Title : L'Illustration, No. 3651, 15 Février 1913
Author : Various
Release date : September 30, 2011 [eBook #37577]
Language : French
Credits : Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3651, 15 Février 1913
Ce numéro se compose de vingt-quatre pages au lieu de seize et contient en supplément le 4e fascicule des Souvenirs d'Algérie (Récits de chasse et de guerre), du général Bruneau.
LE LIEUTENANT DE CHASSEURS ALPINS RAYMOND POINCARÉ
Un
souvenir de la dernière période d'instruction militaire du nouveau
président de la République.
Photographie prise par le lieutenant
Daudens, en octobre 1897. aux environs d'Annecy, et communiquée par le
commandant de Chambonasé
et le nouveau prix d'abonnement
De nombreux abonnés nous ont écrit pour approuver la création de La Petite Illustration hebdomadaire, et pour nous déclarer qu'ils acceptaient bien volontiers la légère augmentation du prix d'abonnement, qui en est la conséquence. Il ne nous sera pas possible de répondre à chacun d'eux. Qu'ils veuillent bien trouver ici nos remerciements.
A côté d'éloges, qui sont pour nous le plus précieux encouragement, quelques-unes des lettres que nous avons reçues contiennent des observations dont nous nous ferons un devoir de tenir compte, dans la mesure où elles nous paraîtront répondre à un désir général de nos lecteurs.
C'est ainsi que nous comptons augmenter cette année le nombre de nos suppléments d'art (gravures hors texte et remmargées, en couleurs ou en taille-douce) qui avaient été un peu sacrifiés, en 1912, à la grande actualité. Nous multiplierons aussi le nombre des pages imprimées par les mêmes procédés (couleurs ou taille-douce) dans le corps même du journal.
Le prochain supplément de théâtre sera encore publié sous le titre de L'Illustration Théâtrale, avec le numéro du 22 février. Il contiendra:
La Prise de Berg-op-Zoom, par Sacha Guitry.
Puis paraîtra, dans le premier numéro de La Petite Illustration (Série-Roman), la première partie du grand roman inédit de Marcel Prévost , de l'Académie française:
Les Anges Gardiens.
Les numéros de La Petite Illustration (Série-Théâtre), qui alterneront ensuite avec ceux de la Série-Roman, contiendront:
Alsace
, par
Gaston Leroux et Lucien Camille
;
Les Flambeaux
, par
Henry Bataille
;
L'Homme qui assassina
, par
Pierre Frondaie
(d'après
le roman de Claude Farrère);
Les Eclaireuses
, par
Maurice Donnay
,
de
l'Académie française;
L'Habit vert
, par
Robert de Flers et G.-A. de
Caillavet
;
Servir
et
La Chienne du Roi
, par
Henri Lavedan
,
de
l'Académie française;
br
L'Embuscade
, par
Henry Kistemaeckers
.
Dans quelques jours, la remise des pouvoirs présidentiels va être faite à M. Poincaré, avec un cérémonial qui sera en quelque sorte le baptême officiel de sa popularité toute jeune et déjà vigoureuse,--et ce tranquille événement donnera lieu, comme il est aisé de le prévoir, à d'innombrables manifestations de la particulière sympathie qu'éveille dans la masse--en dehors de tout point de vue politique--le nom seul du nouvel Élu.
La popularité!... De quoi est composée cette grosse faveur du Destin qui se porte sur un homme, met en vedette matérielle et morale sa personne et tout ce qui s'y rattache? On ne sait. Y a-t-il une marche à suivre pour l'atteindre! Existe-t-il des moyens connus et sûrs de l'obtenir et de la conserver? Est-elle la réussite de combinaisons savantes, d'un travail mystérieux, d'une ligne de conduite difficile et secrète? Non. Elle se montre aussi capricieuse que la fortune, aussi aveugle que l'amour. La grandeur de la fonction, la, hauteur du poste et le rang du personnage ne suffisent pas toujours à l'attirer. Souvent même ils la repoussent et l'éloignent pour toujours. Nuls ne furent moins populaires que certains rois. Le diadème souverain ne garantit aucunement cette autre et lourde couronne d'une richesse un peu fruste, comme faite exprès pour être mise en public, et vue de loin, par les foules, pour leur tirer des regards, des cris et des acclamations, dans la poussière.
Il est donc bien rare que la popularité choisisse pour les sacrer ceux qui se consument d'elle, qui en font la préoccupation, l'idée fixe et le but étroit de leur vie. Elle n'est un sommet que pour les hommes désintéressés qui ne se sont pas souciés d'en préméditer l'ascension, qui ont poursuivi paisiblement et dignement leur chemin dans la vallée du devoir, là où il passait. Les premiers, les âpres et cupides soupirants de ses faveurs, elle s'amuse d'eux, les lanterne, les regarde avec malice courir, lever les yeux, les bras, trébucher, tomber au moment où ils croient qu'ils la touchent, et elle les laisse finalement essoufflés et à jamais déçus. Ou bien alors, si elle accepte d'être attrapée par ces coureurs de l'orgueil, ce n'est que pour les perdre et les précipiter rapidement de plus haut. Tandis qu'au contraire, aussitôt bien disposée pour les seconds, les sages qui paraissent l'ignorer, elle prend leur direction en les suivant d'abord, les accompagne de côté, les escorte, tourne autour d'eux, et les conseille sans qu'ils sachent quelle voix amie leur parle tout bas. Prudemment, sans vaine fièvre, avec une habile lenteur, elle mène ainsi ses préférés jusqu'à la minute décisive où tout à coup, hâtant l'allure, et dépassant celui qu'elle guidait en arrière, elle lui révèle sa flatteuse et redoutable présence, sans se montrer à lui personnellement, car c'est une divinité singulière, invisible et impalpable qui n'existe que par ses manifestations d'une étonnante diversité. A peine a-t-elle fait son choix que l'homme investi de ce privilège entend, dès qu'il paraît, retentir des vivats. Il s'effraie, ne comprenant pas encore. «Quel est ce bruit? Où vont ces clameurs?» Et la voix mystérieuse lui chuchote: Ce bruit est pour toi. Ces cris poussés vont à toi--Ces chapeaux qui se lèvent?--Pour te saluer.--Ces sourires? ces baisers des femmes? ces fleurs des jeunes filles?--Pour toi aussi. Pour toi, cette allégresse générale qui, à, ton seul aspect, monte du coeur à la surface de tous les visages... et cette confiance épanouie... et ces regards, et tout ce que tu vois et tout ce que tu ne vois pas, est tout ce que tu sais et tout ce que tu ignores... ton image épinglée dans les chaumières, ton nom répété dans toute la France avec l'accent savoureux de chaque province, ton buste en plâtre, en pierre, en marbre,... enfin c'est moi qui te parle, moi la Popularité!... qui, à partir de cet instant, t'auréole et te transforme en t'accaparant. Pour tout ce que je te donne, en effet, je vais te prendre en entier. Tu ne t'appartiens plus, tu es à moi. Tout de ta personne, à présent, me revient de plein droit, tes traits, ton histoire, tes vieux parents, tes enfants, ta famille, ta maison, tes habits, tes serviteurs, tes chiens, tes goûts, tes manies... Tu n'as plus la permission d'avoir des secrets. De tout ce qui te touche je m'empare pour en faire des récits, des anecdotes, plaisantes et fausses, qui vont courir les gazettes et le monde. Je cite tes mots ou je les invente. Je te compose des sosies. Tu peux posséder dans ton passé une oeuvre longue et bonne, et de haut mérite, peu importe! N'aurais-tu rien fait que tu semblerais, en étant populaire, avoir fait quelque chose, quelque chose de grand par quoi tu m'as forcée. Aussi, comme tu vas être heureux en apercevant partout, sur les fronts, dans les prunelles des hommes, le gai reflet de tes désirs, de tes intentions, de ta bonne volonté, de tes fermes espoirs! Chaque inconnu, dans la foule, a l'air maintenant de te connaître et d'être ton ami. Le peuple te tutoie de loin. L'armée semble ton escorte naturelle. De te sentir aidé, deviné d'avance, et soulevé par le crédit universel, quelle belle joie, bientôt, n'éprouveras-tu pas? Tu boiras à longs traits la plus noble de toutes, celle de te savoir aimé, dans la plus confiante plénitude. Tu te diras... «Je protège et je rassure.» et la pesante servitude de ne plus jamais passer inaperçu te sera douce pourtant si tu penses qu'elle a pour cause cette étrange et instinctive cordialité du nombre qui ne s'abat jamais sur quelqu'un sans une raison sérieuse, apparente ou inexpliquée.»
Et, cependant, malgré ses magnifiques bénéfices et l'ampleur de ses émotions, la popularité est terrible et presque funeste. Comment l'entretenir et la garder sans se compromettre, ni s'atteindre et se diminuer? Même si elle se maintient, elle ne peut grandir. Forcément, elle baisse dès qu'elle dure. Elle a un tel appétit que peu d'hommes sont capables de l'apaiser. Plus on lui accorde, plus elle demande et réclame. C'est une dévoratrice. Enfin, elle n'a ni réflexion, ni logique, ni équité. A propos de rien, sans fournir de raison, elle s'en va comme elle était venue, en un jour, laissant éperdus et isolés ceux qu'elle abandonne et qui demeurent inconsolables d'avoir perdu son esclavage. Rien de navrant et d'abattu comme l'homme autrefois populaire et dégringolé dans, l'oubli! C'est une épave. Il traîne et meurt d'avoir été l'idole, devant laquelle aujourd'hui l'on passe sans tourner la tête. Et il assiste au triomphe de son successeur sans être consolé par l'idée que lui aussi Connaîtra l'ingratitude et la désertion des masses humaines.
Sans la prendre au tragique, aussi bien dans les, grâces qu'elle
dispense que dans la disgrâce qu'elle inflige, j'ai idée que la
popularité sera de la plus aimable clémence pour il. Poincaré, vers
lequel elle s'est déjà jetée spontanément. Notre nouveau président a
tout ce qu'il faut pour la maintenir avec gentillesse à sa place, et ne
pas se laisser gêner par elle. Il ne lui permettra pas d'excessives
familiarités. Il ni la laissera pas venir trop près, le coudoyer et
regarder dans ses affaires, et, sans la rebuter, il n'aura pas non plus
de faciles empressements à son égard. Elle aime assez d'ailleurs, au
fond, qu'on lui fasse sentir çà et là les distances, et elle considère
deux fois plus celui qui ne la courtise pas, dont l'accueil a le bon
goût de ne pas étaler une satisfaction trop béate. On n'a de chance de
la garder que par la bonne tenue de soi-même et l'exercice de la
dignité. Question de tact et de mesure qui n'est qu'un jeu sans effort
pour l'homme affable et fin, attentif et réfléchi, simple et de si
parfaite distinction générale qu'est M. Poincaré. Il est grave et il
sait sourire. Il a des yeux froids qui rayonnent d'intelligence et
s'éclairent de bonté. C'est plus qu'il n'en faut pour faire avec la
popularité un bon ménage, plus court que la plupart, des autres... Sept
ans.
Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
Cap. Chauvin. Lieut. Raymond. Poincaré. Ct de Chambonas.
Le lieutenant Raymond Poincaré (alors vice-président de la Chambre des
députés) et ses camarades du 1er bataillon territorial de chasseurs
alpins pendant une halte dans les montagnes d'Annecy.
--
Phot.
communiquée par le commandant de Chambonas.
On a dit ici, au lendemain de l'élection de M. Raymond Poincaré à la présidence de la République, quel soldat modèle fut cet homme appliqué à tous ses devoirs. A quelques jours de là, M. Marcel Knecht, le président de la «Prolonge Blandan», association amicale des anciens soldats du 26e régiment d'infanterie, où le futur président fit son année de volontariat et qu'il quitta avec les galons de sergent, lui délivrait cette attestation: que «le bi-licencié fut un soldat modèle et un parfait gradé». Nous avons mentionné aussi que, son service terminé, M. Raymond Poincaré passa l'examen d'officier, et qu'il accomplit avec zèle les périodes d'exercice que lui imposait la règle. Il laissa à tous ceux qui furent alors ses camarades, ses compagnons d'armes, le meilleur et le plus durable souvenir.
C'est ainsi que M. le commandant de Chambonas, qui connut M. Raymond Poincaré au 1er bataillon territorial de chasseurs alpins, où, en 1897, il faisait un stage comme lieutenant, s'empresse, avec une amabilité dont nous lui sommes reconnaissants, de nous communiquer les photographies qu'il conserve précieusement depuis cette époque.
Le «lieutenant Poincaré» y figure en tenue de campagne: on manoeuvrait alors dans les montagnes des environs d'Annecy; on menait là, avec entrain, une rude et saine vie. A une étape, un des camarades --le lieutenant Daudens--prit ces clichés, que le nouveau chef de l'État ne reverra sans doute pas sans émotion.
Dans la note qu'il nous donne pour accompagner et commenter ces documents, un parent de M. le commandant de Chambonas, M. le vicomte du Fresnel, nous rappelle qu'à cette époque M. Raymond Poincaré, qui avait déjà été deux fois ministre, était vice-président de la Chambre des députés (il le fut trois années de suite, de 1896 à 1898). A ce titre, il avait sa place marquée dans toutes les cérémonies officielles.
Or, le hasard voulut qu'une grande réception eût lieu à l'Elysée, tandis qu'il accomplissait sa période d'instruction. Le premier mouvement du lieutenant Poincaré fut de sacrifier au devoir militaire le devoir de représentation. Mais le président Félix Faure insista pour l'avoir près de lui en ce soir de fête.
M. Raymond Poincaré, par déférence, abandonna donc quatre jours le béret bleu pour venir à Paris. Seulement, sa période terminée, le bataillon territorial libéré, il tint à honneur de remplacer ce «temps perdu», et, pendant quatre jours supplémentaires, il demeura au 11e bataillon actif, qui administrait le 1er bataillon territorial. Combien de réservistes y mettent moins de zèle!
«Ceux qui ont eu alors l'honneur de le voir à l'oeuvre, écrit M. le vicomte du Fresnel, ont pu apprécier sa haute intelligence, ses qualités de travailleur infatigable, toujours hanté du souci d'apprendre davantage de son métier, afin de pouvoir se rendre encore plus utile à son pays.»
Une crise politique des plus graves sévit en ce moment au Japon où l'effervescence populaire est telle que, pendant trois jours, la foule, dans son ardeur à manifester contre le ministère Katsura, a soutenu de véritables combats avec la police et la troupe dans les rues de Tokio.
Le prince Katsura.
Le cabinet Katsura avait succédé, sous la pression du parti militaire, au cabinet Saïonji, très populaire pour son programme d'économie générale et de dégrèvement fiscal. Peu soutenu par la cour, et ne pouvant réussir à remplacer son ministre de la Guerre qui venait de démissionner sur un refus de crédits nouveaux, le marquis Saïonji dut se retirer, bien qu'il eût la majorité dans les deux Chambres, et le prince Katsura, qui avait été déjà deux fois premier ministre, de 1901 à 1906 et de 1908 à 1911, assuma la tâche ardue de concilier des intérêts en apparence inconciliables. Les événements nous montrent que l'éminent homme d'État n'y a pu réussir. La décision du gouvernement d'enlever les questions militaires à la compétence du Parlement nettement hostile, et dont, à deux reprises, furent prorogées les séances, a mis le comble à l'impopularité du ministère qui, sous la menace de toute une population ameutée, s'est résigné à abandonner le pouvoir.
Il est une faculté que l'on a depuis trop longtemps déniée aux Allemands, voire aux pangermanistes: c'est le sens de l'humour. Deux hommes, du moins, deux héros--car on les a vite tenus pour tels en leur pays, étant donné les difficultés de l'entreprise--auront, à peu d'années d'intervalle, tenté à ce point de vue une sorte de réhabilitation de l'esprit national. Ces deux «humoristes», qui jouissent aujourd'hui d'une égale et légitime popularité dans toute l'Allemagne et jusque dans les pays voisins, sont le cordonnier Voigt (l'inoubliable capitaine de Koepenik) et le sous-officier réformé Wolter, dont les exploits, non moins joyeux et d'une ingénuité de moyens tout aussi remarquable, datent à peine d'hier.
Vous paraîtrait-il agréable, histoire de rire un peu par ces temps vraiment trop maussades, de bouleverser l'un des plus vastes camps retranchés de l'Allemagne, d'amener un gros Zeppelin sur les fortifications, d'envoyer, en tenue de parade, au polygone de la ville militaire, 16.000 hommes, 30 généraux et colonels, un gouverneur de forteresse et un général commandant de corps tandis que tous les monuments se pavoisent? La chose est presque trop facile.
Le général von Egloffstein, gouverneur de Strasbourg. | Place Impériale à Strasbourg: la foule des immigrés attendant... le retour de l'empereur du polygone. | Le général von Fabeck, commandant le XVe corps. |
Voici: vous passez au bureau de poste de votre quartier, où vous rédigez un télégramme à votre propre adresse. Ce télégramme ne porte qu'un seul mot: oui , par exemple. Une demi-heure plus tard, un télégraphiste se présente à votre domicile et vous remet la dépêche. Alors vous grattez l'adresse, l'origine du télégramme et le oui , sans toucher aux autres indications. Puis vous écrivez l'adresse du gouverneur de la place et vous ajoutez quelques lignes péremptoires ordonnant la mobilisation des troupes. Hardiment vous abusez du nom de l'empereur Guillaume et, coiffé d'une casquette de télégraphiste, une longue pèlerine jetée sur vos épaules, vous allez porter vous-même cette dépêche au lieutenant qui commande le poste central. Le lieutenant transmet le télégramme au bureau du gouverneur, et, cinq minutes après, la garnison est «alarmée»; la générale retentit; une rumeur de guerre emplit la ville! Des têtes ornent toutes les fenêtres et des foules loyalistes encombrent toutes les rues, cependant que, tranquillement, vous allez prendre un bonne chope et même beaucoup de bonnes chopes dans une brasserie recommandée en attendant que finisse--car tout a une fin--la plaisante aventure.
Ainsi procéda, de point en point, il y a une dizaine de jours, l'ancien sous-officier d'administration d'artillerie Auguste Wolter, réformé depuis peu par l'autorité militaire, et qui, pour occuper ses loisirs et montrer aussi sans doute qu'il était encore bon à quelque chose, s'amusa, au lendemain du mardi gras, à mobiliser toute la garnison de Strasbourg-. Cela se passait le 5 février. Un homme--notre Wolter--portant la casquette à double galon rouge des agents des postes et télégraphes, pénétra au corps de garde de la place Kléber et remit au lieutenant de service une dépêche identique à celle dont nous donnons le fac-similé.
Au gouvernement général impérial, de Strasbourg
(Alsace).
--Toute la garnison doit être alarmée immédiatement par le
poste central. J'arrive par automobile à midi au polygone des
manoeuvres.--Guillaume Imperator Rex.
Télégramme--écrit au crayon bleu
sur papier jaune--absolument identique à celui par lequel le
mystificateur Wolter mobilisa la garnison de Strasbourg.
L'empereur à Koenigsberg, le jour où on l'attendait à
Strasbourg.
Le lieutenant envoie le pli au général'gouverneur von Egloffstein, qui
fait sauter le timbre. Une dépêche de Sa Majesté l'Empereur! Le général
bondit. Comment! L'empereur est en route pour Strasbourg et l'on n'en
savait rien! Heureusement que l'on a devant soi deux heures encore! Vite
des ordres, des estafettes, le téléphone, le tambour, tous les tambours
qui, dans toutes les casernes, dans toutes les rues, sur toutes les
places, battent la générale. Ainsi, dans la ville, et tandis que les
troupes munies des toiles de tente, de la gamelle et du manteau, se
hâtent vers le polygone, on apprend que Sa Majesté arrivera à midi pour
Auguste Wolter, en uniforme de sous-officier
d'administration d'artillerie.
--Phot. E. Dietsch.
passer la revue de la garnison. La Post fait vite vendre, par ses
hurleurs, une édition spéciale qu'on s'arrache. Majestueux et lourd,
l'
Ersatz-Zeppelin
sort, lui aussi, de la ville. Le statthalter est,
dès 11 heures, sur le terrain de manoeuvre où arrive en coup de vent le
prince Joachim, sorti de l'Université, et que reçoit le groupe doré des
Excellences militaires avec le chef de police en grand gala. Tout est
prêt. Les soldats sont alignés merveilleusement. Immobilité. Silence.
Midi sonne!... Une heure sonne! Puis la demie, les trois quarts!... Deux
heures, enfin!... L'empereur n'est pas là, toujours. Mais alors?... On
se décide enfin à téléphoner à Berlin qui répond que «l'empereur est à
Koenigsberg».
Demi-tour. En avant, marche! pour rentrer au quartier. Toutes les troupes repartent du pied gauche qui ne se soucie plus de lancer le pas de parade.
Et, pendant ce temps-là, l'impassible Auguste Wolter, qui venait de
disposer pendant quatre heures d'horloge de tout un corps d'armée
allemand, savourait tranquillement une excellente bière à la brasserie
du Tigre au faubourg National. C'est là que le découvrit et l'arrêta,
vers 4 heures de l'après-midi, un agent lancé sur ses traces. Et Wolter
fut emmené un peu vivement à la présidence de la police où finit, pour
lui, la petite fête dont on s'est beaucoup égayé à Strasbourg et dans
maints autres lieux d'Allemagne. Mais, paraît-il, l'empereur Guillaume
n'a pas été, cette fois, atteint par la contagion du sourire...
Albéric Cahuet.
Dr Wilson.
Lieut. Bowers.
Capitaine Scott.
Capitaine Oates.
Le capitaine Scott et ses compagnons, au pied du mont Erebus, avant le
départ vers le Pôle.
--
Phot. Ponting. Copyright.
D'un jour à l'autre nous nous attendions à recevoir la nouvelle de l'heureuse arrivée en Nouvelle-Zélande de l'expédition polaire de Scott, et voici qu'au lieu d'un joyeux message le télégraphe nous annonce une catastrophe. Après avoir conquis, lui aussi, un mois après Amundsen, le Pôle Sud, le chef de l'expédition et ses quatre compagnons sont morts de faim et de froid sur la route du retour, au moment où ils allaient atteindre le salut.
En janvier 1911, Scott s'établissait, avec douze compagnons, à la terre Victoria, sur les bords du sound Mac Murdo, à quelques kilomètres du point où il avait passé deux ans au cours de sa première exploration en 1901-1903, et tout près de celui d'où, en 1908, Shackleton était parti pour son mémorable raid. Le chef de la mission anglaise possédait donc le très grand avantage de connaître admirablement le terrain sur lequel il allait opérer; de plus, il n'avait point besoin de dépenser son temps et ses forces à chercher la meilleure route vers le Pôle, il lui suffisait de reprendre celle de Shackleton.
Une fois la station d'hivernage construite et aménagée, Scott employa l'automne à installer des dépôts de vivres sur la Grande Barrière, cet énorme glacier, large de 800 kilomètres environ et long de 600, qui s'étend en avant des puissantes montagnes au milieu desquelles se trouve le Pôle. Trois caches de vivres furent ainsi aménagées, la plus méridionale sous le 79° 30' de latitude; alors que, pendant ce temps, Amundsen réussissait à établir son dépôt extrême à 278 kilomètres plus près du Pôle. De ce fait et de ce que leur base d'opérations se trouvait environ 110 kilomètres plus au sud, les Norvégiens possédaient un avantage marqué sur les Anglais.
L'hiver s'écoula sans incident et, au début du printemps austral, le 2 novembre 1911, Scott se mit en route vers le Pôle, à la tête d'un important convoi de dix traîneaux tirés par autant de poneys. Entre temps, deux traîneaux automobiles chargés de fourrages et d'approvisionnements avaient pris l'avance, tandis que des attelages de chiens suivaient avec des vivres de réserve. Par suite de réchauffement des moteurs dû au mauvais fonctionnement de l'appareil de refroidissement par l'air, les tracteurs durent être abandonnés par 80° 30' de latitude. N'empêche qu'ils avaient fourni une traite de pas moins de 300 kilomètres sur le glacier, et singulièrement facilité les transports. Après cela, la marche sur la Grande Barrière continua très lente, sans cesse retardée par d'effroyables blizzards et de très abondantes chutes de neige. Seulement le 10 décembre, trente-huit jours après avoir quitté ses quartiers d'hiver, la caravane arrivait à l'extrémité méridionale de cette immense nappe de glace, au pied de l'énorme massif qui défend l'approche du Pôle. Dès le lendemain, avec sept compagnons, Scott entamait l'ascension des montagnes par le glacier Beardmore, qu'avait suivi Shackleton trois ans auparavant. Les fourrages étant épuisés, les poneys survivants avaient été abattus avant le début de l'ascension. Dès lors, les Anglais devaient s'atteler eux-mêmes à leurs véhicules, tandis qu'au moment de l'attaque des montagnes Amundsen possédait une meute de plus de quarante bêtes vigoureuses. Au début, la marche fut très pénible; toujours la tempête et la neige; par suite, une piste exécrable. Plus haut, le terrain devient meilleur, et les explorateurs avancèrent bon train, couvrant de 24 à 36 kilomètres par étape. Le 3 janvier 1912, Scott arrivait au 87° 32' de latitude, soit à 270 kilomètres du Pôle. Là, pour économiser les vivres, il renvoyait sur l'arrière trois de ses compagnons et continuait avec quatre hommes, le docteur Wilson, deux officiers, le capitaine Oates et le lieutenant Bowers, et un sous-officier, Evans. Quinze jours plus tard, le 18 janvier, juste un mois et un jour après Amundsen, la petite caravane parvenait au Pôle où elle trouvait la tente et le document laissés par les Norvégiens comme preuves de leur passage. Pour ces braves, quelle cruelle déconvenue! Avoir peiné pendant des mois, et, au dernier moment, se voir enlever la victoire par un concurrent plus heureux! Le coup était rude, et qui sait, peut-être sa violence entama-t-elle la force de résistance des explorateurs et prépara-t-elle ainsi, dans une certaine mesure, la catastrophe finale.
L'itinéraire du capitaine Scott et celui de Roald
Amundsen.
Si l'ascension du glacier Beardmore avait été difficile, encore plus pénible fut la descente. Sans répit, la tempête et la neige, et toujours un froid très vif, 30° et 40° sous zéro, à une époque correspondant à la fin de juillet et au commencement d'août sous nos latitudes. Finalement, le 15 février, au prix d'efforts surhumains, on arrive à la fin du glacier Beardmore, au pied des montagnes. Là, le sous-officier Evans succombe aux fatigues et aux privations.
Cependant, les grosses difficultés semblent vaincues. Du pied du glacier aux quartiers d'hiver du sound Mac Murdo, il n'y a plus que 650 kilomètres, et sur toute cette distance, c'est la plaine de là Grande Barrière. Mais l'adversité s'est acharnée sur la malheureuse expédition. La température devient excessive; dans la journée le thermomètre oscille autour de 35° sous zéro et, la nuit, tombe à 43°! Avec cela, constamment un vent debout qui rend le froid encore plus âpre, et, à chaque instant, des blizzards et des chutes de neige. Dans de telles conditions, combien est épuisant le halage des traîneaux!
En même temps, la lenteur des progrès oblige à la diminution des rations; il importe avant tout de garder une quantité de vivres suffisante pour atteindre le dépôt le plus méridional, l' One Ton Camp , la cache contenant une tonne de conserves. C'est ainsi que plus la lutte devient pénible, plus la force de résistance des voyageurs diminue. Après un mois de marche, Scott se trouve encore à plus de 250 kilomètres de la station.
Sur ces entrefaites, le capitaine Oates, gravement «mordu» par la gelée aux pieds et aux mains, s'affaiblit de jour en jour; le malheureux se traîne plutôt qu'il ne marche. Malgré ses instantes prières, ses camarades refusent de l'abandonner, et, pour lui permettre de suivre, ralentissent leur allure, alors que chaque heure perdue diminue les chances de salut de la caravane entière.
Le 16 mars, la petite troupe se trouve retenue sous la tente par la tempête, lorsque Oates, à toute extrémité, parvient à se lever dans un suprême effort: «Je sors, et resterai dehors quelque temps», dit-il. Comprenant sa résolution, ses compagnons s'efforcent de le retenir; leurs supplications demeurent inutiles... et ce vaillant disparaît pour toujours dans l'ouragan blanc. «Oates, écrit Scott, avait coupé lui-même le lien d'affection qui conduisait ses amis à la mort.»
Après ce drame, les trois survivants lèvent immédiatement le camp et, en dépit de la tourmente, poursuivent leur marche désespérée. Encore un effort, le dépôt du 79° 30' n'est plus loin. Après cinq jours de fatigues surhumaines, ils vont toucher le but, lorsque, le 21 mars, à 20 kilomètres de la précieuse «cache» de vivres, un nouveau blizzard , plus terrible que les autres, fond sur les infortunés voyageurs. Leurs caissons de vivres sont presque vides, et toujours l'ouragan fait rage. C'est ainsi que, lentement, ces héroïques pionniers succombent les uns après les autres, aux tortures de la faim et du froid, gardant, jusque dans l'agonie, la plus admirable sérénité. Scott et ses trois compagnons sont morts en héros de Plutarque.
La veuve et l'enfant du capitaine Scott. Photographie prise avant le départ de Mrs Scott, qui s'est embarquée le 4 janvier dernier pour aller au-devant de son mari, en Nouvelle-Zélande, et qui a appris la fatale nouvelle à Honolulu. |
Le capitaine Scott, avant son départ. -- Phot. Russell and sons, Southsea. Défaillant, le chef de l'expédition trouve encore la force de tenir un journal et d'adresser au peuple anglais un suprême message, admirable de simplicité et de grandeur d'âme: |
«Nous sommes faibles, écrit Scott, nous pouvons à peine tenir la plume. Pour ma part, je ne regrette pas d'avoir entrepris cette expédition; elle montre l'endurance dont sont capables les Anglais, leur esprit de solidarité, et prouve qu'aujourd'hui ils savent regarder la mort avec autant de courage que jadis.
» Nous avons couru des risques; nous savions d'avance que nous les courrions.
» Les choses ont tourné contre nous, nous ne devons pas nous plaindre, mais nous incliner devant la décision de la Providence, décidés à faire de notre mieux jusqu'à la fin.
» Si, dans cette entreprise, nous avons volontairement donné nos vies, c'est pour l'honneur de notre pays. J'adresse donc un appel à mes compatriotes, et les prie de veiller à ce que ceux dont nous étions les soutiens dans la vie ne soient pas abandonnés.»
Dès les premiers jours de mars, l'escouade demeurée aux quartiers d'hiver s'était portée en avant au secours du chef de l'expédition. Malheureusement, le mauvais temps paralysa ses mouvements. Ce fut seulement six mois plus tard, en octobre dernier, au début du printemps austral, que les recherches purent être reprises; elles aboutirent à la découverte des cadavres des héroïques explorateurs et des carnets racontant leur effroyable agonie.
La catastrophe est due principalement à des conditions météorologiques adverses et au mauvais état de la neige qui en a été la conséquence. Alors que. sur la Grande Barrière, Amundsen n'a point éprouvé de grosses tempêtes et n'a essuyé que deux tourmentes dans les montagnes, Scott a été pour ainsi dire constamment enveloppé par des blizzards . Shackleton, lui aussi, fut assailli par de fréquents ouragans et rencontra de vastes espaces recouverts de neige molle. De plus, les nombreuses séries d'observations faites dans le sound Mac , Murdo par les trois expéditions anglaises qui y ont hiverné montrent la fréquence des ouragans dans cette région. Il est donc évident que la route anglaise vers le Pôle Sud, c'est-à-dire la partie occidentale de la Grande-Barrière située au pied des hautes montagnes de la terre Victoria, forme une sorte de trou du vent, au fond duquel tombent d'abondantes masses de neige. Au contraire, plus à l'est, au large de cette chaîne, la partie médiane de la Grande Barrière, qui a été parcourue par les Norvégiens, est une zone de calme relatif. De plus, les autorités en matière d'exploration polaire, Nansen, Shackleton, attribuent l'affaiblissement progressif de la caravane au scorbut. La terrible maladie avait visité l'expédition avant le départ pour le Pôle; un des membres de l'escouade du sud avait même été atteint. Il est donc permis de penser que, pendant la marche vers le Pôle, l'alimentation exclusive en conserves, jointe aux fatigues de la route, a déterminé une nouvelle éclosion traîtresse de la redoutable affection, dont les lents progrès ont mis les vaillants explorateurs hors d'état de résister aux intempéries et aux privations.
D'autre part, une des causes du désastre doit être cherchée dans
l'absence d'animaux de trait au moment de l'assaut final. Tandis que des
meutes bien entraînées enlevaient rapidement les traîneaux d'Amundsen,
les Anglais durent haler à bras les leurs dans la pénible escalade des
montagnes. Enfin, Scott et ses compagnons n'avaient point cette maîtrise
du ski que possèdent les Norvégiens habitués dès l'enfance à l'emploi de
ce patin. De là, la lenteur des étapes, qui a conduit à la mort ces
héroïques explorateurs.
Charles Rabot.
Le château présidentiel et l'école militaire de
Chapultepec, près de Mexico. Le château est la résidence habituelle du
président Madero; les élèves de l'école militaire sont, selon les uns, à
la tête de l'insurrection,--selon les autres, de la résistance.
M. Madero, qui, il y a bientôt deux ans, contraignait par la force M. Porfirio Diaz à abandonner le pouvoir, et que la révolution victorieuse portait alors à la présidence des États-Unis du Mexique, vient à son tour d'éprouver les hasards d'une sédition militaire, dirigée, cette fois, contre lui. Dimanche dernier, les partisans du général Félix Diaz, neveu de l'ancien président, entraînaient presque toutes les troupes de la garnison et, avec ce concours, délivraient leur chef, emprisonné depuis l'insuccès de sa précédente tentative insurrectionnelle. Après un violent combat entre les troupes fédérales et les rebelles, ceux-ci s'emparaient de l'arsenal, et le général Félix Diaz se proclamait lui-même président de la République.
Le président Madero. -- Phot. comm. par M. Adossidès |
Le général Félix Diaz. -- Phot. comm. par M. Humblot. |
En un pays où les questions de personnes sont seules en jeu, ce ne sont point des raisons politiques qu'il faut chercher à un tel mouvement. Depuis longtemps déjà, M. Madero avait à lutter contre les menées de nombreux adversaires. «Dès ses débuts, nous écrit M. N. C. Adossidès, qui est fort averti des origines de la crise actuelle pour avoir récemment séjourné au Mexique, le nouveau président fut l'objet de critiques acerbes; on alla jusqu'à affirmer qu'il s'était fait rembourser les frais occasionnés par la révolution. A vrai dire, les mécontents, ses anciens amis pour la plupart, se plaignaient surtout de n'avoir pas reçu un prix suffisant de leurs services, et si l'on voit aujourd'hui certains généraux, ses partisans d'autrefois, faire cause commune avec Félix Diaz, c'est que Madero dut résister énergiquement à leurs exigences exorbitantes.
» Pasqual Orozco et Zapata devinrent ainsi ses ennemis acharnés. Leur aide lui avait été indispensable pour conquérir le pouvoir, car, véritables chefs de bandes, ils avaient à leur disposition des hordes vite excitées par l'appât de riches butins. Le succès de Madero assuré, ils l'accusèrent de ne point tenir ses promesses, et reprirent les armes contre lui.
» Déconsidérés, sans prestige, ils n'étaient pourtant pas les plus à craindre. Un autre adversaire, beaucoup plus redoutable à cause de l'estime qui s'attachait à son nom, se mit bientôt sur les rangs: le général Félix Diaz, très populaire dans l'armée, réussit, au mois d'octobre dernier, avec quelques centaines d'hommes, à s'emparer de Vera-Cruz. Arrêté peu de jours après, il fut condamné à mort par la cour martiale; mais l'opinion publique intervint en sa faveur, et Madero commua sa peine en celle des travaux forcés.»
Le général Diaz paraît avoir rencontré, à Mexico, de vives résistances. Les troupes fidèles ont livré aux mutins de nombreux engagements, et l'on annonce que M. Madero, demeuré maître du palais national, organise la lutte, tandis que, d'après certaines informations, Mme Madero résiderait toujours au château de Chapultepec, à quelques kilomètres de la capitale.
Le 10 février, à Carlsruhe, au cours d'un bal au château grand-ducal de Bade, l'empereur Guillaume a officiellement annoncé les fiançailles de la princesse Victoria-Louise de Prusse et du prince Ernest-Auguste de Cumberland, petit-fils du roi de Hanovre et héritier présomptif--depuis la mort de son frère aîné le prince Georges--du grand-duché de Brunswick. L'événement est d'importance; les fiançailles scellent en effet la réconciliation des maisons de Prusse et de Hanovre de même que le Le prince Ernest-Auguste de Cumberland. Phot. Hutzel. |
Une fiancée en uniforme des hussards de la Mort: la princesse Victoria-Louise de Prusse. |
mariage de l'empereur Guillaume avec une princesse de Schleswig-Holstein mit fin à une autre vieille querelle. On ne croit point que le duc de Cumberland, père du fiancé, puisse renoncer lui-même officiellement à ses droits sur le Hanovre; mais sans doute abdiquera-t-il en faveur de son fils, ce qui permettrait de résoudre la question de la souveraineté du Brunswick, actuellement administré par une régence qui doit cesser lorsque les Cumberland, héritiers du grand-duché, auront renoncé à leurs prétentions sur le Hanovre.
La princesse Victoria-Louise a vingt ans. Elle est blonde, fine, spirituelle, vive, et, par ses saillies espiègles, met beaucoup d'animation jeune à la cour de Potsdam. Le prince Ernest-Auguste, âgé de vingt-cinq ans, est un officier bavarois de belle allure.
LA «MARISMA».
--Auprès d'une hutte de berger, M. Henri
Lagatu, professeur
de chimie à Montpellier, chargé de l'expertise, et
son guide.
Photographie de M. Louis Bertrand, communiquée par M. H. del
Camino,
principal propriétaire de la Marisma.
Notre correspondant de Madrid nous écrit:
Une rapide excursion vient de me faire connaître la région des marais du Guadalquivir dont la concession au «Crédit foncier du Sud de l'Espagne» est l'objet d'une enquête judiciaire, prélude, à en croire certaines informations, d'un scandale analogue à l'affaire Rochette, où seraient compromis 5 millions et impliquées de hautes personnalités espagnoles et françaises.
Ces marécages ne sont pas ceux que les touristes qui descendent en bateau le Guadalquivir de Séville à Sanlucar de Barrameda peuvent apercevoir, s'étendant à perte de vue sur leurs deux rives et servant de pacages aux troupeaux de taureaux de course. Les terrains désignés dans le dossier sous le nom de «Marisma Gallega d'Aznalcazar» et de «Lago de Almonte», sont situés à l'ouest du bras droit du Guadalquivir, dit «Brazo de la Torre», non navigable sauf pour de petites embarcations.
Vue du Carlo Travieso. Dans le fond passe au grand trot
une troupe de chameaux qu'il a été impossible d'approcher.
Phot. Louis
Bertrand, communiquée par M. H. del Camino.
]
Occupant, depuis Coria del Rio jusqu'à l'embouchure, l'emplacement probable de l'ancien estuaire du fleuve, ces terrains d'alluvion, abondants en silice, se présentent tantôt sous l'aspect d'un sol pulvérulent et grisâtre, tantôt couverts d'herbes aquatiques et semblables à des rizières ou aux pampas américaines. Ils sont parsemés de trous appelés «ojos» (yeux), sources insondables, dissimulées sous des couches de mousse, mais que le bétail de ces parages a l'instinct d'éviter, et traversés par tout un réseau de canaux («canos» ou «canadas»), les uns d'eau courante, les autres aveuglés. On y trouve enfin quelques «lueios», sortes de lagunes où séjournent le plus longtemps les eaux. Du côté de la mer, le long du rivage, les marais sont bordés par de vastes dunes de sable, et, du côté de la terre, par d'immenses forêts de pins, d'eucalyptus, de chênes et de palmiers nains, réparties en plusieurs grandes propriétés, notamment celle de la comtesse de Paris à Villamanrique, sa résidence, la chasse royale du «Coto del Rey», et surtout le «Coto de Doña Alla», fameux par l'abondance et la variété de sa faune presque unique en Europe, où l'on chasse encore le sanglier à l'épieu, comme au moyen âge, et où l'on a pu même acclimater des chameaux, amenés des Canaries. Les marais eux-mêmes sont d'ailleurs abondants en gibier d'eau.
Carte des marais du Guadalquivir.
Cette vaste étendue se divise en plusieurs parties: la «marisma d'Aznalcazar», qui commence près du bourg de ce nom, à l'est de Villamanrique, et couvre 25.000 hectares; la «marisma Gallega», d'une superficie de 15.000 hectares, comprise entre le «Brazo de la Torre» et le «Caño Travieso», et la «marisma de Hinojos», voisine du «Lago de Almonte», bande de terrain argileux et assez ferme, qui n'est couverte d'eau qu'en hiver.
Pour mettre cette contrée en exploitation agricole, il faudrait, au moyen du drainage des canaux, l'assécher, et en même temps débarrasser la terre du sel dont elle est imprégnée: ces opérations exigeraient évidemment de longs et coûteux travaux. Plusieurs tentatives ont déjà été faites en ce sens; leur histoire, fort intéressante pour l'intelligence de l'affaire Péquignot, vaut d'être brièvement contée.
C'est en 1876 que la première concession pour l'assèchement des marais d'Aznalcazar, qui appartiennent, pour la plus grande part, à M. Hilario del Camino, de Séville, fut faite en faveur de MM. Moréno Benitez et Iscar moyennant une caution de 10.000 pesetas et un délai de dix ans pour achever les travaux et douze ans pour livrer le terrain à la culture. Mais rien de sérieux ne fut exécute, et M. Iscar chercha, en 1897, à revendre, pour 50.000 pesetas seulement, sa concession à M. Hilario del Camino, qui n'en offrit que 2.000 pesetas,--ce qui donne une idée de la valeur de ce titre dont Péquignot a tiré depuis 5 millions! Entre temps, plusieurs ingénieurs étrangers ou espagnols étaient venus opérer des relevés sur le terrain, et l'affaire avait été successivement étudiée par une «Compagnie péninsulaire» domiciliée à Madrid, par M. Sundheim, propriétaire de mines à Huelva, et plusieurs autres, sans qu'aucun y donnât suite. La concession primitive Benitez-Iscar semblait donc légalement périmée, lorsqu'un décret royal du ministère des Travaux publics, en date du 12 juillet 1910, la renouvela en faveur d'un M. Fernando Cazana; puis un autre décret du 19 juin 1911 transféra cette concession (en même temps que celle du lac d'Almonte, adjugé en 1910 aussi à un M. Zapata) à MM. Caraux et Louis Renaut, le premier la cédant au second. Enfin, un troisième décret, en date du 10 mars 1912, attribuait cette même concession à M. Paul Péquignot (qui apparaît alors pour la première fois et ne s'est jamais rendu personnellement aux «marismas»), comme conseiller-délégué du «Crédit foncier du Sud de l'Espagne».
Depuis, on n'avait rien su de l'affaire à Séville, jusqu'à l'arrivée, en vertu d'un mandat judiciaire, de M. Henri Lagatu, professeur de chimie à l'École nationale d'Agriculture de Montpellier, commissionné comme expert agronome pour l'analyse des terrains. Il y séjourna, il y a un mois, plus de vingt jours, en compagnie de M. Louis Bertrand, agent du consulat français.
Les résultats des investigations de M. Lagatu appartiennent encore au secret de l'instruction; mais nous croyons savoir que, d'accord avec les autres personnalités compétentes, il admet la possibilité de l'assèchement et de l'exploitation agricole des «marismas» à force de temps et d'argent. Seulement, quelles qu'en soient les difficultés matérielles, l'entreprise ne serait possible que si les concessionnaires étaient ou devenaient vraiment les possesseurs du terrain. Tel n'était point précisément le cas.
Il semble en outre singulier que, tandis que les décrets de concessions
se succédaient, la Direction des Travaux publics de la province de
Séville déclare ne posséder aucun dossier à ce sujet. Mais c'est à
l'instruction qu'il appartient d'élucider toutes ces anomalies et le
rôle des diverses personnalités impliquées dans cette affaire, qui vient
de motiver la démission de l'ambassadeur d'Espagne à Paris, M. Pérez
Caballero.
J. C.
Déjeuner à la pagode du Nuage de Jade vert
(Pi Yunn
Sseu): à gauche, vêtu de bleu, le bonze de la pagode.
Les buts d'excursions aux environs de Pékin sont nombreux et intéressants. Je ne vous parlerai pas de celle au tombeau des Ming et à la grande muraille, qui est classique; je n'ai pas pu la faire, empêché que j'étais par tous mes rendez-vous. Mais nous en avons fait une, délicieuse, au temple de Pi Yunn Sseu (Pagode du Nuage de Jade vert) près du Parc de Chasse, en compagnie de l'aimable M. Bouillard, qui s'était chargé de l'organisation et du ravitaillement.
Partis de Pékin en auto vers 2 heures, nous sommes arrivés trois quarts d'heure après devant le Palais d'Été où nous avons trouvé des ânes et des chevaux qui nous ont amenés, vers 5 h. 1/2, au Temple, situé au pied des premières collines de l'Est.
Là, dans un décor saisissant, se dresse le plus admirable monument qu'on puisse imaginer. C'est, dans un amphithéâtre naturel d'une grande allure, une succession de portiques, de ponts, de cours, de terrasses, d'escaliers, de pagodes, de pavillons qui escaladent la pente, assez forte, de la colline et conduisent au sommet d'une tour bouddhique, sorte d'autel grandiose, érigeant ses pylônes à multiples étages et ses bas-reliefs de pur art hindou dans un ciel resplendissant. Des polychromies peintes aux portiques en bois, on passe aux arcs de triomphe en céramique, puis on arrive peu à peu aux marbres hâlés et imprégnés de soleil, patines à plaisir et ciselés comme des orfèvreries... C'est une merveille.
Ces morceaux d'architecture bouddhique ne sont pas rares à Pékin et dans ses alentours. C'est, m'a dit M. Bouillard, à l'empereur Tien Long, souverain lettré, artiste et très éclectique, qu'on doit l'introduction, en Chine, d'une certaine quantité de dogmes de la religion hindoue et, par suite, de monuments inspirés des traditions bouddhiques. Ce souverain fit même venir à Pi Yunn Sseu des architectes et des artistes de l'Inde pour exécuter cette partie de la construction, qui se trouve enchâssée dans le temple chinois comme un diamant dans du jade.
Tien Long devrait être adopté comme patron par les calligraphes. Un autographe de lui était--et est encore--considéré par les Chinois comme un chef-d'oeuvre. Les temples les plus célèbres et les plus admirés sont ceux auxquels, par faveur spéciale, il a fait don d'une page de son écriture qui, soigneusement et fidèlement reproduite dans ses moindres détails, a été gravée sur une stèle de marbre blanc, dressée à la place d'honneur, sous un pavillon spécial. Les Chinois, grands admirateurs de l'art graphique, prennent, dans tous les endroits où il s'en trouve, de nombreux calques et empreintes de ces caractères impériaux. Toutefois, leur respect de l'écriture ne va pas jusqu'à leur faire oublier celui de la saleté, et presque toutes ces inscriptions demeurent badigeonnées du noir de fumée qui a servi à les décalquer et qu'on ne se donne pas la peine de laver une fois l'opération terminée.
Ces gens sont tout en contradictions.
La plupart des gardiens laissent froidement opérer sous leurs yeux les profanations les plus honteuses. Du reste, ce ne sont pas précisément des gardiens: ce sont des hommes quelconques, qui habitent là dedans, tout simplement, on ne sait en vertu de quel droit; personne ne les paie, ils ne dépendent de personne et vivent uniquement des pourboires des visiteurs.
On pourrait leur confier la Joconde, si on la retrouve.
La partie artistique de notre excursion était agrémentée d'un service de subsistances qui ne laissait rien à désirer et qui avait bien son charme, croyez-moi. Les boys de M. Bouillard, sous la conduite du cuisinier, étaient partis avant nous, emportant un matériel complet de couchage, des ustensiles de cuisine, d'abondantes provisions de bouche, la vaisselle et les valises.
A l'entrée du temple, un vieux bonze nous a accueillis aimablement. Les boys avaient installé nos lits dans les diverses chambres de la pagode et servi des rafraîchissements dans une des cours ombragées et fleuries, près d'une source au réjouissant murmure, dans laquelle étaient plongées, jusqu'au goulot, de nombreuses bouteilles aux formes variées.
Jusqu'au soir nous visitâmes la pagode dans tous ses détails, ne nous lassant pas d'admirer et de nous émerveiller.
Après un succulent dîner et une agréable soirée de causerie, nous fûmes nous coucher. Chacun de nos lits, qui avaient été dressés sur des estrades, au fond des chambres entre deux brûle-parfums de bronze entourés d'inscriptions, avait l'air d'attendre quelque bouddha souriant et pansu, comme celui qui, bienveillant, au milieu des décombres, siège à l'entrée du temple.
Les rizières de la banlieue de Pékin, vues de la Fontaine
de Jade.
Au dehors, les clochettes pendues aux corniches retroussées se mirent à linter discrètement dans la nuit au gré des bouffées de brise, et je m'endormis du sommeil du juste.
Le lendemain, promenade au Parc de Chasse et visite des ruines d'une lamaserie thibétaine, autre fantaisie de Tien Long. Il faudrait la plume évocatrice de Loti pour vous dire le charme et la grandeur de ces lieux, l'étrangeté des grands pins blancs aux troncs tourmentés, qu'on croirait enduits d'une couche d'argent, et au feuillage en bronze patiné.
Il y a des arbres partout, dans ces temples; ils ont l'air de faire partie de l'architecture. Les beaux artistes qui créèrent ces merveilles ont certainement tenu compte de leur présence lorsqu'ils combinèrent leurs plans, et ils ont bâti en les respectant et en les utilisant comme accessoires décoratifs. Certains d'entre eux, plusieurs fois centenaires, sont d'une forme et d'une couleur inimaginables.
En vérité, je vous le dis, la Chine est un admirable pays.
A la suite d'un déjeuner finement arrosé, nous fîmes nos adieux au bonze qui était venu, sans façon, boire avec nous le petit verre de cognac de l'amitié et fumer la cigarette de paix. Il va sans dire que le pourboire traditionnel ne fut pas oublié. De nouveau, sur nos ânes ou nos chevaux, nous suivîmes la route aux dalles disjointes et usées, nous éloignant à regret de cette émouvante oeuvre d'art.
Sur le chemin du retour se trouve, près du Palais d'Été, une autre belle chose --la Fontaine de Jade--qui mériterait toute une littérature. De là on découvre l'immense Pékin dans toute sa plate étendue, avec, au premier plan, en avant du Palais d'Été, une succession de rizières inondées dont les digues forment comme un réseau de cloisonné.
Entrée de l'ancien Ouaï Ou Pou (ministère des Affaires
étrangères).
Yuan Chi Kaï, président de la République chinoise.
Dessin d'après nature de L. Sabattier, sur lequel le Président a apposé
sa signature.
16 juin.
La patience est une vertu chinoise, il faut le croire, et la mienne fut soumise ici à une longue épreuve. Non pas que j'aie été le moins du monde victime du mauvais vouloir des hauts personnages dont je voulais faire de rapides portraits. Au contraire, dès mes premières démarches, ils m'ont fait répondre que ce serait avec plaisir, mais qu'ils étaient très occupés et qu'il fallait attendre.
J'ai tellement attendu que j'ai eu un moment de désespérance; mais, grâce à l'infatigable obligeance du général Munthe, à qui notre ministre, M. de Margerie, avait bien voulu demander de m'obtenir les audiences que je sollicitais, j'ai, enfin, été reçu par le président de la République chinoise.
Le nouveau Ouaï Ou Pou (ministère des Affaires étrangères), résidence actuelle de Yuan Chi Kaï, est un vaste bâtiment en briques grises, tout neuf. tout américain, d'architecture vaguement palatiale, d'un style yankee assez prétentieux, genre gratte-ciel, moins les étages. On y accède par une étroite ruelle tout encombrée de soldats et où les pousse-pousse eux-mêmes ont peine à se croiser. Comme c'est une construction à l'européenne--à l'américaine, veux-je dire--l'entrée ne comporte pas le fameux pan de mur ornementé qui, devant tous les yamen, tous les temples et même les maisons particulières (quand il y a de la place), empêche les mauvais esprits de pénétrer; mais on l'a remplacé, à l'intérieur, dans la cour, par un monumental paravent de bois, très moderne lui aussi, qui leur barre fort bien la route ou, en tout cas, les oblige à faire un détour qui brise leur élan.
Yuan Chi Kaï m'a reçu dans son vaste cabinet où rien, vraiment, ne rappelle la Chine; pas un meuble, pas un objet d'art qui ne soient modernes; c'est confortable et cossu. Le Président, venu très courtoisement au-devant de moi jusqu'à la porte, me tend la main à l'européenne et me souhaite la bienvenue par l'intermédiaire du général Munthe. C'est un homme d'une soixantaine d'années, semble-t-il, au torse puissant et aux jambes courtes; les mains sont petites et fines. Il est vêtu du nouvel uniforme chinois en toile kaki, avec des boutons dorés, des broderies au collet, des pattes d'épaulettes à étoiles et des aiguillettes. De courtes bottes molles complètent cette tenue d'une irréprochable correction mais dont la sobriété me fait penser--avec quel regret!--aux anciens atours abolis. Son Excellence devait avoir grande allure, en robe de mandarin...
L'air bienveillant et affable de mon modèle, son sourire infiniment bon, me semblent justifier tout le bien que m'en a déjà dit le général Munthe qui n'en parle qu'avec le plus affectueux respect, vantant chaleureusement sa bonté et sa fidélité envers ses amis.
Je crois pourtant qu'il vaut mieux ne pas être de ses ennemis; mais, n'ayant eu ni le temps ni les éléments nécessaires pour me faire sur lui une opinion définitive, je m'en tiens à celle du général Munthe.
Après quelques phrases de politesse, le Président s'est assis à son bureau et, sur ma demande, a continué à s'occuper des affaires courantes, examinant des papiers, prenant des notes, donnant des signatures. Celle qui orne mon croquis est de sa propre main, bien entendu, et c'est, m'a dit ensuite son secrétaire, une faveur qu'il ne prodigue pas. Quant à mon dessin, tout en étant assez ressemblant, il n'est pas fameux, je suis le premier à le reconnaître; mais, je peux bien le dire sans lui manquer de respect, le Président a très mal posé. Je ne pouvais pourtant pas me permettre de rappeler à l'ordre un tel chef d'État.
L'exemple parti de si haut n'a pas tardé à être suivi, et, après le président de la République, le président du Conseil, la plupart des ministres, vice-ministres et secrétaires, m'ont, à l'envi, accordé quelques moments de pose; si bien que, maintenant, je ne sais plus où donner de la tête.
Beaucoup de physionomies intéressantes, parmi ces hommes politiques de la nouvelle Chine, les unes fines, les autres énergiques, des malicieuses, des bonasses, toutes énigmatiques. Les Chinois sont si loin de nous!
Le président du Conseil, Tong Shoa Yi, qui parle admirablement l'anglais, m'a paru être remarquablement intelligent.
C'est une curieuse figure que la sienne: la proéminence de l'arcade sourcilière sous la fuite du front, la minceur de la bouche sous la moustache émondée, la pesanteur du regard derrière les lunettes, composent un ensemble d'une austérité un peu inquiétante. La parole est sobre et précise; la voix grave n'a rien des tonalités aiguës particulières aux Chinois. Tong Shoa Yi a étudié en Amérique, où il a longtemps séjourné, et d'où il paraît avoir rapporté, en même temps que l'accent du pays, un esprit pratique et des idées modernes bien arrêtées.
Le nouveau Ouaï Ou Pou.
Il avait revêtu, pour poser, un veston en flanelle blanche de coupe assez analogue à celle de la vareuse de nos marsouins: col droit et deux rangs de boitons; pantalon européen, naturellement. Comme il me demandait mon avis sur ce complet qui, dans son idée, est destiné à devenir le vêtement national, sorte d'uniforme civil, je lui ai répondu qu'il avait l'air très confortable et très commode et que, si on l'adoptait, il ne fallait pas manquer de prescrire, comme on fait en France pour nos soldats, de boutonner à droite la première quinzaine et à gauche la seconde, pour éviter d'user toujours le même côté. Quand on fait une loi somptuaire, il faut la faire complète.
PI YUNN SSEU (LA PAGODE DU NUAGE DE JADE VERT).--Le
portique de marbre.
Aquarelle de L. Sabattier.
Le secrétaire général de la présidence de la République,
Liang Che Yi.
Une chose qui m'a fait beaucoup de peine c'est de voir, sur tous les bureaux présidentiels ou ministériels, des porte-plume et de l'encre. O progrès!
Où est le bel encrier chinois dans lequel on voit les lettrés des peintures anciennes délayer leur encre avec une attention et un soin si touchants? Où est le beau bâton d'encre de Chine, avec ses ornements et ses devises ou ses pièces de vers moulées en beaux caractères anciens ou modernes? J'en ai un splendide, qui porte en lettres dorées ces mots: «Puissé-je vous servir encore dans dix mille ans!»
Le tout est remplacé, maintenant, par une boîte en cuivre, ronde ou carrée, contenant une pâte noire toute préparée qui doit être fabriquée et vendue en gros par les Japonais, ces Allemands de l'Extrême-Orient.
On dirait une boîte à cirage.
Je sais bien, c'est plus commode, plus vite fait, mais puisque le temps ne compte pas, en Chine...
Ces détails semblent indiquer un état d'esprit alarmant au point de vue du pittoresque et une tendance à réformer moins les moeurs ou les institutions que les choses. Il est plus facile de frapper l'oeil que l'esprit. Si les tailleurs et les architectes s'en mêlent, il ne restera bientôt plus rien de beau à voir à Pékin.
Tsaï Ting Kan, secrétaire particulier de Yuan Chi Kaï, est bien le Chinois le plus aimablement accueillant que j'aie encore rencontré. Il est fin, spirituel et de bonne humeur, avec de la malice plein la face. Il parle, lui aussi, très bien l'anglais, et, en causant avec lui, on finit par avoir l'impression que le costume national, qu'il a conservé, est un déguisement; d'autant plus que, sous sa longue lévite bleue, il porte un pantalon de drap et des bottines à boutons. Mon admiration pour la Chine et mon enthousiasme pour son art lui ont causé un visible plaisir et, lorsqu'il a su ma passion pour les caractères chinois, il m'a offert le plus délicat témoignage de sympathie sous la forme d'une collection de pinceaux à écrire que je considère comme un très précieux cadeau.
Le ministre des Finances, Hsiun Si Ling. Le secrétaire particulier de Yuan Chi Kaï. |
Le ministre de l'Intérieur, Tchao Ping Tiunn. Le président du Conseil, Tong Shoa Yi. |
Les cinq personnages ont apposé sur les croquis originaux de L. Sabattier leur signature autographe des deux derniers en écriture latine en même temps qu'en écriture chinoise.
Une partie peu visitée du Palais d'Été.
Liang Che Yi, secrétaire général de la présidence, m'a reçu d'un air fort enjoué et n'a cessé de rire pendant toute la séance, en bavardant avec le général Munthe qui, fidèlement, me sert d'introducteur et d'interprète auprès de Leurs Excellences. Celui-là ne parlant que le chinois, je suis forcé de le juger sur l'apparence, ce qui fait un peu partie de mon métier; et quelques vers de la fable du Souriceau me viennent à la mémoire:
L'un, doux, bénin et gracieux,
.........................................................................
Un modeste regard et, pourtant, l'oeil luisant.
Le ministre des Finances, Hsiun Si Ling, a, comme vous pouvez en juger, une figure des plus caractéristiques. Ses yeux si chinois et son nez si busqué font plutôt mauvais ménage, et sa coupe de cheveux ne se tient pas avec sa moustache et sa barbiche clairsemées, qui conservent un air ancien régime très marqué.
Un clocheton d'angle du Palais d'Été.
La demi-heure qu'il a bien voulu me consacrer restera dans mon souvenir comme une des plus chaudes de mon existence: le thermomètre marquait, ce jour-là, 42° à l'ombre. Pendant que je dessinais, le ministre, doucement, s'éventait. Il finit par s'apercevoir que j'avais très chaud et, obligeamment, me fit proposer par son secrétaire, qui parle français, d'ôter mon veston que j'avais gardé.
Tchao Ping Tiunn, ministre de l'Intérieur, me fait l'effet d'un pondéré; l'oeil est franc et la figure claire. L'écriture robuste dénote un caractère ferme et sérieux. Il doit être énergique et droit.
Tout ce que je vous raconte là, ce sont, naturellement, des impressions personnelles. La plupart de ces personnages sont encore assez inconnus, au moins des résidants européens. Ils n'ont, jusqu'à présent, rien produit de sensationnel qui puisse permettre de porter sur eux un jugement motivé (1).
Il semble qu'ils attendent quelque chose. Il y a du malaise et de l'inquiétude dans l'air.
On parle de plus en plus de troubles, d'effervescence, de révoltes des soldats.
Note 1: Depuis qu'ont été dessinés les portraits reproduits ci-contre, la situation de certains des modèles s'est modifiée assez profondément. C'est ainsi que Tong Shoa Yi, descendu du pouvoir, n'est plus qu'un simple citoyen. Tsaï Thig Kan, promu conseiller de la présidence, a été chargé de conduire les difficiles négociations en vue de la réconciliation du Nord et du Sud, violemment brouillés au lendemain de la révolution. Hsiun Si Ling n'est plus ministre, mais préside la commission d'étude des réformes financières. Enfin Tchao ring Tiunn est actuellement président du Conseil.
palais d'été, palais d'hiver
18 juin.
J'avoue que le Palais d'Été ne m'a pas enthousiasmé outre mesure; si ce n'était sa partie ancienne, très belle en son délabrement, et où les guides ne veulent jamais mener les visiteurs, pour avoir plus vite fini, j'en serais revenu assez désillusionné.
La pagode à étages, au Palais d'Été.
Dans cette partie ancienne que nous avons tenu à visiter, sur les conseils du commandant Vaudescal, en compagnie de M. O'Neil et de sa charmante femme, il y a quelques coins vraiment dignes d'admiration et, entre autres, une certaine petite pagode à étages qui est une pure merveille de forme et de couleur. Pour ce morceau et un autre, qu'on appelle le pagodon de bronze, je donnerais tout le reste, sauf, peut-être, le lac qui, dans son ensemble, est très beau, malgré qu'il soit gâté par la fameuse Jonque de marbre. Cette banale et laide curiosité pour touristes est, justement, ce qu'il y a de plus connu; le contraire m'aurait étonné.
La petite pagode à étages est encore à peu près intacte, mais le pagodon de bronze a reçu, en 1900, la visite de quelques amateurs de chefs-d'oeuvre pas cher: une de ses portes, bijou de ciselure, fait, paraît-il, le plus bel ornement des salons de je ne sais plus quel établissement de crédit, tandis qu'une fenêtre a été adoptée par un amateur éclairé. Vous savez que, à la même époque, l'un des merveilleux équatoriaux de l'observatoire de Pékin est parti en Prusse où il est demeuré. Son frère, après avoir fait, lui, un petit voyage en France, est revenu s'installer sur son piédestal comme si de rien n'était.
La seule chose qui pourrait donner à ces sortes d'opérations un semblant d'excuse, c'est l'incroyable indifférence des Chinois à l'égard de leurs richesses artistiques. Cette indifférence, je me hâte de le dire, ne peut être reprochée qu'aux fonctionnaires, car il y a encore en Chine de nombreux et fervents admirateurs des oeuvres d'art du pays. Il n'en est pas moins pénible de penser que ces beautés sont destinées à disparaître, soit par cambriolage, soit par suite d'incurie.
Pavillon d'angle et fossé de l'enceinte du Palais
d'Hiver.
Il est vrai que celles qui sont cambriolées ne sont pas perdues pour tout le monde.
Le Palais d'Hiver, au centre de Pékin, forme, à lui seul, une ville fortifiée dans l'enceinte, déjà formidable, de la capitale. Depuis mon arrivée, ses interminables murs rouges, tuiles de jaune, impénétrable et exaspérante barrière par-dessus laquelle on aperçoit les vastes toitures aux teintes d'or, ses portes, farouchement closes et gardées, ses fossés, dont les eaux dormantes disparaissent sous les lotus, ses pavillons d'angle si beaux de proportions et de tonalité, exerçaient sur moi tout l'attrait de l'interdit et du mystérieux. Mon désir de voir était arrivé à l'état aigu lorsque l'autorisation d'entrer me fut, enfin, accordée,-toujours grâce à la grande obligeance de notre ministre, M. de Margerie.
Ce ne fut pas sans émotion que je pénétrai dans ce palais qui sert, maintenant, de prison au jeune empereur, otage des révolutionnaires.
La Ville Impériale proprement dite est située au centre du Palais d'Hiver et entourée, elle aussi, d'une muraille qu'il ne m'a pas été possible de franchir. Du haut de la Montagne de Charbon, le délégué du Ouaï Ou Pou chargé de nous piloter nous a montré les pavillons de l'empereur, de l'impératrice, les divers bâtiments, les temples et tout ce qui constitue la ville interdite. A toutes nos questions sur le jeune empereur, nous reçûmes des réponses vagues. «Pauvre gosse!», dit à un certain moment l'un de nous.-«Il n'est pas pauvre! reprit vivement un des personnages officiels, il touche 300.000 taëls par mois.»
Evidemment...
Nous visitâmes donc des cours, des pavillons, des couloirs, précédés et suivis d'eunuques grassouillets et écoutant distraitement les explications de notre guide, qui s'exprimait en fort bon français. C'est vraiment mieux ici qu'au Palais d'Été. Il y a des morceaux d'une rare élégance; les détails sont plus soignés et l'ensemble est moins délabré; c'est habité et les choses semblent s'en ressentir.
Départ pour la promenade en jonque sur les lacs du Palais
d'Hiver.
On nous a promenés en jonque sur les lacs couverts de lotus qui, malheureusement, ne fleuriront que dans un mois. Les bateliers qui nous attendaient, la longue perche au poing, ne manquaient pas d'allure, et les jonques, portant, l'une les invités et l'autre les eunuques, nous ont amenés à un débarcadère assez amusant, près du pont en S qui conduit au pied du Pé Ta, la «bouteille de Pippermint», comme l'appellent nos marsouins, qu'on aperçoit de tous les coins de Pékin.
La garde qui nous avait rendu les honneurs à notre arrivée nous a, de
nouveau, présenté les armes à la sortie, car nous étions des visiteurs
officiels; puis, comme il était près de 2 heures, nous sommes allés
déjeuner, comme de simples citoyens.
L. Sabattier
--
A suivre.
--
Suite des croquis d'audience de Paul Renouard .
Dieudonné, formellement accusé par le garçon de recettes Caby, l'adjure
de reconnaître qu'il a pu se tromper.
Les dépositions des premiers des deux cents témoins ont succédé aux interrogatoires. L'un de ces témoignages, le plus attendu, promettait d'être sensationnel. On ne fut point déçu.
--Faites entrer M. Caby! ordonne le président.
Un homme, rapidement, s'avance à la barre où tous les regards le suivent. C'est la victime de la rue Ordener. La silhouette est maigre, nerveuse, avec des épaules étroites et une allure saccadée. Le visage osseux, blême, parcheminé, avec un grand front chauve, est celui d'un convalescent encore bien fragile. Caby, on vient de nous le rappeler à l'instant, a eu un poumon troué par une balle. Une autre balle s'est logée dans la région de la nuque d'où on n'a pu la retirer. Longtemps on a désespéré de sauver ce malheureux, «foudroyé» --selon son expression--à bout portant, et qui, gisant à terre, perdant son sang à flots, fit de suprêmes héroïques efforts pour retenir de ses mains raidies le dépôt qui lui avait été confié. Mais, enfin, le miracle s'est réalisé tout de même, et la victime, revenue de si loin, apporte aujourd'hui son témoignage décisif...
Le silence, dans la vaste salle, est absolu. Les coeurs battent un peu plus fort. Une émotion anime les physionomies impassibles des jurés. Les stagiaires sont graves. Les journalistes n'écrivent plus. Les vingt accusés, soudainement très attentifs, ont des regards fixes, Dieudonné est très pâle.
--Racontez à messieurs les jurés comment s'est produite l'agression dont vous avez été victime.
Et Caby raconte, simplement, succinctement, d'une voix précise, sans timbre... Nous voyons maintenant ce visage dans la pleine lumière qui descend des fenêtres. Les traits, en relief, avec la moustache raide et tombante qui barre le profil, sont décidés, énergiques, et contrastent avec la faiblesse physique que l'on devine encore chez ce ressuscité.
La mère de Dieudonné à
la barre des témoins.
--Reconnaîtriez-vous votre agresseur?
Caby fait face aux accusés et, sans hésitation, le bras tendu vers Dieudonné, déclare:
--Le voici!
Et c'est un long frisson dans la salle.
--Vous savez, insiste le président, que votre déposition peut faire tomber la tête de cet homme.
--C'est lui, je le jure.
Alors, Dieudonné se lève. Il va sans doute crier son innocence. Non point, il cherche à l'expliquer. Il parle longuement, sans élan, sans désespoir, avec des phrases préparées. Ah! comme l'on voudrait être véritablement ému à ce moment et recevoir, tandis que cet homme se débat, le choc qui atteint le coeur. Mais non, ce n'est pas cela. Et, tandis que Dieudonné se rassoit, nous entendons ces mots de Caby qui sonnent terriblement plus vrais:
--Et moi je jure sur la tête de ma petite fille que cet homme est bien mon agresseur!
Ce fut la scène la plus impressionnante, jusqu'ici, de ces interminables débats, au cours desquels aussi, cependant, il y eut une minute d'infinie pitié lorsque la mère de Dieudonné, une pauvre vieille douloureuse, vint défendre son fils que. malheureusement, continuent à reconnaître des témoins précis et redoutables.
Le garçon de recettes Caby désigne Dieudonné comme son assassin. |
Dieudonné, accusé d'être le principal auteur de
l'attentat de la rue Ordener, et son avocat, Me de Moro-Giafferi. |
Le camp des spahis après l'occupation de la casbah
d'Anflous.
Mêlé aux soldats, l'envoyé spécial de
l'Agence Havas
, M.
Georges Guérard.
Les premières nouvelles qu'on avait reçues de la prise de la casbah d'Anflous, et que nous avons résumées dans notre numéro du 1er février, ont été complétées par des comptes rendus--un, notamment, du correspondant de l'Agence Havas , M. Georges Guérard, auteur des photographies reproduites ici, auquel nous allons faire de larges emprunts--qui donnent à ce beau fait d'armes tout son caractère: c'est l'une des opérations les plus rudes et les plus méritoires que nos soldats aient accomplies au Maroc. Une de celles, aussi, dont on puisse espérer les conséquences les plus efficaces pour le développement de notre influence.
Le général Brulard à la casbah.
Il fallut un assaut de deux jours pour enlever cette forteresse, dont nous avons dit la situation admirable, au point de vue défensif; un combat qui remplit les journées des 24 et 25 janvier.
Il faut dire, pour faire mieux comprendre les difficultés de la tâche imposée à nos troupes, que l'ennemi--soit que l'expérience acquise sur d'autres champs lui ait profité, soit qu'il se trouvât dans ses rangs un certain nombre des askris rebelles de Fez, dressés par nos instructeurs, et renvoyés dans leurs tribus à la suite de la révolte de l'an dernier--manoeuvrait tout à fait à l'européenne, en utilisant admirablement le terrain qui le protégeait.
La harka d'Anflous avait attaqué dans la nuit du 23 au 24 le camp français. L'alerte déjà avait été chaude: un lieutenant de spahis et deux conducteurs avaient été blessés; la propre tente du général d'Esperey avait été trouée de balles.
Les alpins dans la cour d'entrée de la casbah. Sous un
appentis, la cage de fer dans laquelle le caïd Anflous
enfermait sesennemis captifs
Photographies G. Guérard.
Au matin, quand les nôtres se remirent en marche, les Marocains se défendirent pied à pied dans chacun des villages fortifiés qui gardaient la route, se repliant méthodiquement vers la zaouïa de Sidi Lhassen ou El Hassan, centre important que le général Brulard s'était donné comme objectif.
Le terrain, et c'est ainsi dans toute cette contrée hérissée de rocs, broussailleuse, boisée même, un peu, était horriblement difficile. Il était, par surcroît, fort habilement aménagé pour la lutte: en plus des fortins dont il est semé, l'ennemi y avait établi des tranchées à l'épreuve des obus à balle. Le général Brulard n'eut pas trop de toutes les ressources dont il disposait. Tandis que l'artillerie faisait son oeuvre, que le tabor des troupes auxiliaires et les tirailleurs chargeaient à la baïonnette pour maintenir les Marocains sur la gauche de la zaouïa, un mouvement tournant des tirailleurs et des zouaves prit à revers la position tant disputée: à 2 heures après midi, nous en étions maîtres; mais, jusqu'à la nuit, les nôtres, installés sur le terrain conquis, furent en butte à une fusillade ininterrompue.
De nombreux cadavres marocains étaient demeurés sur la place; les tranchées étaient ensanglantées. L'ennemi devait avoir éprouvé des pertes considérables. Nous avions seulement huit tués et soixante blessés.
Le 25, à 6 heures du matin, laissant les blessés et les convois à la garde d'une compagnie d'alpins, d'une de tirailleurs et d'une section de 75, le général Brulard se remettait en marche sur le dar Anflous.
Le terrain sur lequel on allait opérer était encore, dit notre confrère de l' Havas , historiographe de cette marche magnifique, «plus âpre que celui où s'était déroulé le combat du 24 janvier. Des gorges profondes séparent les croupes rocheuses et boisées des crêtes montagneuses qui s'étendent parallèlement».
L'ennemi, escomptant que nous allions nous engager dans ces gorges, avait tout préparé pour nous y bloquer et nous écraser. Le général Brulard n'est pas si naïf! Il manoeuvra pour s'emparer des hauteurs de droite, mais en trompant tout d'abord ses adversaires par une manoeuvre de cavalerie qui consistait à faire croire que sa colonne allait suivre le ravin: les cavaliers purent se rendre compte à quel point les précautions, de ce côté, étaient prises!
Alors ils gagnèrent, méthodiquement, sous la protection de l'artillerie, les premiers contreforts de la chaîne de droite, bientôt suivis de la colonne entière débusquant tout ce qui s'offrait à sa marche. A 9 heures on était sur la crête, «après une série de combats durant lesquels la fusillade, les hurlements des Marocains et le fracas de la canonnade, faisaient littéralement trembler la montagne».
Destruction de la forteresse d'un grand caïd marocain.
La colonne Brulard fait sauter à la mélinite la casbah d'Anflous:
explosion des deux tours de l'Est.
--
Phot. G. Guérard.
On tenait maintenant les hauteurs dominant la casbah, située dans une petite vallée.
Il restait à parcourir 6 kilomètres, sur un sol couvert de rocs éboulés. On le fit presque sans à-coups, en manoeuvrant avec un admirable sang-froid.
Vers 10 heures, le feu des Marocains commençait à diminuer d'intensité. Ils lâchaient pied. L'artillerie acheva leur déroute. Une heure après, on arrivait en vue de la casbah, très imposante d'ensemble, repaire jusque-là inviolé «contre lequel s'étaient brisées toutes les mehallas envoyées par les sultans successifs au cours des règnes précédents».
On occupa cette bastille si chèrement conquise, --nous avons dit que nous avions en tout, pour l'ensemble de l'expédition, treize tués et soixante-douze blessés. Les blessés furent installés dans la partie que naguère habitait le harem, au fond d'un verdoyant jardin, et nos soldats s'amusèrent beaucoup d'une cage de fer, abandonnée dans la cour, qui avait dû contenir maints captifs.
Et puis, le lendemain, avant de quitter les lieux, on procéda à l'opération qui, de temps immémorial, a consacré les victoires: on démantela la forteresse, --exactement, à la mélinite on fit sauter ses tours et on entama ses murailles, ce qui est une difficile besogne, dans ces constructions de béton dont le temps a fait de véritables monolithes.
Le grand industriel Guéret. Le comte Tcherkof. Une grande dame russe. Sergine Guéret. De Limeuil.
(M. de Féraudy). (M. Ravet). (Mlle Robinne). (Mlle Berthe Cerny). (M. H.
Mayer).
Un contremaître (M. Croué). Guéret (M. de Féraudy).
Scènes du premier et du dernier acte de l'
Embuscade
, de M. Henry
Kistemaeckers, à la Comédie-Française. Décors de M. Bailly et de MM.
Jenselme, Gillard et Guérard.
--Photographies A. Bert.--Voir l'article,
page 142.
LA CONFESSION DE LA DU BARRY (Mme JANE HADING) DANS SON CACHOT DE
SAINTE-PÉLAGIE
Une scène de
la Chienne du Roi
, l'acte de M. Henri Lavedan, applaudi
avec Servir au Théâtre Sarah-Bernhardt (direction Guitry).
Dessin de J. SIMONT.
Il y avait déjà un contraste piquant à nous montrer une des femmes qui personnifient le mieux la joie et la frivolité, le luxe et la volupté de la fin du dix-huitième siècle, dans le décor sinistre et répugnant d'une prison, à nous faire voir cette amie de roi--du roi qui fut le Bien-Aimé--rudoyée par des valets de bourreau, mais M. Henri Lavedan, dans cette pièce, qui précède Servir au Théâtre Sarah-Bernhardt, que dirige actuellement M. Lucien Guitry, ne s'est pas arrêté à cet effet purement extérieur et, pour ainsi dire, de premier plan; il est allé beaucoup plus loin, beaucoup plus haut et il s'est plu à nous montrer, à extérioriser de la façon la plus ingénieusement dramatique le contraste de l'âme et de la chair, le conflit de l'esprit et de la matière.
Un prêtre, déguisé en délégué du Comité de Salut public, vient, en effet, voir la courtisane incarcérée; il lui offre de la faire évader de sa geôle, c'est-à-dire de la sauver de l'échafaud; mais il dispose d'un moyen de secours qui ne peut servir qu'une fois et pour une seule personne.--Qu'on sauve donc la reine! s'écrie spontanément la du Barry. Mais la reine refuse la liberté sans ses enfants. La du Barry n'acceptera pourtant pas de bénéficier seule d'une si insigne faveur et elle se condamne à rester sous les verrous; elle recevra du moins l'absolution que lui offre le prêtre; pour la recueillir elle s'agenouille et, tandis que, de l'autre côté de la porte, à travers la grille du judas, quelques sans-culottes, rouges voyous, l'injurient, sans d'ailleurs se douter, heureusement, de l'acte qu'elle accomplit, tandis qu'ils la criblent de sarcasmes, elle se confesse.
Mais, à mesure que s'écoule l'heure qui eût pu favoriser sa fuite, que s'abat, sur la prisonnière, plus irrémédiablement, l'ombre du couperet, elle s'effraie, elle s'épouvante; elle ressent, d'avance, toutes les angoisses de l'exécution prochaine, toutes les affres de la mort; sa volonté reste ferme et volontaire, mais sa chair accoutumée aux caresses, aux adorations, tremble et se hérisse; elle hurle, elle se tord... C'est la trouvaille d'un grand écrivain dramatique. On a applaudi longuement et chaleureusement cet acte émotionnant et ses deux remarquables interprètes, Mme Jane Hading et M. André Calmettes.
Un livre posthume
C'est avec une mélancolique piété qu'on lira le volume édité d'hier ( Dernières Pensées , Flammarion), où se trouvent recueillis des articles, des conférences, comme les derniers actes de cette royauté intellectuelle qu'exerçait Henri Poincaré. L'allocution finale, intitulée «Pour l'union morale», il l'avait prononcée trois semaines avant sa mort.
Ce volume, d'ailleurs, paru sous la même couverture qu'avaient illustrée la Science et l'Hypothèse, la Valeur de la science , contient surtout des aperçus de détails, quelques discussions de théories récentes en physique, mais, au point de vue général et quant à la philosophie, Poincaré s'y montre rigoureusement fidèle à la doctrine qui, depuis une dizaine d'années, avait fait de lui l'un des initiateurs de ce temps.
L'originalité d'Henri Poincaré, en effet, fut de philosopher, non pas en philosophe, mais en savant. A propos d'Émile Boutroux, récemment nous avons dit un mot de la préoccupation qui, après l'événement éblouissant de la science, fut celle de tous les penseurs, depuis Emmanuel Kant jusqu'à Henri Bergson: il s'agissait de déterminer la valeur de cette science et de la concilier avec tout ce qu'elle semblait d'abord repousser, la liberté, la foi, le sentiment du devoir et la morale. Les philosophes cherchaient à résoudre la difficulté à leur manière, en proposant des métaphysiques, c'est-à-dire en s'appliquant à déterminer la nature même des choses dont la science ne traduirait qu'un aspect fragmentaire. Henri Poincaré, au contraire, ne fut jamais un philosophe de profession, mais seulement un savant prodigieux, prodigieux à la fois par la force de son esprit et par l'étendue de son domaine, géomètre, astronome, physicien, quasi-chimiste et biologiste, et assurément psychologue. A l'époque d'une extrême division du travail, scientifique, il y eut en lui quelque chose de l'universalité d'un génie de la Renaissance. Il en avait aussi les dons artistiques, la chaleur d'âme. Il voyait dans la science une beauté, un objet d'amour. Il parle avec lyrisme et attendrissement des jouissances intellectuelles du mathématicien et il célèbre l'astronomie, mère de toutes les sciences et source de toutes les vérités, en un langage qui rappelle Pascal. On conçoit donc que, abordant à son tour le problème des philosophes sur «la valeur de la science», il se soit proposé d'y utiliser surtout son universelle compétence et son autorité unique. Il entreprit de réfléchir, non point sur la nature inconnue des choses, mais sur son propre ouvrage et s'interrogea lui-même sur ce qu'il avait fait. Très exactement, son objet fut, en faisant le tour des sciences où il avait excellé, d'examiner les données fondamentales ou les principes les plus relevés et de déterminer quelle en est au juste, dans la science même, la signification. Et c'est ainsi que, tout naturellement, par la seule analyse des admirables résultats qu'il avait acquis, il est arrivé à une conception si modeste de la science et qui fit tant de bruit.
Avant lui, en effet, si discutée déjà qu'eût été la valeur de la science, il y avait au moins les mathématiques pour lesquelles nous faisions exception. Elles nous dépassent tellement, pour l'ordinaire, que nous avions pris une bonne fois le parti de nous en remettre à leur réputation d'exactitude. Il était entendu, depuis Pythagore, qu'on les mettait à part dans le savoir; quand tout s'écroulerait, nous garderions à Euclide notre foi. Or, Poincaré nous a montré que cette foi était justement celle du charbonnier. Ce géomètre a comme découronné la géométrie. Il y a sciences exactes et sciences exactes, affirme-t-il, et, la relativité des sciences exactes, voilà, précisément, ce que l'on peut appeler la philosophie de Poincaré.
Il est impossible d'en esquisser seulement ici la démonstration dont on retrouvera, dans ces Dernières Pensées d'aujourd'hui, quelques-uns des points essentiels: sa méthode a toujours et partout consisté à analyser les notions les plus hautes et les plus simples, et démontrer, par exemple, l'incapacité où nous sommes de mesurer exactement le temps, l'existence d'un espace beaucoup plus général que notre espace à trois dimensions, le caractère approximatif et provisoire de toutes les lois et hypothèses physiques; il aboutit par là à une sorte d'opportunisme scientifique, ce que nous appelons vérité, étant seulement une commodité, une attitude qui apparaît à notre esprit comme la plus heureuse pour résumer actuellement tous les faits de l'expérience. Tel est, à la lettre, le sens de la définition célèbre: les axiomes géométriques et, avec eux, toutes les lois de la physique sont des conventions.
Il faudrait bien se garder d'ailleurs de mal interpréter cette définition. Si, au terme d'une carrière aussi féconde et aussi belle, le grand savant n'avait eu à nous proposer qu'un aveu de scepticisme et de découragement, ce serait à désespérer de l'esprit humain. A l'égard de la science, au contraire, qui fut sa gloire, Poincaré garde autant de foi que d'amour. Il a seulement voulu la dépouiller de toute rigidité et de toute intransigeance: il voit en elle une chose humaine, vivante, soumise à la loi de la vie et au progrès de l'humanité, toujours en travail, jamais achevée, docile toujours au contrôle et à la leçon des faits nouveaux. Il ne craint pas non plus qu'elle dessèche les coeurs ni ne s'oppose jamais à la morale. Elle est au contraire créatrice d'idéal, inspiratrice de sincérité, de désintéressement, d'union entre les esprits et les coeurs; les savants sont les plus nobles esprits et il n'y a de redoutable que la demi-science. Dans le beau livre d'aujourd'hui, ce sont justement ces pensées confiantes et sereines qui sont les dernières. Elles iront au coeur de tous.
Voyages.
Ce ne sont point des voyages d'exploration en des terres inconnues que nous conte M. René Bazin dans son nouveau livre ( Nord-Sud , Calmann-Lévy). Les itinéraires suivis par l'éminent romancier en Amérique, au Canada, en Angleterre, en Corse et même parmi les glaces du Spitzberg, sont des voies très connues du tourisme; mais il importe peu puisque, par la richesse de son esprit si divers, par son observation amusée ou pénétrante, par son art souple et fin si habile à mettre la vie des anecdotes dans les intérieurs et les paysages reconstitués en chaudes couleurs, M. René Bazin semble nous promener sur des routes neuves, en des sociétés méconnues, parmi des merveilles ignorées. Après avoir goûté l'enchantement de ses visions de la forêt de Vizzavona, du golfe de Porto, de toute la Corse en automne, nombre de lecteurs éprouveront le désir passionné de s'en aller rêver dans cette île d'or où leur seront réservées toutes les émotions d'un voyage en Sicile. Et c'est avec un grand charme aussi qu'ils visiteront la haute société anglaise, dans les homes aristocratiques des comtés verdoyants où les gens de notre race trouvent des «amis solides et reposants, prodigues d'attentions muettes, intimidés par leur propre coeur jusqu'à prendre le ton de l'humour pour exprimer leurs sentiments les plus profonds, exacts dans leur politesse, juges équitables de la noblesse d'un acte et du bon droit d'un homme, excepté quand l'intérêt du pays ou seulement son orgueil est en jeu!»
Romans.
Il est des lieux où souffle l'esprit... «La Lorraine possède un de ces lieux inspirés. C'est la colline de Sion-Vaudémont, faible éminence sur une terre, la plus usée de France, sorte d'autel dressé au milieu du plateau qui va des falaises champenoises jusqu'à la chaîne des Vosges. Elle porte sur l'une de ses pointes le clocher d'un pèlerinage à Marie, et sur l'autre la dernière tour du château d'où s'est envolé jusqu'à Vienne l'alérion de Lorraine-Habsbourg...» Il y a plus d'un demi-siècle, trois prêtres, les trois frères Baillard, Léopold, Quirin et François, vinrent évangéliser et bâtir sur la Colline inspirée . Leurs oeuvres bientôt rayonnèrent comme leur foi, et tout le pays d'outre-Rhin et Meuse fut un moment sous l'influence de Léopold Baillard, le chef spirituel. Auprès d'eux s'empressent des femmes--sont-ce des paysannes, sont-ce des religieuses?--qui les aident et que la légende ne respecte pas plus que les nonnes du moyen âge. Il s'est toujours joué un drame autour des lieux inspirés. «Ils nous perdent ou nous sauvent, selon qu'ayant écouté leur appel nous le traduisons par un conseil de révolte ou d'acceptation.» Le mysticisme violent, l'élan exaspéré des frères Baillard vers le ciel devaient, inévitablement, sur la colline divine et folle, les amener à s'affranchir de toute règle au moment même où cet ébranlement de leur esprit et de tout leur être exigeait la discipline la plus sévère. Et nous assistons à un délire grandiose de nouveaux fondateurs d'église en lutte avec l'évêque, avec le pape, avec toute l'Église ordonnée, dans son dogme et dans sa hiérarchie. On ne saurait analyser l'action ni dire avec suffisamment d'art le détail de ce livre admirable de M. Maurice Barrés, de cette oeuvre flamboyante que vient d'achever de publier la Revue hebdomadaire et que nous présentent actuellement les éditeurs Emile-Paul en un volume de librairie. C'est mieux que beau. C'est parfois, c'est souvent, sublime. Les idées se pressent, se heurtent, tourbillonnent dans la fièvre lumineuse de ce livre qui contient à lui seul toute l'âme de l'oeuvre de Maurice Barrés, avec toute la poésie profonde de la tradition lorraine. Il faut suivre la lutte opiniâtre, courageuse et rude, inégale d'abord, trop complètement victorieuse ensuite, d'un jeune missionnaire, le père Aubry, que le chef du diocèse a envoyé à Sion-Vaudémont pour reconquérir sur les frères Baillard, devenus des «pontifes d'adoration», la colline inspirée. Et il faut assister, aux dernières pages, à la fin de l'illuminé Léopold, revenu au pays, après un long exil, pour y exhaler son dernier souffle de saint des nouveaux jours, réconcilié, tout de même, avec l'Église une et disciplinée. Car il ne fut point un démoniaque. «Il a été plus près de Dieu que nous», avoue même le père Aubry. Erreur et vérité à la fois. Problème qui se traduit par cette double interrogation: «Qu'est-ce qu'un enthousiasme qui demeure une fantaisie individuelle? Qu'est-ce qu'un ordre qu'aucun enthousiasme ne vient plus animer?»
La Colline inspirée est un roman--passionné et tragique--de l'âme. Les romans du coeur et de la chair vont nous faire descendre des sommets, des autels aériens où vient de s'exhaler l'angoisse humaine. Voici, cependant, vraiment noble par sa douleur et sa pitié, le livre de M. Lucien Victor-Meunier: l'Assomption de Madame Brossard (Fasquelle); voici, riche de belles peintures flamandes, le roman de M. Henri Davignon: Un Belge (pion); voici, Suzanne Leclasnier (Grasset), par M. Pierre Maudru, un jeune écrivain vibrant, hardi, dont les libres et violentes audaces nous rappellent un peu la manière de M. Léon Daudet, jadis, quand il écrivait Suzanne ; voici le Royaume du Printemps ou le roman d'une jeune mariée (Ed. Miasol), des confessions d'une candeur téméraire, transcrites par Mme Gabriel le Ré val; voici Celle qui manqua (Grasset), de Mlle Marie-Anna Hullet, dont les psychologies nous paraissent un peu ingénues encore mais dont la plume est alerte et personnelle déjà et qui aura peut-être du talent.--M. Jean Marsal ( Djelal , lib. H. Champion), M. Paul-Louis Garnier ( Visages voilés , Ollendorff) et surtout Mme Demetra Vaka ( Haremlik , Ed. Plon), nous racontent des histoires turques. --Mme Alberich-Chabrol ( la liaison des Dames , Ollendorff) nous présente un tableau, vivement brossé, du monde des étudiantes modernes.--M. Georges Pioch témoigne d'une assez agréable fantaisie philosophique dans les Dieux chez nous (Ollendorff).--Avec sa cinglante bonne humeur, Gyp nous dit, selon son imagination, le Grand Coup (Flammarion), la conspiration victorieuse, qui doit changer de place et de rang les gens et les idées.--M. Valentin Mandelstamm confie le soin d'éclaircir la tragique et ténébreuse Affaire du Grand Théâtre (p. Lafitte) à un auteur dramatique-détective, d'une espèce assez inédite et fort intéressante.--Enfin, citons: Tendres Canailles (Ollendorff), par M. André Salmon; les Confessions d'un condamné , publiées par Julien Hawthorne et Diek le Galopeur , par H.-B. Marriott (traduction Albert Savine, éd. Stock), Cyprien Galissart, lauréat du Conservatoire (Fontemoing), par M. Georges Beaume.
Servir , la pièce de M. Henri Lavedan à propos de laquelle la première page de notre précédent numéro montrait, sous les traits de M. Lucien Guitry, tout ce qu'il y a d'élevé, de farouche et de résolu chez un vrai soldat, chez un officier français de bonne race,-- Servir a été acclamé au Théâtre Sarah-Bernhardt par un public irrésistiblement entraîné par la puissance éloquente de M. Henri Lavedan et de son grand interprète. Ce drame met en présence, et aux prises, un père et un fils: deux officiers de notre armée qui ont sur le devoir militaire des idées diamétralement opposées,--d'où sa violence poignante. C'est un conflit d'une grandeur tragique, soutenu dans une prose d'allure cornélienne et qui dépasse de beaucoup la commune mesure des drames auxquels nous sommes habitués. M. Lucien Guitrv y est entouré de M. Capellani, de Mme Gilda Darthy, de MM. Mosnier, Decoeur, qui se montrent dignes d'un tel artiste.
Servir est précédé d'un acte du même auteur, la Chienne du Roi , à laquelle nous consacrons une gravure, page 141.
A la Comédie-Française, la pièce en quatre actes de M. Henry Kistemaeckers. l'Embuscade , a été représentée parmi les applaudissements d'une salle tour à tour subjuguée et charmée. Nous reproduisons page 140, deux scènes de son premier et de son dernier acte.
Devant la mer bleue, dans le parfum des orangers, à la lueur de lanternes balancées dans les branches comme d'énormes fruits vermeils, aux sons alanguis, énervants d'une musique apportée par bouffées des salons de la villa toute proche: c'est une fête nocturne sur la Côte d'Azur, c'est une nuit qui s'écoule dans une atmosphère de luxe et de joie... Telle est, en effet, l'impression que donnent le cadre et les premières scènes de cette pièce. Et puis voici, dans les mêmes parages, l'aspect sinistre d'un lieu de travail, âpre et dur, où semble avoir passé quelque cyclone; c'est un atelier de métallurgie éventré, dévasté par l'explosion d'une mine, avec ses poulies déchiquetées, ses arbres de transmission brisés, tordus, ses énormes machines-outils démembrées; et par la brèche ouverte sur un horizon de collines douces et de mer paisible, ourlée d'écume, on voit l'aurore apparaître et le soleil lentement monter dans le ciel qui s'embrase. Car la nature impassible accomplit sans interruption son oeuvre et il n'est pas jusqu'aux ruines accumulées par la main de l'homme qui ne rayonnent de sa lumière. Le contraste est saisissant entre ce premier et ce dernier décor, entre ce premier et ce dernier acte; mais de l'un à l'autre se déroulent les ingénieuses et pathétiques péripéties d'une action nombreuse, tumultueuse, abondante en force et en sensibilité. On peut prédire à cette belle oeuvre un long succès. L'interprétation en est tout à fait supérieure avec Mme Berthe Cerny et M. de Féraudy, avec un des plus jeunes comédiens de la Maison, M. Georges Le Roy, avec Mlles Bovy et Robinne.
Au petit Théâtre-Impérial, curieux spectacle composé d'une série de pièces: Ernestine est enragée , de MM. André de Lorde et Georges Montignac; la Lettre , pantomime du peintre Willette, avec musique d'Ed. Artaud; la Maladresse , de MM. Georges Docquois et Henri Duvernois; Soyons Parisiens , de MM. Maurice Desvallières et Gaston Derys.
Enfin, à l'Olympia, opérette-revue de M. André Barde, musique de M. Cuvillier, la Reine s'amuse , dont l'attraction principale est une reconstitution du Bal des Quat'z-arts.
Un auteur dramatique qui connut de grands succès, M. Grenet-Dancourt, vient de mourir, à l'âge de cinquante-quatre ans, subitement emporté par une attaque d'angine de poitrine.
Pour beaucoup, son nom restera attaché à un vaudeville célèbre, dont la fortune fut éclatante, Trois femmes pour un mari , écrit avec M. Valabrègue. Sa franche gaieté, la verve savoureuse, abondante, qui y était répandue, l'ingéniosité des situations, valurent à cette pièce une renommée à laquelle atteignent bien rarement les ouvrages de ce genre. Et ce sont ces mêmes qualités qui assurèrent constamment à Grenet-Dancourt la sympathie du public.
Il avait commencé par être acteur; après s'être fait applaudir à l'Odéon, il présenta, en 1881, sur la scène qui avait vu ses débuts de comédien, un petit acte, Rival pour rire . Sa réussite le mit en goût, et dès lors, renonçant à interpréter les pièces des autres, il en produisit à son tour, seul ou en collaboration, dans tous les théâtres où l'on jouait ce qu'on appelait alors, d'un nom bien déprécié aujourd'hui, le vaudeville.
Grenet-Dancourt s'était également fait connaître par des monologues et des saynètes que Coquelin cadet avait rendus populaires. Il était, depuis 1904, chevalier de la Légion d'honneur.
Le traîneau à hélice de M. Bertrand de Lesseps, gagnant
le concours international de traîneaux automobiles à
Saint-Pétersbourg.
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Phot. Bulla.
Un concours de traîneaux automobiles.
Le concours de traîneaux automobiles à hélice qui vient d'avoir lieu à Saint-Pétersbourg, devant une commission instituée par le ministre de la Guerre, a été l'occasion d'une nouvelle victoire pour l'industrie française.
La première place, est, en effet, revenue au traîneau de M. Bertrand de Lesseps. Ce véhicule, propulsé par une hélice aérienne qu'actionne un moteur de 30 chevaux, a réalisé une vitesse de 60 kilomètres à l'heure, en évoluant avec une grande facilité.
Le résultat est d'autant plus honorable qu'un des concurrents pilotait un traîneau muni d'une énorme hélice à quatre pôles et d'un moteur de 50 chevaux. Cet appareil, sur lequel on comptait beaucoup, a paru peu pratique. Il a, d'ailleurs, dès le début de l'épreuve, causé un accident assez grave: son hélice s'est brisée en tranchant le bras d'un spectateur.
La foudre et les eaux souterraines.
Dans une relation d'un cas de foudre globulaire présentée à l'Académie des sciences par M. Violle au nom de M. G. de La Villemontée, il est noté très expressément que cette foudre globulaire se manifesta au-dessus d'un bassin alimenté par une nappe d'eau souterraine. Ce fait vient à l'appui d'une opinion d'après laquelle la foudre éclate le plus souvent au-dessus des cours ou nappes d'eau souterraine. Comme il est dit dans les instructions sur les paratonnerres de l'Académie des sciences, la foudre évite plutôt les sols arides reposant sur des rochers ou sables secs, sauf s'il a plu récemment. Mais si, sous ces rochers et sables, il y a des gisements métalliques ou des gisements d'eau, c'est tout autre chose. La foudre y tombe volontiers.
Ainsi, on sait 'qu'à Bagnères-de-Bigorre la foudre est attirée par les gisements de magnétite: les arbres qui surmontent ceux-ci, et qui pourtant ne sont pas sur une crête, sont constamment foudroyés.
D'autre part, non loin du col de Somport, le docteur Pedro Farreras a relevé trois points qui sont particulièrement frappés par la foudre. Or, à chacun de ces trois points, il y a ou bien une source, ou bien un cours d'eau souterrain. En réalité, la foudre est une bonne indication de points d'eau, et si on la voit souvent frapper une même localité, un même groupe d'arbres, c'est que sous le sol il y a de l'eau qui le rend particulièrement conducteur.
Nouvelles observations sur les icebergs.
A la suite de la catastrophe du Titanic , le professeur Barnes fut chargé par le gouvernement canadien d'observer les icebergs qui dérivent devant les côtes du Labrador. On vient de publier les résultats de cette campagne au cours de laquelle ont été faites des constatations curieuses. La fusion de l'iceberg, due à l'élévation de température de la mer, augmente encore légèrement la température des eaux de surface, par suite des deux courants qu'elle détermine: au-dessous de l'iceberg, un courant vertical descendant d'eau refroidie; autour de la montagne de glace, un courant centripète amenant l'eau de mer voisine pour remplacer l'eau du courant précédent.
Dans le voisinage de l'iceberg, l'eau de ce deuxième courant est plus chaude que la mer environnante; l'iceberg provoque donc sa propre destruction, et sa fusion s'opère presque exclusivement par les faces immergées.
Quant à l'action refroidissante propre de l'iceberg, elle est toujours extrêmement faible, et elle cesse de se faire sentir à quelques mètres.
M. Barnes ajoute que la glace des icebergs emprisonne toujours de grandes quantités d'air dissous et d'air libre à l'état de très fines bulles, donnant lien à une effervescence quand on fait fondre cette glace dans l'eau tiède. Cet air libre est quelquefois à une pression suffisante pour expliquer les explosions d'icebergs que l'on observe fréquemment.
Un train actionné par des accumulateurs.
On vient de mettre à l'essai aux États-Unis le premier train de chemin de fer actionné par des batteries d'accumulateurs. Ce train, qui se compose de trois voitures portant chacune quatre moteurs et une batterie d'accumulateurs, est destiné au réseau des chemins de fer de Cuba. Il a circulé entre New-York et Long-Beach, soit sur une distance de 40 kilomètres; le trajet a été accompli en 57 minutes à l'aller et en 53 minutes au retour.
On a consommé environ 2,5 kilowatts par kilomètre. En supposant que le courant revienne à 5 centimes le kilowatt, le transport de 150 voyageurs sur un parcours (aller et retour) de 80 kilomètres revient à une dizaine de francs.
Dans sa nouvelle pièce , les Éclaireuses, qui obtient le plus éclatant succès au Théâtre Marigny, M. Maurice Donnay effleure avec son esprit coutumier une question de haute biologie. La scène finale du premier acte rende tout entière sur la valeur respective du cerveau dans les deux sexes. Le mari, très averti, oppose à sa femme l'opinion du docteur Dubois, savant hollandais surtout connu pour avoir découvert le Pithecanthropus.
M. Dagnan-Bouveret, fils du grand peintre, nous adresse sur cette question une note amusante, en dépit de sa précision technique.--note particulièrement agréable à lire pour le beau sexe qui ne pourra, désormais, s'offusquer de se voir, comme il arrive parfois, attribuer «une cervelle d'oiseau»:
Bien souvent la fantaisie des poètes s'est plu à faire abstraction des cadres rigides qu'imposent à la réalité l'espace et le temps. Nul peut-être plus que Swift, dans ses voyages de Gulliver, n'a tiré un heureux parti de ces fictions qui ne changent les dimensions des êtres et des choses que pour peindre avec plus d'ironie les moeurs et les ridicules des hommes. Parfois la nature même semble justifier ces fantaisies en nous présentant des géants si grands et surtout des nains si petits qu'il semble, que l'imagination ne soit guère allée au delà du réel et n'ait pas dépassé les limites du possible. Mais la biologie nous a montré que l'évolution des espèces est limitée dans le sens de la grandeur aussi bien que, dans celui de la petitesse do la taille.
L'accroissement de la taille a une limite relativement simple et d'ordre; purement mécanique. Tandis que le poids s'accroît comme le cube de la taille, la force des muscles s'accroît comme leur section transversale, ce qui correspond au carré de la taille.
Beaucoup plus complexe est la limite de la diminution de la taille.
Cuvier avait admis la proportionnalité pure et simple entre le poids du corps et celui du cerveau. Il estimait que le poids relatif de ce dernier correspond au degré d'intelligence. Cette loi se vérifie quand on compare entre elles de larges divisions du règne animal, telles que les classes des vertébrés; le poids du cerveau représente pour l'homme 1/45 de celui du corps; 1/98 pour le, chevreuil; 1/392 pour le cygne; 1/4300 pour le requin, etc. Mais on aboutit aux résultats les plus paradoxaux si on compare les animaux d'une même classe ou d'une même espèce. Ainsi, la souris a une proportion d'encéphale égale, à celle de l'homme; le ouistiti a une proportion beaucoup plus élevée (1/25), dépassée encore par certains petits oiseaux tels que la mésange et le roitelet (1/20).
En présence de ces faits, la loi de Cuvier a dû être abandonnée et on a cherché une. autre relation entre le poids du corps, le poids de l'encéphale et la mesure de l'intelligence. Les travaux de Brandt et de Sneil avaient établi que l'activité générale de l'organisme, mesurée par les combustions vitales, est proportionnelle à la surface et non au poids du corps. Dubois, le savant hollandais qui découvrit à Java le Pithecanthropus , s'est alors demandé si l'on n'obtiendrait pas une formule satisfaisante en comparant le poids de l'encéphale non pas à la masse du corps, mais à sa surface. Or, la surface du corps d'un animal est proportionnelle au carré (ou puissance 2) de sa longueur, et son poids au cube de cette longueur; par conséquent, la surface est proportionnelle à la puissance 2/3 ou 0,66 du poids et la longueur à la puissance 1/3 de ce poids.
Partant de cette hypothèse, et considérant des espèces appartenant à une même; famille (mais appartenant toutes à la classe des mammifères), Dubois s'est efforcé de la vérifier empiriquement. Pour des familles très différentes, il a obtenu des valeurs très voisines, dont la moyenne, l'exposant de relation est 0,56, c'est-à-dire un peu plus faible que celle donnée par la théorie (0,66). Dès lors, on peut dire que le poids de l'encéphale est, chez les mammifères, égal au poids multiplié par 0,56 et par une constante, variable suivant les familles considérées, que Dubois appelle le coefficient de céphalisation.
L'influence de la taille de l'animal sur le poids de son encéphale se trouve ainsi éliminée, et le coefficient de céphalisation représente bien, comme l'a exprimé M. Lapicque, «la valeur cherchée, laquelle doit diminuer ou grandir avec la complexité de la vie de relation, la souplesse surtout de cette vie de relation, et la possibilité de son ajustement à des conditions de plus en plus délicates; c'est-à-dire avec l'intelligence des animaux appréciée objectivement.»
Avec ce coefficient de céphalisation, on obtient un classement satisfaisant. L'homme vient nettement en tête avec un coefficient égal à 2,8, d'après Dubois; 2,73 pour l'homme et 2,72 pour la femme, d'après les calculs de M. Lapicque. Bien au-dessous viennent les singes supérieurs, les anthropoïdes, orangs ou gibbons, 0,76 à 0,70; puis les singes inférieurs, tels que les ouistitis, 0,48; enfin, les autres mammifères, 0,45 à 0,30.
Toujours, fait capital, les grandes et les petites espèces d'une même famille, quelle que soit la différence de leur poids, sont rapprochées par leur coefficient de céphalisation.
Il résulte de cette loi qu'entre des espèces animales qui diffèrent seulement par la taille, le poids de l'encéphale varie beaucoup moins vite que le poids du corps. Si, par exemple, dans une même famille, nous considérons deux représentants d'espèces de taille différente, l'un ayant un poids triple de celui de l'autre, le poids de l'encéphale du plus gros sera non pas triple, mais double; de celui du poids du plus petit. Par conséquent, les petits animaux ont une bien plus forte proportion d'encéphale que les grands.
Cette proportion à laquelle nous avons vu qu'on ne pouvait attacher la signification que lui attribuait Cuvier paraît avoir un sens très net: elle marquerait une limite à l'évolution des espèces dans le sens de la diminution de la taille. La tête, en effet, ne saurait être démesurément lourde par rapport au corps: il semble qu'elle ne puisse dépasser un dixième ou un huitième du poids total du corps. Or, la tête comprend non seulement l'encéphale, mais encore la boîte crânienne, le massif facial, les mâchoires, les appareils des sens. Un oiseau peut donc se permettre au maximum un quinzième de son poids total comme encéphale; un mammifère au maximum un vingt-cinquième.
En ce qui concerne l'espèce humaine, M. Lapicque a calculé que, la plus petite race possible «ayant un cerveau fonctionnellement égal au nôtre, aurait un pouls d'environ 15 kilogrammes». Nous voilà bien loin encore des Lilliputiens de Swift qui, avec leur taille de 6 pouces pèseraient moins de 100 grammes!
Une belle oeuvre architecturale du XVIIe siècle entourée
de bâtiments de ferme: le portail d'honneur du château de Brécy, dans le
Calvados.
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Phot. Ch. Foulard.
«Mlle Rachel Boyer, de la Comédie-Française, vient de se rendre acquéreur du château de Brécy, dans le Calvados, à 22 kilomètres de Caen.» Rencontrée en quelque coin de journal, au détour d'une colonne, la brève nouvelle se glisse dans l'esprit tout discrètement, sans tapage; et l'on a, tout d'abord, un sourire pour féliciter, intérieurement, l'heureuse artiste, en songeant in petto qu'il s'agit sans doute d'une jolie gentilhommière normande environnée de grasses prairies... Et l'on ne s'arrêterait qu'un instant, si l'information n'ajoutait: «Le château de Brécy est un ancien édifice du dix-septième siècle, bâti par Mansard.» Voilà de quoi éveiller la curiosité de tous ceux qui s'intéressent au sort de nos vieilles demeures de France.
Celle-ci était, avec les ans, tombée en un fâcheux état d'abandon. Quelles vicissitudes avait-elle subies, depuis que l'illustre Mansard, celui de Choisy et de Maisons-Laffitte, l'avait fait construire pour un de ses parents, lequel devait trouver fort agréable d'avoir pareil architecte dans sa famille. Les archives locales établiraient cette histoire, qui est celle de tant d'autres monuments, mal préservés de la double injure des hommes et du temps. Les pierres ont leur grandeur et leur décadence: Brécy, livré à un propriétaire qui en ignorait la valeur artistique, connaissait la mauvaise fortune. Une métairie s'était installée dans le charmant domaine. Et, tout à côté du portail d'entrée, chef-d'oeuvre de grâce et de noblesse, des bâtiments de ferme montraient leurs toits de chaume.
Un jour, comme une voiture fourragère, traînée par quatre robustes chevaux de trait, franchissait, au risque de l'abîmer, le précieux portail, réservé jadis à de plus légers équipages, le hasard voulut qu'une automobile passât par là. Le plaisir de la vitesse n'empêche point les touristes avisés de regarder autour d'eux: au spectacle imprévu de cette charrette devant laquelle s'ouvraient des vantaux sculptés, une voyageuse s'étonna: comment une résidence dont la façade avait si imposant aspect s'était-elle transformée en habitation rustique? D'autres surprises l'attendaient à la visite du domaine. Le château, de sages proportions, était du style le plus pur, et un beau jardin à la française l'entourait, coupé de terrasses aux escaliers de pierre moussue, aux élégantes balustrades. Partout on retrouvait la marque d'un génie harmonieux et souple, savant à plaire, ami de la mesure et de l'ordre: entre des travaux plus importants, Mansard avait dû s'amuser à créer cette délicieuse «folie»...
C'est ainsi que, pendant une halte d'automobile, Mlle Rachel Boyer «découvrit», si l'on peut dire, le château de Brécy; elle parvint, non sans des efforts obstinés, à déterminer son propriétaire, qui en négligeait l'entretien, à le lui céder. Et il faut se réjouir de voir désormais sauvée cette petite terre où le goût français a fleuri, il y a plus de deux siècles. La «brocante», dont si souvent on signale les méfaits, n'a pu s'emparer du portail de Brécy, comme elle avait tenté de ravir celui de l'ancien évêché d'Alan. Le château sera restauré avec piété: n'est-il pas de bon exemple que l'initiative privée supplée parfois, quand il s'agit de la conservation d'une oeuvre d'art, à l'État, protecteur officiel--mais si occupé--de nos beautés monumentales?
Le nouveau gouverneur du Liban, S. E. Ohannès pacha
Coumoudjian, faisant son entrée à Beyrouth (assis à sa gauche,
un grand
personnage du Liban, S. E. Habib pacha).
Phot. Stefane Faulikevitch.
]
Un correspondant de Beyrouth, M. François Houri, nous écrit: Grâce à l'intervention de la France, la Porte a enfin décidé, depuis quelques semaines, d'accorder les réformes demandées pour le Liban et de nommer en même temps son nouveau gouverneur, S. Exe. Ohannès pacha Coumoudjian, sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères de l'empire. Ohannès pacha est âgé de cinquante-trois ans. Il est Arménien catholique et appartient à une des plus grandes familles de Constantinople.
Sa nomination, qui a reçu la sanction des ambassadeurs des six grandes puissances protectrices du règlement du Liban (France, Angleterre, Russie, Autriche-Hongrie, Allemagne et Italie), a été surtout interprétée, ici, comme un succès de la politique française.
A peine débarqué à Beyrouth, où il a eu une réception des plus solennelles et des plus enthousiastes--les Libanais étaient venus en nombre et de tous côtés saluer le nouveau gouverneur--il a fait appeler un des plus grands personnages du Liban et le chef le plus puissant après le patriarche maronite, S. Exe. Habib pacha El Saad, pour le consulter et le prier d'accepter la présidence du conseil administratif. Habib pacha est maronite; il appartient à cette grande famille Saad El Houri dont Volney et Lamartine parlent avec enthousiasme et dont un des membres, l'arrière-grand-père de Habib pacha, fut nommé consul de France dans le Levant, de par une charte de Louis XVI. Il s'appelait cheik Grandour El Saad.
Le gouverneur, qui ne connaissait pas du tout Habib pacha, s'est inspiré, dit-on, des recommandations de l'ambassade de France à Constantinople, en l'ayant, sitôt débarqué, fait appeler et nommer à la présidence du Conseil. Cette nomination a réjoui tous les Libanais à quelque rite ou religion qu'ils appartiennent. Aussi le Liban, pour fêter l'avènement d'une nouvelle ère de progrès et de prospérité qu'il espère des nouveaux gouvernants, a-t-il fait des illuminations superbes et a-t-il exprimé sa joie, suivant la tradition, par des fusillades nourries.
Voir les solutions au prochain numéro.
N° 3775.-- Problème , par Ph. L.
Noirs (14 P. 1 D.).
Blancs (12 P. 1 D.).
Les Blancs jouent et gagnent.
N° 3776.-- Dominos.
Compléter le carré ci-dessous avec les 28 dominos, de manière qu'en additionnant les points des 8 colonnes verticales, des 8 rangées horizontales et des 2 grandes diagonales, on obtienne toujours le même total: 21 points.
Nota.--Six vides symétriques se trouvent dans la figure.
N° 3777.-- Logogriphe , par Auguste Capdeville (Béziers).
O maîtresse d'Alcibiade,
Reine des beautés en pléiade,
Montre devant l'obscur devin,
Ame céleste, corps divin.
Sauf A, dans le coquet parterre
D'un poétique presbytère,
Allons cueillir la chaste fleur
Ayant la neige pour couleur.
Sauf I, c'est le canapé rose.
Là le joufflu Flémard repose,
Morgué!
Eternellement fatigué.
Sauf A, je deviens soit l'emblème
Sacré de la candeur suprême,
Soit le calice virginal
De l'aube au front matutinal.
Sauf I, sur le divan d'Estelle
Où la somnolence s'attelle,
Vrai Ganymède, je m'assieds.
--Trois pieds.
La déprimante lassitude,
La paresseuse quiétude!
Sauf I,
De l'activité le défi.
Je chante la sieste molle.
Or, l'enivrant parfum s'envole
Afin d'embaumer Josépha,
Sauf A.
Comme bonne philosophie
Le moelleux sopha de Sophie,
Quand, sauf I, l'on est fatigué,
Morgué!
Maintenant, hélas! plus d'oeillade,
Car l'amante d'Alcibiade
Dort, sans amour et sans rancoeur,
Lasse d'esprit... lasse de coeur!
N° 3778.--Mots décroissants, par Ernestine B.
Ce qui veut des médicaments
Calmants.
Un droit pour lequel le beau sexe
Se vexe.
Pour les semaines de loisir
Plaisir.
Fureur qui doit rendre ton verbe
Acerbe.
Son que fit entendre ta voix
Cent fois.
Et l'extrémité d'une tête
De bête.
C. CHAPLOT.