The Project Gutenberg eBook of Odes d'Anacréon

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Title : Odes d'Anacréon

Author : Anacreon

Translator : Alexandre Machard

Release date : August 20, 2008 [eBook #26376]
Most recently updated: January 4, 2021

Language : French

Credits : Produced by Michael Roe and the Online Distributed
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ODES D'ANACRÉON ***

  

Odes d'Anacréon

ÉDITION D'AMATEUR
sur papier de Hollande
à deux cents exemplaires numérotés [1] .

N o 6

1 : Les exemplaires de passe sont numérotés 200 a, 200 b, 200 c, etc.

Cet ouvrage, vu son caractère classique, pourra être réimprimé ultérieurement sur papier ordinaire.

Odes d'Anacréon

Traduction littérale et rythmique

PAR
ALEXANDRE MACHARD

Isidore Liseux

PARIS

Isidore LISEUX, Éditeur

Rue Bonaparte, n o 25

1884




[Pg 1]

front1

AVERTISSEMENT

Dussions-nous scandaliser les admirateurs de M. Patin (il en a, paraît-il), nous proclamerons très haut cette vérité stupéfiante, paradoxe d'aujourd'hui, qui triomphera demain:

« Les Poètes anciens n'ont pas encore été traduits. »

De leurs poèmes on nous a tout rendu; tout, excepté ce quelque chose de fugitif et d'ailé, de difficilement saisissable: le rythme, c'est-à-dire l'âme même des vers.

C'est que les traducteurs n'ont pas voulu s'obliger, comme nous, à rendre un vers par [Pg 2] une ligne . Ils n'ont pas craint de noyer dans un flot de prose continue et monotone les vers les plus opposés par le sens, les plus nettement distingués par l'intention du poète. Dès lors, que deviennent, dans ce furieux débordement de prose, les repos, les suspensions? Que deviennent les enjambements si familiers aux Grecs, et que les Romantiques n'ont pas inventés; tout ce qui donne enfin au vers son coloris, son mouvement et comme une vie personnelle? Il n'y paraît plus, et la prose de nos traducteurs n'est qu'un Hébrus glacé qui roule les membres épars des Orphées déchirés.

Ainsi M. Patin, le Perrot d'Ablancourt de ce siècle, s'est évertué sur Horace: sa traduction n'est qu'une belle infidélité de plus, si jamais une infidélité put être belle.

Eh bien! nous proscrivons impitoyablement ce système. Nous lui opposons hardiment notre méthode: rendre un vers par une ligne , aussi concise, aussi serrée que lui, fidèle comme un miroir, exacte comme un décalque. [Pg 3]

Et cette reproduction quasi photographique, nous ne l'obtenons pas sans peine, croyez-le bien. Il y faut apporter la plus scrupuleuse attention, et comme une religieuse dévotion à son modèle. Pour triompher du texte, il faut docilement s'assujettir à lui, en suivre les inflexions et les méandres, observer les virgules, respecter les lignes du vers, les enjamber avec un mot placé en rejet: servitude heureuse, qui assure la victoire du traducteur. Notre méthode est surtout faite de conscience.

Déjà nous l'avons éprouvée sur les Juvenilia de Théodore de Bèze: nous n'avons pas eu lieu de nous en repentir. Notre éditeur, tout dévoué à la cause de la traduction littérale et rythmique des poètes, a donné, dans ce système, plusieurs chants du Roland furieux . Son ambition et la nôtre serait de traduire ainsi Homère, Pindare, Aristophane, Lucrèce, Virgile, Horace et tous les grands dieux de l'Olympe Grec et Latin.

Nous n'emporterons pas certainement l'approbation, encore moins les prix de [Pg 4] l'Académie; mais il nous reste le plaisir d'être des initiateurs et d'ouvrir une voie nouvelle. Et si quelqu'un goûte notre méthode, qu'il la suive et qu'il en use, pour verser en Français un de ces vastes et grands poèmes antiques qui restent encore à traduire, après tant de traducteurs!

Pour cette fois et pour éprouver à nouveau la sûreté, la certitude de notre méthode, nous avons choisi cette parure étincelante de soixante perles fines qui s'appellent les Odes d'Anacréon .

Nous avons voulu donner une juste idée de ce style taillé à facettes par un bijoutier curieux et subtil, et surtout laisser au lecteur l'impression, la sensation qu'il lit des vers.

Aussi avons-nous poussé l'exactitude photographique jusqu'à conserver aux mots l'ordre qu'ils ont dans l'original. Nous avons défendu au vers d'empiéter sur le suivant, et les inversions primitives ont été reproduites, à l'exemple des poètes de la Pléiade.

Nous n'avons pas voulu traduire en vers; [Pg 5] mais ce n'est pas notre faute, si la ligne de prose Française, strictement nécessaire à rendre le minuscule vers Grec, nous a donné souvent un vers Français de six ou sept pieds.

D'ailleurs notre prose est rythmée; elle a sa cadence intime comme les vers, et cela devait être. Car l'ode d'Anacréon est une chanson de Béranger, au rythme agile, qui court et danse, comme les jeunes filles du festin Grec, «sur des pieds rapides et délicats.»

A. M.

deco2 [Pg 7]






front2

Odes d'Anacréon

I

LA CITHARE

Je veux chanter les Atrides,
Je veux chanter Cadmus:
Mais ma lyre dans ses cordes
N'a qu'un chant: celui de l'Amour.
Naguère j'ai changé de cordes,
Changé toute ma lyre:
Et moi aussi, je chantais les travaux
D'Hercule; mais, ma lyre
Répondait par des chants d'amour.
Adieu donc désormais,
Héros, puisque ma lyre
Ne chante que les Érôs.
[Pg 8]

II

LES FEMMES

Nature donna des cornes aux taureaux,
Des sabots aux chevaux,
Des pieds agiles aux lièvres,
Aux lions une gueule énorme,
Aux poissons des nageoires,
Aux oiseaux des ailes,
Aux hommes du cœur;
Elle n'avait plus rien pour les femmes.
Aussi que leur donna-t-elle?—La Beauté,
Plus forte que tous les boucliers,
Plus forte que toutes les lances;
Elle triomphe et du fer
Et du feu, la femme belle.
[Pg 9]

III

L'AMOUR MOUILLÉ

Naguère, au milieu de la nuit,
Quand l'Ourse déjà tourne
Près de la main du Bouvier,
Et que les races mortelles
Dorment, domptées par le travail;
Érôs, survenant soudain,
Frappait aux verrous de ma porte.
«Qui heurte à ma porte?» criai-je;
«Vous mettez en fuite mes songes.»
Mais Érôs:—«Ouvre», dit-il,
«Je suis un enfant: ne crains pas.
Je suis mouillé, et dans la nuit
Sans lune je suis égaré.»

A ces mots, j'eus pitié.
Ma lampe aussitôt rallumée,
J'ouvris et je vis en effet
Un enfant qui portait un arc,
Des ailes, avec un carquois.
[Pg 10] Près du feu je l'assieds,
Dans mes mains je réchauffe
Les siennes, et de sa chevelure
J'exprime l'humidité.
Mais, à peine réchauffé:
«Çà,» dit-il; «essayons
Cet arc, et voyons à quel point
Est endommagée sa corde mouillée.»

Il le bande, et me frappe
En plein cœur, comme un taon.
Puis, avec une gambade et des éclats de rire:
«Mon hôte,» dit-il, «adieu;
Mon arc n'a pas souffert:
C'est ton cœur qui souffrira.»
[Pg 11]

IV

SUR LUI-MÊME

Sur un lit de myrtes tendres,
D'herbes fleuries de lotos
Répandu, je veux boire.
Qu'Érôs, avec un lien de papyrus
Relevant à son cou la tunique,
M'apporte du vin pur.
Car, comme la roue du char,
Notre vie court emportée:
Nous reposerons, légère
Cendre, et fantôme sans os.
A quoi bon parfumer la tombe
Et verser à la terre de vaines libations?
Mais plutôt, pendant que je vis,
Parfume-moi; couvre ma tête
De roses; appelle l'hétaïre.
Amour, avant de m'en aller
Danser dans les Enfers,
Je prétends dissiper mes soucis.
[Pg 12]

V

LA ROSE

Amis, mêlons au vin
La rose des Amours:
Attachant à nos tempes
La rose aux belles feuilles,
Buvons, avec le sourire de la volupté.
Rose, ô reine des fleurs,
Rose, amour du Printemps,
Et charme des Dieux mêmes;
Rose, dont le fils de Cythérée
Fait une couronne à ses beaux cheveux,
Pour danser avec les Grâces;
Ceins ma tête et, lyre en main,
Auprès de tes autels, Bacchus,
Avec une fille au sein opulent,
De couronnes de roses
Enguirlandé, j'irai danser.
[Pg 13]

VI

LE CHANT DU KOMOS

Mariant à nos fronts
Des couronnes de roses,
Nous buvons avec le sourire de la volupté.
Aux sons de la lyre une jeune fille,
Portant des thyrses qui frémissent
Dans leurs tresses de lierre,
Agite ses pieds délicats.
Ce pendant un garçon aux cheveux ondoyants,
Par les trous qui doucement soupirent,
Sur les flûtes s'amuse
A verser des sons harmonieux.
Érôs aux cheveux d'or,
Avec le beau Bacchus,
La belle Cythérée,
Tout joyeux poursuit le festin
Chéri des vieillards.
[Pg 14]

VII

L'AMOUR COUREUR

Avec une branche d'hyacinthe
Érôs me frappant durement au visage,
M'ordonna de courir avec lui.
Et par les torrents rapides,
Par les taillis, par les ravins,
Je courus: la chaleur m'accablait,
Mon âme à mes lèvres montait;
Un peu plus, et j'étais mort,
Quand Érôs, ventilant mon front
De ses douces ailes, me dit:
«Tu ne sais pas aimer.»
[Pg 15]

VIII

LE RÊVE

Dans la nuit reposant
Sur des tapis de pourpre,
Égayé par Bacchus,
Je me voyais sur la pointe des pieds
Courant agilement
Et folâtrant avec des jeunes filles;
Puis, raillé par de jeunes hommes
Plus vermeils que Bacchus,
Qui me lançaient des paroles mordantes
A propos de ces belles.
Je voulus les baiser:
Tous alors me quittèrent;
Et, resté seul, infortuné,
Je ne songeai qu'à me rendormir.
[Pg 16]

IX

LA COLOMBE

«Aimable Colombe,
D'où viens-tu en volant?
Où pris-tu ces parfums
Que, dans les airs où tu cours,
Tu exhales et tu répands?
Qui es-tu? quel soin t'occupe?»

—«Anacréon m'envoie
Vers son amant Bathylle,
De tous les cœurs aujourd'hui
Le souverain et le prince.
Cythérée m'a vendue
Pour une odelette;
C'est moi qu'Anacréon emploie
Pour ses grands messages,
Et tu vois quelles lettres
Je porte pour lui.
Il dit qu'aussitôt revenue,
Il me rendra la liberté:
[Pg 17] «Et moi, même affranchie,
Je veux rester près de lui, son esclave.
Qui m'oblige à voltiger
Par les monts et par les champs
Et, sur les arbres perchée,
Manger quelques graines rustiques?
A présent je mange du pain:
Je n'ai qu'à le prendre des mains
D'Anacréon lui-même;
Il me donne à boire
Du vin qu'il s'est versé.
Quand j'ai bu, je sautille
Et de mes ailes j'ombrage
Mon maître;
Jusque sur sa lyre
Posée je m'endors.

«Tu sais tout: adieu.
Tu m'as rendue plus bavarde,
Étranger, qu'une corneille.»
[Pg 18]

X

L'AMOUR DE CIRE

Un adolescent vendait
Un Amour de cire.
Je vais à lui:
«Combien veux-tu,» lui dis-je,
«Que je te donne de ta figurine?»
Il me répond dans son patois Dorique:
—«Prends-le pour ce que tu veux.
Mais pour t'apprendre à le connaître,
Je ne suis pas faiseur de figures de cire;
Mais je ne veux plus vivre avec
Un Amour capable de tout faire.
—Eh bien! donne, donne-moi donc
Pour une drachme ce charmant coucheur.»

Et toi, Amour, sur-le-champ
Enflamme-moi; sinon,
Je t'enverrai te fondre dans les flammes.
[Pg 19]

XI

LE GAI VIEILLARD

Les Femmes me disent:
«Anacréon, tu vieillis.
Prends ce miroir, et regarde:
Tu n'as plus de cheveux,
Ton front est dégarni.»
Pour moi, si j'ai des cheveux
Encore, ou si n'en ai plus,
Je ne sais: mais je sais bien
Qu'un vieillard doit d'autant plus
Se donner de l'agrément,
Qu'il est plus voisin de la Parque.
[Pg 20]

XII

A UN MERLE

Que veux-tu que je fasse,
Dis, merle bavard?
Tes légères ailes, veux-tu
Que je les prenne et je les coupe?
Aimes-tu mieux que de ton bec,
Comme fit le fameux Térée,
Je moissonne la langue?
Pourquoi de mes rêves charmants
Par ton chant matinal
Avoir fait fuir Bathylle?
[Pg 21]

XIII

FUREUR DE L'AMANT

On dit qu'épris de la belle Cybèle
Athys, ce mâle mutilé,
Fut saisi d'un furieux délire
Qui lui faisait pousser des cris sur les montagnes.
Et ceux qui, sur les collines de Claros,
De Phébus porte-lauriers
Boivent l'onde inspiratrice,
Hurlent, prophètes furieux.
Mais moi, c'est rassasié de vin
Et de parfums
Et de l'amour de ma maîtresse,
Que je veux, oui, je veux délirer.
[Pg 22]

XIV

L'AMOUR DOMPTEUR

Je veux, je veux aimer.
Amour me conseillait d'aimer:
Mais moi, esprit inconsidéré,
Je n'étais pas persuadé.
Soudain, prenant son arc
Et son carquois d'or,
Il me provoque au combat.
Alors, j'endosse
La cuirasse, comme Achille;
Je prends des javelots avec un bouclier,
Et vais lutter avec l'Amour.
Il lance ses traits: je fuis,
Et, dès qu'il n'a plus de flèches,
Il trépigne, et c'est lui-même
Qui se lance au lieu de trait.
Alors mon cœur se fondit,
Les forces m'abandonnèrent.
En vain je porte un bouclier:
Que sert de combattre au dehors,
Quand l'ennemi est dans la place?
[Pg 23]

XV

VIVRE SANS ENVIE

Je n'ai cure de Gygès,
Le prince de Sardes;
L'ambition n'est pas mon fait,
Et je n'envie pas les rois.
Mon souci, c'est d'arroser
Ma barbe de parfums;
Mon souci, c'est d'enguirlander
Ma tête de roses.
Aujourd'hui fait mon souci:
Qui connaît le lendemain?
Aussi, par ce temps serein,
Bois et joue
Et fête Lyæus,
Avant qu'un mal ne vienne
Te dire: «Il ne faut plus boire.»
[Pg 24]

XVI

LE POÈTE VAINCU

Tu chantes la guerre de Thèbes,
Les cris des combattants Troyens:
Moi, je chante mes défaites.
Qui m'a perdu?—Ce n'est pas le cavalier,
Ni le fantassin, ni le matelot:
C'est un étrange soldat,
Qui fait feu par les yeux.
[Pg 25]

XVII

LA COUPE D'ARGENT

Travaille l'argent au ciseau,
O Vulcain, pour me faire,
Non pas une armure
(Je n'aime pas les combats),
Mais une coupe creuse,
Aussi profonde que possible.
Ne va pas graver dessus
Les Astres ni le Chariot,
Ni le sombre Orion:
Qu'ai-je à faire des Pléiades
Ou de l'étoile du Bouvier?
Mais fais-moi verdir les vignes sur ses flancs,
Et les raisins briller
Et les Ménades vendanger.
N'oublie pas d'y dresser un pressoir,
Où fouleront les grappes,
Avec le beau Bacchus dans l'or incrustés,
Érôs et Bathylle.
[Pg 26]

XVIII

MÊME SUJET

Habile artiste, cisèle
Une belle coupe où le printemps brille.
Qu'elle offre d'abord à mes yeux
La saison des charmantes roses.
Puis, étends l'argent sous le marteau,
Pour que j'aime à y boire.
Ne va pas y graver quelque étrange
Cérémonie des Initiations;
Pas d'odieuse histoire:
Mais plutôt le fils de Zeus,
Bacchus Evius,
Et l'initiatrice des Amours, Cypris,
Applaudissant aux hyménées.
Grave aussi les Amours sans armes
Et le sourire des Grâces.
A l'ombre d'une vigne au feuillage épais,
Aux raisins superbes, aux pampres touffus,
Place un groupe de beaux garçons;
Et que Phébus y joue aussi.
[Pg 27]

XIX

IL FAUT BOIRE

La terre brune boit,
Et les arbres la boivent,
Et la mer boit les airs,
Et le soleil la mer,
Et la lune le soleil lui-même:
Pourquoi donc, compagnons,
Me défendre de boire?
[Pg 28]

XX

A UNE JEUNE FILLE

Jadis la fille de Tantale
Se durcit en rocher sur les monts de Phrygie;
Jadis la fille de Pandion, changée en hirondelle,
Eut des ailes d'oiseau.
Pour moi, que ne suis-je ton miroir!
Tes yeux me fixeraient sans cesse;
Ta tunique!
Tu me porterais toujours;
L'eau de ton bain!
Je laverais ta blanche peau;
Une essence!
Je te parfumerais, ô femme;
Et la ceinture de tes seins,
Et la perle qui brille à ton cou,
Et la sandale qui te chausse!
Au moins tu me presserais de tes pieds!
[Pg 29]

XXI

LA SOIF

Donnez-moi, donnez, ô femmes,
Du vin à boire d'un seul trait.
La soif me brûle, et vous me délaissez:
J'ai lieu de gémir.
Et puis encore, donnez-moi de ces fleurs:
Mon front brûle à la surface
Les couronnes, dont je l'ai couvert.
Mais, de la chaleur des Amours,
O mon âme, qui te garantira?
[Pg 30]

XXII

BATHYLLE

A l'ombre de Bathylle
J'irai m'asseoir: ah! le bel arbre!
Il balance un feuillage superbe
Sur une tige mince;
A ses côtés coule, doux stimulant,
La source vive de la Persuasion.
A cette vue, qui voudrait négliger
Un pareil endroit de déduit?
[Pg 31]

XXIII

L'AMOUR DE L'OR

Si l'abondance de l'or
Donnait de la vie aux mortels,
Je me résignerais à épargner,
Afin que la Mort survenant
A prix d'or voulût s'éloigner.
Mais puisqu'il n'est pas permis aux mortels
D'acheter de la vie,
Pourquoi gémir en vain?
Pourquoi me lamenter?
Puisque ma mort est décrétée,
A quoi l'or me sert-il?
Ah! que j'aie le bonheur de boire!
Et, tout en buvant du vin délicieux
En compagnie de mes amis,
Puissé-je en un lit délicat
Accomplir l'œuvre de Vénus!
[Pg 32]

XXIV

RÉSOLUTION

Puisque je suis né mortel
Pour parcourir la route de la vie,
Je sais le temps que j'ai passé,
Sans connaître le temps qu'il me reste à courir.
Laissez-moi, soucis:
Je n'ai pas affaire à vous.
Avant qu'arrive ma fin,
Je veux jouer, rire et danser
Avec le beau Bacchus.
[Pg 33]

XXV

SON AMOUR POUR LE VIN

Dès que je bois du vin,
Mes soucis s'assoupissent.
A quoi bon soupirs,
Peines et chagrins?
Je devrai mourir, même à contre-cœur:
Pourquoi méconnaître la véritable vie?
Buvons donc le bon vin,
Le vin du beau Bacchus.
Dans le temps même où nous buvons,
Nos soucis s'assoupissent.
[Pg 34]

XXVI

MÊME SUJET

Quand Bacchus s'est emparé de moi,
Tous mes soucis s'endorment.
Croyant posséder tout l'or de Crésus,
Je veux chanter superbement.
Couronné de lierre je repose,
Et mon mépris foule aux pieds l'univers.
Armez-vous: moi je bois.
Une coupe, enfant!
Être étendu sur un lit, ivre,
Vaut mieux qu'être étendu mort.
[Pg 35]

XXVII

DIONYSOS

C'est le fils de Zeus, Bacchus,
Qui bannit les chagrins et qui délie les langues.
Quand se répand dans mes esprits
Ce dieu qui verse le vin,
Il m'apprend à danser.
Pourtant, j'ai d'autres plaisirs,
Moi, poète, épris des ivresses:
Avec les instruments bruyants, avec les chants
Me plaît aussi Vénus;
Et je veux danser encore.
[Pg 36]

XXVIII

PORTRAIT DE SA MAITRESSE

Allons, excellent peintre,
O le meilleur des peintres,
Roi de l'art qui fleurit à Rhodes,
Fais-moi, d'après mes dires,
Le portrait de ma maîtresse absente.
Donne-lui d'abord des cheveux
Ondoyants et noirs;
Et, si la cire le permet,
Qu'ils exhalent des parfums.
Peins de face entièrement
Sous une chevelure éclatante
Son front d'ivoire.
Quant à ses sourcils, ne va pas
Les séparer, ni les confondre:
Qu'ils se rejoignent, comme chez ma maîtresse,
Imperceptiblement,
Et que les cils, autour des paupières, soient noirs.
[Pg 37] Pour être vrai, mets du feu
Dans ses yeux; qu'ils soient à la fois
Brillants comme ceux d'Athènè,
Humides comme ceux de Cythérée.
Fais le nez et les joues
De roses et de lait.
Que sa lèvre, la lèvre de la Persuasion,
Appelle le baiser.
Sur son menton délicat,
Autour d'un cou de marbre blanc,
Fais voltiger toutes les grâces.
Enfin, habille-la
D'une robe purpurine;
Et qu'il paraisse un peu
De sa chair, pour faire juger du corps.
Finis: je la vois. C'est bien elle!
O portrait véridique, tu vas parler.
[Pg 38]

XXIX

PORTRAIT DE BATHYLLE

Peins-moi mon amant Bathylle,
D'après mes renseignements.
Fais-lui des cheveux luisants,
Noirs en masse
Et blonds aux extrémités.
De ces cheveux indisciplinés
Rassemblant les boucles en désordre,
Laisse-les tomber à leur gré.
Que son front vermeil, frais comme rosée,
Se couronne d'un sourcil
Plus foncé que la peau des serpents.
Que ses yeux noirs soient terribles,
Mais tempérés par la douceur,
Ayant quelque chose d'Arès
Et de la belle Cythérée,
En sorte que l'on craigne à la fois
[Pg 39] Et qu'on se rattrape encore à quelque espoir.
Sur sa joue de rose
Mets le duvet du fruit mûr.
Si tu peux y jeter la rougeur
De la pudeur, n'y manque pas.
Et sa bouche? Je ne sais
Comment tu t'y prendras pour la peindre
Vermeille et siège de la Persuasion?
Pour tout dire en un mot,
Que son silence parle.
Après son visage,
Que son cou d'ivoire
Surpasse celui d'Adonis.
Fais-lui la poitrine
Et les mains d'Hermès,
Les cuisses de Pollux,
Le ventre de Dionysos.
Au-dessus de ses cuisses brillantes,
De ses cuisses brûlantes,
Place sans voiles un organe
Qui déjà désire Vénus.
L'art jaloux que tu exerces
Te défend de montrer
Son dos: c'est ce qu'il a de mieux.
T'apprendrai-je les contours de ses pieds?
[Pg 40] Demande le prix que tu voudras.
Prends cet Apollon
Et fais-en Bathylle;
Et, si jamais tu vas à Samos,
De Bathylle tu feras Apollon.
[Pg 41]

XXX

L'AMOUR ENCHAINÉ PAR LES MUSES

Les Muses ont lié
L'Amour avec des guirlandes,
Et l'ont donné en garde à la Beauté.
Et maintenant la Cythérée
Le cherche, portant la rançon,
Pour délivrer Amour.
Quand même on le délivrerait,
Loin de s'en aller, il voudra rester:
Il chérit trop son esclavage.
[Pg 42]

XXXI

FUREUR BACHIQUE

Laissez-moi boire à la santé des Dieux,
Boire sans fermer la bouche.
Je veux, je veux délirer.
Ils devinrent furieux, Alcméon
Et Orestès aux pieds blancs,
Après avoir tué leur mère;
Mais moi, qui n'ai tué personne,
C'est en buvant le vin de pourpre
Que je veux, je veux délirer.
Jadis Hercule en fureur
Agitait le carquois terrible
Et l'arc d'Iphitos.
Jadis Ajax en sa fureur
Brandissait avec son bouclier
L'épée d'Hector.
Et moi, c'est la coupe en main.
La couronne sur la tête,
Que je veux, oui, je veux délirer.
[Pg 43]

XXXII

SES AMOURS

Si tu peux dénombrer
Toutes les feuilles des arbres,
Si tu sais compter
Tous les flots de la mer,
Du calcul de mes amours
C'est toi seul que je charge.
Pose d'abord
Vingt amours d'Athènes,
Puis quinze autres encore.
Ensuite, de Corinthe,
Mets-en des légions:
Cette ville de l'Achaïe
A les plus belles femmes.
Puis, de Lesbos,
D'Ionie même,
De Carie et de Rhodes,
Pose deux mille amours.
—Que dis-tu?—Écris toujours.
Je n'ai rien dit encore des amours
[Pg 44] De la Syrie, ni de Canope,
Ni de la contrée souveraine,
La Crète, avec ses villes
Où l'Amour célèbre ses mystères.
Voudrais-tu que je te dénombre,
Au delà de Gadès,
De la Bactriane et des Indes,
Tous les amours de mon cœur?
[Pg 45]

XXXIII

A UNE HIRONDELLE

Hirondelle chérie,
Qui reviens tous les ans,
En été tu construis ton nid,
Et l'hiver tu disparais
Volant vers le Nil ou Memphis.
En tout temps l'Amour construit
Son nid dans mon cœur.
Ce désir a des ailes,
Cet autre est encore dans la coque,
Ce troisième est éclos à moitié.
Et toujours se fait entendre
Le cri des petits perçant la coquille.
Les plus jeunes enfants d'Érôs
Sont nourris par les aînés
Et bientôt, devenus grands,
En font d'autres à leur tour.
A ce mal, quel remède?
Car, je n'ai pas la force de bannir
Tant d'Amours de mon cœur!
[Pg 46]

XXXIV

A UNE JEUNE FILLE

Ne me fuis pas, pour avoir vu
Ma chevelure blanche;
Et, parce que tu possèdes
La pleine fleur de la jeunesse,
Ne va pas repousser mes caresses:
Mais vois, dans une couronne,
Comme fait bien la blancheur
Des lys entrelacés aux roses.
[Pg 47]

XXXV

ZEUS TAUREAU

Ce taureau, mon enfant,
Doit être Zeus lui-même.
Il porte sur son dos
Une jeune Sidonienne:
Il traverse la vaste mer,
Coupant le flot de ses sabots.
Jamais autre taureau
N'est sorti du troupeau,
Pour nager sur la mer:
Jamais autre, si ce n'est lui.
[Pg 48]

XXXVI

LA VIE LIBRE

Pourquoi m'enseigner les règles
Et les arguments des rhéteurs?
A quoi bon ces raisonnements,
Qui ne servent de rien?
Enseigne-moi plutôt à boire
De Bacchus la boisson vermeille;
Enseigne-moi plutôt à folâtrer
Avec la blonde Vénus.
Des cheveux blancs couronnent ma tête.
Donne de l'eau, verse du vin:
Enfant, endors ma raison.
Dans peu je ne serai plus: tu m'enseveliras.
Les morts n'ont plus de désirs.
[Pg 49]

XXXVII

LE PRINTEMPS

Voyez: quand le printemps paraît,
Les Grâces font croître les roses.
Voyez: le flot de la mer
Vient mourir avec calme.
Voyez comme le canard plonge,
Voyez comme voyage la grue.
Le soleil brille sans voiles,
Les ombres des nuages sont mises en fuite,
Les ouvrages des hommes resplendissent.
La terre s'incline sous le poids de ses fruits,
Le fruit de l'olivier saillit en dehors,
La vigne de pampres se couronne.
Sous la feuillée, à travers les branches,
Le bouton montre sa fleur.
[Pg 50]

XXXVIII

RÉPONSE AUX REPROCHES
QU'ON LUI FAISAIT DE SA VIEILLESSE

Tout vieux que je suis,
Je bois plus que les jeunes,
Et, s'il me faut danser,
Pour sceptre j'ai mon outre:
La férule ne sert à rien.
Qui veut lutter avec moi,
Approche et lutte.
Enfant, apporte une coupe,
Où tu mêleras les flots
D'un vin doux comme miel.
Oui, je suis vieux, je l'avoue:
Mais, au milieu de vous,
J'imiterai Silène en dansant.
[Pg 51]

XXXIX

LE CHANT DU FESTIN

I

Quand je bois du vin,
Alors mon cœur fleuri de joie
Commence à chanter les Muses.

II

Quand je bois du vin,
Les inquiétudes, les projets soucieux
S'envolent, dissipés, aux souffles
Des vents retentissant du bruit des vagues.

III

Quand je bois du vin,
Bacchus alors, qui badine avec la lyre,
Me balance sur l'aile des zéphyrs fleuris,
Après m'avoir réjoui d'ivresse.
[Pg 52]

IV

Quand je bois du vin,
Tressant des couronnes de fleurs
Pour les poser sur ma tête,
Je chante la sérénité de la vie.

V

Quand je bois du vin,
Oignant mon corps d'un parfum qui sent bon,
Serrant dans mes bras ma maîtresse,
Je célèbre Cypris.

VI

Quand je bois du vin,
Dans des coupes rondes
Répandant à flots le vin qui m'est cher,
J'aime un chœur de jeunes gens.

VII

Quand je bois du vin,
C'est un gain pour moi seul
Et je l'emporterai:
Mais la mort est le lot de tous.
[Pg 53]

XL

ÉROS

Érôs un jour dans les roses
Une abeille cachée
Ne vit pas, et fut piqué.
Blessé au doigt
De la main, il gémit;
Et courant et volant
A la belle Cythérée:
«Je suis perdu, mère», dit-il,
«Je suis perdu, et je me meurs!
Un petit serpent m'a frappé;
Il a des ailes: c'est abeille
Que le nomment les laboureurs.»

Elle répondit: «Si le dard
De l'abeille fait tant de peine,
Combien devront souffrir, crois-tu?
Érôs, ceux que tu frappes?»
[Pg 54]

XLI

LE FESTIN

Buvons le vin joyeux
Et célébrons Bacchus,
L'inventeur de la danse,
L'ami de toute chanson,
Le compagnon d'Amour,
Le bien-aimé de Cythérée.
Par lui l'Ivresse est enfantée,
Par lui les Grâces sont nées,
Par lui sont calmés les Chagrins,
Par lui endormie la Tristesse.
Dès que la boisson versée
De beaux enfants m'apportent,
Ma peine s'en va se mêler
A la tempête qui tourne au gré du vent.
Donc, prenant une coupe,
Bannissons les soucis.
Car, que gagnez-vous à
Souffrir d'inquiétude?
Comment lire dans l'avenir?
[Pg 55] La vie est obscure aux mortels.
En buvant, je veux danser
Et, parfumé, folâtrer
Avec de belles femmes.
Absorbez-vous, si vous voulez,
Dans tous les soucis possibles:
Nous, joyeux, buvons du vin
Et célébrons Bacchus.
[Pg 56]

XLII

CE QUE J'AIME LE PLUS

Je recherche les danses
Du jovial Bacchus:
J'aime à jouer de la lyre
A table avec un bel éphèbe.
Des couronnes d'hyacinthe
A mes tempes ajustées,
Folâtrer avec de jeunes vierges:
Voilà ce que j'aime surtout.
Mon cœur ne connaît pas la haine,
Ignore l'envie dévorante;
De la langue médisante
Je fuis les traits subtils.
Je hais les querelles d'ivrognes
Et de gourmands dans les repas.
Avec de jeunes filles,
Aux sons de la lyre dansant,
Goûtons le bonheur de la vie tranquille.
[Pg 57]

XLIII

LA CIGALE

Nous disons: «Heureuse Cigale!»
Dès que, sur la cime des arbres,
Tu as bu quelques gouttes de rosée,
Ainsi qu'une reine, tu chantes.
Car, c'est bien à toi, tout
Ce que tu vois dans les champs
Et que produisent les forêts.
Tu es l'amie des laboureurs,
Ne leur causant aucun dommage;
Tu es vénérée des mortels,
Douce prophétesse de l'Été.
Les Muses te chérissent,
Il te chérit aussi, Phébus,
Qui t'a dotée d'une voix harmonieuse.
La vieillesse ne t'accable pas.
Sage, fille de la Terre, amoureuse des chants,
Impassible, sans chair ni sang,
Tu es, ou peu s'en faut, égale aux Dieux.
[Pg 58]

XLIV

UN RÊVE

Il me semblait courir en rêve,
Portant des ailes aux épaules:
Mais Érôs, avec une chaîne de plomb
Autour de ses petons charmants,
Me poursuivait, et m'atteignit.
Que veut dire ce songe?
Ceci, je crois: c'est, qu'engagé
Dans de nombreux amours,
J'ai pu me dégager des autres,
Mais celui-ci me retient enchaîné.
[Pg 59]

XLV

LES FLÈCHES DE L'AMOUR

Le mari de la Cythérée
Aux forges de Lemnos,
Les flèches des Amours
Forgeait avec de l'acier.
Cypris en trempait les pointes
Dans le miel le plus doux:
Érôs y mêlait du fiel.
Arès un jour, de retour de la guerre,
Brandissant sa forte lance,
Ravalait les traits de l'Amour.
«Tiens», dit Érôs: «celui-ci
Est-il perçant? Éprouve-le, pour en juger?»
Mars prit le trait,
Cypris sourit;
Mais Arès, en gémissant:
«Oh! oui, bien perçant!» Reprends-le.
«—Garde-le», répond Érôs.
[Pg 60]

XLVI

IMPRÉCATIONS CONTRE L'ARGENT

Il est dur de ne pas aimer
Et dur aussi d'aimer:
Mais le plus dur de tout, c'est
D'être dédaigné, quand on aime.
La naissance ne fait rien à l'Amour
Il foule aux pieds le savoir, la vertu:
Il n'a d'yeux que pour l'argent.
Ah! meure le premier
Qui fit de l'or son amant!
Avec lui plus de frère,
Avec lui plus de père,
Mais la guerre et le meurtre.
Le pis, c'est qu'il nous tue,
Nous autres, malheureux amants!
[Pg 61]

XLVII

LE VIEILLARD DE BELLE HUMEUR

J'aime un vieillard enjoué,
J'aime un jeune danseur.
Mais, à peine un vieillard a dansé,
Que, tout étant vieillard par les cheveux,
Il est jeune par l'âge.
[Pg 62]

XLVIII

A DIONYSOS

Le dieu qui rend la jeunesse infatigable
Au travail, aux amours intrépide,
Et qui dans les festins un beau danseur achève,
Ce dieu parmi nous est venu,
Nous apporter une liqueur vermeille,
Une boisson ennemie des chagrins,
Fille de la vigne: le vin,
Emprisonné dans ses raisins
Et pendant aux ceps. Laissons-l'y;
Mais, le jour venu de couper les grappes,
Alors plus de malades:
Les corps seront beaux
Et les âmes épanouies,
Jusqu'à la prochaine vendange.
[Pg 63]

XLIX

LE TRIOMPHE DE VÉNUS ANADYOMÈNE

Quel burin a gravé la mer?
Quel artiste inspiré
A versé les flots dans un disque
Sur le dos de la mer?
Quel génie dessina sur les flots,
Éblouissante de candeur, Cypris?
Quel génie, s'élevant jusqu'aux Dieux,
Osa des Immortels représenter la mère?
Il ne craignit pas de la montrer nue,
Et ce que les yeux ne doivent pas voir
N'a que les flots pour vêtement.
A leur surface balancée,
Comme l'algue blanchissante flotte
Sur la mer calme et doucement polie,
La déesse, mettant son corps à la nage,
Pousse les vagues devant elle.
De ses seins de rose,
De son cou d'albâtre qui reste sous l'eau,
Elle fend les vagues énormes.
[Pg 64] Au milieu du sillon, Cypris,
Comme un lys à des violettes entrelacé,
Brille sur la sérénité de la mer.
Sur les écailles argentées
Des dauphins qui tressautent,
Sont portés ces dieux qui raillent
L'esprit fallacieux des hommes: Érôs et Iméros.
Le chœur des poissons recourbés
Fait des plongeons dans l'eau,
En lutinant le corps de la déesse,
Afin qu'elle triomphe avec un sourire.
[Pg 65]

L

LES VENDANGES

Le raisin noir de peau
Dans des corbeilles portent sur leurs épaules
Des jeunes hommes avec des jeunes filles.
Ils le jettent au pressoir,
Et les hommes seuls foulent aux pieds
La grappe, pour délivrer le vin captif.
En l'honneur du dieu de la vigne ils font retentir
Les chansons bruyantes des vendanges,
Tout joyeux de voir bouillonner dans la tonne
Le vin nouveau tant désiré.
Un vieillard en boit-il?
Il danse en dépit de ses pieds tremblants,
Agitant sa chevelure blanche.
Cependant qu'épiant une vierge,
Qui répand son corps délicat
Sur des feuilles pleines d'ombre,
Accablée de sommeil,
Un aimable jeune homme enivré
La caresse et l'invite à des amours précoces,
[Pg 66] Qui la rendraient traîtresse au mariage.
Voyant qu'il ne persuade pas,
Il la presse malgré elle.
C'est qu'avec la jeunesse, Bacchus,
Dieu de l'ivresse, s'égaie en liberté.
[Pg 67]

LI

LA ROSE

Avec le printemps porteur de couronnes,
Je pense à chanter très haut la rose,
Tendre fleur, ma compagne.
C'est l'haleine des Dieux mêmes
Et le charme des mortels,
L'ornement des Grâces dans la saison
Des Amours en fleur,
L'attribut folâtre de Vénus.
C'est le thème des poésies,
La plante aimée des Muses;
Douce même à qui fait l'épreuve de ses dards
Dans les sentiers épineux;
Douce à la main qui la cueille et qui caresse
De ses doigts fins et délicats
Cette fleur de l'Amour.
Comme au sage elle plaît encore
Dans les danses, sur les tables,
Aux fêtes Dyonisiaques.
Que ferions-nous sans la rose?
[Pg 68] «L'Aurore a des doigts de roses,
Les Nymphes des bras de roses,
Aphrodite un teint de roses,»
Dans le langage des poètes.
La rose, secourable aux malades,
Protège aussi les morts
Et triomphe du temps.
Des roses la vieillesse, encore agréable,
Garde un parfum de jeunesse.

Chantons donc son origine.
Quand, de la mer azurée,
Cythérée brillante de rosée
L'Océan fit naître de son écume;
Quand Athènè, la guerrière
Déesse à l'Olympe redoutable,
Jupiter fit sortir de son cerveau;
Alors des roses admirables
La Terre fit fleurir les jeunes pousses,
Chef-d'œuvre d'art de la Nature.
La troupe des Dieux bienheureux,
Pour que naquît la rose, répandirent
Le nectar, et firent s'élever,
Superbe, du sein des épines,
L'immortelle fleur de Bacchus.
[Pg 69]

LII

LE POÈTE SE PLAIT AVEC LA JEUNESSE

Lorsque parmi les jeunes hommes
Je te vois, revient la Jeunesse,
C'est alors que pour la danse,
Moi, le vieillard, j'ai des ailes.
Attends-moi, Cybélès;
Donne des roses: je veux me couronner.
Loin la vieillesse chenue!
J'irai danser jeune parmi les jeunes.
Puis, qu'on m'apporte une rivière née
De la moisson de Bacchus en automne.
On verra la vigueur du vieillard,
Enseignant à jaser,
Enseignant à boire
Et délirer non sans grâce.
[Pg 70]

LIII

LES AMANTS

Les chevaux ont aux cuisses
Une marque de feu,
Et les Parthes
Se reconnaissent à leur tiare.
A voir les amants, moi,
Je les devine aussitôt:
C'est qu'ils ont une imperceptible
Blessure au cœur.
[Pg 71]

LIV

LA VIEILLESSE

Déjà mes tempes sont
Blanchies, ma tête argentée.
La jeunesse et ses grâces
Ne sont plus; ma bouche a vieilli,
Et de la vie heureuse à peine
Quelques instants me restent.
A cette pensée je gémis
Sur moi, redoutant le Tartare.
D'Adès effroyable est
Le gouffre: il est terrible
D'y descendre; impossible
A qui descend de remonter.
[Pg 72]

LV

DOUCES IVRESSES

Allons, enfant, apporte-moi
La coupe; qu'à plein verre
Je boive; mêle dix cyathes d'eau
A cinq de vin,
Et que sans affront
Et sans crainte je célèbre Bacchus.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Allons! çà! et n'allons plus ainsi
Par du tapage et des cris de joie
Nous exercer à boire comme les Scythes;
Mais buvons peu en chantant bien.
[Pg 73]

LVI

L'AMOUR

Érôs, le doux Érôs,
Je pense à le chanter
Couronné de mitres de fleurs:
Car, il est le maître des Dieux
Et le dompteur des hommes.
[Pg 74]

LVII

PRIÈRE A ARTÉMIS
EN FAVEUR DES MAGNÉSIENS

Je t'en supplie, chasseresse de cerfs,
Blonde fille de Jupiter, des bêtes féroces
Souveraine, Artémis:
Descends en ce jour sur les flots tournoyants
Du Léthé; cette cité,
Ses braves habitants, regarde-les
D'un œil propice: ils sont loin d'être barbares,
Les peuples sur qui tu règnes.
[Pg 75]

LVIII

A UNE JEUNE FILLE

I

Pouliche de Thrace, pourquoi donc,
Me regardant de travers,
Fuir impitoyablement? Est-ce que tu me crois
Sans adresse aucune?

II

Sache que je pourrais fort bien
Te mettre le mors,
Et, rênes en main, te faire tourner autour
Des bornes du champ de course.

III

A présent, tu pais les prairies
Et bondissant, légère, tu folâtres:
C'est que tu n'as pas d'écuyer
Habile à te dompter.
[Pg 76]

LIX

LE PRINTEMPS

Il est doux de marcher
Où les pelouses étendent leurs tapis,
Où le Zéphyr exhale
Une brise odorante;
Doux de voir le cep cher à Bacchus,
De s'enfoncer sous le feuillage,
En serrant une tendre enfant
Qui respire Vénus tout entière.
[Pg 77]

LX

APOLLON

Je vais agiter les cordes de ma lyre.
Ce n'est pas qu'un prix me soit proposé:
Mais, c'est l'occupation de tout homme
Qui a cueilli la fleur de la sagesse.
Avec un plectre d'ivoire
Sonnant des vers harmonieux,
Sur le rythme Phrygien, je chanterai,
Comme un cygne du Caystre
Chante au bruit de ses ailes blanches:
Sa voix est à l'unisson du vent.

Et toi, Muse, danse avec moi;
Car ils sont consacrés à Phébus,
Cette lyre, ce laurier, ce trépied.

Je chante l'amour de Phébus,
Son ardeur qui passa comme un souffle;
C'est qu'elle était sage, la jeune fille:
Elle a fui l'aiguillon du dieu
[Pg 78] Et changé sa forme naturelle:
Elle agite maintenant ses feuilles verdoyantes.
Cependant Phébus allait, Phébus
Espérait dompter la vierge;
Même, en cueillant un rameau vert,
Il croyait satisfaire son désir.

Eh! mon cœur, d'où ce délire?
D'où ce bel emportement?
Prends des forces, lance le trait,
Touche le but, et puis va-t'en.
Laisse l'arc d'Aphrodite,
Cet arc vainqueur des Dieux.
Imite Anacréon,
Le chantre mélodieux.
Présente à mes amants la coupe,
La coupe des discours aimables.
Que cette boisson, ce nectar
Les console de la fuite
De cet astre étincelant, l'Or.
[Pg 79]

LXI

L'OR

Toi qui de la fraude et des haines
As mis l'amour au cœur des hommes;
Qui leur ravis ces plaisirs: la lyre, les hymens,
Et les baisers honnêtes;
Toi qui versas la coupe des passions:
Quand tu voudras, tu peux partir.
Mais la chanson de ma lyre,
Je ne la négligerai pas un instant.
Va plaire, rival des Muses,
Aux étrangers perfides, sans foi.
Mais moi, le joueur de lyre,
J'aurai dans mon âme les Muses, pauvres
Proscrites: tu ne feras qu'exciter leur ardeur,
Et ma gloire resplendira.
[Pg 80]

LXII

MÊME SUJET

Quand ce fugitif, l'Or,
Me fuit de ses pieds
Rapides comme les vents
(Et toujours, toujours il me fuit),
Je ne cours pas après lui: car,
Qui recherche son ennemi?
Aussitôt séparé
De ce fugitif, l'Or,
Je laisse les vents emporter
Tous les soucis de mon esprit;
Je prends la lyre et je chante
Des chants d'amour.
Mais, à mon tour quand la raison
M'apprend à le mépriser,
Soudain le fugitif revient me saluer,
Ramenant l'ivresse des soucis,
Me pressant de le prendre avec moi,
En délaissant ma lyre pour longtemps.
[Pg 81] Déloyal, Or déloyal,
Inutile de me charmer par tes amorces:
Ma lyre m'est plus que l'Or,
Elle qui sait chanter les belles passions.
[Pg 82]

LXIII

ÉPITHALÀME

Reine des déesses, Cypris;
Désir, souverain des mortels;
Hyménée, conservateur de la vie,
C'est vous que je chante en prose,
C'est vous que j'exalte en vers,
Désir, Hyménée, Déesse de Paphos.

Regarde ta jeune épouse, regarde-la, jeune homme,
Réveille-toi, si tu ne veux manquer la chasse de la perdrix.

Stratoclès, favori de Cythérée,
Stratoclès, mari de Myrilla,
Vois ton épouse chérie:
Elle est superbe dans sa fleur, dans tout son éclat.
La rose des fleurs est la reine:
Myrilla est une rose parmi les jeunes filles.

Qu'Hélios éclaire ta couche!
Qu'un cyprès naisse dans ton jardin!
[Pg 83]




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TABLE

Pages.

AVERTISSEMENT 1

I.—La Cithare 7

II.—Les Femmes 8

III.—L'Amour mouillé 9

IV.—Sur lui-même 11

V.—La Rose 12

VI.—Le Chant du Kômos 13

VII.—L'Amour coureur 14

VIII.—Le Rêve 15

IX.—La Colombe 16

X.—L'Amour de cire 18

XI.—Le gai Vieillard 19

XII.—A un Merle 20

XIII.—Fureur de l'Amant 21

XIV.—L'Amour dompteur 22

XV.—Vivre sans envie 23

XVI.—Le Poète vaincu 24

XVII.—La Coupe d'argent 25

XVIII.—Même sujet 26
[Pg 84]

XIX.—Il faut boire 27

XX.—A une jeune Fille 28

XXI.—La Soif 29

XXII.—Bathylle 30

XXIII.—L'Amour de l'Or 31

XXIV.—Résolution 32

XXV.—Son amour pour le Vin 33

XXVI.—Même sujet 34

XXVII.—Dionysos 35

XXVIII.—Portrait de sa Maîtresse 36

XXIX.—Portrait de Bathylle 38

XXX.—L'Amour enchaîné par les Muses 41

XXXI.—Fureur bachique 42

XXXII.—Ses Amours 43

XXXIII.—A une Hirondelle 45

XXXIV.—A une jeune Fille 46

XXXV.—Zeus taureau 47

XXXVI.—La Vie libre 48

XXXVII.—Le Printemps 49

XXXVIII.—Réponse à des reproches 50

XXXIX.—Le Chant du Festin 51

XL.—Érôs 53

XLI.—Le Festin 54

XLII.—Ce que j'aime le plus 56

XLIII.—La Cigale 57

XLIV.—Un Rêve 58

XLV.—Les Flèches de l'Amour 59

XLVI.—Imprécations contre l'Argent 60
[Pg 85]

XLVII.—Le Vieillard de belle humeur 61

XLVIII.—A Dionysos 62

XLIX.—Le Triomphe de Vénus Anadyomène 63

L.—Les Vendanges 65

LI.—La Rose 67

LII.—Le Poète se plaît avec la Jeunesse 69

LIII.—Les Amants 70

LIV.—La Vieillesse 71

LV.—Douces Ivresses 72

LVI.—L'Amour 73

LVII.—Prière à Artémis 74

LVIII.—A une jeune Fille 75

LIX.—Le Printemps 76

LX.—Apollon 77

LXI.—L'Or 79

LXII.—Même sujet 80

LXIII.—Épithalame 82
[Pg 87]

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Paris.—Charles Unsinger , imprimeur, 83, rue du Bac.



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