'horizon, la nappe longue et sinueuse des Bandaks.

La route aboutit dans la cour d'un gaard de la plus belle apparence. Un monsieur en lunettes fume sa pipe sur le perron; c'est le maître de poste, et de jeunes élégants arrivent en phaéton pour dîner à Moën.

Le maître de poste est un gentleman fort complaisant. (p. 080) Il nous fait renoncer à nos projets de séjour qui ne s'accordent point avec la bizarrerie des départs au Saint-Olaf , petit vapeur qui fait le service du Bandak. Nous convenons de laisser nos carrioles à la poste. Nos irons en barque jusqu'au bout du lac, à Dalen, où le Saint-Olaf est à l'ancre. Le lendemain nous reviendrons avec lui, et il prendra à bord nos carrioles qui se trouvent conduites au petit port d'embarquement. Nous déjeunons, et par une pluie d'orage, nous nous embarquons sur le lac.

L'orage dure deux heures. Le lac, enfermé entre deux hautes chaînes de montagnes, résonne des coups multipliés du tonnerre. La pluie tombe à flots; mais la petite barque glisse sur l'eau et, deux heures après, aborde à Laurdal.

Rien de ravissant comme ce coin solitaire. Quelque riche bourgeois l'a choisi pour s'y bâtir une demeure confortable, au milieu d'un grand parc de sapins. À côté, une chute fait aller quelques scieries. En face, s'ouvre une vallée fertile; c'est un paradis en miniature.

Vue du lac Bandak.—Dessin de Doré d'après Riant.

Vers cinq heures du soir, nos bateliers nous déposaient dans une prairie inondée où finit le lac et où commence la vallée de Bandak.

Un groupe de cinq ou six maisons y forment le hameau de Dalen. Le Saint-Olaf est à l'ancre en rade. Nous faisons porter nos sacs à une maison de bois que nos bateliers décorent du nom de restaurant à la carte ( spise-korter ). En réalité, c'est une maison de paysan, et la carte se compose de l'höre classique et des pommes de terre qui constituent en Norvége un repas de première classe. En attendant qu'on le prépare, nous partons à pied pour le fameux Ravnedjupet, Ravin des corbeaux , qui se trouve dans la vallée, à deux lieues de Dalen.

Le Ravnedjupet est célèbre dans les contes du Télémark; la tradition prétend que ce gouffre rejette sur ses bords, par la seule force du vent qui y tourbillonne, tout ce qu'on y jette.

En réalité Ravnedjupet n'est qu'un site horriblement sauvage, surtout alors qu'il n'est éclairé que par les lueurs tremblotantes du crépuscule norvégien.

Paul Riant .

( La fin à la prochaine livraison. )

VOYAGES DANS LES ÉTATS SCANDINAVES.—Vallée du Flatdal (voy. p. 79 ).—Dessin de Doré d'après M. Riant.

(p. 082) VOYAGE DANS LES ÉTATS SCANDINAVES,
PAR M. RIANT.

LE TÉLÉMARK ET L'ÉVÊCHÉ DE BERGEN.
1858.—INÉDIT.

LE TÉLÉMARK ( SUITE [9] .)

Le Saint-Olaf et ses pareils. — Navigation intérieure. — Retour à Christiania par Skien.

C'est après une montée de deux heures le long d'Eidsborgskleven et au sortir d'un bois sombre que l'on arrive sur l'arête étroite du précipice béant. Un petit garde-fou naturel permet d'en sonder l'énorme profondeur. Au fond de la fissure gronde le torrent, et les roches sont disposées de façon que, si le vent d'ouest souffle, il forme, repoussé par la paroi de la montagne, un tourbillon effroyable. Le nom de Ravnedjupet vient-il de ce que les corbeaux accourent après la tempête se repaître des victimes qu'a dévorées l'ouragan, ou bien était-ce quelque lieu de supplice analogue au Ravnagja de Thingvellir en Islande? on ne sait; toujours est-il que Ravnedjupet comme le Rjukandfos est un site exceptionnellement pittoresque et qui récompense amplement des fatigues de l'excursion. De retour à Dalen où nous attendaient le souper et les soins obséquieux de l'hôtesse, toute fière des quelques mots d'anglais qu'elle écorchait horriblement, nous prenons quatre heures de repos, et à cinq heures du matin, insensibles aux prières de la bonne femme qui eût voulu nous garder huit jours, nous allons à bord du Saint-Olaf , souverain solitaire du Bandaksvand. Le Saint-Olaf est un de ces paquebots-omnibus qui desservent depuis deux ou trois ans les principaux lacs de l'intérieur. C'est presque toujours quelque vieille coque avariée qui ne peut plus tenir la mer et qu'un bonhomme de capitaine, fumant, prisant et chiquant, conduit de village en village; l'avant est rempli de marchandises et de paysans. Quelques fonctionnaires, un ou deux bourgeois, un touriste égaré sont assis à l'arrière; point de cabines; une petite pièce de six pieds sur toutes les dimensions en tient lieu; au centre traînent sur une table les numéros surannés du journal de la province, deux ou trois vieux officiers commentent, le verre en main, les télégrammes de Palestro et de Magenta, et portent un toast à Napoléon III en fredonnant la Marseillaise .

Ces «Dampskib» à volonté n'ont rien de régulier dans leur route; ils vont d'escale en escale et font le tour du lac pour regagner le dimanche leur point de départ.

Pour revenir au Saint-Olaf , nous passons dessus quatre ou cinq heures à admirer les sites toujours variés du lac. Vu le matin et en sens contraire, il affecte des aspects tout différents de ceux de la veille. De temps en temps, un nuage blanc rase l'eau, un rayon de soleil le traverse en passant obliquement derrière un promontoire; on dirait une bande d'argent relevée d'or; tantôt la nappe s'élargit entre des prairies fertiles, tantôt les montagnes s'élèvent, et le coup de canon dont le Saint-Olaf les salue, résonne mille fois d'une paroi à l'autre. À chaque instant on craint que le navire ne puisse passer entre ces murailles formidables. Nous arrivons au petit quai de bois où nos carrioles doivent nous attendre; elles n'y sont point, mais, grâce à la complaisance du capitaine et aussi à la lenteur d'un troupeau de vaches qui se refusent à venir à bord, notre maître de poste a le temps d'arriver au petit trot avec les dames de la veille et les voitures attendues; on hisse le tout à bord et la conversation s'engage avec les Norvégiennes.

Le paysan norvégien, longtemps annihilé par le Danois, revient peu à peu, depuis qu'il a recouvré son indépendance, à sa dignité d'autrefois. Rien de fréquent comme les familles où le grand-père, encore affublé du costume national, voyage avec ses petits-fils, parfaits gentlemen élevés en Angleterre et familiarisés avec tous les raffinements de la civilisation. M. B., qui sert de cavalier à ces dames, est du nombre: c'est un chasseur déterminé qui regrette le séjour forcé que ses fonctions l'obligent à faire à Christiania, où il va retourner. Il nous parle d'ours et nous offre des lettres pour des montagnards d'Hægland, fameux chasseurs qui habitent à six ou sept lieues de la pointe orientale du Bandak sur les bords du Langvand.

À midi nous arrivons à Strengnen au bout du lac, et si nous voulions, nous serions à Christiania le lendemain dans la journée; car une fois par semaine tous les petits steamers du Télémark se correspondent, et de lac en lac, de fjord en fjord, on arrive assez vite à destination. Il ne faut pas croire cependant que cette facilité de communication ait beaucoup civilisé les contrées qui en jouissent. Le pays est si abrupte, si sauvage, que ces lacs sont de vraies impasses sans route qui les longent ou les unissent. Quittez les stations intermédiaires à peine dignes du nom de villages, et vous retombez dans la barbarie traduite par l'absence du pain et la présence du lait caillé.

(p. 083) À Strengnen commencent à disparaître ces costumes télémarkiens à formes antiques, les hautes culottes des hommes, les jupes rayées des femmes et ces petits châles enroulés en turban sur le front et descendant en pointe sur les épaules pour cacher les longues chevelures blondes des paysannes.

Carte de la presqu'île de BERGEN d'après Mr Paul Riant. Dressée par A. Vuillemin. Gravée chez Erhard et Bonaparte.

Nous entrons dans une baraque où un jeune couple affairé nous sert dans un salon de bois brut un dîner passable. Mme B. cherche à tirer d'un piano antique quelques sons harmonieux; puis nous nous séparons de nos compagnons d'un jour, qui retournent à Christiania après nous avoir décidés à partir pour la montagne.

Une chasse à l'ours n'a d'intérêt pour le lecteur que par les dangers mêmes qu'ont pu courir les chasseurs; mais la vérité oblige à déclarer que sans chien et au mois de juin une expédition de ce genre est toujours complètement infructueuse.

Deux ou trois jours passés à Hægland sur le Langvand, dans une famille de chasseurs d'ours, de longues excursions pédestres sur les pentes du Büfjeld et jusqu'à Drangedal, les explorations minutieuses des hautes cavernes où dorment en hiver les énormes plantigrades n'eurent donc d'autre résultat que la découverte des traces fraîches d'une mère ourse et de ses petits, et les balles explosibles ne purent même trouver dans ces solitudes quelque élan égaré sur qui s'exercer. Malgré l'insuccès de la chasse, il est impossible de ne point garder un bon souvenir de ces montagnards au caractère ouvert et franc, de ces vigoureux jeunes hommes souvent balafrés dans leurs luttes avec les terribles bêtes, (p. 084) de leurs récits naïfs, de leur indomptable dureté à la fatigue.

Le dimanche soir nous quittions Hægland, et après un mille dans la plus sauvage des forêts de pins, nous débouchions sur la vallée du Nordsjö; au loin brillaient d'un éclat singulier des toits resplendissants; nous approchons: c'étaient les toits de grandes serres; un peu plus loin un château du meilleur style, des pelouses et des corbeilles de roses, de grands tilleuls et toute une colonie de femmes élégantes assises sous une véranda ... à trois lieues d'un pays à ours. Ces contrastes sont perpétuels en Norvége; les propriétaires d'usine, gens fort riches, condamnés à passer toute l'année dans ces déserts, s'y installent avec luxe et presque toujours avec goût. Ainsi Ulefoss, petit village, plein de scieries alimentées par une puissante chute, a deux de ces habitations princières.

Fjord du Gudvangen (voy. p. 89 ).—Dessin de Doré d'après M. Riant.

Il est onze heures du soir; à deux heures du matin, après avoir côtoyé le lac, nous entrons à Skien qui dort du plus profond sommeil, quoique le soleil soit déjà haut sur l'horizon.

Cette ville, placée entre la mer et le lac Nordfsjö, est l'entrepôt de tous les bois du Télémark. Le mouvement y est plus grand encore qu'à Drammen. Au pied d'une falaise à pic s'étendent de longs docks de bois, encombrés de marchandises; de tous côtés les chevaux traînent des poutres qu'ils ont retirées du fleuve pour les porter aux scieries. La ville n'a d'autre pavé que la sciure de bois, amassée là par les années; aussi est-il défendu d'y fumer sous les peines les plus sévères, un cigare oublié dévorerait des millions.

(p. 085) L'ÉVÊCHÉ DE BERGEN.

Quand on a vu le Télémark, la vallée de Gudbrandsdal, les villes commerçantes du sud, et qu'on a fait le pèlerinage moitié historique, moitié industriel de Frederikstad-Sarpborg, on peut sans regret quitter Christiania et chercher sous de plus hautes latitudes des paysages plus admirables encore: la côte ouest de Norvége, depuis Stavanger jusqu'à Throndjem, offrirait à elle seule un développement égal à celui des côtes françaises de Bayonne à Dunkerque, si la mer suivait, comme chez nous, des falaises presque rectilignes, au lieu d'enfoncer, comme elle le fait là-bas, ses mille bras dans un dédale de montagnes et de vallées, d'îles et de récifs.

Église de Bakke (voy. p. 89 ).—Dessin de Doré d'après M. Riant.

Quand on quitte la grande mer pour entrer dans le golfe de Hardanger, à Rövær, il faut faire près de cent cinquante kilomètres avant d'atteindre Odde ou Eidfjord, l'une des extrémités du fjord.

Si l'on ajoute au caractère tout particulier de la côte occidentale, la hauteur énorme des falaises ou des pics qui bordent ces golfes innombrables, on comprendra pourquoi, dans son orgueil national, le Norvégien met son pays bien au-dessus des sites les plus vantés de la Suisse; c'est la mer qui anime toutes ces montagnes; c'est la mer qui vient baigner le pied de tous ces glaciers; c'est (p. 086) la mer dont les tempêtes viennent s'engouffrer dans ces formidables gorges et ajouter à leur sublime horreur.

Bergen occupe le centre de ce réseau de fjords; bâtie à l'extrémité d'une presqu'île montagneuse, elle ne peut communiquer que par mer avec le reste du pays. Tous les efforts de l'art n'ont pu jusqu'à ce jour arriver à créer, dans le massif rocheux qui relie au continent la presqu'île de Bergen, une route carrossable. Comment suspendre un chemin au flanc de falaises de quatre mille pieds de haut? comment descendre des pentes où les plus hardis piétons ne s'aventurent qu'en tremblant?

De la nature toute particulière de ces contrées est résulté un système de voyage qui n'a pas son pareil en Europe: chaque île, chaque isthme a son tronçon de route et ses relais de poste; au bord de la mer la même station fournit, ou des chevaux, ou des bateaux, suivant qu'on arrive ou qu'on débarque; les carrioles se démontent et sont abandonnées sur ces esquifs à des tempêtes, comme ou n'en voit que dans les fjords. Quant au voyageur, on n'en parle point. Pour se promener dans l'évêché de Bergen et courir la poste d'eau (Vand-Skyds), il faut avoir la confiance la plus entière dans l' élément perfide et dans le rameur norvégien, son dominateur ; de plus ces excursions sont très-longues, tant à cause des distances en elles-mêmes que des détours énormes imposés à chaque pas par l'âpreté des lieux et la naïveté des communications. Aussi est-il impossible en une saison (l'été est si court en Norvége) de parcourir depuis Stavanger jusqu'à Bergen et Namsos tous les fjords de la côte; du reste, les plus vastes et ceux dont le pittoresque est le plus voisin du sublime se touchent presque; ce sont eux qui étreignent, l'un au nord, l'autre au sud, la presqu'île de Bergen: le premier est le Sognefjord, le second le Hardangerfjord. Quiconque les a parcourus jusque dans leurs dernières profondeurs n'a point à regretter la fatigue et les privations du voyage. Si l'on voulait faire plus complètement les excursions côtières, il faudrait disposer d'un yacht de plaisance, et, partant du Lysefjord, célèbre par un phénomène de réflexion solaire, aller de golfe en golfe jusqu'aux Lofoden.

Pour le touriste qui arrive de Christiania par terre, soit qu'il ait pris la route du Hallingdal, soit qu'il ait remonté la vallée de la Bægna ou Beina et ait passé le Fille fjeld, par le col de Nystuen, il arrive inévitablement au fond du Sognefjord, le plus septentrional des deux grands fjords.

Des sommets neigeux du Fille fjeld, à deux pas de Galdhöpiggen et du Jökul, les pics les plus élevés du massif des Horunger, il descendra par une pente très-rapide dans la vallée de Lærdal, gigantesque impasse où vient se perdre le dernier flot du Sognefjord.

La presqu'île de Bergen. — Lærdal. — Le Sognefjord.

.... À Tune commencent les vrais costumes du district de Lærdal: les hommes ont des culottes de peau jaune; les femmes, un corsage de gros drap bleu, plissé aux épaules, garni de velours noir au collet, et fermé par un rang de boutons d'argent; une jupe courte à carreaux et un large bonnet blanc, plissé par derrière en éventail, complètent le costume; les jeunes filles, au lieu du bonnet, portent dans leurs cheveux blonds une couronne formée d'un foulard rouge roulé: rien de gai comme cette coiffure, dont la couleur vive tranche avec l'austérité du corsage. D'ailleurs les Lærdaliennes sont en général fort jolies et portent admirablement ces habits aux formes antiques.

À Qvien commencent d'énormes travaux faits pour endiguer deux torrents impétueux, puis l'on monte pendant trois heures avant d'atteindre Nystuen, sorte d'hospice bâti de temps immémorial au milieu des neiges éternelles, pour la plus grande sûreté du voyageur qui y trouve, sinon du pain, du moins un abri chaud et des lits immenses.

Sur la route de Christiania à Throndjem, au col du Dovre, il y a aussi un de ces hospices remontant au treizième siècle; mais il est plus vaste et rappelle mieux encore, par l'empressement silencieux des hôtes, par le confort de l'intérieur, par la vénérable antiquité du mobilier, certains hospices des Alpes.

À Nystuen, une tempête, qui, depuis deux jours, grondait vers la mer, et dont nous avions à peine, de l'autre côté du Fille fjeld, ressenti le contre-coup, nous réveille dès le matin par le bruit lugubre des rafales qui envoyaient contre les vitres des torrents d'eau mêlée de neige; aussi je ne sais comment nous faisons les deux milles qui séparent Nystuen de Maristuen, placé un peu plus bas vers la mer, dans un bois de bouleaux nains.

À Maristuen, la pluie cesse pour faire place à une bourrasque qui durera toute la journée. Depuis deux ou trois relais, de petits chiens, dressés en temps de neige à aller chercher du secours aux relais, courent devant les carrioles, arrêtant les chevaux par leurs aboiements quand le vent, trop violent aux tournants, pourrait être dangereux.

Il y a vingt ans, toute cette route, depuis Nystuen jusqu'à la mer, n'était qu'un casse-cou épouvantable, fameux par de lugubres accidents. À force d'art, de patience et d'argent, le génie norvégien a réussi à rendre à peu près sûre la moitié de la descente; la route, supportée par d'immenses massifs de maçonnerie, percée à la mine à travers les roches surplombantes du précipice, est presque partout bordée de barrières en fer; par deux fois elle traverse la vallée sur des viaducs établis à grands frais, et ce n'est point sans un sentiment de légitime reconnaissance pour les officiers de l'armée norvégienne, qu'on contemple, de l'autre côté des précipices, l'étroit sentier sans garde-fous et les ponts pourris que suivait l'ancienne voie.

Rien ne saurait peindre la grandeur du paysage: à chaque instant d'énormes chutes roulant sur les flancs grisâtres du fjeld vont grossir le torrent qui écume à quinze cents pieds plus bas dans le lit qu'il s'est creusé lui-même; dans les gorges étroites le vent s'engouffre (p. 087) avec plus de force encore qu'à Ravnedjupet, et grossit de ses mugissements la voix tonnante des rapides. Un peu avant Hœgg, on rejoint la route qui vient d'Hallingdal; à la bifurcation, de longues files de charrettes dételées attendent, pour monter au fjeld, que l'ouragan soit passé.

Plus on descend vers la mer, plus la vallée se creuse et, comme le plateau supérieur garde le même niveau, les montagnes semblent grandir. Les deux rives se rapprochent et l'on se trouve au fond d'une sorte d'entonnoir qui semble sans issue; c'est là que, sur le vert resplendissant d'une prairie en fleurs, se détache la silhouette noire de l'église, j'allais dire de la pagode de Borgund. Je ne sais si M. Holmboe, qui a fait sur les traces du bouddhisme en Norvége une très-savante étude, a établi un rapprochement entre cette vénérable construction de bois et les temples de l'extrême Orient. Le fait est que les toits pointus, les gouttières sculptées, les ornements bizarres de Borgund-Kirke, ont une physionomie tout à fait chinoise. Plus petite que l'église d'Hitterdal, elle doit être aussi plus ancienne; tout autour règne une galerie couverte aux piliers noircis par le temps. Les portes sont couvertes de ciselures naïves, de lions et de chiens entourés d'arabesques en relief; l'église étant presque abandonnée, l'intérieur a échappé aux sottes restaurations qui déshonorent celle d'Hitterdal, et l'œil suit avec plaisir les peintures un peu effacées qui couvrent les murs et les formes bizarres des tribunes et du comble tout à jour; ça et là le chiffre de la Vierge (S. M.), enlacé comme un rébus, ressort du milieu d'arabesques rouges et bleues; de grandes lampes d'argent, dues au ciseau de quelque orfèvre hollandais, pendent du haut de la voûte; tout respire ce parfum vénérable d'un temps qui n'est plus, et dont chaque jour les traces vont disparaissant.

On dit qu'un souverain du continent a acheté une de ces rares églises de bois, et l'a transportée pièce à pièce dans un parc pour la soustraire au marteau de l'édilité locale. À voir l'abandon où est laissé Borgund, on se prend à souhaiter que la même fantaisie prenne à quelque autre royal amateur, qui la sauverait du sort d'Hitterdal.

Quand on sort de la porte sculptée qui ferme le cimetière de Borgund, on voit la route grimper perpendiculairement jusqu'au bord même de l'entonnoir montagneux qui ferme la vallée; à droite, au fond, le torrent passe dans une haute et étroite fissure et disparaît après un coude.

Au sommet du fjeld s'ouvre vers la mer une longue et étroite vallée. Pour y descendre, il faut regagner le lit du torrent. La route, chef-d'œuvre de hardiesse, suit, sans presque les toucher, les parois de la montagne. On dirait une vis élevée en l'air. La pente est assez douce, mais on a bientôt le vertige, après avoir décrit au grand galop des chevaux quelques tours de l' Hélice de Vindhellen .

Les Norvégiens sont fiers, et à juste titre, de ce beau travail. Un tunnel eût été plus court, peut-être moins coûteux. En tout cas, on eût perdu un paysage splendide.

Au bas de la côte, un lourd carrosse, traîné par deux des petits chevaux du pays s'arrête au relais, tant le vent est fort. Le soleil, du reste, brille de tout son éclat. Le vent soufflant avec violence sur les chutes qui tombent du plateau, les soulève à mi-chemin en gerbes étincelantes que le soleil irise en les traversant.

Après trois ou quatre heures de chemin dans la vallée, déjà plus fertile, nous arrivions à Lærdal. Lærdal n'est pas encore une ville et n'est plus un village. Si j'osais, je la comparerais à Étretat; mais ici la grandeur du site jure un peu avec la petitesse de ce qu'y a bâti l'homme. Tête de la grande route de Christiania à Bergen, Lærdal deviendra important quand on lui aura creusé un port. Pour le moment, c'est une longue rue bordée de maisons blanches, alternant avec des masures. Au bout, est la mer, large d'un kilomètre à peine. C'est ici qu'on quitte la terre ferme pour prendre, soit le steamer hebdomadaire, soit la barque de poste qui vous mène à Bergen.

Le steamer ne part que le lendemain, et la tempête interdit toute espèce d'excursion nautique. En un jour on aie temps de voir Lærdal, d'explorer les hautes montagnes qui s'y baignent dans la mer, et même d'assister à la revue que, dans une sorte de champ de Mars, voisin de la ville, passe le contingent du canton. Les hôtels sont pleins d'officiers, et les rues de soldats qui jouent, chantent et grignotent ces biscuits enfilés, aliment ordinaire des robustes charpentes du Nord.

Un bon bourgeois de la ville, quelque chose comme le maire ou le sous-préfet, avait consenti à nous donner l'hospitalité, vu l'encombrement des auberges. Le café le matin, du saumon à midi et du thé le soir, le tout sans pain: voilà le menu des repas de la famille pendant une journée entière. Il sera facile, d'après cela, de juger de la frugalité du peuple.

L'honorable fonctionnaire qui nous traitait ainsi de son mieux, moyennant une légitime rétribution, ne se doutait point que l'estomac d'un touriste a besoin d'une alimentation plus solide. Le fait est que maîtresse et servante furent grandement scandalisées de nous voir exhiber les provisions de la route tout comme dans un gaard de paysan. Durdrekke surtout se livrait aux plus judicieuses réflexions.

Après avoir laissé aux Lærdaliennes une triste idée de la voracité française, nous regagnâmes à minuit le steamer Framnæs qui venait d'arriver en rade. Le Framnæs , bateau tout frais sorti des chantiers de Liverpool, étincelant de dorures et de glaces, fait depuis l'an dernier un service régulier entre Bergen et Lærdal. De Lærdal, où il prend les touristes venus de Christiania, il s'en va faire, de golfe en golfe, le tour du Sogn entier. Au fond de chacun de ces fjords secondaires, il s'arrête quelques heures.

Le long de la route défilent devant vos yeux les paysages les plus splendides, les coins les plus sauvages et les plus retirés du Sogn. Autrefois, pour faire le chemin qu'il vous fait parcourir en deux jours, il eût fallu toute une semaine. À chaque station où il s'arrête, des familles de paysans du Sogn, dans leurs habits de fête, montent à bord; chevaux et vaches suivent sans plus d'embarras. (p. 088) L'étonnement de ces bonnes gens, à la vue des splendeurs du paquebot que beaucoup voient pour la première fois, est indescriptible.

Route de Stalheim.—Dessin de Doré d'après M. Riant.

Le fait est qu'un ethnographe érudit pourrait faire sur les paysans du Sogn de curieuses études. Il est impossible de ne pas être frappé de la ressemblance qui existe entre les plus beaux types anglais et normands et les types si purs du Sogn. Je dis anglais, je me trompe; je ne devrais parler que des familles anglaises où l'aristocratie a conservé la pureté de la race conquérante; plus d'une paysanne du Sogn porte la tête haute et fière comme les pairesses d'outre-Manche. Yeux d'un bleu profond, profils olympiens, tailles imposantes, rien ne manque à la ressemblance. Tous ces gens-là sont, à un degré antique, cousins [10] des membres de la haute chambre.... et ils le savent. Ils parlent de leur Ganger Rolf (Rollon de Normandie) comme s'il s'agissait d'un personnage d'hier; les pirateries de ses collègues deviennent de splendides conquêtes, et tout cela est raconté dans les veillées, célébré dans les chansons comme le siège de Troie chez les Grecs. On s'explique alors la fierté de ces laboureurs, de ces pêcheurs, qui n'ont pas voulu de nobles dans leur jeune constitution, par ce qu'étant tous de la même race, ils remontaient tous aux mêmes héros, à ces contemporains d'Odin, grands guerriers, grands tueurs, peut-être grands mangeurs de chair humaine.

Les temps et les hommes se sont adoucis, mais la race sous l'administration danoise, a changé et d'allures et de but; de son glorieux passé, il ne lui reste plus que ses saga (traditions), sa fierté, qui fait du peuple norvégien la démocratie la plus aristocratique du monde, et certains goûts de vagabondage maritime qui portent les petits clippers du Sogn à caboter plutôt dans la Méditerranée ou en Amérique que dans la mer du Nord.

Le matin nous avions pénétré au fond d'Aardalsfjord: des chutes immenses, de petites cabanes perdues dans les crevasses des falaises, une mer verte comme l'émeraude, de longues vallées terminées par des pentes neigeuses, que faut-il de plus pour faire trouver le temps trop court même sur le pont d'un bateau à vapeur? À midi nous étions au pied des glaciers du Justedal, devant la coquette église de Lyster. C'est là qu'aboutit un sentier presque fameux, qui vient de Lom et de Lourdal en Gudbrandsdal; les excursions annuelles de messieurs les étudiants de l'Université de Christiania l'ont illustré; les (p. 089) princes de Suède même en ont fait le but de plus d'une excursion. Pour venir de Lom à pied, il faut traverser des plateaux neigeux de quarante lieues de large, sans une habitation, sans un arbre; le vent souffle, les guides perdent leur chemin et croient voir ça et là les traces des génies courroucés du fjeld; il faut aller de marais en marais; de précipices en précipices; enfin l'on arrive (car les nuits sont courtes et le flatbrod (pain plat, galette) national soutient les estomacs des jeunes Norvégiens), mais on arrive épuisé, mouillé et crotté de la tête aux pieds, comme les deux intéressantes casquettes à gland qui montent en ce moment sur le pont du Framnæs . Lyster n'est pas la seule église de ce fjord. À côté est celle d'Urnæs, qu'une savante publication allemande a jugée digne d'être comparée aux églises de Hitterdal et de Borgund; le fait est que l'intérieur de l'église d'Urnæs a encore été respecté et ne serait point sans intérêt pour l'archéologue et pour le peintre; mais l'extérieur n'a pas eu pour architecte l'homme de goût ignoré, le paysan de génie qui a dessiné les clochetons d'Hitterdal et les sculptures de Borgund.

Au retour, nous touchons de nouveau à Lærdal; nos carrioles, hissées à bord, seront confiées à l'honnêteté des passagers; une lettre envoyée d'avance à Bergen préviendra l'aubergiste de leur arrivée solitaire; nous les retrouverons dans la remise sans que rien manque à nos provisions, abandonnées à la bonne foi publique. Quel est le pays où l'on pourrait en faire autant.

Le Vöringfoss.—Dessin de Doré d'après M. Riant.

Pour nous, légers de bagage, nous laisserons le Framnæs retrouver Bergen par mer, pour nous enfoncer de nouveau dans les montagnes à la recherche des sites du Hardanger et de la cataracte du Vöring.

Le steamer, qui a intérêt à emmener avec soi tous les passagers, se garde bien de les conduire à l'entrée de la route qui mène par terre du Sogn au Hardanger; il laisse le voyageur au fond d'un fjord voisin, à Underdal, misérable hameau, où nous trouvons au bout d'une heure une barque et deux rameurs. Une famille norvégienne, qui se promène dans le Sogn, navigue de conserve dans une autre barque. La mer est devenue calme, l'eau est de ce beau vert émeraude qu'on ne trouve que dans le Nord. Le long des falaises géantes du fjord roulent des chutes sans nom qui seraient célèbres ailleurs. Tout au haut du fjeld, si haut que l'œil a peine à y arriver, apparaissent quelques sæters (chalets) suspendus à quatre mille pieds au-dessus de la mer. On dit qu'en hiver de terribles avalanches roulent le long de ces pentes abruptes pour se perdre en sifflant dans les profondeurs du fjord et que plus d'une barque a été victime de leur énorme chute.

Le Næröfjord est de tous les bras du Sogn le plus étroit et celui où les falaises atteignent le plus de hauteur. La barque légère qui file entre ces murailles de granit doit faire du haut des nuages l'effet d'une fourmi parcourant le fond d'une tranchée de drainage. Le site sauvage au milieu duquel est assise l'église de Bakke et les portes de Gudvangen, à l'extrémité même du fjord, atteignent même ce caractère de sublime que le crayon rend mieux que toutes les descriptions.

À Gudvangen même la mer n'est pas large comme la Seine. Sur un des bords sont bâties une douzaine de maisons (p. 090) qui forment le village; en face, le long de la montagne, se précipite la plus haute chute d'Europe, celle de Keel, qui d'un seul jet tombe du plateau supérieur (1000 mètres) sur un rocher d'où elle s'éparpille en écumant dans la mer.

Gudvangen était encombre de voyageurs. La «madame» [11] qui dirigeait leur installation, ahurie par cette affluence inaccoutumée, ne savait auquel entendre; vers le soir elle finit par nous octroyer une tasse de thé, un matelas et un réduit quelconque pour retendre.

Le lendemain, deux stolekjærre (charrettes à siège) nous attendaient à la porte. Quand on n'a plus de carrioles, le maître de poste est tenu de vous fournir avec le cheval une lourde machine, composée d'une charrette à deux roues, avec un siège étroit suspendu par un ressort en bois sur le cadre même du véhicule. Le fond est destiné à vos bagages, le siège à votre propre personne qui y occupe la position du monde la plus triste et la plus resserrée. À chaque relai, on change de stolekjærre; ce n'est qu'une diversion au supplice; quelquefois une aristocratique courroie remplace le ressort de bois; on jouit alors de la dernière expression du confortable.

En sortant de Gudvangen nous roulions dans la vallée de Nærödal, arrosée par un large torrent d'un vert limpide; à l'extrémité de la vallée, qui n'a pas deux lieues de long, les falaises se rapprochent. Le torrent de Nærödal est formé par deux énormes chutes qu'on ne voit point encore, cachées qu'elles sont dans les replis symétriques de la montagne; une pente abrupte, une sorte de dos d'âne escarpé les sépare. C'est là-dessus que la route monte en lacet et de telle sorte qu'à chaque tournant on domine ou la chute de droite ou la chute de gauche, enfermées dans le puits naturel au fond duquel elles tombent d'une hauteur immense (voy. p. 88 ).

À chaque tournant, les ingénieurs qui ont fait en maçonnerie cet admirable travail, ont posé des bancs de bois. C'est la dernière recherche de la civilisation dans le site le plus sauvage et le plus désert qu'il soit possible d'imaginer. Ce travail (Stalheimskleven) est analogue à l'hélice de Vindhellen, moins saisissant de hardiesse, plus pittoresque peut-être à cause des deux chutes qui attirent à chaque instant le regard et qu'on finit, au haut de la montée, par embrasser d'un même coup d'œil avec la vallée entière qui fuit jusqu'à la mer.

Vosse-Vangen. — Le Vöringfoss. — Le Hardangerfjord.

Une fois hors du bassin du Sogn, l'aspect du paysage et des gens eux-mêmes change. Le pays, dès qu'on, a dépassé le lac Vinje et ses maisons aux toits empanachés d'arbustes, paraît plus fertile; d'immenses fermes se succèdent; on fait les foins dans des prairies qui s'étendent à perte de vue vers le sud. À droite et à gauche les montagnes ne sont plus que des croupes boisées, sillonnées d'énormes torrents. Quant aux costumes, ils changent aussi. Nous sommes dans la paroisse de Vangen et dans le district de Hardanger.

Vers midi nous arrivons à Vosse-Vangen; encore une petite ville toute neuve, bâtie, chose rare, au pied de son église (et non pas à deux ou trois kilomètres plus loin, comme c'est le plus fréquent). Vosse, au bord d'un lac, dans un pays fertile, à portée des excursions les plus vantées de l'évêché, est un séjour de prédilection pour les touristes; un hôtel, un vrai hôtel, y étale son enseigne. Vosse est propre; nous croisons une noce et nous profitons de la circonstance pour voir l'église, ancienne, assez curieuse, et assister aux apprêts de la cérémonie. La mariée, ruisselante de bijoux et d'ornements, est toute jeune; les gens de la noce sont endimanchés à qui mieux mieux. Du reste, là, comme partout, les vieux usages, les vieilles chansons, toutes les cérémonies graves ou burlesques qui entouraient de temps immémorial l'union des époux, tendent à disparaître, et j'ai peur que bientôt la présentation anglicane au ministre ne remplace les rites joyeux contemporains d'Odin.

J'oubliais d'ajouter à l'éloge de Vosse, que la pêche y est très-abondante, et plus facile peut-être que dans les district du Nordland, où l'autorité locale abuse de la loi pour pressurer les étrangers.

C'est de Vosse qu'il est le plus facile d'atteindre le Hardanger, cette immense artère qui pénètre de cent cinquante kilomètres dans les terres et n'est desservie par aucun steamer; pas une route, pas un chemin de traverse n'y aboutit; c'est en barque qu'il faut y voyager si l'on veut ou y entrer ou en sortir, et encore pour cela il faut gagner Bergen et arriver au fjord par son embouchure.

Mais si Ton veut visiter les fonds mêmes du Hardanger, les chutes d'Odde, le Vöringfoss, les glaciers de Justedal, force est de passer à cheval les montagnes qui bordent la côte septentrionale du Hardanger.

En conséquence, après deux heures passées à Vosse nous tournions le dos à la grande route pour prendre une sorte de traverse qui unit le lac Vangen au lac Graven. Au bout de deux milles, franchis en pleine forêt, on débouche sur une vallée fertile; une ferme considérable est bâtie au bord d'un torrent endigué sur ses deux rives; des scieries, des moulins sont joints aux bâtiments du Gaard; c'est tout un village; un quart d'heure après, par un de ces contrastes si fréquents en Norvége, le site devient sauvage, une vallée aride, encombrée d'un chaos de rochers, s'ouvre à l'ouest avec des vues lointaines sur le Hardanger, la route descend à pic au fond du précipice et traverse le torrent sur un pont de pierre, jeté en face d'une chute énorme (Haltingfoss). Le paysage vaudrait à lui seul l'excursion. Du reste, une lieue plus loin, apparaît la maison blanche de Vasenden au bord du Gravensvand, petit bassin d'une lieue de large, entouré de collines verdoyantes; l'église de Graven et une sorte de maison bourgeoise, entourée d'un parc d'étables, sont de l'autre côté; une barque nous y dépose et nous attendons deux heures qu'on ait amené les chevaux de selle et le cheval de bagage ( klövhest ), qui doivent nous conduire jusqu'à Ulvig sur le Hardanger.

(p. 091) En Norvége les excursions équestres sont toujours à redouter; les chevaux, petits, fort gros, ont l'allure incommode et lente; ils ne vont qu'au pas, pour cette bonne raison, que les guides suivent à pied sans vouloir hâter leur allure tout à fait placide. Je ne parle point des selles qui ne tiennent qu'à grand renfort de ficelles et de bouts de cuir. Quant au klövhest , il porte deux espèces de bâts en corde d'écorce de bouleau, on met dessus les menus paquets et les couvertures de voyage, puis d'autres cordes viennent ficeler le tout et l'on pousse la bête, qui va toute seule, passant les torrents, se tirant des marais comme elle peut, n'ayant pour toute aide que son instinct et la sûreté extrême de son pied.

Enfin nous quittons Graven en songeant à l'histoire d'Halgrim et d'Hildegunda, qui, au temps de la peste noire, se trouvèrent seuls au monde dans ce petit coin de montagnes; le fléau n'avait épargné qu'eux. Halgrim, venant d'Ulvik, trouva Hildegunda folle de frayeur au milieu des cadavres des siens. «Ils se crurent le dernier homme et la dernière femme, dit la légende, s'épousèrent devant l'autel de Graven, et d'eux descendent tous les gens de par là.»

Le trajet de Graven à Ulvik prend quatre ou cinq heures à cheval; quand on a gravi la montagne et traversé un fjeld assez long, on descend vers le Hardanger au milieu d'un pays fertile, coupé de prairies et de grands massifs de chênes, de frênes et de pins.

Au bord de la mer, des fermes entourées de vergers en plein rapport, de grandes pommeraies, des prairies d'un vert luxuriant, indiquent un sol beaucoup plus riche que celui du Sogn. En général, le Hardanger, qui étend ses étroits replis jusque sous les montagnes du même nom, n'a point le même caractère que le Sogn; entouré de falaises moins hautes, il offre une foule de petits ports perdus dans les arbres, de maisons de pêcheurs cachées au fond des criques.

Mais si la nature même de ses rives est parfois moins sublime que celle du Sogn, les vallées qui y aboutissent sont plus larges et recèlent, à deux ou trois milles dans les terres, les sites les plus étranges, les paysages les plus grandioses. C'est sur les bords du Hardanger que s'ouvrent l'abrupte vallée de l'Heimdal, qui mène au Vöringfoss, puis les pentes d'Odde, dernier contre-fort du Hardangerfjeld, et enfin les âpres déchirures du glacier de Folgefonden, immense amas de glace, d'où sortent des milliers de chutes, et au pied duquel se cachent les plus fertiles coins de la Norvége, la ferme de Bondhuus, et l'antique baronnie de Rosendal, patrimoine des Rosenkrone.

Mais c'était au Vöringfoss (chute tourbillonnante), que nous voulions juger de la grandeur des scènes du Hardanger. De Ulvik à Eidfjord, petit port à l'entrée de la vallée d'Heimdal, il n'y a que dix lieues; quand le temps est calme et la nuit sereine, c'est une promenade sans rivale; à chaque instant derrière une pointe boisée s'ouvre quelque long fjord, dont l'œil, dans la brume bleuâtre, peut à peine distinguer le fond. Les larges torrents qui courent le long des bois solitaires troublent seuls le silence du soir, et l'on arrive à Eidfjord en regrettant presque que le chemin ait été si court. Il est onze heures du soir: la grande maison qui sert de relais d'eau est fermée; on réveille les gens, qui nous donnent une vaste chambre où nous aurions dormi le mieux du monde, sans le voisinage de deux étudiants norvégiens en humeur de chanter, et de chanter la Marseillaise , avec des voix altérées par le brandevin.

Le lendemain, de bonne heure, un guide, que nous avait procuré l'hôte, nous attendait, le bâton à la main, et nous partions à pied pour aller faire le pèlerinage du Vöringfoss.

À ceux qui s'étonneraient qu'on fasse de si longues excursions, de véritables voyages, pour aller voir une seule chute, nous dirions que les deux ou trois cataractes renommées en Norvége sont placées dans des sites exceptionnellement sauvages et retirés, auprès desquels on passerait sans même les soupçonner, et que, de plus, c'est seulement au cœur des montagnes, loin des grandes routes, que l'on trouve encore les costumes et les mœurs norvégiens dans leur antique originalité. Enfin les chutes du Vöringfoss dans le Bergenstift, comme le Rjukanfos en Télémark, sont tellement imposantes et surpassent de si haut ce qu'on peut en dire, qu'à elles seules elles valent le voyage, récompensant amplement de tous les ennuis, de tous les dangers de la route.

Pour arriver au Vöringfoss il y a environ cinquante kilomètres à faire en pleine montagne par des sentiers pierreux; il faut ajouter à cette distance l'ascension d'un escalier de mille sept cent cinquante marches, à l'aide de blocs énormes le long d'une pente presque à pic.

À une lieue et demie d'Eidfjord, au bout d'une large vallée, on trouve un petit lac, l'Eidfjordvand, tranquille miroir d'un vert limpide, enfermé dans de hautes montagnes. Il y a deux bateaux à la rive, l'un d'eux appartient au propriétaire d'une cabane bâtie à quelques pas de là; nous montons dedans, et une heure après nous voyons les gros tilleuls et l'église rouge de Sæbo: à droite et à gauche, s'ouvrent d'énormes vallées, dont les torrents se précipitent dans le lac, du haut du contre-fort qui domine Sæbo, c'est celle de gauche qui mène au Vöringfoss. On traverse une petite plaine cultivée, puis le sentier escalade le remblai et vient côtoyer le torrent, qui court sur les roches et serpente à travers les bouleaux; le site est plus sauvage encore qu'avant le lac; les blocs de granit sont entassés par amas immenses: la vallée entière est une moraine. Au bout de sept à huit kilomètres sur un terrain presque plat, on passe la rivière sur un frêle pont de sapins, et sur la rive étroite on ne trouve plus pour sentier qu'une trace blanche laissée par les bêtes de somme sur de grandes roches polies. Là le torrent se précipite d'une centaine de pieds.

Un énorme amas de pierres a comblé la vallée. On l'escalade en passant sous des roches surplombantes, et, au-dessus, on se retrouve dans le même site qu'en bas. On a mis une heure à monter une marche de cet amphithéâtre gigantesque, et c'est à peine si d'en haut on aperçoit la dépression.

Vallée de l'Heimdal.—Dessin de Doré d'après M. Riant.

(p. 093) Au fond, du côté du Vöringfoss, la vallée est complétement fermée: une pente abrupte part du torrent et monte au fjeld, se creusant en une sorte de puits énorme; à gauche d'une fissure perpendiculaire, qui semble la trace d'un glaive géant dans ces murailles immuables, sort le torrent; c'est par là, à quelques pas, qu'est le Vöringfoss.

Nous voudrions y pénétrer, mais notre guide s'y refuse, prétendant qu'il n'y a point de chemin [12] .

Femme du Sogn (voy. p. 88 ).—Dessin de Pelcoq d'après une photographie.

L'habitude du pays étant de monter sur le plateau supérieur pour aller voir la chute d'en haut, il faut en passer par là et gravir cet escalier monstrueux formé d'un lacet à tournants brusques. À mi-chemin de la hauteur se balancent de gros nuages; il faut les atteindre et les dépasser. La seule distraction en pareil cas, quand on a forcément le visage tourné vers l'intérieur du puits d'où l'on cherche à sortir, est de compter les marches et de vérifier les assertions locales, tout compte fait, il y en a mille sept cent cinquante. En deux heures d'une vigoureuse ascension on arrive au haut. Eh bien! ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'on fait faire aux chevaux du pays, et, qui pis est, leur changement sur le dos, cette montée ou cette descente horrible. Au haut du fjeld nous avisons un bonhomme avec son cheval chargé de foin; la malheureuse bête, qui connaît de quel supplice va être pour elle la descente, quitte à chaque instant le sentier pour remonter d'un bond au fjeld; le bonhomme la reprend patiemment par la bride et finit par l'entraîner assez bas pour qu'elle ne puisse remonter, elle ne proteste plus alors que par de petits hennissements douloureux.

Il ne faut pas croire qu'après avoir escaladé l'escalier, on soit arrivé au Vöringfoss; devant vous s'étend une plaine immense bordée à l'horizon par les hauts fjelds du Jökul; plus près on voit serpenter le fleuve qui se précipitera de neuf cents pieds au moins dans l'Heimdal.

Quant à la chute elle-même, un gros nuage, qui, à deux lieues de là, se balance au flanc d'une montagne, en indique la place précise. Des détritus séculaires de brimbelles, de rubus, de bouleaux nains, ont formé sur les roches du plateau une sorte de terre noirâtre, toute couverte de petites plantes: le linnea borealis , les rubus arcticus et paludosus , et des fleurs charmantes du Krokebœer . Les eaux, en entraînant de larges morceaux de ce sol spongieux, ont mis à nu les roches, qui apparaissent çà et là par larges taches blanches. Dans les fonds se sont formées de véritables tourbières, où la marche est à chaque instant retardée. Aussi n'est-ce qu'au bout de deux heures qu'on arrive en vue du torrent; quant à la chute, on l'entend, on en voit la fumée , mais il faut toute l'expérience du guide pour vous amener, dans le dédale des bouleaux nains qui couvrent les rives, à une pierre surplombante, seul endroit d'où l'on puisse voir la chute. Le torrent, qui jusque-là coule sur le plateau, trouve tout à coup la fissure perpendiculaire qui s'ouvre en bas sur le fond de l'Heimdal, et s'y précipite d'un seul bond. La rive gauche du précipice est au niveau du fjeld; la rive droite, qui fait face au spectateur, est de cinq cents pieds plus haute. De là roule une chute d'un moindre volume, qui, arrivée au niveau d'où s'élance le Vöringfoss, y est absorbée. La vitesse commune semble s'accélérer encore après leur réunion.

Le Vöringfoss est peut-être plus puissant que le Rjukandfoss, mais l'œil et l'esprit sont moins satisfaits: on ne peut pas contempler celui-là pleinement comme on fait de celui-ci. Je dirai pourtant que le Vöringfoss, est entouré d'un cadre plus imposant que le Rjukandfoss. Le paysage, empreint d'une grandeur plus sauvage, produit sur l'esprit une impression singulière. La subite disparition de cet énorme volume d'eau, qui ne laisse de son passage d'autre trace qu'un nuage léger, a quelque chose qui parle à l'imagination et qu'on ne saurait oublier [13] .

(p. 094) Le Vöringfoss à aussi sa légende comme le Rjukandfoss, mais une légende toute moderne. L'histoire n'est vieille que de deux ans. Un Anglais, que je ne nommerai point, ennuyé de ne pouvoir contempler à son aise le Vöringfoss, se fit descendre dans le gouffre avec un bateau de caoutchouc, une grande brosse et un pot de céruse. Arrivé au fond du précipice, il chercha un remou en aval, traversa le torrent, et sur l'autre rive, escaladant une centaine de pieds de roches, il vint, sur une magnifique paroi de granit, peindre son nom en lettres de deux mètres de haut; puis, heureux d'être le seul qui jusqu'alors eût joui du spectacle dans toute sa grandeur, il se fit remonter et retourna à Eidfjord comme il était venu, laissant ses guides émerveiller les pêcheurs du récit de cette équipée.

Les mille sept cent cinquante marches sont plus pénibles à descendre qu'à monter, et c'est avec un plaisir infini qu'on arrive au pont jeté au pied de la fissure sur l'Heim-Elf; ce pont que nous avions franchi en venant est d'une hardiesse et d'une solidité surprenantes. Sur les deux bords du torrent on a jeté un amas de roches; dans chacune de ces piles naturelles on a planté deux forts sapins inclinés vers le lit du fleuve, et au-dessus de l'angle laissé entre eux et la rive on a jeté deux demi-tabliers en bois brut fortement assujettis au rivage par des roches énormes. Restait à finir l'arche. Un troisième plancher formé de quatre longs sapins reliés ensemble par des cordes d'écorces est posé sur les deux premiers, et, pour consolider le tout, des pierres plates y forment une sorte de pavement général. C'est sur ces sortes de ponts qu'hommes, chevaux et souvent carrioles, passent le mieux du monde, si le vent n'est point trop fort dans la vallée.

À quatre heures du soir, après douze heures et plus de marche, nous étions revenus à Eidfjord-Vik, où du poisson frais et des pommes de terre nous récompensaient du jeûne de la journée.

Comme je l'ai dit plus haut, le Hardanger est une impasse. On y entre plus facilement qu'on n'en sort. Le mauvais temps insolite, prématuré, pressant notre départ pour le cercle polaire, il nous fallait, sous peine d'un long retard, atteindre en même temps que le paquebot de Hambourg l'extrémité du fjord, à soixante lieues d'Eidfjord, à Bergen. Nous avions vingt-quatre heures pour faire le trajet; quatre vigoureux rameurs se chargèrent de nous y mener.

C'est alors que nous pûmes reconnaître combien la poste d'eau norvégienne est un moyen barbare de locomotion. Le patient, obligé à une position horizontale et en tout cas à une immobilité presque complète, reçoit à plaisir la pluie et la vague. Provisions, couvertures et voyageurs, tout n'est bientôt plus qu'un triste amas de choses mouillées. Le brouillard nous ayant pris au sortir d'Eidfjord, nous ne pûmes traverser le Hardanger, et il fallut côtoyer sa rive gauche, contre laquelle toute la force de nos rameurs empêchait à peine les vagues de nous jeter. Le vent, la pluie, les rafales subites, rien ne manqua à notre odyssée; après douze heures d'efforts nous avions à peine fait six lieues, et nous abordions ruisselants à la petite île d'Heransholm, au pied du Folge jeld.

Ce lieu doit être enchanteur quand le soleil éclaire ses hauts sapins et son quai de pierres grises, ombragé de sorbiers. Aujourd'hui nous avons hâte d'entrer dans la maison où un vieux marin et sa femme nous aident à nous sécher. L'insuccès de notre tentative maritime nous fait renoncer à aller plus loin dans le fjord; nous le traverserons en droite ligne et nous gagnerons Bergen par les montagnes, comme faire se pourra.

De Vikoër à Sammanger et à Bergen.

Plusieurs voyageurs anglais parlent avec enthousiasme de l'hospitalité que le prêtre de Vikoër leur a largement offerte. J'aime à croire, pour l'honneur de la véracité britannique, que le fonctionnaire qui occupait la cure en 1847 a été changé. Le fait est que nos marins déposent nos paquets sous le porche d'une maison de bonne apparence qui paraît être la station. La pluie tombe à torrents; nous demandons du feu pour nous sécher; les servantes se concertent, nous font attendre une heure, puis enfin ramènent une sorte de bourgeois orné d'une énorme pipe: «Que voulez-vous?—Du feu pour nous sécher; nous venons d'essuyer treize heures de gros temps; nous irons ensuite à Bergen par terre.—Ce n'est pas ici la station (et il nous montre une maison de l'autre côté de la baie à une lieue de là). Je suis le prêtre et je ne reçois pas de voyageurs.—Nous ne demandons qu'à attendre une heure à couvert que la pluie diminue.—Non, non; allez à la station, ce sera bien mieux.»

En effet, après deux heures passées de nouveau sur le fjord et sous la pluie, nous débarquions à Sandmoën, transpercés, rompus et affamés. Voilà comment certains membres du clergé norvégien, clergé bien doté, bien payé et confortablement logé, entendent les devoirs de l'hospitalité. Il est heureux pour les voyageurs que le paysan n'imite point son curé, car je ne sais comment on pourrait traverser certains districts du pays.

À Sandmoën, tout en maudissant le prêtre de Vikoër, nous nous séchions au grand poêle du gjœstgifveren, qui mettait à noire disposition tout ce qu'il avait, pas grand chose il est vrai, car, dans ces vallées si fertiles dont le climat est celui d'Angleterre, et dont les productions sont les mêmes que celles de la Normandie, il n'y a pas même de pain.

Notre hôte cherche à nous détourner d'aller à Bergen par terre; il nous parle de vingt-quatre heures de chemin. Je mesure la distance sur la carte, je trouve six milles; j'insiste, il finit par se décider et nous trouver trois chevaux, deux guides et un chien. À neuf heures du matin, nous le quittions, comparant sa complaisance et sa franchise honnête avec l'aigreur du prêtre de Vikoër, et nous disions adieu au Hardanger, à ses tempêtes et aussi à ses jolis ports pleins de petits schooners à l'ancre, à ses églises cachées dans les arbres, aux vallées verdoyantes qui viennent déboucher sur ses rives.

(p. 095) À Sandmoën vont aussi cesser les costumes bariolés du Hardanger, les tailles courtes et les jupons rouges des femmes; de l'autre côté des montagnes, vers Bergen, nous trouverons d'autres types moins lourds, plus gracieux, mais aussi nous ne retrouverons nulle part en Norvége d'aussi solides gaillards, des charpentes aussi robustes que nos guides du Vöring et nos rameurs d'Eidfjord.

La vallée de Sandmoën est fort belle; elle contient en outre une admirable chute, Ostudfoss, derrière laquelle on peut se glisser par un étroit sentier. Rien d'imposant comme le mugissement des eaux qui tombent du sommet de l'étroite caverne d'où on les contemple. C'est à une lieue de Sandmoën, de l'autre côté du fleuve, qu'on passe à gué, que se trouve Ostudfoss.

Un peu après se dresse au fond de la vallée une énorme croupe en forme de tour, toute couverte de bouquets de bouleaux et de pins épars sur une prairie d'un vert tendre. L'ascension de la montagne prend une heure sous les arbres et par un sentier praticable; au sommet commence un fjeld interminable qui, pour le moment, est complétement noyé; des volées de bécassines partent des marais (changés en lacs) qui sont leur demeure habituelle. Les ruisseaux sont devenus des torrents et les torrents des fleuves impétueux.

Les chevaux norvégiens traversent tout cela comme ils peuvent, portant, outre le cavalier, le guide en croupe. Quelquefois l'eau les emporte, mais ils reprennent pied et touchent la rive sans autre accident que des bains un peu trop prolongés.

La traversée du fjeld dura quatre heures, et je crois que, sans leurs chiens, jamais nos guides n'eussent retrouvé le chemin dans les fouillis de bouleaux nains qui couvraient les roches; de temps en temps on s'arrêtait sous des abris établis là pour les traîneaux qui l'hiver font en quelques heures cette route interminable en été.

En face de nous s'ouvrent trois vallées larges, solitaires, couvertes de grands bois et sillonnées de chutes nombreuses; au-dessus la neige des fjelds plus élevés se découpe en taches blanchâtres sur le gris uniforme du ciel. De chemin, plus de traces. Un sæter est perché tout en haut d'une roche; on y grimpe, et, vérification faite, c'est dans un marais qu'il faut s'engager, puis côtoyer un lac débordé, puis traverser une rivière également sortie de son lit, tant et si bien qu'on arrive à un gaard d'assez pauvre apparence et répondant au nom d'Ekeland; les gens qui l'habitent parlent patois; au bout d'un quart d'heure on finit par se comprendre; il s'agit de changer de chevaux; les nôtres vont s'en retourner; en aurons-nous de nouveaux? Un vieux bonhomme, qui lit la Bible dans un coin, se mêle à la conversation; il veut nous prouver que le chemin est long, le temps détestable, et qu'il vaut mieux coucher sous son toit (une baraque mal jointe encombrée de dix enfants en bas âge). Voyant que l'on ne se rend pas à ses raisons, il finit par dire qu'il a deux chevaux, mais que nos couvertures mouillées étant trop lourdes, il ne faut pas les prendre en croupe et qu'il nous faut rester ici: «Eh bien! fais-moi un bâton, j'irai à pied; le cheval portera le bagage....» Un des hommes de la maison, voyant que la ruse naïve ne réussit point, consent à prendre le bagage sur son dos pourvu «qu'on le paye comme un cheval,» et nous partons heureux de n'avoir point à passer la nuit dans cet intérieur par trop norvégien.

Le site aux environs d'Ekeland commence à être fort beau, et n'était l'inondation générale qui nous force à monter sur les roches pour éviter les prairies submergées, nous n'aurions pas à regretter d'être venus là. Nous traversons une troisième rivière d'une largeur fort respectable, et nous commençons à descendre une sorte d'escalier qui aboutit au fond d'un vaste cirque sur le versant opposé des montagnes.

Rien de sévère comme l'aspect de ce coin ignoré où nos guides même ont peine à trouver un chemin: au fond du cirque une chute d'un volume énorme, Braten foss, se précipite d'une hauteur d'au moins cinq cents pieds pour former une petit lac écumant, puis une large rivière que nous traversons un instant après. Pendant deux ou trois lieues le chemin est encore problématique; c'est dans l'eau que nous marchons, mais la vallée se resserre et devient plus profonde; le torrent grossi se contente de mugir au fond, et, sur sa rive gauche, que nous atteignons par une passerelle de bois, court un étroit chemin couvert de roches et suspendu sur l'abîme. Les splendides horreurs de l'Heimdal sont dépassées. Cette étroite et profonde vallée, à peine nommée et toujours déserte, gigantesque fissure créée par l'effort des eaux, atteint les limites du sublime.

À l'extrémité elle vient se réunir à une autre arrosée également par un torrent écumeux; les deux masses se réunissent et forment en tombant la chute de Maar Kolum. Sur la rive gauche de la nouvelle vallée serpente un sentier que nous suivons pendant deux heures, et vers le soir nous arrivons dans des lieux plus civilisés. Un petit bonhomme tout de neuf habillé s'en va gaiement, jambes nues, ses souliers dans la main, et de grosses filles rieuses reviennent des foins; plus loin est un vrai gaard au bord d'un lac sombre et solitaire.

Il faut encore en côtoyer les rives; mais la pluie a cessé, et le paysage est si beau, qu'on peut oublier les fatigues de la journée. Le chemin suit une chaussée de roche presque partout recouverte par l'eau; de temps en temps il faudrait pouvoir rester à cheval, les jambes dans les mains, les brides aux dents, pour n'être point mouillé; mais l'important est d'arriver. Aussi, vers deux heures du matin, nous saluions avec bonheur la pauvre petite maison de Tosse, juchée au haut de la falaise qui borde la rive méridionale de Sammanger-fjord.

Les gens de Tosse sont pauvres, leur cabane est un galetas; cinq ou six êtres humains y dorment. Réveillés en sursaut, l'un allume une longue chandelle, et tous d'ouvrir leurs oreilles au récit animé que les trois guides font tout à la fois de leur traversée par le fjeld, des rivières grossies, du chien qui s'est noyé, et de ces Français qui ont perdu la tête, venant on ne sait d'où, allant on ne sait vers quel pôle; de feu, point. Les discours terminés, (p. 096) une vieille en haillons nous montre le chemin d'un grenier fait de planches disjointes; deux bottes de paille, dans un cadre de bois, y attendent les rares hôtes de ces lieux; nous y dormons d'un profond sommeil, à côté de saumons en train de sécher et de morues déjà sèches.

Une noce en Norvége.—Dessin de Pelcoq, d'après le peintre norvégien Tiedeman.

Presque parallèle au Hardanger, le fjord de Sammanger s'étend de la paroisse de Sammanger jusqu'à celle de Oos. Deux milles à peine séparent Sammanger de Bergen; un ballon les traverserait en quelques minutes. L'absence de ce moyen perfectionné de locomotion amène inévitablement le voyageur à rentrer dans le canot national, c'est-à-dire entre deux eaux.

Rien ne repose des impressions désagréables causées par une surabondance d'eau de pluie et d'eau de mer, comme un bon feu, des visages souriants, un gai rayon de soleil par la fenêtre, et aussi la bonne grosse figure du gjœstgifveren de Hatwiken, qui vous assure que, dans une heure, chevaux et charrette vont être prêts, et que le soir vous serez à Bergen.

Je doute que le tronçon de grande route qui court de Oos à Bergen soit très-fréquenté des touristes; c'est pourtant un beau pays, et le chemin, qui domine de haut les mille replis des fjords, les myriades d'îles dont la côte est ceinte, et au loin la ligne bleue de la grande mer, est certainement un des plus pittoresques de Norvége.

De fort loin on voit Bergen, baignée par les eaux de deux fjords, appuyée sur deux fjelds, Bergen, après Drontheim, la cité classique des rois de la mer, vieille comme les antiques Sagas, riche comme la Hanse dont elle fit partie.

Plus près de la ville, des maisons de campagne, ceintes de grands parcs, arrosés par les torrents qui bondissent du fjeld, montrent, par leur élégance presque somptueuse, que les négociants de Bergen courent parfois le monde et rapportent, qui de France, qui d'Angleterre, toutes sortes d'idées heureuses et d'inspirations artistiques. N'en déplaise à Christiania, Bergen, qui n'a ni palais grec, ni église pseudo-byzantine, Bergen, vue des hauteurs du sud, a presque l'air d'une capitale, et c'est avec un certain sentiment de respect pour l'antique métropole commerçante du Nord qu'on pénètre dans l'avenue de frênes qui lui fait une entrée quasi-royale.

Paul Riant .

GRAVURES.

CARTES ET PLANS.

ERRATA.

I. Sous le titre Voyage d'un naturaliste , pages 139 et 146, on a imprimé: (1858.— INÉDIT ).—Cette date et cette qualification ne peuvent s'appliquer qu'à la traduction.

La note qui commence la page 139 donne la date du voyage (1838) et avertit les lecteurs que le texte a été publié en anglais.

II. Dans un certain nombre d'exemplaires, le voyage du capitaine Burton aux grands lacs de l'Afrique orientale , 1 re partie, 46 e livraison, le mot ORIENTALE se trouve remplacé par celui d' OCCIDENTALE .

III. On a omis, sous les titres de Juif et Juive de Salonique , dessins de Bida, pages 108 et 109, la mention suivante: d'après M. A. Proust.

IV. On a également omis de donner, à la page 146, la description des oiseaux et du reptile de l'archipel des Galapagos représentés sur la page 145. Nous réparons cette omission:

Tanagra Darwinii , variété du genre des Tanagras très-nombreux en Amérique. Ces oiseaux ne diffèrent de nos moineaux, dont ils ont à peu près les habitudes, que par la brillante diversité des couleurs et par les échancrures de la mandibule supérieure de leur bec.

Cactornis assimilis: Darwin le nomme Tisseim des Galapagos, où l'on peut le voir souvent grimper autour des fleurs du grand cactus. Il appartient particulièrement à l'île Saint-Charles. Des treize espèces du genre pinson , que le naturaliste trouva dans cet archipel, chacune semble affectée à une île en particulier.

Pyrocephalus nanus , très-joli petit oiseau du sous-genre muscicapa , gobe-mouches, tyrans ou moucherolles. Le mâle de cette variété a une tête de feu. Il hante à la fois les bois humides des plus hautes parties des îles Galapagos et les districts arides et rocailleux.

Sylvicola aureola . Ce charmant oiseau, d'un jaune d'or, appartient aux îles Galapagos.

5º Le Leiocephalus grayii est l'une des nombreuses nouveautés rapportées par les navigateurs du Beagle . Dans le pays on le nomme holotropis , et moins curieux peut-être que l' amblyrhinchus , il est cependant remarquable en ce que c'est un des plus beaux sauriens, sinon le plus beau saurien qui existe.

Le saurien amblyrhinchus cristatus , que nous reproduisons ici, est décrit dans le texte, page 147.

Iguane.

Amblyrhinchus cristatus , iguane des îles Galapagos.


IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris


Note 1: Le relais est une ferme tenue de loger les voyageurs et de leur fournir des chevaux pour un prix déterminé. Si la ferme reçoit une subvention de l'État, le fermier est obligé de fournir les chevaux sans faire attendre les voyageurs: c'est la station fixe. Mais le plus souvent la station est «non fixe.» La fourniture des chevaux est un impôt; chaque fermier doit, dans chaque paroisse, le payer à son tour. Il faut donc aller à trois ou quatre lieues chercher le cheval qui vous arrive au bout de trois heures d'attente, délai accordé au fermier. L'animal est fatigué, souvent à peine dressé ou vicieux; son maître fait le relais avec vous et le défend contre le fouet avec une âpreté naïve qui se traduit en apostrophes interminables. [Retour au Texte Principal]

Note 2: Quand on veut avoir ses chevaux prêts et faire un peu plus de trois relais par jour, il faut envoyer d'avance un courrier nommé forbudman, muni d'un certain nombre d'avis; il vous précède d'une journée, et vous pouvez voyager à peu près tranquillement. Mais gare à vous si vous changez quoi que ce soit à votre itinéraire, si vous vous attardez à déjeuner; les retards s'accumulent et se traduisent en indemnités désagréables. [Retour au Texte Principal]

Note 3: Les échantillons ressemblent à des chevelures; le plus long conservé à Copenhague a 1 mètre 50 centimètres de longueur et 50 centimètres de largeur. [Retour au Texte Principal]

Note 4: Foss veut dire chute, cataracte. [Retour au Texte Principal]

Note 5: Rjukan est le vieux mot, presque islandais; le mot moderne est Rygende . [Retour au Texte Principal]

Note 6: Le höre est une sorte de saumon qui habite les lacs et ne va point à la mer. [Retour au Texte Principal]

Note 7: En été les chevaux norvégiens errent en liberté sur les fjelds déserts du plateau supérieur. [Retour au Texte Principal]

Note 8: Presbytère. [Retour au Texte Principal]

Note 9: Suite et fin.—Voy. page 65 . [Retour au Texte Principal]

Note 10: Beaucoup de familles norvégiennes tombées en paysannerie ont encore leurs écussons et leurs généalogies intactes. Un savant professeur de Copenhague, qui possède parfaitement l'histoire de notre Normandie, fut étonné de retrouver une conformité entière d'armes entre quatre familles répondant au nom latin de Sylvius Skog en Norvége, du Bois en Normandie, Boice en Angleterre, et Boyis en Suède (branche émigrée d'Écosse au seizième siècle). [Retour au Texte Principal]

Note 11: En Norvége on décore de ce titre tout français les femmes de la classe moyenne. [Retour au Texte Principal]

Note 12: Même aventure est arrivée à M. Bayard Taylor. Il est évident qu'à peu de frais on pourrait faire une route pour arriver par là au Vöringfoss, et que, dans l'état actuel du passage, des guides plus hardis que les lourds paysans du Hardanger frayeraient en quelques heures un sentier dangereux, mais praticable. [Retour au Texte Principal]

Note 13: À l'exposition des beaux-arts de Copenhague, en 1859, un peintre danois avait exposé une vue admirable du fjeld du Vöringfoss. Désespérant de rendre la chute dans toute sa puissance, il avait peint seulement la désolation du fjeld, les petits lacs sombres bordés de bouleaux, et l'horizon blanchâtre du désert, tandis qu'à gauche il laissait deviner l'énorme abîme du Vöringfoss au-dessus duquel planait un grand aigle de lac d'un effet saisissant. [Retour au Texte Principal]