Title : Une courte histoire de l'eBook
Author : Marie Lebert
Release date
: August 26, 2009 [eBook #29802]
Most recently updated: November 9, 2009
Language : French
Credits : Produced by Al Haines
Produced by Al Haines
UNE COURTE HISTOIRE DE L'EBOOK
NEF, Université de Toronto, 2009
Copyright © 2009 Marie Lebert. Tous droits réservés.
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Ce livre est dédié à toutes les personnes
ayant répondu à mes questions pendant dix ans,
en Europe, en Amérique (tout le continent),
en Afrique et en Asie.
Avec tous mes remerciements pour leur temps
et pour leur amitié.
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Une courte histoire de l'ebook - appelé aussi livre numérique - de 1971 à nos jours, avec le Projet Gutenberg, Amazon, Adobe, Mobipocket, Google Books, l'Internet Archive et bien d'autres. Ce livre se base sur quelques milliers d'heures de navigation sur le web pendant dix ans et sur une centaine d'entretiens conduits de par le monde.
Ce livre est disponible aussi en anglais et en espagnol. Les trois versions sont disponibles dans les Dossiers du NEF <http://www.etudes- francaises.net/dossiers/ebook.htm>.
Marie Lebert, chercheuse et journaliste, s'intéresse aux technologies dans le monde du livre, des autres médias et des langues. Elle est l'auteure de "Technologies et livre pour tous" (en français et en anglais, 2008), "Les mutations du livre" (en français, 2007) et "Le Livre 010101" (en français, 2003). Ses livres et dossiers sont publiés par le NEF (Net des études françaises), Université de Toronto, et sont librement disponibles sur le NEF <http://www.etudes-francaises.net>.
==== Introduction 1971: Le Projet Gutenberg est la première bibliothèque numérique. 1990: Le web booste l'internet. 1993: L'Online Books Page recense les ebooks gratuits. 1994: De plus en plus de textes sont disponibles en ligne. 1995: Amazon.com est la première grande librairie en ligne. 1996: Des éditeurs se lancent sur l'internet. 1997: La convergence multimédia est le sujet d'un colloque. 1998: Les bibliothèques emménagent sur le web. 1999: Les bibliothécaires deviennent cyberthécaires. 2000: L'information devient multilingue. 2001: Copyright, copyleft et Creative Commons. 2002: Le web devient une vaste encyclopédie. 2003: Les nouveautés sont en version numérique. 2004: Des auteurs sont créatifs sur le net. 2005: Google s'intéresse à l'ebook. 2006: Vers une bibliothèque numérique planétaire. 2007: Nous lisons sur divers appareils électroniques. 2008: Les ebooks sont partout. 2009: Cyberespace et société de l'information. ==== Chronologie ==== Remerciements
Le livre a beaucoup changé depuis 1971.
Le livre imprimé a cinq siècles et demi. Le livre numérique a bientôt quarante ans. Il est né avec le Projet Gutenberg, créé en juillet 1971 par Michael Hart pour distribuer gratuitement les oeuvres du domaine public par voie électronique. Mais il faut attendre le web et le premier navigateur au début des années 1990 pour que le Projet Gutenberg trouve sa vitesse de croisière.
Signe des temps, en novembre 2000, la British Library met en ligne la version numérique de la Bible de Gutenberg, premier livre à avoir jamais été imprimé. Datant de 1454 ou 1455, cette Bible aurait été imprimée par Gutenberg en 180 exemplaires dans son atelier de Mayence, en Allemagne. 48 exemplaires, dont certains incomplets, existeraient toujours, dont trois - deux version complètes et une partielle - à la British Library.
Des milliers d’oeuvres du domaine public sont en accès libre sur le web. Les libraires et les éditeurs ont pour la plupart un site web. Certains naissent directement sur le web, avec la totalité de leurs transactions s'effectuant via l’internet. De plus en plus de livres et revues ne sont disponibles qu’en version numérique, pour éviter les coûts d’une publication imprimée. On peut désormais lire un livre sur son ordinateur, sur son assistant personnel (PDA), sur son téléphone, sur son smartphone ou sur un appareil dédié.
L’internet est devenu indispensable pour se documenter, pour communiquer, pour avoir accès aux documents et pour élargir ses connaissances. Le web est devenu une gigantesque encyclopédie, une énorme bibliothèque, une immense librairie et un médium des plus complets. De statique dans les livres imprimés, l’information est devenue fluide, avec possibilité d’actualisation constante.
Nous n'avons plus besoin de courir désespérément après l'information dont nous avons besoin. L'information dont nous avons besoin est enfin à notre portée. Y compris pour ceux qui suivent leurs études par correspondance, qui vivent en rase campagne, qui travaillent à domicile ou qui sont cloués dans un lit.
Voici le voyage «virtuel» que nous allons suivre:
1971: Le Projet Gutenberg est la première bibliothèque numérique. 1990: Le web booste l'internet. 1993: L'Online Books Page recense les ebooks gratuits. 1994: De plus en plus de textes sont disponibles en ligne. 1995: Amazon.com est la première grande librairie en ligne. 1996: Des éditeurs se lancent sur l'internet. 1997: La convergence multimédia fait l'objet d'un colloque. 1998: Les bibliothèques emménagent sur le web. 1999: Les bibliothécaires deviennent cyberthécaires. 2000: L'information devient multilingue. 2001: Copyright, copyleft et Creative Commons. 2002: Le web devient une vaste encyclopédie. 2003: Les nouveautés sont en version numérique. 2004: Des auteurs sont créatifs sur le net. 2005: Google s'intéresse à l'ebook. 2006: Vers une bibliothèque numérique planétaire. 2007: Nous lisons sur divers appareils électroniques. 2008: Les ebooks sont partout. 2009: Cyberespace et société de l'information.
Sauf indication contraire, les citations présentes dans ce livre sont des extraits des Entretiens du NEF <http://www.etudes- francaises.net/entretiens/>.
= [Résumé]
Fondé par Michael Hart en juillet 1971 alors qu’il était étudiant à l’Université d’Illinois (Etats-Unis), le Projet Gutenberg a pour but de diffuser gratuitement par voie électronique le plus grand nombre possible d’oeuvres du domaine public. «Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable relation avec le papier, écrit Michael. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes oeuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte électronique une fois que les gens y sont habitués, particulièrement dans les établissements d'enseignement.» Lorsque l’utilisation du web se généralise dans les années 1990, le Projet Gutenberg trouve un second souffle et un rayonnement international. Au fil des ans, des centaines d’oeuvres sont patiemment numérisées en mode texte par des milliers de volontaires. D’abord essentiellement anglophones, les collections deviennent peu à peu multilingues. Le Projet Gutenberg Europe débute en janvier 2004. Le Projet Gutenberg franchit la barre des 20.000 titres en décembre 2006 et celle des 25.000 titres en avril 2008.
= Un pari depuis 38 ans
# Gestation
Quels furent les tous débuts du projet? Alors étudiant à l’Université d’Illinois (Etats-Unis), Michael Hart se voit attribuer quelques millions de dollars de «temps machine» dans le laboratoire informatique (Materials Research Lab) de son université. Le 4 juillet 1971, jour de la fête nationale, il saisit "The United States Declaration of Independence" (Déclaration de l’indépendance des Etats-Unis, signée le 4 juillet 1776) sur le clavier de son ordinateur. En caractères majuscules, puisque les caractères minuscules n’existent pas encore. Le texte électronique représente 5 Ko (kilo-octets). Mais l’envoi d’un fichier de 5 Ko à la centaine de personnes que représente le réseau de l’époque aurait fait imploser celui-ci, la bande passante étant infime. Michael diffuse donc un message indiquant où le texte est stocké - sans lien hypertexte toutefois, puisque le web ne voit le jour que vingt ans après - suite à quoi le fichier est téléchargé par six personnes.
Dans la foulée, Michael décide de consacrer ce crédit-temps de quelques millions de dollars à la recherche des oeuvres du domaine public disponibles en bibliothèque et à la numérisation de celles-ci. Il décide aussi de stocker les textes électroniques de la manière la plus simple possible, au format ASCII, pour que ces textes puissent être lus sans problème quels que soient la machine, la plateforme et le logiciel utilisés. Au lieu d’être un ensemble de pages reliées, le livre devient un texte électronique que l’on peut dérouler en continu, avec des lettres capitales pour les termes en italique, en gras et soulignés de la version imprimée.
Peu après, Michael définit la mission du Projet Gutenberg: mettre à la disposition de tous, par voie électronique, le plus grand nombre possible d’oeuvres du domaine public. «Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable relation avec le papier, explique-t-il plus tard, en août 1998. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes oeuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte électronique une fois que les gens y sont habitués, particulièrement dans les écoles.»
Après avoir saisi "The United States Declaration of Independence en 1971", Michael poursuit ses efforts en 1972 en saisissant un texte plus long, "The United States Bill of Rights" (Déclaration des droits américaine). Cette Déclaration des droits comprend les dix premiers amendements ajoutés en 1789 à la Constitution des Etats-Unis (qui date elle-même de 1787), et définissant les droits individuels des citoyens et les pouvoirs respectifs du gouvernement fédéral et des Etats. En 1973, un volontaire saisit "The United States Constitution" (Constitution des Etats-Unis) dans son entier.
# Persévérance
D’année en année, la capacité de la disquette augmente régulièrement - le disque dur n’existe pas encore - si bien qu'il est possible d’envisager des fichiers de plus en plus volumineux. Des volontaires entreprennent la numérisation de la Bible, composée elle-même de plusieurs livres, qui peuvent être traités séparément et occuper chacun un fichier différent.
Michael Hart débute la saisie des oeuvres complètes de Shakespeare, une pièce après l’autre, avec un fichier pour chaque pièce. Cette version n'est d’ailleurs jamais mise en ligne, du fait d’une loi plus contraignante sur le copyright entrée en vigueur dans l’intervalle, et qui vise non pas le texte de Shakespeare, tombé depuis longtemps dans le domaine public, mais les commentaires et notes de l'édition correspondante. D’autres éditions annotées appartenant au domaine public seront mises en ligne quelques années plus tard.
Parallèlement, l’internet, qui était encore embryonnaire en 1971, débute véritablement en 1974, suite à la création du protocole TCP/IP (transmission control protocol/internet protocol). En 1983, le réseau est en plein essor.
# De 10 à 1.000 ebooks
En août 1989, le Projet Gutenberg met en ligne son dixième texte, "The King James Bible", publiée pour la première fois en 1611 et dont la version la plus connue date de 1769. L'ensemble des fichiers de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament représente 5 Mo (méga- octets).
En 1990, les internautes sont au nombre de 250.000, et le standard en vigueur est la disquette de 360 Ko. En janvier 1991, Michael Hart saisit "Alice’s Adventures in Wonderland" (Alice au pays des merveilles) de Lewis Carroll (paru en 1865). En juillet de la même année, il saisit "Peter Pan" de James M. Barrie (paru en 1904). Ces deux classiques de la littérature enfantine tiennent chacun sur une disquette standard.
Arrive ensuite le web, opérationnel en 1991. Le premier navigateur, Mosaic, apparaît en novembre 1993. Lorsque l’utilisation du web se généralise, il devient plus facile de faire circuler les textes électroniques et de recruter des volontaires.
Le Projet Gutenberg rode sa méthode de travail, avec la numérisation d’un texte par mois en 1991, deux textes par mois en 1992, quatre textes par mois en 1993 et huit textes par mois en 1994.
En janvier 1994, le Projet Gutenberg fête son centième livre avec la mise en ligne de "The Complete Works of William Shakespeare" (Les oeuvres complètes de William Shakespeare). Shakespeare écrivit l'essentiel de son oeuvre entre 1590 et 1613.
La production continue ensuite d’augmenter, avec une moyenne de 8 textes par mois en 1994, 16 textes par mois en 1995 et 32 textes par mois en 1996.
Comme on le voit, entre 1991 et 1996, la production double chaque année. Tout en continuant de numériser des livres, Michael coordonne désormais le travail de dizaines de volontaires.
Depuis la fin 1993, le Projet Gutenberg s’articule en trois grands secteurs: a) Light Literature (littérature de divertissement), qui inclut par exemple "Alice’s Adventures in Wonderland", "Peter Pan" ou "Aesop’s Fables" (Les Fables d’Esope); b) Heavy Literature (littérature «sérieuse»), qui inclut par exemple La Bible, les oeuvres de Shakespeare ou "Moby Dick"; c) Reference Literature (littérature de référence), composée d’encyclopédies et de dictionnaires, par exemple le "Roget’s Thesaurus". Cette présentation en trois secteurs est abandonnée par la suite pour laisser place à un classement par rubriques plus détaillé.
Le Projet Gutenberg se veut universel, aussi bien pour les oeuvres choisies que pour le public visé, le but étant de mettre la littérature à la disposition de tous, en dépassant largement le public habituel des étudiants et des enseignants. Le secteur consacré à la littérature de divertissement est destiné à amener devant l’écran un public très divers, par exemple des enfants et leurs grands-parents recherchant le texte électronique de "Peter Pan" après avoir vu le film Hook, ou recherchant la version électronique d’"Alice au pays des merveilles" après avoir regardé l'adaptation filmée à la télévision, ou recherchant l’origine d’une citation littéraire après avoir vu un épisode de Star Trek. Pratiquement tous les épisodes de Star Trek citent des livres ayant leur correspondant numérique dans le Projet Gutenberg.
L’objectif est donc que le public, qu’il soit familier ou non avec le livre imprimé, puisse facilement retrouver des textes entendus dans des conversations, des films, des musiques, ou alors lus dans d’autres livres, journaux et magazines. Les fichiers électroniques prennent peu de place grâce à l’utilisation du format ASCII. On peut facilement les télécharger par le biais de la ligne téléphonique. La recherche textuelle est tout aussi simple. Il suffit d’utiliser la fonction «chercher» présente dans n’importe quel logiciel.
En 1997, la production est toujours de 32 titres par mois. En juin 1997, le Projet Gutenberg met en ligne "The Merry Adventures of Robin Hood" (Les aventures de Robin des Bois) de Howard Pyle (paru en 1883). En août 1997, il met en ligne son millième texte électronique, "La Divina Commedia" (La Divine Comédie) de Dante Alighieri (parue en 1321), dans sa langue d’origine, en italien.
En août 1998, Michael Hart écrit: «Mon projet est de mettre 10.000 textes électroniques sur l’internet. (Ce sera chose faite en octobre 2003, ndlr.) Si je pouvais avoir des subventions importantes, j’aimerais aller jusqu’à un million et étendre aussi le nombre de nos usagers potentiels de 1,x% à 10% de la population mondiale, ce qui représenterait la diffusion de 1.000 fois un milliard de textes électroniques, au lieu d’un milliard seulement.»
# De 1.000 à 10.000 ebooks
Entre 1998 et 2000, la moyenne est constante, avec 36 textes par mois.
En mai 1999, les collections comptent 2.000 livres. Le 2.000e texte est
Don Quijote (Don Quichotte) de Cervantès (paru en 1605), dans sa langue
d’origine, en espagnol.
Disponible en décembre 2000, le 3.000e titre est le troisième volume de "A l’ombre des jeunes filles en fleurs" de Marcel Proust (paru en 1919), dans sa langue d'origine, en français. La moyenne passe à 104 livres par mois en 2001.
Mis en ligne en octobre 2001, le 4.000e texte est "The French Immortals Series" (La série des Immortels français), dans sa traduction anglaise. Publié à Paris en 1905 par la Maison Mazarin, ce livre rassemble plusieurs fictions d’écrivains couronnés par l’Académie française, comme Emile Souvestre, Pierre Loti, Hector Malot, Charles de Bernard, Alphonse Daudet, etc.
Disponible en avril 2002, le 5.000e texte est "The Notebooks of
Leonardo da Vinci" (Les Carnets de Léonard de Vinci), qui datent du
début du 16e siècle. Un texte qui, en 2009, se trouve toujours dans le
Top 100 des livres téléchargés.
En 1988, Michael Hart choisit de numériser "Alice’s Adventures in Wonderland" et "Peter Pan" parce que, dans l’un et l’autre cas, leur version numérisée tient sur une disquette de 360 Ko, le standard de l’époque. Quinze ans plus tard, en 2002, on dispose de disquettes de 1,44 Mo et on peut aisément compresser les fichiers en les zippant. Un fichier standard peut désormais comporter trois millions de caractères, plus qu’il n’en faut pour un livre de taille moyenne, puisqu'un roman de 300 pages numérisé au format ASCII représente un mégaoctet. Un livre volumineux tient sur deux fichiers ASCII, téléchargeables tels quels ou en version zippée. Cinquante heures environ sont nécessaires pour sélectionner un livre de taille moyenne, vérifier qu’il est bien du domaine public, le scanner, le corriger, le formater et le mettre en page.
Quelques numéros de livres sont réservés pour l’avenir, par exemple le numéro 1984 (eBook #1984) pour le roman éponyme de George Orwell, publié en 1949, et qui est donc loin d’être tombé dans le domaine public.
En 2002, les collections s’accroissent de 203 titres par mois. Au printemps 2002, elles représentent le quart des oeuvres du domaine public en accès libre sur le web, recensées de manière pratiquement exhaustive par l’Internet Public Library (IPL). Un beau résultat dû au patient travail de milliers de volontaires actifs dans de nombreux pays.
1.000 livres en août 1997, 2.000 livres en mai 1999, 3.000 livres en décembre 2000, 4.000 livres en octobre 2001, 5.000 livres en avril 2002, 10.000 livres en octobre 2003. Le 10.000e livre est The Magna Carta, qui fut le premier texte constitutionnel anglais, signé en 1215.
Entre avril 2002 et octobre 2003, les collections doublent, passant de 5.000 à 10.000 livres en dix-huit mois. La moyenne mensuelle est de 348 livres numérisés en 2003.
Dix mille livres. Un chiffre impressionnant quand on pense à ce que cela représente de pages scannées, relues et corrigées. Cette croissance rapide est due à l’activité de Distributed Proofreaders (DP), un site conçu en 2000 par Charles Franks pour permettre la correction partagée. Les volontaires choisissent un livre en cours de traitement pour relire et corriger une page donnée. Chacun travaille à son propre rythme. A titre indicatif, il est conseillé de relire une page par jour. C’est peu de temps sur une journée, et c’est beaucoup pour le projet.
En août 2003, un CD "Best of Gutenberg" est disponible avec une sélection de 600 livres. En décembre 2003, date à laquelle le Projet Gutenberg franchit la barre des 10.000 livres, la quasi-totalité des livres (9.400 livres) est gravée sur un DVD. CD et DVD sont envoyés gratuitement à qui en fait la demande. Libre ensuite à chacun de faire autant de copies que possible et de les distribuer autour de soi.
# De 10.000 à 20.000 ebooks
En décembre 2003, les collections approchent les 11.000 livres. Plusieurs formats sont désormais présents, par exemple les formats HTML, XML et RTF, le format principal - et obligatoire - restant l’ASCII. Le tout représente 46.000 fichiers, soit une capacité totale de 110 gigaoctets. Le 13 février 2004, date de la conférence de Michael Hart au siège de l’UNESCO à Paris, les collections comprennent très exactement 11.340 livres dans 25 langues. En mai 2004, les 12.500 livres disponibles représentent 100.000 fichiers dans vingt formats différents, soit une capacité totale de 135 Go (giga-octets), destinée à doubler chaque année avec l’ajout d'environ 300 livres par mois (338 livres en 2004).
Parallèlement, le Project Gutenberg Consortia Center (PGCC), qui avait été lancé en 1997 pour rassembler des collections de livres numériques déjà existantes et provenant de sources extérieures, est officiellement affilié au Projet Gutenberg en 2003.
Par ailleurs, un projet européen est lancé à l’instigation du Projet Rastko, basé à Belgrade, en Serbie. Distributed Proofreaders Europe débute en décembre 2003, et Projet Gutenberg Europe en janvier 2004, avec cent livres disponibles en avril 2005. Les livres sont en plusieurs langues pour refléter la diversité linguistique prévalant en Europe, avec cent langues prévues sur le long terme.
En janvier 2005, le Projet Gutenberg fête ses 15.000 livres, avec la mise en ligne de "The Life of Reason" de George Santayana (paru en 1906).
En juin 2005, le nombre de livres s’élève à 16.000. Si 25 langues seulement étaient présentes en février 2004, 42 langues sont représentées en juin 2005, dont l’iroquois, le sanscrit et les langues mayas.En décembre 2006, on compte 50 langues. A la date du 16 décembre 2006, les langues comprenant plus de 50 titres sont l’anglais (17.377 livres), le français (966 titres), l’allemand (412 titres), le finnois (344 titres), le hollandais (244 titres), l’espagnol (140 titres), l’italien (102 titres), le chinois (69 titres), le portugais (68 titres) et le tagalogue (51 titres).
Lancé en août 2001, le Project Gutenberg Australia fête ses 500 livres en juillet 2005, tandis que le Project Gutenberg Canada est en gestation, tout comme un Projet Gutenberg au Portugal et un autre aux Philippines.
En décembre 2006, le Projet Gutenberg franchit la barre des 20.000 livres. Le 20.000e livre est un livre audio, "Twenty Thousand Leagues Under the Sea", version anglaise de "Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne" (publié en 1869). La moyenne est de 345 nouveaux livres par mois en 2006.
S'il a fallu 32 ans, de juillet 1971 à octobre 2003, pour numériser les 10.000 premiers livres, il n’aura fallu que trois ans et deux mois, d’octobre 2003 à décembre 2006, pour numériser les 10.000 livres suivants.
A la même date, le Project Gutenberg Australia approche les 1.500 livres (c'est chose faite en avril 2007) et le Projet Gutenberg Europe compte 400 livres.
La section Project Gutenberg PrePrints débute en janvier 2006 pour accueillir de nouveaux documents suffisamment intéressants pour être mis en ligne, mais ne pouvant être intégrés aux collections existantes sans traitement ultérieur par des volontaires, pour diverses raisons: collections incomplètes, qualité insuffisante, conversion souhaitée dans un autre format, etc. Cette section comprend 379 titres en décembre 2006.
# Des dizaines de milliers d'ebooks
Project Gutenberg News débute en novembre 2006 à l’instigation de Mike Cook. Il s'agit d'un site web qui complète la lettre d’information hebdomadaire et mensuelle existant depuis nombre d'années. Le site offre par exemple les statistiques de production hebdomadaires, mensuelles et annuelles depuis 2001. La production hebdomadaire est de 24 livres en 2001, 47 livres en 2002, 79 livres en 2003, 78 livres en 2004, 58 livres en 2005, 80 livres en 2006 et 78 livres en 2007. La production mensuelle est de 104 livres en 2001, 203 livres en 2002, 348 livres en 2003, 338 livres en 2004, 252 livres en 2005, 345 livres en 2006 et 338 livres en 2007. La production annuelle est de 1.244 livres en 2001, 2.432 livres en 2002, 4.176 livres en 2003, 4.058 livres en 2004, 3.019 livres en 2005, 4.141 livres en 2006 et 4.049 livres en 2007.
Le Projet Gutenberg Canada (PGC) voit le jour le 1er juillet 2007, le jour de la fête nationale, à l'instigation de Michael Shepard et David Jones. Il est suivi de Distributed Proofreaders Canada (DPC), avec une production qui débute en décembre 2007. Les cent premiers livres sont disponibles en mars 2008, avec des livres en anglais, en français et en italien.
Distributed Proofreaders (DP), lancé en octobre 2000, comptabilise 52.000 volontaires en janvier 2008, avec un nombre total de 11.950 livres traités en sept ans et trois mois. Distributed Proofreaders Europe (DP Europe), lancé en décembre 2003, comptabilise 1.500 volontaires. Distributed Proofreaders Canada (DPC), lancé en décembre 2007, comptabilise 250 volontaires.
Le Projet Gutenberg franchit la barre des 25.000 livres en avril 2008.
Le 25.000e livre est "English Book Collectors", de William Younger
Fletcher (publié en 1902).
Le Projet Gutenberg comptabilise 32.500 ebooks le 1er mars 2009 pour l'ensemble de ses sites, avec 28.147 ebooks pour le Project Gutenberg USA, 1.750 ebooks pour le Project Gutenberg Australia, 600 ebooks pour le Project Gutenberg Europe et 250 ebooks pour le Project Gutenberg Canada, auxquels il convient d'ajouter les 2.020 ebooks de la section PrePrints. Le Project Gutenberg Consortia Center (PGCC) – qui rassemble des collections de livres numérisés par d'autres sources - comptabilise 75.000 ebooks à la même date.
= Du passé vers l'avenir
Le pari fait par Michael Hart en 1971 est donc réussi, avec une progression assez impressionnante si on pense au nombre de pages relues et corrigées: 10 livres en août 1989, 100 livres en janvier 1994, 1.000 livres en août 1997, 2.000 livres en mai 1999, 3.000 livres en décembre 2000, 4.000 livres en octobre 2001, 5.000 livres en avril 2002, 10.000 livres en octobre 2003, 15.000 livres en janvier 2005, 20.000 livres en décembre 2006 et 25.000 livres en avril 2008.
Mais les résultats du Projet Gutenberg ne se mesurent pas seulement à ces chiffres, qui restent assez modestes par rapport au nombre de livres imprimés appartenant au domaine public. Les résultats se mesurent également à l’influence du projet, qui est considérable. Premier site d’information sur l’internet et première bibliothèque numérique, le Projet Gutenberg a inspiré bien d’autres bibliothèques numériques au fil des ans, par exemple le Projekt Runeberg pour la littérature scandinave ou le Projekt Gutenberg-DE pour la littérature allemande, pour n’en citer que deux.
La structure administrative et financière du Projet Gutenberg se limite au strict minimum, avec une devise qui tient en trois mots: «Less is more.» Michael Hart insiste régulièrement sur la nécessité d’un cadre aussi souple que possible laissant toute initiative aux volontaires, et la porte grande ouverte aux idées nouvelles. Le but est d’assurer la pérennité du projet indépendamment des crédits, des coupures de crédits et des priorités culturelles, financières et politiques du moment. Pas de pression possible donc par le pouvoir et par l’argent. Et respect à l’égard des volontaires, qui sont assurés de voir leur travail utilisé pendant de nombreuses années, si ce n’est pour plusieurs générations, d’où l’intérêt d’un format numérique qui soit toujours valable dans quelques siècles. Le suivi régulier du projet est assuré grâce à une lettre d’information hebdomadaire et mensuelle, des forums de discussion, des wikis et des blogs.
Les dons servent à financer des ordinateurs et des scanners, et à envoyer des CD et DVD gratuits à tous ceux qui en font la demande. Suite au CD Best of Gutenberg disponible en août 2003 avec une sélection de 600 titres et à un premier DVD disponible en décembre 2003 avec 9.400 titres, un deuxième DVD est disponible en juillet 2006 avec 17.000 titres. A partir de 2005, CD et DVD sont disponibles sous forme d'images ISO sur le site de BitTorrent, ces images pouvant être téléchargées pour graver des CD et DVD sur place à titre personnel. En 2007, le Projet Gutenberg envoie 15 millions de livres par voie postale sous forme de CD et DVD.
Chose souvent passée sous silence, Michael Hart est le véritable inventeur de l’ebook. Si on considère l’ebook dans son sens étymologique, à savoir un livre numérisé pour diffusion sous forme de fichier électronique, celui-ci aurait bientôt quarante ans et serait né avec le Projet Gutenberg en juillet 1971. Une paternité beaucoup plus réconfortante que les divers lancements commerciaux dans un format propriétaire ayant émaillé le début des années 2000. Il n’y a aucune raison pour que la dénomination «ebook» ne désigne que l’ebook commercial et soit réservée aux Amazon, Barnes & Noble, 00h00, Gemstar et autres. L’ebook non commercial est un ebook à part entière - et non un parent pauvre - tout comme l’édition électronique non commerciale est une forme d’édition à part entière - et tout aussi valable que l’édition commerciale. En 2003, les etexts du Projet Gutenberg deviennent des ebooks, pour coller à la terminologie ambiante.
En juillet 1971, l’envoi d’un fichier de 5 Ko à cent personnes aurait fait sauter l’embryon de réseau disponible à l’époque. En novembre 2002, le Projet Gutenberg peut mettre en ligne les 75 fichiers du "Human Genome Project" (à savoir le séquençage du génome humain), chaque fichier se chiffrant en dizaines sinon en centaines de méga- octets. Ceci peu de temps après la parution initiale du Human Genome Project en février 2001, puisqu’il appartient d’emblée au domaine public.
En 2004, la capacité de stockage des disques durs est telle qu’il serait possible de faire tenir l’intégralité de la Library of Congress au format texte sur un support de stockage coûtant 140 dollars US. Et quelques années seulement nous sépareraient d’une clé USB (universal serial bus) permettant de stocker l’intégralité du patrimoine écrit de l’humanité.
Qu’en est-il des documents autres que l’écrit? En septembre 2003, le Projet Gutenberg se lance dans la diffusion de livres audio. En décembre 2006, on compte 367 livres lus par une synthèse vocale (Audio Book, computer-generated) et 132 livres lus par l’être humain (Audio Book, human-read). Le nombre de ces derniers devrait régulièrement augmenter. Par contre, les livres lus par une synthèse vocale ne seront plus être stockés dans une section spécifique, mais réalisés à la demande à partir des fichiers électroniques existant dans les collections générales. Les lecteurs aveugles ou malvoyants pourront à l'avenir utiliser une commande vocale pour demander le fichier de tel ou tel livre.
Lancée elle aussi en septembre 2003, la section "Sheet Music Subproject" est consacrée aux partitions musicales numérisées (Music, Sheet). Elle est complétée par une section d’enregistrements musicaux (Music, recorded). Des sections sont également disponibles pour les images fixes (Pictures, still) et animées (Pictures, moving). Ces collections devraient être développées dans les prochaines années.
Mais la numérisation des livres reste prioritaire. Et la demande est énorme. En témoigne le nombre de téléchargements, qui se comptent désormais en dizaines de milliers par jour. A la date du 31 juillet 2005, on compte 37.532 fichiers téléchargés dans la journée, 243.808 fichiers téléchargés dans la semaine et 1.154.765 fichiers téléchargés dans le mois. A la date du 6 mai 2007, on compte 89.841 fichiers téléchargés dans la journée, 697.818 fichiers téléchargés dans la semaine et 2.995.436 fichiers téléchargés dans le mois. Courant mai, ce nombre atteint les 3 millions. Ceci uniquement pour le principal site de téléchargement, ibiblio.org (basé à l’Université de Caroline du Nord, Etats-Unis), qui héberge aussi le site du Projet Gutenberg. Le deuxième site de téléchargement est l’Internet Archive, qui est le site de sauvegarde et qui met à la disposition du Projet Gutenberg une capacité de stockage illimitée.
Un Top 100 recense les cent titres et les cent auteurs les plus téléchargés dans la journée, dans la semaine et dans le mois.
Le Projet Gutenberg dispose de 40 sites miroirs répartis dans de nombreux pays, et il en cherche d’autres. La circulation des fichiers se fait aussi en mode P2P (peer-to-peer), qui permet d’échanger des fichiers directement d’un utilisateur à l’autre.
Les livres du Projet Gutenberg peuvent aider à combler la fracture numérique. Ils sont aisément téléchargeables sur PDA. Un ordinateur ou un PDA d’occasion ne coûte que quelques dollars ou quelques dizaines de dollars, en fonction du modèle. Certains PDA fonctionnent à l’énergie solaire, permettant la lecture dans les régions pauvres et reculées.
Plus tard, il sera peut-être possible d'envisager une traduction simultanée dans une centaine de langues, en utilisant un logiciel de traduction automatique qui aurait alors un taux de fiabilité de l’ordre de 99%, un pourcentage dont on est encore loin. Ce logiciel de traduction automatique serait relayé par des traducteurs (non pas des machines, mais des êtres humains), sur un modèle comparable à la technologie OCR relayée par des correcteurs (non pas des logiciels, mais des êtres humains) pour offrir un contenu de grande qualité.
38 ans après les débuts du Projet Gutenberg, Michael Hart se définit toujours comme un fou de travail dédiant toute sa vie à son projet, qu’il voit comme étant à l’origine d’une révolution néo-industrielle. Il se définit aussi comme altruiste, pragmatique et visionnaire. Après avoir été traité de toqué pendant de nombreuses années, il force maintenant le respect.
Au fil des ans, la mission du Projet Gutenberg reste la même, à savoir changer le monde par le biais de l’ebook gratuit indéfiniment utilisable et reproductible, et favoriser ainsi la lecture et la culture pour tous à moindres frais. Cette mission se résume en quelques mots: «encourager la création et la distribution d’ebooks», par autant de personnes que possible, et par tous les moyens. Tout en prenant les virages nécessaires pour intégrer de nouvelles idées, de nouvelles méthodes et de nouveaux supports.
= [Résumé]
Vinton Cerf est souvent appelé le père de l’internet parce qu’il crée en 1974 (avec Bob Kahn) le protocole TCP/IP (transmission control protocol/internet protocol), à la base de tout échange de données. L'internet se développe à partir de 1983. Le web est conçu en 1989-90 par Tim Berners-Lee, alors chercheur au CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire) à Genève. En 1989, Tim Berners-Lee met en réseau des documents utilisant l'hypertexte. En 1990, il met au point le premier serveur HTTP (hypertext transfert protocol) et le premier navigateur web. En 1991, le web est opérationnel et change radicalement l'utilisation de l'internet. Le web prend son essor en novembre 1993 grâce à Mosaic, premier navigateur à destination du grand public. Quinze ans après la création du web, le magazine Wired constate dans son numéro d'août 2005 que «moins de la moitié du web est commercial, le reste fonctionne avec la passion». Quant à l'internet, quelque trente ans après ses débuts, «ses trois pouvoirs - l'ubiquité, la variété et l'interactivité - rendent son potentiel d'usages quasi infini» (Le Monde, 19 août 2005).
= L'internet et le web
Apparu en 1974, l’internet est d’abord un phénomène expérimental enthousiasmant quelques «branchés». A partir de 1983, il relie les centres de recherche et les universités. Suite à l’apparition du web en 1990 et du premier navigateur en 1993, il envahit notre vie quotidienne. Les signes cabalistiques des adresses web fleurissent sur les livres, les journaux, les affiches et les publicités.
La presse s’enflamme pour ce nouveau médium. L'internet est défini comme un ensemble de réseaux commerciaux, réseaux publics, réseaux privés, réseaux d'enseignement, réseaux de services, etc., qui opèrent à l'échelle planétaire pour offrir d'énormes ressources en information et en communication. On nous promet l'internet dans tous les foyers. On parle de mariage de l'ordinateur et de la télévision avec écrans interchangeables ou intégrés, et d'accès à l'internet par le même biais que la télévision câblée.
La majuscule d’origine d’Internet s’estompe. Internet devient l’internet, avec un «i» minuscule. De nom propre il devient nom commun, au même titre que l’ordinateur, le téléphone, le fax et le minitel. La même remarque vaut pour le World Wide Web, qui devient tout simplement le web.
Une définition officielle de l'internet est entérinée en octobre 1995 aux Etats-Unis par une résolution du Federal Networking Council (FNC), en consultation avec les différentes communautés d'internautes et les organismes défendant la propriété intellectuelle. L'internet est défini comme un système d'information global obéissant aux trois caractéristiques suivantes: (a) des adresses d'un type unique basées sur le protocole IP (internet protocol) ou ses extensions, (b) des communications utilisant le TCP/IP (transmission control protocol/internet protocol), ses extensions ou des protocoles compatibles, (c) la mise à disposition de services publics ou privés à partir de ces infrastructures.
C'est le web qui rend l'internet très populaire et qui permet sa gigantesque progression. Directeur de l'Internet Activities Board (IAB), Christian Huitema explique que le World Wide Web «repose sur trois idées principales, la navigation par "hypertexte", le support du multimédia, et l'intégration des services préexistants».
Plus communément appelé web, Web, WWW ou W3, le World Wide Web est créé par Tim Berners-Lee en 1989-1990 au CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire) à Genève, en Suisse. Le web révolutionne la consultation de l'internet en permettant la publication de documents au moyen du système hypertexte, à savoir un ensemble de liens hypertextes permettant de passer d'un document textuel ou visuel à l'autre au moyen d'un simple clic de souris. Devenue véritablement interactive, l'information devient soudain beaucoup plus attractive.
Un site web est le plus souvent formé d'un ensemble de pages-écran reliées entre elles par des liens hypertextes, qui sont en général soulignés et d'une couleur différente de celle du texte. Grâce à un simple clic, l'utilisateur est renvoyé soit à une autre partie du document, soit à un autre document du site, soit à un autre site. Cette interactivité est ensuite encore accrue par la possibilité de liens hypermédia permettant de lier des textes et des images avec des graphiques, vidéos ou bandes sonores.
Comme on le voit, le web est très postérieur à l'internet, réseau informatique global mis sur pied en 1974 et connectant universités et centres de recherche depuis 1983. Et même si, improprement, on les considère souvent comme synonymes, le web n'est qu'un des aspects de l'internet, qui englobe plusieurs autres services: courriel, gopher, telnet (terminal network protocol), FTP (file transfer protocol), IRC (internet relay chat), forums de discussion, messagerie instantanée, visioconférence, téléphonie sur IP (internet protocol), etc.
Le web bénéficie logiquement de l'infrastructure internet, particulièrement aux Etats-Unis et au Canada. A la question posée en décembre 1997 par Pierre Ruetschi, journaliste à la Tribune de Genève, un quotidien suisse: «Pourquoi l'Europe a-t-elle accumulé un tel retard sur les Etats-Unis en matière de présence et de développement sur l'internet?», Tim Berners-Lee répond en expliquant l'avance des Etats- Unis par les énormes investissements faits par l'État. Il insiste aussi sur l'avance technologique de l'Europe dans plusieurs domaines: minitel, cartes à puce, téléphones cellulaires, etc.
On se plaint souvent de l'hégémonie américaine alors que il s'agit surtout d'une avance technique. Malgré tous les efforts des «dynosaures» politiques et commerciaux, il est impossible à quelque pays ou à quelque communauté que ce soit de «mettre la main» sur le web, ou du moins de le contrôler totalement.
Développé par le NSCA (National Center for Supercomputing Applications) à l'Université d'Illinois et distribué gratuitement à partir de novembre 1993, Mosaic est le premier logiciel de navigation destiné au grand public et contribue largement au développement rapide du web. Début 1994, une partie de l'équipe de Mosaic émigre dans la Netscape Communications Corporation pour commercialiser son logiciel sous le nom de Nescape Navigator. En 1995, pour concurrencer le Netscape Navigator, Microsoft crée l'Internet Explorer. Viennent ensuite d'autres navigateurs, comme Opera ou Safari.
Deux étudiants de l'Université de Stanford (Californie), Jerry Lang et David Filo, lancent en janvier 1994 l'annuaire Yahoo! pour recenser les sites web et les classer par thèmes. L'annuaire est un succès, avec un classement plus pointu que celui de moteurs de recherche comme AltaVista, où ces tâches sont entièrement automatisées. Divisé en 63 grandes catégories (en 1998), Yahoo! offre une interface en plusieurs langues: anglais, allemand, coréen, français, japonais, norvégien et suédois. Yahoo! travaille d'ailleurs de concert avec AltaVista. Quand une recherche ne donne pas de résultat dans l'un, elle est automatiquement aiguillée sur l'autre.
En décembre 1997, AltaVista propose AltaVista Translation, un service de traduction automatisée de l'anglais vers les langues suivantes: allemand, espagnol, français, italien et portugais, et vice versa. Bien qu'ayant ses limites, avec une traduction de trois pages maximum et un texte traduit très approximatif, ce service est immédiatement très apprécié. De plus, il ouvre la voie à d'autres services du même genre et contribue grandement au plurilinguisme du web.
= Quelques concepts
L'internet est bien plus qu'une invention purement technique. Sur le site de l'Internet Society, organisme professionnel international fondé en 1992 pour coordonner et promouvoir le développement de l'internet, le document "The Brief History of Internet" propose de l'internet une triple définition. L'internet est: (a) un instrument de diffusion internationale, (b) un mécanisme de diffusion de l'information, (c) un moyen de collaboration et d'interaction entre les individus et les ordinateurs, indépendamment de leur situation géographique.
Selon ce document, bien plus que toute autre invention (télégraphe, téléphone, radio ou ordinateur), l'internet révolutionne de fond en comble le monde des communications. Il représente l'un des exemples les plus réussis d'interaction entre un investissement soutenu dans la recherche et le développement d'une infrastructure de l'information, tous deux l'objet d'un réel partenariat entre les gouvernements, les universités et les entreprises.
Sur le site du World Wide Web Consortium (W3C), fondé en octobre 1994 pour développer les protocoles communs nécessaires au web, l'écrivain Bruce Sterling décrit le développement spectaculaire de l'internet dans le document "Short History of the Internet". L'internet se développe plus vite que les téléphones cellulaires ou les télécopieurs. En 1996, sa croissance est de 20% par mois. Le nombre des machines ayant une connexion directe TCP/IP a doublé depuis 1988. D'abord présent dans l'armée et les instituts de recherche, l'internet déferle dans les écoles, les universités et les bibliothèques, et il est également pris d'assaut par le secteur commercial.
Bruce Sterling s'intéresse aussi aux raisons pour lesquelles on se connecte à l'internet. Une des raisons essentielles lui semble être la liberté. L'internet est un exemple d'«anarchie réelle, moderne et fonctionnelle». Il n'y a pas de censeurs officiels (tout au moins les premières années, NDLR), de patrons, de comités de direction ou d'actionnaires. Toute personne peut parler d'égale à égale avec une autre, du moment qu'elle se conforme aux protocoles TCP/IP, des procotoles qui ne sont pas sociaux ou politiques mais strictement techniques.
Bruce Sterling indique enfin que l'internet est aussi une bonne affaire commerciale. Contrairement à la téléphonie traditionnelle (de l'époque, NDLR), il n'y a pas de frais longue distance. Et, contrairement aux réseaux informatiques commerciaux, il n'y pas de frais d'accès. En fait, l'internet, qui n'existe même pas officiellement en tant qu'entité, n'a pas de facturation propre. Chaque groupe ayant accès à l'internet est responsable de ses propres machines et de ses propres connexions.
L'internet concurrence-t-il la télévision et de la lecture? se demandent avec inquiétude les médias traditionnels. Au Québec, où 30,7% de la population est connectée à l'internet en mars 1998, un sondage réalisé par l'institut Som pour le magazine en ligne Branchez-vous! indique que 28,8% des Québécois connectés regardent moins la télévision qu'avant. Par contre, seuls 12,1% lisent moins, ce qui, d'après le quotidien en ligne Multimédium, est «plutôt encourageant pour le ministère de la Culture et des Communications qui a la double tâche de favoriser l'essor de l'inforoute et celui… de la lecture!»
En France, lors d'un entretien avec Annick Rivoire publié dans le quotidien Libération du 16 janvier 1998, le philosophe Pierre Lévy explique que l'internet va contribuer à la fin des monopoles: «Le réseau désenclave, donne plus de chance aux petits. On crie "ah! le monopole de Microsoft", mais on oublie de dire que l'internet sonne la fin du monopole de la presse, de la radio et de la télévision, et de tous les intermédiaires.» Pierre Lévy définit aussi ce qu'il appelle «l'intelligence collective»: «Les réseaux permettent de mettre en commun nos mémoires, nos compétences, nos imaginations, nos projets, nos idées, et de faire en sorte que toutes les différences, les singularités se relancent les unes les autres, entrent en complémentarité, en synergie.»
Le philosophe Timothy Leary constate en 1994 dans son livre "Chaos et cyberculture": «Jamais l'individu n'a eu à sa portée un tel pouvoir. Mais, à l'âge de l'information, il faut saisir les signaux. Populariser signifie "rendre accessible au peuple". Aujourd'hui, le rôle du philosophe est de personnaliser, de populariser et d'humaniser les concepts informatiques, de façon à ce que personne ne se sente exclu.»
Il nous faut cependant garder la tête froide. Pour contrer à la fois ceux qui mettent les technologies sur un piédestal et ceux qui y sont systématiquement hostiles, un mouvement appelé Technorealism est lancé sur le web en mars 1998 aux Etats-Unis. Les idées émises dans "Technorealism Overview" sont ensuite reprises au Québec dans le "Manifeste pour un technoréalisme". Ce manifeste s'appuie sur les huit principes suivants: (1) les technologies ne sont pas neutres, (2) l'internet est un média révolutionnaire, mais ce n'est pas une utopie, (3) le gouvernement a un rôle important à jouer dans le cyberespace, (4) l'information n'est pas un gage de connaissance, (5) brancher les écoles n'assurera pas une éducation de meilleure qualité, (6) l'information doit être protégée (en relation avec le droit d'auteur, NDLR), (7) les ondes sont du domaine public et c'est le public qui devrait en tirer les bénéfices, (8) une bonne compréhension des technologies devrait constituer un des fondements de la citoyenneté.
Selon ce manifeste, «plus le cyberespace devient populaire, plus il ressemble à la société réelle dans toute sa complexité. Chacun des côtés positifs ou habilitants de la vie en ligne est accompagné de dimensions malicieuses, perverses. (…) Contrairement à ce que certains prétendent, le cyberespace n'est pas un lieu distinct qui serait régi par des règles distinctes de celles de la société civile. Les gouvernements doivent respecter les règles et coutumes nées avec le cyberespace, mais cela ne veut pas dire pour autant que le public n'a aucun droit sur un citoyen qui déraille ou une entreprise qui commet une fraude. En tant que représentant du peuple et gardien des valeurs démocratiques, l'État a le droit et la responsabilité d'aider à intégrer le cyberespace à la société civile. (…) Peu importe la puissance de nos ordinateurs, nous ne devrions jamais nous en servir pour pallier la lucidité, le raisonnement et le jugement.»
Le web est toutefois une formidable aventure. Selon les termes mêmes de Tim Berners-Lee, son inventeur, «le rêve derrière le web est un espace d’information commun dans lequel nous communiquons en partageant l’information. Son universalité est essentielle, à savoir le fait qu’un lien hypertexte puisse pointer sur quoi que ce soit, quelque chose de personnel, de local ou de global, aussi bien une ébauche qu’une réalisation très sophistiquée. Deuxième partie de ce rêve, le web deviendrait d'une utilisation tellement courante qu'il serait un miroir réaliste (sinon la principale incarnation) de la manière dont nous travaillons, jouons et nouons des relations sociales. Une fois que ces interactions seraient en ligne, nous pourrions utiliser nos ordinateurs pour nous aider à les analyser, donner un sens à ce que nous faisons, et voir comment chacun trouve sa place et comment nous pouvons mieux travailler ensemble.» ("The World Wide Web: A very short personal history", avril 1998, disponible sur le site web du W3C)
= [Résumé]
L'Online Books Page est créée en janvier 1993 par John Mark Ockerbloom pour répertorier les textes électroniques anglophones du domaine public en accès libre sur le web. A cette date, John Mark est doctorant à l’Université Carnegie Mellon (Etats-Unis). En 1999, il rejoint l’Université de Pennsylvanie pour travailler à la R&D (recherche et développement) de la bibliothèque numérique. A la même époque, il y transfère l'Online Books Page tout en gardant la même présentation, très sobre, et tout en poursuivant son travail d’inventaire dans le même esprit. En 2003, ce répertoire fête ses dix ans d'existence et recense plus de 20.000 textes électroniques, dont 4.000 textes publiés par des femmes. En décembre 2006, il recense 25.000 titres. Fin 2007, il compte 30.000 titres, dont 7.000 titres du Projet Gutenberg.
= [Texte]
Alors que certains numérisent les oeuvres du domaine public, comme le Projet Gutenberg et des projets connexes, d'autres se donnent pour tâche de répertorier celles qui sont en accès libre sur le web, en offrant au lecteur un point d’accès commun. C’est le cas de John Mark Ockerbloom, doctorant à l’Université Carnegie Mellon (Pittsburgh, Pennsylvanie, Etats-Unis), qui crée l’Online Books Page pour recenser les oeuvres anglophones.
Cinq ans plus tard, en septembre 1998, John Mark relate: «J’étais webmestre ici pour la section informatique de la CMU (Carnegie Mellon University), et j’ai débuté notre site local en 1993. Il comprenait des pages avec des liens vers des ressources disponibles localement, et à l’origine l’Online Books Page était l’une de ces pages, avec des liens vers des livres mis en ligne par des collègues de notre département (par exemple Robert Stockton, qui a fait des versions web de certains textes du Projet Gutenberg). Ensuite les gens ont commencé à demander des liens vers des livres disponibles sur d’autres sites. J’ai remarqué que de nombreux sites (et pas seulement le Projet Gutenberg ou Wiretap) proposaient des livres en ligne, et qu’il serait utile d’en avoir une liste complète qui permette de télécharger ou de lire des livres où qu’ils soient sur l’internet. C’est ainsi que mon index a débuté. J’ai quitté mes fonctions de webmestre en 1996, mais j’ai gardé la gestion de l’Online Books Page, parce qu’entre temps je m’étais passionné pour l’énorme potentiel qu’a l’internet de rendre la littérature accessible au plus grand nombre. Maintenant il y a tant de livres mis en ligne que j’ai du mal à rester à jour. Je pense pourtant poursuivre cette activité d’une manière ou d’une autre. Je suis très intéressé par le développement de l’internet en tant que médium de communication de masse dans les prochaines années. J’aimerais aussi rester impliqué dans la mise à disposition gratuite de livres sur l’internet, que ceci fasse partie intégrante de mon activité professionnelle, ou que ceci soit une activité bénévole menée sur mon temps libre.»
Fin 1998, John Mark Ockerbloom obtient son doctorat en informatique. En 1999, il rejoint l’Université de Pennsylvanie, où il travaille à la R&D (recherche et développement) de la bibliothèque numérique. A la même époque, il y transfère l’Online Books Page tout en gardant la même présentation, très sobre, et tout en poursuivant son travail d’inventaire dans le même esprit. Ce répertoire recense 12.000 textes en ligne en 1999, 20.000 textes en 2003, dont 4.000 textes publiés par des femmes, 25.000 textes en 2006 et 30.000 textes en 2007, dont 7.000 textes du Projet Gutenberg.
En 1999, le débat fait rage sur le durcissement de la loi de 1976 sur le copyright par un amendement daté du 27 octobre 1998. De nombreuses oeuvres censées tomber dans le domaine public restent désormais sous copyright, au grand dam de Michael Hart, fondateur du Projet Gutenberg, de John Mark Ockerbloom et de bien d'autres.
John Mark explique en août 1999: «A mon avis, il est important que les internautes comprennent que le copyright est un contrat social conçu pour le bien public - incluant à la fois les auteurs et les lecteurs. Ceci signifie que les auteurs doivent avoir le droit d'utiliser de manière exclusive et pour un temps limité les oeuvres qu'ils ont créées, comme ceci est spécifié dans la loi actuelle sur le copyright. Mais ceci signifie également que leurs lecteurs ont le droit de copier et de réutiliser ce travail autant qu'ils le veulent à l'expiration de ce copyright. Aux Etats-Unis, on voit maintenant diverses tentatives visant à retirer ces droits aux lecteurs, en limitant les règles relatives à l'utilisation de ces oeuvres, en prolongeant la durée du copyright (y compris avec certaines propositions visant à le rendre permanent) et en étendant la propriété intellectuelle à des travaux distincts des oeuvres de création (comme on en trouve dans les propositions de copyright pour les bases de données). Il existe même des propositions visant à entièrement remplacer la loi sur le copyright par une loi instituant un contrat beaucoup plus lourd. Je trouve beaucoup plus difficile de soutenir la requête de Jack Valenti, directeur de la MPAA (Motion Picture Association of America), qui demande d'arrêter de copier les films sous copyright, quand je sais que, si ceci était accepté, aucun film n'entrerait jamais dans le domaine public (…). Si on voit les sociétés de médias tenter de bloquer tout ce qu'elles peuvent, je ne trouve pas surprenant que certains usagers réagissent en mettant en ligne tout ce qu'ils peuvent. Malheureusement, cette attitude est à son tour contraire aux droits légitimes des auteurs.»
Comment résoudre cela pratiquement? «Ceux qui ont des enjeux dans ce débat doivent faire face à la réalité, et reconnaître que les producteurs d'oeuvres et leurs usagers ont tous deux des intérêts légitimes dans l'utilisation de celles-ci. Si la propriété intellectuelle était négociée au moyen d'un équilibre des principes plutôt que par le jeu du pouvoir et de l'argent que nous voyons souvent, il serait peut-être possible d'arriver à un compromis raisonnable.»
= [Résumé]
Au début des années 1990, les premières éditions électroniques de journaux sont disponibles par le biais de services commerciaux tels que America Online ou CompuServe. Avec l'apparition du premier navigateur fin 1993 et la croissance rapide du web qui s'ensuit, nombre de zines non commerciaux naissent sous forme électronique, et les organes de presse commerciaux créent aussi leurs propres sites. Par ailleurs, certains éditeurs mettent certains de leurs titres sur le web, avec accès libre et gratuit, dans l'espoir de voir les ventes des versions imprimées augmenter. La NAP (National Academy Press) est la première à prendre un tel risque, dès 1994, avec un pari gagné. Elle est suivie par la MIT Press (MIT: Massachusetts Institute of Technology) en 1995.
= E-zines
Les premiers titres purement électroniques sont des oeuvres courtes, répertoriées dans l’E-zine-list, une liste créée en été 1993 par John Labovitz. Abrégé de fanzine ou magazine, un zine est généralement l’oeuvre d’une personne ou d’un petit groupe. Quant au e-zine, abrégé de zine électronique, il est uniquement diffusé par courriel ou sur un site web. Le plus souvent, il ne contient pas de publicité, ne vise pas un profit commercial et n’est pas dirigé vers une audience de masse.
Comment l’E-zine-list débute-t-elle? Dans l’historique présent sur le site, John Labovitz relate qu’à l’origine son intention est de faire connaître Crash, un zine imprimé dont il souhaite faire une version électronique. A la recherche de répertoires, il ne trouve que le groupe de discussion Alt.zines, et des archives comme The Well et The Etext Archives. Lui vient alors l’idée d’un répertoire organisé. Il commence avec douze titres classés manuellement sur un traitement de texte. Puis il écrit sa propre base de données. En quatre ans, de 1993 à 1997, les quelques dizaines d'e-zines deviennent plusieurs centaines, et la signification même d’e-zine s’élargit pour recouvrir tout type de publication publiée par voie électronique, même s’«il subsiste toujours un groupe original et indépendant désormais minoritaire qui continue de publier suivant son coeur ou de repousser les frontières de ce que nous appelons un e-zine». En été 1998, l’E-zine-list comprend 3.000 titres.
= La presse en ligne
Le développement de la presse en ligne (dans les années 1990) est intéressant parce qu’il préfigure celui du livre en ligne (dans les années 2000).
Au début des années 1990, les premières éditions électroniques de journaux sont disponibles par le biais de services commerciaux tels que America Online ou CompuServe. Suite à l'apparition du premier navigateur fin 1993 et à la croissance rapide du web qui s'ensuit, les organes de presse créent leurs propres sites.
Au Royaume-Uni, le Times et le Sunday Times font web commun sur un site dénommé Times Online, avec possibilité de créer une édition personnalisée.
Aux Etats-Unis, la version en ligne du Wall Street Journal est payante, avec 100.000 abonnés en 1998. Celle du New York Times est disponible sur abonnement gratuit. Le Washington Post propose l’actualité quotidienne en ligne et de nombreux articles archivés, le tout avec images, sons et vidéos. Pathfinder (rebaptisé ensuite Time) est le site web du groupe Time-Warner, éditeur de Time Magazine, Sports Illustrated, Fortune, People, Southern Living, Money, Sunset, etc. On peut y lire les articles «maison» et les rechercher par date ou par sujet. Lancé en 1992 en Californie, Wired, premier magazine imprimé entièrement consacré à la culture cyber, est bien évidemment présent sur le web.
Mis en ligne en février 1995, le site web du mensuel Le Monde diplomatique est le premier site d’un périodique imprimé français. Monté dans le cadre d’un projet expérimental avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA), ce site est inauguré lors du forum des images Imagina. Il donne accès à l’ensemble des articles depuis janvier 1994, par date, par sujet et par pays. L’intégralité du mensuel en cours est consultable gratuitement pendant deux semaines suivant sa parution. Un forum de discussion permet au journal de discuter avec ses lecteurs.
Fin 1995, le quotidien Libération met en ligne son site web, peu après le lancement du Cahier Multimédia, un cahier imprimé hebdomadaire inclus dans l’édition du jeudi. Le site propose la Une du quotidien, la rubrique Multimédia (qui regroupe les articles du Cahier Multimédia et les archives des cahiers précédents), le Cahier Livres complété par Chapitre Un (le premier chapitre des nouveautés retenues par le quotidien), et bien d’autres rubriques. La rubrique Multimédia est ensuite rebaptisée Numériques.
Le site du quotidien Le Monde est lancé en 1996. On y trouve des dossiers en ligne, la Une en version graphique à partir de 13 h, l’intégralité du journal avant 17 h, l’actualité en liaison avec l’AFP (Agence France-Presse), et des rubriques sur la Bourse, les livres, le multimédia et les sports. En 1998, le journal complet en ligne coûte 5 FF (0,76 euros) alors que l’édition papier coûte 7,50 FF (1,15 euros). S’ils concernent le multimédia, les articles du supplément imprimé hebdomadaire Télévision-Radio-Multimédia sont disponibles gratuitement en ligne dans la rubrique Multimédia, rebaptisée ensuite Nouvelles technologies.
L’Humanité est le premier quotidien français à proposer la version intégrale du journal en accès libre. Classés par rubriques, les articles sont disponibles entre 10 h et 11 h du matin, à l’exception de L’Humanité du samedi, disponible en ligne le lundi suivant. Tous les articles sont archivés sur le site.
La presse régionale est tout aussi présente sur le web, par exemple
Dernières nouvelles d’Alsace et Ouest-France.
Lancé en septembre 1995, le site des Dernières nouvelles d’Alsace propose l’intégrale de l’édition du jour ainsi que des informations pratiques: cours de la Bourse, calcul des impôts, etc., avec 5.500 visites quotidiennes en juin 1998. Il offre aussi une édition abrégée en allemand.
Le site web du quotidien Ouest-France est mis en ligne en juillet 1996. D’abord appelé France-Ouest, le site est ensuite renommé Ouest-France, du nom du journal.
Quelles sont les retombées de l’internet pour les journalistes? Selon Bernard Boudic, le responsable éditorial du site, interviewé en juin 1998, «elles sont encore minces (en juin 1998, NDLR). Nous commençons seulement à offrir un accès internet à chacun (rédaction d’Ouest- France: 370 journalistes répartis dans soixante rédactions, sur douze départements… pas simple). Certains utilisent internet pour la messagerie électronique (courrier interne ou externe, réception de textes de correspondants à l’étranger, envoi de fichiers divers) et comme source d’informations. Mais cette pratique demande encore à s’étendre et à se généraliser. Bien sûr, nous réfléchissons aussi à tout ce qui touche à l’écriture multimédia et à sa rétro-action sur l’écriture imprimée, aux changements d’habitudes de nos lecteurs, etc. (…)
Internet est à la fois une menace et une chance. Menace sur l’imprimé, très certainement (captation de la pub et des petites annonces, changement de réflexes des lecteurs, perte du goût de l’imprimé, concurrence d’un média gratuit, que chacun peut utiliser pour diffuser sa propre info, etc.). Mais c’est aussi l’occasion de relever tous ces défis, de rajeunir la presse imprimée.»
Tous sujets que l'on retrouve quelques années plus tard dans les débuts du livre numérique: rapport accru de l'auteur avec ses lecteurs, nécessité d'une formation technique, version payante et/ou version gratuite, version numérique et/ou version imprimée, etc.
= Livres gratuits / payants
La publication en ligne d’un livre à titre gratuit nuit-elle aux ventes de la version imprimée ou non? La National Academy Press (NAP) est la première à prendre un tel risque, dès 1994, avec un pari gagné.
«A première vue, cela paraît illogique», écrit Beth Berselli, journaliste au Washington Post, dans un article repris par le Courrier international de novembre 1997. «Un éditeur de Washington, la National Academy Press (NAP), qui a publié sur internet 700 titres de son catalogue actuel, permettant ainsi à tout un chacun de lire gratuitement ses livres, a vu ses ventes augmenter de 17% l’année suivante. Qui a dit que personne n’achèterait la vache si on pouvait avoir le lait gratuitement?»
Une politique atypique porte donc ses fruits. Editeur universitaire, la National Academy Press (qui devient ensuite la National Academies Press) publie environ 200 livres par an, essentiellement des ouvrages scientifiques et techniques et des ouvrages médicaux. En 1994, l'éditeur choisit de mettre en accès libre sur le web le texte intégral de plusieurs centaines de livres, afin que les lecteurs puissent les «feuilleter» à l’écran, comme ils l’auraient fait dans une librairie, avant de les acheter ensuite si utile. La NAP est le premier éditeur à se lancer dans un tel pari, une initiative saluée par les autres maisons d’édition, qui hésitent cependant à se lancer elles aussi dans l’aventure, et ce pour trois raisons: le coût excessif qu’entraîne la mise en ligne de milliers de pages, les problèmes liés au droit d’auteur, et enfin une «concurrence» qu’ils estiment nuisible à la vente.
Dans le cas de la NAP, ce sont les auteurs eux-mêmes qui, pour mieux faire connaître leurs livres, demandent à ce que ceux-ci soient mis en ligne sur le site. Pour l’éditeur, le web est un nouvel outil de marketing face aux 50.000 ouvrages publiés chaque année aux Etats-Unis. Une réduction de 20% est accordée pour toute commande effectuée en ligne. La présence de ces livres sur le web entraîne aussi une augmentation des ventes par téléphone. En 1998, le site de la NAP propose le texte intégral d’un millier de titres. La solution choisie par la NAP est également adoptée dès 1995 par la MIT Press, qui voit rapidement ses ventes doubler pour les livres disponibles en version intégrale sur le web.
= [Résumé]
En juillet 1995, Jeff Bezos fonde à Seattle (Etats-Unis) la librairie en ligne Amazon.com, que le public appellera tout simplement Amazon. Amazon débute avec dix salariés et trois millions d’articles, et devient vite un géant du commerce électronique. Cinq ans plus tard, en novembre 2000, la société compte 7.500 salariés, 28 millions d’articles, 23 millions de clients et quatre filiales au Royaume-Uni (filiale ouverte en octobre 1998), en Allemagne (filiale ouverte à la même date), en France (filiale ouverte en août 2000) et au Japon (filiale ouverte en novembre 2000). Une cinquième filiale est ouverte au Canada (en juin 2002), suivie d’une sixième filiale, Joyo, en Chine (en septembre 2004). Au 3e trimestre 2003, la société devient bénéficiaire pour la première fois. Présent dans sept pays et devenu une référence mondiale du commerce en ligne (avec eBay), Amazon fête ses dix ans d’existence en juillet 2005, avec 9.000 salariés et 41 millions de clients actifs, attirés par des produits attirés par des produits culturels, high-tech et autres aux prix attractifs et une livraison en 48 heures maximum dans les pays hébergeant une plateforme Amazon.
= Aux Etats-Unis
# Débuts
Un nouveau type de librairie naît sur le web au milieu des années 1990. Ces librairies n’ont ni murs, ni vitrine, ni enseigne sur la rue, et toutes leurs transactions s’effectuent via l'internet. C’est le cas d’Amazon.com qui, sous la houlette de Jeff Bezos, ouvre ses portes «virtuelles» en juillet 1995 avec un catalogue de trois millions de livres et dix salariés basés à Seattle, dans l’Etat de Washington, sur la côte ouest des Etats-Unis.
Quinze mois auparavant, au printemps 1994, Jeff Bezos fait une étude de marché pour décider du meilleur «produit» à vendre sur l’internet. Dans sa liste de vingt produits marchands, qui comprennent entre autres les vêtements et les instruments de jardinage, les cinq premiers du classement se trouvent être les livres, les CD, les vidéos, les logiciels et le matériel informatique.
«J’ai utilisé tout un ensemble de critères pour évaluer le potentiel de chaque produit, relate Jeff Bezos en 1997 dans le kit de presse d’Amazon. Le premier critère a été la taille des marchés existants. J’ai vu que la vente des livres représentait un marché mondial de 82 milliards de dollars US. Le deuxième critère a été la question du prix. Je voulais un produit bon marché. Mon raisonnement était le suivant: puisque c’était le premier achat que les gens allaient faire en ligne, il fallait que la somme à payer soit modique. Le troisième critère a été la variété dans le choix: il y avait trois millions de titres pour les livres alors qu’il n’y avait que 300.000 titres pour les CD, par exemple.»
# Expansion
Au printemps 1997, Amazon décide de s'inspirer du système d'«associés» en ligne lancé quelques mois auparavant par la grande librairie en ligne britannique Internet Bookshop. Tout possesseur d'un site web peut vendre des livres appartenant au catalogue d'Amazon et toucher un pourcentage de 15% sur les ventes. L'«associé(e)» sélectionne les titres du catalogue qui l'intéressent, en fonction de ses centres d'intérêt, et rédige ses propres résumés. Amazon reçoit les commandes par son intermédiaire, expédie les livres, rédige les factures et lui envoie un rapport hebdomadaire d'activité avec règlement correspondant. Au printemps 1998, le réseau d'Amazon compte plus de 30.000 sites affiliés.
A la même date, outre les livres, on trouve aussi des CD, des DVD, des jeux informatiques, etc., avec un catalogue qui serait au moins dix fois supérieur à celui des plus grandes chaînes de supermarchés. On peut consulter le catalogue à l’écran, lire le résumé des livres choisis ou même des extraits, puis passer sa commande en ligne. Très attractif, le contenu éditorial du site change quotidiennement et se veut un magazine littéraire en ligne, avec des conseils de lecture, des articles émanant de journalistes connus (qui travaillaient auparavant dans la presse imprimée), des entretiens avec des auteurs et des commentaires de lecteurs.
L'évolution rapide d'Amazon en tant que pionnier d’un nouveau modèle économique est suivie de près par des analystes de tous bords, tout comme sa popularité auprès d'un public qui s'habitue aux achats en ligne. En 1998, avec 1,5 million de clients dans 160 pays et une très bonne image de marque, Amazon est régulièrement cité comme un symbole de réussite dans le cybercommerce. Si la librairie en ligne est toujours déficitaire, sa cotation boursière est excellente suite à une introduction à la Bourse de New York en mai 1997.
Avant qu'Amazon n'assoie définitivement sa suprématie nationale, le libraire en ligne se lance dans une guerre des prix avec son principal concurrent aux Etats-Unis, Barnes & Noble.com, à la grande joie des clients qui profitent de cette course aux rabais pour faire une économie de 20 à 40% sur certains titres. Contrairement à Amazon, librairie uniquement «virtuelle», Barnesandnoble.com s'appuie sur la grande chaîne de librairies traditionnelles Barnes & Noble (B&N) qui, en 1997, comprend 480 librairies «en dur» réparties dans tout le pays. Barnes & Noble lance sa librairie en ligne en mai 1997, en partenariat avec le géant des médias allemand Bertelsmann, mais rachètera la part détenue par Bertelsmann (36,8%) en juillet 2003 pour 164 millions de dollars US.
= En Europe
La présence européenne d’Amazon débute en octobre 1998, avec les deux premières filiales implantées simultanément en Allemagne et au Royaume- Uni.
En août 2000, Amazon compte 1,8 million de clients au Royaume-Uni, 1,2 million de clients en Allemagne et quelques centaines de milliers de clients en France. Amazon ouvre sa troisième filiale européenne, Amazon France, avec livres, musique, DVD et vidéos (auxquels viennent s'ajouter logiciels et jeux vidéos en juin 2001), et livraison en 48 heures. A cette date, la vente de livres en ligne en France ne représente que 0,5% du marché, contre 5,4% aux Etats-Unis.
Préparée dans le plus grand secret, l'ouverture d'Amazon France n'est rendue publique que le 23 août 2000. Avec une centaine de salariés, dont certains ont été envoyés en formation au siège du groupe à Seattle (Etats-Unis), la filiale française s'installe à Guyancourt, en région parisienne, pour l'administration, les services techniques et le marketing. Son service de distribution est basé à Boigny-sur-Bionne, dans la banlieue d'Orléans. Son service clients est basé à La Haye, aux Pays-Bas, dans l'optique d'une expansion future d'Amazon en Europe.
Amazon France compte au moins quatre rivaux de taille dans l'hexagone:
Fnac.com, Alapage, Chapitre.com et BOL.fr.
Le service en ligne Fnac.com s'appuie sur le réseau des librairies Fnac, réparti sur toute la France et dans quelques autres pays européens, et qui appartient au groupe Pinault-Printemps-Redoute.
Alapage, librairie en ligne fondée en 1996 par Patrice Magnard, rejoint le groupe France Télécom en septembre 1999 puis devient en juillet 2000 une filiale à part entière de Wanadoo, le fournisseur d’accès internet de France Télécom.
Chapitre.com est une librairie en ligne indépendante créée en 1997 par
Juan Pirlot de Corbion.
BOL.fr est la succursale française de BOL.com (BOL: Bertelsmann On Line), lancée en août 1999 par Bertelsmann, géant allemand des médias, en partenariat avec Vivendi, multinationale française.
Un mois après son lancement en août 2000, Amazon.fr est à la seconde place des sites de biens culturels français. Selon les chiffres publiés le 24 octobre 2000 par Media Metrix Europe, société d'étude d'audience de l'internet, le site a reçu 217.000 visites uniques en septembre 2000, juste devant Alapage (209.000 visites) mais loin derrière Fnac.com (401.000 visites). Suivent Cdiscount.com (115.000 visites) et BOL.fr (74.000 visites).
Contrairement à leurs homologues anglophones, les librairies en ligne françaises ne peuvent se permettre les réductions substantielles proposées par celles des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, pays dans lesquels le prix du livre est libre. Si la loi française sur le prix unique du livre (loi Lang) leur laisse peu de latitude, à savoir un rabais de 5% seulement sur le prix du livre, les librairies en ligne sont toutefois optimistes sur les perspectives d’un marché francophone international. Dès 1997, un nombre significatif de commandes provient de l’étranger, par exemple 10% des commandes pour le service en ligne de la Fnac.
Interrogé par l'AFP (Agence France-Presse) au sujet de la loi Lang, qui autorise un rabais de 5% seulement sur le prix du livre, Denis Terrien, président d'Amazon France (jusqu'en mai 2001), répond en août 2000: «L'expérience que nous avons en Allemagne, où le prix du livre est fixé, nous montre que le prix n'est pas l'élément essentiel dans la décision d'achat. C'est tout le service qui est ajouté qui compte. Chez Amazon, nous avons tout un tas de services en plus, d'abord le choix - nous vendons tous les produits culturels français. On a un moteur de recherche très performant. En matière de choix de musique, on est ainsi le seul site qui peut faire une recherche par titre de chanson. Outre le contenu éditorial, qui nous situe entre un magasin et un magazine, nous avons un service client 24h/24 7jours/7, ce qui est unique sur le marché français. Enfin une autre spécificité d'Amazon, c'est le respect de nos engagements de livraison. On s'est fixé pour objectif d'avoir plus de 90% de nos ventes en stock.»
Admiré par beaucoup, le modèle économique d’Amazon a toutefois de nombreux revers en matière de gestion du personnel, avec des contrats de travail précaires, de bas salaires et des conditions de travail laissant à désirer.
Malgré la discrétion d'Amazon à ce sujet, les problèmes commencent à filtrer. En novembre 2000, le Prewitt Organizing Fund et le syndicat SUD-PTT Loire Atlantique débutent une action de sensibilisation auprès des salariés d'Amazon France pour de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. Ils rencontrent une cinquantaine de salariés travaillant dans le centre de distribution de Boigny-sur- Bionne. SUD-PTT dénonce dans un communiqué «des conditions de travail dégradées, la flexibilité des horaires, le recours aux contrats précaires dans les périodes de flux, des salaires au rabais, et des garanties sociales minimales». Une action similaire est menée en Allemagne et en Grande-Bretagne. Patrick Moran, responsable du Prewitt Organizing Fund, entend constituer une alliance des salariés de la nouvelle économie sous le nom d'Alliance of New Economy Workers. De son côté, Amazon riposte en diffusant des documents internes sur l'inutilité de syndicats au sein de l'entreprise.
Fin janvier 2001, Amazon, qui emploie 1.800 personnes en Europe, annonce une réduction de 15% des effectifs et la fermeture du service clientèle de La Hague (Pays-Bas). Les 240 personnes qu'emploie ce service sont transférées dans les centres de Slough (Royaume-Uni) et Regensberg (Allemagne).
= Dans le monde
Le deuxième groupe de clients étrangers (après les clients européens) est la clientèle japonaise. Lors d'un colloque international sur les technologies de l'information à Tokyo en juillet 2000, Jeff Bezos annonce son intention prochaine d'implanter Amazon au Japon. Il insiste aussi sur le marché à fort potentiel représenté par ce pays, avec des prix immobiliers élevés se répercutant sur ceux des biens et services, si bien que le shopping en ligne est plus avantageux que le shopping traditionnel. La densité de la population entraîne des livraisons à domicile faciles et peu coûteuses.
Un centre d'appels est ouvert en août 2000 dans la ville de Sapporo, sur l'île d'Hokkaido. La filiale japonaise débute ses activités trois mois plus tard, en novembre 2000. Amazon Japon, quatrième filiale du géant américain et première filiale non européenne, ouvre ses portes avec un catalogue de 1,1 million de titres en japonais et 600.000 titres en anglais. Pour réduire les délais de livraison et proposer des délais de 24 à 48 heures au lieu des six semaines nécessaires à l'acheminement des livres depuis les Etats-Unis, un centre de distribution de 15.800 m2 est créé dans la ville d'Ichikawa, située à l'est de Tokyo.
En novembre 2000, entre la maison-mère et les quatre filiales, la société compte 7.500 salariés, 28 millions d’articles et 23 millions de clients.
A la même date, Amazon débute l'embauche de personnel francophone connaissant le marché canadien, dans le but de lancer une antenne canadienne française avec vente de livres, musique et films (VHS et DVD). Amazon Canada, cinquième filiale de la société, verra le jour en juin 2002, avec un site bilingue anglais-français.
Toujours en novembre 2000, Amazon ouvre sa librairie numérique, avec 1.000 titres disponibles au départ, et une augmentation rapide du stock prévue pour les mois suivants.
Même pour le marketing d'une grande librairie en ligne, le papier n'est pas mort, loin s'en faut. Pour la deuxième année consécutive, en prévision des fêtes de l'année 2000, Amazon envoie un catalogue imprimé à 10 millions de clients.
L'année 2001 marque un tournant dans les activités d'Amazon, qui doit faire face aux secousses de la «nouvelle» économie affectant les entreprises internet. Suite à un quatrième trimestre déficitaire en 2000, un plan de réduction de 15% des effectifs entraîne 1.300 licenciements aux Etats-Unis et 270 licenciements en Europe fin janvier 2001. Amazon opte aussi pour une plus grande diversification de ses produits et décide de vendre non seulement des livres, des vidéos, des CD et des logiciels, mais aussi des produits de santé, des jouets, des appareils électroniques, des ustensiles de cuisine et des outils de jardinage. En novembre 2001, la vente des livres, disques et vidéos ne représente plus que 58% du chiffre d’affaires global, qui est de 4 milliards de dollars US, avec 29 millions de clients.
La société devient bénéficiaire pour la première fois au troisième trimestre 2003.
En octobre de la même année, Amazon lance un service de recherche plein texte (Search Inside the Book) après avoir scanné le texte intégral de 120.000 titres, un nombre promis à une croissance rapide. Amazon lance aussi son propre moteur de recherche, A9.com.
Une sixième filiale est ouverte en Chine sous le nom de Joyo en septembre 2004.
En 2004, le bénéfice net d’Amazon est de 588 millions de dollars US, dont 45% généré par ses six filiales, avec un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars.
Présent dans sept pays (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, France, Japon, Chine) et devenu une référence mondiale du commerce en ligne, Amazon fête ses dix ans d’existence en juillet 2005, avec 9.000 salariés et 41 millions de clients attirés par des produits culturels, high-tech et autres aux prix attractifs et une livraison en 48 heures maximum dans les pays hébergeant une plateforme Amazon.
Amazon poursuit ensuite sa croissance, vend de plus en plus d'ebooks après avoir racheté la société Mobipocket (en avril 2005) et lance sa tablette de lecture, le Kindle, en novembre 2007, avec un catalogue de 80.000 ebooks. 538.000 tablettes sont vendues en 2008. Une nouvelle version du Kindle, le Kindle 2, est lancée en février 2009, avec un catalogue de 230.000 ebooks.
= Et les petits libraires?
Qu'en est-il des petites librairies, générales et spécialisées? Ces librairies se débrouillent au mieux avec des moyens limités, comme la librairie Ulysse, sise au coeur de Paris, dans l’île Saint-Louis, tout en se faisant peu d'illusions sur le raz-de-marée qui est en train de les emporter.
Créée en 1971 par Catherine Domain, la librairie Ulysse est la première librairie au monde uniquement consacrée au voyage. Ses 20.000 livres, cartes et revues neufs et d’occasion recèlent des documents introuvables ailleurs. A la fois libraire et grande voyageuse, Catherine Domain est membre du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (SLAM), du Club des explorateurs et du Club international des grands voyageurs.
En 1999, elle décide de se lancer dans un voyage autrement plus ingrat, virtuel cette fois-ci, à savoir la réalisation d’un site web en autodidacte. «Mon site est embryonnaire et en construction, raconte-t- elle en novembre 2000. Il se veut à l’image de ma librairie, un lieu de rencontre avant d’être un lieu commercial. Il sera toujours en perpétuel devenir! Internet me prend la tête, me bouffe mon temps et ne me rapporte presque rien, mais cela ne m’ennuie pas…»
Elle est toutefois pessimiste sur l’avenir des librairies comme la sienne. «Internet tue les librairies spécialisées. En attendant d’être dévorée, je l’utilise comme un moyen d’attirer les clients chez moi, et aussi de trouver des livres pour ceux qui n’ont pas encore internet chez eux! Mais j’ai peu d’espoir…»
= [Résumé]
A partir de 1996, l’édition électronique creuse son sillon à côté de l’édition traditionnelle, du fait des avantages qu’elle procure: pas de stock, coût de fonctionnement moins élevé, diffusion plus facile. Elle amène aussi un souffle nouveau dans le monde de l’édition, et même une certaine zizanie. On voit des éditeurs traditionnels vendre directement leurs titres en ligne, des éditeurs électroniques commercialiser les versions numérisées de livres publiés par des éditeurs traditionnels, des libraires numériques vendre les versions numérisées de livres publiés par des éditeurs partenaires, sans parler des auteurs qui choisissent de s’auto-éditer sur le web ou de promouvoir eux-mêmes leurs oeuvres publiées, et des nouvelles plateformes d'édition littéraire qui se chargent de découvrir de nouveaux talents pour pallier les carences de l’édition traditionnelle. Le numérique pourra- il à terme rajeunir la structure éditoriale en place, passablement sclérosée dans certains pays et ne favorisant guère les nouveaux auteurs dans d'autres pays?
= Editeurs électroniques
# Editel
En avril 1995, Pierre François Gagnon, poète et essayiste québécois, décide d’utiliser le numérique pour la réception des textes, leur stockage et leur diffusion. Il crée Editel, premier site d’auto-édition collective de langue française. En juillet 2000, il relate: «En fait, tout le monde et son père savent ou devraient savoir que le premier site d’édition en ligne commercial fut CyLibris (fondé en août 1996, NDLR), précédé de loin lui-même, au printemps de 1995, par nul autre qu’Editel, le pionnier d’entre les pionniers du domaine, bien que nous fûmes confinés à l’action symbolique collective, faute d’avoir les moyens de déboucher jusqu’ici sur une formule de commerce en ligne vraiment viable et abordable (…). Nous sommes actuellement trois mousquetaires (Pierre François Gagnon, Jacques Massacrier et Mostafa Benhamza, NDLR) à développer le contenu original et inédit du webzine littéraire qui continuera de servir de façade d’animation gratuite, offerte personnellement par les auteurs maison à leur lectorat, à d’éventuelles activités d’édition en ligne payantes, dès que possible au point de vue technico-financier. Est-il encore réaliste de rêver à la démocratie économique?»
# CyLibris
Fondé par Olivier Gainon en août 1996, CyLibris (de Cy, cyber et Libris, livre), basé à Paris, est le pionnier francophone de l’édition électronique commerciale. CyLibris est en effet la première maison d’édition à utiliser l’internet et le numérique pour publier de nouveaux auteurs littéraires et quelques auteurs confirmés, dans divers genres: littérature générale, policiers, science-fiction, théâtre et poésie. Vendus uniquement sur le web, les livres sont imprimés à la commande et envoyés directement au client, ce qui permet d’éviter le stock et les intermédiaires. Des extraits sont disponibles en téléchargement libre.
Pendant son premier trimestre d’activité, CyLibris signe des contrats avec treize auteurs. Fin 1999, CyLibris compte 15.000 visites mensuelles sur son site et 3.500 livres vendus tous exemplaires confondus, avec une année 1999 financièrement équilibrée. En 2001, certains titres sont également vendus en version imprimée par un réseau de librairies partenaires, notamment la Fnac, et en version numérique par Mobipocket et Numilog pour lecture sur ordinateur et sur PDA. En 2003, le catalogue de CyLibris comprend une cinquantaine de titres.
«CyLibris a été créé d’abord comme une maison d’édition spécialisée sur un créneau particulier de l’édition et mal couvert à notre sens par les autres éditeurs: la publication de premières oeuvres, donc d’auteurs débutants, explique Olivier Gainon en décembre 2000. Nous nous intéressons finalement à la littérature qui ne peut trouver sa place dans le circuit traditionnel: non seulement les premières oeuvres, mais les textes atypiques, inclassables ou en décalage avec la mouvance et les modes littéraires dominantes. Ce qui est rassurant, c’est que nous avons déjà eu quelques succès éditoriaux: le grand prix de la SGDL (Société des gens de lettres) en 1999 pour 'La Toile' de Jean-Pierre Balpe, le prix de la litote pour 'Willer ou la trahison' de Jérôme Olinon en 2000, etc. Ce positionnement de "défricheur" est en soi original dans le monde de l’édition, mais c’est surtout son mode de fonctionnement qui fait de CyLibris un éditeur atypique.
Créé dès 1996 autour de l’internet, CyLibris a voulu contourner les contraintes de l’édition traditionnelle grâce à deux innovations: la vente directe par l’intermédiaire d’un site de commerce sur internet, et le couplage de cette vente avec une impression numérique en "flux tendu". Cela permettait de contourner les deux barrières traditionnelles dans l’édition: les coûts d’impression (et de stockage) et les contraintes de distribution. Notre système gérait donc des flux physiques: commande reçue par internet, impression du livre commandé, envoi par la poste. Je précise que nous sous-traitons l’impression à des imprimeurs numériques, ce qui nous permet de vendre des livres de qualité équivalente à celle de l’offset, et à un prix comparable. Notre système n’est ni plus cher, ni de moindre qualité, il obéit à une économie différente qui, à notre sens, devrait se généraliser à terme.»
En quoi consiste l’activité d’un éditeur électronique? «Je décrirais mon activité comme double, explique Olivier Gainon. D’une part celle d’un éditeur traditionnel dans la sélection des manuscrits et leur retravail (je m’occupe directement de la collection science-fiction), mais également le choix des maquettes, les relations avec les prestataires, etc. D’autre part, une activité internet très forte qui vise à optimiser le site de CyLibris et mettre en oeuvre une stratégie de partenariat permettant à CyLibris d’obtenir la visibilité qui lui fait parfois défaut. Enfin, je représente CyLibris au sein du SNE (Syndicat national de l’édition, dont CyLibris fait partie depuis le printemps 2000, NDLR). CyLibris est aujourd’hui une petite structure. Elle a trouvé sa place dans l’édition, mais est encore d’une économie fragile sur internet. Notre objectif est de la rendre pérenne et rentable et nous nous y employons.»
Le site web se veut aussi un carrefour de la petite édition. Il procure des informations pratiques aux auteurs en herbe: comment envoyer un manuscrit à un éditeur, ce que doit comporter un contrat d’édition, comment protéger ses manuscrits, comment tenter sa chance dans des revues ou concours littéraires, etc.
Par ailleurs, l’équipe de CyLibris lance en mai 1999 CyLibris Infos, une lettre d’information électronique gratuite dont l’objectif n’est pas tant de promouvoir les livres de l’éditeur que de présenter l’actualité de l’édition francophone. Volontairement décalée et souvent humoristique sinon décapante, la lettre, d’abord mensuelle, paraît deux fois par mois à compter de février 2000. Elle compte 565 abonnés en octobre 2000. Elle change de nom en février 2001 pour devenir Edition- actu, qui compte 1.500 abonnés en 2003 avant de laisser place au blog de CyLibris. CyLibris cesse ses activités éditoriales en 2007.
# 00h00
Lui aussi pionnier de l’édition électronique commerciale, 00h00 (qui se prononce: zéro heure) fait son apparition en mai 1998, un peu moins de deux ans après CyLibris. Mais le champ d’investigation de 00h00 est quelque peu différent, en tant que premier éditeur en ligne. Son activité est en effet de vendre des livres numériques via l'internet - et non des livres imprimés comme CyLibris. En 2000, les versions numériques (au format PDF) représentent 85% des ventes, les 15% restants étant des versions imprimées à la demande du client, un service que l'éditeur procure en complément.
00h00 est fondé par Jean-Pierre Arbon et Bruno de Sa Moreira, respectivement ancien directeur général de Flammarion et ancien directeur de Flammarion Multimédia. «Aujourd’hui mon activité professionnelle est 100% basée sur internet, explique Bruno de Sa Moreira en juillet 1998. Le changement ne s’est pas fait radicalement, lui, mais progressivement (audiovisuel puis multimédia puis internet). (…) La gestation du projet a duré un an: brainstorming, faisabilité, création de la société et montage financier, développement technique du site et informatique éditoriale, mise au point et production des textes et préparation du catalogue à l’ouverture. (…) Nous faisons un pari, mais l’internet me semble un média capable d’une très large popularisation, sans doute grâce à des terminaux plus faciles d’accès que le seul micro-ordinateur.»
«La création de 00h00 marque la véritable naissance de l’édition en ligne, lit-on sur le site web en 1999. C’est en effet la première fois au monde que la publication sur internet de textes au format numérique est envisagée dans le contexte d’un site commercial, et qu’une entreprise propose aux acteurs traditionnels de l’édition (auteurs et éditeurs) d’ouvrir avec elle sur le réseau une nouvelle fenêtre d’exploitation des droits. Les textes offerts par 00h00 sont soit des inédits, soit des textes du domaine public, soit des textes sous copyright dont les droits en ligne ont fait l’objet d’un accord avec leurs ayants droit. (…) Avec l’édition en ligne émerge probablement une première vision de l’édition au 21e siècle. C’est cette idée d’origine, de nouveau départ qui s’exprime dans le nom de marque, 00h00. (…) Internet est un lieu sans passé, où ce que l’on fait ne s’évalue pas par rapport à une tradition. Il y faut inventer de nouvelles manières de faire les choses. (…) Le succès de l’édition en ligne ne dépendra pas seulement des choix éditoriaux: il dépendra aussi de la capacité à structurer des approches neuves, fondées sur les lecteurs autant que sur les textes, sur les lectures autant que sur l’écriture, et à rendre immédiatement perceptible qu’une aventure nouvelle a commencé.»
Les collections sont très diverses: inédits, théâtre classique français, contes et récits fantastiques, contes et récits philosophiques, souvenirs et mémoires, philosophie classique, réalisme et naturalisme, cyberculture, romans d’enfance, romans d’amour, nouvelles et romans d’aventure. Le recherche est possible par auteur, par titre et par genre. Pour chaque livre, on a un descriptif court, un descriptif détaillé, la table des matières et une courte présentation de l’auteur. S’ajoutent ensuite les commentaires des lecteurs. Pas de stock, pas de contrainte physique de distribution, mais un lien direct avec le lecteur et entre les lecteurs. Sur le site, les internautes/lecteurs qui le souhaitent peuvent créer leur espace personnel pour y rédiger leurs commentaires, participer à des forums ou recommander des liens vers d’autres sites. Ils peuvent s’abonner à la lettre d’information de 00h00 pour être tenus au courant des nouveautés. L'éditeur produit aussi des clips littéraires pour présenter les ouvrages publiés.
En 2000, le catalogue comprend 600 titres, qui comprennent une centaine d’oeuvres originales et des rééditions électroniques d’ouvrages publiés par d’autres éditeurs. Les oeuvres originales sont réparties en plusieurs collections: nouvelles écritures interactives et hypertextuelles, premiers romans, documents d’actualité, études sur les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), co-éditions avec des éditeurs traditionnels ou de grandes institutions. Le paiement est effectué en ligne grâce à un système sécurisé mis en place par la Banque populaire. Ceux que le paiement en ligne rebute peuvent régler leur commande par carte bancaire (envoi par fax) ou par chèque (envoi par courrier postal).
En septembre 2000, 00h00 est racheté par Gemstar-TV Guide International, société américaine spécialisée dans les produits et services numériques pour les médias. Quelques mois auparavant, en janvier 2000, Gemstar rachète les deux sociétés californiennes ayant lancé les premières tablettes de lecture, NuvoMedia, créatrice du Rocket eBook, et SoftBook Press, créatrice du SoftBook Reader. Selon un communiqué de Henry Yuen, président de Gemstar, «les compétences éditoriales dont dispose 00h00 et ses capacités d’innovation et de créativité sont les atouts nécessaires pour faire de Gemstar un acteur majeur du nouvel âge de l’édition numérique qui s’ouvre en Europe.» La communauté francophone ne voit pas ce rachat d’un très bon oeil, la mondialisation de l’édition semblant justement peu compatible avec l’innovation et la créativité. Moins de trois ans plus tard, en juin 2003, 00h00 cesse définitivement ses activités, tout comme la branche eBook et les tablettes de Gemstar.
Il reste le souvenir d’une belle aventure. En octobre 2006, Jean-Pierre Arbon, devenu chanteur, raconte sur son site: «J’avais fondé, avec Bruno de Sa Moreira, une maison d’édition d’un genre nouveau, la première au monde à tenter à grande échelle l’aventure de l’édition en ligne. Tout était à faire, à inventer. L’édition numérique était terra incognita: on explorait, on défrichait.»
= Editeurs traditionnels
# Le Choucas, éditeur indépendant
Fondé en 1992 par Nicolas et Suzanne Pewny, alors libraires en Haute- Savoie, Le Choucas est une petite maison d’édition spécialisée dans les romans policiers, la littérature, la photographie et les livres d’art.
En juin 1998, Nicolas Pewny raconte: «Le site des éditions du Choucas a été créé fin novembre 1996. Lorsque je me suis rendu compte des possibilités qu’internet pouvait nous offrir, je me suis juré que nous aurions un site le plus vite possible. Un petit problème: nous n’avions pas de budget pour le faire réaliser. Alors, au prix d’un grand nombre de nuits sans sommeil, j’ai créé ce site moi-même et l’ai fait référencer (ce n’est pas le plus mince travail). Le site a alors évolué en même temps que mes connaissances (encore relativement modestes) en la matière et s’est agrandi, et a commencé à être un peu connu même hors France et Europe.
Le changement qu’internet a apporté dans notre vie professionnelle est considérable. Nous sommes une petite maison d’édition installée en province. Internet nous a fait connaître rapidement sur une échelle que je ne soupçonnais pas. Même les médias "classiques" nous ont ouvert un peu leur portes grâce à notre site. Les manuscrits affluent par le courrier électronique. Ainsi nous avons édité deux auteurs québécois (Fernand Héroux et Liz Morency, auteurs de "Affaire de coeurs", paru en septembre 1997, NDLR). Beaucoup de livres se réalisent (corrections, illustrations, envoi des documents à l’imprimeur) par ce moyen. Dès le début du site nous avons reçu des demandes de pays où nous ne sommes pas (encore) représentés: Etats-Unis, Japon, Amérique latine, Mexique, malgré notre volonté de ne pas devenir un site "commercial" mais d’information et à "connotation culturelle". (Nous n’avons pas de système de paiement sécurisé, nous avons juste référencé sur une page les libraires qui vendent en ligne).»
En ce qui concerne l’avenir, «j’aurais tendance à répondre par deux questions: Pouvez vous me dire comment va évoluer internet? Comment vont évoluer les utilisateurs? Nous voudrions bien rester aussi peu "commercial" que possible et augmenter l’interactivité et le contact avec les visiteurs du site. Y réussirons-nous? Nous avons déjà reçu des propositions qui vont dans un sens opposé. Nous les avons mis "en veille". Mais si l’évolution va dans ce sens, pourrons-nous résister, ou trouver une "voie moyenne"? Honnêtement, je n’en sais rien.»
Le Choucas cesse malheureusement ses activités en mars 2001, une disparition de plus à déplorer chez les petits éditeurs indépendants. Fort de son expérience dans le domaine de la librairie, de l'édition, de l'internet et du numérique, Nicolas Pewny devient consultant en édition électronique et met ses compétences au service d'autres organismes.
# Editeurs et technologies
Les technologies numériques conduisent les éditeurs scientifiques et techniques à repenser leur travail et, pour certains, à s’orienter vers une diffusion en ligne. Les tirages imprimés restent toujours possibles à titre ponctuel. Certaines universités diffusent désormais des manuels «sur mesure» composés d’un choix de chapitres et d’articles sélectionnés dans une base de données, auxquels s’ajoutent les commentaires des professeurs. Pour un séminaire, un très petit tirage peut être fait à la demande à partir de documents transmis par voie électronique à un imprimeur. Quant aux revues spécialisées, certaines optent pour une publication en ligne complétée par un partenariat avec une société spécialisée pour une impression à la demande
Enseignante-chercheuse à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE, Paris-Sorbonne), Marie-Joseph Pierre écrit en février 2003: «Il me paraît évident que la publication des articles et ouvrages au moins scientifiques se fera de plus en plus sous forme numérique, ce qui permettra aux chercheurs d’avoir accès à d’énormes banques de données, constamment et immédiatement évolutives, permettant en outre le contact direct et le dialogue entre les auteurs. Nos organismes de tutelle, comme le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) par exemple, ont déjà commencé à contraindre les chercheurs à publier sous ce mode, et incitent fortement les laboratoires à diffuser ainsi leurs recherches pour qu’elles soient rapidement disponibles. Nos rapports d’activité à deux et à quatre ans – ces énormes dossiers peineux résumant nos labeurs – devraient prochainement se faire sous cette forme. Le papier ne disparaîtra pas pour autant, et je crois même que la consommation ne diminuera pas… Car lorsqu'on veut travailler sur un texte, le livre est beaucoup plus maniable. Je m’aperçois dans mon domaine que les revues qui ont commencé récemment sous forme numérique commencent à être aussi imprimées et diffusées sur papier dignement relié. Le passage de l’un à l’autre peut permettre des révisions et du recul, et cela me paraît très intéressant.»
Journaliste et infographiste, Marc Autret a derrière lui dix ans de journalisme multi-tâches et d’hyperformation dans le domaine de l’édition, du multimédia et du droit d’auteur. Il explique en décembre 2006: «C’est un "socle" irremplaçable pour mes activités d’aujourd’hui, qui en sont le prolongement technique. Je suis un "artisan" de l’information et je travaille essentiellement avec des éditeurs. Ils sont tellement en retard, tellement étrangers à la révolution numérique, que j’ai du pain sur la planche pour pas mal d’années. Aujourd’hui je me concentre sur le conseil, l’infographie, la typographie, le pré-presse et le webdesign, mais je sens que la part du logiciel va grandir. Des secteurs comme l’animation 3D, l’automatisation des tâches de production, l’intégration multi- supports, la base de données et toutes les technologies issues de XML vont s’ouvrir naturellement. Les éditeurs ont besoin de ces outils, soit pour mieux produire, soit pour mieux communiquer. C’est là que je vois l’évolution, ou plutôt l’intensification, de mon travail.»
= [Résumé]
La convergence multimédia peut être définie comme la convergence des secteurs de l’informatique, du téléphone et de la radiotélévision dans une industrie utilisant l'internet pour la distribution de cette information. Cette convergence entraîne l’unification progressive des secteurs liés à l’information (imprimerie, édition, presse, conception graphique, enregistrements sonores, films, etc.) suite à l’utilisation des techniques de numérisation. La numérisation permettant désormais de traiter des données de manière simple et rapide, le processus matériel de production s’en trouve considérablement accéléré. Si, dans certains secteurs, ce phénomène entraîne de nouveaux emplois, par exemple ceux liés à la production audio-visuelle, d’autres secteurs sont soumis à des restructurations drastiques. La convergence multimédia a de nombreux revers, par exemple des contrats précaires pour les salariés, l’absence de syndicats pour les télétravailleurs ou le droit d’auteur mis à mal pour les auteurs. Tel est le thème du Colloque sur la convergence multimédia organisé en janvier 1997 par l'Organisation internationale du travail (OIT).
= Définition
Depuis bientôt trente ans (en 1997), la chaîne de l’édition est soumise à de nombreux bouleversements. Dans les années 1970, l’imprimerie traditionnelle est d’abord ébranlée par les machines de photocomposition. Le coût de l’impression continue ensuite de baisser avec les photocopieurs, les photocopieurs couleur, les procédés d’impression assistée par ordinateur et le matériel d’impression numérique. Dans les années 1990, l’impression est souvent assurée à bas prix par des ateliers de PAO (publication assistée par ordinateur). Tout contenu est désormais systématiquement numérisé pour permettre son transfert par voie électronique.
La numérisation permet de créer, d’enregistrer, de combiner, de stocker, de rechercher et de transmettre des textes, des sons et des images de manière simple et rapide. Des procédés similaires permettent le traitement de l’écriture, de la musique et du cinéma alors que, par le passé, ce traitement était assuré par des procédés différents sur des supports différents (papier pour l’écriture, bande magnétique pour la musique, celluloïd pour le cinéma). De plus, des secteurs distincts comme l’édition (qui produit des livres) et l’industrie musicale (qui produit des disques) travaillent de concert pour produire des CD-ROM.
La numérisation accélère le processus matériel de production. Dans la presse, alors qu’auparavant le personnel de production devait dactylographier les textes du personnel de rédaction, les journalistes envoient désormais directement leurs textes pour mise en page. Dans l’édition, le rédacteur, le concepteur artistique et l'infographiste travaillent souvent simultanément sur le même ouvrage.
On assiste progressivement à la convergence de tous les secteurs liés à l’information: imprimerie, édition, presse, conception graphique, enregistrements sonores, films, radiodiffusion, etc.
La convergence multimédia peut être définie comme la convergence des secteurs de l'informatique, du téléphone et de la radiotélévision dans une industrie de la communication et de la distribution utilisant les mêmes autoroutes de l'information. Si, dans certains secteurs, ce phénomène entraîne de nouveaux emplois, par exemple ceux liés à la production de films ou de produits audio-visuels, d'autres secteurs sont soumis à d'inquiétantes restructurations. Ces problèmes sont suffisamment préoccupants pour pour être débattus lors du Colloque sur la convergence multimédia organisé en janvier 1997 par l'Organisation internationale du travail (OIT) à Genève.
= Interventions
Plusieurs interventions de ce colloque soulèvent des problèmes de fond, dont certains sont toujours d'actualité douze ans plus tard.
Bernie Lunzer, secrétaire-trésorier de la Newspaper Guild (Etats-Unis), insiste sur les batailles juridiques faisant rage autour des problèmes de propriété intellectuelle. Ces batailles visent notamment l'attitude des directeurs de publication, qui amènent les écrivains indépendants à signer des contrats particulièrement choquants cédant tous leurs droits au directeur de publication, avec une contrepartie financière ridicule.
Heinz-Uwe Rübenach, de l'Association allemande de directeurs de journaux (Bundesverband Deutscher Zeitungsverleger), insiste lui aussi sur la nécessité pour les entreprises de presse de gérer et de contrôler l'utilisation sur le web des articles de leurs journalistes, et de demander une contrepartie financière permettant de continuer à investir dans les nouvelles technologies.
Un problème tout aussi préoccupant est celui de la pression constante exercée sur les journalistes des salles de rédaction, dont le travail doit être disponible tout au long de la journée, au lieu d'être utilisé seulement en fin de journée. Ces tensions à répétition sont encore aggravées par un travail à l'écran pendant huit à dix heures d'affilée. Le rythme de travail et l'utilisation intensive de l'ordinateur entraînent de préoccupants problèmes de sécurité au travail. Après quelques années de ce régime, des journalistes «craquent» à l'âge de 35 ou 40 ans.
Selon Carlos Alberto de Almeida, président de la Fédération nationale des journalistes (FENAJ: Federação nacional dos jornalistas) au Brésil, les nouvelles technologies devaient donner la possibilité de rationaliser le travail et d'en réduire la durée afin de favoriser l'enrichissement intellectuel et les loisirs. En pratique, les professionnels des médias sont obligés d'effectuer un nombre d'heures de travail de plus en plus grand. La journée légale de cinq heures est en fait une journée de dix à douze heures. Les heures supplémentaires ne sont pas payées, comme ne sont pas payées non plus celles effectuées le week-end par un journaliste pendant sa période de repos.
Si elles accélèrent le processus de production, la numérisation des documents et l'automatisation des méthodes de travail entraînent une diminution de l'intervention humaine et donc un accroissement du chômage. Alors qu'auparavant le personnel de production devait retaper les textes du personnel de rédaction, la mise en page automatique permet de combiner les deux tâches de rédaction et de composition.
Etienne Reichel, directeur suppléant de Viscom (Visual Communication), association suisse pour la communication visuelle, démontre que le transfert de données via l'internet et la suppression de certaines phases de production réduisent le nombre d'emplois. Le travail de vingt typographes est maintenant assuré par six travailleurs qualifiés, alors que les entreprises de communication visuelle étaient auparavant génératrices d'emplois. Par contre, l'informatique permet à certains professionnels de s'installer à leur compte, comme c'est le cas pour 30% des salariés ayant perdu leur emploi suite à la restructuration de leur entreprise.
Professeur associé en sciences sociales à l’Université d’Utrecht (Pays- Bas), Peter Leisink précise que la rédaction des textes et la correction d’épreuves se font désormais à domicile, le plus souvent par des travailleurs ayant pris le statut d’indépendants à la suite de licenciements et de délocalisations ou fusions d’entreprises. «Or cette forme d’emploi tient plus du travail précaire que du travail indépendant, car ces personnes n’ont que peu d’autonomie et sont généralement tributaires d’une seule maison d’édition.»
A part quelques cas particuliers mis en avant par les organisations d’employeurs, la convergence multimédia entraîne des suppressions massives d’emplois.
Selon Michel Muller, secrétaire général de la FILPAC (Fédération des industries du livre, du papier et de la communication) en France, les industries graphiques françaises ont perdu 20.000 emplois en dix ans. Entre 1987 et 1996, les effectifs passent de de 110.000 à 90.000 salariés. Les entreprises mettent en place des plans sociaux coûteux pour favoriser le reclassement des personnes licenciées, en créant des emplois souvent artificiels, alors qu’il aurait été préférable de financer des études fiables sur la manière d’équilibrer créations et suppressions d’emplois quand il était encore temps.
Partout dans le monde, de nombreux postes à faible qualification technique sont remplacés par des postes exigeant des qualifications techniques élevées. Les personnes peu qualifiées sont licenciées. D’autres suivent une formation professionnelle complémentaire, parfois auto-financée et prise sur leur temps libre, et cette formation professionnelle ne garantit pas pour autant le réemploi.
Directeur de AT&T, géant des télécommunications aux Etats-Unis, Walter Durling insiste sur le fait que les nouvelles technologies ne changeront pas fondamentalement la situation des salariés au sein de l'entreprise. L’invention du film n’a pas tué le théâtre et celle de la télévision n’a pas fait disparaître le cinéma. Les entreprises devraient créer des emplois liés aux nouvelles technologies et les proposer à ceux qui sont obligés de quitter d’autres postes devenus obsolètes.
Des arguments bien théoriques alors que le problème est plutôt celui du pourcentage. Combien de créations de postes pour combien de licenciements?
De leur côté, les syndicats préconisent la création d’emplois par l’investissement, l’innovation, la formation aux nouvelles technologies, la reconversion des travailleurs dont les emplois sont supprimés, des conventions collectives équitables, la défense du droit d’auteur, une meilleure protection des travailleurs dans le secteur artistique et enfin la défense des télétravailleurs en tant que travailleurs à part entière.
= [Résumé]
A partir de 1998, nombre de bibliothèques «traditionnelles» créent un site web, qui devient leur vitrine «virtuelle» et permet de proposer leur catalogue en ligne, des informations pratiques et un choix de sites pour éviter à leurs lecteurs de se perdre sur la toile. Elles créent aussi une bibliothèque numérique pour faire connaître leurs collections à un large public. Qu'elles soient des bibliothèques de textes, des bibliothèques d'images (fixes ou animées) ou des bibliothèques sonores, ou qu'elles associent les trois supports, ces bibliothèques numériques se développent rapidement et permettent d'avoir accès à des documents jusque-là difficiles - sinon presque impossibles - à consulter parce qu'appartenant à des fonds anciens, des fonds régionaux ou des fonds spécialisés.
= Bibliothèques traditionnelles
La première bibliothèque «traditionnelle» présente sur le web est la Bibliothèque municipale d’Helsinki (Finlande), qui inaugure son site en février 1994. Des bibliothèques mettent sur pied des «cyberespaces» à destination de leurs lecteurs. D’autres bibliothèques font connaître les joyaux de leurs collections par le biais du web. Des bibliothèques nationales unissent leurs efforts pour créer un portail commun.
Face à un web encyclopédique et des bibliothèques numériques de plus en plus nombreuses, les jours des bibliothèques traditionnelles sont-ils comptés? La bibliothèque numérique menace-t-elle vraiment l’existence de la bibliothèque traditionnelle? Telles sont les questions qu'on se pose en 1998. A cette date, plusieurs grandes bibliothèques expliquent sur leur site que, à côté d’un secteur numérique en pleine expansion, la communication physique des documents reste essentielle. Ces commentaires disparaissent ensuite. Au début des années 2000, toute bibliothèque traditionnelle quelque peu dynamique dispose de collections numériques, soit à usage interne, soit en accès libre sur le web.
La raison d’être des bibliothèques nationales est de préserver un patrimoine accumulé au fil des siècles: manuscrits, incunables, livres imprimés, journaux, périodiques, gravures, affiches, partitions musicales, images, photos, films, etc. Ceci n’est pas près de changer. Si le fait de disposer de supports numériques favorise la communication, il faut bien un endroit pour stocker les documents physiques originaux, à commencer par les Bibles de Gutenberg.
De plus, les bibliothèques nationales archivent aussi les documents électroniques et les pages web. A la Bibliothèque nationale de France (BnF) par exemple, il a été décidé de collecter et d’archiver les sites dont le nom de domaine se termine en .fr, ou encore les sites dédiés aux campagnes électorales, d’abord pour les présidentielles de 2002, puis pour les législatives de 2004, et enfin pour les présidentielles et législatives de 2007, en copiant et sauvegardant les sites institutionnels, les sites et blogs officiels des candidats, les sites d’analyses, les sites des médias traditionnels, les sites d’associations et de syndicats, etc.
Les bibliothèques publiques ne semblent pas près de disparaître non plus. Malgré la curiosité suscitée par le livre numérique, les lecteurs assurent régulièrement lors de sondages divers qu’ils ne sont pas prêts à lire Zola ou Proust à l’écran. Question de génération peut-être. Les enfants ayant appris à lire directement à l’écran ne verront sans doute aucun problème à lire des livres en ligne sur des supports électroniques en tous genres.
Si les bibliothèques nationales et les bibliothèques publiques restent toujours utiles, la situation est différente pour les bibliothèques spécialisées. Dans nombre de domaines où l’information la plus récente est primordiale, on s’interroge maintenant sur la nécessité d’aligner des documents imprimés sur des rayonnages, alors qu’il est tellement plus pratique de rassembler, stocker, archiver, organiser, cataloguer et diffuser des documents électroniques, et de les imprimer seulement à la demande.
Fondateur de la bibliothèque numérique Athena, Pierre Perroud insiste sur la complémentarité du texte électronique et du livre imprimé. Selon lui, «les textes électroniques représentent un encouragement à la lecture et une participation conviviale à la diffusion de la culture», notamment pour l’étude et la recherche textuelle. Ces textes «sont un bon complément du livre imprimé - celui-ci restant irremplaçable lorsqu’il s’agit de lire». Mais le livre imprimé reste «un compagnon mystérieusement sacré vers lequel convergent de profonds symboles: on le serre dans la main, on le porte contre soi, on le regarde avec admiration; sa petitesse nous rassure autant que son contenu nous impressionne; sa fragilité renferme une densité qui nous fascine; comme l’homme il craint l’eau et le feu, mais il a le pouvoir de mettre la pensée de celui-là à l’abri du Temps.» (extraits de la revue Informatique-Informations, Genève, février 1997)
= Bibliothèques numériques
Objectif poursuivi par des générations de bibliothécaires, la diffusion du livre devient enfin possible à vaste échelle, puisque celui-ci peut désormais être converti en fichier électronique et transiter via l’internet pour toucher un public qui n'a pas toujours accès à une bibliothèque traditionnelle.
Si certaines bibliothèques numériques naissent directement sur le web, la plupart émanent de bibliothèques traditionnelles. En 1996, la Bibliothèque municipale de Lisieux (Normandie) lance la Bibliothèque électronique de Lisieux, qui offre les versions numériques d'oeuvres littéraires courtes choisies dans les collections municipales. En 1997, la Bibliothèque nationale de France (BnF) crée Gallica qui, dans un premier temps, propose des images et textes du 19e siècle francophone. Une sélection de 3.000 livres est complétée par un échantillon de la future iconothèque numérique. En 1998, la Bibliothèque municipale de Lyon met les enluminures de 200 manuscrits et incunables à la disposition de tous sur son site web. Trois exemples parmi tant d’autres.
Les bibliothèques numériques permettent à un large public d’avoir accès à des documents difficiles à consulter parce qu’appartenant à des fonds anciens, locaux, régionaux ou spécialisés, peu accessibles pour des raisons diverses: souci de conservation des documents rares et fragiles, heures d’ouverture réduites, nombreux formulaires à remplir, longs délais de communication, pénurie de personnel, qui sont autant de barrières à franchir et demandent souvent au lecteur une patience à toute épreuve et une détermination hors du commun pour arriver jusqu’au document.
Grâce à la bibliothèque numérique, la bibliothèque traditionnelle peut enfin rendre compatibles deux objectifs qui jusque-là ne l’étaient guère, à savoir la conservation des documents et la communication de ceux-ci. D’une part le document ne quitte son rayonnage qu’une seule fois pour être scanné, d’autre part le grand public y a enfin accès. Si le lecteur souhaite consulter le document original, il pourra se lancer dans le parcours évoqué plus haut, mais en connaissance de cause, grâce au feuilletage préalable à l’écran.
Selon la British Library, pionnière dans ce domaine, la bibliothèque numérique peut être définie comme une entité résultant de l’utilisation des technologies numériques pour acquérir, stocker, préserver et diffuser des documents. Ces documents sont soit publiés directement sous forme numérique, soit numérisés à partir d’un document imprimé, audiovisuel ou autre. Une collection numérique devient une bibliothèque numérique si elle répond aux quatre critères suivants: 1) elle peut être créée et/ou produite dans un certain nombre d’endroits différents, mais elle est accessible en tant qu’entité unique; 2) elle doit être organisée et indexée pour un accès facile au serveur du lieu; 3) elle doit être stockée et gérée de manière à avoir une existence assez longue après sa création; 4) elle doit trouver un équilibre entre le respect du droit d’auteur et les exigences universitaires.
Hébergée par l’Université Carnegie Mellon (Pittsburgh, Pennsylvanie, Etats-Unis), l’Universal Library insiste sur les trois avantages de la bibliothèque numérique: 1) elle occupe moins de place qu’une bibliothèque traditionnelle et son contenu peut être copié ou sauvegardé électroniquement; 2) elle est immédiatement accessible à quiconque sur l’internet; 3) comme toute recherche sur son contenu est automatisée, elle permet une réduction significative des coûts de fonctionnement et une meilleure accessibilité des documents.
A titre historique, le site Library 2000 présente un condensé des recherches menées entre octobre 1995 et octobre 1997 par le MIT/LCS (Massachusetts Institute of Technology / Laboratory of Computer Science). Pragmatique, le projet Library 2000 a consisté à étudier pendant deux ans les problèmes posés par le stockage en ligne d’une très grande quantité de documents, puis à développer un prototype sensé économiquement viable en l’an 2000, prototype grâce auquel plusieurs grandes bibliothèques numériques sont mises en ligne à compter de novembre 1997.
En ce qui concerne les images, les problèmes de bande passante s’estompent. Après avoir proposé avec enthousiasme des images en pleine page très agréables à l’oeil mais excessivement longues à apparaître à l’écran, nombreux sont les sites qui optent ensuite pour des images de format réduit, avec possibilité de cliquer ou non sur ces images pour obtenir un format plus grand. Cette présentation reste souvent la norme ensuite, même avec la généralisation de l’internet à débit rapide. Le passage du petit format ou grand format est désormais rapide sinon immédiat, à la grande satisfaction des iconographes, photographes et autres amateurs d’images.
= Numérisation: mode texte ou image
Qui dit bibliothèque numérique dit numérisation. Pour pouvoir être consulté à l’écran, un livre peut être numérisé soit en mode texte soit en mode image.
La numérisation en mode texte implique la saisie d’un texte. Elle consiste à patiemment saisir le livre sur un clavier, page après page, solution souvent adoptée lors de la constitution des premières bibliothèques numériques, ou alors quand les documents originaux manquent de clarté, pour les livres anciens par exemple. Les années passant, la numérisation en mode texte consiste surtout à scanner le livre en mode image, puis à le convertir en texte grâce à un logiciel OCR (optical character recognition), avec relecture éventuelle à l’écran pour corriger le texte obtenu puisqu'un bon logiciel OCR serait fiable à 90%.
La version informatique du livre ne conserve pas la présentation originale du livre ou de la page. Le livre devient texte, à savoir un ensemble de caractères apparaissant en continu à l’écran. A cause du temps passé au traitement de chaque livre, ce mode de numérisation est assez long, et donc nettement plus coûteux que la numérisation en mode image. Dans de nombreux cas, il est toutefois très préférable, puisqu’il permet l’indexation, la recherche et l’analyse textuelles, une étude comparative entre plusieurs textes ou plusieurs versions du même texte, etc. C’est la méthode utilisée par exemple par le Projet Gutenberg, fondé dès 1971, ou encore la Bibliothèque électronique de Lisieux, créée en 1996.
La numérisation en mode image correspond à la photographie du livre page après page. La version informatique est le fac-similé numérique de la version imprimée. La présentation originale étant conservée, on peut feuilleter le texte page après page à l’écran. C’est la méthode employée pour les numérisations à grande échelle, par exemple pour le programme de numérisation de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et la constitution de sa bibliothèque numérique Gallica. La numérisation en mode texte est toutefois utilisée pour les tables des matières, les sommaires et les corpus de documents iconographiques, afin de faciliter la recherche textuelle.
Pourquoi ne pas tout numériser en mode texte? La BnF répond en 2000 sur le site de Gallica: «Le mode image conserve l’aspect initial de l’original y compris ses éléments non textuels. Si le mode texte autorise des recherches riches et précises dans un document et permet une réduction significative du volume des fichiers manipulés, sa réalisation, soit par saisie soit par OCR, implique des coûts de traitement environ dix fois supérieurs à la simple numérisation. Ces techniques, parfaitement envisageables pour des volumes limités, ne pouvaient ici être économiquement justifiables au vu des 50.000 documents (représentant presque 15 millions de pages) mis en ligne.»
Concepteur de Mot@mot, logiciel de remise en page de fac-similés numériques, Pierre Schweitzer insiste sur l’utilité des deux modes de numérisation. «Le mode image permet d’avancer vite et à très faible coût, explique-t-il en janvier 2001. C’est important car la tâche de numérisation du domaine public est immense. Il faut tenir compte aussi des différentes éditions: la numérisation du patrimoine a pour but de faciliter l’accès aux oeuvres, il serait paradoxal qu’elle aboutisse à se focaliser sur une édition et à abandonner l’accès aux autres. Chacun des deux modes de numérisation s’applique de préférence à un type de document, ancien et fragile ou plus récent, libre de droit ou non (pour l’auteur ou pour l’édition), abondamment illustré ou pas. Les deux modes ont aussi des statuts assez différents: en mode texte ça peut être une nouvelle édition d’une oeuvre, en mode image c’est une sorte d’"édition d’édition", grâce à un de ses exemplaires (qui fonctionne alors comme une fonte d’imprimerie pour du papier). En pratique, le choix dépend bien sûr de la nature du fonds à numériser, des moyens et des buts à atteindre. Difficile de se passer d’une des deux façons de faire.»
= Gallica
Secteur numérique de la Bibliothèque nationale de France (BnF), Gallica est inauguré en octobre 1997 avec des images et textes du 19e siècle francophone, «siècle de l’édition et de la presse moderne, siècle du roman mais aussi des grandes synthèses historiques et philosophiques, siècle scientifique et technique». A l’époque, le serveur stocke 2.500 livres numérisés en mode image complétés par les 250 livres numérisés en mode texte de la base Frantext de l’INaLF (Institut national de la langue française). Classés par discipline, ces livres sont complétés par une chronologie du 19e siècle et des synthèses sur les grands courants en histoire, sciences politiques, droit, économie, littérature, philosophie, sciences et histoire des sciences. Le site propose aussi un échantillon de la future iconothèque numérique, à savoir le fonds du photographe Eugène Atget, une sélection de documents sur l’écrivain Pierre Loti, une collection d’images de l’Ecole nationale des ponts et chaussées ayant trait aux grands travaux liés à la révolution industrielle en France, et enfin un choix de livres illustrés de la Bibliothèque du Musée de l’homme.
Fin 1997, Gallica se considère moins comme une banque de données numérisées que comme un «laboratoire dont l’objet est d’évaluer les conditions d’accès et de consultation à distance des documents numériques». Le but est d’expérimenter la navigation dans ces collections, en permettant aussi bien le libre parcours du chercheur ou du curieux que des recherches textuelles pointues.
Début 1998, Gallica annonce 100.000 volumes et 300.000 images pour la fin 1999, avec un accroissement rapide des collections ensuite. Sur les 100.000 volumes prévus, qui représenteront 30 millions de pages numérisées, plus du tiers concerne le 19e siècle. Quant aux 300.000 images fixes, la moitié appartient aux départements spécialisés de la BnF (Estampes et photographie, Manuscrits, Arts du spectacle, Monnaies et médailles, etc.). L’autre moitié provient de collections d’établissements publics (musées et bibliothèques, Documentation française, Ecole nationale des ponts et chaussées, Institut Pasteur, Observatoire de Paris, etc.) ou privés (agences de presse dont Magnum, l’Agence France-Presse, Sygma, Rapho, etc.).
Par ailleurs, à la même date, le site bilingue français-anglais de la BnF est à la fois solidement ancré dans le passé et résolument ouvert sur l’avenir, comme en témoigne le menu principal de la page d’accueil, avec ses neuf rubriques: (1) nouveau (à savoir les nouvelles manifestations culturelles); (2) connaître la BnF; (3) les actualités culturelles; (4) les expositions virtuelles (quatre expositions en septembre 1998: les splendeurs persanes, le roi Charles V et son temps, naissance de la culture française, tous les savoirs du monde); (5) des informations pratiques; (6) l’accès aux catalogues de la BnF; (7) l’information professionnelle (conservation, dépôt légal, produits bibliographiques, etc.); (8) la bibliothèque en réseau (Francophonie, coopération nationale, coopération internationale, etc.); (9) les autres serveurs (bibliothèques nationales, bibliothèques françaises, universités, etc.). Bien en vue sur la page d’accueil, un logo permet d’accéder à Gallica.
En mai 1998, la BnF revoit ses espérances à la baisse et modifie quelque peu ses orientations premières. Jérôme Strazzulla, journaliste au Figaro, explique dans l'édition du 3 juin 1998 que la BnF est «passée d’une espérance universaliste, encyclopédique, à la nécessité de choix éditoriaux pointus». Dans le même article, le président de la BnF, Jean-Pierre Angremy, rapporte la décision du comité éditorial de Gallica: «Nous avons décidé d’abandonner l’idée d’un vaste corpus encyclopédique de cent mille livres, auquel on pourrait sans cesse reprocher des trous. Nous nous orientons aujourd’hui vers des corpus thématiques, aussi complets que possibles, mais plus restreints. (…) Nous cherchons à répondre, en priorité, aux demandes des chercheurs et des lecteurs.» Le premier corpus aura trait aux voyages en France, avec mise en ligne prévue en 2000. Ce corpus rassemblera des textes, estampes et photographies du 16e siècle à 1920. Les corpus envisagés ensuite auront les thèmes suivants: Paris, les voyages en Afrique des origines à 1920, les utopies, et les mémoires des Académies des sciences de province.
En 2003, Gallica rassemble 70.000 ouvrages et 80.000 images allant du Moyen-Age au début du 20e siècle, tous documents libres de droits. Mais, de l’avis de nombreux usagers, les fichiers sont très lourds puisque les livres sont numérisés en mode image, et l’accès en est très long. Chose tout aussi problématique, la numérisation en mode image n’autorise pas la recherche textuelle alors que Gallica se trouve être la plus grande bibliothèque numérique francophone du réseau en nombre de titres disponibles en ligne. Seule une petite collection de livres (1.117 livres en février 2004) est numérisée en mode texte, celle de la base Frantext de l'ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française, le laboratoire ayant succédé à l'INaLF), intégrée dans Gallica.
En février 2005, Gallica compte 76.000 ouvrages. A la même date, la BnF annonce la mise en ligne prochaine (entre 2006 et 2009) de la presse française parue entre 1826 et 1944, à savoir 22 titres représentant 3,5 millions de pages. Début 2006, les premiers journaux disponibles en ligne sont les quotidiens Le Figaro (fondé en 1826), La Croix (fondée en 1883), L'Humanité (fondée en 1904) et Le Temps (fondé en 1861 et disparu en 1942).
En décembre 2006, les collections comprennent 90.000 ouvrages numérisés (fascicules de presse compris), 80.000 images et des dizaines d'heures de ressources sonores. Gallica débute la conversion en mode texte des livres numérisés en mode image afin de favoriser l'accès à leur contenu et leur indexation par les moteurs de recherche.
En novembre 2007, la BnF annonce la numérisation de 300.000 ouvrages supplémentaires d'ici 2010, à savoir 45 millions de pages qui seront accessibles sur son nouveau site Gallica2, simultanément en mode image et en mode texte.
= [Résumé]
Selon Peter Raggett, bibliothécaire depuis plus de vingt ans, «l’internet offre aux chercheurs un stock d’informations considérable. Le problème pour eux est de trouver ce qu’ils cherchent (en 1999). Jamais auparavant on n’avait senti une telle surcharge d’informations, comme on la sent maintenant quand on tente de trouver un renseignement sur un sujet précis en utilisant les moteurs de recherche disponibles sur l’internet. A mon avis, les bibliothécaires auront un rôle important à jouer pour améliorer la recherche et l’organisation de l’information sur le réseau. (…) La tâche du bibliothécaire sera de filtrer les informations pour le public. Personnellement, je me vois de plus en plus devenir un bibliothécaire virtuel. Je n’aurai pas l’occasion de rencontrer les usagers, ils me contacteront plutôt par courriel, par téléphone ou par fax, j’effectuerai la recherche et je leur enverrai les résultats par voie électronique.»
= Bibliothécaires et internet
Le bibliothécaire-documentaliste voit son activité professionnelle frappée de plein fouet par l'informatique puis par l’internet. Dans les années 1980, l'informatique permet aux bibliothécaires de remplacer des catalogues de fiches sur bristol par des catalogues consultables à l’écran, avec un classement alphabétique ou systématique effectué par la machine. L'informatisation du prêt et des commandes de livres fait disparaître l’impressionnant stock de fiches et bordereaux nécessaires lors des opérations manuelles. L’informatique en réseau permet ensuite la gestion de catalogues collectifs regroupant dans une même base de données les catalogues des bibliothèques de la même région, du même pays ou de la même spécialité, entraînant du même coup des services très facilités pour le prêt inter-bibliothèques et le regroupement des commandes auprès des fournisseurs. Puis les bibliothèques ouvrent un serveur minitel pour la consultation de leur catalogue, désormais disponible au domicile du lecteur. Ces catalogues sont progressivement transférés sur l’internet, avec une consultation plus souple et plus attractive que sur minitel. Outre le catalogue en ligne, les sites web des bibliothèques offrent un ensemble de documents numérisés ou encore un choix de liens hypertextes vers d’autres sites, évitant ainsi aux usagers de se perdre sur la toile.
Selon Olivier Bogros, directeur de la Bibliothèque municipale de Lisieux (Normandie), interviewé en juin 1998, l’internet est «un outil formidable d’échange entre professionnels (tout ce qui passe par le courrier électronique, les listes de diffusion et les forums) (…). C’est aussi pour les bibliothèques la possibilité d’élargir leur public en direction de toute la Francophonie. Cela passe par la mise en ligne d’un contenu qui n’est pas seulement la mise en ligne du catalogue, mais aussi et surtout la constitution de véritables bibliothèques virtuelles.»
La liste de diffusion Biblio-fr est créée en 1993 par Hervé Le Crosnier, professeur à l’Université de Caen (Normandie), à l’intention des «bibliothécaires et documentalistes francophones et [de] toute personne intéressée par la diffusion électronique de l’information documentaire». La liste se veut le regard francophone des documentalistes sur les questions soulevées par le développement de l’internet, par exemple «la diffusion de la connaissance, l’organisation de collections de documents électroniques, la maintenance et l’archivage de l’écrit électronique». Biblio-fr compte 3.329 abonnés le 20 décembre 1998 et 15.136 abonnés le 20 avril 2007. Une autre liste de diffusion est ADBS-info, gérée par l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS), avec 7.699 abonnés le 20 avril 2007.
Des portails sont créés à l’intention des bibliothèques, par exemple Biblio On Line. Jean-Baptiste Rey, son rédacteur et webmestre, relate en juin 1998: «Le site dans sa première version a été lancé en juin 1996. Une nouvelle version (l’actuelle) a été mise en place à partir du mois de septembre 1997. Le but de ce site est d’aider les bibliothèques à intégrer internet dans leur fonctionnement et dans les services qu’elles offrent à leur public. Le service est décomposé en deux parties: (a) une partie "professionnelle" où les bibliothécaires peuvent retrouver des informations professionnelles et des liens vers les organismes, les institutions, et les projets et réalisations ayant trait à leur activité; (b) une partie comprenant annuaire, mode d’emploi de l’internet, villes et provinces, etc… permet au public des bibliothèques d’utiliser le service Biblio On Line comme un point d’entrée vers internet.»
Le site de l’ENSSIB (Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques) héberge la version électronique du Bulletin des bibliothèques de France (BBF), une revue professionnelle bimensuelle dans laquelle «professionnels et spécialistes de l’information discutent de toutes les questions concernant la politique et le développement des bibliothèques et des centres de documentation: évolution par secteur, grands projets, informatisation, technologies de l’information, écrits électroniques, réseaux, coopération, formation, gestion, patrimoine, usagers et publics, livre et lecture…»
Annie Le Saux, rédactrice de la revue, relate en juillet 1998: «C’est en 1996 que le BBF a commencé à paraître sur internet (les numéros de 1995). (…) Nous nous servons beaucoup du courrier électronique pour prendre contact avec nos auteurs et pour recevoir leurs articles. Cela diminue grandement les délais. Nous avons aussi recours au web pour prendre connaissance des sites mentionnés lors de colloques, vérifier les adresses, retrouver des indications bibliographiques dans les catalogues des bibliothèques…»
= Quelques expériences
# En 1999
Avec cette manne documentaire qu’offre désormais l’internet, que vont devenir les bibliothécaires-documentalistes? Vont-ils devenir des cyberthécaires, ou bien vont-ils progressivement disparaître parce que les usagers n’auront tout simplement plus besoin d’eux? A la fin des années 1990, il ne semble pas que la profession soit en danger, au contraire. Piloter les usagers sur l’internet, filtrer et organiser l’information à leur intention, créer et gérer un site web, rechercher des documents dans des bases de données spécialisées, telles sont désormais les tâches de nombreux bibliothécaires. C'est le cas de Peter Raggett à l'OCDE et de Bruno Didier à l'Institut Pasteur.
Peter Raggett est sous-directeur (puis directeur) de la Bibliothèque centrale de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), rebaptisée ensuite Centre d'information et de documentation (CDI).
Située à Paris, l’OCDE regroupe trente pays membres. Au noyau d’origine, constitué des pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, viennent s’ajouter le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, le Mexique, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Corée.
Réservée aux fonctionnaires de l’organisation, la bibliothèque permet la consultation de 60.000 monographies et 2.500 périodiques imprimés. En ligne depuis 1996, ses pages intranet deviennent une source d’information majeure pour le personnel.
«Je dois filtrer l’information pour les usagers de la bibliothèque, ce qui signifie que je dois bien connaître les sites et les liens qu’ils proposent, explique Peter Raggett en août 1999. J’ai sélectionné plusieurs centaines de sites pour en favoriser l’accès à partir de l’intranet de l’OCDE. Cette sélection fait partie du bureau de référence virtuel proposé par la bibliothèque à l’ensemble du personnel. Outre de nombreux liens, ce bureau de référence contient des pages recensant les articles, monographies et sites web correspondant aux différents projets de recherche en cours à l’OCDE, l’accès en réseau aux CD-ROM et une liste mensuelle des nouveaux titres.»
Comment voit-il l’avenir de la profession? «L’internet offre aux chercheurs un stock d’informations considérable. Le problème pour eux est de trouver ce qu’ils cherchent. Jamais auparavant on n’avait senti une telle surcharge d’informations, comme on la sent maintenant quand on tente de trouver un renseignement sur un sujet précis en utilisant les moteurs de recherche disponibles sur l’internet. A mon avis, les bibliothécaires auront un rôle important à jouer pour améliorer la recherche et l’organisation de l’information sur le réseau. Je prévois aussi une forte expansion de l’internet pour l’enseignement et la recherche. Les bibliothèques seront amenées à créer des bibliothèques numériques permettant à un étudiant de suivre un cours proposé par une institution à l’autre bout du monde. La tâche du bibliothécaire sera de filtrer les informations pour le public. Personnellement, je me vois de plus en plus devenir un bibliothécaire virtuel. Je n’aurai pas l’occasion de rencontrer les usagers, ils me contacteront plutôt par courriel, par téléphone ou par fax, j’effectuerai la recherche et je leur enverrai les résultats par voie électronique.»
En 1999, Bruno Didier est bibliothécaire à l’Institut Pasteur (Paris), une fondation privée dont le but est la prévention et le traitement des maladies infectieuses par la recherche, l’enseignement et des actions de santé publique.
Séduit par les perspectives qu’offre le réseau pour la recherche documentaire, Bruno Didier crée le site web de la bibliothèque en 1996 et devient son webmestre. «Le site web de la bibliothèque a pour vocation principale de servir la communauté pasteurienne, relate-t-il en août 1999. Il est le support d’applications devenues indispensables à la fonction documentaire dans un organisme de cette taille: bases de données bibliographiques, catalogue, commande de documents et bien entendu accès à des périodiques en ligne. C’est également une vitrine pour nos différents services, en interne mais aussi dans toute la France et à l’étranger. Il tient notamment une place importante dans la coopération documentaire avec les instituts du réseau Pasteur à travers le monde. Enfin j’essaie d’en faire une passerelle adaptée à nos besoins pour la découverte et l’utilisation d’internet. (…) Je développe et maintiens les pages du serveur, ce qui s’accompagne d’une activité de veille régulière. Par ailleurs je suis responsable de la formation des usagers, ce qui se ressent dans mes pages. Le web est un excellent support pour la formation, et la plupart des réflexions actuelles sur la formation des usagers intègrent cet outil.»
Son activité professionnelle a changé de manière radicale, tout comme celle de ses collègues. «C’est à la fois dans nos rapports avec l’information et avec les usagers que les changements ont eu lieu, explique-t-il. Nous devenons de plus en plus des médiateurs, et peut- être un peu moins des conservateurs. Mon activité actuelle est typique de cette nouvelle situation: d’une part dégager des chemins d’accès rapides à l’information et mettre en place des moyens de communication efficaces, d’autre part former les utilisateurs à ces nouveaux outils. Je crois que l’avenir de notre métier passe par la coopération et l’exploitation des ressources communes. C’est un vieux projet certainement, mais finalement c’est la première fois qu’on dispose enfin des moyens de le mettre en place.»
# En 2000
En 2000, Bakayoko Bourahima est responsable de la bibliothèque de l'Ecole nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée (ENSEA) d’Abidjan (Côte d'Ivoire). L'ENSEA est un établissement qui assure la formation de statisticiens pour les pays africains d’expression française. Son site web est mis en ligne en avril 1999 dans le cadre du réseau REFER, un réseau mis sur pied par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) pour desservir la communauté scientifique et technique en Afrique, en Asie et en Europe orientale (24 pays participants en 2002).
En tant que responsable de la bibliothèque, Bakayoko Bourahima s’occupe de la gestion de l’information et de la diffusion des travaux publiés par l’ENSEA. Quel est l'apport de l’internet dans son travail? «Mon service a eu récemment des séances de travail avec l’équipe informatique pour discuter de l’implication de la bibliothèque dans l’animation du site, relate-t-il en juillet 2000. Le service de la bibliothèque travaille aussi à deux projets d’intégration du web pour améliorer ses prestations. (…) J’espère bientôt pouvoir mettre à la disposition de mes usagers un accès internet pour l’interrogation de bases de données. Par ailleurs, j’ai en projet de réaliser et de mettre sur l’intranet et sur le web un certain nombre de services documentaires (base de données thématique, informations bibliographiques, service de références bibliographiques, bulletin analytique des meilleurs travaux d’étudiants…). Il s’agit donc pour la bibliothèque, si j’obtiens les financements nécessaires pour ces projets, d’utiliser pleinement l’internet pour donner à notre Ecole un plus grand rayonnement et de renforcer sa plateforme de communication avec tous les partenaires possibles. En intégrant cet outil au plan de développement de la bibliothèque, j’espère améliorer la qualité et élargir la gamme de l’information scientifique et technique mise à la disposition des étudiants, des enseignants et des chercheurs, tout en étendant considérablement l’offre des services de la bibliothèque.»
En 2000, Emmanuel Barthe est documentaliste juridique et responsable informatique de Coutrelis & Associés, un cabinet d’avocats parisien. «Les principaux domaines de travail du cabinet sont le droit communautaire, le droit de l’alimentation, le droit de la concurrence et le droit douanier, écrit-il en octobre 2000. Je fais de la saisie indexation, et je conçois et gère les bases de données internes. Pour des recherches documentaires difficiles, je les fais moi-même ou bien je conseille le juriste. Je suis aussi responsable informatique et télécoms du cabinet: conseils pour les achats, assistance et formation des utilisateurs. De plus, j’assure la veille, la sélection et le catalogage de sites web juridiques: titre, auteur et bref descriptif. Je suis également formateur internet juridique aussi bien à l’intérieur de mon entreprise qu’à l’extérieur lors de stages de formation.»
Par ailleurs, Emmanuel Barthe est le modérateur de Juriconnexion, une liste de discussion créée par l’association du même nom. «L’association Juriconnexion a pour but la promotion de l’électronique juridique, c’est-à-dire la documentation juridique sur support électronique et la diffusion des données publiques juridiques. Elle organise des rencontres entre les utilisateurs et les éditeurs juridiques (et de bases de données), ainsi qu’une journée annuelle sur un thème. Vis-à- vis des autorités publiques, Juriconnexion a un rôle de médiateur et de lobbying à la fois. L’association, notamment, est favorable à la diffusion gratuite sur internet des données juridiques produites par le Journal officiel et les tribunaux. Les bibliothécaires-documentalistes juridiques représentent la majorité des membres de l’association, suivis par certains représentants des éditeurs et des juristes.»
# En 2001
En 2001, Anissa Rachef est bibliothécaire et professeur à l’Institut français de Londres. Présents dans de nombreux pays, les instituts français sont des organismes officiels proposant des cours et manifestations culturelles. A Londres, 5.000 étudiants environ s'inscrivent aux cours chaque année. Inaugurée en mai 1996, la médiathèque utilise l’internet dès sa création.
«L’objectif de la médiathèque est double, explique Anissa Rachef en avril 2001. Servir un public s’intéressant à la culture et la langue françaises et "recruter" un public allophone en mettant à disposition des produits d’appel tels que vidéos documentaires, livres audio, CD- ROM. La mise en place récente d’un espace multimédia sert aussi à fidéliser les usagers. L’installation d’un service d’information rapide a pour fonction de répondre dans un temps minimum à toutes sortes de questions posées via le courrier électronique, ou par fax. Ce service exploite les nouvelles technologies pour des recherches très spécialisées. Nous élaborons également des dossiers de presse destinés aux étudiants et professeurs préparant des examens de niveau secondaire. Je m’occupe essentiellement de catalogage, d’indexation et de cotation. (…) J’utilise internet pour des besoins de base. Recherches bibliographiques, commande de livres, courrier professionnel, prêt inter-bibliothèques. C’est grâce à internet que la consultation de catalogues collectifs, tels SUDOC (Système universitaire de documentation) et OCLC (Online Computer Library Center), a été possible. C’est ainsi que j’ai pu mettre en place un service de fourniture de documents extérieurs à la médiathèque. Des ouvrages peuvent désormais être acheminés vers la médiathèque pour des usagers ou bien à destination des bibliothèques anglaises.»
= [Résumé]
De pratiquement anglophone à ses débuts, le web, devenu multilingue en 2000, permet une large diffusion des textes électroniques sans contrainte de frontières. Mais la barrière de la langue est loin d’avoir disparu. Que préconise Olivier Gainon, fondateur des éditions CyLibris? «Première étape: le respect des particularismes au niveau technique, explique-t-il en décembre 2000. Il faut que le réseau respecte les lettres accentuées, les lettres spécifiques, etc. Je crois très important que les futurs protocoles permettent une transmission parfaite de ces aspects - ce qui n’est pas forcément simple (dans les futures évolutions de l’HTML ou des protocoles IP, etc.). Donc il faut que chacun puisse se sentir à l’aise avec l’internet et que ce ne soit pas simplement réservé à des (plus ou moins) anglophones. Il est anormal aujourd’hui que la transmission d’accents puisse poser problème dans les courriers électroniques. La première démarche me semble donc une démarche technique. Si on arrive à faire cela, le reste en découle: la représentation des langues se fera en fonction du nombre de connectés, et il faudra envisager à terme des moteurs de recherche multilingues.»
= Premiers pas
A tort ou à raison, on se plaint souvent de l’hégémonie de l’anglais sur l’internet. Celle-ci était inévitable au début, puisque le réseau se développe d’abord en Amérique du Nord avant de s'étendre au monde entier. En 1997, on note déjà la présence de nombreuses langues, cette présence dépendant du dynamisme de chaque communauté linguistique. En décembre 1997, Tim Berners-Lee, inventeur du web, déclare à Pierre Ruetschi, journaliste à la Tribune de Genève, un quotidien suisse: «Pourquoi les Francophones ne mettent-ils pas davantage d’informations sur le web? Est-ce qu’ils pensent que personne ne veut la lire, que la culture française n’a rien à offrir? C’est de la folie, l’offre est évidemment énorme.» C’est chose faite dans les années qui suivent.
Consultant en marketing internet de produits et services de traduction, Randy Hobler écrit en septembre 1998: «Comme l’internet n’a pas de frontières nationales, les internautes s’organisent selon d’autres critères propres au médium. En termes de multilinguisme, vous avez des communautés virtuelles, par exemple ce que j’appelle les "nations des langues", tous ces internautes qu’on peut regrouper selon leur langue maternelle quel que soit leur lieu géographique. Ainsi la nation de la langue espagnole inclut non seulement les internautes d’Espagne et d’Amérique latine, mais aussi tous les Hispanophones vivant aux Etats- Unis, ou encore ceux qui parlent espagnol au Maroc.»
En 1998 et 1999, la nécessité d’un web multilingue occupe tous les esprits. Au début des années 2000, le web, devenu multilingue, permet une large diffusion des textes électroniques sans contrainte de frontières, mais la barrière de la langue est loin d’avoir disparu. La priorité semble être la création de passerelles entre les communautés linguistiques pour favoriser la circulation des écrits dans d’autres langues, en améliorant notamment les outils de traduction.
Au cours de l'été 2000, les usagers non anglophones dépassent la barre des 50%. Ce pourcentage continue ensuite d'augmenter, comme le montrent les statistiques de la société Global Reach, mises à jour à intervalles réguliers. Le nombre d’usagers non anglophones est de 52,5% en été 2001, 57% en décembre 2001, 59,8% en avril 2002, 64,4% en septembre 2003 (dont 34,9% d’Européens non anglophones et 29,4% d’Asiatiques) et 64,2% en mars 2004 (dont 37,9% d’Européens non anglophones et 33% d’Asiatiques).
Bruno Didier, webmestre de la Bibliothèque de l’Institut Pasteur, écrit en août 1999: «Internet n’est une propriété ni nationale, ni linguistique. C’est un vecteur de culture, et le premier support de la culture, c’est la langue. Plus il y a de langues représentées dans leur diversité, plus il y aura de cultures sur internet. Je ne pense pas qu’il faille justement céder à la tentation systématique de traduire ses pages dans une langue plus ou moins universelle. Les échanges culturels passent par la volonté de se mettre à la portée de celui vers qui on souhaite aller. Et cet effort passe par l’appréhension de sa langue. Bien entendu c’est très utopique comme propos. Concrètement, lorsque je fais de la veille, je peste dès que je rencontre des sites norvégiens ou brésiliens sans un minimum d’anglais.»
Dès décembre 1997, le moteur de recherche AltaVista lance Babel Fish Translation, un logiciel de traduction automatique de l’anglais vers cinq autres langues (allemand, espagnol, français, italien, portugais), et vice versa. Alimenté par un dictionnaire multilingue de 2,5 millions de mots, ce service gratuit est l’oeuvre de Systran, société pionnière en traitement automatique des langues. Le texte à traduire doit être de trois pages maximum. La page originale et la traduction apparaissent en vis-à-vis à l’écran. La traduction étant entièrement automatisée, elle est évidemment approximative. Si cet outil a ses limites, il a le mérite d’exister et il préfigure ceux des années suivantes, développés entre autres par Systran, Alis Technologies, Globalink ou Lernout & Hauspie.
= De l'ASCII à l'Unicode
Communiquer dans plusieurs langues implique d’avoir des systèmes de codage adaptés à nos alphabets ou idéogrammes respectifs.
Le premier système d'encodage informatique est l’ASCII (American standard code for information interchange). Publié en 1968 aux Etats- Unis par l’American National Standards Institute (ANSI), avec actualisation en 1977 et 1986, l'ASCII est un code standard de 128 caractères traduits en langage binaire sur sept bits (A est traduit par «1000001», B est traduit par «1000010», etc.). Les 128 caractères comprennent 33 caractères de contrôle (qui ne représentent donc pas de symbole écrit) et 95 caractères imprimables: les 26 lettres sans accent en majuscules (A-Z) et minuscules (a-z), les chiffres, les signes de ponctuation et quelques symboles, le tout correspondant aux touches du clavier anglais ou américain.
L'ASCII permet uniquement la lecture de l’anglais et du latin. Il ne permet pas de prendre en compte les lettres accentuées présentes dans bon nombre de langues européennes, et à plus forte raison les langues non alphabétiques (chinois, japonais, coréen, etc.). Ceci ne pose pas de problème majeur les premières années, tant que l’échange de fichiers électroniques se limite essentiellement à l’Amérique du Nord. Mais le multilinguisme devient bientôt une nécessité vitale. Des variantes de l’ASCII (norme ISO-8859 ou ISO-Latin) prennent en compte les caractères accentués de quelques langues européennes. Par exemple, la variante pour le français est définie par la norme ISO-8859-1 (ISO-Latin-1). Mais le passage de l’ASCII original à ses différentes extensions devient vite un véritable casse-tête, y compris au sein de l’Union européenne, les problèmes étant entre autres la multiplication des variantes, la corruption des données dans les échanges informatiques ou encore l’incompatibilité des systèmes, les pages ne pouvant être affichées que dans une seule langue à la fois.
Avec le développement du web, l’échange des données s’internationalise de plus en plus. On ne peut plus se limiter à l’utilisation de l’anglais et de quelques langues européennes, traduites par un système d’encodage datant de 1968.
Publié pour la première fois en janvier 1991, l’Unicode est un système d'encodage «universel» sur 16 bits spécifiant un nombre unique pour chaque caractère. Ce nombre est lisible quels que soient la plateforme, le logiciel et la langue utilisés. L’Unicode peut traiter 65.000 caractères uniques et prendre en compte tous les systèmes d’écriture de la planète. A la grande satisfaction des linguistes, il remplace progressivement l’ASCII. L’Unicode dispose de plusieurs variantes en fonction des besoins, par exemple UTF-8, UTF-16 et UTF-32 (UTF: Unicode transformation format). Il devient une composante des spécifications du W3C (World Wide Web Consortium), l'organisme international chargé du développement du web.
L’utilisation de l’Unicode se généralise en 1998, par exemple pour les fichiers texte sous plateforme Windows (Windows NT, Windows 2000, Windows XP et versions suivantes), qui étaient jusque-là en ASCII. Mais l’Unicode ne peut résoudre tous les problèmes, comme le souligne en juin 2000 Luc Dall’Armellina, co-auteur et webmestre d’oVosite, un espace d’écriture hypermédia: «Les systèmes d’exploitation se dotent peu à peu des kits de langues et bientôt peut-être de polices de caractères Unicode à même de représenter toutes les langues du monde; reste que chaque application, du traitement de texte au navigateur web, emboîte ce pas. Les difficultés sont immenses: notre clavier avec ses ± 250 touches avoue ses manques dès lors qu’il faille saisir des Katakana ou Hiragana japonais, pire encore avec la langue chinoise. La grande variété des systèmes d’écriture de par le monde et le nombre de leurs signes font barrage. Mais les écueils culturels ne sont pas moins importants, liés aux codes et modalités de représentation propres à chaque culture ou ethnie.»
Que préconise Olivier Gainon, fondateur de CyLibris et pionnier de l’édition littéraire en ligne? « Première étape: le respect des particularismes au niveau technique, explique-t-il en décembre 2000. Il faut que le réseau respecte les lettres accentuées, les lettres spécifiques, etc. Je crois très important que les futurs protocoles permettent une transmission parfaite de ces aspects - ce qui n’est pas forcément simple (dans les futures évolutions de l’HTML ou des protocoles IP, etc.). Donc il faut que chacun puisse se sentir à l’aise avec l’internet et que ce ne soit pas simplement réservé à des (plus ou moins) anglophones. Il est anormal aujourd’hui que la transmission d’accents puisse poser problème dans les courriers électroniques. La première démarche me semble donc une démarche technique. Si on arrive à faire cela, le reste en découle: la représentation des langues se fera en fonction du nombre de connectés, et il faudra envisager à terme des moteurs de recherche multilingues.»
Yoshi Mikami est informaticien à Fujisawa, au Japon. En décembre 1995, il lance le site "The Languages of the World by Computers and the Internet", communément appelé Logos Home Page ou Kotoba Home Page. Son site donne un bref historique de chaque langue, ses caractéristiques, son système d'écriture, son jeu de caractères et enfin la configuration du clavier dans la langue donnée. Yoshi Mikami est également co-auteur (avec Kenji Sekine et Nobutoshi Kohara) de "Pour un web multilingue", publié en août 1997 en japonais par les éditions O'Reilly avant d'être traduit en anglais, en allemand et en français (version française parue en septembre 1998).
Yoshi explique en décembre 1998: «Ma langue maternelle est le japonais. Comme j'ai suivi mes études de troisième cycle aux Etats-Unis et que j'ai travaillé dans l'informatique, je suis devenu bilingue japonais/anglais américain. J'ai toujours été intéressé par différentes langues et cultures, aussi j'ai appris le russe, le français et le chinois dans la foulée. A la fin de 1995, j'ai créé sur le web le site "The Languages of the World by Computers and the Internet" et j'ai tenté de donner - en anglais et en japonais - un bref historique de toutes ces langues, ainsi que les caractéristiques propres à chaque langue et à sa phonétique. Suite à l'expérience acquise, j'ai invité mes deux associés à écrire un livre sur la conception, la création et la présentation de pages web multilingues, livre qui fut publié en août 1997 sous le titre "The Multilingual Web Guide", le premier livre au monde sur un tel sujet.»
Comment voit-il l'évolution vers un web multilingue? «Il y a des milliers d'années de cela, en Egypte, en Chine et ailleurs, les gens étaient plus sensibles au fait de communiquer leurs lois et leurs réflexions non seulement dans une langue mais dans plusieurs. Dans notre monde moderne, chaque Etat a adopté plus ou moins une seule langue de communication. A mon avis, l'internet verra l'utilisation plus grande de langues différentes et de pages multilingues (et pas seulement une gravitation autour de l'anglais américain) et un usage plus créatif de la traduction informatique multilingue. 99% des sites web créés au Japon sont en japonais!»
= De l'anglais au plurilinguisme
Après avoir été anglophone à pratiquement 100%, l’internet est encore anglophone à plus de 80% en 1998, un pourcentage qui s’explique par trois facteurs: (a) la création d’un grand nombre de sites web émanant des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni; (b) une proportion d'usagers particulièrement forte en Amérique du Nord par rapport au reste du monde; (c) l’usage de l'anglais en tant que principale langue d’échange internationale.
L’anglais reste en effet prépondérant et ceci n’est pas près de disparaître. Comme indiqué en janvier 1999 par Marcel Grangier, responsable de la section française des services linguistiques centraux de l’Administration fédérale suisse, «cette suprématie n’est pas un mal en soi, dans la mesure où elle résulte de réalités essentiellement statistiques (plus de PC par habitant, plus de locuteurs de cette langue, etc.). La riposte n’est pas de "lutter contre l’anglais" et encore moins de s’en tenir à des jérémiades, mais de multiplier les sites en d’autres langues. Notons qu’en qualité de service de traduction, nous préconisons également le multilinguisme des sites eux- mêmes. La multiplication des langues présentes sur internet est inévitable, et ne peut que bénéficier aux échanges multiculturels.»
Professeur en technologies de la communication à la Webster University de Genève, Henk Slettenhaar insiste lui aussi sur la nécessité de sites bilingues, dans la langue originale et en anglais. «Les communautés locales présentes sur le web devraient en tout premier lieu utiliser leur langue pour diffuser des informations, écrit-il en décembre 1998. Si elles veulent également présenter ces informations à la communauté mondiale, celles-ci doivent être aussi disponibles en anglais. Je pense qu’il existe un réel besoin de sites bilingues. (…) Mais je suis enchanté qu’il existe maintenant tant de documents disponibles dans leur langue originale. Je préfère de beaucoup lire l’original avec difficulté plutôt qu’une traduction médiocre.»
Henk ajoute en août 1999: «A mon avis, il existe deux types de recherches sur le web. La première est la recherche globale dans le domaine des affaires et de l’information. Pour cela, la langue est d’abord l’anglais, avec des versions locales si nécessaire. La seconde, ce sont les informations locales de tous ordres dans les endroits les plus reculés. Si l’information est à destination d’une ethnie ou d’un groupe linguistique, elle doit d’abord être dans la langue de l’ethnie ou du groupe, avec peut-être un résumé en anglais.»
Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique, dénonce pour sa part la main-mise anglophone sur le réseau. «Tout ce qui peut contribuer à la diversité linguistique, sur internet comme ailleurs, est indispensable à la survie de la liberté de penser, explique-t-il en mars 2001. Je n’exagère absolument pas: l’homme moderne joue là sa survie. Cela dit, je suis très pessimiste devant cette évolution. Les Anglo-saxons vous écrivent en anglais sans vergogne. L’immense majorité des Français constate avec une indifférence totale le remplacement progressif de leur langue par le mauvais anglais des marchands et des publicitaires, et le reste du monde a parfaitement admis l’hégémonie linguistique des Anglo-saxons parce qu’ils n’ont pas d’autres horizons que de servir ces riches et puissants maîtres. La seule solution consisterait à recourir à des législations internationales assez contraignantes pour obliger les gouvernements nationaux à respecter et à faire respecter la langue nationale dans leur propre pays (le français en France, le roumain en Roumanie, etc.), cela dans tous les domaines et pas seulement sur internet. Mais ne rêvons pas…»
Richard Chotin, professeur à l’Ecole supérieure des affaires (ESA) de Lille, rappelle à juste titre que la suprématie de l’anglais a succédé à celle du français. «Le problème est politique et idéologique: c’est celui de l’"impérialisme" de la langue anglaise découlant de l’impérialisme américain, explique-t-il en septembre 2000. Il suffit d’ailleurs de se souvenir de l’"impérialisme" du français aux 18e et 19e siècles pour comprendre la déficience en langues des étudiants français: quand on n’a pas besoin de faire des efforts pour se faire comprendre, on n’en fait pas, ce sont les autres qui les font.»
Guy Antoine, créateur de Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne, croit en la nécessité de l'anglais en tant que langue commune. Il relate en novembre 1999: «Pour des raisons pratiques, l'anglais continuera à dominer le web. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, en dépit des sentiments régionalistes qui s'y opposent, parce que nous avons besoin d'une langue commune permettant de favoriser les communications à l'échelon international. Ceci dit, je ne partage pas l'idée pessimiste selon laquelle les autres langues n'ont plus qu'à se soumettre à la langue dominante. Au contraire. Tout d'abord l'internet peut héberger des informations utiles sur les langues minoritaires, qui seraient autrement amenées à disparaître sans laisser de traces. De plus, à mon avis, l'internet incite les gens à apprendre les langues associées aux cultures qui les intéressent. Ces personnes réalisent rapidement que la langue d'un peuple est un élément fondamental de sa culture. De ce fait, je n'ai pas grande confiance dans les outils de traduction automatique qui, s'ils traduisent les mots et les expressions, ne peuvent guère traduire l'âme d'un peuple. Que sont les Haïtiens, par exemple, sans le kreyòl (créole pour les non initiés), une langue qui s'est développée et qui a permis de souder entre elles diverses tribus africaines transplantées à Haïti pendant la période de l'esclavage? Cette langue représente de manière la plus palpable l'unité de notre peuple. Elle est toutefois principalement une langue parlée et non écrite. A mon avis, le web va changer cet état de fait plus qu'aucun autre moyen traditionnel de diffusion d'une langue. Dans Windows on Haiti, la langue principale est l'anglais, mais on y trouve tout aussi bien un forum de discussion animé conduit en kreyòl. Il existe aussi des documents sur Haïti en français et dans l'ancien créole colonial, et je suis prêt à publier d'autres documents en espagnol et dans diverses langues. Je ne propose pas de traductions, mais le multilinguisme est effectif sur ce site, et je pense qu'il deviendra de plus en plus la norme sur le web.»
Bakayoko Bourahima, bibliothécaire de l'Ecole nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée (ENSEA) à Abidjan, écrit en juillet 2000: «Pour nous les Africains francophones, le diktat de l’anglais sur la toile représente pour la masse un double handicap d’accès aux ressources du réseau. Il y a d’abord le problème de l’alphabétisation qui est loin d’être résolu et que l’internet va poser avec beaucoup plus d’acuité, ensuite se pose le problème de la maîtrise d’une seconde langue étrangère et son adéquation à l’environnement culturel. En somme, à défaut de multilinguisme, l’internet va nous imposer une seconde colonisation linguistique avec toutes les contraintes que cela suppose. Ce qui n’est pas rien quand on sait que nos systèmes éducatifs ont déjà beaucoup de mal à optimiser leurs performances, en raison, selon certains spécialistes, des contraintes de l’utilisation du français comme langue de formation de base. Il est donc de plus en plus question de recourir aux langues vernaculaires pour les formations de base, pour "désenclaver" l’école en Afrique et l’impliquer au mieux dans la valorisation des ressources humaines. Comment faire? Je pense qu’il n’y a pas de chance pour nous de faire prévaloir une quelconque exception culturelle sur la toile, ce qui serait de nature tout à fait grégaire. Il faut donc que les différents blocs linguistiques s’investissent beaucoup plus dans la promotion de leur accès à la toile, sans oublier leurs différentes spécificités internes.»
Tôt ou tard, le pourcentage des langues sur le réseau correspondra-t-il à leur répartition sur la planète? Rien n’est moins sûr à l’heure de la fracture numérique entre riches et pauvres, entre zones rurales et zones urbaines, entre régions favorisées et régions défavorisées, entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud, entre pays développés et pays en développement.
Selon Zina Tucsnak, ingénieur d’études au laboratoire ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française), interviewée en octobre 2000, «le meilleur moyen serait l’application d’une loi par laquelle on va attribuer un "quota" à chaque langue. Mais n’est-ce pas une utopie de demander l’application d’une telle loi dans une société de consommation comme la nôtre?»
A la même date, Emmanuel Barthe, documentaliste juridique, exprime un avis contraire: «Des signes récents laissent penser qu’il suffit de laisser les langues telles qu’elles sont actuellement sur le web. En effet, les langues autres que l’anglais se développent avec l’accroissement du nombre de sites web nationaux s’adressant spécifiquement aux publics nationaux, afin de les attirer vers internet. Il suffit de regarder l’accroissement du nombre de langues disponibles dans les interfaces des moteurs de recherche généralistes.»
= Langues minoritaires
De plus, l’«impérialisme» dénoncé plus haut ne concerne pas seulement les Etats-Unis et la langue anglaise. La France elle aussi n’est pas sans exercer pression pour imposer la suprématie de la langue française sur d’autres langues, comme en témoigne Guy Antoine, créateur du site Windows on Haiti. Il relate en juin 2001: «J’ai fait de la promotion du kreyòl (créole haïtien) une cause personnelle, puisque cette langue est le principal lien unissant tous les Haïtiens, malgré l’attitude dédaigneuse d’une petite élite haïtienne - à l’influence disproportionnée - vis-à-vis de l’adoption de normes pour l’écriture du kreyòl et le soutien de la publication de livres et d’informations officielles dans cette langue. A titre d’exemple, il y avait récemment dans la capitale d’Haïti un Salon du livre de deux semaines, à qui on avait donné le nom de "Livres en folie". Sur les 500 livres d’auteurs haïtiens qui étaient présentés lors du salon, il y en avait une vingtaine en kreyòl, ceci dans le cadre de la campagne insistante que mène la France pour célébrer la Francophonie dans ses anciennes colonies. A Haïti cela se passe relativement bien, mais au détriment direct de la Créolophonie.
En réponse à l’attitude de cette minorité haïtienne, j’ai créé sur mon site web Windows on Haiti deux forums de discussion exclusivement en kreyòl. Le premier forum regroupe des discussions générales sur toutes sortes de sujets, mais en fait ces discussions concernent principalement les problèmes socio-politiques qui agitent Haïti. Le deuxième forum est uniquement réservé aux débats sur les normes d’écriture du kreyòl. Ces débats sont assez animés, et un certain nombre d’experts linguistiques y participent. Le caractère exceptionnel de ces forums est qu’ils ne sont pas académiques. Je n’ai trouvé nulle part ailleurs sur l’internet un échange aussi spontané et aussi libre entre des experts et le grand public pour débattre dans une langue donnée des attributs et des normes de la même langue.»
En septembre 2000, Guy Antoine rejoint l’équipe dirigeante de Mason Integrated Technologies, dont l’objectif est de créer des outils permettant l’accessibilité des documents publiés dans des langues dites minoritaires. «Etant donné l’expérience de l’équipe en la matière, nous travaillons d’abord sur le créole haïtien (kreyòl), qui est la seule langue nationale d’Haïti, et l’une des deux langues officielles, l’autre étant le français. Cette langue ne peut guère être considérée comme une langue minoritaire dans les Caraïbes puisqu’elle est parlée par huit à dix millions de personnes.»
Autre expérience, celle de Caoimhín Ó Donnaíle, professeur d’informatique à l’Institut Sabhal Mór Ostaig, situé sur l’île de Skye, en Ecosse. Caoimhín dispense ses cours en gaélique écossais. Il est aussi le webmestre du site de l’institut, qui est bilingue anglais- gaélique et se trouve être la principale source d’information mondiale sur le gaélique écossais. Sur ce site, il tient à jour la page "European Minority Languages", une liste de langues européennes minoritaires elle aussi bilingue, avec classement par ordre alphabétique de langues et par famille linguistique. Interviewé en mai 2001, Caoimhín raconte: «Nos étudiants utilisent un correcteur d’orthographe en gaélique et une base terminologique en ligne en gaélique. (…) Il est maintenant possible d’écouter la radio en gaélique (écossais et irlandais) en continu sur l’internet partout dans le monde. Une réalisation particulièrement importante a été la traduction en gaélique du logiciel de navigation Opera. C’est la première fois qu’un logiciel de cette taille est disponible en gaélique.»
En février 2000, Robert Beard co-fonde yourDictionary.com en tant que portail de référence pour toutes les langues sans exception, avec une section spécifique consacrée aux langues menacées (Endangered Language Repository). «Les langues menacées sont essentiellement des langues non écrites, écrit-il en janvier 2000. Un tiers seulement des quelque 6.000 langues existant dans le monde sont à la fois écrites et parlées. Je ne pense pourtant pas que le web va contribuer à la perte de l’identité des langues et j’ai même le sentiment que, à long terme, il va renforcer cette identité. Par exemple, de plus en plus d’Indiens d’Amérique contactent des linguistes pour leur demander d’écrire la grammaire de leur langue et de les aider à élaborer des dictionnaires. Pour eux, le web est un instrument à la fois accessible et très précieux d’expression culturelle.»
Caoimhín Ó Donnaíle indique pour sa part en mai 2001: «En ce qui concerne l’avenir des langues menacées, l’internet accélère les choses dans les deux sens. Si les gens ne se soucient pas de préserver les langues, l’internet et la mondialisation qui l’accompagne accéléreront considérablement la disparition de ces langues. Si les gens se soucient vraiment de les préserver, l’internet constituera une aide irremplaçable.»
= Traductions
L’internet étant une source d’information à vocation mondiale, il semble indispensable de favoriser les activités de traduction. Auteur des Chroniques de Cybérie, une chronique hebdomadaire en ligne des actualités du réseau, Jean-Pierre Cloutier déplore en août 1999 «qu’il se fasse très peu de traductions des textes et essais importants qui sont publiés sur le web, tant de l’anglais vers d’autres langues que l’inverse. (…) La nouveauté d’internet dans les régions où il se déploie présentement y suscite des réflexions qu’il nous serait utile de lire. À quand la traduction des penseurs hispanophones et autres de la communication?»
Professeur d’espagnol en entreprise et traductrice, Maria Victoria Marinetti écrit à la même date: «Il est très important de pouvoir communiquer en différentes langues. Je dirais même que c’est obligatoire, car l’information donnée sur le net est à destination du monde entier, alors pourquoi ne l’aurions-nous pas dans notre propre langue ou dans la langue que nous souhaitons lire? Information mondiale, mais pas de vaste choix dans les langues, ce serait contradictoire, pas vrai?»
Une solution résidera peut-être dans l'utilisation à grande échelle des logiciels de traduction automatique, dont on nous promet l'amélioration d'ici quelques années. Il va sans dire que, pour le moment, la traduction automatique n’offre pas la qualité de travail des professionnels de la traduction, et qu’il est préférable de faire appel à ces derniers lorsqu'on a le temps et l’argent nécessaires. Mais qui a l’argent nécessaire pour faire traduire des centaines sinon des milliers de pages web et, qui plus est, en plusieurs langues? Les logiciels de traduction sont donc très pratiques pour fournir un résultat immédiat et à moindres frais, sinon gratuit, même si celui-ci est très imparfait. Depuis 1998, des logiciels sont en accès libre sur le web - par exemple ceux de Systran, d'Alis technologies ou de Google - et permettent de traduire en quelques secondes une page web ou un texte court, avec plusieurs combinaisons de langues possibles.
Le but d’un logiciel de traduction est d’analyser le texte dans la langue source (texte à traduire) et de générer automatiquement le texte correspondant dans la langue cible (texte traduit), en utilisant des règles précises pour le transfert de la structure grammaticale. Comme l’explique l’EAMT (European Association for Machine Translation) sur son site, «il existe aujourd’hui un certain nombre de systèmes produisant un résultat qui, s’il n’est pas parfait, est de qualité suffisante pour être utile dans certaines applications spécifiques, en général dans le domaine de la documentation technique. De plus, les logiciels de traduction, qui sont essentiellement destinés à aider le traducteur humain à produire des traductions, jouissent d’une popularité croissante auprès des organismes professionnels de traduction.»
La tâche est immense. Comme le souligne en février 2001 Pierre-Noël Favennec, expert à la direction scientifique de France Télécom R&D, «les recherches sur la traduction automatique devraient permettre une traduction automatique dans les langues souhaitées, mais avec des applications pour toutes les langues et non les seules dominantes (ex.: diffusion de documents en japonais, si l’émetteur est de langue japonaise, et lecture en breton, si le récepteur est de langue bretonne…). Il y a donc beaucoup de travaux à faire dans le domaine de la traduction automatique et écrite de toutes les langues.»
= [Résumé]
Lancée en 2001 à l'initiative de Lawrence Lessig, professeur de droit à la Stanford Law School (Californie), la licence Creative Commons a pour but de favoriser la diffusion d'oeuvres numériques tout en protégeant le droit d'auteur. L'organisme du même nom propose des licences-type, qui sont des contrats flexibles de droit d'auteur compatibles avec une diffusion sur l'internet. Simplement rédigées, ces autorisations non exclusives permettent aux titulaires des droits d'autoriser le public à utiliser leurs créations tout en ayant la possibilité de restreindre les exploitations commerciales et les oeuvres dérivées. L'auteur peut par exemple choisir d'autoriser ou non la reproduction et la rediffusion de ses oeuvres. Ces contrats peuvent être utilisés pour tout type de création: texte, film, photo, musique, site web, etc. Finalisée en février 2007, la version 3.0 de la Creative Commons instaure une licence internationale et la compatibilité avec d'autres licences similaires, dont le copyleft et la GPL (general public license).
= Internet et droit d'auteur
Si le débat relatif au droit d’auteur sur l’internet est vif à la fin des années 1990, Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique, ramène ce débat aux vrais problèmes. «Ce débat me semble assez proche sur le fond de ce qu’il est dans les autres domaines où le droit d’auteur s’exerce, ou devrait s’exercer, écrit-il en mars 2001. Le producteur est en position de force par rapport à l’auteur dans pratiquement tous les cas de figure. Les pirates, voire la simple diffusion libre, ne menacent vraiment directement que les producteurs. Les auteurs ne sont menacés que par ricochet. Il est possible que l’on puisse légiférer sur la question, au moins en France où les corporations se revendiquant de l’exception culturelle sont actives et résistent encore un peu aux Américains, mais le mal est plus profond. En effet, en France comme ailleurs, les auteurs étaient toujours les derniers et les plus mal payés avant l’apparition d’internet, on constate qu’ils continuent d’être les derniers et les plus mal payés depuis. Il me semble nécessaire que l’on règle d’abord la question du respect des droits d’auteur en amont d’internet. Déjà dans le cadre général de l’édition ou du spectacle vivant, les sociétés d’auteurs - SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), SGDL (Société des gens de lettres), SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), etc. - faillissent dès lors que l’on sort de la routine ou du vedettariat, ou dès que les producteurs abusent de leur position de force, ou tout simplement ne payent pas les auteurs, ce qui est très fréquent.»
Pour nombre d'auteurs, le web est avant tout un espace public basé sur l'échange. Alain Bron, consultant en systèmes d'information et auteur de romans, écrit en novembre 1999: «Je considère aujourd'hui le web comme un domaine public. Cela veut dire que la notion de droit d'auteur sur ce média disparaît de facto: tout le monde peut reproduire tout le monde. La création s'expose donc à la copie immédiate si les copyrights ne sont pas déposés dans les formes usuelles et si les oeuvres sont exposées sans procédures de revenus.»
Jacques Gauchey, journaliste et spécialiste des technologies de l'information, exprime un avis différent. «Le droit d'auteur dans son contexte traditionnel n'existe plus, écrit-il en juillet 1999. Les auteurs ont besoin de s'adapter à un nouveau paradigme, celui de la liberté totale du flot de l'information. Le contenu original est comme une empreinte digitale: il est incopiable. Il survivra et prospérera donc.»
Selon Xavier Malbreil, auteur multimédia interviewé en mars 2001, «il y a deux choses. Le web ne doit pas être un espace de non-droit, et c'est un principe qui doit s'appliquer à tout, et notamment au droit d'auteur. Toute utilisation commerciale d'une oeuvre doit ouvrir droit à rétribution. Mais également, le web est un lieu de partage. Echanger entre amis des passages d'un texte qui vous a plu, comme on peut recopier des passages d'un livre particulièrement apprécié, pour le faire aimer, cela ne peut faire que du bien aux oeuvres, et aux auteurs. La littérature souffre surtout de ne pas être diffusée. Tout ce qui peut concourir à la faire sortir de son ghetto sera positif.»
= Copyleft et Creative Commons
Des auteurs et autres créateurs souhaitent respecter la vocation première du web, réseau de diffusion à l’échelon mondial. De ce fait, les adeptes de contrats flexibles - copyleft, GPL (general public license) et Creative Commons - sont de plus en plus nombreux.
L'idée du copyleft est lancée dès 1984 par Richard Stallman, ingénieur en informatique et défenseur inlassable du mouvement Open Source au sein de la Free Software Foundation (FSF). Conçu à l’origine pour les logiciels, le copyleft est formalisé par la GPL (general public license) et étendu par la suite à toute oeuvre de création. Il contient la déclaration normale du copyright affirmant le droit d'auteur. Son originalité est de donner au lecteur le droit de librement redistribuer le document et de le modifier. Le lecteur s’engage toutefois à ne revendiquer ni le travail original, ni les changements effectués par d’autres personnes. De plus, tous les travaux dérivés de l’oeuvre originale sont eux-mêmes soumis au copyleft.
Lancée en 2001 à l'initiative de Lawrence Lessig, professeur de droit à la Stanford Law School, en Californie, la licence Creative Commons a elle aussi pour but de favoriser la diffusion d'oeuvres numériques tout en protégeant le droit d'auteur. L'organisme du même nom propose des licences-type, qui sont des contrats flexibles de droit d'auteur compatibles avec une diffusion sur l'internet. Simplement rédigées, ces autorisations non exclusives permettent aux titulaires des droits d'autoriser le public à utiliser leurs créations tout en ayant la possibilité de restreindre les exploitations commerciales et les oeuvres dérivées. L'auteur peut par exemple choisir d'autoriser ou non la reproduction et la rediffusion de ses oeuvres. Ces contrats peuvent être utilisés pour tout type de création: texte, film, photo, musique, site web, etc. Finalisée en février 2007, la version 3.0 de la Creative Commons instaure une licence internationale et la compatibilité avec d'autres licences similaires, dont le copyleft et la GPL.
Une licence Creative Commons est utilisée pour un million d'oeuvres en 2003, 4,7 millions d'oeuvres en 2004, 20 millions d'oeuvres en 2005, 50 millions d'oeuvres en 2006, 90 millions d'oeuvres en 2007 et 130 millions d'oeuvres en 2008.
En complément, Science Commons est fondé en 2005 pour définir les stratégies et les outils nécessaires à la diffusion sur le web de la recherche scientifique, et ccLearn est fondé en 2007 en vue de définir des stratégies et outils pour l'enseignement.
= Domaine public et copyright
Chose inquiétante à l’heure d’une société dite de l’information, le domaine public se réduit comme peau de chagrin. A une époque qui n'est pas si lointaine, 50% des oeuvres appartenaient au domaine public, et pouvaient donc être librement utilisées par tous. D'ici 2100, 99% des oeuvres seraient régies par le droit d’auteur, avec un maigre 1% laissé au domaine public. Un problème épineux pour tous ceux qui gèrent des bibliothèques numériques, et qui affecte aussi bien le Projet Gutenberg que Google Books.
Si le Projet Gutenberg s’est donné pour mission de diffuser gratuitement par voie électronique le plus grand nombre possible d’oeuvres du domaine public, sa tâche n’est guère facilitée par les coups de boutoir portés au domaine public. Michael Hart, son fondateur, se penche sur la question depuis plus de trente ans, avec l’aide d’un groupe d’avocats spécialisés dans le droit d’auteur.
Dans la section Copyright HowTo, le Projet Gutenberg détaille les calculs à faire pour déterminer si un titre publié aux Etats-Unis appartient ou non au domaine public. Les oeuvres publiées avant 1923 sont soumises au droit d’auteur pendant 75 ans à partir de leur date de publication (elles sont donc maintenant dans le domaine public). Les oeuvres publiées entre 1923 et 1977 sont soumises au droit d’auteur pendant 95 ans à partir de leur date de publication (rien ne tombera dans le domaine public avant 2019). Une oeuvre publiée en 1998 et les années suivantes est soumise au droit d’auteur pendant 70 ans à partir de la date du décès de l’auteur s’il s’agit d’un auteur personnel (rien dans le domaine public avant 2049), ou alors pendant 95 ans à partir de la date de publication - ou 120 ans à partir de la date de création - s’il s’agit d’un auteur collectif (rien dans le domaine public avant 2074). Tout ceci dans les grandes lignes. D’autres règles viennent s’ajouter à ces règles de base, la loi sur le copyright ayant été amendée plusieurs fois fois depuis 1971, date de fondation du Projet Gutenberg.
Nettement plus contraignant que l'amendement précédent, une nouveau renforcement du copyright est entériné par le Congrès le 27 octobre 1998 pour contrer le formidable véhicule de diffusion qu'est l'internet. Au fil des siècles, chaque avancée technique est accompagnée d'un durcissement du copyright, qui semble être la réponse des éditeurs à un accès plus facile au savoir, et la peur afférente de perdre des royalties. «Le copyright a été augmenté de 20 ans, explique Michael Hart en juillet 1999. Auparavant on devait attendre 75 ans, on est maintenant passé à 95 ans. Bien avant, le copyright durait 28 ans (plus une extension de 28 ans si on la demandait avant l’expiration du délai) et, avant cela, le copyright durait 14 ans (plus une extension de 14 ans si on la demandait avant l’expiration du délai). Comme on le voit, on assiste à une dégradation régulière et constante du domaine public.»
Les dates évoquées par Michael sont les suivantes, comme expliqué en détail dans son blog:
(a) 1790 est la date de la main-mise de la Guilde des imprimeurs (les éditeurs de l’époque en Angleterre) sur les auteurs, qui entraîne la naissance du copyright. Le 1790 Copyright Act institue un copyright de 14 ans après la date de publication de l’oeuvre, plus une extension de 28 ans si celle-ci est demandée avant l’expiration du délai. Les oeuvres pouvant être légalement imprimées passent subitement de 6.000 à 600, et neuf titres sur dix disparaissent des librairies. Quelque 335 ans après les débuts de l'imprimerie, censée ouvrir les portes du savoir à tous, le monde du livre est désormais contrôlé par les éditeurs et non plus par les auteurs. Cette nouvelle législation est également effective aux Etats-Unis et en France.
(b) 1831 est la date d'un premier renforcement du copyright pour contrer la réédition de vastes collections du domaine public sur les nouvelles presses à vapeur. Le 1831 Copyright Act institue un copyright de 28 ans après la date de publication de l’oeuvre, plus une extension de 14 ans si celle-ci est demandée avant l’expiration du délai, à savoir un total de 42 ans.
(c) 1909 est la date d'un deuxième renforcement du copyright pour contrer une réédition des collections du domaine public sur les nouvelles presses électriques. Le 1909 Copyright Act double la période de l’extension, qui passe à 28 ans, le tout représentant un total de 56 ans.
(d) 1976 est la date d’un nouveau durcissement du copyright suite l’apparition de la photocopieuse lancée par Xerox. Le 1976 Copyright Act institue un copyright de 50 ans après le décès de l’auteur. De ce fait, tout copyright en cours avant le 19 septembre 1962 n’expire pas avant le 31 décembre 1976.
(e) 1998 est la date d’un durcissement supplémentaire du copyright suite au développement rapide des technologies numériques et aux centaines de milliers d'oeuvres désormais disponibles sur CD et DVD et sur le web, gratuitement ou à un prix très bas. Le 1998 Copyright Act allonge la durée du copyright qui est désormais de 70 ans après le décès de l’auteur, pour protéger l'empire Disney (raison pour laquelle on parle souvent de Mickey Mouse Copyright Act) et nombre de multinationales culturelles.
Pour ne prendre qu'un exemple, le classique mondial "Gone With the Wind" ("Autant en emporte le vent") de Margaret Mitchell, publié en 1939, aurait dû tomber dans le domaine public au bout de 56 ans, en 1995, conformément à la législation de l'époque, libérant ainsi les droits pour les adaptations en tous genres. Suite aux législations de 1976 et 1998, ce classique ne devrait désormais tomber dans le domaine public qu'en 2035.
La législation de 1998 porte un coup très rude aux bibliothèques numériques, en plein essor avec le développement du web, et scandalisent ceux qui les gèrent, à commencer par Michael Hart et John Mark Ockerbloom, créateur de l'Online Books Page. Mais comment faire le poids vis-à-vis des majors de l’édition? Nombre de titres doivent être retirés des collections.
Michael raconte en juillet 1999: «J’ai été le principal opposant aux extensions du copyright, mais Hollywood et les grands éditeurs ont fait en sorte que le Congrès ne mentionne pas mon action en public. Les débats actuels sont totalement irréalistes. Ils sont menés par “l’aristocratie terrienne de l’âge de l’information” et servent uniquement ses intérêts. Un âge de l’information? Et pour qui?»
En effet. Les instances politiques ne cessent de parler d’âge de l’information alors que, en parallèle, elles durcissent la réglementation relative à la mise à disposition de cette information. La contradiction est flagrante. Le copyright est passé d'une durée de 30 ans en moyenne en 1909 à une durée de 95 ans en moyenne en 1998, explique aussi Michael dans son blog. En 89 ans, de 1909 à 1998, le copyright a subi une extension de 65 ans qui affecte les trois quarts de la production du 20e siècle. Seul un livre publié avant 1923 peut être considéré avec certitude comme du domaine public.
Un durcissement similaire touche les pays de l'Union européenne. La règle générale est désormais un copyright de 70 ans après le décès de l’auteur, alors qu’il était auparavant de 50 ans, suite aux pressions exercées par les éditeurs de contenu sous le prétexte d’«harmoniser» les lois nationales relatives au copyright pour répondre à la mondialisation du marché.
A ceci s'ajoute la législation sur le copyright des éditions numériques en application des traités internationaux de l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle). Ces traités sont signés en 1996 dans l'optique de contrôler la gestion des droits numériques. Le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) est entériné en octobre 1998 aux Etats-Unis. La directive EUCD (European Union Copyright Directive) est entérinée en mai 2001 par la Communauté européenne. Cette directive s'intitule très précisément «Directive 2001/29/EC du Parlement européen et du Conseil sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information». Elle fait suite à la directive de février 1993 (Directive 93/98/EEC) qui visait à harmoniser les législations des différents pays en matière de protection du droit d'auteur. La directive EUCD entre peu à peu en vigueur dans tous les pays de l'Union européenne, avec mise en place de législations nationales, le but officiel étant de renforcer le respect du droit d'auteur sur l'internet et de contrer ainsi le piratage. En France, par exemple, la loi DADVSI (Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information) est promulguée en août 2006, et n'est pas sans susciter de nombreux remous.
= [Résumé]
En 2002, le MIT (Massachusetts Institute of Technology) décide de publier le contenu de ses cours en ligne, avec accès libre et gratuit, en privilégiant la diffusion libre du savoir. Mise en ligne en septembre 2002, la version pilote du MIT OpenCourseWare (MIT OCW) offre en accès libre le matériel d’enseignement de 32 cours représentatifs des cinq facultés du MIT. Ce matériel d’enseignement comprend des textes de conférences, des travaux pratiques, des exercices et corrigés, des bibliographies, des documents audio et vidéo, etc. Parallèlement, la Public Library of Science (PLoS) met sur pied des revues scientifiques en ligne de haut niveau. En ce qui concerne les encyclopédies, Wikipédia ouvre la voie en 2001, en lançant une encyclopédie écrite collectivement et dont le contenu est librement réutilisable. Wikipédia est rédigé par des milliers de volontaires, avec possibilité de corriger et de compléter les articles, aussi bien les leurs que ceux d'autres contributeurs. Suivent d'autres encyclopédies comme Citizendium et l'Encyclopedia of Life.
= Vers un savoir numérique
Sur le site de l'Internet Society (ISOC), qu'il fonde en 1992 pour promouvoir le développement de l’internet, Vinton Cerf explique: «Le réseau fait deux choses (…): comme les livres, il permet d’accumuler de la connaissance. Mais, surtout, il la présente sous une forme qui la met en relation avec d’autres informations. Alors que, dans un livre, l’information est maintenue isolée.»
De plus, l’information contenue dans les livres reste la même, au moins pendant une période donnée, alors que l'internet privilégie l’information la plus récente et constamment actualisée.
Lors d'une conférence organisée par l'IFIP (International Federation of Information Processing) en septembre 1996, Dale Spender, professeur et chercheuse, tente de cerner les changements fondamentaux apportés par l'internet dans l'acquisition du savoir et les méthodes d'enseignement. Voici son argumentation résumée en deux paragraphes.
Pendant plus de cinq siècles, l'enseignement est principalement basé sur l'information donnée par les livres. Or les habitudes liées à l'imprimé ne peuvent être transférées au monde numérique. L'enseignement en ligne offre des possibilités tellement nouvelles qu'il n'est guère possible d'effectuer les distinctions traditionnelles entre enseignant et enseigné. Le passage de la culture imprimée à la culture numérique exige d'entièrement repenser le processus d'enseignement, puisque nous avons maintenant l'opportunité sans précédent de pouvoir influer sur le genre d'enseignement que nous souhaitons.
Dans la culture imprimée, l'information contenue dans les livres restait la même un certain temps, ce qui nous a encouragé à penser que l'information était stable. La nature même de l'imprimé est liée à la notion de vérité, stable elle aussi. Cette stabilité et l'ordre qu'elle engendre ont été un des fondements de l'âge industriel et de la révolution scientifique. Les notions de vérité, de lois, d'objectivité et de preuve ont été les éléments de référence de nos croyances et de nos cultures. Mais la révolution numérique change tout ceci. Soudain l'information en ligne supplante l'information imprimée pour devenir la plus fiable et la plus utile, et l'usager est prêt à la payer en conséquence. C'est cette transformation radicale dans la nature de l'information qui doit être au coeur du débat concernant les méthodes d'enseignement.
En témoigne l'expérience de Russon Wooldridge, professeur au département des études françaises de l'Université de Toronto (Canada), qui relate en février 2001: «Tout mon enseignement exploite au maximum les ressources d'internet (le web et le courriel): les deux lieux communs d'un cours sont la salle de classe et le site du cours, sur lequel je mets tous les matériaux des cours. Je mets toutes les données de mes recherches des vingt dernières années sur le web (réédition de livres, articles, textes intégraux de dictionnaires anciens en bases de données interactives, de traités du 16e siècle, etc.). Je publie des actes de colloques, j'édite un journal, je collabore avec des collègues français, mettant en ligne à Toronto ce qu'ils ne peuvent pas publier en ligne chez eux. En mai 2000 j'ai organisé à Toronto un colloque international sur "Les études françaises valorisées par les nouvelles technologies". (…)
Je me rends compte que sans internet mes activités seraient bien moindres, ou du moins très différentes de ce qu'elles sont actuellement. Donc je ne vois pas l'avenir sans. Mais il est crucial que ceux qui croient à la libre diffusion des connaissances veillent à ce que le savoir ne soit pas bouffé, pour être vendu, par les intérêts commerciaux. Ce qui se passe dans l'édition du livre en France, où on n'offre guère plus en librairie que des manuels scolaires ou pour concours (c'est ce qui s'est passé en linguistique, par exemple), doit être évité sur le web. Ce n'est pas vers les amazon.com qu'on se tourne pour trouver la science désintéressée. Sur mon site, je refuse toute sponsorisation.»
= Quelques projets pilotes
# Cours du MIT
Professeur à l’Université d’Ottawa (Canada), Christian Vandendorpe salue en mai 2001 «la décision du MIT (Massachusetts Institute of Technology) de placer tout le contenu de ses cours sur le web d’ici dix ans, en le mettant gratuitement à la disposition de tous. Entre les tendances à la privatisation du savoir et celles du partage et de l’ouverture à tous, je crois en fin de compte que c’est cette dernière qui va l’emporter.» Le MIT décide en effet de publier le contenu de ses cours en ligne, avec accès libre et gratuit, une initiative menée avec le soutien financier de la Hewlett Foundation et de la Mellon Foundation.
Mise en ligne en septembre 2002, la version pilote du MIT OpenCourseWare (MIT OCW) offre en accès libre le matériel d’enseignement de 32 cours représentatifs des cinq facultés du MIT. Ce matériel d’enseignement comprend des textes de conférences, des travaux pratiques, des exercices et corrigés, des bibliographies, des documents audio et vidéo, etc. Le lancement officiel du site a lieu un an plus tard, en septembre 2003, avec accès à quelques centaines de cours. En mars 2004, 500 cours sont disponibles dans 33 disciplines. En mai 2006, 1.400 cours sont disponibles dans 34 disciplines. La totalité des 1.800 cours dispensés par le MIT est en ligne en novembre 2007, avec actualisation régulière. Certains cours sont traduits en espagnol, en portugais et en chinois avec l’aide d’autres organismes.
Le MIT espère que cette expérience de publication électronique - la première du genre - va permettre de définir un standard et une méthode de publication, et inciter d’autres universités à créer un «opencourseware» pour la mise à disposition gratuite de leurs propres cours. Un «opencourseware» peut être défini comme la publication électronique en accès libre du matériel d’enseignement d'un ensemble de cours. A cet effet, le MIT lance l’OpenCourseWare Consortium (OCW Consortium) en décembre 2005, avec accès libre et gratuit au matériel d’enseignement de cent universités dans le monde un an plus tard.
# Public Library of Science
A l’heure de l’internet, il paraît assez scandaleux que le résultat de travaux de recherche – travaux originaux et demandant de longues années d’efforts – soit détourné par des éditeurs spécialisés s’appropriant ce travail et le monnayant à prix fort. L’activité des chercheurs est souvent financée par les deniers publics, et de manière substantielle en Amérique du Nord. Il semblerait donc normal que la communauté scientifique et le grand public puissent bénéficier librement du résultat de ces recherches.
Dans le domaine scientifique et médical par exemple, 1.000 nouveaux articles sont publiés chaque jour, en ne comptant que les articles révisés par les pairs. Se basant sur ce constat, la Public Library of Science (PLoS) est fondée en octobre 2000 à San Francisco à l’initiative de Harold Varmus, Patrick Brown et Michael Eisen, chercheurs dans les universités de Stanford et Berkeley (Californie). Le but est de contrer les pratiques de l’édition spécialisée en regroupant tous les articles scientifiques et médicaux au sein d’archives en ligne en accès libre. Au lieu d’une information disséminée dans des millions de rapports et des milliers de périodiques en ligne ayant chacun des conditions d’accès différentes, un point d’accès unique permettrait de lire le contenu intégral de ces articles, avec moteur de recherche multicritères et système d’hyperliens entre les articles.
Pour ce faire, la PLoS fait circuler une lettre ouverte demandant que les articles publiés par les éditeurs spécialisés soient distribués librement dans un service d’archives en ligne, et incitant les signataires de cette lettre à promouvoir les éditeurs prêts à soutenir ce projet. La réponse de la communauté scientifique internationale est remarquable. Au cours des deux années suivantes, la lettre ouverte est signée par 30.000 chercheurs de 180 pays. Bien que la réponse des éditeurs soit nettement moins enthousiaste, plusieurs éditeurs donnent également leur accord pour une distribution immédiate des articles publiés par leurs soins, ou alors une distribution dans un délai de six mois. Mais dans la pratique, même les éditeurs ayant donné leur accord formulent nombre d’objections au nouveau modèle proposé, si bien que le projet d’archives en ligne ne voit finalement pas le jour.
Un autre objectif de la Public Library of Science est de devenir elle- même éditeur. La PLoS fonde donc une maison d’édition scientifique non commerciale qui reçoit en décembre 2002 une subvention de 9 millions de dollars US de la part de la Moore Foundation. Une équipe éditoriale de haut niveau est constituée en janvier 2003 pour lancer des périodiques de qualité selon un nouveau modèle d’édition en ligne basé sur la diffusion libre du savoir.
Le premier numéro de PLoS Biology sort en octobre 2003, avec une version en ligne gratuite et une version imprimée au prix coûtant (couvrant uniquement les frais de fabrication et de distribution). PLoS Medicine est lancé en octobre 2004. Trois nouveaux titres voient le jour en 2005: PLoS Genetics, PLoS Computational Biology et PLoS Pathogens. PLoS Clinical Trials voit le jour en 2006. PloS Neglected Tropical Diseases est lancé à l’automne 2007 en tant que première publication scientifique consacrée aux maladies tropicales négligées. Ces maladies affectent les populations pauvres, aussi bien dans les zones rurales que dans les zones urbaines.
Tous les articles de ces périodiques sont librement accessibles en ligne, sur le site de la PLoS et dans PubMed Central, le service d’archives en ligne public et gratuit de la National Library of Medicine (Etats-Unis), avec moteur de recherche multicritères. Les versions imprimées sont abandonnées en 2006 pour laisser place à un service d’impression à la demande proposé par la société Odyssey Press. Ces articles peuvent être librement diffusés et réutilisés ailleurs, y compris pour des traductions, selon les termes de la licence Creative Commons, la seule contrainte étant la mention des auteurs et de la source. La PLoS lance aussi PLoS ONE, un forum en ligne permettant la publication d’articles sur tout sujet scientifique et médical.
Le succès est total. Trois ans après les débuts de la Public Library of Science en tant qu’éditeur, PLoS Biology et PLos Medicine ont la même réputation d’excellence que les grandes revues Nature, Science ou The New England Journal of Medicine. La PLoS reçoit le soutien financier de plusieurs fondations tout en mettant sur pied un modèle économique viable, avec des revenus émanant des frais de publication payés par les auteurs, et émanant aussi de la publicité, des sponsors et des activités destinées aux membres de la PLoS. De plus, la PLoS souhaite que ce modèle économique d’un genre nouveau inspire d’autres éditeurs pour créer des revues du même type ou pour mettre des revues existantes en accès libre.
# Wikipédia
Issu du terme hawaïen «wiki» (qui signifie: vite, rapide), un wiki est un site web permettant à plusieurs utilisateurs de collaborer en ligne sur un même projet. A tout moment, ces utilisateurs peuvent contribuer à la rédaction du contenu, modifier ce contenu et l'enrichir en permanence. Le wiki est utilisé par exemple pour créer et gérer des dictionnaires, des encyclopédies ou encore des sites d'information sur un sujet donné. Le programme présent derrière l'interface d'un wiki est plus ou moins élaboré. Un programme simple gère du texte et des hyperliens. Un programme élaboré permet d'inclure des images, des graphiques, des tableaux, etc. L’encyclopédie wiki la plus connue est Wikipédia.
Créée en janvier 2001 à l’initiative de Jimmy Wales et de Larry Sanger, Wikipédia est une encyclopédie gratuite écrite collectivement et dont le contenu est librement réutilisable. Elle est immédiatement très populaire. Sans publicité et financée par des dons, cette encyclopédie coopérative est rédigée par des milliers de volontaires - appelés Wikipédiens, et qui s'inscrivent en prenant un pseudonyme - avec possibilité de corriger et de compléter les articles, aussi bien les leurs que ceux d'autres contributeurs. Les articles restent la propriété de leurs auteurs, et leur libre utilisation est régie par la licence GFDL (GNU free documentation license).
En décembre 2004, Wikipédia compte 1,3 million d'articles rédigés dans 100 langues par 13.000 contributeurs. En décembre 2006, elle compte 6 millions d'articles dans 250 langues, et elle est un de dix sites les plus visités du web. En mai 2007, la version francophone fête ses 500.000 articles. A la même date, Wikipédia compte 7 millions d'articles dans 192 langues, dont 1,8 million en anglais, 589.000 en allemand, 260.000 en portugais et 236.000 en espagnol.
Fondée en juin 2003, la Wikimedia Foundation gère non seulement Wikipédia mais aussi Wiktionary, un dictionnaire et thésaurus multilingue lancé en décembre 2002, puis Wikibooks (livres et manuels en cours de rédaction) lancé en juin 2003, auxquels s'ajoutent ensuite Wikiquote (répertoire de citations), Wikisource (textes appartenant au domaine public), Wikimedia Commons (sources multimédia), Wikispecies (répertoire d'espèces animales et végétales), Wikinews (site d'actualités) et enfin Wikiversity (matériel d'enseignement), lancé en août 2006. La fin 2007 voit le lancement d'un moteur de recherche dénommé Wiki Search, qui utilise le réseau de contributeurs de Wikipédia pour classer les sites en fonction de leur qualité.
# Citizendium
Une nouvelle étape s’ouvre avec les débuts de Citizendium (abrégé de: The Citizens’ Compendium), une grande encyclopédie collaborative en ligne conçue en novembre 2006 et lancée en mars 2007 (version bêta) par Larry Sanger, co-fondateur de Wikipédia, mais qui quitte ensuite l’équipe de Wikipédia suite à des problèmes de qualité de contenu.
Citizendium est basé sur le même modèle que Wikipédia - collaborative et gratuite - tout en évitant ses travers - vandalisme et manque de rigueur. Les auteurs signent leurs articles de leur vrai nom, et ces articles sont édités par des experts («editors») âgés d'au moins 25 ans et titulaires d'une licence universitaire. De plus, des «constables» sont chargés de la bonne marche du projet et du respect du règlement. Le jour de son lancement le 25 mars 2007, Citizendium comprend 1.100 articles, 820 auteurs et 180 experts. 9.800 articles sont disponibles en janvier 2009.
Dans "Why Make Room for Experts in Web 2.0?", une communication datée d’octobre 2006 et actualisée depuis, Larry Sanger voit dans Citizendium l’émergence d’un nouveau modèle de collaboration massive de dizaines de milliers d’intellectuels et scientifiques, non seulement pour les encyclopédies, mais aussi pour les manuels d’enseignement, les ouvrages de référence, le multimédia et les applications en 3D. Cette collaboration est basée sur le partage des connaissances, dans la lignée du web 2.0, un concept lancé en 2004 pour caractériser les notions de communauté et de partage et qui se manifeste d’abord par une floraison de wikis, blogs et sites sociaux. D’après Larry Sanger, il importe aussi de créer des structures permettant des collaborations scientifiques, et Citizendium pourrait servir de prototype dans ce domaine.
# Encyclopedia of Life
Cet appel semble se concrétiser rapidement avec le lancement en mai 2007 du projet de l’Encyclopedia of Life. Cette vaste encyclopédie collaborative en ligne rassemblera les connaissances existantes sur toutes les espèces animales et végétales connues (1,8 million), y compris les espèces en voie d’extinction, avec l’ajout de nouvelles espèces au fur et à mesure de leur identification, ce qui représenterait entre 8 et 10 millions d'espèces en tout.
Il s’agira d’une encyclopédie multimédia permettant de ressembler textes, photos, cartes, bandes sonores et vidéos, avec une page web par espèce, et permettant aussi d’offrir un portail unique à des millions de documents épars, en ligne et hors ligne. Outil d’apprentissage et d’enseignement pour une meilleure connaissance de notre planète, cette encyclopédie sera à destination de tous: scientifiques, enseignants, étudiants, scolaires, médias, décideurs et grand public.
Ce projet collaboratif est mené par plusieurs grandes institutions:
Field Museum of Natural History, Harvard University, Marine Biological
Laboratory, Missouri Botanical Garden, Smithsonian Institution et
Biodiversity Heritage Library.
Le directeur honoraire du projet est Edward Wilson, professeur émérite à l’Université de Harvard, qui - dans un essai daté de 2002 - est le premier à émettre le voeu d’une telle encyclopédie. Cinq ans après - en 2007 - c'est désormais chose possible grâce aux avancées technologiques récentes, notamment les outils logiciels permettant l’agrégation de contenu, le mash-up (à savoir le fait de rassembler un contenu donné à partir de nombreuses sources différentes), les wikis de grande taille et la gestion de contenu à vaste échelle.
En tant que consortium des dix plus grandes bibliothèques des sciences de la vie (d’autres suivront), la Biodiversity Heritage Library a d’ores et déjà débuté la numérisation de 2 millions de documents, dont les dates de publication s’étalent sur 200 ans. En mai 2007, date du lancement officiel du projet, on compte déjà 1,25 million de pages traitées dans les centres de numérisation de Londres, Boston et Washington DC, et disponibles sur le site de l’Internet Archive.
Le financement initial est assuré par la MacArthur Foundation (10 millions de dollars US) et la Sloan Foundation (2,5 millions de dollars). 100 millions de dollars sont nécessaires pour un financement sur dix ans, avant que l'encyclopédie ne puisse s'autofinancer. La réalisation des pages web débute courant 2007. L’encyclopédie fait ses débuts à la mi-2008. Opérationnelle d'ici 2012, elle devrait être complète - c'est-à-dire à jour - en 2017.
Dans la lignée du "Human Genome Project" (Séquencage du génome humain), publié pour la première fois en février 2001 et appartenant d'emblée au domaine public, l’Encyclopedia of Life permettra de proposer toutes les connaissances disponibles à ce jour sur les espèces animales et végétales. La version initiale sera d’abord en anglais avant d’être traduite en plusieurs langues par de futurs organismes partenaires.
L'encyclopédie sera aussi un «macroscope» permettant de déceler les grandes tendances à partir d’un stock d’informations considérable, à la différence du microscope permettant l’étude de détail.
En plus de sa flexibilité et de sa diversité, elle permettra à chacun de contribuer au contenu sous une forme s’apparentant au wiki, ce contenu étant ensuite validé ou non par des scientifiques.
= [Résumé]
En 2003, les livres numériques prennent peu à peu une place significative à côté de leurs correspondants imprimés, avec des livres aux formats PDF (pour l'Adobe Reader), LIT (pour le Microsoft Reader) et PRC (pour le Mobipocket Reader), OeB (pour de nombreux logiciels de lecture), entre autres. Des centaines de best-sellers sont vendus en version numérique sur Amazon.com, Barnesandnoble.com, Yahoo! eBook Store ou sur des sites d’éditeurs (Random House, PerfectBound, etc.), pour lecture sur ordinateur ou sur assistant personnel (PDA). Numilog distribue 3.500 titres numériques (livres et périodiques) en français et en anglais. Mobipocket distribue 6.000 titres numériques dans plusieurs langues, soit sur son site soit dans des librairies partenaires. Le catalogue de Palm Digital Media approche les 10.000 titres, lisibles sur les gammes Palm et Pocket PC, avec 15 à 20 nouveaux titres par jour et 1.000 nouveaux clients par semaine.
= Adobe Reader
Le format PDF (portable document format) est lancé en juin 1993 par la société Adobe, en même temps que l'Acrobat Reader (gratuit), premier logiciel de lecture du marché, téléchargeable gratuitement pour lecture des fichiers au format PDF. Le but de ce format est de figer les documents numériques dans une présentation donnée, pour conserver la présentation originale du document source, quelle que soit la plateforme utilisée pour le créer et pour le lire. Le format PDF devient au fil des ans un standard international de diffusion des documents. Tout document peut être converti au format PDF à l’aide du logiciel Adobe Acrobat (payant).
Dix ans plus tard, 10% des documents disponibles sur l'internet sont au format PDF. Des millions de fichiers PDF sont présents sur le web pour lecture ou téléchargement, ou bien transitent par courriel. L’Acrobat Reader pour ordinateur est progressivement disponible dans plusieurs langues et pour diverses plateformes (Windows, Mac, Linux).
Adobe annonce en août 2000 l’acquisition de la société Glassbook, spécialisée dans les logiciels de distribution de livres numériques à l'intention des éditeurs, libraires, diffuseurs et bibliothèques. Adobe passe aussi un partenariat avec Amazon.com et Barnes & Noble.com afin de proposer des titres lisibles sur l’Acrobat Reader et le Glassbook Reader.
En janvier 2001, Adobe lance deux nouveaux logiciels.
Le premier logiciel, gratuit, est l’Acrobat eBook Reader. Il permet de lire les fichiers PDF de livres numériques sous droits, avec gestion des droits par l’Adobe Content Server. Il permet aussi d’ajouter des notes et des signets, de choisir l’orientation de lecture des livres (paysage ou portrait), ou encore de visualiser leur couverture dans une bibliothèque personnelle. Il utilise la technique d’affichage CoolType et comporte un dictionnaire intégré.
Le deuxième logiciel, payant, est l’Adobe Content Server, destiné aux éditeurs et distributeurs. Il s’agit d’un logiciel serveur de contenu assurant le conditionnement, la protection, la distribution et la vente sécurisée de livres numériques au format PDF. Ce système de gestion des droits numériques (DRM: digital rights management) permet de contrôler l’accès aux livres numériques sous droits, et donc de gérer les droits d’un livre selon les consignes données par le gestionnaire des droits, par exemple en autorisant ou non l’impression ou le prêt.
En avril 2001, Adobe conclut un partenariat avec Amazon, qui met en vente 2.000 livres numériques lisibles sur l’Acrobat eBook Reader: titres de grands éditeurs, guides de voyages, livres pour enfants, etc.
L'Acrobat Reader s'enrichit d'une version PDA, pour le Palm Pilot (en mai 2001) puis pour le Pocket PC (en décembre 2001).
En dix ans, entre 1993 et 2003, l’Acrobat Reader aurait été téléchargé 500 millions de fois. Ce logiciel gratuit est désormais disponible dans de nombreuses langues et pour de nombreuses plateformes (Windows, Mac, Linux, Palm OS, Pocket PC, Symbian OS, etc.).
En mai 2003, l’Acrobat Reader (5e version) fusionne avec l’Acrobat eBook Reader (2e version) pour devenir l’Adobe Reader (débutant à la version 6), qui permet de lire aussi bien les fichiers PDF standard que les fichiers PDF sécurisés comme ceux des livres numériques sous droits.
Fin 2003, Adobe ouvre sa librairie en ligne, Digital Media Store, avec les titres au format PDF de grands éditeurs - HarperCollins Publishers, Random House, Simon & Schuster, etc. - ainsi que les versions électroniques de journaux et magazines comme le New York Times, Popular Science, etc. Adobe lance aussi Adobe eBooks Central, un service permettant de lire, publier, vendre et prêter des livres numériques, et l’Adobe eBook Library, qui se veut un prototype de bibliothèque de livres numériques.
En novembre 2004, l’Adobe Content Server est remplacé par l’Adobe
LiveCycle Policy Server.
Les versions récentes d’Adobe Acrobat permettent de créer des PDF compatibles avec les formats OeB (open ebook) puis ePub (format ayant succédé au format OeB), devenus eux aussi des standards du livre numérique.
= Open eBook et ePub
Les années 1998 et 1999 sont marquées par la prolifération des formats, chacun lançant son propre format de livre numérique dans le cadre d’un marché naissant promis à une expansion rapide.
Aux formats classiques - formats TXT (texte), DOC (Microsoft Word), HTML (hypertext markup language), XML (extensible markup language) et PDF (portable document format) - s’ajoutent des formats propriétaires créés par plusieurs sociétés pour lecture sur leurs propres logiciels - Glassbook Reader, Peanut Reader, Rocket eBook Reader (pour lecture sur le Rocket eBook), Franklin Reader (pour lecture sur le eBookMan), logiciel de lecture Cytale (pour lecture sur le Cybook), Gemstar eBook Reader (pour lecture sur le Gemstar eBook), Palm Reader (pour lecture sur le Palm Pilot), etc. -, ces logiciels correspondant le plus souvent à un appareil donné et ne pouvant être utilisés sur d'autres appareils.
Inquiets pour l’avenir du livre numérique qui, à peine né, propose presque autant de formats que de titres, certains insistent sur l’intérêt - sinon la nécessité - d’un format unique. A l’instigation du NIST (National Institute of Standards & Technology) aux Etats-Unis, l’Open eBook Initiative voit le jour en juin 1998 et constitue un groupe de travail de 25 personnes sous le nom d'Open eBook Authoring Group. Ce groupe élabore l’OeB (open ebook), un format de livre numérique basé sur le langage XML et destiné à normaliser le contenu, la structure et la présentation des livres numériques.
Le format OeB est défini par l’OeBPS (open ebook publication structure), dont la version 1.0 est disponible en septembre 1999. Téléchargeable gratuitement, l’OeBPS dispose d'une version ouverte et gratuite appartenant au domaine public. La version originale est destinée aux professionnels de la publication puisqu'elle doit être associée à une technologie normalisée de gestion des droits numériques, et donc à un système de DRM (digital rights management) permettant de contrôler l’accès des livres numériques sous droits.
Fondé en janvier 2000 pour prendre la suite de l’Open eBook Initiative, l’OeBF (Open eBook Forum) est un consortium industriel international regroupant constructeurs, concepteurs de logiciels, éditeurs, libraires et spécialistes du numérique (85 participants en 2002) dans l'optique de développer le format OeB et l’OeBPS. Le format OeB devient un standard qui sert lui-même de base à de nombreux formats, par exemple le format LIT (pour le Microsoft Reader) ou le format PRC (pour le Mobipocket Reader).
En avril 2005, l’Open eBook Forum devient l’International Digital Publishing Forum (IDPF), et le format OeB laisse la place au format ePub.
= Microsoft Reader
Lancé en avril 2000, le Microsoft Reader est un logiciel permettant la lecture de livres numériques au format LIT (abrégé du terme anglais «literature»), lui-même basé sur le format OeB. Le Microsoft Reader équipe d'abord le Pocket PC, l’assistant personnel lancé à la même date par Microsoft. Quatre mois plus tard, en août 2000, le Microsoft Reader est utilisable sur toute plateforme Windows, et donc aussi bien sur ordinateur que sur assistant personnel. Ses caractéristiques sont un affichage utilisant la technologie ClearType, le choix de la taille des caractères, la mémorisation des mots-clés pour des recherches ultérieures, et l’accès d’un clic au Merriam-Webster Dictionary.
Ce logiciel étant téléchargeable gratuitement, Microsoft facture les éditeurs et distributeurs pour l’utilisation de sa technologie de gestion des droits numériques (DRM), et touche une commission sur la vente de chaque titre. La gestion des droits numériques s’effectue au moyen du Microsoft DAS Server (DAS: digital asset server). Microsoft passe aussi des partenariats avec les grandes librairies en ligne - Barnes & Noble.com en janvier 2000 puis Amazon.com en août 2000 – pour la vente de livres numériques lisibles sur le Microsoft Reader. Barnes & Noble.com ouvre son secteur eBooks en août 2000, suivi par Amazon.com en novembre 2000.
En novembre 2002, le Microsoft Reader est disponible pour tablette PC, dès la commercialisation de cette nouvelle machine par 14 fabricants.
= Mobipocket Reader
Face à Adobe avec son format PDF (lisible sur l'Acrobat Reader) et Microsoft avec son format LIT (lisible sur le Microsoft Reader), un nouvel acteur s’impose rapidement sur le marché, sur un créneau bien spécifique, celui des appareils mobiles. Fondé à Paris en mars 2000 par Thierry Brethes et Nathalie Ting, Mobipocket se spécialise d’emblée dans la lecture et la distribution sécurisée de livres pour assistant personnel. La société est financée en partie par Viventures, branche de la multinationale française Vivendi.
Mobipocket conçoit le Mobipocket Reader, logiciel de lecture permettant la lecture de fichiers au format PRC. Gratuit et disponible en plusieurs langues (français, anglais, allemand, espagnol, italien), ce logiciel est «universel», c’est-à-dire utilisable sur tout assistant personnel. En octobre 2001, le Mobipocket Reader reçoit l’eBook Technology Award de la Foire internationale du livre à Francfort. A la même date, Franklin passe un partenariat avec Mobipocket pour l’installation du Mobipocket Reader sur l’eBookMan, l’assistant personnel multimédia de Franklin, au lieu du partenariat prévu à l’origine entre Franklin et Microsoft pour l’installation du Microsoft Reader.
Si le Mobipocket Reader est gratuit, d’autres logiciels Mobipocket sont payants. Le Mobipocket Web Companion est un logiciel d’extraction automatique de contenu pour les sites de presse partenaires de la société. Le Mobipocket Publisher permet aux particuliers (version privée gratuite ou version standard payante) et aux éditeurs (version professionnelle payante) de créer des livres numériques sécurisés utilisant la technologie Mobipocket DRM, afin de contrôler l’accès aux livres numériques sous droits. Dans un souci d’ouverture aux autres formats, le Mobipocket Publisher permet aussi de créer des livres numériques au format LIT, lu par le Microsoft Reader.
Déjà utilisable sur n’importe quel PDA, le Mobipocket Reader peut être utilisé sur tout ordinateur et pour toute plateforme en avril 2002, avec le lancement de nouvelles versions pour ordinateur personnel.
Au printemps 2003, le Mobipocket Reader équipe tous les PDA du marché, à savoir les gammes Palm Pilot, Pocket PC, eBookMan et Psion, auxquels s'ajoutent les smartphones de Nokia et de Sony Ericsson. A la même date, le nombre de livres lisibles sur le Mobipocket Reader se chiffre à 6.000 titres dans plusieurs langues (français, anglais, allemand et espagnol), distribués soit sur le site de Mobipocket soit dans les librairies partenaires.
Mobipocket est racheté par Amazon.com en avril 2005. Ce rachat permet à
Amazon de beaucoup étoffer son catalogue d'ebooks, en prévision du
lancement de sa tablette de lecture Kindle en novembre 2007. Le site de
Mobipocket propose 70.000 ebooks en 2008.
= Numilog
Numilog ouvre ses portes «virtuelles» en octobre 2000 pour devenir en quelques années la plus grande librairie numérique francophone du réseau.
En février 2001, Denis Zwirn, président de Numilog, relate: «Dès 1995, j’avais imaginé et dessiné des modèles de lecteurs électroniques permettant d’emporter sa bibliothèque avec soi et pesant comme un livre de poche. Début 1999, j’ai repris ce projet avec un ami spécialiste de la création de sites internet, en réalisant la formidable synergie possible entre des appareils de lecture électronique mobiles et le développement d’internet, qui permet d’acheminer les livres dématérialisés en quelques minutes dans tous les coins du monde. (…) Nous avons créé une base de livres accessible par un moteur de recherche. Chaque livre fait l’objet d’une fiche avec un résumé et un extrait. En quelques clics, il peut être acheté en ligne par carte bancaire, puis reçu par email ou téléchargement.»
Le site offre ensuite «des fonctionnalités nouvelles, comme l’intégration d’une "authentique vente au chapitre" (les chapitres vendus isolément sont traités comme des éléments inclus dans la fiche- livre, et non comme d’autres livres) et la gestion très ergonomique des formats de lecture multiples».
Fondée en avril 2000 (six mois avant l'ouverture de la librairie), la société Numilog a en fait une triple activité: librairie en ligne, studio de fabrication et diffuseur. «Numilog est d’abord une librairie en ligne de livres numériques, explique Denis en 2001. Notre site internet est dédié à la vente en ligne de ces livres, qui sont envoyés par courrier électronique ou téléchargés après paiement par carte bancaire. Il permet aussi de vendre des livres par chapitres. Numilog est également un studio de fabrication de livres numériques: aujourd’hui, les livres numériques n’existent pas chez les éditeurs, il faut donc d’abord les fabriquer avant de pouvoir les vendre, dans le cadre de contrats négociés avec les éditeurs détenteurs des droits. Ce qui signifie les convertir à des formats convenant aux différents "readers" du marché. (…) Enfin Numilog devient aussi progressivement un diffuseur. Car, sur internet, il est important d’être présent en de très nombreux points du réseau pour faire connaître son offre. Pour les livres en particulier, il faut les proposer aux différents sites thématiques ou de communautés, dont les centres d’intérêt correspondent à leur sujet (sites de fans d’histoire, de management, de science- fiction…). Numilog facilitera ainsi la mise en oeuvre de multiples "boutiques de livres numériques" thématiques.»
Répartis à l’origine en trois grandes catégories - savoir, guides pratiques et littérature - les livres sont disponibles en plusieurs formats: format PDF pour lecture sur l’Acrobat Reader (devenu l’Adobe Reader en mai 2003), format LIT pour lecture sur le Microsoft Reader et format PRC pour lecture sur le Mobipocket Reader.
En septembre 2003, le catalogue comprend 3.500 titres (livres et périodiques) en français et en anglais, grâce à un partenariat avec une quarantaine d’éditeurs, le but à long terme étant de «permettre à un public d’internautes de plus en plus large d’avoir progressivement accès à des bases de livres numériques aussi importantes que celles des livres papier, mais avec plus de modularité, de richesse d’utilisation et à moindre prix».
Au fil des ans, Numilog devient la principale librairie francophone de livres numériques, suite à des accords avec de nombreux éditeurs: Gallimard, Albin Michel, Eyrolles, Hermès Science, Pearson Education France, etc. Numilog propose aussi des livres audionumériques lisibles sur synthèse vocale. Une librairie anglophone est lancée suite à des accords de diffusion conclus avec plusieurs éditeurs anglo-saxons: Springer-Kluwer, Oxford University Press, Taylor & Francis, Kogan Page, etc. Les différents formats proposés permettent la lecture des livres sur tout appareil électronique: ordinateur, assistant personnel, téléphone portable, smartphone et tablette de lecture.
La société est également prestataire de services pour les technologies DRM (digital rights management), à savoir les systèmes de gestion des droits numériques permettant de contrôler l’accès aux livres numériques sous droits, et donc de gérer les droits d’un livre selon les consignes données par le gestionnaire des droits, par exemple en autorisant ou non l’impression ou le prêt.
En 2004, Numilog met sur pied un système de bibliothèque en ligne pour le prêt de livres numériques. Ce système est surtout destiné aux bibliothèques, aux administrations et aux entreprises.
En janvier 2006, Numilog s'associe avec la ville de Boulogne- Billancourt (en région parisienne) pour lancer la version expérimentale de la Bibliothèque numérique pour le handicap (BnH).
En décembre 2006, le catalogue de Numilog comprend 35.000 livres grâce à un partenariat avec 60 éditeurs francophones et des éditeurs anglophones.
En janvier 2009, Numilog, devenue filiale du groupe Hachette Livre (en mai 2008), est un distributeur-diffuseur numérique représentant 100 éditeurs francophones et anglophones, avec un catalogue de 50.000 livres numériques distribués auprès des particuliers et des bibliothèques. Numilog propose également aux librairies un service de vente de livres numériques sur leur propre site.
= [Résumé]
En 2004, nombre d’auteurs s’accordent à reconnaître les bienfaits de l'internet, que ce soit pour la recherche d’information, la diffusion de leurs oeuvres, les échanges avec les lecteurs ou la collaboration avec d’autres créateurs. Des écrivains férus de nouvelles technologies font un travail de défricheur en explorant les possibilités offertes par l’hyperlien. Les technologies numériques donnent naissance à plusieurs genres: roman multimédia, roman hypertexte, roman hypermédia, site d’écriture hypermédia, mail-roman, etc. Une véritable littérature numérique - appelée aussi littérature électronique ou cyber-littérature - bouscule désormais la littérature traditionnelle en lui apportant un souffle nouveau, tout en s’intégrant à d’autres formes artistiques puisque le support numérique favorise la fusion de l’écrit avec l’image et le son.
= Poésie
Poète et plasticienne, Silvaine Arabo vit en France, dans la région Poitou-Charentes. En mai 1997, elle crée l’un des premiers sites francophones consacrés à la poésie, "Poésie d’hier et d’aujourd’hui", sur lequel elle propose de nombreux poèmes, y compris les siens.
En juin 1998, elle raconte: «Je suis poète, peintre et professeur de lettres (13 recueils de poèmes publiés, ainsi que deux recueils d’aphorismes et un essai sur le thème "poésie et transcendance"; quant à la peinture, j’ai exposé mes toiles à Paris - deux fois - et en province). (…) Pour ce qui est d’internet, je suis autodidacte (je n’ai reçu aucune formation informatique quelle qu’elle soit). J’ai eu l’idée de construire un site littéraire centré sur la poésie: internet me semble un moyen privilégié pour faire circuler des idées, pour communiquer ses passions aussi. Je me suis donc mise au travail, très empiriquement, et ai finalement abouti à ce site sur lequel j’essaye de mettre en valeur des poètes contemporains de talent, sans oublier la nécessaire prise de recul (rubrique "Réflexions sur la poésie") sur l’objet considéré. (…)
Par ailleurs, internet m’a mis en contact avec d’autres poètes, dont certains fort intéressants. Cela rompt le cercle de la solitude et permet d’échanger des idées. On se lance des défis aussi. Internet peut donc pousser à la créativité et relancer les motivations des poètes puisqu’ils savent qu’ils seront lus et pourront même, dans le meilleur des cas, correspondre avec leurs lecteurs et avoir les points de vue de ceux-ci sur leurs textes. Je ne vois personnellement que des aspects positifs à la promotion de la poésie par internet, tant pour le lecteur que pour le créateur.»
Très vite, Poésie d’hier et d’aujourd’hui prend la forme d’une cyber- revue. Quatre ans plus tard, en mars 2001, Silvaine Arabo crée une deuxième revue, "Saraswati: revue de poésie, d’art et de réflexion", cette fois sur papier. Les deux revues «se complètent et sont vraiment à placer en regard l’une de l’autre».
= Fables
Fondé en 1992 par Nicolas et Suzanne Pewny, alors libraires en Haute- Savoie, Le Choucas est une petite maison d’édition spécialisée dans les romans policiers, la littérature, la photographie et les livres d’art. Bien qu’étant d’abord un éditeur à vocation commerciale, Nicolas Pewny tient aussi à avoir des activités non commerciales pour faire connaître des auteurs peu diffusés, par exemple Raymond Godefroy, écrivain-paysan normand, qui désespérait de trouver un éditeur pour son recueil de fables, "Fables pour l’an 2000". Quelques jours avant l'an 2000, Nicolas Pewny réalise un beau design pour ces fables et publie le recueil en ligne sur le site du Choucas.
«Internet représente pour moi un formidable outil de communication qui nous affranchit des intermédiaires, des barrages doctrinaires et des intérêts des médias en place, écrit Raymond Godefroy en décembre 1999. Soumis aux mêmes lois cosmiques, les hommes, pouvant mieux se connaître, acquerront peu à peu cette conscience du collectif, d’appartenir à un même monde fragile pour y vivre en harmonie sans le détruire. Internet est absolument comme la langue d’Esope, la meilleure et la pire des choses, selon l’usage qu’on en fait, et j’espère qu’il me permettra de m’affranchir en partie de l’édition et de la distribution traditionnelle qui, refermée sur elle-même, souffre d’une crise d’intolérance pour entrer à reculons dans le prochain millénaire.»
Très certainement autobiographique, la fable "Le poète et l’éditeur" (sixième fable de la troisième partie du recueil) relate on ne peut mieux les affres du poète à la recherche d’un éditeur. Raymond Godefroy restant très attaché au papier, il auto-publie la version imprimée de ses fables en juin 2001, avec un titre légèrement différent, "Fables pour les années 2000", puisque le cap du 21e siècle est désormais franchi.
= Romans policiers
Michel Benoît habite Montréal, au Québec. Auteur de nouvelles policières, de récits noirs et d’histoires fantastiques, il utilise l’internet pour élargir ses horizons et pour abolir le temps et la distance. Il relate en juin 2000: «L’internet s’est imposé à moi comme outil de recherche et de communication, essentiellement. Non, pas essentiellement. Ouverture sur le monde aussi. Si l’on pense "recherche", on pense "information". Voyez-vous, si l’on pense "écriture", "réflexion", on pense "connaissance", "recherche". Donc on va sur la toile pour tout, pour une idée, une image, une explication. Un discours prononcé il y a vingt ans, une peinture exposée dans un musée à l’autre bout du monde. On peut donner une idée à quelqu’un qu’on n’a jamais vu, et en recevoir de même. La toile, c’est le monde au clic de la souris. On pourrait penser que c’est un beau cliché. Peut-être bien, à moins de prendre conscience de toutes les implications de la chose. L’instantanéité, l’information tout de suite, maintenant. Plus besoin de fouiller, de se taper des heures de recherche. On est en train de faire, de produire. On a besoin d’une information. On va la chercher, immédiatement. De plus, on a accès aux plus grandes bibliothèques, aux plus importants journaux, aux musées les plus prestigieux. (…)
Mon avenir professionnel en inter-relation avec le net, je le vois exploser. Plus rapide, plus complet, plus productif. Je me vois faire en une semaine ce qui m’aurait pris des mois. Plus beau, plus esthétique. Je me vois réussir des travaux plus raffinés, d’une facture plus professionnelle, même et surtout dans des domaines connexes à mon travail, comme la typographie, où je n’ai aucune compétence. La présentation, le transport de textes, par exemple. Le travail simultané de plusieurs personnes qui seront sur des continents différents. Arriver à un consensus en quelques heures sur un projet, alors qu’avant le net, il aurait fallu plusieurs semaines, parlons de mois entre les Francophones. Plus le net ira se complexifiant, plus l’utilisation du net deviendra profitable, nécessaire, essentielle.»
Autre expérience, celle d'Alain Bron, consultant en systèmes d'information et écrivain. L'internet est un des «personnages» de son deuxième roman, "Sanguine sur toile", disponible en version imprimée aux éditions du Choucas en 1999, puis en version numérique (format PDF) aux éditions 00h00.com en 2000.
Quel est le thème de ce roman? «La "toile", c'est celle du peintre, c'est aussi l'autre nom d'internet: le web - la toile d'araignée, raconte l'auteur en novembre 1999. "Sanguine" évoque le dessin et la mort brutale. Mais l'amour des couleurs justifierait-il le meurtre? Sanguine sur toile évoque l'histoire singulière d'un internaute pris dans la tourmente de son propre ordinateur, manipulé à distance par un très mystérieux correspondant qui n'a que vengeance en tête. J'ai voulu emporter le lecteur dans les univers de la peinture et de l'entreprise, univers qui s'entrelacent, s'échappent, puis se rejoignent dans la fulgurance des logiciels. Le lecteur est ainsi invité à prendre l'enquête à son propre compte pour tenter de démêler les fils tressés par la seule passion. Pour percer le mystère, il devra répondre à de multiples questions. Le monde au bout des doigts, l'internaute n'est-il pas pour autant l'être le plus seul au monde? Compétitivité oblige, jusqu'où l'entreprise d'aujourd'hui peut-elle aller dans la violence? La peinture tend-elle à reproduire le monde ou bien à en créer un autre? Enfin, j'ai voulu montrer que les images ne sont pas si sages. On peut s'en servir pour agir, voire pour tuer. (…) Dans le roman, internet est un personnage en soi. Plutôt que de le décrire dans sa complexité technique, le réseau est montré comme un être tantôt menaçant, tantôt prévenant, maniant parfois l'humour. N'oublions pas que l'écran d'ordinateur joue son double rôle: il montre et il cache. C'est cette ambivalence qui fait l'intrigue du début à la fin. Dans ce jeu, le grand gagnant est bien sûr celui ou celle qui sait s'affranchir de l'emprise de l'outil pour mettre l'humanisme et l'intelligence au- dessus de tout.»
= Oeuvres de fiction
Murray Suid vit à Palo Alto, dans la Silicon Valley, en Californie. Il est l’auteur de livres pédagogiques, de livres pour enfants, d’oeuvres multimédia et de scénarios. Dès septembre 1998, il préconise une solution choisie depuis par de nombreux auteurs: «Un livre peut avoir un prolongement sur le web – et donc vivre en partie dans le cyberespace. L’auteur peut ainsi aisément l’actualiser et le corriger, alors qu’auparavant il devait attendre longtemps, jusqu’à l’édition suivante, quand il y en avait une. (…) Je ne sais pas si je publierai des livres sur le web, au lieu de les publier en version imprimée. J’utiliserai peut-être ce nouveau support si les livres deviennent multimédia. Pour le moment, je participe au développement de matériel pédagogique multimédia. C’est un nouveau type de matériel qui me plaît beaucoup et qui permet l’interactivité entre des textes, des films, des bandes sonores et des graphiques qui sont tous reliés les uns aux autres.»
Un an après, en août 1999, il ajoute: «En plus des livres complétés par un site web, je suis en train d’adopter la même formule pour mes oeuvres multimédia – qui sont sur CD-ROM – afin de les actualiser et d’enrichir leur contenu.»
Quelques mois plus tard, l’intégralité de ses oeuvres multimédia est sur le réseau. Le matériel pédagogique auquel il contribue est conçu non plus pour diffusion sur CD-ROM, mais pour diffusion sur le web. D’entreprise multimédia, la société de logiciels éducatifs qui l’emploie s'est reconvertie en entreprise internet.
Autre expérience, celle d'Anne-Bénédicte Joly, romancière et essayiste, qui habite en région parisienne. En avril 2000, elle décide d’auto- publier ses oeuvres en utilisant l’internet pour les faire connaître. «Mon site a plusieurs objectifs, relate-t-elle en juin 2000. Présenter mes livres (essais, nouvelles et romans auto-édités) à travers des fiches signalétiques (dont le format est identique à celui que l’on trouve dans la base de données Electre) et des extraits choisis, présenter mon parcours (de professeur de lettres et d’écrivain), permettre de commander mes ouvrages, offrir la possibilité de laisser des impressions sur un livre d’or, guider le lecteur à travers des liens vers des sites littéraires. (…) Créer un site internet me permet d’élargir le cercle de mes lecteurs en incitant les internautes à découvrir mes écrits. Internet est également un moyen pour élargir la diffusion de mes ouvrages. Enfin, par une politique de liens, j’espère susciter des contacts de plus en plus nombreux.»
= Romans numériques
Lucie de Boutiny est l’auteur de "NON", roman multimédia débuté en août 1997 et publié en feuilleton par Synesthésie, une revue en ligne d’art contemporain. «"NON" est un roman comique qui fait la satire de la vie quotidienne d’un couple de jeunes cadres supposés dynamiques, raconte- t-elle en juin 2000. Bien qu’appartenant à l’élite high-tech d’une industrie florissante, Monsieur et Madame sont les jouets de la dite révolution numérique. (…) "NON" prolonge les expériences du roman post-moderne (récits tout en digression, polysémie avec jeux sur les registres - naturaliste, mélo, comique… - et les niveaux de langues, etc.). Cette hyperstylisation permet à la narration des développements inattendus et offre au lecteur l’attrait d’une navigation dans des récits multiples et multimédia, car l’écrit à l’écran s’apparente à un jeu et non seulement se lit mais aussi se regarde.»
Les romans précédents de Lucie de Boutiny sont publiés sous forme imprimée. Un roman numérique requiert-il une démarche différente? «D’une manière générale, mon humble expérience d’apprentie auteur m’a révélé qu’il n’y a pas de différence entre écrire de la fiction pour le papier ou le pixel: cela demande une concentration maximale, un isolement à la limite désespéré, une patience obsessionnelle dans le travail millimétrique avec la phrase, et bien entendu, en plus de la volonté de faire, il faut avoir quelque chose à dire! Mais avec le multimédia, le texte est ensuite mis en scène comme s’il n’était qu’un scénario. Et si, à la base, il n’y a pas un vrai travail sur le langage des mots, tout le graphisme et les astuces interactives qu’on peut y mettre fera gadget. Par ailleurs, le support modifie l’appréhension du texte, et même, il faut le souligner, change l’oeuvre originale.»
Autre roman numérique, "Apparitions inquiétantes" est né sous la plume d’Anne-Cécile Brandenbourger. Il s’agit d’«une longue histoire à lire dans tous les sens, un labyrinthe de crimes, de mauvaises pensées et de plaisirs ambigus». Pendant deux ans, cette histoire se construit sous forme de feuilleton sur le site d’Anacoluthe, en collaboration avec Olivier Lefèvre. En février 2000, l’histoire est publiée en version numérique (au format PDF) aux éditions 00h00, en tant que premier titre de la Collection 2003, consacrée aux écritures numériques, avec version imprimée à la demande.
00h00 présente l'ouvrage comme «un cyber-polar fait de récits hypertextuels imbriqués en gigogne. Entre personnages de feuilleton américain et intrigue policière, le lecteur est - hypertextuellement - mené par le bout du nez dans cette saga aux allures borgésiennes. (…) C’est une histoire de meurtre et une enquête policière; des textes écrits court et montés serrés; une balade dans l’imaginaire des séries télé; une destructuration (organisée) du récit dans une transposition littéraire du zapping; et par conséquent, des sensations de lecture radicalement neuves.»
Suite au succès du livre, les éditions Florent Massot publient en août 2000 une deuxième version imprimée (la première étant celle de 00h00, imprimée uniquement à la demande), avec une couverture en 3D, un nouveau titre - "La malédiction du parasol" - et une maquette d’Olivier Lefèvre restituant le rythme de la version originale.
Anne-Cécile Brandenbourger relate en juin 2000: «Les possibilités offertes par l’hypertexte m’ont permis de développer et de donner libre cours à des tendances que j’avais déjà auparavant. J’ai toujours adoré écrire et lire des textes éclatés et inclassables (comme par exemple "La vie mode d’emploi" de Perec ou "Si par une nuit d’hiver un voyageur" de Calvino) et l’hypermédia m’a donné l’occasion de me plonger dans ces formes narratives en toute liberté. Car, pour créer des histoires non linéaires et des réseaux de textes qui s’imbriquent les uns dans les autres, l’hypertexte est évidemment plus approprié que le papier. Je crois qu’au fil des jours, mon travail hypertextuel a rendu mon écriture de plus en plus intuitive. Plus "intérieure" aussi peut-être, plus proche des associations d’idées et des mouvements désordonnés qui caractérisent la pensée lorsqu’elle se laisse aller à la rêverie. Cela s’explique par la nature de la navigation hypertextuelle, le fait que presque chaque mot qu’on écrit peut être un lien, une porte qui s’ouvre sur une histoire.»
A la même date, Lucie de Boutiny raconte: «Mes "conseillers littéraires", des amis qui n’ont pas ressenti le vent de liberté qui souffle sur le web, aimeraient que j’y reste, engluée dans la pâte à papier. Appliquant le principe de demi-désobéissance, je fais des allers-retours papier-pixel. L’avenir nous dira si j’ai perdu mon temps ou si un nouveau genre littéraire hypermédia va naître. (…) Si les écrivains français classiques en sont encore à se demander s’ils ne préfèrent pas le petit carnet Clairefontaine, le Bic ou le Mont-Blanc fétiche, et un usage modéré du traitement de texte, plutôt que l’ordinateur connecté, voire l’installation, c’est que l’HTX (hypertext literature) nécessite un travail d’accouchement visuel qui n’est pas la vocation originaire de l’écrivain papier. En plus des préoccupations du langage (syntaxe, registre, ton, style, histoire…), le techno- écrivain - collons-lui ce label pour le différencier - doit aussi maîtriser la syntaxe informatique et participer à l’invention de codes graphiques car lire sur un écran est aussi regarder.»
= Mail-romans
Le premier mail-roman francophone est lancé en 2001 par Jean-Pierre Balpe, chercheur, écrivain et directeur du département hypermédia de l’Université Paris 8. Pendant très exactement cent jours, entre le 11 avril et le 19 juillet 2001, il diffuse quotidiennement par courriel un chapitre de "Rien n’est sans dire" auprès de cinq cents personnes - sa famille, ses amis, ses collègues, etc. - en y intégrant les réponses et réactions des lecteurs. Racontée par un narrateur, l’histoire est celle de Stanislas et Zita, qui vivent une passion tragique déchirée par une sombre histoire politique. « Cette idée d’un mail-roman m’est venue tout naturellement, relate l’auteur en février 2002. D’une part en me demandant depuis quelque temps déjà ce qu’internet peut apporter sur le plan de la forme à la littérature (…) et d’autre part en lisant de la littérature "épistolaire" du 18e siècle, ces fameux "romans par lettres". Il suffit alors de transposer: que peut être le "roman par lettres" aujourd’hui?»
Jean-Pierre Balpe tire plusieurs conclusions de cette expérience: «D’abord c’est un "genre": depuis, plusieurs personnes m’ont dit lancer aussi un mail-roman. Ensuite j’ai aperçu quantité de possibilités que je n’ai pas exploitées et que je me réserve pour un éventuel travail ultérieur. La contrainte du temps est ainsi très intéressante à exploiter: le temps de l’écriture bien sûr, mais aussi celui de la lecture: ce n’est pas rien de mettre quelqu’un devant la nécessité de lire, chaque jour, une page de roman. Ce "pacte" a quelque chose de diabolique. Et enfin le renforcement de ma conviction que les technologies numériques sont une chance extraordinaire du renouvellement du littéraire.»
= Sites hypermédia
Principe de base du web, le lien hypertexte permet de relier entre eux des documents textuels et des images. Quant au lien hypermédia, il permet l’accès à des graphiques, des images animées, des bandes sonores et des vidéos. Des écrivains férus de nouvelles technologies ne tardent pas à en explorer les possibilités, dans des sites d’écriture hypermédia et des oeuvres d’hyperfiction.
Mis en ligne en juin 1997, oVosite est un espace d’écriture conçu par un collectif de six auteurs issus du département hypermédia de l’Université Paris 8: Chantal Beaslay, Laure Carlon, Luc Dall’Armellina (qui est aussi webmestre), Philippe Meuriot, Anika Mignotte et Claude Rouah. «oVosite est un site web conçu et réalisé (…) autour d’un symbole primordial et spirituel, celui de l’oeuf, explique Luc Dall’Armellina en juin 2000. Le site s’est constitué selon un principe de cellules autonomes qui visent à exposer et intégrer des sources hétérogènes (littérature, photo, peinture, vidéo, synthèse) au sein d’une interface unifiante.»
Les possibilités offertes par l’hyperlien ont-elles changé son mode d’écriture? Sa réponse est à la fois négative et positive.
Négative d’abord: «Non - parce qu’écrire est de toute façon une affaire très intime, un mode de relation qu’on entretient avec son monde, ses proches et son lointain, ses mythes et fantasmes, son quotidien et enfin, appendus à l’espace du langage, celui de sa langue d’origine. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que l’hypertexte change fondamentalement sa manière d’écrire, qu’on procède par touches, par impressions, associations, quel que soit le support d’inscription, je crois que l’essentiel se passe un peu à notre insu.»
Positive ensuite: «Oui - parce que l’hypertexte permet sans doute de commencer l’acte d’écriture plus tôt: devançant l’activité de lecture (associations, bifurcations, sauts de paragraphes) jusque dans l’acte d’écrire. L’écriture (ceci est significatif avec des logiciels comme StorySpace) devient peut-être plus modulaire. On ne vise plus tant la longue horizontalité du récit, mais la mise en espace de ses fragments, autonomes. Et le travail devient celui d’un tissage des unités entre elles. L’autre aspect lié à la modularité est la possibilité d’écritures croisées, à plusieurs auteurs. Peut-être s’agit-il d’ailleurs d’une méta-écriture, qui met en relation les unités de sens (paragraphes ou phrases) entre elles.»
Luc ajoute aussi: «La couverture du réseau autour de la surface du globe resserre les liens entre les individus distants et inconnus. Ce qui n’est pas simple puisque nous sommes placés devant des situations nouvelles: ni vraiment spectateurs, ni vraiment auteurs, ni vraiment lecteurs, ni vraiment interacteurs. Ces situations créent des nouvelles postures de rencontre, des postures de "spectacture" ou de "lectacture" (Jean-Louis Weissberg). Les notions de lieu, d’espace, de temps, d’actualité sont requestionnées à travers ce médium qui n’offre plus guère de distance à l’événement mais se situe comme aucun autre dans le présent en train de se faire. L’écart peut être mince entre l’envoi et la réponse, parfois immédiat (cas de la génération de textes).
Mais ce qui frappe et se trouve repérable ne doit pas masquer les aspects encore mal définis tels que les changements radicaux qui s’opèrent sur le plan symbolique, représentationnel, imaginaire et plus simplement sur notre mode de relation aux autres. "Plus de proximité" ne crée pas plus d’engagement dans la relation, de même "plus de liens" ne créent pas plus de liaisons, ou encore "plus de tuyaux" ne créent pas plus de partage. Je rêve d’un internet où nous pourrions écrire à plusieurs sur le même dispositif, une sorte de lieu d’atelier d’écritures permanent et qui autoriserait l’écriture personnelle (c’est en voie d’exister), son partage avec d’autres auteurs, leur mise en relation dans un tissage d’hypertextes et un espace commun de notes et de commentaires sur le travail qui se crée.»
L’avenir de la cyber-littérature est tracé par sa technologie même, comme l'explique en août 1999 Jean-Paul, webmestre du site hypermédia cotres.net: «Il est maintenant impossible à un(e) auteur(e) seul(e) de manier à la fois les mots, leur apparence mouvante et leur sonorité. Maîtriser aussi bien Director, Photoshop et Cubase, pour ne citer que les plus connus, c’était possible il y a dix ans, avec les versions 1. Ça ne l’est plus. Dès demain (matin), il faudra savoir déléguer les compétences, trouver des partenaires financiers aux reins autrement plus solides que Gallimard, voir du côté d’Hachette-Matra, Warner, Pentagone, Hollywood. Au mieux, le statut de… l’écrivaste? du multimédiaste? sera celui du vidéaste, du metteur en scène, du directeur de produit: c’est lui qui écope des palmes d’or à Cannes, mais il n’aurait jamais pu les décrocher seul. Soeur jumelle (et non pas clone) du cinématographe, la cyber-littérature (= la vidéo + le lien) sera une industrie, avec quelques artisans isolés dans la périphérie off-off (aux droits d’auteur négatifs, donc).»
Quelques mois plus tard, en juin 2000, Jean-Paul s'interroge sur l'apport de l'internet dans son écriture: «La navigation par hyperliens se fait en rayon (j’ai un centre d’intérêt et je clique méthodiquement sur tous les liens qui s’y rapportent) ou en louvoiements (de clic en clic, à mesure qu’ils apparaissent, au risque de perdre de vue mon sujet). Bien sûr, les deux sont possibles avec l’imprimé. Mais la différence saute aux yeux: feuilleter n’est pas cliquer. L’internet n’a donc pas changé ma vie, mais mon rapport à l’écriture. On n’écrit pas de la même manière pour un site que pour un scénario, une pièce de théâtre, etc. (…) Depuis, j’écris (compose, mets en page, en scène) directement à l’écran. L’état "imprimé" de mon travail n’est pas le stade final, le but; mais une forme parmi d’autres, qui privilégie la linéarité et l’image, et qui exclut le son et les images animées. (…) C’est finalement dans la publication en ligne (l’entoilage?) que j’ai trouvé la mobilité, la fluidité que je cherchais. Le maître mot y est "chantier en cours", sans palissades. Accouchement permanent, à vue, comme le monde sous nos yeux. Provisoire, comme la vie qui tâtonne, se cherche, se déprend, se reprend. Avec évidemment le risque souligné par les gutenbergs, les orphelins de la civilisation du livre: plus rien n’est sûr. Il n’y a plus de source fiable, elles sont trop nombreuses, et il devient difficile de distinguer un clerc d’un gourou. Mais c’est un problème qui concerne le contrôle de l’information. Pas la transmission des émotions.»
Jean-Paul fait à nouveau le point sur son activité d’entoileur beaucoup plus tard, en janvier 2007: «J’ai gagné du temps. J’utilise moins de logiciels, dont j’intègre le résultat dans Flash. Ce dernier m’assure de contrôler à 90% le résultat à l’affichage sur les écrans de réception (au contraire de ceux qui préfèrent présenter des oeuvres ouvertes, où l’intervention tantôt du hasard tantôt de l’internaute est recherchée). Je peux maintenant me concentrer sur le coeur de la chose: l’architecture et le développement du récit. (…) Les deux points forts des trois ou quatre ans à venir sont: (1) la généralisation du très haut débit (c’est-à-dire en fait du débit normal), qui va m’affranchir des limitations purement techniques, notamment des soucis de poids et d’affichage des fichiers (mort définitive, enfin, des histogrammes de chargement); (2) le développement de la 3 D. C’est le récit en hypermédia (= le multimédia + le clic) qui m’intéresse. Les pièges que pose un récit en 2 D sont déjà passionnants. Avec la 3 D, il va falloir chevaucher le tigre pour éviter la simple prouesse technique et laisser la priorité au récit.»
2005: GOOGLE S'INTERESSE A L'EBOOK
= [Résumé]
En octobre 2004, Google lance la première partie de son programme Google Print, établi en partenariat avec les éditeurs pour consulter à l’écran des extraits de livres, puis commander les livres auprès d’une librairie en ligne. En décembre 2004, Google lance la deuxième partie de son programme Google Print, cette fois à destination des bibliothèques, le but étant de numériser 15 millions de livres, à commencer par ceux des bibliothèques de plusieurs universités partenaires (Harvard, Stanford, Michigan, Oxford) et de la ville de New York. La version bêta de Google Print est mise en ligne en mai 2005. En août 2005, le programme est suspendu pour cause de conflit avec les éditeurs de livres sous droits. Il reprend en août 2006 sous le nom de Google Books. La numérisation des fonds de grandes bibliothèques se poursuit, tout comme le développement de partenariats avec les éditeurs qui le souhaitent. En octobre 2008, Google clôt le conflit avec les associations d'auteurs et d'éditeurs en annonçant un accord avec eux, accord qui serait effectif courant 2009.
= Google Print
En 2005, alors que le Projet Gutenberg poursuit la mise en ligne gratuite des oeuvres du domaine public, tâche immense entreprise depuis nombre d’années, le livre devient un objet convoité par les géants de l’internet que sont Google, Yahoo! et Microsoft, d’une part par souci méritoire de mettre le patrimoine mondial à la disposition de tous, d’autre part à cause de l’enjeu représenté par les recettes publicitaires générées par les liens commerciaux accolés aux résultats des recherches.
Google décide de mettre son expertise au service du livre, et lance la version bêta de Google Print en mai 2005. Ce lancement est précédé de deux étapes.
En octobre 2004, Google lance la première partie de son programme Google Print, établi en partenariat avec les éditeurs pour pouvoir consulter à l’écran des extraits de livres, puis commander les livres auprès d’une librairie en ligne.
En décembre 2004, Google lance la deuxième partie de son programme Google Print, cette fois à destination des bibliothèques. Il s’agit d’un projet de bibliothèque numérique de 15 millions de livres consistant à numériser plusieurs grandes bibliothèques partenaires, à commencer par la bibliothèque de l’Université du Michigan (dans sa totalité, à savoir 7 millions d’ouvrages), les bibliothèques des universités de Harvard, de Stanford et d’Oxford, et celle de la ville de New York. Le coût estimé au départ se situe entre 150 et 200 millions de dollars US, avec la numérisation de 10 millions de livres sur six ans et un chantier d'une durée totale de dix ans.
En août 2005, soit trois mois après son lancement, Google Print est suspendu pour un temps indéterminé suite à un conflit grandissant avec les associations d'auteurs et d'éditeurs de livres sous droits, celles- ci reprochant à Google de numériser les livres sans l'accord préalable des ayants droit.
= Google Books
Le programme reprend en août 2006 sous le nom de Google Books (Google Livres). Google Books permet de rechercher les livres par date, titre ou éditeur. La numérisation des fonds de grandes bibliothèques se poursuit, axée cette fois sur les livres libres de droit, tout comme le développement de partenariats avec les éditeurs qui le souhaitent.
Les livres libres de droit sont consultables à l’écran en texte intégral, leur contenu est copiable et l’impression est possible page à page. Ils sont également téléchargeables sous forme de fichiers PDF et imprimables dans leur entier. Les liens publicitaires associés aux pages de livres sont situés en haut et à droite de l’écran.
Le conflit avec les associations d'auteurs et d'éditeurs se poursuit lui aussi, puisque Google continue de numériser des livres sous droits sans l’autorisation préalable des ayants droit, en invoquant le droit de citation pour présenter des extraits sur le web. L’Authors Guild et l’Association of American Publishers (AAP) invoquent pour leur part le non respect de la législation relative au copyright pour attaquer Google en justice. Le feuilleton judiciaire dure de nombreux mois.
Fin 2006, d'après le buzz médiatique, Google scannerait 3.000 livres par jour, ce qui représenterait un million de livres par an. Le coût estimé serait de 30 dollars par livre - d'autres sources mentionnent un coût double. Google Books comprendrait 3 millions de livres. Tous chiffres à prendre avec précaution, la société ne communiquant pas de statistiques à ce sujet.
A l’exception de la New York Public Library, les collections en cours de numérisation appartiennent toutes à des bibliothèques universitaires (Harvard, Stanford, Michigan, Oxford, Californie, Virginie, Wisconsin- Madison, Complutense de Madrid). S’y ajoutent début 2007 les bibliothèques des universités de Princeton et du Texas (Austin), ainsi que la Biblioteca de Catalunya (Catalogne, Espagne) et la Bayerische Staatbibliothek (Bavière, Allemagne). En mai 2007, Google annonce la participation de la première bibliothèque francophone, la Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) de Lausanne (Suisse), pour la numérisation de 100.000 titres en français, allemand et italien publiés entre le 17e et le 19e siècle. Suit ensuite un partenariat avec la Bibliothèque municipale de Lyon (France) signé en juillet 2008 pour numériser 500.000 livres.
En octobre 2008, après trois ans de conflit, Google met fin aux poursuites à son encontre par les associations d'auteurs et d'éditeurs. La société annonce un accord qui serait effectif courant 2009. Cet accord serait basé sur un partage des revenus générés par Google Books ainsi qu'un large accès aux ouvrages épuisés, et le paiement de 125 millions de dollars US à l'Authors Guild et l'Association of American Publishers (AAP) pour clôturer ce conflit.
Suite à cet accord, Google devrait proposer de plus larges extraits des livres, jusqu'à 20% d'un même ouvrage, avec un lien commercial pour acheter une copie - numérique ou non - de l'oeuvre. Les ayants droit auront la possibilité de participer ou non au projet Google Books, et de retirer leurs livres des collections. Par ailleurs, les bibliothèques universitaires et publiques (des États-Unis) pourront accéder à un portail gratuit géré par Google et donnant accès aux textes de millions de livres épuisés. Un abonnement permettra aux universités et aux écoles de consulter les collections des bibliothèques les plus renommées.
En novembre 2008, Google Books comprend 7 millions d'ouvrages numérisés, en partenariat avec 24 bibliothèques et 2.000 éditeurs partenaires. Les 24 bibliothèques partenaires se situent principalement aux Etats-Unis (16), mais aussi en Allemagne (1), en Belgique (1), en Espagne (2), en France (1), au Japon (1), au Royaume-Uni (1) et en Suisse (1).
En février 2009, Google Books lance un portail spécifique pour lecture sur téléphone mobile et smartphone, par exemple sur l'iPhone 3G d'Apple ou sur le G1 de T-Mobile (ce dernier utilisant Android, la plateforme de Google). Le catalogue comprend 1,5 million de livres du domaine public, auxquels s'ajoutent 500.000 autres titres téléchargeables hors des Etats-Unis, du fait d'une législation du copyright moins restrictive dans certains pays.
= [Résumé]
Lancée en octobre 2005 à l’instigation de l’Internet Archive, l’Open Content Alliance (OCA) - – qui débute véritablement en 2006 - est un vaste projet public et coopératif de bibliothèque numérique mondiale proposant un répertoire multilingue de livres et documents multimédia pour consultation et téléchargement sur tout moteur de recherche. L'OCA regroupe de nombreux partenaires: bibliothèques, universités, organisations gouvernementales, associations à but non lucratif, organismes culturels, sociétés informatiques (Adobe, Hewlett Packard, Microsoft, Yahoo!, Xerox, etc.). Les premiers participants sont les bibliothèques des universités de Californie et de Toronto, l'European Archive, les Archives nationales du Royaume-Uni, O'Reilly Media et les Prelinger Archives. L’OCA souhaite s’inspirer de l’initiative de Google tout en évitant ses travers, à savoir la numérisation de livres sous droits sans l’accord préalable des éditeurs, tout comme la consultation et le téléchargement impossibles sur un autre moteur de recherche.
= L'Internet Archive
En réaction au projet Google Books, l’Internet Archive pense qu'une bibliothèque à vocation mondiale ne doit pas être liée à des enjeux commerciaux. Elle s'associe en janvier 2005 à Yahoo! pour mettre sur pied l’Open Content Alliance (OCA), dans l'optique de fédérer un grand nombre de partenaires pour créer une bibliothèque planétaire publique respectueuse du copyright et sur un modèle ouvert.
Qu’est-ce exactement que l’Internet Archive? Fondée en avril 1996 par Brewster Kahle à San Francisco (Californie), l’Internet Archive a pour but de constituer, stocker, préserver et gérer une «bibliothèque» de l’internet, en archivant la totalité du web tous les deux mois, afin d’offrir un outil de travail aux universitaires, chercheurs et historiens, et de préserver un historique de l’internet pour les générations futures.
En octobre 2001, l’Internet Archive met ses archives en accès libre sur le web grâce à la Wayback Machine, qui permet à tout un chacun de consulter l’historique d’un site web, à savoir le contenu et la présentation d’un site web à différentes dates, théoriquement tous les deux mois à partir de 1996.
L’Internet Archive débute aussi la constitution de collections numériques telles que le Million Book Project (10.520 livres en avril 2005), des archives de films de la période 1903-1973, des archives de concerts live récents, des archives de logiciels, etc. Toutes ces collections sont en consultation libre sur le web.
= L'Open Content Alliance
En janvier 2005, l’Internet Archive s’associe à Yahoo! pour mettre sur pied l’Open Content Alliance (OCA), une initiative visant à créer un répertoire libre et multilingue de livres numérisés et de documents multimédia pour consultation sur n’importe quel moteur de recherche.
L’OCA est officiellement lancée en octobre 2005 et débute véritablement en 2006. Le but de l’initiative est de s’inspirer de Google Books tout en évitant ses travers, à savoir la numérisation des livres sous droits sans l’accord préalable des éditeurs, tout comme la consultation et le téléchargement impossibles sur un autre moteur de recherche.
L’OCA regroupe de nombreux partenaires: des bibliothèques et des universités bien sûr, mais aussi des organisations gouvernementales, des associations à but non lucratif, des organismes culturels et des sociétés informatiques (Adobe, Hewlett Packard, Microsoft, Yahoo!, Xerox, etc.).
Les premiers partenaires sont les bibliothèques des universités de Californie et de Toronto, l’European Archive, les Archives nationales du Royaume-Uni, O’Reilly Media et les Prelinger Archives. Seuls les livres appartenant au domaine public sont numérisés, pour éviter les problèmes de copyright auxquels se heurte Google. Les collections numérisées sont intégrées à la section Text Archive de l’Internet Archive.
En décembre 2006, l’Open Content Alliance franchit la barre des 100.000 livres numérisés, avec un rythme de 12.000 nouveaux livres par mois. A la même date, l’Internet Archive reçoit une subvention d'un million de dollars de la part de la Sloan Foundation pour numériser les collections du Metropolitan Museum of Art (l’ensemble des livres et plusieurs milliers d’images) ainsi que certaines collections de la Boston Public Library (les 3.800 livres de la bibliothèque personnelle de John Adams, deuxième président des Etats-Unis), du Getty Research Institute (une série de livres d'art), de la John Hopkins University (une série de documents liés au mouvement anti-esclavagiste) et de l’Université de Californie à Berkeley (une série de documents relatifs à la ruée vers l’or).
En mai 2007, l’Open Content Alliance franchit la barre des 200.000 livres numérisés.
La barre du million de livres numérisés est atteinte en décembre 2008.
Si Microsoft est un des partenaires de l'OCA, il se lance également dans l’aventure à titre personnel. En décembre 2006 est mise en ligne aux Etats-Unis la version bêta de Live Search Books, qui permet une recherche par mots-clés dans les livres du domaine public. Ces livres sont numérisés par Microsoft suite à des accords passés avec de grandes bibliothèques, les premières étant la British Library et les bibliothèques des universités de Californie et de Toronto, suivies en janvier 2007 par celles de la New York Public Library et de l’Université Cornell. Microsoft compte aussi ajouter des livres sous droits, mais uniquement avec l’accord préalable des éditeurs.
Tout comme Google Books, Live Search Books permet de consulter des extraits comportant les mots-clés, qui sont eux-même surlignés. Mais les collections sont moins riches que celles de Google Books, le moteur de recherche est plus rudimentaire, et il n'est pas possible de télécharger les livres au format PDF dans leur entier.
En mai 2007, Microsoft annonce des accords avec plusieurs grands éditeurs, dont Cambridge University Press et McGraw Hill.
Microsoft met finalement un terme à ce projet en mai 2008 pour concentrer ses efforts sur d'autres activités. Les 750.000 livres déjà numérisés sont versés dans les collections de l'Open Content Alliance.
= Europeana
En Europe, certains s’inquiètent de l'«hégémonie américaine» que représente Google Books. Il existe sur le web une Bibliothèque européenne, qui est en fait un portail commun aux 43 bibliothèques nationales, lancé en janvier 2004 par la CENL (Conference of European National Librarians) et hébergé sur le site de la Bibliothèque nationale des Pays-Bas.
En septembre 2005, la Commission européenne lance une vaste consultation sur un projet de bibliothèque numérique européenne, avec réponse requise en janvier 2006, suite à quoi le projet est officiellement lancé en mars 2006.
«Le plan de la Commission européenne visant à promouvoir l’accès numérique au patrimoine de l’Europe prend forme rapidement, lit-on dans le communiqué de presse. Dans les cinq prochaines années, au moins six millions de livres, documents et autres oeuvres culturelles seront mis à la disposition de toute personne disposant d’une connexion à l’internet, par l’intermédiaire de la "bibliothèque numérique européenne". Afin de stimuler les initiatives de numérisation européennes, la Commission va cofinancer la création d’un réseau paneuropéen de centres de numérisation. La Commission abordera également, dans une série de documents stratégiques, la question du cadre approprié à adopter pour assurer la protection des droits de propriété intellectuelle dans le cadre des bibliothèques numériques.»
Europeana et ses deux millions de documents sont disponibles en novembre 2008, avec un serveur qui déclare rapidement forfait suite à la très forte demande des premières heures, puis une période expérimentale avec consultation partielle des collections suite au «renforcement» de la capacité de ce serveur.
= [Résumé]
Si le Kindle, le lecteur de livres d'Amazon, est lancé en novembre 2007, la lecture sur appareil mobile débute dix ans auparavant. On lit d'abord sur son ordinateur - portable ou non - avant de lire sur les agendas électroniques que sont le Psion et les appareils de Franklin. La société Palm lance en mars 1996 le Palm Pilot, premier PDA du marché. Le Pocket PC de Microsoft est lancé en avril 2000. Suivent ensuite les premiers smartphones de Nokia et Sony Ericsson. Parallèlement, on voit l'émergence de tablettes de lecture dédiées. Les premières sont le Rocket eBook, le SoftBook Reader ou le Gemstar eBook, et ne durent pas. Après une période morose, des tablettes plus légères gagnent en puissance et qualité d'écran, par exemple le Cybook (nouvelle version) ou le Sony Reader, auquel s'ajoute le Kindle d'Amazon.com en novembre 2007. L'écran LCD laisse la place à un écran utilisant la technologie E Ink. On parle maintenant d'un support souple ultra-fin appelé papier électronique, qui serait lancé par E Ink, Plastic Logic et d'autres en 2010.
= Tablettes de lecture
# Premiers pas
Les livres numériques sont d’abord lisibles uniquement sur l’écran de l'ordinateur, que celui-ci soit un ordinateur de bureau ou un ordinateur portable sinon ultra-portable. Outre le stockage d’un millier de livres sinon plus - en fonction de la taille du disque dur - l'ordinateur permet l’utilisation d’outils bureautiques standard, l’accès au web, l’écoute de fichiers musicaux et le visionnement de vidéos ou de films. Certains usagers sont également tentés par le webpad, un ordinateur-écran sans disque dur disposant d’une connexion sans fil à l’internet, apparu en 2001, ou alors la tablette PC, une tablette informatique pourvue d’un écran tactile, apparue fin 2002.
En 1999, pour plus de mobilité, on voit apparaître des appareils dédiés de la taille d'un (gros) livre, souvent appelés ebooks, livres électroniques, tablettes de lecture ou même liseuses. Les premiers appareils suscitent un engouement certain, même si peu de gens vont jusqu'à les acheter, vu leur prix prohibitif et un choix de livres restreint. Le catalogue de livres numériques est encore ridicule par rapport à la production imprimée.
Les premières tablettes de lecture sont conçues et développées dans la Silicon Valley, en Californie. Elles disposent d'un écran à cristaux liquides (LCD: liquid crystal display) rétro-éclairé ou non, noir et blanc ou en couleur. Elles fonctionnent sur batterie et disposent d’un modem intégré et d’un port USB, pour connexion à l’internet et téléchargement des livres à partir de librairies numériques.
Le modèle le plus connu, le Rocket eBook, est créé par la société NuvoMedia, financée par la chaîne de librairies Barnes & Noble et le géant des médias Bertelsmann. Un deuxième modèle, le SoftBook Reader, est développé par la société SoftBook Press, financée par les deux grandes maisons d’édition Random House et Simon & Schuster. Plusieurs autres modèles ont une durée de vie assez courte, par exemple l’EveryBook, appareil à double écran créé par la société du même nom, ou encore le Millennium eBook, créé par la société Librius.com. A cette époque, qui n’est pas si lointaine, toutes ces tablettes électroniques pèsent entre 700 grammes et 2 kilos et peuvent stocker une dizaine de livres.
# Gemstar eBook
Lancés en octobre 2000 à New York, les deux premiers modèles de Gemstar eBook sont les successeurs du Rocket eBook (conçu par NuvoMedia) et du SoftBook Reader (conçu par SoftBook Press), suite au rachat de NuvoMedia et de SoftBook Press en janvier 2000 par Gemstar-TV Guide International, une grosse société spécialisée dans les produits et services numériques pour les médias.
Commercialisés en novembre 2000 aux Etats-Unis, ces deux modèles - le REB 1100 (écran noir et blanc, successeur du Rocket eBook) et le REB 1200 (écran couleur, successeur du SoftBook Reader) - sont construits et vendus sous le label RCA, appartenant à Thomson Multimedia. Le système d’exploitation, le navigateur et le logiciel de lecture sont spécifiques au produit, tout comme le format de lecture, basé sur le format OeB (open ebook).
Les ventes sont très inférieures aux pronostics. En avril 2002, un article du New York Times annonce l’arrêt de la fabrication de ces appareils par RCA. En automne 2002, leurs successeurs - le GEB 1150 et le GEB 2150 - sont produits sous le label Gemstar et vendus par SkyMall à un prix beaucoup plus compétitif (199 et 349 dollars US), avec ou sans abonnement annuel ou bisannuel à la librairie numérique Gemstar eBook. Mais les ventes restent peu concluantes et Gemstar décide de mettre fin à ses activités eBook. La société cesse la vente de ses tablettes de lecture en juin 2003 et celle de ses livres numériques le mois suivant.
# Cybook
Première tablette de lecture européenne, le Cybook (21 x 16 cm, 1 kilo) est conçu et développé par la société française Cytale, et commercialisé en janvier 2001. Sa mémoire - 32 Mo (méga-octets) de mémoire SDRAM (synchronous dynamic random access memory) et 16 Mo de mémoire flash - permet de stocker 15.000 pages de texte, soit 30 livres de 500 pages.
«J’ai croisé il y a deux ans le chemin balbutiant d’un projet extraordinaire, le livre électronique, écrit en décembre 2000 Olivier Pujol, PDG de Cytale. Depuis ce jour, je suis devenu le promoteur impénitent de ce nouveau mode d’accès à l’écrit, à la lecture, et au bonheur de lire. La lecture numérique se développe enfin, grâce à cet objet merveilleux: bibliothèque, librairie nomade, livre "adaptable", et aussi moyen d’accès à tous les sites littéraires (ou non), et à toutes les nouvelles formes de la littérature, car c’est également une fenêtre sur le web.»
Mais les ventes sont très inférieures aux pronostics et forcent la société à se déclarer en cessation de paiement. Cytale est mis en liquidation judiciaire en juillet 2002 et cesse ses activités à la même date. La commercialisation du Cybook est reprise quelques mois plus tard par la société Bookeen, créée en 2003 à l’initiative de Michael Dahan et Laurent Picard, deux ingénieurs de Cytale. En juillet 2007, Bookeen dévoile la nouvelle version de sa tablette, baptisée Cybook Gen3, avec un écran utilisant la technologie E Ink.
# Sony Reader
En avril 2004, Sony lance au Japon son premier Reader, le Librié 1000- EP, produit en partenariat avec les sociétés Philips et E Ink. Cette tablette est d'ailleurs la première à utiliser la technologie d’affichage développée par E Ink et dénommée encre électronique. L’appareil pèse 300 grammes (avec piles et protection d’écran), pour une taille de 12,6 x 19 x 1,3 centimètres. Sa mémoire est de 10 Mo (méga-octets) - avec possibilité d’extension - et sa capacité de stockage de 500 livres. Son écran de 6 pouces a une définition de 170 DPI (dots per inch) et une résolution de 800 x 600 pixels. Un port USB permet le téléchargement des livres à partir de l’ordinateur. L’appareil comprend aussi un clavier, une fonction enregistrement et une synthèse vocale. Il fonctionne avec quatre piles alcalines, qui permettraient la consultation de 10.000 pages. Son prix est de 375 dollars US. Le Librié cède ensuite la place au Sony Reader, lancé en octobre 2006 aux Etats-Unis au prix de 350 dollars, avec plusieurs nouveaux modèles sortis depuis avec succès.
# Kindle
La librairie en ligne Amazon.com lance en novembre 2007 sa propre tablette de lecture, le Kindle, qui a le format d'un livre (19 x 13 x 1,8 cm, 289 grammes), avec un écran noir et blanc (6 pouces, 800 x 600 pixels), un clavier, une mémoire de 256 Mo (extensible par carte SD) et enfin une connexion sans fil (wifi) et un port USB. Vendu 400 dollars US (273 euros), il peut contenir jusqu'à 200 livres parmi les 88.000 disponibles dans le catalogue d'Amazon. 538.000 Kindle sont vendus en 2008. En janvier 2009, Amazon rachète la société Audible.com et sa collection de livres, journaux et magazines audio - 80.000 titres - téléchargeables sur baladeurs, téléphones et smartphones. En février 2009, Amazon lance une nouvelle version du Kindle, le Kindle 2, avec un catalogue de 230.000 titres.
# Psion
Le Psion Organiser est le vétéran des agendas électroniques. Le premier modèle est lancé dès 1984 par la société britannique Psion. Au fil des ans, la gamme des appareils s’étend et la société se développe à l’international. En 2000, les divers modèles (Série 7, Série 5mx, Revo, Revo Plus) sont concurrencés par le Palm Pilot et le Pocket PC. Les ventes baissent et la société décide de diversifier ses activités. Suite au rachat de Teklogix par Psion, Psion Teklogix est fondé en septembre 2000 pour développer des solutions mobiles sans fil à destination des entreprises. Psion Software est fondé en 2001 pour développer les logiciels de la nouvelle génération d’appareils mobiles utilisant la plateforme Symbian OS, par exemple ceux du smartphone Nokia 9210, modèle précurseur commercialisé la même année.
Enseignante-chercheuse à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE, Paris-Sorbonne), Marie-Joseph Pierre utilise un Psion depuis plusieurs années pour lire et étudier dans le train lors de ses fréquents déplacements entre Argentan (Normandie), sa ville de résidence, et Paris. Elle achète son premier Psion en 1997, un Série 3, remplacé ensuite par un Série 5, remplacé lui-même par un Psion 5mx en juin 2001.
En février 2002, elle raconte: «J’ai chargé tout un tas de trucs littéraires – dont mes propres travaux et dont la Bible entière – sur mon Psion 5mx (16 + 16 Mo), que je consulte surtout dans le train ou pour mes cours, quand je ne peux pas emporter toute une bibliothèque. J’ai mis les éléments de programme qui permettent de lire page par page comme sur un véritable ebook. Ce qui est pratique, c’est de pouvoir charger une énorme masse documentaire sur un support minuscule. Mais ce n’est pas le même usage qu’un livre, surtout un livre de poche qu’on peut feuilleter, tordre, sentir…, et qui s’ouvre automatiquement à la page qu’on a aimée. C’est beaucoup moins agréable à utiliser, d’autant que sur PDA, la page est petite: on n’a pas de vue d’ensemble. Mais avec une qualité appréciable: on peut travailler sur le texte enregistré, en rechercher le vocabulaire, réutiliser des citations, faire tout ce que permet le traitement informatique du document, et cela m’a pas mal servi pour mon travail, ou pour mes activités associatives. Je fais par exemple partie d’une petite société poétique locale, et nous faisons prochainement un récital poétique. J’ai voulu rechercher des textes de Victor Hugo, que j’ai maintenant pu lire et même charger à partir du site de la Bibliothèque nationale de France: c’est vraiment extra.»
# eBookMan (Franklin)
Basée dans le New Jersey (Etats-Unis), la société Franklin commercialise dès 1986 le premier dictionnaire consultable sur une machine de poche. Quinze ans plus tard, Franklin distribue 200 ouvrages de référence sur des machines de poche: dictionnaires unilingues et bilingues, encyclopédies, bibles, manuels d’enseignement, ouvrages médicaux et livres de loisirs.
En octobre 2000, Franklin lance l’eBookMan, un assistant personnel multimédia qui - entre autres fonctionnalités (agenda, dictaphone, etc.) - permet la lecture de livres numériques sur le logiciel de lecture Franklin Reader. A la même date, l’eBookMan reçoit l’eBook Technology Award de la Foire internationale du livre de Francfort. Trois modèles (EBM-900, EBM-901 et EBM-911) sont disponibles début 2001. Leurs prix respectifs sont de 130, 180 et 230 dollars US. Le prix est fonction de la taille de la mémoire vive (8 ou 16 Mo) et de la qualité de l’écran à cristaux liquides (écran LCD), rétro-éclairé ou non selon les modèles. Nettement plus grand que celui de ses concurrents, l’écran n’existe toutefois qu’en noir et blanc, contrairement à la gamme Pocket PC ou à certains modèles Palm avec écran couleur. L’eBookMan permet l’écoute de livres audio et de fichiers musicaux au format MP3.
En octobre 2001, Franklin décide de ne pas intégrer le Microsoft Reader à l’eBookMan, mais de lui préférer le Mobipocket Reader, logiciel de lecture jugé plus performant, et primé à la même date par l’eBook Technology Award de la Foire internationale du livre de Francfort. Parallèlement, le Franklin Reader est progressivement disponible pour les gammes d'appareils mobiles Psion, Palm, Pocket PC et Nokia. Franklin développe aussi une librairie numérique sur son site en passant des partenariats avec plusieurs sociétés, notamment avec Audible.com pour avoir accès à sa collection de 4.500 livres audionumériques.
# Palm Pilot et Pocket PC
Lorsque le livre numérique commence à se généraliser en 2000, tous les fabricants de PDA décident d’intégrer un logiciel de lecture dans leur machine, en plus des fonctionnalités standard (agenda, dictaphone, lecteur de MP3, etc.). En parallèle, ils négocient les droits de diffusion numérique de centaines de titres, soit directement soit par le biais de librairies numériques. Si certains professionnels du livre s’inquiètent de la petitesse de l’écran, les adeptes de la lecture sur PDA assurent que la taille de l’écran n’est pas un problème. Les grands favoris du marché sont les gammes Palm Pilot et Pocket PC.
La société Palm lance le premier Palm Pilot en mars 1996 et vend 23 millions de machines entre 1996 et 2002. Le système d’exploitation du Palm Pilot est le Palm OS et son logiciel de lecture le Palm Reader. En mars 2001, la gamme Palm Pilot propose plusieurs modèles et permet la lecture de livres numériques sur le Mobipocket Reader.
Commercialisé par Microsoft en avril 2000, le Pocket PC utilise le système d’exploitation Windows CE, qui intègre le nouveau logiciel de lecture Microsoft Reader. En octobre 2001, Windows CE est remplacé par Pocket PC 2002, qui permet entre autres de lire des livres numériques sous droits. Ces livres sont protégés par un système de gestion des droits numériques, le Microsoft DAS Server (DAS: digital asset server). En 2002, la gamme Pocket PC propose plusieurs modèles et permet la lecture sur trois logiciels: le Microsoft Reader bien sûr, le Mobipocket Reader et le Palm Reader.
Le marché des PDA poursuit sa croissance. D’après The Seybold Report, on compte 17 millions de PDA dans le monde en avril 2001 (et seulement 100.000 tablettes de lecture). 13,2 millions de PDA sont vendus en 2001, et 12,1 millions en 2002. En 2002, la gamme Palm Pilot est toujours le leader du marché (36,8% des machines vendues), suivi par la gamme Pocket PC de Microsoft et les modèles de Hewlett-Packard, Sony, Handspring, Toshiba et Casio. Les systèmes d'exploitation utilisés sont essentiellement le Palm OS (pour 55% des machines) et le Pocket PC (pour 25,7% des machines).
En 2004, on note une plus grande diversité des modèles et une baisse des prix chez tous les fabricants. Les trois principaux fabricants sont Palm, Sony et Hewlett-Packard. Suivent Handspring, Toshiba, Casio et d'autres. Mais le PDA est de plus en plus concurrencé par le smartphone, qui est un téléphone portable doublé d'un PDA, et les ventes commencent à baisser. En février 2005, Sony décide de se retirer complètement du marché des PDA.
= Smartphones
Le premier smartphone est le Nokia 9210, modèle précurseur lancé en 2001 par la société finlandaise Nokia, grand fabricant mondial de téléphones portables. Apparaissent ensuite le Nokia Series 60, le Sony Ericsson P800, puis les modèles de Motorola et de Siemens. Ces différents modèles permettent de lire des livres numériques sur le Mobipocket Reader.
Appelé aussi téléphone multimédia, téléphone multifonctions ou encore téléphone intelligent, le smartphone dispose d’un écran couleur, du son polyphonique et de la fonction appareil photo, qui viennent s'ajouter aux fonctions habituelles de l’assistant personnel: agenda, dictaphone, lecteur de livres numériques, lecteur de musique, etc.
Les smartphones représentent 3,7% des ventes de téléphones portables en 2004 et 9% des ventes en 2006, à savoir 90 millions d'unités sur un milliard.
Si les livres numériques ont une longue vie devant eux, les appareils de lecture risquent de muer régulièrement. Denis Zwirn, président de Numilog, grande librairie en ligne francophone, explique en février 2003: «L’équipement des individus et des entreprises en matériel pouvant être utilisé pour la lecture numérique dans une situation de mobilité va continuer de progresser très fortement dans les dix prochaines années sous la forme de machines de plus en plus performantes (en terme d’affichage, de mémoire, de fonctionnalités, de légèreté…) et de moins en moins chères. Cela prend dès aujourd’hui la forme de PDA (Pocket PC et Palm Pilot), de tablettes PC et de smartphones, ou de smart displays (écrans tactiles sans fil). Trois tendances devraient être observées: la convergence des usages (téléphone/PDA), la diversification des types et tailles d’appareils (de la montre-PDA-téléphone à la tablette PC waterproof), la démocratisation de l’accès aux machines mobiles (des PDA pour enfants à 15 euros). Si les éditeurs et les libraires numériques savent en saisir l’opportunité, cette évolution représente un environnement technologique et culturel au sein duquel les livres numériques, sous des formes variées, peuvent devenir un mode naturel d’accès à la lecture pour toute une génération.»
On se demande si des tablettes dédiées peuvent vraiment réussir à s’imposer face aux smartphones multifonctions. On se demande aussi s'il existe une clientèle spécifique pour les deux machines, la lecture sur téléphone portable et smartphone étant destinée au grand public, et la lecture sur tablette étant réservée aux gros consommateurs de documents que sont les lycéens, les étudiants, les professeurs, les chercheurs ou les juristes. Le débat n'est pas prêt d'être clos.
La compétition risque d’être rude sur un marché très prometteur. Reste à voir quels modèles seront retenus par l'usager parce que solides, légers, économiques et procurant un véritable «confort de lecture», sans oublier l'aspect esthétique et les possibilités de lecture en 3 D. Selon Jean-Paul, webmestre du site hypermédia cotres.net, interviewé en janvier 2007, «on progresse. Les PDA et autres baladeurs multimédia ont formé le public à manipuler des écrans tactiles de dimension individuelle (par opposition aux bornes publiques de circulation et autres tirettes-à-sous). L’hypermédia est maintenant une évidence. Il ne reste plus qu’à laisser se bousculer les ingénieurs et les marketteurs pour voir sortir un objet rentable, léger, attirant, peu fragile, occupant au mieux l’espace qui sépare les deux mains d’un terrien assis dans le bus ou sur sa lunette WC: la surface d’une feuille A4 en format italien, soit ± 800 x 600 pixels. Bien sûr, ce que montrera cette surface ne sera pas en 2 D mais en 3 D. Comme les GPS prochaine génération, ou les écrans de visée sur le cockpit d’un A- Win.»
On nous parle de papier électronique pour 2010, avec les sociétés E Ink et Plastic Logic en tête de file pour nous proposer des supports de lecture souples et ultra-fins.
= [Résumé]
En 2008, offrir un livre numérique devient «tendance», et le lire sur son smartphone l'est encore plus. Preuve que les choses ont bien évolué depuis la panique ayant saisi les éditeurs et libraires à la fin des années 1990. Trois termes paraissent essentiels en 2008: stockage, organisation et diffusion. Dans un proche avenir, on devrait disposer de l’ensemble du patrimoine mondial stocké sous forme numérique, d’une organisation effective de l’information et d'un réseau internet omniprésent. Confidentiel en 2000, puis parent pauvre des fichiers musicaux et vidéo, le livre numérique est en bonne place à côté de la musique et des films. Editeur puis consultant en édition électronique, Nicolas Pewny voit «le livre numérique du futur comme un "ouvrage total" réunissant textes, sons, images, vidéo, interactivité: une nouvelle manière de concevoir et d’écrire et de lire, peut-être sur un livre unique, sans cesse renouvelable, qui contiendrait tout ce qu’on a lu, unique et multiple compagnon.»
= [Texte]
Fondateur du Projet Gutenberg en 1971, Michael Hart précise souvent dans ses écrits que, si Gutenberg a permis à chacun d'avoir ses propres livres - jusque-là réservés à une élite -, le Projet Gutenberg permet à chacun d'avoir une bibliothèque complète - jusque-là réservée à la collectivité -, sur un support qu'on peut glisser dans sa poche, le support optimal actuel étant la clé USB. Le Projet Gutenberg compte près de 30.000 livres en novembre 2008, soit la taille d'une bibliothèque publique de quartier.
Le futur sera-t-il le cyberespace décrit par le philosophe Timothy Leary en 1994 dans son livre "Chaos et cyberculture"? «Toute l’information du monde est à l’intérieur (de gigantesques bases de données, NDLR). Et grâce au cyberespace, tout le monde peut y avoir accès. Tous les signaux humains contenus jusque-là dans les livres ont été numérisés. Ils sont enregistrés et disponibles dans ces banques de données, sans compter tous les tableaux, tous les films, toutes les émissions de télé, tout, absolument tout.» Nous n'en sommes pas encore là. Mais sur les 30 millions de livres du domaine public que compteraient les bibliothèques (sans compter les différentes éditions), 5 millions seraient déjà librement disponibles sur le web.
Tim Berners-Lee est l'inventeur du web en 1990. A la question de Pierre Ruetschi, journaliste à la Tribune de Genève, un quotidien suisse: «Sept ans plus tard, êtes-vous satisfait de la façon dont le web a évolué?», il répond en décembre 1997 que, s’il est heureux de la richesse et de la variété de l’information disponible, le web n’a pas encore la puissance prévue dans sa conception d’origine. Il aimerait «que le web soit plus interactif, que les gens puissent créer de l’information ensemble», et pas seulement consommer celle qui leur est proposée. Le web doit devenir «un média de collaboration, un monde de connaissance que nous partageons».
Son souhait commence à se concrétiser sept ans après, avec ce qu'on appelle le web 2.0. La paternité de l'expression «web 2.0» revient d’ailleurs à un éditeur, Tim O’Reilly, qui utilise cette expression pour la première fois en 2004 comme titre d'une série de conférences. Le web ne vise plus seulement à utiliser l’information. Il incite aussi les usagers à échanger et collaborer en ligne, sur des blogs, des wikis ou des encyclopédies coopératives comme Wikipédia et Citizendium.
Un enjeu tout aussi important est l'accessibilité de l'internet pour tous. Mis en ligne en septembre 2000 par l’association du même nom, le site Handicapzéro devient en février 2003 un portail généraliste offrant un accès adapté à l’information pour les Francophones ayant un problème visuel, à savoir plus de 10% de la population. Le portail offre des informations dans nombre de domaines: actualités, programmes de télévision, météo, santé, emploi, consommation, loisirs, sports, téléphonie, etc. Les personnes aveugles peuvent accéder au site au moyen d’une plage braille ou d’une synthèse vocale. Les personnes malvoyantes peuvent paramétrer sur la page d’accueil la taille et la police des caractères ainsi que la couleur du fond d’écran pour une navigation confortable. Les personnes voyantes peuvent correspondre en braille avec des aveugles par le biais du site. En octobre 2006, le portail adopte une nouvelle présentation en enrichissant encore son contenu, en adoptant une navigation plus intuitive pour la page d’accueil, en proposant des raccourcis de clavier, en offrant un service amélioré pour l’affichage «confort de lecture», etc. Plus de 2 millions de visiteurs utilisent les services du portail au cours de l'année 2006. Handicapzéro entend ainsi démontrer «que, sous réserve du respect de certaines règles élémentaires, l’internet peut devenir enfin un espace de liberté pour tous».
Un autre enjeu est l'infrastructure de l'internet. La connexion au réseau est désormais plus facile, avec la DSL (digital subscriber line), le câble ou la fibre optique, tout comme les technologies WiFi (wireless fidelity) pour un secteur géographique limité et WiMAX (worldwide interoperability for microwave access) pour un secteur géographique étendu. Jean-Paul, webmestre du site hypermédia cotres.net, résume la situation en janvier 2007: «J’ai l’impression que nous vivons une période "flottante", entre les temps héroïques, où il s’agissait d’avancer en attendant que la technologie nous rattrape, et le futur, où le très haut débit va libérer les forces qui commencent à bouger, pour l’instant dans les seuls jeux.»
La prochaine génération de l’internet serait un réseau pervasif permettant de se connecter en tout lieu et à tout moment sur tout type d’appareil à travers un réseau unique et omniprésent. Le concept de réseau pervasif est développé par Rafi Haladjian, fondateur de la société Ozone. «La nouvelle vague touchera notre monde physique, notre environnement réel, notre vie quotidienne dans tous les instants, explique-t-il en 2007. Nous n’accéderons plus au réseau, nous l’habiterons. Les composantes futures de ce réseau (parties filiaires, parties non filiaires, opérateurs) seront transparentes à l’utilisateur final. Il sera toujours ouvert, assurant une permanence de la connexion en tout lieu. Il sera également agnostique en terme d’application(s), puisque fondé sur les protocoles mêmes de l’internet.» (extrait du site web d'Ozone)
Pierre Schweitzer, inventeur du projet @folio, une tablette de lecture nomade, écrit en décembre 2006: «La chance qu’on a tous est de vivre là, ici et maintenant cette transformation fantastique. Quand je suis né en 1963, les ordinateurs avaient comme mémoire quelques pages de caractères à peine. Aujourd’hui, mon baladeur de musique pourrait contenir des milliards de pages, une vraie bibliothèque de quartier. Demain, par l’effet conjugué de la loi de Moore et de l’omniprésence des réseaux, l’accès instantané aux oeuvres et aux savoirs sera de mise. Le support de stockage lui-même n’aura plus beaucoup d’intérêt. Seules importeront les commodités fonctionnelles d’usage et la poétique de ces objets.»
Pierre ajoute: «La lecture numérique dépasse de loin, de très loin même, la seule question du "livre" ou de la presse, Le livre et le journal restent et resteront encore, pour longtemps, des supports de lecture techniquement indépassables pour les contenus de valeur ou pour ceux dépassant un seuil critique de diffusion. Bien que leur modèle économique puisse encore évoluer (comme pour les "gratuits" la presse grand public), je ne vois pas de bouleversement radical à l’échelle d’une seule génération. Au-delà de cette génération, l’avenir nous le dira. On verra bien. Pour autant, d’autres types de contenus se développent sur les réseaux. Internet défie l’imprimé sur ce terrain- là: celui de la diffusion en réseau (dématérialisée = coût marginal nul) des oeuvres et des savoirs. Là où l’imprimé ne parvient pas à équilibrer ses coûts. Là où de nouveaux acteurs peuvent venir prendre leur place.
Or, dans ce domaine nouveau, les équilibres économiques et les logiques d’adoption sont radicalement différents de ceux que l’on connaît dans l’empire du papier - voir par exemple l’évolution des systèmes de validation pour les archives ouvertes dans la publication scientifique. Ou les modèles économiques émergents de la presse en ligne. Il est donc vain, dangereux même, de vouloir transformer au forceps l’écologie du papier - on la ruinerait à vouloir le faire! À la marge, certains contenus très spécifiques, certaines niches éditoriales, pourraient être transformées - l’encyclopédie ou la publication scientifique le sont déjà: de la même façon, les guides pratiques, les livres d’actualité quasi-jetables et quelques autres segments qui envahissent les tables des librairies pourraient l’être, pour le plus grand bonheur des libraires. Mais il n’y a là rien de massif ou brutal selon moi: nos habitudes de lecture ne seront pas bouleversées du jour au lendemain, elles font partie de nos habitudes culturelles, elles évoluent lentement, au fur et à mesure de leur adoption (= acceptation) par les générations nouvelles.»
Marc Autret, journaliste et infographiste, écrit pour sa part à la même date: «Sans vouloir faire dans la divination, je suis convaincu que l’e-book (ou "ebook": impossible de trancher!) a un grand avenir dans tous les secteurs de la non-fiction. Je parle ici de livre numérique en termes de "logiciel", pas en terme de support physique dédié (les conjectures étant plus incertaines sur ce dernier point). Les éditeurs de guides, d’encyclopédies et d’ouvrages informatifs en général considèrent encore l’e-book comme une déclinaison très secondaire du livre imprimé, sans doute parce que le modèle commercial et la sécurité de cette exploitation ne leur semblent pas tout à fait stabilisés aujourd’hui. Mais c’est une question de temps. Les e-books non commerciaux émergent déjà un peu partout et opèrent d’une certaine façon un défrichage des possibles. Il y a au moins deux axes qui émergent: (a) une interface de lecture/consultation de plus en plus attractive et fonctionnelle (navigation, recherche, restructuration à la volée, annotations de l’utilisateur, quizz interactif…); (b) une intégration multimédia (vidéo, son, infographie animée, base de données, etc.) désormais fortement couplée au web. Aucun livre physique n’offre de telles fonctionnalités. J’imagine donc l’e-book de demain comme une sorte de wiki cristallisé, empaqueté dans un format. Quelle sera alors sa valeur propre? Celle d’un livre: l’unité et la qualité du travail éditorial!»
Denis Zwirn, président de Numilog, grande librairie en ligne francophone, voit 2008 comme une date essentielle dans la courbe de croissance du marché des livres numériques, avec la conjonction de trois facteurs:
«(1) le développement de vastes catalogues en ligne utilisant pleinement les fonctionnalités de la recherche plein texte dans les livres numérisés, comme ceux de la future Bibliothèque numérique européenne, de VollTextSuche Online, de Google et d'Amazon. Une fois le contenu trouvé dans un des ouvrages ainsi "sondé" par ce type de recherche révolutionnaire pour le grand public, il est naturel de vouloir accéder à la totalité de l'ouvrage… dans sa version numérique.
(2) Des progrès techniques cruciaux tels que la proposition commerciale d'appareils de lecture à base d'encre électronique améliorant radicalement l'expérience de lecture finale pour l'usager en la rapprochant de celle du papier. Par exemple l'iLiad d'Irex ou le Sony Reader, mais bien d'autres appareils s'annoncent. Le progrès concerne toutefois tout autant le développement des nouveaux smartphones multifonctions comme les BlackBerry ou l'iPhone, ou la proposition de logiciels de lecture à l'interface fortement améliorée et pensée pour les ebooks sur PC, comme Adobe Digital Edition.
(3) Enfin, le changement important d'attitude de la part des professionnels du secteur, éditeurs, et probablement bientôt aussi libraires. Les éditeurs anglo-saxons universitaires ont massivement tracé une route que tous les autres sont en train de suivre, en tout cas aux Etats-Unis, en Europe du Nord et en France: proposer une version numérique de tous les ouvrages. Même pour les plus réticents encore il y a quelques années, ce n'est plus une question de "pourquoi?", c'est simplement devenu une question de "comment?". Les libraires ne vont pas tarder à considérer que vendre un livre numérique fait partie de leur métier normal.
Selon Denis, «le livre numérique n'est plus une question de colloque, de définition conceptuelle ou de divination par certains "experts": c'est un produit commercial et un outil au service de la lecture. Il n'est pas besoin d'attendre je ne sais quel nouveau mode de lecture hypermoderne et hypertextuel enrichi de multimédia orchestrant savamment sa spécificité par rapport au papier, il suffit de proposer des textes lisibles facilement sur les supports de lecture électronique variés qu'utilisent les gens, l'encre électronique pouvant progressivement envahir tous ces supports. Et de les proposer de manière industrielle. Ce n'est pas et ne sera jamais un produit de niche (les dictionnaires, les guides de voyage, les non voyants…): c'est en train de devenir un produit de masse, riche de formes multiples comme l'est le livre traditionnel.»
= [Résumé]
En 2009 (date de publication de ce livre), il semblerait que le cyberespace devienne omniprésent dans une société dite de l'information, si ce n'est déjà fait. Comment définir cyberespace et société de l'information? Voici les réponses des professionnels du livre interviewés au fil des ans, qui remplaceront une conclusion pour ouvrir au contraire des perspectives. Pour mémoire, la paternité du terme «cyberespace» revient à William Gibson, qui utilise ce terme dans son roman "Neuromancien", paru en 1984: «Cyberespace: une hallucination consensuelle expérimentée quotidiennement par des milliards d'opérateurs réguliers, dans chaque nation, par des enfants à qui on enseigne des concepts mathématiques… Une représentation graphique des données extraites des banques de tous les ordinateurs dans le système humain. Complexité incroyable. Des lignes de lumière qui vont dans le non-espace de l'esprit, des agglomérats et des constellations de données. Et qui fuient, comme les lumières de la ville.» Quant à la société de l'information, elle n'est pas si récente. On annonce régulièrement son avènement depuis plus de trente ans, comme le rappelle Jacques Pataillot, conseiller en management chez Cap Gemini Ernst & Young: «C'est un vieux concept, dont on parlait déjà en 1975! Seules les technologies ont changé.»
= Cyberespace
# Auteurs
Alex Andrachmes, producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte, se demande de quel cyberespace on parle: «Celui des Gibson, inventeur de la formule, des Spinrad ou des Clarke, utopies scientifiques pas toujours traitées comme elles devraient l'être? Ou celui des AOL/Time-Warner, des Microsoft ou des… J6M- Canal/Universal… Tout ce qu'on peut dire à l'heure actuelle, c'est que ce qu'on peut encore appeler le cyberspace est multiforme, et qu'on ne sait pas qui le domptera. Ni s'il faut le dompter d'ailleurs… En tout cas, les créateurs, artistes, musiciens, les sites scientifiques, les petites "start-up" créatives, voire les millions de pages perso, les chats, les forums, et tout ce qui donne au net sa matière propre ne pourra être ignoré par les grands mangeurs de toile. Sans eux, ils perdraient leurs futurs "abonnés". Ce paradoxe a son petit côté subversif qui me plaît assez.»
D'après Lucie de Boutiny, romancière multimédia, le cyberespace est «le délire SF du type: "bienvenue dans la 3e dimension, payez-vous du sexe, des voyages et des vies virtuels" a toujours existé. La méditation, l'ésotérisme, les religions y pourvoient, etc. Maintenant, on est dans le cyberspace.»
Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie, une chronique hebdomadaire des actualités de l'internet, définit le cyberespace comme «un monde parallèle, un espace où se déroule l'ensemble des activités d'information, de communication, et d'échanges (y compris échanges commerciaux) désormais permises par le réseau. Il y a un centre, autonome, très interconnecté qui vit par et pour lui-même. Puis des collectivités plus ou moins ouvertes, des espaces réservés (intranets), des sous-ensembles (AOL, CompuServe). Il y a ensuite de très longues frontières où règne une culture mixte, hybride, issue du virtuel et du réel (on pense aux imprimés qui ont des versions web, aux sites marchands). Il y a aussi un sentiment d'appartenance à l'une ou l'autre de ces régions du cyberespace, et un sentiment d'identité.»
Selon Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, un espace d'écriture hypermédia, «ce pourrait-être quelque chose comme l'ensemble électrique mouvant, le système invisible mais cohérent des êtres humains sensibles et des interfaces intelligentes dont les activités sont tout ou en partie réglées, conditionnées ou co-régulées à travers leurs machines connectées ensemble. Peut-être plus simplement: la virtualisation sensible et numérique de l'inconscient collectif…»
Jean-Paul, webmestre du site hypermédia cotres.net, définit le cyberespace comme «un lieu isotrope en expansion pour l'instant infinie. Un modèle de la vision que nous avons aujourd'hui de l'univers. Jusqu'à l'invention du clic, le savoir humain était senti comme un espace newtonien, avec deux repères absolus: le temps (linéaire: un début, une fin) et l'espace (les trois dimensions du temple, du rouleau, du volumen). Le cyberespace obéit aux lois de l'hypertexte. Deux temps simultanés: le temps taxé (par le fournisseur d'accès ou par les impératifs de productivité, égrené par l'antique chrono), et le temps aboli, qui fait passer d'un lien à l'autre, d'un lieu à l'autre à la vitesse de l'électron, dans l'illusion du déplacement instantané. Quant aux repères, quiconque a lancé une recherche dans cet espace sait qu'il doit lui-même les définir pour l'occasion, et se les imposer (sous peine de se disperser, de se dissoudre), pour échapper au vertige de la vitesse. A cause de cette "vitesse de la pensée", nous trouvons dans cet espace un "modèle" de notre cerveau. "Ça tourne dans ma tête", à travers 10, 20, etc… synapses à la fois, comme un fureteur archivant la toile. Bref les lois du cyberespace sont celles du rêve et de l'imagination.»
Pour Anne-Bénédicte Joly, écrivain auto-éditant ses livres, le cyberespace est «le domaine virtuel créé par la mise en relation de plusieurs ordinateurs communiquant et échangeant entre eux».
Naomi Lipson, écrivain multimédia, traductrice et peintre, ajoute: «J'aime la métaphore du labyrinthe. Le média se nourrissant lui-même, le cyberespace contient une infinité de sites sur les labyrinthes.»
Pour Tim McKenna, écrivain et philosophe, «le cyberespace est l'ensemble des liens existant entre les individus utilisant les technologies pour communiquer entre eux, soit pour partager des informations, soit pour discuter. Dire qu'une personne existe dans le cyberespace revient à dire qu'elle a éliminé la distance en tant que barrière empêchant de relier personnes et idées.»
Pour Xavier Malbreil, auteur multimédia et modérateur de la liste e- critures, il s'agit d'«une interconnexion de tous, partout. Avec le libre accès à des banques de données, pour insuffler également du contenu dans les échanges interpersonnels.»
Pour Murray Suid, auteur de livres pédagogiques et de logiciels éducatifs, «le cyberespace est n'importe où, c'est-à-dire partout. L'exemple le plus simple est ma boîte aux lettres électronique, qui me suit où que j'aille.»
# Documentalistes
Emmanuel Barthe, documentaliste juridique et modérateur de la liste de discussion Juriconnexion, relate: «Je ne visualise pas le cyberespace comme véritable espace physique mais comme un immense média néanmoins concentré en un lieu unique: l'écran de l'ordinateur. En revanche, je conçois/pense le cyberespace comme un forum ou une assemblée antique: beaucoup d'animation, diversité des opinions, des discours, des gens qui se cachent dans les recoins, des personnes qui ne se parlent pas, d'autres qui ne parlent qu'entre eux…»
Selon Bakayoko Bourahima, documentaliste à l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan, «il y a encore un peu de fantasme autour de ce mot. Quand j'ai fait connaissance avec ce mot (utilisé par Jean-Claude Guédon et Nicholas Négroponte), il m'avait d'abord laissé l'illusion d'un espace extra- terrestre où les ordinateurs et leurs utilisateurs se transportaient pour échanger des données et communiquer. Depuis que je navigue moi- même, je me rends compte qu'il s'agit tout simplement d'un espace virtuel traduisant le cadre de communication qui rassemble les internautes à travers le monde.»
Pour Peter Raggett, sous-directeur de la Bibliothèque centrale de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), «le cyberespace est cette zone "extérieure" qui se trouve de l'autre côté du PC lorsqu'on se connecte à l'internet. Pour ses utilisateurs ou ses clients, tout fournisseur de services internet ou serveur de pages web se trouve donc dans le cyberespace.»
# Editeurs
Pour Marie-Aude Bourson, créatrice de Gloupsy, site littéraire destiné aux nouveaux auteurs, le cyberespace est «un espace d'expression, de liberté et d'échanges où tout peut aller très (trop) vite».
Pour Pierre-Noël Favennec, expert à la direction scientifique de France Télécom R&D et directeur de collection, «le cyberespace est un monde où je suis relié par l'image et le son et sans fil avec qui je veux, quand je veux et où je veux, où j'ai accès à toutes les documentations et informations souhaitées, et dans lequel ma vie est facilitée par les agents intelligents et les objets communicants.»
Pour Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires, «c'est un espace de liberté pour l'imaginaire, une dimension inexplorée de la planète, une jungle et un paradis tout à la fois, où tout est possible même si tout n'est pas permis par l'éthique, où le contenu du portefeuille des intervenants n'a aucun rapport direct avec la valeur des contenus des sites. C'est avant tout une vaste agora, une place publique où l'on s'informe et où l'on informe. Ça peut être également une place de foires et marchés, mais l'argent n'y a cours que très accessoirement, même si la possibilité de vendre en ligne est réelle et ne doit pas être négligée ni méprisée. Il n'y est pas la seule valeur de référence, contrairement au monde réel et, même dans les cas très médiatiques de start-up multimillionnaires, le rapport à l'argent n'est qu'une conséquence, la matérialisation d'espérances financières, très vite sanctionnée en cas d'ambitions excessives comme on le voit régulièrement sur le site "Vakooler: Ki Vakooler aujourd'hui?" (qui peut se transcrire en: Va couler: qui va couler aujourd'hui?, NDLR), après les envolées lyriques et délirantes des premiers temps. A terme, je pense que le cyberespace restera un lieu beaucoup plus convivial que la société réelle.»
Nicolas Pewny, fondateur des éditions du Choucas, écrit pour sa part: «Je reprendrai volontiers une phrase d'Alain Bron, ami et auteur de Sanguine sur Toile (publié en 1999 par les éditions du Choucas, NDLR): "un formidable réservoir de réponses quand on cherche une information et de questions quand on n'en cherche pas. C'est ainsi que l'imaginaire peut se développer… (Ma correspondante en Nouvelle-Zélande est-elle jolie ? L'important, c'est qu'elle ait de l'esprit.)"»
# Gestionnaires
Selon Gérard Jean-François, directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen, «le cyberspace peut être considéré comme l'ensemble des informations qui sont accessibles sans aucune restriction sur le réseau internet.»
Pour Pierre Magnenat, responsable de la cellule «gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne, le cyberespace est «l'ensemble des ressources et acteurs connectés et accessibles à un moment donné.»
Pour Jacques Pataillot, conseiller en management chez Cap Gemini Ernst & Young, le cyberespace est «l'"économie connectée" (de l'anglais "connected economy") où tous les agents sont reliés électroniquement pour les échanges d'information.»
# Linguistes
Pour Guy Antoine, créateur de Windows on Haiti, un site de référence sur la culture haïtienne, «le cyberespace est au sens propre une nouvelle frontière pour l'humanité, un endroit où chacun peut avoir sa place, assez facilement et avec peu de ressources financières, avant que les règlements inter-gouvernementaux et les impôts ne l'investissent. Suite à quoi une nouvelle technologie lui succédera.»
Pour Alain Clavet, analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada, il s'agit d'«un lieu de connaissances partagées non soumis aux contraintes du temps et de l'espace.»
Eduard Hovy, directeur du Natural Language Group de l'Université de Californie du Sud, relate pour sa part: «Pour moi, le cyberespace est représenté par la totalité des informations auxquelles nous pouvons accéder par l'internet et les systèmes informatiques en général. Il ne s'agit bien sûr pas d'un espace, et son contenu est sensiblement différent de celui des bibliothèques. Par exemple, bientôt mon réfrigérateur, ma voiture et moi-même seront connus du cyberespace, et toute personne disposant d'une autorisation d'accès (et d'une raison pour cela) pourra connaître précisément le contenu de mon réfrigérateur et la vitesse de ma voiture (ainsi que la date à laquelle je devrai changer les amortisseurs), et ce que je suis en train de regarder maintenant. En fait, j'espère que la conception de la publicité va changer, y compris les affiches et les présentations que j'ai sous les yeux en marchant, afin que cette publicité puisse correspondre à mes connaissances et à mes goûts, tout simplement en ayant les moyens de reconnaître que "voici quelqu'un dont la langue maternelle est l'anglais, qui vit à Los Angeles et dont les revenus sont de tant de dollars par mois". Ceci sera possible du fait de la nature dynamique d'un cyberespace constamment mis à jour (contrairement à une bibliothèque), et grâce à l'existence de puces informatiques de plus en plus petites et bon marché. Tout comme aujourd'hui j'évolue dans un espace social qui est un réseau de normes sociales, d'expectations et de lois, demain, j'évoluerai aussi dans un cyberespace composé d'informations sur lesquelles je pourrai me baser (parfois), qui limiteront mon activité (parfois), qui me réjouiront (souvent, j'espère) et qui me décevront (j'en suis sûr).»
Pour Steven Krauwer, coordinateur d'ELSNET (European Network of Excellence in Human Language Technologies), «le cyberespace est la partie de l'univers (incluant personnes, machines et information) que je peux atteindre "derrière" ma table de travail.»
Selon Zina Tucsnak, ingénieur d'études en informatique au laboratoire ATILF (Analyse et traitements informatiques du lexique français), «dans le cyberespace, l'information et la quantité de l'information sont gouvernées par des lois mathématiques. Mais les modèles mathématiques n'ont pas trouvé encore leur solution, un peu comme le mouvement perpétuel ou la quadrature du cercle.»
# Professeurs
Pour Gaëlle Lacaze, ethnologue et professeur d'écrit électronique dans un institut universitaire professionnel, il s'agit d'«une visuelle en trois dimensions: superposition de lignes droites mouvantes selon des directions multiples où les rencontres de lignes créent des points de contact.»
Pour Patrick Rebollar, professeur de littérature française et modérateur de la liste de diffusion LITOR (littérature et ordinateur), le cyberespace est «la réplique virtuelle et très imparfaite du monde des relations humaines, sociales, commerciales et politiques. En privant partiellement les utilisateurs de la matérialité du monde (spatiale, temporelle, corporelle), le cyberespace permet de nombreuses interactions instantanées et multi-locales. A noter que les êtres humains se montrent aussi stupides ou intelligents, malveillants ou dévoués dans le cyberespace que dans l'espace réel…»
Selon Henk Slettenhaar, professeur en technologies de la communication à la Webster University de Genève, «le cyberespace est notre espace virtuel, à savoir l'espace de l'information numérique (constitué de bits, et non d'atomes). Si on considère son spectre, il s'agit d'un espace limité. Il doit être géré de telle façon que tous les habitants de la planète puissent l'utiliser et en bénéficier. Il faut donc éliminer la fracture numérique.»
Pour Christian Vandendorpe, professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture, le cyberespace est «le nouveau territoire de la culture, un espace qui pourrait jouer le rôle de l'Agora dans la Grèce ancienne, mais à un niveau planétaire.»
Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, relate: «Je travaille dans la même université que Marshall McLuhan autrefois (nos carrières se sont un moment croisées). Le "village global" qu'il entrevoyait à l'époque de la radio et de la télévision est devenu une réalité dans l'ère d'internet. Mais un village sans classes sociales (il n'y a pas de châtelain).»
# Visionnaire(s)
Pour Pierre Schweitzer, architecte designer et concepteur du projet @folio, un support numérique de lecture nomade, «c'est un terme un peu obscur pour moi. Mais je déteste encore plus "réalité virtuelle". Bizarre, cette idée de conceptualiser un ailleurs sans pouvoir y mettre les pieds. Evidemment un peu idéalisé, "sans friction", où les choses ont des avantages sans les inconvénients, où les autres ne sont plus des "comme vous", où on prend sans jamais rien donner, "meilleur" - paraît-il. Facile quand on est sûr de ne jamais aller vérifier. C'est la porte ouverte à tous les excès, avec un discours technologique à outrance, déconnecté du réel, mais ça ne prend pas. Dans la réalité, internet n'est qu'une évolution de nos moyens de communication. Bon nombre d'applications s'apparentent ni plus ni moins à un télégraphe évolué (Morse, 1830): modem, email… Les mots du télégraphe traversaient les océans entre Londres, New-York, Paris et Tokyo, bien avant l'invention du téléphone. Bien sûr, la commutation téléphonique a fait quelques progrès: jusqu'à l'hypertexte cliquable sous les doigts, les URL en langage presqu'humain, bientôt accessibles y compris par les systèmes d'écriture non alphabétiques… Mais notre vrai temps réel, c'est celui des messages au fond de nos poches et de ceux qui se perdent, pas le temps zéro des télécommunications. La segmentation et la redondance des messages, une trouvaille d'internet? Au 19e siècle, quand Reuters envoyait ses nouvelles par pigeon voyageur, il en baguait déjà plusieurs. Nos pages perso? Ce sont des aquariums avec un répondeur, une radio et trois photos plongés dedans. Tout ce joyeux "bazar" est dans nos vies réelles, pas dans le "cyberespace".»
= Société de l'information
# Un concept vide de sens
Pour Gérard Jean-François, directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen, «il n'y a pas de société de l'information particulière. De tout temps, elle a toujours existé. Ce qu'il faut noter, c'est son évolution continue. Gutenberg l'a fait évoluer, de même internet.»
Selon Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique, «il n'y a pas, je crois, de société de l'information. Internet, la télévision, la radio ne sont pas des moyens d'information, ce sont des moyens de communication. L'information participe d'une certaine forme de savoir sur le monde, et les moyens de communication de masse ne la transmettent pratiquement pas. Ils l'évoquent dans le meilleur des cas (ceux des journalistes de terrain par exemple), et la déforment voire la truquent dans tous les autres. Et (pour autant qu'il le veuille!) le pouvoir politique n'est hélas plus aujourd'hui assez "le" pouvoir pour pouvoir faire respecter l'information et la liberté. L'information, comme toute forme de savoir, est le résultat d'une implication personnelle et d'un effort de celui qui cherche à s'informer. C'était vrai au Moyen-Âge, c'est encore vrai aujourd'hui. La seule différence, c'est qu'aujourd'hui il y a davantage de leurres en travers du chemin de celui qui cherche.»
Pour Pierre Magnenat, responsable de la cellule «gestion et prospective» du centre informatique de l'Université de Lausanne, il s'agit d'«un mot à la mode, qui ne veut rien dire. Une société est par essence communicative, et donc caractérisée par des échanges d'informations. Les seules choses qui ont changé, c'est la quantité et la vitesse de ces échanges.»
Patrick Rebollar, professeur de littérature française et modérateur de la liste de diffusion LITOR (littérature et ordinateur), définit la société de l'information comme «une grande mise en scène (mondialisée) qui fait prendre les vessies pour des lanternes. En l'occurrence, les gouvernants de toutes sortes, notamment sous le nom de "marché", diffusent de plus en plus de prescriptions contraignantes (notamment commerciales, politiques et morales) qu'ils réussissent, un peu grâce aux merveilles technologiques, à faire passer pour des libertés. Notons que "cybernétique" et "gouvernement" ont la même racine grecque…»
# Auteurs
Nicolas Ancion, écrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique, relate: «Pour moi, la société de l'information est l'arrivée d'un nouveau clivage sur la planète: distinction entre ceux qui ont accès au savoir, le comprennent et l'utilisent, et ceux qui n'y ont pas accès pour de nombreuses raisons. Il ne s'agit cependant pas d'une nouvelle forme de société du tout car le pouvoir de l'information n'est lié à aucun pouvoir réel (financier, territorial, etc.). Connaître la vérité ne nourrit personne. Par contre, l'argent permet de très facilement propager des rumeurs ou des mensonges. La société de l'information est simplement une version avancée (plus rapide, plus dure, plus impitoyable) de la société industrielle. Il y a ceux qui possèdent et jouissent, ceux qui subissent et ceux dont on ne parle jamais: ceux qui comprennent et ne peuvent pas changer les choses. Au 19e siècle, certains artistes et certains intellectuels se retrouvaient dans cette position inconfortable. Grâce à la société de l'information, beaucoup de gens ont rejoint cette catégorie assise entre deux chaises. Qui possède des biens matériels et a peur de les perdre mais considère pourtant que les choses ne vont pas dans la bonne direction. Mon opinion personnelle, par rapport à tout ça, c'est que ce n'est pas l'information qui sauve. C'est la volonté. Pour changer le monde, commençons par lever notre cul de notre chaise et retrousser nos manches.»
Pour Alex Andrachmes, producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte, la société de l'information est «dans l'idéal, un lieu d'échange, le fameuse agora du village global. Mais l'idéal… Tant que le débat existe entre les fous du net et les VRP (voyageurs représentants de commerce, NDLR) de la VPC (vente par correspondance, NDLR), il y a de l'espoir. Le jour où les grands portails se refermeront sur la liberté d'échanger des infos en ligne, ça risque plutôt d'être la société de la désinformation. Ici aussi, des confusions sont soigneusement entretenues. Quelle information, celles du 20 heures à relayer telles quelles sur le net? Celles contenues sur ces fabuleux CD, CD-ROM, DVD chez vous dans les 24 h chrono? Ou toutes les connaissances contenues dans les milliards de pages non répertoriées par les principaux moteurs de recherche. Ceux qui ont de plus en plus tendance à mettre en avant les sites les plus visités, qui le sont dès lors de plus en plus. Là, on ne parle même plus de désinformation, de complot de puissances occultes (financières, politiques ou autres…), mais de surinformation, donc de lassitude, de non-information, et finalement d'uniformisation de la pensée. Sans avoir de définition précise, je vois qu'une société de l'information qui serait figée atteindrait le contraire de sa définition de base. Du mouvement donc…»
Lucie de Boutiny, romancière multimédia, écrit: «Je préférerais parler de "communautés de l'information"… Nous sommes plutôt dans une société de la communication et de la commutation. Il est très discutable de savoir si nos discussions sont de meilleure qualité et si nous serions plus savants… Etre informé n'est pas être cultivé.»
Pour Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet, la société de l'information est «une société où l'unité de valeur réelle est l'information produite, transformée, échangée. Elle correspond au "centre" du cyberespace. Malheureusement, le concept a tellement été galvaudé, banalisé, on l'a servi à toutes les sauces politiciennes pour tenter d'évoquer ce qu'on ne pouvait imaginer dans le détail, ou concevoir dans l'ensemble, de sorte que l'expression a perdu de son sens.»
Pour Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, un espace d'écriture hypermédia, la société de l'information est «la nôtre, je pense? L'américano-nord-européenne. A la Bourse, les annonces ont des effets mesurables en millions de dollars ou d'euros et déclenchent des impacts économiques et humains parfois très violents: rachats, ventes, hausses et baisses des valeurs, licenciements. C'est une société où la valeur absolue est l'information et son contrôle, et la valeur relative l'humain.»
Jean-Paul, webmestre du site hypermédia cotres.net, définit la société de l'information en trois mots: «Plus, plus vite. Mais les données ne sont pas l'information. Il faut les liens, c'est-à-dire le temps. Plus d'évènements, plus d'écrans pour les couvrir. Plus vite: l'évènement du jour est liquide. Effacé, recouvert par la vaguelette du lendemain, la vague du jour d'après, la houle de la semaine, le tsunami du mois. Cycles aussi "naturels" que les marées estivales du Loch Ness. Pas "effacé", d'ailleurs, l'évènement d'hier (qui n'est pas "tous les évènements d'hier"): déja archivé, dans des bases de données qui donnent l'illusion d'être exhaustives, facilement accessibles et momentanément gratuites. Mais les données ne donnent rien par elles- même. S'informer, c'est lier entre elles des données, éliminer celles qui ne sont pas pertinentes (quitte à revenir sur ces choix plus tard), se trouver ainsi obligé de chercher d'autres données qui corroborent ou infirment les précédentes… L'information naît du temps passé à tisser les liens. Or le temps nous est mesuré, au quartz près. Productique ou temps libre, nous passons de plus en plus de temps à raccrocher au nez de spammeurs qui nous interrompent pour nous revendre nos désirs (dont nous informons les bases de données qui les leur vendent). Ce qui est intéressant dans ce bonneteau est que les infos que nous fournissons sur nous-mêmes, nous les truquons suffisamment pour que les commerciaux n'arrivent pas à en tirer les lois du succès: Survivor II est un bide, après le succès de la version I. De cette incertitude viennent les trous dans le filet qui laissent parvenir jusqu'à nous certaines infos. Bref la "société de l'information", c'est le jeu des regards dans le tableau de de La Tour "La diseuse de bonne aventure". Le jeune homme qui se fait dépouiller en est conscient, et complice. Il a visiblement les moyens de s'offrir les flatteries des trois jolies filles tout en exigeant de la vieille Diseuse qu'elle lui rende l'une de ces piécettes dont il a pris la précaution de gonfler ostensiblement la bourse qu'on lui coupe.»
Pour Anne-Bénédicte Joly, écrivain auto-éditant ses livres, la société de l'information permet «l'accès au plus grand nombre de la plus grande quantité d'information possible tout en garantissant la partialité de l'information et en fournissant les clefs de compréhension nécessaires à sa bonne utilisation.»
Tim McKenna, écrivain et philosophe, écrit: «Je considère la société de l'information comme la forme tangible de la conscience collective de Jung. L'information réside essentiellement dans notre subconscient mais, grâce à l'existence de navigateurs, l'information est désormais plus facile à récupérer. Cette information favorise une meilleure connaissance de nous-mêmes en tant qu'individus et en tant qu'êtres humains.»
Selon Xavier Malbreil, auteur multimédia et modérateur de la liste e- critures, la société de l'information est «la circulation de l'information en temps réel. La connaissance immédiate. L'oubli immédiat. L'espace saturé d'ondes nous entourant, et nous, corps humains, devenant peu à peu un simple creux laissé par les ondes, une simple interconnexion. Corps humains devenant instants de l'information.»
Pour Murray Suid, auteur de livres pédagogiques et de logiciels éducatifs, il s'agit d'«une société dans laquelle les idées et le savoir sont plus importants que les objets.»
# Documentalistes
Selon Emmanuel Barthe, documentaliste juridique et modérateur de la liste de discussion Juriconnexion, «il s'agit nettement moins d'une "société" de l'information que d'une économie de l'information. J'espère que la société, elle, ne sera jamais dominée par l'information, mais restera cimentée par des liens entre les hommes de toute nature, qu'ils communiquent bien ou mal, peu ou beaucoup.»
Pour Bakayoko Bourahima, documentaliste à l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan, la société de l'information est «la société de l'informatique et de l'internet.»
Pour Peter Raggett, sous-directeur de la Bibliothèque centrale de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), «la société de l'information est cette société dont le produit le plus précieux est l'information. Jusqu'au 20e siècle, ce sont les produits manufacturiers qui ont été les plus considérés. Ils ont ensuite été remplacés par l'information. En fait, on parle maintenant davantage d'une société du savoir, dans laquelle, du point de vue économique, le produit le plus prisé est le savoir acquis par chacun.»
# Editeurs
Pour Marie-Aude Bourson, créatrice de Gloupsy, site littéraire destiné aux nouveaux auteurs, il s'agit d'«une société où l'information circule très vite (trop peut-être), et où chaque acteur se doit de rester toujours informé s'il ne veut pas s'exclure. L'information elle-même devient une véritable valeur monnayable.»
Pour Pierre-Noël Favennec, expert à la direction scientifique de France Télécom R&D et directeur de collection, il s'agit d'«une société dans laquelle tout membre de cette société a accès immédiatement à toutes les informations souhaitées.»
Olivier Gainon, créateur de CyLibris et pionnier de l'édition littéraire en ligne, relate: «Ce que nous vivons aujourd'hui, c'est la mise en réseau de notre société, au sens où, à terme, beaucoup des objets quotidiens seront connectés au Réseau (avec un grand R, qui sera lui-même composé de dizaines de réseaux différents). Bref, c'est une nouvelle manière de vivre et, à terme, certainement une nouvelle société. S'agit-il d'une société de "l'information"? Je n'en suis pas certain. Faut-il que nous définissions collectivement ce que nous voulons dans cette société? Cela me semble urgent, et c'est un débat qui concerne tout le monde, pas uniquement les "connectés". Bref, sur quelles valeurs de société fonder notre action future? Voilà un vrai débat. (…) "La Toile" de Jean-Pierre Balpe me semble aujourd'hui la meilleure illustration de ce débat. La société qu'il décrit au travers de ce roman est à mon sens la plus probable à court terme (l'action se passe en 2015). Est-ce cela que nous voulons? Est-ce ce type d'organisation? Peut-être, mais mon souci, c'est que ce choix soit conscient et non subi.»
Selon Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires, «la société de l'information amène un recadrage des hiérarchies dans les rapports qui s'établissent entre les gens, de manière beaucoup plus naturelle, à partir des discussions en forums notamment. Dans la vie réelle, on est souvent influencé, voire impressionné, par les titres ou la largeur du bureau d'un interlocuteur "installé" dans le système. Sur le net, seuls comptent le sens contenu dans le propos et la manière de l'exprimer. On distingue très vite les véritables intelligences raffinées des clowns ou autres mythomanes. Une forme de pédagogie conviviale, non intentionnelle et surtout non magistrale, s'en dégage généralement qui profite au visiteur lambda, lequel parfois apporte aussi sa propre expérience. Tout ça laisse augurer d'une créativité multiforme, dans un bouillonnement commun à des milliers de cerveaux reliés fonctionnant à la manière d'une fourmilière. C'est non seulement un véritable moyen d'échange du savoir, mais de surcroît un moyen de l'augmenter en quantité, de l'approfondir, de l'intégrer entre différentes disciplines. Le net va rendre les gens plus intelligents en favorisant leur plus grande convivialité, en cassant les départements et domaines réservés de certains mandarins. Mais il est clair qu'il faudra aussi faire attention aux dérives que cette liberté implique.»
Pour Nicolas Pewny, fondateur des éditions du Choucas, il s'agit d'«une société qui pourrait apporter beaucoup, si l'on empêche qu'elle ne rime trop avec "consommation" et tout ce qui accompagne ce mot. Mais il est déjà trop tard peut-être…»
François Vadrot, PDG de la société de cyberpresse FTPress, la définit comme «une société dont l'information est le moteur, dans tous les sens du terme.»
# Linguistes
Pour Alain Clavet, analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada, la société de l'information est «le constat que la valeur ajoutée centrale (en référence à une notion économique, celle de la valeur ajoutée) devient de plus en plus l'intelligence de l'information. Ainsi, dans une société de l'information, la connaissance devient la plus-value recherchée.»
Selon Eduard Hovy, directeur du Natural Language Group de l'Université de Californie du Sud, «une société de l'information est une société dans laquelle la majorité des gens a conscience de l'importance de cette information en tant que produit de base, et y attache donc tout naturellement du prix. Au cours de l'histoire, il s'est toujours trouvé des gens qui ont compris combien cette information était importante, afin de servir leurs propres intérêts. Mais quand la société, dans sa majorité, commence à travailler avec et sur l'information en tant que telle, cette société peut être dénommée société de l'information. Ceci peut sembler une définition tournant un peu en rond ou vide de sens, mais je vous parie que, pour chaque société, les anthropologues sont capables de déterminer quel est le pourcentage de la société se consacrant au traitement de l'information comme produit de base. Dans les sociétés anciennes, ils trouveront uniquement des professeurs, des conseillers de dirigeants et des sages. Dans les sociétés suivantes, ils trouveront des bibliothécaires, des experts à la retraite exerçant une activité de consultant, etc. Les différentes étapes de la communication de l'information - d'abord verbale, puis écrite, puis imprimée, puis électronique - ont chaque fois élargi (dans le temps et dans l'espace) le champ de propagation de cette information, en rendant de ce fait de moins en moins nécessaire le réapprentissage et la répétition de certaines tâches difficiles. Dans une société de l'information très évoluée, je suppose, il devrait être possible de formuler votre objectif, et les services d'information (à la fois les agents du cyberespace et les experts humains) oeuvreraient ensemble pour vous donner les moyens de réaliser cet objectif, ou bien se chargeraient de le réaliser pour vous, et réduiraient le plus possible votre charge de travail en la limitant à un travail vraiment nouveau ou à un travail nécessitant vraiment d'être refait à partir de documents rassemblés pour vous dans cette intention.»
Pour Steven Krauwer, coordinateur d'ELSNET (European Network of Excellence in Human Language Technologies), «la société de l'information est une société dans laquelle: (a) l'essentiel du savoir et de l'information n'est plus stocké dans des cerveaux ou des livres mais sur des médias électroniques; (b) les dépôts d'information sont distribués et interconnectés au moyen d'une infrastructure spécifique, et accessibles de partout; (c) les processus sociaux sont devenus tellement dépendants de cette information et de son infrastructure que les citoyens non connectés au système d'information ne peuvent pleinement participer au fonctionnement de la société.»
Selon Zina Tucsnak, ingénieur d'études en informatique au laboratoire ATILF (Analyse et traitements informatiques du lexique français), «la société de l'information peut être définie comme un milieu dans lequel se développent la culture et la civilisation par l'intermédiaire de l'informatique, qui restera la base et la théorie de cette société.»
# Professeurs
Pour Emilie Devriendt, élève professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris, «le syntagme "société de l'information" est plus une formule (journalistique, politique) à la mode depuis plusieurs années, qu'une véritable notion. Cette formule tend communément je crois, à désigner une nouvelle "ère" socio-économique, post-industrielle, qui transformerait les relations sociales du fait de la diffusion généralisée des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Personnellement, je n'adhère pas à cette vision des choses. Si la diffusion croissante des NTIC est indéniable et constitue un phénomène socio-économique propre à l'époque contemporaine, je ne crois pas qu'il faille y voir la marque de l'avènement d'une nouvelle société "de l'information". La formule "société de l'information" est construite sur le modèle terminologique (socio-économique) de la "société industrielle". Mais le parallèle est trompeur: "société de l'information" met l'accent sur un contenu, alors que "société industrielle" désigne l'infrastructure économique de cette société. L'information en tant que produit (industriel ou service) apparaît peut-être plus complexe que, par exemple, les produits alimentaires, mais cette complexité ne suffit pas à définir l'avènement dont il est question. D'autant plus que l'emploi inconditionnel de la formule a contribué à faire de l'information un terme passe-partout, très éloigné même de sa théorisation mathématique (Shannon), de sa signification informatique initiale. Elle traduit uniquement une idéologie du progrès électronique mise en place dans les années 1950 et véhiculée ensuite par nos gouvernements et la plupart de nos journalistes, qui définissent fallacieusement le développement des NTIC comme un "nécessaire" vecteur de progrès social. Quelques analystes (sociologues et historiens des techniques comme Mattelart, Lacroix, Guichard, Wolton) ont très bien montré cela.»
Pour Henk Slettenhaar, professeur en technologies de la communication à la Webster University de Genève, «la société de l'information est l'ensemble des personnes utilisant quotidiennement le cyberespace de manière intensive et qui n'envisageraient pas de vivre sans cela, à savoir les nantis, ceux qui sont du bon côté de la fracture numérique.»
Pour Gaëlle Lacaze, ethnologue et professeur d'écrit électronique dans un institut universitaire professionnel, il s'agit d'«une société où l'information est reçue et digérée, sans être étouffée par la profusion.»
Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, écrit: «Si on veut parler de "société" il ne peut pas être question d'une opposition "haves" vs. "have-nots" (munis vs. démunis), sauf dans la mesure où l'accès à l'information est plus ou moins libre ou limité d'un point de vue technologique ou économique, voire politique. Par exemple, l'accès à l'information en ligne est plus libre au Canada qu'en France, plus libre en France qu'en Algérie, etc. Internet est potentiellement un moyen pour que chacun puisse s'approprier son propre contrôle de l'information, qui n'est plus diffusée par les seuls canaux dirigistes, comme l'Edition ou l'Université, entre autres.»
# Visionnaires
Olivier Pujol, PDG de Cytale et promoteur de sa tablette de lecture, la définit comme «une société où l'accès à l'information, l'information elle-même et la capacité à bien utiliser l'information sont des biens plus précieux que les biens matériels. Il faut noter que l'information a toujours été un avantage professionnel considérable. Il fut un temps où un avantage concurrentiel pouvait exister sur un territoire limité, et être protégé pour un temps long, par le secret, ou l'ignorance des autres. Les voyages, la mondialisation des échanges, la performance de la logistique ont énormément affaibli la notion de protection "géographique" d'un avantage concurrentiel. La société de l'information est une société où la protection de l'information est presque impossible, et où son usage devient donc la valeur essentielle.»
Laissons le mot de la fin à Pierre Schweitzer, architecte designer et concepteur du projet @folio, un support numérique de lecture nomade: «J'aime bien l'idée que l'information, ce n'est que la forme des messages. La circulation des messages est facilitée, techniquement, et elle s'intensifie. Et désormais, le monde évolue avec ça.»
[Chaque ligne débute par l'année ou bien l'année/mois. Par exemple, 1971/07 signifie juillet 1971.]
1968: Le code ASCII est le premier système d'encodage informatique. 1971/07: Le Projet Gutenberg est la première bibliothèque numérique. 1974: L'internet fait ses débuts. 1977: L'UNIMARC est créé en tant que format bibliographique commun. 1983: L'internet prend son envol. 1984: Le copyleft est institué pour les logiciels. 1990: Le web fait ses débuts. 1991/01: L'Unicode est un système d'encodage pour toutes les langues. 1993/01: L'Online Books Page est le premier répertoire d'ebooks gratuits. 1993/06: Adobe lance le format PDF et l'Acrobat Reader. 1993/11: Mosaic est le premier logiciel de navigation sur le web. 1994: Le premier site de bibliothèque est mis en ligne. 1994: Les éditeurs utilisent le web comme outil de marketing. 1995/07: Amazon.com est la première grande librairie en ligne. 1995: La grande presse se met en ligne. 1996/03: Le Palm Pilot est le premier assistant personnel (PDA). 1996/04: L'Internet Archive est créée pour archiver le web. 1996/07: CyLibris est le pionnier francophone de l’édition électronique. 1996/10: Le projet @folio travaille sur un baladeur de textes «ouvert». 1996: Des professeurs se penchent sur de nouvelles méthodes d'enseignement. 1997/01: La convergence multimédia est le sujet d'un colloque. 1997/04: E Ink développe une technologie d’encre électronique. 1997/10: Gallica est la section numérique de la Bibliothèque nationale de France. 1997: L'édition électronique commence à se généraliser. 1997: Le Logos Dictionary est mis en ligne gratuitement. 1998/05: Les éditions 00h00 vendent «uniquement» des livres numériques. 1999/09: Le format Open eBook (OeB) est un standard de livre numérique. 1999/12: WebEncyclo est la première encyclopédie francophone en accès libre. 1999/12: Britannica.com est première encyclopédie anglophone en accès libre. 1999: Les bibliothécaires numériques font carrière. 1999: Certains auteurs se mettent au numérique. 2000/01: Le Million Book Project veut proposer un million de livres sur le web. 2000/02: yourDictionary.com est un portail pour les langues. 2000/03: Mobipocket se consacre aux livres numériques pour assistant personnel. 2000/07: La moitié des usagers de l'internet est non anglophone. 2000/07: Stephen King auto-publie un roman en ligne. 2000/08: Microsoft lance le format LIT et le Microsoft Reader. 2000/09: Le Grand dictionnaire terminologique (GDT) est bilingue français-anglais. 2000/09: La librairie Numilog se consacre aux livres numériques. 2000/09: Le portail Handicapzéro démontre que l'internet est pour tous. 2000/10: Distributed Proofreaders numérise les livres du domaine public. 2000/10: La Public Library of Science lancera des revues en ligne gratuites. 2000/11: La version numérisée de la Bible de Gutenberg est disponible. 2001/01: Wikipédia est la première grande encyclopédie collaborative gratuite. 2001: Creative Commons rénove le droit d'auteur en l'adaptant au web. 2003/09: Les cours du MIT OpenCourseWare sont à la disposition de tous. 2004/01: Le Projet Gutenberg Europe sera multilingue. 2004/10: Google lance Google Print pour le rebaptiser ensuite Google Books. 2005/04: Amazon.com rachète la société Mobipocket. 2005/10: L'Open Content Alliance lance une bibliothèque numérique universelle. 2006/08: Le catalogue collectif WorldCat devient gratuit sur le web. 2006/10: Microsoft lance Live Search Books mais l'abandonne ensuite. 2006/10: Sony lance sa tablette de lecture Sony Reader. 2007/03: Citizendium lance une encyclopédie en ligne collaborative «fiable». 2007/03: IATE (Inter-Active Terminology for Europe) est une base terminologique européenne. 2007/05: L'Encyclopedia of Life répertoriera toutes les espèces végétales et animales. 2007/11: Amazon.com lance sa tablette de lecture Kindle. 2008/05: Numilog devient une filiale d'Hachette Livre. 2008/10: Google Books propose un accord aux associations d'auteurs et d'éditeurs. 2008/11: Europeana est la bibliothèque numérique européenne. 2009/02: Amazon.com lance le Kindle 2.
Ce livre doit beaucoup à toutes les personnes ayant accepté de répondre
à mes questions, dont certaines pendant plusieurs années. Certains
entretiens ont été publiés tels quels par le NEF (Net des études
françaises), Université de Toronto. Ils sont disponibles en ligne
<www.etudes-francaises.net/entretiens/index.html>. D'autres entretiens
ont été directement inclus dans ce livre, avec des textes de Nicolas
Ancion, Alex Andrachmes, Guy Antoine, Silvaine Arabo, Arlette Attali,
Marc Autret, Isabelle Aveline, Jean-Pierre Balpe, Emmanuel Barthe,
Robert Beard, Michael Behrens, Michel Benoît, Guy Bertrand, Olivier
Bogros, Christian Boitet, Bernard Boudic, Bakayoko Bourahima, Marie-
Aude Bourson, Lucie de Boutiny, Anne-Cécile Brandenbourger, Alain Bron,
Patrice Cailleaud, Tyler Chambers, Pascal Chartier, Richard Chotin,
Alain Clavet, Jean-Pierre Cloutier, Jacques Coubard, Luc
Dall’Armellina, Kushal Dave, Cynthia Delisle, Emilie Devriendt, Bruno
Didier, Catherine Domain, Helen Dry, Bill Dunlap, Pierre-Noël Favennec,
Gérard Fourestier, Pierre François Gagnon, Olivier Gainon, Jacques
Gauchey, Raymond Godefroy, Muriel Goiran, Marcel Grangier, Barbara
Grimes, Michael Hart, Roberto Hernández Montoya, Randy Hobler, Eduard
Hovy, Christiane Jadelot, Gérard Jean-François, Jean-Paul, Anne-
Bénédicte Joly, Brian King, Geoffrey Kingscott, Steven Krauwer, Gaëlle
Lacaze, Michel Landaret, Hélène Larroche, Pierre Le Loarer, Claire Le
Parco, Annie Le Saux, Fabrice Lhomme, Philippe Loubière, Pierre
Magnenat, Xavier Malbreil, Alain Marchiset, Maria Victoria Marinetti,
Michael Martin, Tim McKenna, Emmanuel Ménard, Yoshi Mikami, Jacky
Minier, Jean-Philippe Mouton, John Mark Ockerbloom, Caoimhín Ó
Donnaíle, Jacques Pataillot, Alain Patez, Nicolas Pewny, Marie-Joseph
Pierre, Hervé Ponsot, Olivier Pujol, Anissa Rachef, Peter Raggett,
Patrick Rebollar, Philippe Renaut, Jean-Baptiste Rey, Philippe Rivière,
Blaise Rosnay, Bruno de Sa Moreira, Pierre Schweitzer, Henk
Slettenhaar, Murray Suid, June Thompson, Zina Tucsnak, François Vadrot,
Christian Vandendorpe, Robert Ware, Russon Wooldridge et Denis Zwirn.
Copyright © 2009 Marie Lebert. Tous droits réservés.
End of Project Gutenberg's Une courte histoire de l'eBook, by Marie Lebert