Title : Le Noël des Petits Gueux
Author : Max Du Veuzit
Release date
: December 25, 2008 [eBook #27619]
Most recently updated: January 4, 2021
Language : French
Credits : Produced by Daniel Fromont
Produced by Daniel Fromont
[Transcriber's note: Max du Veuzit (pseudonyme d'Alphonsine Vavasseur-Acher Mme François Simonet) (1876-1952), Le Noël des Petits Gueux (1909)]
Max du VEUZIT
Le Noël des Petits Gueux
PRIX: 1 Franc
1909
Tous droits de traduction et de reproduction réservés
pour tous pays
UN IVROGNE… 45 ans environ
MARIA… 14 ans
CARLOT… 8 ans
Sept heures du soir, en hiver, dans une chaumière misérablement meublée.
Une table boiteuse, des chaises de paille, un mauvais lit dans le fond.
Port à gauche, au dernier plan, fermant par un loquet de bois.
Sur la table, verres, bouteilles vides et chandelier, pêle-mêle.
Au lever du rideau, la scène est plongée dans l'obscurité.
L'ivrogne d'une voix pâteuse chante dans la coulisse:
—Viens Poupoule, viens, etc…
La porte s'ouvre et il apparaît titubant. Une bouteille pleine sort à moitié de sa poche. Toujours chantant, il fait quelques pas, puis s'arrête:
— Une vraie bouteille à l'encre!… Ca manque de bec de gaz!
Se cognant au lit:
— Oh!… quelle turne!
Se cramponnant au lit:
— C'est c'tte sacrée Maria qu'aura mis une chaise là pour que j'me f… par terre!… Y a plus d'enfants! L'respect d'la famille s'en va complètement!
Il cherche une allumette dans ses poches.
— Je… J'vais allumer l'électricité.
Il frotte une allumette, qui rate, puis une seconde et une troisième.
— Vive la Régie!
Au public:
— La Régie a été instituée pour embêter les citoyens, mais ça prend pas avec moi… quand l'allumette rate, j'crie vive la Régie… pour la narguer!… et quand elle ne rate pas… (Il en prend une:) Vive la République!
Tenant délicatement l'allumette enflammée il s'avance vers la cheminée:
— Où qu'il est, le lustre?…
Il cherche:
— Le lustre à Bibi n'est pas là!
Il allume une autre allumette et va vers la table:
— Là!… Voici le réverbère en question.
Il veut atteindre la chandelle mais sa main qui tremble semble vouloir allumer tous les goulots des bouteilles:
— Ca doit être encore un tour de c'tte sacrée Maria… C'est humide, ça peut pas brûler, pardi!
Larmoyant:
— Si c'est pas malheureux d'avoir une fille qui mouille tous les bouts de chandelle!
Il a fini cependant par allumer celle-ci. Tombant en arrêt devant les bouteilles vides:
— Quelle armée!… Si c'est moi le copain qui ai vidé tout ça j'suis pas à plaindre, mon colon!
Se cognant l'estomac:
— Une vraie panse de député qui veut analyser tous les liquides de la buvette…
Il passe la revue des bouteilles:
— Zut! Tout est sifflé!… Alors faut serrer la ceinture?… Non!
Zidor a des réserves dans sa cave.
Il tire la bouteille de sa poche:
— Voilà! M'sieu est servi!!
Il boit un peu:
— C'est du nanan… le réveillon oblige.
Il commence à boire; son ivresse doit aller croissant. En riant, il chantonne:
— Tout tourne! Tout tourne… (parlant) Ca vous met du soleil en tête… J'ai… j'ai vingt ans… le coeur solide (au public) Y en a pas un qui me roulerait en ce moment. Qu'est-ce qui veut lutter avec moi. J'parie vingt ronds.
Il a posé machinalement la bouteille dans un coin et quand il veut recommencer à boire il en prend une vide sur la table. Il la porte à ses lèvres, puis l'examine étonné. La voix de plus en plus pâteuse:
— Ca coule plus! (au public) C'est encore c'tte sacrée Maria… elle a bouché le goulot…
Pleurnichant:
— Si c'est pas malheureux d'avoir une fille qui met des bouchons là où qu'il en faut pas!…
Il s'asseoit près de la table, luttant contre le sommeil:
— Mon pauvre Zidor! t'as pas de chance avec tes enfants… Ils ne te font que des mauvais tours!
Il s'assoupit, mais bientôt se redresse en sursaut:
— Maria!… fais-moi mon lit… (un temps) Tu veux pas me faire mon lit!… (larmoyant) Ca te portera pas chance…
Il attend et reprend d'un air autoritaire:
— Ton père est fatigué, Maria!
Changeant de ton et pleurnichant:
— Non! mais c'est y pas malheureux… d'avoir une fille qui… qui fait rien au lit!
(Il tombe endormi d'un lourd sommeil d'ivrogne. Il est affaissé plutôt qu'assis sur sa chaise; le haut du corps et la tête s'appuient sur la table. Quand il commence à ronfler, la porte s'ouvre timidement et Charlot passe la tête par l'entrebâillement. Les bouteilles l'empêchent de voir son père).
CHARLOT, à voix basse
On ne voit rien.
Regarde bien.
Sûr!… Y a personne!
MARIA, ouvrant davantage la porte
Pourtant il y a de la lumière.
Il est peut-être reparti!
Mon Dieu! pourvu qu'il ne soit pas allé au cabaret.
Mince de réveillon, alors!
(Ils sont entrés; Maria aperçoit l'ivrogne, instinctivement, elle saisit le bras du petit).
Oh!… Il est là!
Zut!
Fais point de bruit, Charlot.
(Elle referme la porte très doucement. Charlot s'est avancé sur la pointe des pieds vers l'ivrogne et l'examine).
CHARLOT, piteusement.
Il est paf! C'est notre veine!
Chut! il dort! Ne le réveillons pas: ses réveils sont terribles.
Il casse et brise tout!
Oui, mais on peut tout de même être tranquilles… on s'couchera sans qu'il nous entende.
(Elle prend le petit dans ses bras et l'assied sur une chaise près du lit pour qu'il s'appuie sur celui-ci).
Reste là, mon gosse, je vais te déshabiller tout à l'heure.
Me déshabiller?
Oui.
CHARLOT, plaintivement.
Mais j'ai faim, Maria… On va pas dormir comme ça.
MARIA, tressaillant
T'as faim?
Et j'suis gelé, encore! C'est pas ce qu'on a mangé aujourd'hui qui m'a réchauffé l'estomac: un gendarme et du pain, c'est guère réconfortant!
Pauvre gosse…
(Ses yeux vont à l'ivrogne dont la respiration devient bruyante. Elle a un geste de colère).
Y s'a soûlé, encore, c'bougre-là!… On n'a boulotté qu'un croûton dur d'puis l'matin. Va t'y falloir encore s'coucher sans souper.
C'est crevant!
C'est Noël: y s'ra pas allé travailler cet après-midi… Depuis que la mère est défunte, c'est comme ça à toutes les fêtes!
Ah! si maman était là!…
Allons, pleure pas, Charlot; tu sais bien que j'fais ce que j'peux pour la remplacer…
Mais t'as beau travailler, y te prend toute ta galette.
MARIA, haussant les épaules
Oui, et après on meurt de faim, pardi!
CHARLOT, après un temps
Allons, Maria, donne-moi quelque chose, j'ai faim.
MARIA, à mi-voix
Y a pu rien dans l'buffet…
Mais j'ai mal là… (Il montre son estomac et éclate en sanglots)
J'veux manger, moi.
Y a rien!
C'est amusant!
(Soudain Maria s'avance vers l'ivrogne)
Ah et puis!!… Tant pis s'il se réveille et s'il casse tout! (Elle le secoue par le bras) Eh l'père!… l'gosse a faim; faudrait voir à y donner à manger.
L'IVROGNE, soulevant la tête et essayant d'ouvrir les yeux
Hein!… Quoi!…
L'gosse a faim!
Ca fait rien.
(Il retombe lourdement endormi).
MARIA, le secouant plus fortement
Ben, voyons, écoute-moi… J'te dis qu'on a rien dans l'ventre depuis c'matin et qu'ça peut pas durer comme ça…
(Il reste insensible à l'appel de sa fille; même comme elle le secoue trop fortement, il roule sous la table avec un bafouillage incohérent; puis il se tait et reste immobile. Maria en le voyant tomber a un mouvement de recul. De loin, elle le contemple avec mépris).
Ce qu'il est bu!… Il est rien complet!
(Charlot enhardi s'est avancé vers son père et l'examine curieusement).
Mince! quelle culotte!!… Il en dit pas long en c'moment.
C'est triste!
C'est rigolo!
Il a réveillonné sans s'inquiéter de nous.
Et c'est pas ça qui va nous caler l'ventre…
Hélas!
Dis donc… si tu visitais ses profondes. Il a p't'être pas tout raboté.
C'est une idée!
(D'un bond, elle se rapproche de l'ivrogne, et délicatement, elle tâte les vêtements et retourne les poches. Du désappointement peu à peu se lit sur son visage).
Non… rien!… Zut!… Ah misère! il a tout boissonné.
Y faisait soif pour lui.
MARIA, se relevant avec dépit
Ses goussets sont nettoyés comme jamais.
Alors?… Rien?
Rien!… Quel Noël!
Pas besoin de mettre ses soulier dans la cheminée: c'est la mouise!
MARIA, apercevant la bouteille
Tiens!
Quoi?
Regarde… Cette fiole qu'est presque pleine.
CHARLOT, prenant la bouteille
Il n'aura pas pu boire tout!
Montre un peu pour voir.
(Successivement ils sentent le goulot puis goûtent le liquide: la bouteille change donc quatre fois de mains).
C'est du mêlé-cass?
Oui c'est bon!
Ca chauffe!
(Un instant, ils examinent la bouteille en silence. Charlot timidement).
Dis donc, Maria?
Eh bien?
Si.. si on buvait tout.
MARIA, hésitant
On serait saoult.
Tant mieux!
Oh!
Si… comme ça, on sentira plus le froid ni la faim.
MARIA, tristement
C'est vrai qu'si on avait le ventre mieux garni, c't'idée-là nous viendrait pas.
Pardine!
(Il va pour porter à ses lèvres le goulot, mais la main de Maria retient la bouteille).
Oh, non… faut pas!
(Ils baissent la tête pensivement, tenant toujours chacun la bouteille).
CHARLOT, après un temps
A quoi que tu penses, Maria?
MARIA, gravement
Je pense aux réveillons d'autrefois… quand maman vivait…
Oh, oui! les nuits de Noël.
MARIA, les yeux pleins de larmes
Les belles nuits blanches dont tous les enfants rêvent.
(Ils restent silencieux, l'un près de l'autre, très graves).
CHARLOT, timidement après un temps
Alors.
(Maria saisit brusquement la bouteille),
Tant pis… On a rien à s'mettre sous la dent!… Alors!
(Elle boit).
Ca va être notre réveillon!
(De nouveau la bouteille passe et repasse de main en main. Pendant que le rideau tombe on voit Charlot, ivre, s'appuyer en riant sur sa soeur pendant que celle-ci se soutient au mur pour ne pas tomber).
Imprimerie H. RILLET
10, rue Bavanterie, 10
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