Title : L'Illustration, No. 3250, 10 Juin 1905
Author : Various
Release date : February 17, 2011 [eBook #35309]
Language : French
Credits : Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3250, 10 Juin 1905
Ce numéro contient un Supplément de quatre pages d'actualités.
M. Delcassé, qui a donné sa démission de ministre des Affaires étrangères. | Le comte de Bülow, chancelier de l'empire allemand, que Guillaume II vient d'élever au rang de prince. |
Phot. Paul Boyer.
M. Rouvier, président du conseil, qui a
pris l'intérim des Affaires étrangères.
LES SUITES DE L'INCIDENT
MAROCAIN
Alphonse XIII.
ALPHONSE XIII AU CAMP DE CHALONS.--Le jeune roi d'Espagne galopant en
tête de son escorte.
Le numéro de L'Illustration du 3 juin, paru avec un retard de quelques heures--retard dont nous avions eu soin d'informer le public, en temps utile, par des annonces dans les principaux journaux--se trouve avoir été, en fait, en avance d'une semaine sur toutes les autres publications puisqu'il contenait des photographies et des dessins, non seulement de l'arrivée à Paris du roi Alphonse XIII, mais aussi des trois premières journées de son séjour. Une page était même consacrée à l'attentat qui suivit le gala de l'Opéra.
Aussi ce numéro a-t-il obtenu un succès considérable et les exemplaires non réservés à nos abonnés étaient-ils épuisés dès le lendemain de sa mise en vente. Nous l'avons remis sous presse pour en tirer quelques milliers de nouveaux exemplaires. Mais nos machines attendaient le numéro du 10 juin et nous n'avons pu continuer à répondre à toutes les demandes: nous nous en excusons auprès du public.
Le numéro de cette semaine, qui contient encore quatre pages supplémentaires, est consacré en partie aux dernières journées de la visite à Paris du roi d'Espagne et à son départ de Cherbourg. Mais aucune des autres actualités n'y est omise et l'on y trouvera notamment: d'intéressants documents inédits rapportés par la mission du docteur Charcot, qui vient de rentrer en France; une série de cartes résumant les phases de la terrible bataille navale de Tsou-Shima; des photographies des fêtes du mariage du kronprinz à Berlin, etc., etc.
*
* *
Au sujet de notre concours de jeu de Bridge, ouvert pour l'attribution à un de nos abonnés du tableau original d'Albert Guillaume reproduit dans notre précédent numéro, nous avons reçu un certain nombre de lettres. Toutes les communications relatives à ce concours doivent être adressées à notre collaborateur, M. Arnous de Rivière, qui donnera, à partir de la semaine prochaine, tous les éclaircissements et renseignements utiles dans sa rubrique la Science récréative , qu'on trouvera aux pages de garde de chaque numéro.
D'une des fenêtres de son magasin, situé avenue de l'Opéra, ma modiste a vu passer, il y a huit jours, Alphonse XIII. Et, depuis huit jours, elle est hantée par ce souvenir. Le roi d'Espagne lui a paru un jeune homme délicieux; elle l'avoue. Elle aime beaucoup l'uniforme bleu dont il était vêtu et la petite casquette blanche qui le coiffait; elle a trouvé une grâce infinie à cette longue figure imberbe, éclairée de beaux yeux noirs pleins de joie et si curieux de tous les spectacles; à cette bouche entr'ouverte--sur de fort jolies dents, il est vrai --et dont la lèvre inférieure s'avance en sorte de moue gentille qui accentue l'ingénuité du sourire et ce qu'il y a d'encore enfantin dans l'expression de ce visage d'adolescent. Elle raconte que, de sa fenêtre, elle a crié: Vive le roi! tant qu'elle a pu, et si fort qu'Alphonse XIII l'a regardée, lui a souri, a secoué vers elle, dans un geste de bonjour familier, sa main gantée de blanc. Ma modiste parle avec horreur de l'attentat de la rue de Rohan et son mari, qui assiste à notre entretien, l'approuve. Il est employé à la préfecture de la Seine, socialiste et secrétaire du comité des libres penseurs de son arrondissement. Il a vu, lui aussi, le souverain à l'Hôtel de Ville; il a crié: Vive le roi! et il s'en est fallu de rien qu'Alphonse XIII, vers qui plusieurs mains se tendaient à ce moment-là, ne serrât la sienne. Il conte ces choses avec ravissement. Ce «radical» bon garçon se sent, au fond, prodigieusement flatté qu'un roi de dix-neuf ans ait dit bonjour à sa femme et donné une poignée de main à des gens qui ne sont, comme lui, que «les premiers venus».
Nous ne réfléchissons pas assez que cette façon de sentir, qui est commune à la plupart des hommes, expose à de terribles dangers les pauvres rois et que cette vénération un peu puérile dont nous entourons leurs moindres gestes est l'excuse même de leurs illusions et de leurs erreurs. D'un enfant trop gâté nous faisons, le plus simplement du monde, un homme insupportable et nous nous étonnons qu'un apprenti-roi tire, logiquement, du spectacle de nos enthousiasmes et de l'admiration que chacun de ses actes semble nous inspirer, le sentiment qu'il est un homme très supérieur à nous et qu'il n'y a donc rien de plus légitime au monde et de plus nécessaire à notre félicité que la toute-puissance dont il est investi...
Aussi, ce qui me stupéfie, ce n'est pas qu'il y ait de mauvais rois, mais qu'en dépit de la déplorable éducation que nous donnons aux rois il s'en rencontre çà et là d'excellents. Leurs vertus sont infiniment plus méritoires que les nôtres, car nous leur demandons de connaître la vie et nous ne faisons rien de ce qu'il faudrait pour la leur enseigner. Loin d'eux, nous nous montrons frondeurs; en face d'eux et à leur contact, nous redevenons courtisans et tout petits: témoin le mari de ma modiste, socialiste et libre penseur, qui ne peut se défendre de sourire amoureusement au dernier rejeton d'une famille que ses grands-pères ont menée à l'échafaud...
*
* *
Les psychologues répondent à cela: «C'est que l'état d'âme d'une foule ne traduit point nécessairement les sentiments particuliers des individus qui la composent. Cent personnes, qui pensent ou sentent sur une question donnée d'une certaine façon, peuvent former «une foule» dont l'opinion sera très différente de ces cent opinions-là. C'est ce qui explique pourquoi, dans Paris, ville «avancée» entre toutes, Alphonse XIII a pu voir tant de jacobins lui faire risette...»
Et puis, est-on jamais bien sûr d'être jacobin? Il me semble que l'instinctive fidélité que garde cette ville-ci aux gloires, aux élégances de son histoire, se trahit à chaque instant dans ses gestes,--dans sa badauderie même. Paris adore les «vieilleries» où s'évoque le prestige des maîtres dont il ne veut plus. Il reste très orgueilleux de son musée de l'Armée. Il s'est réjoui que la Malmaison fût restaurée et que la République y préparât un trésor de reliques napoléoniennes; il ira, cet été, admirer les «rétrospectives» d'art de Bagatelle et revivre son passé dans la fréquentation des vieux peintres; il visiterait bien plus assidûment Cluny, si Cluny n'était point l'Odéon des musées... perdu dans un recoin de cette délicieuse «rive gauche» que j'adore, mais où il faut bien constater que la foule n'afflue pas. Le pavillon de Marsan est plus «central». Tant mieux; et c'est une idée géniale qu'eut M. Georges Berger d'y installer ce musée des Arts décoratifs où tant de reliques précieuses, à côté des chefs-d'oeuvre de l'art d'aujourd'hui, s'offrent, depuis une semaine, aux curiosités du passant. Meubles historiques, armes de rois, bijoux, missels et dentelles de reines... avidement, la bonne foule contemple ces choses; et ces débris d'un âge qu'elle ne regrette point communiquent pourtant à son âme un sentiment très doux de déférence, de curiosité amie...
*
* *
Mais les musées auront perdu bientôt leur clientèle d'hiver,--que deux mois de printemps glacial leur avaient conservée. «On ferme!» On ne ferme pas que les musées. Voici le temps où les directeurs de théâtres expédient leurs dernières pièces--les pauvres pièces sur lesquelles «on ne compte pas»--et préparent leur clôture d'été. Et cette clôture sera la preuve que Paris a cessé d'être habitable pour les gens du monde et qu'il est décent d'en sortir le plus rapidement possible...
Les auteurs dramatiques que j'entends se plaindre des misères de leur état sont bien injustes, en vérité. Ils semblent ne pas apercevoir quelle place considérable ils occupent dans la vie contemporaine et à quel point leur fécondité est devenue nécessaire à la joie de nos esprits! Ils se plaignent... Mais ne voient-ils pas que, pendant dix mois, nos gazettes n'ont à peu près consacré qu'à leurs ouvrages, aux interprètes de leurs ouvrages, à leurs personnes, à leurs projets, à leurs attitudes et à leurs «mots», toute la place que n'occupent point chez elles les affaires et la politique?
Certains écrivains (qui ne sont point auteurs dramatiques) reprochent aux journaux cet excès de complaisance, souhaiteraient de les voir un peu moins préoccupés du sort de la pièce de demain et un peu plus attentifs aux mérites du livre d'hier... Ils disent: «Rien de ce qui se passe au théâtre n'est négligé par les journalistes et il ne se joue pas un acte à Paris--sur quelque scène que ce soit et si pauvre qu'apparaisse l'ouvrage--qu'ils ne se considèrent comme tenus d'en raconter l'histoire et, au besoin, d'en railler les faiblesses; mais ce commentaire-là, c'est encore une réclame, et qui vaut mieux que l'affreux silence sous lequel moisissent nos livres...
Ceux-là ont plutôt sujet de se plaindre, en effet; et les auteurs dramatiques sont nos enfants gâtés. Que Z..., l'éditeur, ait décidé de chômer pendant six mois; qu'Y..., illustre romancier, songe à retarder d'un an ou deux l'impression du volume, qu'il vient d'écrire, ce sont là de menus incidents qui nous indiffèrent... Mais qu'on annonce: «Coquelin va chercher à Cambo le manuscrit de M. Rostand», voilà une nouvelle qui nous passionne. Pourquoi? Je n'en sais rien. Je constate simplement que la nouvelle nous passionne et que nos badauderies font de cette ville-ci le paradis des gens de théâtre.
*
* *
Le roi et le président sortant de la gare
de Mourmelon.
En attendant qu'ils partent en vacances, on se dispose, sur d'autres
scènes, à faire ses malles aussi. On ne s'en va pas encore; on «liquide»
sa saison, si je puis dire. C'est le mois un peu fiévreux où les
maîtresses de maison font leurs dernières «politesses», donnent à dîner,
à chanter, à danser pour la dernière fois; où s'ouvrent, à côté des
Salons, les dernières expositions d'art; où se préparent les épreuves
suprêmes du turf, parmi l'affolement des couturiers. Hier, Auteuil;
Longchamps tout à l'heure; et, de là, sortiront nos modes d'été, les
formes définitives du corsage, de la jupe et du chapeau que je
commanderai demain. Car on ne porte point les robes et les chapeaux
qu'on aime, mais les robes et les chapeaux «qu'il faut porter». C'est un
ordre qui vient on ne sait d'où et que rend sacré le mystère même qui
l'enveloppe. Or, le bruit court qu'on va remettre à la mode la
crinoline! En verrons-nous à Longchamps dimanche? J'ai peur. En vérité,
il n'y a personne au monde qui ait le droit de m'obliger à porter une
crinoline; cependant, je sens bien que le jour où ma couturière m'aura
déclaré qu'«on la reporte», mon énergie s'effondrera... Et nous serons,
à ce moment, quelques millions de femmes que cette consigne exaspérera
et qui, sans savoir pourquoi, la mort dans l'âme, achèterons des
crinolines.
Sonia.
AU CAMP DE CHALONS.--Le "pylône" du haut duquel le roi,
le président et les personnages officiels ont assisté au tir
d'artillerie.
Colonel Reidell.
Colonel Echagüe.
Général Debatisse.
Alphonse XIII
Général Dalstein
Cliché Chusseau-Flaviens.
ALPHONSE XIII AU CAMP DE CHALONS.--Attentif à la manoeuvre.
(Agrandissement)
ALPHONSE XIII A SAINT-CYR (2 juin).--Le carrousel dans la "petite
carrière". Les sous-lieutenants élèves de l'école de Saumur exécutent
une charge à toute allure devant la tribune officielle.
LE ROI D'ESPAGNE A VERSAILLES (2 juin). Alphonse XIII
répond aux saluts de la foule contenue dans les allées latérales et
admire les perspectives lointaines du parc.
En général d'infanterie, à Versailles, passant la revue du piquet d'honneur. | En général de lanciers, à la revue de Vincennes. | Au Grand Steeple-Chase d'Auteuil. En civil, devant la chapelle espagnole de l'avenue de Friedland. |
A Versailles, entre M. Berteaux et M. Loubet. | Au tir aux pigeons du bois de Boulogne. | Au Grand Steeple-Chase d'Auteuil. |
M. Falliéres. M. Berteaux. Gén. Bascaran. Mgr Lanusse.
Alphonse XIII. Gén. Debatisse. M. Loubet. Duc de Santo-Mauro. M. de
Villaurutia.
A SAINT-CYR.--Après le déjeuner: le café du roi dans la
salle d'escrime.
Phot. Servant.
L'arrivée du cortège royal et présidentiel dans la cour
de Marbre.
.
Devant le bassin d'Apollon | Dans les bosquets. |
Dans le hameau de Trianon.
LE ROI D'ESPAGNE A VERSAILLES
Phot. Dufayel.
ALPHONSE XIII A SAINT-CYR--La tribune
officielle pendant le carrousel.
Phot. Tresca.
ALPHONSE XIII AU GRAND STEEPLE-CHASE
D'AUTEUIL.--L'arrivée au pesage.
Pour voir le roi. | Le roi fait son entrée au pesage. |
Le kronprinz Frédéric-Guillaume. | Le cortège nuptial dans l'allée «Unter den Linden». |
LE MARIAGE DU PRINCE HERITIER D'ALLEMAGNE.--Jeunes filles
berlinoises sur le passage du cortège nuptial.
UN NOUVEL IMMORTELJeudi, l'Académie française appelait à elle, pour remplacer M. Eugène Guillaume, M. Étienne Lamy, élu au premier tour de scrutin par 21 voix contre 12 à M. Maurice Barrés.
Le nouvel académicien est peu connu du grand public, moins, par exemple, que M. Maurice Barrés, qui fut son concurrent le plus redoutable dans cette lutte. Leurs carrières, pourtant, offrent quelque analogie. Tous deux firent un temps de la politique et la quittèrent un jour pour la littérature. M. Étienne Lamy, en effet, de 1871 à 1881, a représenté à l'Assemblée nationale, puis à la Chambre des députés, le Jura, son département d'origine. Mais ses ouvrages, graves études historiques ou traitée politiques, avec les hauts problèmes qu'ils soulèvent, sont peu faits pour séduire les foules, malgré leur forme impeccable, châtiée. Seuls, des sociologues, des historiens ont pu apprécier la sévère tenue du Tiers Parti , de l'Assemblée nationale et la |
Dissolution , des Études sur le second Empire , de la France du Levant ; et, sans doute, celui de ses ouvrages qui eut le succès le plus étendu, ce furent ces savoureux Mémoires d'Aimée de Coigny , la «jeune captive» de Chénier, qu'il édita plus récemment et qui avaient tout l'attrait d'un attachant roman. LA SCISSION SUÉDO-NORVÉGIENNE
|
Le roi Alphonse XIII, passant avenue de l'Opéra au retour
de la revue de Vincennes, salue la loggia de l'École Berlitz.
De toutes les décorations de Paris, celle-ci fut la plus réussie et la plus remarquée: elle a d'ailleurs obtenu le premier prix au concours ouvert par notre confrère quotidien l'Écho de Paris. L'Ecole Berlitz, dont les professeurs ont perfectionné le jeune souverain dans l'usage des langues française, allemande et anglaise, avait voulu fêter tout spécialement son royal élève; un ingénieux et brillant architecte, M. Timbdenstoch, en composant cette loggia élégante et riche, sut donner un aspect décoratif à la plus ingrate des façades: celle d'une maison moderne à six étages.
Place de l'Opéra Une fontaine du Théâtre-Français. |
Décoration de la rue Royale (effet de nuit). Décoration de la rue Royale (effet de jour). Entrée du faubourg Saint-Honoré. |
Général Bascaran. Marquis del Muni. Marquise del Muni.
Alphonse XIII. Mme Riano. Marquise de Viana. Duc de Sotomayor.
Après le déjeuner à l'ambassade d'Espagne.
--
Phot. Munoz de Baena.
Nous avons annoncé récemment (n° du 11 mars 1905) le retour prochain de l'expédition conduite par te docteur Jean Charcot vers le pôle sud, à bord du Français , et, brièvement, rendu compte des résultats de son exploration. Depuis mardi, le docteur Charcot et ses compagnons foulent la terre natale.
Le 25 mai, comme ils arrivaient aux îles Canaries, à bord de l'Algérie , qui les avait pris le 8 à Buenos-Ayres, le chef de l'expédition y trouvait une dépêche lui annonçant que, désireux de lui témoigner tout l'intérêt qu'il avait pris à leur entreprise, le gouvernement français priait les explorateurs de débarquer à Tanger, où un navire de la marine nationale viendrait les prendre pour les ramener en France. Et, en effet, M. Jean Charcot, ses collaborateurs, son équipage, s'arrêtèrent à Tanger, y précédant de peu de jours le croiseur Linois , qui les amenait mardi à Toulon. Le lendemain, ils étaient à Paris, chaudement accueillis ici comme là.
Les fragments du journal de bord de M. Jean Charcot qui ont été publiés, les renseignements qu'on a recueillis de sa bouche à l'escale de Tanger, donnent d'intéressants détails sur les travaux de la mission.
Elle avait, on se le rappelle, quitté la France le 15 août 1903. Elle a donc passé quinze mois dans les régions antarctiques. C'est la première expédition française qui ait vécu un hiver entier dans les glaces polaires.
Le soir du 3 mars 1904, le Français arrivait à l'île Wandel et, le lendemain, le commandant Charcot commençait à prendre ses dispositions pour l'hivernage. On dévergua les voiles, on cala les mâts de flèche, on abaissa la cheminée, on aménagea le navire en vue d'un séjour prolongé au milieu de la banquise.
Dehors, on construisait sur la glace deux maisons d'Esquimaux, deux huttes de neige qui allaient servir de réserve pour la viande fraîche, viande des phoques et des pingouins qu'on pourrait tuer. Dans la glace même, on creusait deux grands magasins recouverts de toitures en charpente et en toile à voile et, avec le concours des beaux et bons chiens prêtés par le gouvernement de la République Argentine qui servirent d'animaux de trait, on y débarquait les vivres apportés de France et mieux en sûreté là que sur le navire. Deux constructions, enfin, étaient édifiées, l'une en pierre, avec une toiture de toile, l'autre en bois, toutes deux pourvues de piliers de grès cimentés et couronnés par des plaques de marbre. On y logeait les instruments nécessaires aux observations magnétiques.
Ce fut la première étape polaire du Français. De là purent être faites quelques expéditions dans la région désolée avoisinante, entre deux tempêtes de neige.
A la mi-décembre, M. Jean Charcot levait l'ancre, débloquant son navire à coups de hache, de pic et même de cartouches de dynamite. Il remontait vers l'île Wincke, où il s'était arrêté à l'aller. Ce fut là qu'on célébra la Noël, autour d'un arbre apporté de France. Puis on gagna la terre Alexandre, où le Français abordait le 15 janvier dernier.
1. Navigation du "Français" dans les glaces.--2. Les
chiens prêtés par le gouvernement argentin.--3. Abris de neige pour les
provisions.--4. Le "Français" bloqué par la banquise.
Photographies
communiquées par le "Matin".
Ce ne fut pas sans peine qu'on atteignit cette côte, et le journal de bord de M. Jean Charcot donne à cet endroit le récit de l'un des événements les plus dramatiques de tout le voyage:
«Nous longions, écrit-il, les hautes falaises déchiquetées, cherchant, du bout de nos lorgnettes, quelque baie propice à un débarquement, et nous avions ainsi navigué pendant environ dix milles, à proximité d'un grand iceberg de plus de cinquante mètres de haut, lorsque nous ressentîmes tout à coup une secousse formidable.
»Un bruit de craquement sinistre s'élève, le bateau monte de l'avant, s'engageant dans les glaces jusqu'à la passerelle; par cinq fois, nous talonnons avec violence, les mâts plient comme des joncs et, avec une sorte de gémissement, le bateau, comme blessé, retombe de l'avant en eau libre, sans que la manoeuvre de mise en marche ait pu produire un effet utile.
M. Jean Charcot. L'escale de la mission du "Français" à
Tanger: le Dr Jean Charcot sur la place du Marché.
»Une large voie d'eau s'est déclarée à l'étrave, et le roulement continu du flot qui monte et nous envahit augmente d'instant en instant. Déjà l'eau s'étend en nappe jusqu'aux chaudières. L'équipage se jette aux pompes, dégage la cale et abat les cloisons pour faciliter l'écoulement de l'eau par l'arrière. On calfate tant bien que mal, mais notre situation devient des plus dangereuses, les icebergs se rapprochant de plus en plus. Ce serait folie de vouloir risquer d'atteindre le large avec des embarcations, et la côte est inabordable.
»Nous ne pouvons songer, d'autre part, à hiverner sur un bateau aussi gravement endommagé. Une seule porte de salut nous est offerte: il faut, par tous les moyens possibles, nous dégager au plus vite, dussions-nous, dans ce dernier effort, crever nos machines. Ah! ces pauvres machines disloquées, faussées, qui, à chaque coup de piston, geignent et frémissent comme un malade à l'agonie se lamente et tremble aux derniers souffles de la vie!...»
On en sortit pourtant, grâce à l'énergie de tous, et le Français , remplissant vaillamment son office jusqu'au bout, ramena à Buenos-Ayres, sans un manquant, tous ceux qui lui avaient confié leur vie.
Vallina. | Palacios. | Charles Malato. | Harvey. | Navarro. |
Culot de la «pomme de pin» ou boule d'escalier, en fonte creuse. | La «pomme de pin», avec les boulons et les écrous de fermeture. | Coupe montrant la disposition intérieure. | Les explosifs: dans les tubes, l'acide sulfurique; au fond du flacon, le fulminate de mercure, noyé dans l'eau. |
M. Chavigny, qui a ramassé la bombe non éclatée, rue de Rohan. |
La cuirasse du capitaine Schneider. (La patelette de cuir et la chaînette de l'épaule droite ont été coupées par un projectile de la bombe.) |
M. Leydet, juge d'instruction chargé de l'affaire. |
La maison de Charles Malato, 2. Passage Noirot, où ont été entreposées les enveloppes des bombes, à Paris, avant leur chargement. (Sur le seuil, M. Malato père.) |
Le cheval du brigadier de cuirassiers Charton, tué sur le
coup par un éclat de la bombe à l'angle de la rue de Rohan et de la rue
de Rivoli.
Le landau du roi et du président, remisé dans la cour de
l'Élysée (une des glaces, brisée, est appuyée à la roue de derrière).
Photographies prises par la Direction des Recherches de la Préfecture
de police (service de l'Identité judiciaire).
Les trois gardiens de la paix: Fernand Viel, Jules Gagé
et Louis Pradier, blessés par des éclats de la bombe et en traitement à
l'hôpital Saint-Louis.
Le capitaine Schneider atteint par les projectiles à la portière gauche du landau royal et dont le cheval a été grièvement blessé. |
La sangle du cheval du capitaine Schneider,
souillée de sang. |
La trace des projectiles sur les panneaux du landau
qu'occupaient le roi d'Espagne et le président de la République.
Photographie de la direction des Recherches (service de l'Identité judiciaire).
La Princesse Charlotte de Rohan et le Duc d'Enghien , par Jacques de la Faye (Emile-Paul, 5 fr.).-- Discours politiques , de M. A. Ribot (1 vol. Plon-Nourrit, 3 fr. 50).-- La Question d'Egypte , par C. de Freycinet (Calmann-Lévy, 7 fr. 50).-- Le Grand Duché de Berg, 1805-1813 , par Charles Schmidt (Alcan, 10 fr.)
Charlotte de Rohan et le Duc d'Enghien.
Rien de plus doux et de plus poignant que ce roman princier. Les premières heures de la Révolution avaient effrayé, en même temps que le comte de Lille et le comte d'Artois, les trois générations de Condé, le prince de Condé, le duc de Bourbon et le duc d'Enghien. Ils quittèrent la France n'ayant d'autre désir que de libérer la famille royale. Le nombre des émigrés augmentant chaque jour, le prince de Condé, l'ancêtre, les réunit et fonda ce qu'on a nommé l'armée de Condé. Pauvre troupe, pleine d'illusions, à peine acceptée par l'Autriche, d'abord. Les Rohan étaient unis par des liens de parenté avec les Condé; le fameux cardinal, évêque de Strasbourg, compromis dans l'affaire du collier, possédait en dehors du territoire français la terre assez étendue d'Ettenheim. Là, le jeune duc d'Enghien, de petite taille, mais en pleine jeunesse, d'un visage charmant, revit Charlotte de Rohan, nièce de la belle Eminence. La jeune princesse avait de beaux yeux bleus, des cheveux blonds, une parole spirituelle, une voix adorablement timbrée. Elle fut aimée, elle aima. Sans doute, avec le duc d'Enghien, descendant de Henri IV, il ne fallait pas compter sur une fidélité stricte. On entendit quelquefois l'armée royaliste, conduite par le jeune héros, entonner ce couplet:
Nous partons conduits par d'Enghien.
Il aime l'amour et le vin!
Il aime bien aussi la gloire!...
Mal vus par l'Autriche, les condéens se rendirent en Russie, où le duc d'Enghien fit venir Charlotte de Rohan, dont le dévouement lui était nécessaire. De retour sur les frontières de France, il l'épousa secrètement, à Ettenheim, vers la fin de 1803. Mais combien peu de temps dura leur parfait bonheur! Excédé par les conspirations de Pichegru, de Moreau et par ses rapports de police, le Premier Consul fit enlever le duc d'Enghien sur le territoire badois. Avec le jeune descendant des Condé se trouvait, à Ettenheim, le marquis de Thumery, dont le nom, mal prononcé, fit croire à la présence de Dumouriez. Conduit d'abord à Strasbourg, puis à Vincennes, le duc d'Enghien fut jugé et exécuté la même nuit (21 mars 1804). Sans la précipitation de Savary et de Murat, peut-être le Premier Consul eût-il accordé la vie au jeune prince. Cette mort jeta dans la plus grande douleur Joséphine de Beauharnais. Fidèle à son mari, la princesse Charlotte de Rohan ne s'éteignit qu'en juillet 1850. Le volume de M. Jacques de la Faye nous raconte, dans tous ses détails, ce roman d'exil et met beaucoup de documents sous nos yeux. Peut-être serait-il plus parfait encore si les fleurs de rhétorique y étaient moins abondantes.
Discours politiques.
Pendant le ministère Valdeck-Rousseau et pendant le ministère Combes, M. Ribot est monté souvent à la tribune. Ses discours de finances sont des chefs-d'oeuvre de bon sens et de clarté. Quelle que soit l'opinion de ceux qui l'écoutent, M. Ribot ne compte guère parmi eux que des admirateurs. Ses causeries lucides, spirituelles, s'élevant parfois jusqu'à l'éloquence, rappellent, avec une pointe en plus de doctrinarisme, celles de M. Thiers.
Pendant les quatre années 1901-1905, il ne s'est pas seulement occupé de finances mais aussi de politique étrangère, et enfin, à deux dates différentes, il est intervenu dans l'affaire des congrégations. En 1901, M. Valdeck-Rousseau proposa sa loi sur les associations. Elle renfermait une lacune énorme. Toute association était tenue à la déclaration préalable. C'était inadmissible, car il peut y avoir de petits groupements de huit à dix personnes pour lesquels aucun gouvernement n'avait exigé jusque-là quoique ce fût. L'amendement Groussier remit au point, sur ce fait, la loi Valdeck. Mais, si les associations étaient soumises à la déclaration préalable, M. Valdeck-Rousseau, se conformant à certains désirs, demandait que les congrégations n'eussent droit de vie que par une loi. C'était livrer leur existence aux passions politiques des Chambres. M. Ribot combattit le projet accepté par le président du conseil. Sous le ministère Combes, il demanda que le cas de chaque congrégation fût étudié à part et qu'on n'accordât ou ne repoussât pas en bloc les instances. Est-ce que les congrégations se ressemblent? Est-ce que l'Oratoire, tenant ses pouvoirs de l'ordinaire de chaque diocèse, exempt de voeux particuliers, ne constituait pas un cas spécial? L'éloquence de M. Ribot a éclaté dans ces hautes questions de politique religieuse. On retrouvera dans ces deux volumes notre histoire parlementaire de quatre années et nos passions éphémères. Les discours de M. Ribot se survivent dans le livre et sont lus avec presque autant de plaisir qu'ils ont été écoulés.
La Question d'Egypte.
M. de Freycinet était particulièrement désigné pour écrire un pareil livre. N'est-ce pas pendant son ministère que l'Angleterre a montré son intention d'intervenir, à main armée, dans les affaires de l'Égypte et que le Parlement français, mal conduit, a refusé à son ministre des affaires étrangères les crédits nécessaires, non pas pour prendre part à l'expédition anglaise, mais pour y coopérer cependant, d'une certaine façon, en gardant le canal de Suez? Quelques membres de la Chambre se refusaient à toute démonstration militaire; d'autres--l'avenir a prouvé qu'ils avaient raison--trouvaient M. de Freycinet trop indécis et ne se contentaient pas d'une simple faction le long du canal. Sous l'hostilité des uns et des autres succomba le ministère Freycinet. D'une forme très subtile et très élégante, le livre de l'ancien ministre, malgré son optimisme, nous instruit et nous plaît.
Le Grand-Duché de Berg.
Je ne dirai que quelques mots sur le travail de M. Schmidt. Ce n'est pas
une ouvre qui prête à la discussion. Savante, fortement construite,
d'une érudition complète, on ne peut facilement l'entamer ni la
détailler: elle a le plus grand succès parmi les historiens français et
étrangers.
E. Ledrain.
Ont paru:
Socialistes et Sociologues , par J. Bourdeau. 1 vol. in-16, Félix Alcan, 2 fr. 50.-- Trois Ans au Klondike , par Jérémiah Lynch. 1 vol., in-8°, Delagrave, 6 fr.-- Contes du Soleil et de la Brume , par Anatole Le Braz. 1 vol. in-8º Delagrave, 3 fr. 50.-- Roman vécu d'une princesse royale raconté par elle-même . 1 vol. Librairie universelle, 3 fr. 50.-- Indicateur de la photographie , annuaire. A. Lahure, 4 fr.-- L'Inde contemporaine et le Mouvement national , par Ernest Piriou. 1 vol., Félix Alcan, 3 fr. -- Récits d'un vieil Alsacien , par Jeanne et Frédéric Régamey. 1 vol., Albin Michel, 3 fr. 50. -- Céline, fille des champs , par Pierre de Querlon. 1 vol., Société du Mercure de France, 3 fr. 50.-- H. Taine, sa vie et sa correspondance , tome III, 1 vol. in-18, Hachette et Cie, 3 fr. 50. -- Portraits de croyants au XIXe siècle , par Léon Lefébure. 1 vol. in-8° écu, Plon-Nourrit et Cie, 3 fr. 50.-- La Vie future , par Louis Elbé. 1 vol., Perrin, 3 fr. 50.-- Le Moralisme de Kant et l'Amoralisme contemporain , par Alfred Fouillée, 1 vol. in-8º, Alcan 7 fr. 50.-- Les Médecins au théâtre de l'antiquité au XVIIe siècle , par le docteur G.-J. Witkowski. 1 vol. in-18, Maloine-- Souvenirs de jeunesse , par Scheurer-Kestner. 1 vol. in-8°, Fasquelle, 3 fr. 50.
«J'ai voulu, écrit M. G. Ancey dans la préface de sa comédie: Ces Messieurs , jouée au Gymnase, j'ai voulu simplement, n'accusant personne, ou, tout au moins, accusant en face, montrer la terrible influence que peut prendre le prêtre sur la femme pour leur plus grand péril à tous deux...» Et le vigoureux écrivain qui, un instant, régna sur le Théâtre-Libre, remplit avec usure les conditions de son programme, accumulant à plaisir les prêches laïques et gouverné malgré lui par des préjugés d'une criante injustice. Cette comédie, condamnée à sa naissance par la censure, a fait beaucoup de bruit avant d'être jouée; on l'a accueillie avec calme, mais non sans fatigue, tout en applaudissant, comme de juste, le très beau duo mystique de la fin, où l'auteur, moins intransigeant, se rapproche de la vérité vraie. Mlle Mégard, MM. Calmettes et Dumény tiennent remarquablement les principaux rôles.
Mlle Trouhanova.
--Phot. Enrietti.
A la Gaîté, excellente reprise du célèbre Champignol malgré lui , de MM. G. Feydeau et M. Desvallières, avec quelques-uns des artistes de la création, notamment M. Germain. MM. Galipaux, Noizeux, Mmes V. Lavergne et M. Lavigne ont aussi leur bonne part du succès.
Au Théâtre-Italien, le maître incontesté de Siberia , M. Umberto Giordano, a de nouveau capté la faveur du public avec son ouvre de début, André Chénier , drame lyrique très adroitement agencé par M. Luigi Ellica, en se servant des épisodes «classiques» de la Révolution française.
La partition, des plus mouvementées, révèle les exceptionnelles qualités dramatiques du compositeur; elle charme souvent, émeut par moments et ne cesse pas d'intéresser. L'interprétation est excellente: le baryton Sammarco, le ténor A. Bassi et Mme G. Debrazzini s'y font particulièrement applaudir.
Au théâtre de Monte-Carlo, représentations brillantes d'un ballet en trois tableaux de M. Jean Lorrain dont le scénario, émouvant, passionnant même, a heureusement inspiré le musicien, M. Narici. On y a surtout acclamé la prestigieuse danseuse russe, Mlle Trouhanova, qui a créé le principal rôle, celui de la Marietta, avec un brio remarquable.
LE DUC D'AUDIFFRET-PASQUIER
Phot. Piriou, boul. Saint-Germain.
M.
d'Audiffret-Pasquier.
Le duc d'Audiffret-Pasquier vient de s'éteindre à l'âge de quatre-vingt-deux ans, à Paris, où il était né en 1823. Depuis assez longtemps déjà, il vivait effacé, après avoir joué un rôle politique considérable pendant la première période du régime actuel. Député de l'Orne à l'Assemblée nationale de 1871, il prit une place influente au centre droit, dans le groupe orléaniste, et, comme président de la Commission chargée de l'examen des marchés conclus pendant la guerre, il prononça des discours véhéments qui le classèrent d'emblée au rang des leaders de la majorité.
Il contribua très activement à la chute de M. Thiers, à la fusion des deux branches de la famille de Bourbon et aux tentatives de restauration monarchique; mais, celles-ci ayant échoué, il se rapprocha du centre gauche libéral, vota la Constitution de 1875 et fut élevé à la présidence de l'assemblée. Il devait plus tard devenir président du Sénat, dont il avait été élu membre inamovible, en tête de la liste.
Bien qu'il n'eût aucun bagage littéraire, le duc d'Audiffret-Pasquier appartenait, depuis 1878, à l'Académie française, où il hérita du fauteuil de Mgr Dupanloup; suivant une de ses traditions, la Compagnie avait voulu surtout honorer en lui l'éloquence parlementaire.
Un record électoral.
Ce record assez curieux, c'est assurément en France une commune du Gard qui le détient, d'après les renseignements précis que nous adresse un de nos correspondants. En effet, dans l'espace d'un an, du 1er mai 1904 au 14 mai 1905, à Quissac, chef-lieu de canton de l'arrondissement du Vigan, il n'y a pas eu moins de sept élections: 1° le 1er mai 1904, élection du conseil municipal; 2° le 1er août, élection d'un conseiller d'arrondissement; 3° le 23 octobre, élection d'un conseiller général; 4º le 20 novembre, nouvelle élection d'un conseiller d'arrondissement, par suite de démission; 5° le 11 décembre, élections complémentaires au conseil municipal, pour le remplacement de 7 démissionnaires; 6° le 5 février 1905, même opération pour la même cause; 7° le 14 mai 1905, élections municipales nécessitées par la dissolution du conseil.
Les électeurs de Quissac, on le voit, n'ont guère chômé, et cette fréquence des consultations du suffrage universel n'est peut-être pas l'indice d'un parfait accord entre les divers éléments d'une population que divise notamment la question religieuse (elle compte un tiers de catholiques et deux tiers de protestants). Or, étant donné qu'il s'agit d'une localité de ce Midi où les passions politiques sont vives et les têtes chaudes, la seule mention d'une pareille série de scrutins évoque tout d'abord l'image de scènes violentes: désordres, bagarres, urnes renversées, bulletins lacérés, invectives réciproques, pugilats, intervention de la gendarmerie, procès-verbaux dressés. Eh bien, fait à noter, pendant la période agitée qu'elle vient de traverser, la petite ville provençale ne connut pas ces déplorables incidents; malgré les divergences d'opinions, le devoir civique s'y accomplit avec une parfaite dignité et, du sage esprit de tolérance qui règne à Quissac, on ne saurait donner une preuve plus concluante que ce détail typique: les jours de vote, les partisans des candidats opposés «font la manille» ensemble!
Etudiants et docteurs en médecine.
La nouvelle loi militaire ralentira-t-elle le mouvement qui porte les jeunes gens vers les études médicales? La chose est probable et souhaitable.
En attendant, le nombre des diplômes de docteur délivrés en 1903-1904 a été de 1.143, supérieur de 27 au nombre de l'année précédente; et celui des élèves inscrits au P. C. N. va toujours en augmentant. En 1905, il atteint le chiffre 1.692, le plus élevé qui ait été noté depuis l'application des nouveaux programmes.
Il faut cependant remarquer que le nombre des étudiants en médecine s'est abaissé d'un millier, dans l'espace des dix dernières années: de 7.779 en 1895, il n'est plus, cette année, que de 6.763.
Malheureusement, le nombre des étudiants étrangers a également diminué de moitié, tombant, dans le même intervalle, de 1.137 à 613.
Les éliminatoires anglaises pour la coupe Gordon-Bennett.
M. Rolls, sur voiture Wolseley. |
M. Bianchi, sur voiture Wolseley.
Copyright Campbell-Gray. |
M. Clifford Earp, sur voiture Napier. |
Douze concurrents anglais se sont disputé, le 30 mai, dans l'île de Man, l'honneur de venir participer à la grande épreuve internationale de la coupe Gordon-Bennett qui doit avoir lieu, comme on peut s'en souvenir, sur le parcours accidenté du circuit d'Auvergne, le 5 juillet prochain. Trois d'entre eux seulement ont terminé les 492 kilomètres du circuit éliminatoire, à une vitesse allant de 58 à 62 kilomètres de moyenne à l'heure; ce sont les trois concurrents dont nous reproduisons des photographies. Les neuf autres voitures ont été, ou arrêtées par de simples pannes, ou brisées--tout au moins détériorées--dans des virages trop rapides.
Rappelons que les éliminatoires françaises auront lieu le 16 juin sur le trajet même du circuit d'Auvergne.
A propos de sport.
C'est sur le circuit d'Auvergne que M. de Knyff a été victime de l'accident d'automobile que nous avons relaté récemment. Nous apprenons avec plaisir qu'il est en bonne voie de guérison. Profitons de l'occasion pour préciser un point de détail: son compagnon de route, M. Faroux, qui sortit indemne de l'aventure n'est pas, comme plusieurs de nos confrères et nous-mêmes l'avions cru, le mécanicien de M. de Knyff, mais un de ses amis qui avait accepté de faire avec lui en auto la route de Paris à Clermont-Ferrand.
Plaisirs d'été.
La traditionnelle Fête des Fleurs, instituée au bénéfice de la caisse des Victimes du devoir, a eu lieu, comme de coutume, au bois de Boulogne. Le vendredi 2 juin et le samedi 3, pendant deux après-midi, des équipages enguirlandés défilèrent le long de l'allée des Acacias devant une double haie de curieux intrépides bravant un soleil implacable; car un temps superbe favorisa ces journées trop souvent mouillées et ce fut là peut-être ce qu'elles offrirent de moins «déjà vu». A noter pourtant les nouvelles conquêtes de l'automobilisme dans ce domaine des élégances, où les attelages semblent désormais relégués au second plan; il y avait tant d'automobiles si ingénieusement et si luxueusement décorées qu'il fallut décerner plusieurs prix d'honneur; l'un d'eux échut à Mlle Marconnier, de l'Opéra, pour sa voiture parée fort à propos de roses rouges et jaunes (les couleurs espagnoles) et surmontée d'un petit moulin à vent tout fleuri dont un moteur invisible faisait tourner les ailes.
Le monde parisien, d'ailleurs, à son ordinaire, n'a attendu ni la Fête des Fleurs, ni la date officielle du calendrier pour inaugurer la saison d'été. Dès la dernière semaine de mai, ce n'étaient que réunions et divertissements en plein air; le jour même de l'arrivée du roi d'Espagne, le maître peintre Chartran et Mme Chartran donnaient, dans leur villa de Neuilly, une garden party merveilleusement organisée, où, sous les ombrages du jardin, devant un coquet théâtre de verdure, une nombreuse et brillante assistance goûta un plaisir d'autant plus délicat qu'elle coopérait à une oeuvre de bienfaisance.
Et le monde sportif, lui aussi, célèbre de mainte façon le retour de l'été; ses exercices, ses jeux s'égayent d'amusantes fantaisies, tel, au Polo de Bagatelle, le gymkhana , auquel prennent part les dames, et dont une curieuse figure consiste à crever d'un coup de lance, en passant en automobile, un inoffensif animal en baudruche.
La disparition des campagnols.
L'invasion d'un grand nombre de nos départements par les campagnols avait vivement ému les agriculteurs, et la lutte contre les terribles rongeurs s'était partout organisée par des moyens variés qui, tous, avaient donné d'assez médiocres résultats.
Mais voici que l'on signale la disparition de l'ennemi dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne, de la Charente, de la Charente Inférieure et de la Haute-Marne. Et cette disparition est toute spontanée. Elle est l'aboutissant naturel de l'évolution sociale, pourrait-on dire, des invasions des rongeurs, qui passe toujours par ces trois phases: période de multiplication, période de pullulation, période de disparition, cette dernière s'opérant rapidement.
Les criquets disparaissent aussi de cette façon. La cause directe de cette disparition semble être une maladie microbienne qui se répand d'autant plus facilement que les campagnols dévorent leurs congénères malades.
Mais le développement de cette maladie est lui-même la conséquence du manque de nourriture et de l'état d'étiolement des campagnols.
En émigrant du sud vers le nord, les campagnols ont rencontré des terrains granitiques et froids--notamment ceux de la Câline et du Bocage, dans les Deux-Sèvres--et, étant très nombreux, ils sont vite devenus la proie de la famine.
Les photographies de l'Edelspitze.
Plusieurs de nos lecteurs nous ont demandé de qui étaient les belles photographies sur l'Edelspitze qui ont paru dans notre numéro du 20 mai dernier. Elles ont été prises par un photographe qui est en même temps un alpiniste audacieux, M. J.-E. Kern, de Genève.
La sérothérapie de la lèpre.
Aurions-nous un sérum antilépreux? Il le semblerait, d'après les recherches que vient de faire connaître un médecin anglais, M. E. Rost, dans le British medical Journal . Ce médecin a obtenu une léprine, une lymphe curative, par la culture du bacille de la lèpre et il l'emploie en injections sous la peau. Comme la tuberculine dans les cas de lupus, la léprine détermine chez le lépreux une fièvre assez intense de quelques jours de durée et des réactions locales au niveau des lésions. Mais, après ce tumulte qui est éphémère, on observe des signes très satisfaisants: les parties anesthésiées reprennent leur couleur et leur sensibilité; les douleurs lancinantes et la pesanteur des jambes disparaissent; les ulcérations se cicatrisent; les parties gangreneuses se détachent; laissant derrière elles des plaies qui guérissent sans peine. M. Rost a expérimenté sur une centaine de malades et a obtenu quatre guérisons complètes. Chez les autres sujets, l'amélioration a été telle qu'elle équivaut presque à une guérison, les progrès du mal ayant été totalement arrêtés. Ces résultats sont très encourageants et il faut espérer que la léprine tiendra les promesses qu'elle semble faire. La lèpre est une maladie devenue très rare dans notre région; mais il reste encore beaucoup de lépreux dans la région de la Méditerranée orientale, dans celle du Pacifique, en Asie et dans les pays Scandinaves.
Le général de Lacroix.
--Phot. Bruchon.
Le mariage du prince impérial d'Allemagne avec la duchesse Cécile de Mecklembourg, célébré à Berlin, le 6 juin, a été l'occasion de cérémonies solennelles et de fêtes somptueuses, où les gouvernements étrangers s'étaient fait représenter par des ambassades extraordinaires. La mission française, comprenant le contre-amiral de Marolles, le colonel Chabaud et M. Arago, député, ministre plénipotentiaire, avait pour chef une de nos plus hautes personnalités militaires, le général de Lacroix, commandant du 14e corps d'armée et gouverneur de Lyon depuis bientôt deux ans. Ce choix se justifiait d'autant mieux qu'à la supériorité hiérarchique de cet officier s'ajoutent de fort beaux états de services: pendant la rude campagne du Tonkin il compta parmi les héros de Lang-Son et de Tuyen-Quan; général de brigade en 1898, chef d'état-major général de l'armée en 1899, divisionnaire en 1900, il commandait en 1902 l'École supérieure de guerre.
Le prix d'honneur du Corso automobile fleuri du bois de Boulogne. | Un coin du jardin du peintre Chartran pendant la garden-party du 30 mai. | Une figure originale du dernier gymkhana au cercle du Polo. |
I.--27 mai, 6 heures du matin Rojestvensky arrive au détroit de Corée. Le 27 mai, à 6 heures du matin, la flotte russe avance en deux colonnes, le croiseur-éclaireur Zemtschoug en tête. La colonne de droite, conduite par le Kniaz-Souvarof (amiral Rojestvensky), comprend les 7 autres cuirassés (dans l'ordre: le Borodino, l'Orel, l'Alexandre-III, l'Osliabia, le Sissoi-Veliky, le Navarin, le Nicolas-Ier ), plus 5 transports. La colonne de gauche comprend 3 croiseurs-cuirassés, 3 gardes-côtes et 5 croiseurs protégés. Huit contre-torpilleurs accompagnent l'escadre, à l'abri des cuirassés. Craignant les forts de Tsou-Shima, l'escadre passe entre Iki et la côte de Kiou-Siou. A cette heure, l'amiral Togo se tenait à Masampho.
II.--27 mai, 11 heures: Togo lance ses escadres. La flotte japonaise formait six divisions: 1re et 3e commandées par Togo en personne; 2e et 4e par Kamimoura; 5e par Uriu et 6e par Kataoka. Averti par la télégraphie sans fil, Togo quitte sa base et se rend à toute vitesse au nord de Tsou-Shima. Ayant séparé ses escadres et poursuivi lui-même sa route par le détroit qui sépare Tsou-Shima, il se trouve face aux lignes russes qui avaient pris la formation de combat sur trois lignes. Un brouillard assez intense règne. |
III.--27 mai, 1 heure: Togo cerne la flotte russe. Kamimoura, ayant doublé le nord de Tsou-Shima, incline dans la direction sud et laisse les navires russes le croiser. Uriu et Kataoka, qui étaient, partie à Masampho, partie à Yokoba, font leur jonction aux environs d'Iki et s'élancent sur les derrières de la flotte russe. Togo envoie ses 4 cuirassés, qu'il conduit en personne, par la droite de l'ennemi qui effectue une conversion vers l'est; sa 3e division (3 croiseurs-cuirassés) conserve le contact avec les autres divisions. |
IV.--27 mai, avant 3 heures: le combat d'Okino. A droite, les 1re et 6e divisions japonaises concentrent leur feu sur les deux vaisseaux-amiraux Souvarof (Rojestvensky) et Osliabia (Felkersam), respectivement le 1er et le 5e de la ligne. Ces cuirassés coulent vers 3 heures. Le croiseur d'avant-garde Zemtschoug s'échappe. A gauche, le combat s'engage entre les croiseurs russes et les 2e 3e et 4e divisions japonaises; un des croiseurs russes (le Nakhimof ) est coulé. |
V.--27 mai, après 3 heures: la fuite russe. La flotte russe, pour ne pas être acculée à la côte du Nippon, change de direction et fuit vers le nord-ouest. L'amiral Rojestvensky passe du Souvarof , coulé, sur le Borodino , à l'extrême arrière-garde; 5 navires japonais, dont 3 cuirassés, concentrent leur feu sur le nouveau cuirassé-amiral russe, qui succombe à 7 h. 1/2. Les 5 cuirassés survivants s'échappent, le Nicolas-Ier (Nebogatof) en tête, ainsi que les 3 gardes-côtes et les croiseurs Oleg, Aurora, Almaz . Au centre, les trois transports Kamtchatka, Irtessim et Oural , coulent. |
VI.--27-28 mai: l'attaque nocturne des torpilleurs. Les torpilleurs et contre-torpilleurs japonais entrent en scène. Venant de Tsou-Shima, ils s'abattent, «comme un vol de guêpes», sur les cuirassés russes. Les gros navires japonais, en formation d'enveloppement éclairent de tous leurs projecteurs cette attaque. L'Alexandre-III , le Sissoi-Veliky et le Navarin sont coulés. Le Nicolas-Ier (Nebogatof), l'Orel et les trois gardes-côtes s'échappent encore vers le nord.
VII.--28 mai, 10 h. matin: Reddition de Nebogatof aux rochers de Liancourt avec deux cuirassés et deux gardes-côtes; le troisième garde-côte est coulé plus au sud.
VIII.--28 mai, 11 h. matin: Capture de Rojestvensky, à bord du Biedovy , au sud de l'île Uldschin (+)et du Dmitri près de couler.