Title : L'Illustration, No. 3652, 22 Février 1913
Author : Various
Release date : October 15, 2011 [eBook #37760]
Language : French
Credits : Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3652, 22 Février 1913
Ce numéro se compose de
vingt-quatre pages
au lieu de seize et contient
en suppléments:
1°
Un portrait au pastel
remmargé de M. Raymond Poincaré, par Marcel
Baschet
2°
L'Illustration Théâtrale
avec le texte complet de
La Prise de
Berg-op-Zoom
, de M. Sacha Guitry;
3° Le 5e et dernier fascicule des
Souvenirs d'Algérie
(Récits de chasse
et de guerre), du général Bruneau.
SUR LE PASSAGE DU PRÉSIDENT POINCARÉ
Le combattant de 1870 et le
conscrit de 1913--l'ancien «sept ans» et le futur «trois ans».
Scène de la rue, le 18 février 1913, vue par L. SABATTIER.
Le numéro du 1er mars (Série-Roman) contiendra la première partie (32 pages) du nouveau roman de Marcel Prévost, de l'Académie française: Les Anges Gardiens.
Dans le numéro du 8 mars (Série-Théâtre) paraîtra la pièce de Gaston Leroux et Lucien Camille : Alsace.
Le 15 mars, deuxième numéro de la Série-Roman, avec la deuxième partie (40 pages) des Anges Gardiens.
Paraîtront ensuite:
Série-Théâtre.
Les Flambeaux
, par
Henry Bataille
;
L'Homme qui assassina
, par
Pierre Frondaie
(d'après le roman de
Claude Farrère)
;
L'Habit vert
, par
Robert de Flers et G.-A. de Caillavet
;
Les Éclaireuses
, par
Maurice Donnay
,
de l'Académie française
;
Servir
et
La Chienne du Roi
, par
Henri Lavedan
,
de l'Académie
française
;
L'Embuscade
, par
Henry Kistemaeckers
.
Série-Roman.
Le Démon de Midi
, par
Paul Bourget
,
de l'Académie française
;
Un Roman de théâtre
, par
Michel Provins
;
La Voix qui s'est tue
, par
Gaston Rageot
;
Scènes de la vie difficile
, par
Alfred Capus
.
Il n'est jamais trop tard pour reparler de ceux qui ne parleront plus, surtout quand leurs phrases suprêmes, leurs mots de la fin, ont, sans le chercher, obtenu le sublime et sont arrivés du premier coup à l'adresse de la postérité.
Ainsi, l'Angleterre et le monde entier ont recueilli avec une orgueilleuse admiration les adieux, si tranquilles, du navigateur Scott. Arrêtons-nous, je vous en prie, stationnons, même de loin, devant ce sévère héroïsme, et pénétrons-nous-en, jusqu'aux, moelles. Trempons-nous dans le bain magnifique et dur de ces neiges qui devenaient le linceul excellent, le suaire immaculé de gloire de l'homme surhumain, le drap blanc plus blanc que tout autre, et qu'il méritait.
Représentez-vous ce hardi, jeté à terre et roulé, enveloppé, comme en une gigantesque couverture de froid, dans les plis tour à tour sombres et aveuglants de la tourmente... Le voici couché, renversé, aplati, balayé, chassé par la rafale, tel un flocon de chair bleuie parmi les centaines de milliards des autres flocons, dans l'averse des effrayants duvets gros confine le poing, pareils à des cailloux légers, à des boulets flottants. Le voyez-vous, battu de cette pluie d'argent, de feu virginal et d'acier, qui cingle, qui voltige, se croise, tourbillonne et tombe en hachant l'immensité vide à perte de vue, à perte d'idée...? Ah! l'on peut affirmer que la détresse de l'audacieux pygmée est vraiment la pire et la plus irrémédiable de toutes, l'anéantissement physique et moral le plus complet. Il regarde en face le peu de temps qui lui reste à désespérer, le front haut, et il se sent serré dans une horreur dont rien n'approche nulle part. Il subit les affres sans nom de l'Apocalypse. Et, cependant, quand tout devrait, en une pareille épouvante, le confondre et le réduire, il ne s'avoue pas vaincu ni même démonté, il rassure dans les limites du possible son corps déjà «saisi», pétrifié, ce pauvre corps qui fut la hutte de son courage, et qu'une flamme intérieure bien courte et pâlissante achève d'éclairer. La volonté, plus encore que le froid, le raidit, dans son obstination à «tenir» jusqu'au bout. D'autres renonceraient, se laisseraient, comme un traîneau vide, glisser sur la pente du gouffre!... A quoi bon se prolonger par l'entêtement? Il n'y a plus rien. Tout est dit pour ici-bas. L'expédition est terminée. Le but est atteint. Le pôle du grand inconnu, celui-là que personne encore n'a découvert vivant, que l'on ne touche qu'immobile et muet, et dont nul ne revient, ce pôle de l'au-delà, il sent, le moribond, qu'il est à la minute d'y pénétrer, qu'il y entre... Tout le reste ne doit-il pas alors lui être égal? Eh bien, non! Dans un rassemblement d'honneur et de fierté, il se ramasse, il souffle à genoux sur le charbon de sa pensée, qui brûle encore, pour en tirer une lueur d'adieu, et quelques étincelles... Et sans savoir même s'il sera remercié de sa splendide peine, si ces mots qui lui coûtent tant à créer, à arracher et à grouper dans les triples ténèbres de son cerveau, de la nuit et de la mort, parviendront jusqu'aux yeux et aux oreilles des hommes, de ses frères qui sont si loin... malgré tant d'incertitude certaine, il continue de jouer son rôle d'explorateur, il écrit ce qui se passe , il tient son journal in extremis , il parle à son pays dont il ne doute pas qu'un jour ou l'autre, si faible que soit sa voix, il ne soit entendu... Et seconde par seconde, syllabe par syllabe, il dispute son esprit, sa langue et sa main à l'embarras qui le gagne... Ah! cela est d'une insurpassable beauté, tragique et marmoréenne, d'une beauté de glace qui fait bloc et se dresse devant vous brusquement, comme un iceberg, en vous causant je ne sais quel effroi sacré, quel saisissement de grandeur!
*
* *
Voici donc ce que peut l'homme à ses derniers moments , ce qu'il est capable de fournir avant de disparaître! et pas même l'homme encore solide et toujours debout, mais l'homme inerte, assommé, réduit à rien, la face contre terre. Quels sont donc ses moyens? De quoi est-il fait? D'où lui vient cette envergure finale? E comment l'expliquer?
Cela est plus simple qu'on ne croit. D'abord, à cet instant, par un phénomène naturel, par une espèce de déplacement nécessaire, tout ce qui s'en va de puissance physique se transforme en vigueur morale. Ce n'est plus la saison du corps. Le tour des muscles et des nerfs est passé. Il n'y a maintenant que l'âme qui vive, mais elle vit deux fois, cent fois, mille fois plus. Près de sortir, aspirant déjà le dehors, tracassée d'infini, elle se gonfle et acquiert aussitôt une plénitude sans précédent. Tout s'y réfugie, s'y condense, comme du lointain des extrémités abandonnées reflue le sang au carrefour du coeur. L'âme devient le dernier poste de toutes les facultés, de tous les désirs apaisés, de tous les regrets consentis, de tous les devoirs exigés, de toutes les espérances prochaines... C'est en elle qu'ils ont pris leur suprême rendez-vous et qu'ils se rassemblent, à l'heure dite. Pas un ne manque à l'appel. Aussi, ne vous étonnez plus du bel ouvrage qu'ils font alors. Ils sont d'ailleurs entièrement livrés à eux-mêmes et peuvent donner leur entière mesure. Rien ne les distrait plus d'un monde où tout se voile et fond, objets, visages, même ceux des êtres aimés, ciel pourtant si chéri des yeux qui s'en croyaient inséparables et s'imaginaient ne jamais pouvoir s'en passer et qui déjà n'y font plus attention... C'est pourquoi en effet--à notre tristesse déçue qui ne sait pas comprendre--les yeux des agonisants se ferment volontiers. Ils n'éprouvent plus le besoin que de regarder à l' intérieur , vers ce qui va se montrer et qui s'entr'ouvre en eux.
A ces minutes aussi, la pensée, l'intelligence, atteignent des degrés où jamais la vie débordante, et si riche de sève, ne les avait cependant transportées. Il peut y avoir un peu d'éphémère génie dans les derniers moments de très pauvres êtres, car la mort bouleverse tout en nous avec ses rayons, et l'agonie transfigure. Les obscurités d'ici-bas, au milieu desquelles nous avons promené nos lampes, se dissipent. Nous commençons à voir où nous allions. Le chemin parcouru se dessine, étale sa pente. La situation s'éclaire. Les problèmes sont résolus. La Certitude et sa soeur la Sérénité posent sur nos fronts rajeunis leurs mains fraîches et douces. La beauté morale, enfin, comme si on l'invitait, se présente et se révèle alors sous sa forme la plus parfaite et la plus pure. Elle a su, en plusieurs occasions de la vie, éclater et pousser un cri, mais c'est au Départ qu'elle chante, qu'elle entonne l'hymne du cygne.
Est-ce à dire que tous les derniers moments sont assurés d'être réussis? et que la mort, en faisant dans notre direction son geste de discret appel, nous en garantisse le succès? Non. Les derniers moments ne viennent vraiment bien que s'ils ont été préparés. Ils ne sont qu'une résultante. Ils constituent l'acte final d'une pièce qui doit avoir été charpentée, et qui doit, si elle ne veut pas tomber, s'appuyer sur quelque chose. Les bonnes expositions déterminent les dénouements les meilleurs.
Ainsi serons-nous donc prudents, pour bien nous en tirer, de ne pas attendre d'y être, et de ne pas trop compter sur l'inspiration! Elle pourrait, si nous n'avions qu'elle à sonner, ne pas venir, et nous faire défaut. Ayons en nous depuis longtemps, sur la planche, et tout prêts, ayons nos derniers moments, soignés, en exacte mise au point, de façon que les possédant à fond, après les avoir souvent répétés, les sachant par coeur et sur le bout du doigt, nous n'ayons plus qu'à les réciter, presque machinalement, quand on nous le demandera. Pour qu'ils soient jolis, il ne faut pas que nos derniers moments nous surprennent, mais qu'ils s'accomplissent et se réalisent, en quelque sorte d'eux-mêmes, presque malgré nous, en dehors de notre volonté dont il est sage de prévoir les accidents et les faiblesses possibles. A ce prix seulement nous serons sans inquiétude, à, peu près certains--quoi qu'il advienne à notre chair, dans la bousculade de la sortie--de faire contenance. On n'apprend pas à mourir au pied levé. Il faut s'y prendre dès le berceau.
J'ai toujours été persuadé que ceux qui meurent bien, éprouvent--même s'ils n'ont pas les moyens de la témoigner--une grande joie intérieure. Ils ont conscience de l'acte définitif qu'ils accomplissent. Tout en eux dégage la paix, la satisfaction idéale, la sainte lassitude. Ils ne sont plus occupés, avant de fermer le livre, qu'à nous en produire un fidèle et bon résumé, le plus bel extrait. Les derniers moments n'ont pas d'autre mission que de nous donner, en raccourci, le sens de trente, cinquante, quatre-vingts ans... et la qualité de ces rapides minutes dépend de celle de toutes les autres. C'est le propre des caractères d'accepter avec politesse, dès qu'ils se présentent, les derniers moments, de ne pas les rabrouer, de leur sourire, d'avoir pour eux tous les égards. Par ces façons, par ce fier souci de plier bagage dans l'élégance et de savoir «prendre congé», ceux qui s'en vont procurent, à ceux qui regrettent de rester, mieux qu'un souvenir; ils leur lèguent un exemple, une hautaine envie, un désir ardent et pieux d'imitation. Il faut, en voyant comme s'éloigne un être supérieur et aimé, que l'on admire sa sortie et qu'on en soit un peu jaloux. Il est de grandes agonies qui demandent qu'on les salue. Elles dictent le testament de l'âme. Elles escortent son passage, et lui font la haie. Et l'on comprend mieux devant elles la raison de tant de beauté: les derniers moments d'une vie ne sont que les premiers d'une autre.
Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
Sept présidents à l'inauguration du monument d'Arthur
Ranc, le 16 février.
Un ancien président de la République, M. Loubet; un
président encore en exercice, M. Fallières; un président à la veille
d'entrer en fonctions, M. Poincaré; le président du Conseil des
ministres, M. Briand; le président du Sénat, M. A. Dubost; le président
de la Chambre, M. Paul Deschanel; le président du Conseil municipal, M.
Galli.
par Marcel Baschet
(Voir le hors texte en couleurs encarté dans ce numéro.)
Dans le numéro de cette semaine--«la semaine du Président», ainsi qu'on l'a appelée en manière d'hommage familier au nouveau chef de l'État-- L'Illustration devait à l'attente de ses lecteurs de reproduire à une place d'honneur, en une image qui fût une oeuvre d'art durable, les traits de M. Poincaré. Avant de recevoir l'investiture officielle, pendant cette période d'un mois qui a précédé son entrée à l'Elysée, le président de la République a bien voulu consacrer quelques heures à un maître du portrait, M. Marcel Baschet: trois séances--et encore furent-elles bien courtes--suffirent à l'artiste pour exprimer non seulement la ressemblance du visage, mais l'âme même, les vertus propres qu'il décèle. C'est le beau pastel ainsi exécuté que nous avons la bonne fortune de présenter aujourd'hui en hors texte.
La figure, désormais populaire, de M. Poincaré y vit, jusqu'à paraître s'animer, dans toute son intime vérité: sa forte structure, le front comme éclairé par l'intelligence qu'il abrite, le clair regard, tout indique l'énergie, la loyauté, la raison. Jamais sans doute la volonté et la réflexion ne se trouvèrent à ce point réunies sur une même face, et ne furent interprétées plus fidèlement.
Le monument d'Arthur Ranc dans la
cour de la mairie du
IXe arrondissement.
La dernière inauguration du septennat de M. Fallières aura, en quelque sorte, été la première des solennités de la transmission des pouvoirs présidentiels. L'hommage solennel à la mémoire d'Arthur Ranc avait en effet réuni, dès dimanche, à la mairie de la rue Drouot, devant le monument élevé par l'Association des journalistes républicains à leur ancien président, les trois présidents de la République, celui de la veille, celui du jour et celui du lendemain, MM. Loubet, Fallières et Poincaré, que nous allions revoir ensemble, le mardi, à la grande fête, toute parisienne, de l'Hôtel de Ville.
Le monument que l'on inaugurait, dû au ciseau du sculpteur Camille Lefèvre, est composé d'un buste d'Arthur Ranc, derrière lequel passe une République de bronze tenant une palme à la main. Sur une plaque de bronze, placée à droite du buste, sont indiqués les dates commémoratives et les titres du disparu. Sur une seconde plaque de bronze, à gauche du buste, est gravée l'inscription suivante: «Qu'il n'y ait plus parmi vous qu'une devise, celle de Grambetta: Tout par la République pour la patrie! »
Beaucoup d'amis d'Arthur Ranc assistaient, autour de Mme veuve Ranc, à cette cérémonie officielle, véritable solennité républicaine, à laquelle étaient présents les présidents des Chambres, les membres du gouvernement et de nombreuses personnalités de la politique et de la presse. Six discours furent prononcés, et M. Mathieu Prévôt, le vénérable maire du neuvième arrondissement, salua dans les termes les plus heureux MM. Fallières, Loubet et Poincaré, auxquels il dit, au milieu des applaudissements:
«--Vous représentez pour nous les idées de patrie et de République avec leur noble cortège de traditions, de souvenirs, de regrets et d'espérances.»
Ce fut, avant la longue ovation populaire et l'éclatante réception de l'Hôtel de Ville, une minute d'histoire, brève, émouvante vraiment, que la cérémonie de la transmission des pouvoirs présidentiels.
Les rares et privilégiés témoins garderont le souvenir de cette scène.
Tandis que les abords du palais de l'Elysée se garnissaient de troupes et d'une foule impatiente, les principaux de l'État se réunissaient dans le magnifique salon des Ambassadeurs. M. Fallières, dont la dernière minute de pouvoir approche, semble avoir oublié l'échéance imminente, comme M. Antonin Dubost et M. Deschanel semblent avoir oublié qu'ils auraient pu être les héros de cette cérémonie, et qu'ils y avaient prétendu. Les trois présidents, les ministres, les membres des bureaux des deux Chambres, forment des groupes qu'enluminent un grand cordon rouge, des écharpes tricolores et que domine la haute taille d'un secrétaire de la Chambre, M. Maginot. Dans le murmure des conversations, nul bruit n'arrive du dehors, et c'est une surprise lorsque M. Bourély, le jeune sous-secrétaire d'Etat aux Finances, dit:
--Le canon!
Et aussitôt, pénétrant, par les larges antichambres et les salons vides, jusqu'à M. Fallières, soudain immobile et grave, les notes larges de la Marseillaise annoncent l'arrivée du nouveau président.
M. Poincaré arriva fort simplement, tout gentiment, accompagné de M. Briand, son successeur à la présidence du Conseil, et l'on put remarquer, sans grand effort d'observation, que M. Briand paraissait aussi heureux, pour le moins, que M. Poincaré d'un événement à la réalisation duquel il n'avait pas été étranger.
M. Poincaré se plaça droit en face de M. Fallières, derrière lequel disparut M. Briand. Il fallut que M. Barthou, vice-président du Conseil, tirât par la manche son trop modeste président pour que celui-ci avançât sur la première ligne,--ce qui, d'ailleurs, le rapprocha du sévère M. Antonin Dubost. M. Fallières était exactement à égale distance du président de la Chambre, à sa droite, et du président du Sénat, à sa gauche, comme il est absolument nécessaire pour l'équilibre constitutionnel. Il avait derrière lui la jeune cohorte des ministres. Jeune, en effet; l'air de jeunesse de ce ministère est, de ses qualités, une de celles qui frappent d'abord, l'observateur, et le réjouissent.
Les deux discours s'échangèrent.
Il y eut, dans la façon dont ils furent dits, des différences que nous signalons à l'histoire. M. Fallières lut le sien, qui fut fort approuve, d'ailleurs, et jugé excellent. Au contraire, M. Poincaré dit le sien, et d'une voix nette, bien articulée, qui donnait leur pleine valeur à ses fortes et nobles paroles. M. Fallières avait commencé par parler très courageusement, et c'est «après», à la réponse de son successeur, qu'on le vit s'émouvoir, d'une douce et digne émotion de brave homme. Au contraire, la première parole de M. Poincaré fit mine de s'étrangler un peu dans sa gorge; la seconde passa mieux, et, dès la troisième, le nouveau président de la République montra la plus grande maîtrise de soi-même.
C'est qu'il était vraiment, ces brèves paroles échangées, président de la République,--tout de bon. M. Fallières s'avança vers lui, les deux mains tendues, puis s'en retourna à sa place,--ancien président.
La cérémonie avait duré six minutes.
Il avait fallu six heures, au Congrès de Versailles, pour préparer ces six minutes-là.
--Et maintenant, messieurs, dit M. Fallières, nous allons procéder à la transmission matérielle des pouvoirs.
Ce disant, il emmena vers son ancien cabinet le nouveau président. Qu'allait-il donc lui transmettre? Le collier et le grand cordon rouge de la Légion d'honneur, et aussi l'écritoire d'où sortira demain la destinée même de la France.-- R. Wehrli.
De l'Elysée à l'Hôtel de Ville, la foule, plus dense encore, est imposante et formidable. Les Champs-Elysée, la place de la Concorde, les terrasses des Tuileries où ont pris place, avec leurs drapeaux ou bannières, les sociétés de préparation militaire, de vétérans, de médaillés de 1870, sont noirs de monde; de toutes les fenêtres, de tous les balcons de la rue de Rivoli, pleuvent, sur le cortège, des bouquets de violettes. Sur le parvis de l'Hôtel de Ville attend, facilement maintenue, d'ailleurs, par un service d'ordre courtois et bien dirigé, une masse compacte et vibrante.
Second jour de présidence: M. Poincaré visite l'hôpital
Saint-Antoine. En silhouette, au premier plan, M. Lépine,
préfet de
police.
Dans la cour d'honneur du monument municipal, transformée en jardin d'hiver, les personnalités officielles, Sénat, Chambre, Cour de cassation, attendent M. Raymond Poincaré. Le maître de la maison, M. Henri Galli, président du Conseil municipal, va de l'un à l'autre, accueillant et grave. Cuirassé d'argent, magnifique et bronzé, M. Delanney, préfet de la Seine, domine les groupes de sa haute taille.
Mais il est près de 4 heures. Chacun prend sa place, et voici, au premier rang, le profil aux arêtes coupantes, le visage en ivoire luisant et teinté, de M. Antonin Dubost. Voici tout auprès la silhouette élégante de M. Paul Deschanel, qui, malgré des fils de neige dans les cheveux et la moustache courte, conserve une sveltesse de jeune sous-préfet; et voici, après les deux présidents de Chambre, une figure connue et toujours sympathique, la physionomie blanche, fine, souriante, de M. Émile Loubet, qui est là, lui aussi, seul avec le grand cordon rouge des chefs d'État.
L'adjudant de sapeurs-pompiers Lemaire,
blessé au feu avec onze de ses hommes et
qui a reçu, à l'hôpital Saint-Martin,
la première visite de M. le président
Poincaré.
--
Phot. Rodrick.
4 heures! Une sonnerie de trompette. Une acclamation gigantesque au dehors. Ce sont les présidents. Le cortège fait son entrée, précédé des huissiers en argent et du protocole en or. M. Fallières conduit M. Poincaré, un peu pâle, très grave, très recueilli, avec sur son visage le reflet d'une profonde émotion intérieure, autour du salon, devant les personnalités et les groupes qui s'inclinent. De brefs discours de bienvenue, une réponse en termes heureux, sont échangés. Tous les présidents signent sur une feuille de parchemin enluminée qui prendra place dans le Livre d'or de l'Hôtel de Ville. Puis l'on se dirige en cortège dans les salons où sont massés les invités du Conseil municipal... Alors, dominant les applaudissements et les vivats, chantée superbement par les choeurs du Conservatoire qu'accompagne la musique de la garde républicaine, s'élève, grandiose, vibrante, la Marseillaise , qui nous étreint tous à cette minute, et qui nous paraît toute neuve et toute jeune...
En quittant l'Hôtel de Ville, M. Poincaré et M. Fallières se sont rendus rue François-Ier, au nouveau domicile de l'ancien président de la République, où les deux chefs d'État se sont séparés en se donnant, sur le trottoir, une cordiale accolade, aux applaudissements de la foule. Puis M. Poincaré est rentré à l'Elysée, chez lui. Il y a tenu, à 6 heures, son premier conseil des ministres, séance de pure forme, au cours de laquelle le ministère, après avoir démissionné, selon la tradition constitutionnelle, a été maintenu dans ses fonctions par le président de la République. Cette journée, si bien remplie, n'était cependant point achevée pour M. Poincaré, qui a voulu se rendre, à 7 heures du soir, au chevet des douze pompiers parisiens grièvement blessés la veille dans l'explosion d'une fonderie d'aluminium à la Roquette, et soignés à l'hôpital militaire Saint-Martin. Ce geste spontané et touchant a plu infiniment aux Parisiens, dont les acclamations, encore plus chaleureuses, si possible, accueillirent M. Poincaré lorsqu'il arriva, dans ce quartier populeux, en automobile et sans escorte. Le chef de l'État s'inclina au chevet des blessés et leur dit des paroles réconfortantes. Pourquoi fallut-il qu'à ce moment un photographe, trop exclusivement soucieux d'augmenter sa collection de clichés de cette journée historique, jetât brutalement son étincelle de magnésium, sans songer que cette déflagration soudaine était de nature à provoquer une impression douloureuse sur les blessés? M. Poincaré protesta lui-même avec quelque vivacité: «Soyez indiscret avec le président, soit. Mais respectez au moins ceux qui souffrent ici...» Le retour s'effectua au milieu du même grand mouvement populaire, et toute la joie de Paris continua de s'exprimer longtemps dans la soirée par l'activité exceptionnelle des rues, l'animation des groupes et le succès des ténors populaires qui, en l'honneur du nouveau chef de l'État, chantaient leurs couplets ingénus.
Ajoutons que, le lendemain, M. Poincaré, qui s'était promis d'inaugurer sa haute magistrature par des visites aux hôpitaux, a visité l'hôpital Saint-Antoine où a été pris--mais sans magnésium et sans effrayer les malades--le cliché que nous publions ci-contre.--A. C.
Ici viennent s'intercaler quatre pages (149 à 152) sur LA TRANSMISSION DES POUVOIRS PRESIDENTIELS.
A LA RÉCEPTION DE L'HOTEL DE VILLE.--L'arrivée de Madame Raymond Poincaré.
Les Parisiens, qui, pendant la durée du septennat, auront tout loisir de voir, aux occasions officielles, Mme Raymond Poincaré, n'ont guère pu, cette semaine, lui manifester cette déférente sympathie dont l'entouré, déjà, le sentiment populaire: elle n'a pris qu'une part discrète aux cérémonies qui ont marqué la transmission des pouvoirs. Quelques instants avant l'arrivée du cortège présidentiel, une automobile la déposa, mardi dernier, devant l'Hôtel de Ville, Délicieusement habillée d'une robe souple, aux plis harmonieux, que faisait valoir encore la blancheur de l'étole et du manchon, elle apparut un moment, souriante, un peu émue sans doute. Et ce fut une rapide vision de grâce et d'élégance, pas assez brève cependant pour qu'elle ne fût point fixée par l'objectif.
Conduite directement à la salle des fêtes, en compagnie de Mme Fallières et de Mme Loubet, Mme Poincaré y fut reçue par M. Galli, président du Conseil municipal, qui lui offrit une gerbe de roses.
La seconde campagne qui s'est ouverte après la dénonciation de l'armistice se poursuit dans des conditions particulièrement défavorables pour les correspondants de guerre, non autorisés, du côté bulgare comme du côté turc, à suivre les opérations. Notre envoyé spécial Georges Rémond n'a cependant point abandonné le projet de se rendre sur le front, «sachant par conviction et par expérience qu'il n'y a jamais rien d'impossible ni d'absolu en Turquie». Il nous adresse, en attendant, des lettres fort intéressantes sur l'état d'esprit à Constantinople, les difficultés et les incertitudes du nouveau gouvernement pendant la première semaine qui a suivi la reprise des hostilités. En voici des extraits:
... On peut nettement démentir aujourd'hui les bruits, qui ont couru ici, après la révolution, de rixes, de batailles même entre officiers et soldats vieux et jeunes Turcs à Tchataldja: ils sont contredits de partout. Les divers articles parus à ce sujet dans plusieurs journaux sont puisés aux sources les plus douteuses. D'après les officiers du parti de Nazim, que je connais personnellement, et qui me l'ont assuré, toute l'agitation s'est bornée à des discussions de café. Et quant à la marche qu'on avait annoncée d'Ahmed Abouk sur Constantinople, c'était une pure légende forgée de toutes pièces.
Les Asiatiques appelés par la Turquie à la défense
suprême de son empire d'Europe: cavaliers kurdes
traversant Constantinople.
Il faut le constater une fois de plus: l'âme musulmane n'a pas de réactions; la victoire de l'adversaire lui paraît une sorte de fatalité divine devant laquelle il convient de s'incliner. Un Turc est infiniment lent à se ressaisir. Ou plutôt, il ne se ressaisit point, mais dit simplement: «Allons! voilà que je me suis cassé le cou, voyons un peu si celui-ci réussira mieux. Il ne tardera guère, lui non plus, de se rompre les os à si dur jeu; je reprendrai alors ma place.»
... J'ai rendu visite à Noradounghian effendi, le ministre d'hier, très étonnante tête au nez démesuré, aux yeux brillants de vieil oiseau qui se serait coiffé d'un fez; il parle des événements avec une tranquillité, une objectivité étonnantes, sans amertume. Il nous reçoit familièrement entre sa femme, sa fille, qui, lorsqu'il était ministre et se trouvait absent, répondait à sa place aux journalistes. Il est tout petit, disparaît dans un grand fauteuil au milieu de son vaste salon meublé à la façon de celui d'un dentiste de première classe, et s'exprime avec une voix douce aux inflexions subtiles. «Oh! nous dit-il, ce n'est pas un si grand changement! Mon successeur sera tout d'abord obligé d'étudier le dossier des diverses communications faites aux alliés et aux puissances par la voie de nos représentants à Londres, et notre correspondance avec ceux-ci; après quoi ses conclusions ne différeront pas très sensiblement de celles auxquelles nous étions arrivés.» Et cela est vrai, ou du moins possible, et en tout cas assez mélancolique. Les révolutions ne servent de rien ou presque: on supprime des individus, on ne change pas le cours des événements.
... De la guerre, peu ou point de nouvelles. Les comptes rendus des opérations de ces derniers jours sont nuls, ou absurdes, ou contradictoires. Tandis que les Bulgares, eux, ont un plan de campagne fort simple: s'emparer d'Andrinople et s'établir de façon inexpugnable sur la ligne de l'Ergène, embouteiller les troupes de Gallipoli et attendre une offensive possible du côté de Rodosto, --les forces turques se trouvent bien dispersées et incertaines de ce qu'elles doivent faire. Elles comprennent aujourd'hui un corps d'armée de débarquement, le 10e, commandé par Kourchid pacha et Enver bey; un corps d'armée de 50.000 hommes, à Gallipoli, commandé par Fakri pacha et Pethi bey; et enfin six corps d'armée, dont trois de réserve, soit environ 150.000 hommes, à Tchataldja. Il y aurait là 300 canons venus d'Allemagne par la voie roumaine, en plus de ceux qui s'y trouvaient déjà.
C'est Enver bey qui pousse à la guerre à outrance, voulant, dit-il, sauver l'honneur de la patrie. Et, m'assure-t-on de très bonne source, Mahmoud Chefket, anxieux de l'insuccès, inquiet de ce que deviendront le gouvernement, la ville de Constantinople, après une défaite, des désordres terribles qui peuvent éclater, répond à Enver: «Mais vous prenez la responsabilité de tout!» Et Enver: «Je la prends, je la prends tout entière et sur moi seul; il n'y a pour le moment nulle raison de désespérer.»
Tel est l'état d'âme des uns et des autres. Mais la foi populaire manque; l'indifférence est complète à Stamboul presque autant qu'à Péra. Sur le passage des soldats, pas un cri d'enthousiasme, pas un mot; à peine tourne-t-on la tête. D'où tire-t-on encore tous ces hommes qu'on embarque pour les ports de la Marmara ou qu'on dirige vers Tchataldja? Ils ont assez bonne mine; ce sont de beaux hommes, seulement un peu lourds (ils fondront d'ici peu), bien armés, bien vêtus, bien chaussés; mais avec quoi seront-ils nourris, avec quoi paiera-t-on les vivres? Il n'y a plus un sou dans les caisses. Les tentatives d'emprunt aux banques étrangères ont échoué; on va faire une émission de papier monnaie, pressurer encore les provinces d'Anatolie. Cela durera quinze jours, un mois. Mais après? Ce sera la famine, car les terres n'ont pas été ensemencées. Et qu'arrivera-t-il quand ce grand-nombre de soldats volontaires, kurdes, arabes, tcherkesses, venus avec leurs chevaux dans l'espoir d'un gain, d'un pillage quelconque, se verront battus, frustrés de tout profit et ayant sous les yeux la tentation d'un grande ville regorgeant de tous les biens du monde?
Pour le présent, il n'est pas douteux que le nouveau gouvernement ait fait de grands efforts afin de secouer et de réveiller ce peuple. On a trouvé des chevaux, de l'argent même, réorganisé l'intendance, levé des contributions, cherché de toute façon à exciter l'enthousiasme de la foule. Les femmes turques se réunissent, font des meetings, offrent leurs bijoux, adressent des lettres aux souveraines d'Europe. Enfin on travaille, on s'efforce de toutes façons, en tous sens... Trop tard?--Sans doute, mais, quoi qu'on en ait dit et sans le moindre parti pris, je crois que les Jeunes-Turcs sont tout de même moins incapables et moins apathiques que les vieux, et que, s'ils avaient eu, au début de la guerre, les affaires en mains, la défaite n'eût peut-être pas été si rapide, ni si complète.
... Je ne sais si nous assistons aux derniers jours de Constantinople,
mais jamais ce paysage de pierre, d'eau, de maisons de bois, de
vaisseaux, de collines, de cimetières et de jardins à l'abandon n'a été
plus beau. L'autre soir, au crépuscule, le spectacle semblait tenir de
quelque magie, et à l'entrée du pont de Galata on s'arrêtait presque de
respirer pour ne pas briser d'un souffle une vision si rare et trop
précieuse pour demeurer. Pas une brise, pas un petit nuage, pas un pli
d'eau, pas une brume; la silhouette des minarets, des dômes, des petites
maisons, des bois de cyprès, était intaillée dans l'immense pierre verte
du ciel, dont l'émeraude se transformait en saphir vers le zénith.
C'était le plus merveilleux camée qu'on pût voir. Et je pensais que,
malgré tout, Loti avait raison: que c'est là une oeuvre d'art turque;
que ces barbares ont marqué ce pays au point que, sans eux, on ne le
reconnaîtra plus.
Georges Rémond.
Le premier échantillon connu de l'art du modelage
préhistorique
,
--Groupe de bisons en argile, découvert par M. le comte
Begouen et ses fils dans la Caverne du Tuc d'Audoubert
(Ariège).
--
Photographie de M. Begouen (1/10e environ de grandeur
naturelle).
Les documents préhistoriques mis au jour en ces dernières années nous ont appris bien des choses inattendues sur la vie de nos premiers ancêtres. Le crâne de la Chapelle-aux-Saints et le squelette du Moutier nous ont révélé un homme des cavernes beaucoup moins éloigné de certaines races actuelles qu'on se le figurait jusqu'alors; les dessins gravés sur des os de rennes ou sur les parois des grottes aux Eyzies et en divers points de la France nous ont fait connaître un art préhistorique souvent rudimentaire, mais parfois assez avancé, et qui se manifeste avec une perfection déconcertante dans les dessins en noir et à l'ocre que, grâce à la générosité éclairée du prince de Monaco, M. l'abbé Breuil a pu relever minutieusement dans les cavernes espagnoles; il y a quelques mois, enfin, nous présentions à nos lecteurs les premiers bas-reliefs connus de l'âge de pierre, découverts aux environs de Bordeaux par le docteur Lalanne.
Boudins d'argile trouvés dans la grotte et,
sans doute, préparés par l'artiste pour
achever son modelage.
Aujourd'hui M. le comte Begouen nous montre dans une grotte de l'Ariège des statues, non plus taillées dans la pierre, mais modelées dans l'argile. Ces sculptures, les premières du genre que l'on trouve, sont dans un état de conservation remarquable.
C'est dans la caverne du Tue d'Audoubert, sise sur la commune de Montesquieu Avantès (Ariège), que le comte Begouen et ses fils ont trouvé les bisons d'argile, tels que les représente la photographie présentée à l'Académie des inscriptions et belles-lettres par M. Salomon Reinach, et qui nous a été communiquée par M. Boule, professeur au Muséum, directeur de l' Anthropologie .
M. le comte Begouen, un des plus actifs et des plus érudits de nos archéologues, a déjà fait nombre de découvertes intéressantes dans le domaine préhistorique. Il nous conte lui-même, dans l' Anthropologie , l'histoire de sa dernière trouvaille.
C'est tout à fait au fond d'un des couloirs élevés de la caverne, à 700 mètres au moins de l'entrée, que reposent les statues. L'entrée même est défendue par un bief que forme la résurgence du Volp. Il faut pénétrer en barque sous terre sur une longueur d'environ 60 mètres avant de trouver des galeries parsemées de flaques d'eau, où l'on peut à la rigueur, au temps des basses eaux, passer à pied sec.
La grotte comprend trois étages. Le premier est au niveau de l'eau; on accède au second en escaladant une falaise de 2 mètres de haut; pour atteindre le troisième, il faut s'engager dans une cheminée et escalader un à-pic de 12 m. 50.
Une des escalades nécessaires pour accéder à
la salle des bisons, dans la grotte d'Audoubert.
Au bout d'un couloir accidenté, aux parois ornées de quelques gravures, on rencontre une salle basse dont le fond est obstrué par des piliers de stalactite. Après avoir brisé trois colonnes, de façon à pratiquer une ouverture mesurant 28 centimètres de hauteur sur 65 de largeur, M. Begouen et ses fils purent pénétrer en rampant dans un second couloir où l'argile du sol a conservé des empreintes de talons humains, de griffes et de poils d'ours, et qui mène à la salle des bisons.
«Les deux statues sont appuyées contre un bloc de rocher tombé de la voûte au milieu de la salle. L'animal qui se trouve en avant est une femelle, il mesure 61 centimètres de longueur et 29 centimètres du ventre au sommet de la bosse; le mâle donne 63 et 31 centimètres. Le côté droit seul est achevé; le côté appuyé au rocher n'a pas été travaillé. Quoique la salle soit assez humide pour que la terre ait conservé toute sa plasticité, l'argile en se desséchant un peu a provoqué de profondes fissures, traversant parfois tout le corps des animaux, mais sans causer de dégât, parce que les statues sont appuyées contre la roche. Comme pour le second bison le rocher n'était pas assez long, l'arrière-train a été calé par des pierres rapportées. La surface du corps est lisse, on y distingue fort bien les traces du lissage fait par la main de l'artiste... L'oeil est marqué chez la femelle par une sorte de bille de terre avec un renfoncement au milieu. Ce procédé simulant la prunelle et le regard donne de la vie et de la physionomie à cette tête, tandis que le mâle a l'air atone et sans vie avec son gros oeil tout rond. La barbe qui arrive jusque sous le ventre a été indiquée par des stries faites avec une spatule mince en bois ou en os, tandis que, pour représenter la crinière plus laineuse, l'artiste s'est contenté de son pouce dont l'empreinte est bien nette.»
Sur le sol, on aperçoit deux ébauches et une esquisse de bison très sommairement tracée sur l'argile, mais où le modelage de la tête est commencé.
«Cette esquisse, ajoute le comte Begouen, permettrait de supposer que les artistes de l'époque, après avoir dessiné sur le sol la silhouette de l'animal, enlevaient de la terre tout autour, puis soulevaient le gâteau ainsi préparé avant de le finir sur place (en utilisant, sans doute, des boudins d'argile comme ceux que l'on a retrouvés non loin des bisons). Le côté non terminé des statues, d'épaisseur variable, présente bien l'aspect d'une plaque d'argile arrachée du sol. De plus, nous avons remarqué plusieurs cuvettes arrondies, dont les bords portent encore des empreintes de doigts et qui pourraient bien avoir été formées de la sorte.»
Ces statues, qui constituent un document unique, n'ont pas été
déplacées, et le comte Begouen hésite à risquer un transport qui
présente de grandes difficultés.
F. Honoré.
Le cuirassé autrichien type
Viribus unitis.
22.000
tonnes; 21 noeuds; armé de 12 canons de 30cm en 4 tourelles triples.
(Prêt à entrer en ligne.) Similaires:
Amiral Tegethof
, printemps 1914;
Kaiser Franz Josef
, 1915-1916; X, juillet 1917.
Le cuirassé italien type
Conte di Cavour
. (Similaires:
Leonardo da Vinci, Giulio Cæsare.
) 22.500 tonnes; 22 noeuds 1/2; armés
de 13 canons de 30cm en 3 tourelles triples et 2 tourelles doubles.
Entrée en service probable: de juillet 1913 à janvier 1914. Tous les
cuirassés dreadnoughts italiens seront munis de filets pare-torpilles.
Le cuirassé français type
Bretagne
. (Similaires:
Provence
et
Lorraine.
) 23.500 tonnes; 21 noeuds; armés de 10 canons
de 34cm en 5 tourelles axiales. Entrée en service en 1915.
Les flots bleus de la Méditerranée, portent ou porteront dans un avenir peu éloigné des spécimens nouveaux de ces formidables machines de guerre auxquelles le nom générique de dreadnoughts ne suffit déjà plus et qui seront des superdreadnoughts.
Ces cuirassés arboreront les pavillons de la France, de l'Italie, de l'Autriche-Hongrie.
Italie .--Nous trouvons en achèvement à flot 3 cuirassés de 22.500 tonnes: Conte di Cavour, Giulio Cæsare, Leonardo da Vinci . Les deux derniers seront prêts vraisemblablement en juillet 1913, le premier en janvier 1914. Ils sont identiques et portent comme armement principal 13 canons de 30 centimètres répartis en 5 tourelles axiales. Les tourelles de l'avant et de l'arrière renferment chacune 3 canons, les autres 2. La défense contre les torpilleurs est assurée par 18 pièces de 12 centimètres. On trouve encore à leur bord 3 tubes lance-torpilles sous-marins. La vitesse prévue est de 22,5 noeuds.
L' Andréa Doria et le Duilio , qui constitueront la série suivante, sont encore sur les chantiers. Ils seront armés en grosse artillerie comme les précédents, mais posséderont une artillerie moyenne de 16 pièces de 15 centimètres. Ceci et un léger accroissement de la protection porteront leur déplacement à 25.000 tonnes.
Enfin, le Conseil des Amiraux qui s'est réuni à Rome le 11 février a dû se prononcer sur les caractéristiques de 4 nouveaux superdreadnoughts à mettre en construction. Le Conseil avait à choisir entre deux types: le premier de 28.000 tonnes, armé de 9 pièces de 38 centimètres, en 3 tourelles triples; le second de 35.000 tonnes, portant 12 pièces de 38 centimètres, en 4 tourelles triples. On ne connaît pas la décision intervenue; mais, quel que soit le modèle adopté, la vitesse sera de 24 noeuds.
Autriche .--Le type dreadnought sera représenté dans la marine autrichienne par 4 unités; le Viribus unitis prêt à entrer en ligne, le Kaiser Franz Josef et le Tegethof , qui paraîtront en 1914 ou 1915, et un quatrième non encore baptisé. Ces bâtiments déplaceront 22.000 tonnes; ils seront armés de 12 pièces de 30 centimètres en 4 tourelles triples et de 12 pièces de 15 centimètres. Leur vitesse sera de 21 noeuds. Les projets du gouvernement austro-hongrois relativement à un accroissement ultérieur de sa flotte ne sont pas connus.
Schéma des futurs cuirassés français type
Normandie
à tourelles quadruples.
(Voir le dessin des deux
pages
suivantes.)
France .-- Le Jean-Bart et le Courbet entreront en Méditerranée, prêts à combattre, à la fin de l'été 1913. En 1914, ce sera le tour du Paris et de la France . Ces quatre navires sont, on le sait, identiques avec 23.500 tonnes, 21 noeuds de vitesse, 12 pièces de 30 centimètres en 6 tourelles, 22 pièces de 14 centimètres, 4 tubes lance-torpilles sous-marins. Puis viendront, en 1915, les trois Provence, Lorraine et Bretagne , qui, ne déplaçant pas davantage, seront armés de 10 pièces de 34 centimètres en 5 tourelles axiales, 22 pièces de 14 centimètres et 4 tubes lance-torpilles sous-marins; vitesse: 21 noeuds. Enfin, au mois de mai 1913, on mettra en chantier quatre nouvelles unités de 25.300 tonnes nommées Flandre, Gascogne, Normandie, Languedoc , à bord desquelles sera innovée la fameuse tourelle quadruple que montre plus loin le dessin de Sébille. Dans chacun de ces énormes forts blindés et tournants, 4 canons de 34 centimètres seront placés parallèlement. Une forte cloison cuirassée coupera la tourelle en deux compartiments égaux renfermant chacun 2 pièces, ainsi mises à l'abri des avaries par éclats de projectiles qui pourraient pénétrer dans le compartiment voisin.
D'intéressantes discussions se sont produites autour de ce système nouveau auquel la marine est allée avec une décision qui n'est pas toujours dans ses habitudes. Elle estime, en effet, que la tourelle à 4 canons donne un maximum de puissance offensive pour un minimum de poids de cuirasse protectrice, et c'est là un argument des plus sérieux.
Il est bon de noter que, grâce à l'adoption de la tourelle quadruple, les Normandie , avec un déplacement supérieur seulement de 2.000 tonnes à celui des Provence , porteront 2 pièces de 34 centimètres de plus. En outre, leur flottaison, leur tourelle et le blockhaus seront protégés par une tranche d'acier de 32 centimètres, maximum employé sur les bâtiments étrangers. Ces cuirassés seront mus par quatre hélices, dont deux actionnées par des turbines, les deux autres par des machines alternatives du type ordinaire; ils fileront 22 noeuds.
En résumé, les quatre
Normandie
seront des bâtiments extrêmement
puissants, rapides et très bien défendus. Ces qualités maîtresses les
rendront plus redoutables qu'aucun des navires étrangers conçus à la
même époque.
S. P.
LA TOURELLE QUADRUPLE (AVANT) D'UN DE NOS FUTURS
CUIRASSÉS TYPE «NORMANDIE»
Dessin d'
Albert Sébille.
--
Voir l'article à
la page précédente.
]
En arrière et au-dessus de la tourelle, devant le projecteur et les cheminées, le blockhaus avec ses deux étages; l'étage inférieur pour le commandement; l'étage supérieur, surmonté des supports de télémètres d'exercices, pour le directeur de l'artillerie. Entre les deux paires de canons de 34, dans l'axe de la tourelle, le capot à deux ouvertures, qui protège le poste de télémétrie spécialement aménagé pour le combat. A gauche, à l'arrière-plan, la gueule, des quatre canons de la tourelle centrale (la troisième tourelle quadruple est à l'arrière). La petite artillerie, à un niveau inférieur, est, elle aussi, entièrement protégée. On parait avoir ainsi donné à ces «superdreadnoughts» le maximum, de puissance et de simplicité, et par conséquent de rendement militaire.
LA FLOTTE TURQUE
LA FLOTTE GRECQUE
Les deux flottes en présence dans le conflit balkanique.
Un petit cuirassé turc, le Feth-I-Bulend , semblable au Mouïn-I-Zaffer , a été coulé, le 1er novembre, dans la baie de Salonique; un autre, l' Assar-I-Tevfik, s'est échoué ces jours derniers.]
Je n'ai point la prétention d'écrire ici l'histoire maritime de la guerre balkanique. N'est pas historien qui veut, tout d'abord, puis le recul manque encore vraiment trop pour porter, sur ces événements, des jugements définitifs.
Je me contenterai donc de retracer la série des faits qui se sont produits tant dans la mer Egée que dans la mer Noire, faits dont je me suis efforcé de contrôler l'exactitude dans la plus grande mesure possible.
Au moment où les hostilités ont commencé dans la presqu'île balkanique, la situation maritime des belligérants était la suivante:
Du côté turc, on trouvait:
3 cuirassés d'escadre:
1° Le Messoudieh (9.000 tonnes), construit en 1874, mais refondu en 1904, vitesse, 16 noeuds; armement: 2 canons de 24cm, 14 de 15cm; 14 de 75mm, 10 de 57mm;
2° Haireddin Barbarossa et Torghout Reiss , ex Kurjùrst Friedrich Wilhelm , vendus il y a trois ans par l'Allemagne; déplacement: 10.000 tonnes; vitesse: 16 noeuds; armement: 6 canons de 28cm, 8 de 10cm, 8 de 90mm.
3 petits cuirassés anciens: Mouïn-I-Zaffer, Feth-I-Bulend , lancés en 1867-1870, refondus en 1907; 3.000 tonnes, 12 noeuds, 4 canons de 15cm; et Assar-I-Tevfik , 5.000 tonneaux, 3 canons de 15cm, 7 de 12cm, 6 de 57mm.
4 vieux cuirassés ( Azizieh , etc.) sans valeur militaire.»
2 croiseurs protégés modernes: Hamidieh et Medjidieh , lancés en 1903; 4.000 tonnes, 22 noeuds, 2 canons de 15cm, 8 de 12cm.
16 contre-torpilleurs dont 11 seulement en état de combattre; une trentaine de torpilleurs; enfin 10 transports.
Du côté grec:
3 cuirassés identiques: Hydra, Psara, Spetzai, construits en 1890, refondus en 1901; 5.000 tonnes, 17 noeuds, 3 canons de 27cm, 5 de 15cm.
Un très puissant croiseur cuirassé: Georgios-Averof , offert à la marine hellène par un généreux patriote de ce nom; construit en Italie en 1910; 10.200 tonnes, 24 noeuds, 4 pièces de 23cm, 8 de 19cm, 3 tubes lance-torpilles.
8 excellents contre-torpilleurs, dont 4 de 1.100 tonnes, achetés en Angleterre peu avant la déclaration de guerre; 30 torpilleurs.
1 submersible, Delphin , de 310 tonnes en surface, 460 en plongée, 5 tubes lance-torpilles, construit par le Creusot (1).
(1) Le Delphin a pris une part active aux opérations; il appuyait les contre-torpilleurs qui tenaient, devant Tenedos, le blocus de l'entrée des Dardanelles.
Une division auxiliaire comprenant: 3 transports de charbon, un de munitions, un navire-hôpital, un navire porte-mines, 2 navires-citernes.
Une division de paquebots armés en guerre, composée de: 2 paquebots de 1.000 tonneaux et 15 noeuds, 2 de 9.000 tonneaux et 19 noeuds, un de 9.000 tonneaux et 21 noeuds.
60 paquebots grecs réquisitionnés pour les transports de troupes.
Gardons-nous d'oublier, dans cette énumération des forces navales balkaniques, la petite flottille des 6 torpilleurs bulgares, qui a brillamment fait parler d'elle comme nous le verrons plus loin. Cet embryon de marine est l'oeuvre du tsar Ferdinand qui en a confié la réalisation, il y a une dizaine d'années, à un officier de la marine française, M. Pichon.
La première opération navale fut à l'actif de la flotte turque. Le 19 octobre et les jours suivants, elle se livra sur les ports bulgares de Varna et de Kavarna (mer Noire) à un bombardement qui ne paraît avoir produit aucun effet, sérieux.
Pour en terminer avec ce qui s'est passé dans la mer Noire, nous noterons de suite le brillant fait d'armes accompli dans la nuit du 21 au 22 décembre par 4 petits torpilleurs bulgares, au large de Varna. Partis à la découverte, ils tombent sur le croiseur turc Hamidieh qui paraît garder l'aile droite de la division placée en surveillance à l'aboutissement sur la mer Noire des lignes de Tchataldja. Deux contre-torpilleurs avaient été donnés au Hamidieh pour se garder. Mais, de crainte de méprise, le commandant du croiseur turc leur avait enjoint de s'écarter de lut pendant la nuit. En cas de rencontre inopinée on avait convenu d'un signal de reconnaissance. A un feu vert montré par le Hamidieh les contre-torpilleurs devaient répondre par un feu rouge, moyennant quoi ils pourraient se rapprocher de leur chef sans crainte d'en être mal reçus.
Les contre torpilleurs turcs disparus, ce sont les torpilleurs bulgares qui se montrent. Du pont du Hamidieh on les a découverts, on fait le signal convenu, un feu vert est allumé. Les Bulgares, à tout hasard, répondent par un feu également vert... Ceci suffit pour créer une terrible perplexité à bord du croiseur ottoman. Faut-il tirer? Et si ce sont les contre-torpilleurs amis qui ont commis une erreur?
Bref, on tergiverse, et, pendant ce temps, les braves petits Bulgares foncent sur l'ennemi, décochent leurs torpilles. L'un d'eux s'est approché à 50 mètres Sa torpille seule a atteint le but. Elle touche le Hamidieh à l'avant, éclate et produit une brèche énorme de 4 mètres sur 5, le pont cuirassé est rabattu sur lui-même, la coque défoncée des deux bords, 10 hommes sont tués ou blessés.
Une canonnade furieuse éclate; mais, leur coup fait, les quatre moucherons ont fui à toute vitesse et ils disparaissent dans la nuit. Ils sont indemnes. Un seul projectile turc a porté, il a traversé la cheminée avant d'un des torpilleurs.
A ce moment, les contre-torpilleurs turcs entrent en scène. Ils accourent au bruit du canon, et font leur signal de reconnaissance, mais l'émoi est tel à bord du Hamidieh qu'on n'en tient aucun compte et un feu terrible accueille les amis après les ennemis. Ce feu, heureusement mal dirigé, ne les atteint pas.
Pendant ce temps, le Hamidieh se remplit par l'avant.
A grand'peine on le remorque jusqu'à la Corne d'Or où on réussit à le faire entrer au bassin. Il faut dire, à la louange des ingénieurs et ouvriers turcs, qu'un mois après les réparations de ses graves avaries étaient terminées et le croiseur reprenait son rang dans la flotte (2).
(2) La coque était réparée, mais le pont cuirassé n'a pas été remis en place.
Il faut noter encore pendant que nous sommes dans la mer Noire l'aide efficace apportée par la flotte turque dans la défense des lignes de Tchataldja dont elle a tenu les deux extrémités.
Le croiseur cuirassé hellène
Georgios-Averof
, le seul
navire vraiment moderne ayant participé à la guerre navale dans la mer
Egée.
LA GUERRE NAVALE GRÉCO-TURQUE.--L'état-major du
Georgios-Averof
: au centre, le contre-amiral Coundouriotis, commandant
en chef de l'escadre grecque.
Photographies Gaziadès.
Dans la mer Egée, la flotte grecque, sous le commandement du contre-amiral Coundouriotis, avait pris, dès la déclaration de guerre, l'attitude la plus résolue. Une division grecque, postée devant Smyrne, rendit impossible le transport par mer du puissant corps d'armée de cette région, si bien que ces troupes durent user du chemin de fer d'Anatolie dont le débit était seulement de 1.500 hommes par jour. Il en résulta que le corps de Smyrne mit trente et un jours pour s'écouler vers la Thrace où il arriva trop tard pour combattre à Kirk-Kilissé.
Si la voie de mer avait été libre, il n'aurait pas fallu plus d'une semaine pour le mettre en territoire européen.
Dès le 2 octobre, l'escadre grecque occupe l'île de Lemnos et y installe, dans la baie de Moudros, une excellente base navale avec un arsenal provisoire.
Les torpilleurs logés à Tenedos, à proximité des Dardanelles, surveillent l'entrée du détroit et font de nombreuses prises. La voie de mer est fermée aux ravitaillements militaires et 180 canons de campagne achetés en Allemagne par le gouvernement turc, qui devaient être livrés par mer à Constantinople le 15 octobre doivent être acheminés via Constanza et ne parviennent à destination qu'après l'armistice. Le mouvement maritime à l'entrée des Dardanelles diminue de 50%.
Les autres îles de l'archipel, Thasos, Strati, Imbros, Samothrace, sont successivement occupées par les marins grecs.
Pendant ce temps, le 1er novembre, dans la nuit, le petit torpilleur grec, n° 12, commandé par le lieutenant de vaisseau Votsis, pénètre dans la baie de Salonique en rangeant les bancs dangereux du Vardar. Il arrive devant les quais mêmes de la ville, lance deux torpilles contre le petit cuirassé turc Feth-I-Bulend et le coule.
Le 10 novembre, un autre torpilleur grec pénètre de nuit dans le petit port d'Aïvali et détruit aussi une canonnière turque. A la prise de Preveza, les bâtiments grecs capturent encore deux torpilleurs turcs. Il se produisit là un incident tragique. L'équipage d'un des torpilleurs ottomans quitta le navire après avoir ouvert les prises d'eau, laissant son commandant enfermé et bloqué dans sa chambre. Lorsque les marins grecs arrivèrent à bord, le torpilleur coulait et on entendait les cris du malheureux officier. On n'eut pas le temps de le délivrer et il fut noyé.
Antérieurement, le 12 octobre, une division complète de l'armée de Salonique, avec tout son matériel de train et 3.000 chevaux, embarquée sur 27 transports grecs, avait atteint en une journée Dédéagatch sous la protection de la flotte. Le temps était affreux, une pluie violente obscurcissait l'atmosphère. C'étaient, là, dans cette rade ouverte, de belles circonstances pour une attaque des torpilleurs turcs: ils n'en ont tenté aucune.
Le
Makedonia
coulé dans le port de Syra.
--
Phot. Sven
Risom
.
C'est seulement pendant l'armistice conclu avec les Bulgares et les Serbes que la Turquie envoie sa flotte au combat.
Le 16 décembre, l'escadre turque quitte son mouillage de Nagara, sort des Dardanelles, et ouvre le feu à 12.000 mètres environ sur les bâtiments grecs qui se sont aussitôt portés à sa rencontre. Lorsque la distance est tombée à 7.000 mètres, ceux-ci ripostent, l' Averof , à qui sa grande vitesse donnera dans tous ces engagements le rôle principal, n'hésite pas à se séparer des siens et cherche à couper l'escadre turque du détroit. Cette manoeuvre provoque la retraite de la force ottomane qui rentre dans les Dardanelles. En réalité, elle n'a pas quitté la zone où la couvrent les canons des forteresses de l'entrée.
Cette escarmouche n'a duré que quelques minutes, l' Averof a un sous-officier tué, un officier (3) et 8 marins blessés; le Spetzai un blessé. A bord des bâtiments turcs il y a 14 tués et 57 hommes blessés. Le Barbarossa a reçu 7 projectiles dont un a traversé le pont cuirassé; le Messoudieh a été touché trois fois.
(3) Cet officier est mort de ses blessures.
Le
Hamidieh
à Port-Saïd.
--
Phot. Jean Auzias
.
Le 22 décembre, le croiseur turc Medjidieh et quelques contre-torpilleurs apparaissent à l'entrée du détroit et viennent lancer quelques obus sur la ville de Tenedos. A l'apparition des fumées des navires grecs qui accourent de Lemnos à tonte vapeur, croiseur et torpilleurs se retirent.
Nous voici au 15 janvier. Par brume, toute l'escadre turque sort à 3 heures du matin. Le Hamidieh , dont les réparations sont terminées, est en tête. Mais le temps est très mauvais et le gros de l'armée rentre aussitôt dans le détroit. Le Hamidieh , qui semble avoir perdu le contact des autres navires et s'être égaré, continue sa route et atteint Syra où il découvre le paquebot grec Makedonia , armé de 3 canons de 75mm, en réparation. Il le canonne ainsi que quelques établissements de la ville. Le capitaine du Makedonia ouvre les prises d'eau et coule le bâtiment. Deux hommes sont tués à terre dans ce bombardement, qui cause en Grèce une vive émotion. De Syra, le Hamidieh se dirige sur Beyrouth et y mouille; mais, à la vue de navires de guerre apparus à l'horizon, il file ses chaînes, abandonne ses ancres et court à Suez, d'où, après avoir reçu la quantité de charbon, accordée par les règlements internationaux de neutralité, il franchit le canal et entre dans la mer Rouge. Là, il fait sans doute le plein de ses soutes; le 10 février il franchit de nouveau le canal, relâche à Malte, en repart le 16 février...
Dans la nuit du 17 au 18 janvier, le conseil des ministres ottomans décide de demander à la flotte un nouvel effort. Il s'agit sans doute de chercher un succès qui donnera aux plénipotentiaires de Londres une raison d'espérer des conditions de paix meilleures. Le croiseur Medjidieh et 4 contre-torpilleurs partent en avant et tentent d'entraîner la flotte grecque au large, ou tout au moins de diviser ses forces. C'est un plan ingénieux auquel, malheureusement, l'amiral Coundouriotis ne se prête pas. Il attend, pour se mettre en mouvement à 9 h. 15 le 18, d'avoir en vue, entre Lemnos et Tenedos, l'escadre turque composée des cuirassés Barbarossa, Torghout, Messoudieh, Assar-I-Tevfik , et de 8 contre-torpilleurs. Le combat s'engage à 8.000 mètres, à 11 h. 1/2, à 18 milles du cap Baba, au nord du canal de Mytilène, et prend aussitôt la même tournure qu'au 16 décembre.
----- Escadre turque. ---> Escadre grecque.
Le combat naval du 18 janvier.
Croquis de M. E. Labranche, correspondant
du
Temps.
Après quelques coups de canon, les Turcs virent de bord et se dirigent sur Tenedos, poursuivis par l'escadre grecque, qui fait feu de toute son artillerie, à laquelle les canons de retraite seuls des navires ottomans peuvent répondre. A ce moment, vers midi 15, un grand désordre règne dans la ligne turque. Comme précédemment encore, l' Averof fonce sur l'ennemi et le canonne à bonne portée, 4.000 mètres. A 2 heures, les Turcs rentrent dans le détroit; l' Averof , qui est engagé dans la zone de feu des forts, se retire, et le combat prend fin à 2 h. 30.
Il a été fort vif, mais le tir de l'escadre turque n'a pas produit de résultats sérieux, l' Averof a reçu un seul obus à l'avant dans ses oeuvres mortes, et n'a eu qu'un blessé. Il a tiré plus de 700 projectiles de tous calibres. Le rapport officiel turc dit que des deux côtés les pertes en hommes ont été grandes. Ce n'est exact que pour un des adversaires; 50 projectiles environ ont frappé les navires turcs qui ont eu 47 tués et 160 blessés; un transport-hôpital a ramené ces derniers à Constantinople. Le Torghout paraît avoir eu, dans cette affaire, une tourelle mise hors de service.
Il faut noter que les canons grecs étaient incapables, à 4.000 mètres, de percer les blindages de flottaison des cuirassés turcs. Ceci explique qu'aucun de ces bâtiments n'ait été coulé,
*
* *
Messoudieh.
Barbarossa.
Torghout.
L'escadre turque rentrant dans les Dardanelles
après le combat du 18 janvier.
Phot.
Roubin.
En résumé, l'examen des faits ci-dessus rapportés fait ressortir sans
doute possible que la flotte grecque a joué, dans la guerre balkanique,
un rôle des plus actifs et des plus utiles. Elle a fait preuve de
grandes qualités de manoeuvre et d'endurance. Les bâtiments, dont
plusieurs de petit tonnage, sont restés sous les feux pendant plus de
trois mois, dans des conditions très dures, et y sont encore, prêts à
courir sus à l'ennemi dès qu'il se montrera, Finalement, cette flotte
est restée maîtresse absolue d'une mer dont son ennemi avait un intérêt
majeur à garder l'usage. Elle a rendu à ses alliés le plus signalé
service en empêchant une grosse partie des contingents asiatiques de
figurer dans les opérations décisives de la Thrace. Et par cette
attitude résolue elle a peut-être changé le sort de la guerre.
Sauvaire Jourdan,
capitaine de frégate de réserve.
LE BOMBARDEMENT D'ANDRINOPLE.
--Le gros canon de siège de
la batterie Athanassof qui, le premier, a rouvert le feu contre la
ville, après la rupture de l'armistice.
--
Phot. G. Woltz.
C'est contre Andrinople, si énergiquement défendue par ce héros: Chukri pacha, que, depuis la reprise des hostilités, s'est porté le plus rude effort bulgare. Les assiégeants avaient profité de l'armistice pour accroître la force défensive de leurs tranchées et disposer à loisir leur matériel de bombardement. Notre photographie, prise aux derniers instants de l'armistice, montre le plus gros canon du siège, appartenant à la batterie du capitaine Athanassof, qui a reçu l'ordre de tirer le premier sur la ville, ce qui fut fait dès l'expiration des délais prévus pour la rupture effective de l'armistice.
Les Turcs, nous écrit-on des lignes assiégeantes, ont jeté une quantité de projectiles dans la direction de cette redoutable batterie sans la découvrir et sans l'atteindre. Le feu, des deux côtés, a été des plus violents pendant plusieurs jours sans aboutir néanmoins à d'autres résultats, semble-t-il, que d'affoler, dans la vaillante ville, la population non combattante au milieu de laquelle éclataient les obus. Cette situation, d'ailleurs, a provoqué une particulière émotion en Europe où l'on s'est ému du sort des neutres, et la France a pris l'initiative d'intervenir énergiquement en leur faveur à Constantinople et à Sofia. Après beaucoup d'hésitation, les autorités militaires bulgares ont accepté de laisser sortir de la ville les colonies étrangères. Mais le gouverne ment turc, tout en acceptant de veiller au salut des neutres, s'est opposé à ce que ces derniers se rendissent dans les lignes bulgares et a proposé de fixer une zone où les étrangers pourront être protégés contre le bombardement. Il est d'ailleurs permis d'espérer que les tentatives actuellement faites pour trouver une nouvelle base de négociations pacifiques ne tarderont pas à aboutir.
I.--Les effectifs mobilisables
Dans son numéro du 4 janvier dernier, l' Illustration a donné un état comparatif des armées française et allemande tel qu'il résultait, pour l'Allemagne de la loi du 14 juin dernier, pour la France, de la récente loi des cadres.
En 1912, en effet, l'Allemagne avait cru devoir augmenter considérablement son armée, en même temps que la France préparait sa loi des cadres. Et voiei que, tout à coup, des accroissements supplémentaires viennent d'être annoncés en Allemagne. Sans que ce nouvel effort puisse être nécessairement considéré comme une menacé plus ou moins immédiate pour le repos de l'Europe, une réplique, des sacrifices parallèles s'imposent néanmoins en France, car la paix entre deux grands pays très voisins dépend avant tout de l'équilibre des armements.
L'état-major d'outre-Rhin s'était proposé de constituer en octobre 1912 une grande partie des accroissements prévus, les autres mesures devant être parachevées en 1915; mais à peine sa réalisation était-elle entamée que la loi militaire de juin dernier a été trouvée insuffisante. Bien que les sacrifices, pour un budget déjà difficile, s'annoncent comme très lourds, 150 millions de marks de plus par an, nul doute que ce nouveau projet ne soit accepté avec autant d'unanimité, que le précédent. Les détails n'en sont pas encore connus; mais la presse officieuse s'est chargée de nous en divulguer les principes essentiels. L'effectif de paix serait accru d'environ 100.000 nommes et l'on songerait à porter de 25 à 27 le nombre des corps d'armée.
Quels motifs ont-pu pousser? l'Allemagne à un effort aussi «kolossal», quelle sera sa répercussion sur la situation respective des armées française et allemande, comment pouvons-nous y répondre? C'est ce que nous nous sommes proposé d'examiner ici
Incontestablement, le réveil de l'énergie française, la cohésion de la Triple Entente qui n'a cessé de se cimenter au cours de la crise balkanique, le perfectionnement ininterrompu de l'armée russe, ont dû être des causes prédominantes et justifier pour l'Allemagne «la nécessité d'affermir sa position de force au coeur de l'Europe». Mais il est aussi d'autres motifs à cette extension nouvelle.
Les créations d'unités prévues par la loi du 14 juin 1912 nécessitaient un accroissement minimum d'une soixantaine de mille hommes par rapport aux effectifs budgétaires précédents; or, la loi n'envisageait qu'une augmentation d'environ 30.000 hommes... Sous peine de réduire le personnel des compagnies, escadrons, batteries, il fallait trouver des ressources complémentaires; c'est là l'objet du projet annoncé; il permettra en outre d'autres améliorations.
L'armée allemande présentait jusqu'ici trois types d'unités: les unes à effectif fort, stationnées en couverture sur les frontières d'Alsace et de Pologne, les autres à effectif moyen ou faible; de plus, un certain nombre de régiments d'infanterie ne comportaient que 2 bataillons au lieu de 3 et certaines batteries n'attelaient pas le complet de leurs 6 pièces. Les ressources prévues vont offrir la possibilité de compléter organiquement tous les régiments, toutes les batteries, et de porter toutes les unités de l'intérieur à l'effectif moyen de 141 hommes de troupe par compagnie, 113 hommes par batterie ou même davantage, les unités de couverture conservant respectivement leurs 160 hommes par compagnie et leurs 128 hommes par batterie.
Jusqu'alors, grâce à sa forte natalité, l'Allemagne pouvait limiter ses incorporations annuelles. Un certain nombre de jeunes gens, 92.000 en 1911, nous dit la Revue militaire des armées étrangères , classés
dans l'Ersatz-Réserve, n'accomplissaient pas de service actif; ils étaient simplement astreints à des périodes d'exercices. Désormais, d'après les indications de la presse berlinoise, cette «réserve de recrutement» serait en grande partie incorporée définitivement dans l'armée active. Incontestablement, l'Allemagne pourrait encore dépasser cet effort, puisque, en 1911, les conseils de revision ont eu à statuer sur 563.000 jeunes gens de vingt ans pour en incorporer moins de la moitié; encore, auraient-ils dû en examiner davantage, puisque plus de 40.000 jeunes Allemands, émigrants ou insoumis, ne se sont pas présentés devant les commissions de recrutement!
Quoi qu'il en soit, il n'apparaît pas jusqu'ici que la création d'unités nouvelles ait été envisagée; il faut d'abord étoffer convenablement les formations existantes; d'ailleurs, l'insuffisance des casernements ne se prêterait pas à l'installation de nouveaux corps de troupe. Retenons cependant que, dès maintenant, les bataillons d'infanterie seraient en nombre suffisant pour porter les corps d'armée allemands de 25 à 27; notre nouvelle loi des cadres nous offre d'ailleurs une possibilité analogue. Il n'apparaît donc pas, jusqu'à plus ample informé, que nos tableaux donnés précédemment (l' Illustration du 4 janvier) concernant la comparaison des unités du temps de paix dussent être modifiés; seules, les ressources mobilisables, ainsi que l'indique le tableau n° 1, seront influencées par les nouvelles dispositions.
Si le rapport des grandes unités stratégiques, des corps d'armée, ne semble guère devoir être troublé, pas plus que celui des unités tactiques, bataillons, escadrons et batteries, si, sur le champ de la bataille décisive, l'équilibre paraît n'être pas modifié, la situation créée par l'Allemagne nous impose cependant une réplique.
Il est admis qu'on manoeuvre à la guerre moins à coups de millions d'hommes qu'à coup d'unités stratégiques et tactiques; mais, encore, faut-il pouvoir disposer de ressources instruites pour combler les pertes de toute nature. Au surplus, l'effort allemand vise peut-être non seulement le renforcement de l'armée de première ligne, mais aussi la constitution de formations de réserve nombreuses et cohérentes. L'institution régente des 25 commandements de landwehr, les nombreux officiers actifs disponibles pour l'encadrement des troupes de deuxième ligne, 16 ou peut-être même 28 officiers par régiment d'infanterie, le nombre sans cesse accru des réservistes convoqués chaque année, passé de 456.398 en 1909 à 554.561 en 1912, sont assez significatifs à cet égard. Veillons donc à ne pas nous laisser distancer dans cet emploi intégral des réserves, où, de leur propre aveu, les Allemands restent encore bien loin en arrière de nous.
Enfin, si l'on admet que la valeur offensive de l'armée active mobilisée dépend de la proportion plus ou moins grande de réservistes, tout incite à accroître l'effectif de paix; c'est aussi bien améliorer les formations de premier choc que celles dites de deuxième ligne.
Afin de maintenir notre armée à hauteur de ces nouvelles exigences imposées par l'Allemagne, diverses mesures ont été envisagées.
Il a paru d'abord indispensable de rendre au service armé les militaires actuellement employés dans les services administratifs; ce ne serait qu'un bénéfice insignifiant de 7.000 à 8.000 hommes. On espère également voir se développer le courant des engagements et des rengagements; malheureusement, une régression très sensible s'est manifestée depuis deux ou trois ans sous ce rapport et, à moins
de sacrifices budgétaires importants, il est probable que les espoirs ne seraient guère réalisés. Au contraire, l'extension du recrutement indigène dans notre Afrique du Nord paraît devoir donner de meilleurs résultats.
Cependant, ces diverses mesures risqueraient d'être insuffisantes pour contre-balancer l'augmentation de la puissance allemande; aussi, a-t-on songé à rétablir le service de trois ans ou à porter à trente mois la durée du service actif pour toutes les armes. Bien entendu, pour qu'il y ait avantage, l'incorporation devrait être avancée d'une année--appel à vingt ans au lieu de vingt et un ans--sans quoi, les effectifs de paix seraient bien modifiés, mais non les effectifs mobilisables.
Le tableau n° 1 donne les ressources mobilisables dans ces diverses combinaisons, en les comparant à celles de l'Allemagne.
II.--Proportion de réservistes dans les UNITÉS MOBILISÉES
Avec le service de trois ans, notre armée active serait accrue d'environ 210.000 hommes, ce qui nécessiterait chaque année plus de 200 millions de dépenses nouvelles. Le service de trente mois réduirait les sacrifices budgétaires de près de moitié. L'un et l'autre système auraient l'avantage d'assurer en permanence la présence sous les drapeaux de deux classes instruites, alors qu'actuellement, chaque hiver, comme les Allemands d'ailleurs, nous ne pouvons disposer que d'une seule classe instruite immédiatement mobilisable.
Il peut être intéressant de voir, dans ces conditions, quelle serait la composition probable des unités mobilisées en France et en Allemagne,--c'est ce que représente le tableau n° 2.
De ce que les Allemands ont besoin actuellement de moins de réservistes que nous pour compléter leurs effectifs de guerre, il serait inexact de croire qu'il puisse en résulter une plus grande rapidité pour leur mobilisation. Il faudra à peu près autant de temps pour habiller, équiper, armer 110 réservistes que 140; la réquisition des animaux de trait, la perception des équipages, des approvisionnements de toute nature n'en seront pas accélérées.
Si le chiffre de notre population et notre faible natalité ne nous permettent pas de lutter avec l'Allemagne par le nombre, il est du moins certains facteurs du succès qu'il ne nous est pas permis de négliger: nos ressources financières, comme le bon renom de notre industrie, nous permettent toutes les espérances. Si l'Allemagne pousse fébrilement l'exploitation intensive des moyens techniques que la science de l'ingénieur met à la disposition des armées modernes, nous nous devons de ne pas nous laisser distancer sous ce rapport. Le perfectionnement de l'armement, l'amélioration des places fortes, la constitution de fortes réserves de munitions pour ces insatiables consommateurs que sont les engins à tir rapide, doivent être l'objet de nos premières préoccupations. La constitution d'une artillerie lourde, la construction de grands croiseurs aériens, de leurs abris, le maintien de notre supériorité incontestée en aviation, doivent également retenir toute notre attention; les sacrifices nécessaires ne seront jamais marchandés.
Mais les nombreux bataillons, les armes perfectionnées ne sont que peu
de chose sans les sentiments qui animent les combattants. La France, qui
a repris conscience de sa force et de sa dignité, possède là, peut-être,
le meilleur secret de la victoire.
Commandant
Le Dualis
.
Un modèle bien français dessiné par un artiste pour un
grand couturier:
la robe «fleur de lys» de Willette.
D'après un dessin
original communiqué par la maison Bulloz.
Comme l'hiver finissant distribue ses dernières rigueurs, laissant déjà, par échappées de soleil et aperçus de ciels bleus, prévoir les beaux jours prochains, il y a en ce moment, suivant l'usage, fort grande animation dans le monde de la couture. C'est l'époque de l'année où la Mode, prise de lassitude pour ce que, quelques mois auparavant, elle avait prôné, s'inquiète, se cherche, et se met en quête d'inédit. Le printemps dût-il être d'une inclémence cruelle, le bon ton, d'accord avec le calendrier, exige qu'il commence en mars, et que, dès lors, les vêtements portés aux frimas aillent tout aussitôt rejoindre les vieilles lunes. La jupe-culotte, d'incertaine mémoire, fit son apparition, naguère, en un mois de février, et sa première sortie, très remarquée, coïncida, on s'en souvient, avec la rentrée d'Auteuil. Cette saison, encore, la Mode, dit-on, nous réserve des surprises: une lutte courtoise, mais passionnée, se préparerait entre divers maîtres de l'élégance, séparés par leurs goûts et leurs méthodes. Deux écoles rivales se disputeraient, avec des tendances opposées, l'honneur d'habiller, et d'embellir, la Parisienne.
La nouvelle de cette petite guerre, qui éclatera demain, s'est déjà propagée sous le manteau, si l'on peut dire. Mais les femmes, qui sont pourtant particulièrement intéressées dans l'aventure, n'en ont guère, jusqu'à présent, été averties. C'est une tradition constante, irrévocable, doit-on penser, qu'elles ne sont jamais préalablement consultées en ces sortes d'affaires. Elles n'ont pas voix au chapitre. Elles subissent des arrêts impérieux, sans s'être fait entendre. Fénelon, qui, en son Éducation des filles , a dit, sur ce sujet, des choses fort sensées, et que l'on s'excuse presque de citer ici, se plaignait autrefois de leur trop grande influence: «Il n'y a d'ordinaire que caprices dans les modes, écrivait-il. Les femmes sont en possession de décider. Il n'y a qu'elles qu'on veuille en croire. Ainsi les esprits les plus légers et les moins instruits entraînent les autres...» Ces reproches ne sauraient, de notre temps, leur être adressés. Les dociles créatures ne sont, en aucune façon, responsables des variations de leurs toilettes. La réelle innovation, l'originalité véritable, consisterait sans doute à réunir quelques-unes d'entre elles, et des plus autorisées, avant de lancer une mode, et de leur demander leur avis. On n'y songe point, pour l'instant.
Ce sont, aujourd'hui, les grands couturiers qui établissent pour chaque saison, et souvent avec bonheur, la formule temporaire de l'élégance. Que de fantaisies piquantes, imprévues, on leur doit! La plus belle idée de certains d'entre eux, et non des moins notoires, a été, dans ces deux dernières années, d'adapter au costume féminin les grâces de l'art oriental. Pendant longtemps, et jusqu'à cet hiver même, la Parisienne raffinée se serait crue déshonorée de n'avoir point une silhouette bien persane. Les étoffes aux couleurs violentes, aux dessins mystérieux, déconcertants, les vêtements de coupe étrange, aux lignes tantôt fuyantes, comme si un ciseau malin avait précipité leur chute, tantôt brisées en cassures brusques, les parures barbares, ont fait fureur.
Le péril de l'exotisme, c'est qu'il ne comporte guère de mesure, et qu'il permet toutes les audaces. Les impertinences dont il fut la cause ont passé quelquefois pour exquises. Bien vite, pourvu qu'une toilette fût excentrique, inattendue, elle eut les meilleures chances de plaire. Faut-il s'en désoler? Cette recherche du bizarre, dans toutes ses manifestations, a abouti à une liberté charmante. On peut voir ainsi, en ce moment, telle élégante affectionner, pour ses robes du soir, le style égyptien, ou viennois peut-être, tandis qu'une autre emprunte à la forme de son «tailleur» une délicieuse allure moscovite; celle-ci arbore une tunique japonaise où s'épanouissent des
chrysanthèmes, celle-là une jaquette en soie jaspée de métal et brodée de roses d'Ispahan. Et il n'est point jusqu'à certaines précieuses qui, par un paradoxe suprême, ne se jettent délibérément dans le suranné, le traditionnel, et n'y puisent un agrément imprévu.
Entre tant de tendances diverses, la Mode, en ce moment critique, hésite à se fixer. Et voici qu'un style nouveau apparaît, qui prétend s'imposer et faire oublier tous les autres. Comment les défenseurs d'une école qui en est à ses débuts ne se montreraient-ils pas sévères pour celle dont ils combattent les principes? Les artisans de la réforme condamnent tout ensemble la manière persane, la turque, la japonaise et l'égyptienne; ils s'élèvent contre la couture internationale; et ils projettent de rétablir dans sa gloire le goût français, fait de mesure, de juste harmonie, de simplicité. Suivant eux, l'appareil des Mille et une Nuits, costumes et accessoires, ne serait même plus un article d'exportation; Schéhérazade commencerait à faire médiocre figure aux États-Unis, où nous l'avions envoyée, et les Américaines, auprès de qui Paris exerce toujours le même attrait de ville élégante, y chercheraient maintenant des inspirations plus discrètes.
Pour mener à bien le mouvement qui se dessine, un comité d'artistes bien connus et aimés du public s'est fondé, sons les auspices d'une grande maison, qui entend se constituer, aux Champs-Elysées, la gardienne de la tradition française, grâce aux efforts d'un administrateur avisé, voué naguère au succès d'une autre industrie de luxe, l'automobile. Et voilà qui marque une curieuse évolution dans les usages de la Mode. C'est maintenant aux peintres que les grands couturiers demandent des conseils, des indications précises pour l'ordonnance des toilettes qu'ils s'apprêtent à lancer. Jusqu'à présent, les premiers n'avaient eu que le soin de reproduire, dans leurs portraits mondains, les chefs-d'oeuvre des seconds. Ils participent aujourd'hui à leur création; et ils peuvent s'en dire, en quelque manière, les auteurs.
Cette collaboration a déjà produit des résultats qu'on dit pleins de promesses. Le groupe des «Peintres de la femme», que préside M. A. de La Gandara, et qui compte parmi ses membres des dessinateurs comme Willette, Anquetin, Gerbault, Grün, A. Guillaume, Métivet, Neumont, Préjelan, Boubille, Abel Truchet, s'est mis au travail, chacun apportant son talent, ses conceptions, sa «manière». Il ne s'agit point, en effet, de revenir, par une imitation laborieuse, aux modes d'autrefois, ni d'adapter au goût actuel les élégances désuètes dont les vieilles gravures nous ont transmis le souvenir. Les «Peintres de la femme» se proposent d'innover, tout en restant fidèles à cet art du costume sobre, d'une grâce seyante, qui plaira toujours en France, et qui est proprement nôtre.
On a commencé par leur montrer des modèles qu'ils ont adroitement transformés. Une petite retouche peut parfois changer l'aspect d'une robe, d'un manteau, leur donner une séduction qui leur manquait: la tâche est amusante, aisée, pour des observateurs exercés à saisir l'harmonie des lignes, à combiner et à accorder les nuances. Mais ils ne se sont pas bornés à de simples retouches. Et ils ont voulu contribuer par des croquis personnels à la mode qui sera peut-être celle de demain: une exposition réunira le mois prochain ces oeuvres légères, issues de l'alliance, désormais consacrée, du couturier et de l'artiste.
Voici, en attendant, l'un des premiers dessins exécutés par Willette,
dont on reconnaîtra, dans un genre inaccoutumé, la verve spirituelle, la
fantaisie toujours en éveil. En cette image de femme vêtue, semble-t-il,
d'une grande fleur de lys qui l'enveloppe entièrement, et campée devant
un jardin à la française, aux allées régulières, aux bosquets taillés,
on se plaît à voir comme le manifeste de la nouvelle école.
Michel Psichari.
Les Pèlerins de Sainte-Hélène.
N'est-il pas merveilleux qu'à un siècle de sa disparition de la scène du monde, qu'un siècle bientôt après le dénouement du drame obsédant de Sainte-Hélène, nous puissions encore découvrir, touchant Napoléon, des choses qui aient le pouvoir de nous passionner? Un livre révélateur paru d'hier et riche en documents inédits, dossiers d'archives, correspondances diplomatiques et papiers privés, donne une suite impressionnante à tous les récits de la captivité de Napoléon jusqu'ici publiés et qui s'arrêtaient à la mise au tombeau. Et voici de nouveau évoquée par un scrupuleux historien, M. Albéric Cahuet--son nom est familier aux lecteurs de ce journal--la geôle noire de l'Océan, la Thulé tropicale aussi perdue au milieu de ses brumes étouffantes que l'autre, celle du Nord, derrière ses frimas, aussi ignorée du monde jusqu'au jour où le tragique crépuscule de l'astre l'auréola de gloire. Car c'est d'elle qu'il est le plus question tout le long de ce livre, encore qu'il s'intitule Après la mort de l'Empereur et fasse rayonner la légende de Sainte-Hélène en Europe, dans les capitales de la Sainte-Alliance, et jusqu'à nos jours.
Ce sont d'humbles guides, qui ont entraîné notre auteur vers Sainte-Hélène; ce sont les «derniers serviteurs de l'Empereur», c'est Marchand, son valet de chambre,--encore que celui-ci ait fini comte et bien établi; c'est Noël Santini d'abord «gardien du portefeuille», à l'île d'Elbe; plus tard, aux Briars et à Longwood, tour à tour tailleur ou bottier adroit, ingénieux à utiliser les restes, barbier quand il le faut, chasseur à ses moments et pourvoyeur de la table impériale,-plus tard «la bête noire de la Sainte-Alliance»; Santini, dévoué jusqu'à l'assassinat, s'il l'eût fallu, et qui, renvoyé de Sainte-Hélène, apporta en Europe la plainte du grand captif et révéla au monde l'ignominieux traitement qui lui était infligé sur son roc, puis finit gardien du tombeau des Invalides; c'est encore Louis-Étienne Saint-Denis, ci-devant improvisé mameluk sous le nom d'Ali, puis en exil transformé par une décision de l'Homme--qui avait fait d'autres miracles--en un bibliothécaire exact, appliqué à ses fonctions comme un chartiste et qui nous livre le secret de toutes les lectures de Longwood; c'est enfin l'huissier Noverraz, «l'ours d'Helvétie», la fidélité vigoureuse mise au service du dévouement qui ne discute pas.
En compagnie de ces braves gens, si attachés, si désintéressés, puisqu'ils ne pouvaient pas même concevoir la pensée de faire figure devant l'histoire, M. Albéric Cahuet, qui, à l'aide de curieux papiers inédits, a pu reconstituer, pendant et après la captivité, leurs humbles existences, nous introduit dans la vie intime de l'Empereur déchu; cène sont plus seulement les pauvres appartements d'apparat où s'écoulent, interminables, les jours de l'exilé; c'est l'office et c'est la mansarde, «où parfois l'on pleure des larmes cruelles», et cela est presque plus émouvant encore, car nous sondons plus profondément la prodigieuse infortune, la détresse qui plane sur la maison de l'exil.
L'Empereur mort, l'ombre du gigantesque calvaire s'étend sur toutes les pages du livre. Elle enveloppe le mélancolique départ, au crépuscule, de la petite colonie française de Longwood le 26 mai 1821; elle plane sur toute la procédure et la correspondance diplomatique que provoque l'exécution difficile du testament impérial; elle donne un caractère sacré à la nuit shakespearienne de l'exhumation le 5 octobre 1840; et, de nos jours encore, elle contraint au recueillement les derniers pèlerins cosmopolites qui font escale à Jamestown pour aller--en suivant l'itinéraire indiqué par l'auteur--méditer dans la Vallée du Silence.
Dans ces études, si joliment éditées par la librairie Émile-Paul (3 fr. 50) et illustrées de précieux documents iconographiques, M. Albéric Cahuet a paré une documentation solide, passée au crible d'une critique judicieuse et sévère, des séductions d'un style élégant, pittoresque et souple; mais surtout, ce qui est l'un des charmes les plus entraînants de son ouvrage, c'est la belle flamme qu'on sent courir tout au long de ces chapitres alertes, émaillés d'anecdotes inédites, et d'un rare agrément.
La Guerre des Balkans.
Voici que paraît le premier livre sur la guerre; entendez: la première relation historique précise, vraie, et déjà définitive, des opérations bulgares en Thrace pendant les trente jours que dura la campagne. Ce ne sont plus là des notes hâtives, fiévreuses, parfois informes, d'un reporter qui, tenu à distance du champ de bataille, doit emprunter à son imagination les détails fantaisistes du drame qui s'y déroule.
Ce sont de véritables documents d'état-major contrôlés et complétés par les observations personnelles de l'auteur parmi les convois en marche, dans les camps retranchés devant Andrinople et sur la ligne du feu pendant les trois jours de la bataille de Tchataldja. Le brillant officier français qui a signé ce livre est bien connu de nos lecteurs. C'est le correspondant de guerre de L'Illustration , M. Alain de Penennrun, dont les articles impartiaux et parfois redoutables en leur netteté éloquente ont produit, il y a moins de deux mois, une si grande sensation dans les milieux militaires, politiques et diplomatiques. C'est par notre collaborateur, en effet, il convient de le rappeler, que l'on a su la vérité sur la canonnade de Tchataldja, si meurtrière pour les Bulgares. Ce sont les lettres, les croquis et les plans de M. de Penennrun qui, publiés par notre journal dans les plus stricts délais de l'actualité, et reproduits dans tous les journaux de Constantinople, ont, les premiers, fixé l'opinion sur la réalité de la résistance turque. Après quoi, notre correspondant est rentré en France où le rappelaient ses obligations militaires. Il considérait la guerre comme virtuellement finie et les événements, jusqu'ici, ont en effet confirmé qu'était close la période des opérations décisives.
Naturellement, l'ouvrage aujourd'hui publié constitue un ensemble méthodique, ordonné, fortement lié, revu minutieusement et complété par toutes les notes non encore utilisées.
Dans le premier chapitre qui, au point de vue préparation à la guerre, a un grand intérêt, l'auteur expose ce qu'il a su de la mobilisation et de la concentration des armées bulgares ainsi que ce qu'il a pu remarquer d'intéressant dans la constitution de leur ordre de bataille. Il y a joint de précieuses observations sur l'organisation générale des troupes, sur l'habillement, l'équipement, l'armement. Le second chapitre étudie les opérations de la deuxième armée, l'investissement d'Andrinople, puis le siège même de la ville. Le chapitre troisième traite des premiers combats qui ont suivi la prise de contact générale et, plus particulièrement, de ceux qui ont amené l'occupation de Kirk-Kilissé. Le chapitre IV est consacré tout entier à la grande bataille de Loule-Bourgas ou du Karaagatch. Dans le chapitre V, nous trouvons le récit de la bataille de Tchataldja à laquelle, nous le savons, assista l'auteur. Dans le chapitre VI enfin, M. de Penennrun a résumé les conclusions qu'il a cru pouvoir tirer de ses observations, à savoir notamment que, quoi qu'il puisse arriver maintenant et malgré la barrière de Tchataldja, la victoire matérielle et morale acquise par tant d'héroïsme ne pourra plus'être arrachée aux Bulgares, car l'offensive turque est désormais impossible.
Pour être exact et précis, le livre de M. de Penennrun (Édition Lavauzelle, 4 fr.) n'a rien de la sécheresse d'un rapport de manoeuvre. Il est vivant, descriptif, émouvant. II sera demain dans toutes les bibliothèques militaires de France et de l'étranger. Car, malgré la brièveté de la campagne de 1912, l'importance des effectifs engagés de part et d'autre, la rapidité et la grandeur des résultats obtenus, lui donnent une importance considérable. C'est un grand exemple--à étudier et à discuter par tous les écrivains militaires de demain--de ce que peut être la guerre contemporaine.
Un nouveau livre s'ajoute, cette semaine même, à celui de M. Alain de Penennrun que nous analysons ci-dessus: c'est Vers la Victoire avec les Bulgares , par le lieutenant H. Wagner, traduit de l'allemand par le commandant Minart (Berger-Levrault, 5 fr.). Mais il s'en faut que le nouveau venu ait le même intérêt,--et surtout la même valeur documentaire. Non qu'il ne fourmille de renseignements variés, de savantes considérations tactiques, d'anecdotes, de tableaux militaires adroitement brossés. On y entend
les cris assourdissants des adversaires; on y voit les lignes se replier en bon ordre. Malheureusement, nous sommes mal assurés que le lieutenant Wagner puisse, d'un front serein, redire le «J'étais là» du fabuliste. Pourtant, il a été, dès le début de la guerre, le plus cité, le plus exalté des journalistes. Que de feuilles ont empli leurs colonnes des lambeaux des articles qu'il envoyait du «théâtre de la guerre» à la Reichspost , de Vienne! Car nul ne donnait des détails aussi abondants et précis que ceux qu'il télégraphiait à son journal. Seulement tout finit par se savoir, et l'on apprit un beau jour--M. René Puaux, qui, lui, y fut voir, raconte assez malicieusement dans le Temps par quelles voies--que M. Wagner était surtout un homme d'une imagination très fertile, qui excellait à délayer, comme nous disons, les bulletins officiels. A la vérité, l'ancien correspondant de la Reichspost a retranché beaucoup, dans son volume, des descriptions dramatiques qui firent le succès de ses articles. Il ne consacre plus un chapitre à la bataille de Tchorlou,--que jadis il avait copieusement dépeinte. Il a effacé de ses tableaux quelques ruisseaux de sang. N'importe, avertis comme nous le sommes, nous hésitons à accepter même ce qui en reste. Le fac-similé même d'une de ses dépêches, reproduit en hors texte, n'arrive pas à nous convaincre. Nous conservons, comme on dit, de la méfiance.
La Demoiselle de magasin , qui se fait applaudir au Gymnase, est la soeur cadette de cette Mlle Beulemans que tout Paris prit plaisir à retrouver non seulement de scène en scène, mais encore de théâtre en théâtre, et partout le succès l'accompagnait. MM. Fonson et Wicheler donnent à Paris une nouvelle pièce belge. Elle est toute simple, l'histoire en est menue, elle vaut surtout par les détails d'observation locale, par le dessin précis des caractères. La demoiselle de magasin fait d'abord la fortune de son patron, puis elle en épouse le fils, et tout le monde est heureux,--le
spectateur compris. L'acteur bruxellois Jacque fait la joie de cette pièce qu'il anime singulièrement de sa mimique si expressive, où il fait entendre l'accent le plus authentiquement belge, et dont il partagera sans doute longtemps le succès avec MM. Mylo, Duquesne, Berry, Gandéra et Mlle Jane Delmar, demoiselle de magasin fort séduisante.
M. Jacque dans
la Demoiselle
de magasin
.
M. André Antoine vient de représenter à l'Odéon la Maison divisée , oeuvre d'un jeune auteur, M. André Fernet. Cette pièce met aux prises des êtres qui s'aiment mais dont les idées diffèrent profondément et qui font passer ce qu'ils estiment être leur devoir avant leurs affections. Entre le ministre hostile aux idées nouvelles et son fils qui les défend réside un désaccord qui sera poussé au tragique: le fils sera tué par les soldats du père au cours d'une émeute. Puis, devant ce cadavre, le ministre rencontrera la femme que son fils aimait et dont il eut un fils: elle le refuse à son grand-père; elle le destine à sa vengeance. Ces sentiments exceptionnels et surhumains sont exprimés en un style sobre. Et cependant le drame est plus en propos qu'en action.
Pour la première fois, M. Raphaël Duflos vient d'interpréter le rôle d'Alceste à la Comédie-Française. Son élégance, sa distinction, mais mieux encore la compréhension parfaite de ce caractère d'amoureux, ont donné comme une jeunesse nouvelle, ou plus justement neuve, à ce personnage classique. Une telle création fait le plus grand honneur au brillant artiste et le public charmé le lui a témoigné par ses enthousiastes applaudissements.
Le Champion de l'air , qui vole au Châtelet, est une pièce amusante. L'aviation n'y tient pas la première place, mais elle fournit le prétexte d'une intrigue fertile en péripéties décoratives. Il s'agit d'essayer un nouvel appareil stabilisateur; sa vertu ne sera prouvée que par un capotage d'aéroplane... qu'il empêchera de se produire. Mais qui courra le risque de l'expérience? Un pauvre diable qui, préalablement, désire connaître un peu la vie. Nanti de la récompense promise, il veut voir du pays. Et ce sont des aventures qui commencent à Cadix, s'enchevêtrent aux Indes, au cours de vingt tableaux luxueux, et s'achèvent magnifiquement par la descente triomphale de l'aéroplane victorieux. Le texte de M. Émile Codey est vivant; la jolie musique qui l'accompagne est de M. Marins Baggers.
Un hommage tardif et relativement modeste, mais qu'envierait plus d'un inventeur méconnu, vient d'être rendu à l'ingénieur français Charles Tellier, le véritable promoteur de l'industrie frigorifique.
M. Charles Tellier.
C'est en 1876 que Tellier démontra, pour la première fois, la possibilité de transporter au loin des denrées alimentaires frigorifiées; il avait employé toutes ses ressources pour aménager un navire, le Frigorifique , qui, parti de Rouen, rapporta de Buenos Ayres une cargaison de viande. Les résultats de ce premier voyage furent très satisfaisants, mais l'opinion publique les accueillit avec une curiosité un peu dédaigneuse; les Français ne paraissaient pas mûrs pour consommer des produits ainsi conservés, et Tellier dut renoncer à exploiter son procédé.
Aujourd'hui l'industrie mondiale du froid artificiel représente un mouvement d'affaires de plusieurs milliards par an, et Charles Tellier, né à Amiens en 1828, par conséquent âgé de quatre-vingt-cinq ans, vit modestement, sans fortune.
Sur l'initiative de quelques savants et industriels, le gouvernement a décerné récemment à ce précurseur méconnu la croix de la Légion d'honneur. En même temps on ouvrait une souscription internationale pour lui assurer un peu d'aisance.
Un banquet réunissait ces jours derniers tous ceux qui avaient coopéré à cet acte de justice. Le menu était exclusivement composé de produits frigorifiés apportés de pays lointains: saumon de l'Alaska, omelette aux oeufs de Chine, gelinottes de Sibérie, etc.
Après avoir épinglé la croix sur la poitrine de Tellier, M. d'Arsonval, membre de l'Institut, lui annonçait que la souscription, à laquelle ont contribué largement l'Argentine et l'Uruguay, avait produit 80.000 francs.
Rosa Sarto.
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Phot. J. Felici.
L'aînée des soeurs du pape, Mme Rosa Sarto, vient de mourir, âgée de soixante-douze ans, dans le modeste appartement qu'elle occupait, avec deux autres soeurs et une nièce, non loin du Vatican. Depuis qu'une attaque de paralysie la tenait immobilisée chez elle, Pie X n'avait pu la revoir: en apprenant la douloureuse nouvelle, il a éprouvé un chagrin profond.
Une grande et mutuelle affection unissait, en effet, le frère et la soeur. Ils avaient vécu ensemble depuis 1858 jusqu'en 1873, tandis qu'il remplissait les premières dignités ecclésiastiques. Après un long séjour dans son village natal, à Riese, elle était revenue près de lui, en 1894, quand il fut fait cardinal et patriarche de Venise. Enfin, après l'élévation de son frère au pontificat, elle s'était transportée à Rome, et, depuis presque dix ans, elle continuait à le voir plusieurs fois par semaine.
Mme Rosa Sarto était une femme d'une bonté exemplaire, d'une haute vertu. Suivant le désir exprimé par Pie X, ses obsèques ont été célébrées dans une stricte simplicité.
De nouvelles dépêches de Nouvelle-Zélande permettent de compléter sur plusieurs points la relation du drame final de l'expédition polaire de Scott, que nous avons publiée dans le numéro précédent.
Bien avant de parvenir au but, les explorateurs anglais surent qu'Amundsen les avait devancés et qu'ils n'avaient plus à lutter que pour soutenir l'honneur du pavillon. Dès le 88° de latitude, soit à 220 kilomètres du Pôle, ils rencontrèrent, en effet, les traces de la caravane norvégienne, et, à partir de là, les suivirent jusqu'à la tente qu'elle avait laissée au Pôle même comme témoignage de sa victoire, et à laquelle elle avait donné le nom caractéristique de Polheim (maison du Pôle).
Arrivé au terme de sa longue randonnée le 17 janvier, et non le 18 janvier, comme les premiers télégrammes l'annonçaient, Scott y séjourna quarante-huit heures. Le premier jour, des circonstances atmosphériques défavorables l'empêchèrent de procéder à des déterminations astronomiques. En raison de la présence de masses de petits cristaux de glace en suspension dans l'air, le disque du soleil se trouvait brouillé et déformé; de là l'impossibilité d'obtenir de bons contacts dans les instruments, et, par suite, des résultats exacts. Le lendemain, le ciel s'étant éclairci, des observations purent être prises. Elles ont été exécutées avec un théodolite, instrument beaucoup plus précis que le sextant employé par les Norvégiens. Les observations de Scott placent Polheim par 89°59'30" de latitude, soit à 925 mètres du point mathématique par lequel passe l'extrémité australe de l'axe terrestre. Pour cette même station, les Norvégiens ont obtenu 89° 58' 30", et 2.775 mètres pour la distance séparant leur tente du Pôle. Étant donné les circonstances et les instruments dont s'est servi Amundsen, cette différence de 1.850 mètres entre les valeurs calculées par les deux expéditions est absolument négligeable, et les résultats de leurs opérations doivent être considérés comme remarquablement concordants.
Après cela, Scott et ses compagnons avancèrent de 925 mètres dans la direction indiquée par les observations et plantèrent le glorieux pavillon de l' Union Jack au point indiqué par leurs calculs comme le gisement du Pôle Sud.
Le même jour, la caravane battit en retraite. Dès le départ, Evans donna des signes évidents de faiblesse. Quoi qu'il en fût, au début, sur le plateau du Roi Édouard, on avança bon train, couvrant parfois jusqu'à 29 kilomètres par étape. Plus bas, sur le glacier Beardmore qui descend du plateau à la Grande Barrière, au pied des montagnes, cela changea; dans ces parages, la glace était toute hérissée de monticules hauts de 3 mètres à 3 m. 50, qu'il fallait monter, puis descendre; dans ces conditions, la marche devint épuisante et les chutes se répétèrent. Au passage d'une de ces aspérités, Evans tomba sur la tête. Les télégrammes font présumer qu'à la suite de cet accident le malheureux perdit la raison. Grâce au dévouement de ses compagnons, il parvint cependant à la Grande Barrière. Pendant la plus grande partie de la descente, le pauvre dément dut être soutenu par ses camarades, et même charroyé sur un traîneau auquel ils s'attelaient. Ce surcroît de travail, en ralentissant l'allure, a été la cause déterminante de la catastrophe. Si la mort de Scott et de ses trois derniers compagnons est digne de celle des héros de l'antiquité, leur conduite avant le dénouement fatal est non moins admirable. Délibérément, ces nobles cours firent le sacrifice de leur vie pour prolonger l'existence d'un camarade moribond. Tous pour un! Jamais dans les temps actuels la belle devise des confédérés helvétiques n'a été appliquée avec plus d'héroïsme.
Sur la Grande Barrière ensuite, les explorateurs furent retardés par la maladie d'Oates. Sous les atroces blizzards qui constamment s'abattaient sur eux, combien lents devinrent alors leurs progrès: 15 kilomètres par jour au maximum, souvent même 5 seulement!
L'agonie des trois survivants n'a pas duré moins de neuf jours. Le 21 mars, au moment où il fut définitivement arrêté par la tempête et l'épuisement, Scott ne possédait plus de vivres que pour quarante-huit heures, et seulement le 29 la mort acheva son oeuvre! Ses deux compagnons, le docteur Wilson et le lieutenant Bowers, succombèrent les premiers; leurs corps ont été trouvés dans les sacs de couchage soigneusement fermés. Ainsi, quoique moribond, le chef de l'expédition avait puisé dans son énergie la force de rendre les derniers devoirs à ses camarades. Quel sang-froid surhumain cet héroïque marin a montré devant la mort, les précautions qu'il a prises pour assurer la conservation de son journal en sont une nouvelle preuve. Lorsqu'il sentit la faiblesse l'envahir, il s'assit contre le piquet central de la tente, puis plaça bien en évidence son carnet entre le bois et sa tête; c'est dans cette position que, huit mois plus tard, son corps fut retrouvé.
Tous les documents de la malheureuse expédition ont été sauvés, non seulement ses carnets de route, mais encore ses pellicules photographiques et 15 kilos d'échantillons géologiques. Epuisés et défaillants au cours de leur désastreuse retraite, ces admirables explorateurs se refusèrent à jeter cette charge de pierres qui représentaient en partie les résultats de leurs efforts. D'après les dépêches, leur collection comprendrait des fossiles et des spécimens de charbon recueillis dans les grès surmontant les granites et les schistes cristallins qui constituent le soubassement du relief antarctique dans cette région. Ces échantillons de charbon, probablement des fragments de matière charbonneuse sans valeur industrielle, présentent un haut intérêt scientifique. Formés de débris de plantes, ces dépôts indiquent, en effet, qu'à une époque antérieure de l'histoire du globe, les terres antarctiques aujourd'hui ensevelies sous la glace ont été couvertes de végétation.
Le médecin de l'escouade qui a découvert le camp de l'agonie assure que les corps des infortunés voyageurs ne portaient aucune trace de scorbut. Or, d'après l'expérience des deux expéditions Charcot, nous savons que la terrible maladie peut exister sans qu'aucune indication extérieure permette de la diagnostiquer.
La fatalité s'est acharnée contre Scott. Avant le départ, il avait indiqué le 10 mars 1912 comme date probable de son retour aux quartiers d'hiver. Aussi bien, afin de faciliter sa retraite, à la fin de février, deux hommes et deux traîneaux attelés de chiens furent envoyés au-devant des explorateurs. Le 3 mars ils atteignaient le dépôt le plus extrême sur la Grande Barrière, l'Orne Ton Camp , à 220 kilomètres environ au sud de la station, et y demeurèrent dix jours (voir la carte jointe au dernier numéro). Malheureusement le mauvais temps et la faiblesse de leurs attelages les obligèrent à ne pas prolonger leur attente et le 10, dix jours avant le retour de Scott à quelques kilomètres de là, ils rebroussaient chemin. Six jours plus tard, les deux éclaireurs ralliaient le bord de la Grande Barrière, à bout de forces. Là, une nouvelle malchance paralysa leurs efforts. Pendant leur voyage, la banquise reliant l'extrémité du glacier aux quartiers d'hiver s'était rompue, et il devenait, par suite, impossible d'avertir le gros de l'expédition qu'à la date du 10 mars, jour fixé pour le retour, Scott n'avait pas encore paru au dépôt le plus méridional et qu'il devait se trouver en péril. Lorsque les communications furent enfin rétablies, les ouragans entravèrent toute nouvelle recherche, et il fallut attendre le printemps austral suivant pour se remettre en campagne. Hélas! depuis plus de sept mois le drame était terminé et les héros dormaient leur dernier sommeil dans leur linceul immaculé.
Charles Rabot.
Les nouveaux radiophares au large de Brest.
L'administration s'est enfin décidée à mettre à l'essai deux radiophares étudiés par M. Blondel, ingénieur en chef des ponts et chaussées, attaché au service central des phares, qui, depuis longtemps, préconisait, pour guider les navires en temps de brume, la production de signaux hertziens à étincelles musicales convenablement rythmées.
Ces appareils, installés respectivement à l'île d'Ouessant et à l'île de Sein pour indiquer l'entrée de la rade de Brest, sont d'une remarquable simplicité.
Le radiophare, muni d'une petite antenne dont la portée ne dépasse pas 30 milles marins, peut fonctionner automatiquement durant trente heures sans aucune intervention du gardien. Il lance à des intervalles de 30 secondes des signaux formés par une note de musique: ut pour un poste, sol pour l'autre. Ces signaux sont reçus à bord par un homme quelconque de l'équipage, au moyen d'un petit récepteur convenablement réglé, dont l'installation revient à 350 ou 400 francs. L'appareil peut également recevoir les signaux horaires et les radiogrammes météorologiques de la tour Eiffel; il permet encore à un marin connaissant le code Morse de recevoir tous les radiotélégrammes émanant de postes côtiers ou de navires.
Le poste ne portant qu'à 30 milles, tout navire entendant les signaux par temps de brume sait qu'il se trouve dans le voisinage de la côte. On ne saurait apprécier exactement par l'intensité des signaux reçus la distance entre le navire et le radiophare; les appareils proposés jusqu'ici pour mesurer cette distance ne donnent point d'indications certaines. Néanmoins, quand un navire se trouve entre deux postes semblables, il reçoit toujours plus intenses les signaux du poste le plus rapproché; l'expérience tend à prouver qu'en général il peut évaluer avec une approximation de 10 à 15% sa position par rapport à la médiane coupant la ligne des deux stations.
D'ailleurs, le navire qui ajouterait à son installation un cadre d'orientation de Blondel pourrait déterminer la direction des deux émissions et connaître ainsi sa position exacte. La pratique de cet appareil est un peu plus compliquée, et elle oblige à faire pivoter le navire.
En tout cas, les renseignements fournis par le récepteur simplifié sont suffisants pour éviter aux marins les erreurs graves qui donnent lieu aux accidents. Le Congrès international de sauvetage, réuni à Paris, il y a quelques semaines, a émis le voeu que des petites--stations radiotélégraphiques de ce genre soient installées sur toutes les côtes.
Une falsification inattendue.
L'imagination des fraudeurs nous réserve de singulières surprises, M. Loucheux, chimiste au laboratoire central du ministère des Finances, nous apprend, dans les Annales des fraudes , que l'industrie allemande commence à exporter de «faux excréments d'animaux».
«Ce nouveau produit est façonné en petits cylindres irréguliers, de couleur brune et de longueurs différentes, mesurant environ 10 centimètres de circonférence et rappelant assez exactement la forme d'une matière moulée par un tube digestif de petit diamètre. Une odeur très nette de poisson indique déjà qu'il ne s'agit point d'excréments d'animaux. A l'analyse, on trouve des cendres et des matières organiques, dont une notable proportion d'amidon et d'éléments azotés.»
Les chimistes teutons songeraient à concurrencer la véritable crotte de chien, fort employée en mégisserie et dont le prix est relativement élevé.
Pour lutter contre les mouches.
On sait qu'aux États-Unis en particulier, la défense des cultures contre certains insectes déprédateurs se fait par la multiplication artificielle, ou bien d'insectes qui détruisent ces déprédateurs, ou bien de germes pathogènes déterminant chez ces derniers des maladies mortelles. La méthode, qui est qualifiée de biologique, donne de très bons résultats.
Il se pourrait qu'elle fût destinée à combattre un insecte qui, sans être nuisible à l'agriculture, est nuisible à l'homme, et insupportable aussi: la mouche, véhicule possible de quantité de microbes, et la plus ennuyeuse des bêtes. On connaît depuis longtemps un champignon parasitaire de la mouche domestique, du nom d' Empusa muscæ . Seulement on ne savait pas cultiver ce champignon. Un Anglais, M. G. Hesse, aurait trouvé le moyen, et, avec sa culture, il aurait infecté et tué des mou ches (mouches de maison et stomoxes des étables et écuries). Pour infecter les mou ches, il suffirait de leur faire avaler des aliments infectés, car l'infection se ferait par le tube digestif, ce qui simplifierait certainement les opérations. Le gouvernement anglais est actuellement occupé à contrôler et vérifier les résultats annoncés par M. Hesse, et, sans doute, il organisera une campagne pour la destruction des mouches, si elle paraît possible.
Diminution considérable de la mortalité infantile en France.
Les documents publiés par le directeur de l'Assistance et de l'hygiène publiques montrent une diminution constante de la mortalité infantile.
Sur 1.000 enfants de 0 à 1 an, le nombre des décès s'est élevé, pour l'ensemble de la France, au cours de la dernière période quinquennale, aux chiffres suivants:
1906...... 135,5
1907...... 118,7
1908...... 116,3
1909...... 105,3
1910...... 100,1
C'est une diminution de 25% en cinq ans.
Ces résultats sont certainement dus à l'effort des oeuvres publiques et privées qui, dans les crèches, les dispensaires, les consultations de nourrissons, les gouttes de lait, etc., travaillent à défendre la vie de l'enfant.
Les maisons de la zone a Neuilly.
Dans notre récent article sur la zone et ses habitants, nous signalions l'hôtel d'un conseiller municipal parmi les constructions fort variées élevées sur la zone à la Porte Maillot. Dans cette simple énumération, nous n'avions nullement entendu assimiler ce cas à celui des spéculateurs visés dans une autre partie de l'article.
Cependant, en l'absence d'une précision spéciale, une confusion a pu s'établir dans l'esprit de quelques lecteurs. Nous tenons donc à compléter notre information en disant que l'hôtel en question, occupé par un des membres les plus honorables du Conseil municipal de Neuilly, existait avant 1841, époque à laquelle fut décidée la fortification de Paris. Il en est de même, du reste, pour un grand nombre d'immeubles de cette partie de Neuilly. Le restaurant Gillet, notamment, existait en 1825.
M. Raymond Poincaré, capitaine de chasseurs
alpins.
Phot. comm. par un officier du
3e bataillon territorial.
C'est par erreur que, dans notre précédent numéro, nous avions arrêté, la carrière militaire de M. Raymond Poincaré, en 1897, au grade de lieutenant; l'année suivante, toujours dans les chasseurs alpins, M. Poincaré était capitaine, ainsi qu'en témoigne la photographie ci-dessus, qu'un de nos lecteurs, «un capitaine du 3e bataillon alpin», nous communique.
Elle fut prise, en effet, en 1898. Un nouveau galon s'enroulait au parement de la manche de M. Raymond Poincaré. Mais son entrain ni son zèle ne s'étaient atténués au cours de l'année qu'il venait de passer dans la vie civile. Son énergie ne s'était point rouillée et le capitaine Poincaré manoeuvrait aux environs de Vienne (Isère) d'une ardeur égale à celle qu'il montrait, à sa précédente période, autour d'Annecy.
Le Livre d'or de la Ville de Paris s'est enrichi, cette semaine, d'un document précieux.
Nous contons d'autre part comment, après la présentation des personnages officiels dans la cour intérieure de l'Hôtel de Ville transformée en jardin d'hiver, les trois présidents, M. Poincaré, M. Fallières et M. Loubet, furent conviés à signer le procès-verbal de la cérémonie. Sur une table était posée la page qu'avait écrite, avec un soin patient, le dessinateur calligraphe de la Ville, M. Jules Commin, et qui doit figurer dans le Livre d'or. Nous reproduisons ici ce parchemin: il porte en marge l'écusson orné de la République, et, en tête, le monogramme du nouveau chef de l'État.
Fac-similé réduit du feuillet de parchemin du Livre d'or
de la Ville de Paris signé, à l'Hôtel de Ville, le 18 février, par trois
présidents de la République.
Un porte-plume en or terminé par un coq gaulois, qui, pièce historique, sera conservé au musée Carnavalet, servit successivement pour les signatures et passa de main en main. M. Fallières, en achevant son paraphe, égratigna le papier, qui conserve des traces de cet accident; et pareil malheur advint à M. Paul Deschanel. Ces détails, et ceux que révélera l'étude comparée des écritures, ne manqueront pas de provoquer les savantes dissertations des graphologues.
La première croix de la Légion d'honneur donnée à une aviatrice vient d'être décernée par le ministère des Affaires étrangères à Mlle Hélène Dutrieu.
La nouvelle légionnaire est de nationalité belge, mais c'est en France qu'elle commença à se faire connaître comme une sportswomen d'une rare audace.
Mlle Hélène Dutrieu.
A l'époque, déjà lointaine, où l'art périlleux de «boucler la boucle» était en vogue, Mlle Dutrieu imagina «la flèche humaine», exercice qui consistait à se lancer dans le vide à bicyclette et à retomber gracieusement sur ses roues après un parcours en l'air d'une dizaine de mètres.
La courageuse jeune femme devait bientôt se laisser tenter et accaparer par l'aviation. Elle fit sa première envolée sur une «demoiselle» Santos-Dumont, monoplan extra léger, exigeant un véritable instinct d'acrobate et sur lequel bien peu d'aviateurs ont osé se risquer. On l'aperçoit ensuite sur un biplan, dans les Ardennes, au camp de Châlons, à Odessa, où elle fait une chute sérieuse.
En 1910, elle s'adjuge la coupe Femina en couvrant 167 kilomètres en 2 h. 55 minutes. Quelques mois plus tard, elle conquiert en Italie la coupe de vitesse offerte par le roi; elle part alors pour l'Amérique où elle gagne le grand prix de durée et s'adjuge le record féminin de la hauteur.
Le 31 décembre 1912, elle détient pour la seconde fois la coupe Femina , ayant couvert 254 kil. 800 en 2 h. 58. En ces derniers temps elle pratique l'hydroaéroplane et exécute des vols audacieux sur le Léman et à Trouville.
La haute distinction conférée à Mlle Dutrieu sera accueillie avec sympathie dans le monde sportif, où l'on apprécie autant la grâce que la bravoure; elle sera un puissant motif d'émulation et d'espérance pour les aviatrices françaises.
Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés en titre
ne nous ont pas été fournis.