Title : L'Illustration, No. 3669, 21 Juin 1913
Author : Various
Release date
: February 17, 2012 [eBook #38912]
Most recently updated: January 8, 2021
Language : French
Credits : Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3669, 21 Juin 1913
Ce numéro contient:
1° Une double page hors texte en couleurs;
2° Le premier fascicule du nouveau roman de M. Michel Provins:
Un roman
de théâtre
;
3° Un
Supplément économique et financier
de deux pages.
LE DERNIER REPOS SUR LE LIT DE CAMP
Au Maroc; le
commandant Bernier, tué près d'Ifrane en chargeant à la tête de son
bataillon.
Voir l'article, page 577.
Ce numéro comprend une double page en couleurs hors texte sur
LES FLORALIES DE GAND
et la première partie d'une étude sur
LA FAUNE D'AFRIQUE
illustrée de quatre pages en
héliogravure;
la seconde
partie de cette étude, avec quatre autres pages en
héliogravure, paraîtra la semaine prochaine. La plupart
des numéros qui vont suivre auront d'ailleurs,
comme celui-ci, des pages en couleurs.
Le prochain supplément théâtral contiendra
VOULOIR
comédie en quatre actes
de
M. Gustave Guiches
qui poursuit une brillante carrière à la Comédie-Française.
On les a descendues.
Les voilà dans l'antichambre, encore mal réveillées du creux et long sommeil qui les a engourdies depuis les dernières vacances. Je les reconnais et elles n'ont pas du tout l'air de me connaître. Elles ont beau porter, imprimées et peintes, mes initiales, en noir et en rouge, et montrer ma carte de visite suspendue, en prétention, à une de leurs poignées, dans l'étiquette de cuir, elles m'ignorent, totalement. Elles ne me témoignent pas plus de cordialité qu'à un homme d'équipe. Dénuées de grâce et de bienveillance, elles exagèrent déjà leur pataude grandeur. Elles encombrent, et on dirait que c'est avec plaisir, qu'elles le font exprès. Étalées dans une large indifférence et un lourd sans-gêne, elles sont là--chez moi, qui suis leur maître, qui les ai choisies, achetées, payées --comme elles seraient ailleurs, n'importe où. Je comprends que, pour en avoir la taille et les dimensions, elles ne sauraient pourtant être des meubles , qu'il ne faut pas leur demander le caractère intime et le bon ventre d'une commode, la tendresse presque conjugale d'une armoire, la sympathie d'un bonheur-du-jour. N'ayant ni famille, ni domicile, ni foyer, ni patrie, elles ne se sentent, en effet, jamais chez elles. Ce sont des juives-errantes. D'un égoïsme de voyageur, elles ne présentent un peu de caractère et de physionomie que dans les gares, les fourgons, sur les chariots et sur le toit des omnibus. Elles ne «vivent» que sanglées, cordées, pleines jusqu'aux bords, et seulement en cours de route, pendant le trajet. Une malle vide, et au repos, échouée au grenier, ou rangée dans la chambre de débarras est une chose inouïe d'abandon, d'une impersonnalité inexprimable, une chose pire que morte, une chose triste et affreuse, et décourageante, qui n'est rien... rien... et dont s'écarte elle-même, prise de spleen à sa vue, la souris à jeun.
*
* *
Mais en ce moment les malles sont à la veille d'entrer dans la danse. Le couvercle levé, elles attendent-qu'on les nourrisse, que nous jetions en elles, connue des petits pains dans le fournil de l'éléphant, tout ce que nous emportons avec nous dès que nous nous déplaçons, les indispensables inutilités dont nous croyons que nous ne pouvons pas nous passer. Que l'on sache ou non «faire une malle», il faut cependant, en effet, que «tout y tienne». Il est nécessaire que nous y mettions notre linge et nos livres, nos vêtements et nos papiers, nos cravates et nos agendas, nos chaussures, nos remèdes, nos affaires de toilette et nos petits paquets intimes, les quotidiennes reliques qui font partie de nous-mêmes plus étroitement encore que nos chemises. Tout cela doit trouver sa place--et la trouve--dans la malle, quelle qu'elle soit. Car la malle, d'aspect si dur et si peu accommodant, est pourtant douée d'une incroyable souplesse. On n'imagine pas sa complaisance élastique à se plier à tous nos désirs, même les plus insensés... Elle absorbe ce que l'on veut. Ne dites jamais qu'elle est pleine et que l'on ne peut plus rien y ajouter. Même petite à ne contenir que le minimum, elle a des profondeurs de gouffre insoupçonné, et j'en ai connu qui, sans avoir la capacité d'un tonneau, étaient de vraies malles des Danaïdes.
Quel curieux et saisissant spectacle que celui de l'intérieur d'une malle! Chaque fois qu'il m'est arrivé d'y songer, à genoux devant la mienne, tandis que j'empilais tour à tour, et les uns contre les autres, les objets les plus différents et les plus opposés, je n'ai pu m'empêcher d'en sourire et quelquefois d'en divaguer... C'est un ramassé prodigieux, une cohésion de disparates qui amuse et fait réfléchir. Au fond d'abord, classement logique, les poids lourds, les chaussures, le gros linge, les livres, les dossiers... Mais avec la meilleure bonne volonté, tout cela ne resterait pas cinq minutes et jouerait bientôt si l'on ne prenait la précaution de le caler. Il faut boucher les trous, tamponner. Et c'est ici qu'apparaît la malice opportune du destin qui me force à consolider mon Sénèque avec ma boîte à bijoux et à enfoncer trois paires de chaussettes de soie dans le flanc des Pensées de Pascal , «pour les retenir».
Dans le casier du milieu sont généralement déposés les vêtements pliés mou, avec art, les habits qui ne veulent pas être maltraités, les pantalons bien tendus, couchés comme des malades. Et le dernier compartiment, celui du dessus, reçoit presque toujours la lingerie fine, les chemises, les gilets blancs, les choses plates et légères, entre lesquelles se glisse au dernier moment maint objet menu et fragile. Voici la malle à peu près faite, achevée. Sans qu'elle ait besoin d'être transparente, on y voit avec l'esprit que toutes les matières y sont rassemblées, que le bois, le fer, l'or, l'argent, la laine, le fil, le papier, le carton, la soie, le velours, le drap, le verre, la porcelaine, sont condamnés, dans l'espace le plus réduit, à se serrer, à se presser, à s'accepter sans mauvaise humeur. Pas pour longtemps, heureusement, la brève durée d'un voyage, d'un très court trajet, même quand les indicateurs font croire qu'il est long. C'est tout à fait l'image de la vie.
On ferme, en se baissant, avec la toute petite clef qui se donne des façons de clef de coffre-fort, on boucle les courroies, et il semble alors que l'on soit allégé de tout ce qui est dans la malle comme si on se l'était retiré de dessus le corps et la pensée, ainsi qu'un gros poids. On est déjà à moitié parti.
*
* *
Pendant qu'elle est chargée, transbordée, la malle ne nous intéresse pas. Nous n'y pensons plus. Elle a cessé de nous appartenir. Nous aimons nous figurer que nous voyageons sans elle, les mains vides. Elle ne commence à nous manquer qu'à la minute où, arrivés à destination et rendus à l'hôtel, nous commandons «qu'on nous la monte». Elle nous représente alors notre maison, notre fortune et nous-mêmes, et nous nous trouvons déjà moins seuls quand le garçon colossal--afin d'en exagérer la pesanteur et pour nous donner aussi une plus vaste idée de la force de ses reins--la laisse tomber à nos pieds dans la chambre inhospitalière.
A cet instant, la malle quitte son air bête pour prendre figure de camarade, et sa vue ne nous choque pas, si laide et si fatiguée qu'elle soit. C'est d'ailleurs en peinant et en vieillissant qu'elle gagne du caractère et de la physionomie. Une malle propre, reluisante et neuve ne signifie rien, n'a pas de raison d'être. Il faut qu'elle ait, le plus tôt, un passé derrière elle, et beaucoup de pays, qu'on la sente lourde et lasse, ne s'étonnant plus guère, et revenue de maints endroits lointains comme de maintes illusions. Il faut qu'elle ait été cahotée, heurtée, cognée, brutalisée, que, sans même avoir besoin de lire les adresses des hôtels dont elle est couverte, et qui, collées les unes sur les autres, lui font partout des emplâtres glorieux et racornis, nous n'ayons qu'à la regarder pour nous souvenir... pour qu'elle nous retrace tous les voyages que nous avons faits avec elle et ceux aussi que nous n'avons pas pu faire et que nous ne ferons jamais. Alors elle est presque émouvante... Les mots Rome, Naples, Tolède, Prague, Florence, Bruges, lui font un calendrier rétrospectif dont nous détachons les feuillets par la mémoire. Nous lui parlons, nous la tutoyons. Elle est «notre vieille malle», qui a trimé comme nous, qui au long de nos courses par le monde a contenu tant de choses, même celles que nous n'avons pas rapportées!
Et il y a des malles pour tous les goûts, pour tous les âges, pour toutes les conditions. La malle, c'est l'homme. Celle de l'enfance et de nos trousseaux de collège n'est pas celle de la jeunesse et de l'âge mûr; la malle du domestique ne sera jamais prise pour celle du maître, même si elle a d'abord appartenu au maître. En la donnant il l'a changée. La malle de l'ouvrier, celles du bourgeois, du mondain, du riche, de l'Anglais, de l'Américain, de la femme élégante, et cent autres, révèlent aussitôt la qualité de leur possesseur. La petite valise jaune du soldat en permission, et toujours fermée par une ficelle, n'est-elle pas légendaire, classique? Et si je ne parle pas de celle du prêtre, c'est que le prêtre, chacun le sait, n'a pas de malle. On ne lui connaît toute la vie qu'un sac, un sac noir, comme au séminaire. Seulement, si c'est un curé très vieux, le sac est en tapisserie.
Enfin, si la malle isolée m'a quelquefois fait l'effet d'un cercueil qui
attend qu'on le cache en l'introduisant vite dans la terre, que dire de
l'étrange et gênante impression que toujours me causent les malles
réunies par centaines, quand je les vois dans les gares, à l'arrivée du
train, alignées, comme après un sinistre, sur les parapets de chêne. Je
ne peux pas croire qu'elles ne renferment que du linge, des vêtements et
des mouchoirs, j'ai l'obsession qu'elles contiennent du mystère et de la
vie éteinte, et que des morts y sont déjà couchés, et que ces morts sont
nous-mêmes, oui, nous-mêmes, d'avance étendus, n'ayant plus rien à
déclarer, tout prêts pour la Consigne.
Henri Lavedan
(Reproduction et traduction réservées.)
Lorsque Michel Provins, entre tous les sujets qui pouvaient également le tenter, a choisi celui de ce Roman de théâtre dont la publication commence aujourd'hui, j'imagine qu'il a obéi à une pensée en quelque sorte personnelle, amicale: il a voulu faire une oeuvre qui fût particulière aux lecteurs de La Petite Illustration , une oeuvre pour eux, et qui leur apportât le plaisir dont ils semblent si friands. Presque chaque semaine, en effet, ces lecteurs reçoivent une pièce de théâtre, et, dans leur fauteuil, ils se donnent le plus confortablement du monde le spectacle de toute la comédie contemporaine. Mais, au théâtre, n'y' à-t-il que la littérature...? Chaque représentation n'a-t-elle pas son histoire plus ou moins secrète, ses dessous mystérieux, des amours, des affaires, des rivalités de vedette ou d'argent...? Comment donc sont reçues, montées, distribuées, répétées, portées aux nues ou étranglées, ces comédies imprimées dont la lecture est si calme, comment se comportent dans la réalité ces acteurs et actrices dont se voient les noms fameux en regard des personnages,--tout cela qui leur apparaît un peu lointain, d'autant plus attirant, est-ce que ces amateurs passionnés du théâtre en imagination, le plus beau de tous, ne seraient pas bien aises tout de même de le connaître un peu...? Ils auraient ainsi, toujours chez soi et sans se déranger, le tableau complet de la vie comique, les moeurs à côté des oeuvres, les pièces qu'on joue et ceux qui les jouent, la scène et les coulisses, les deux côtés du rideau.
Et cette intention, qui fut une attention, sera d'autant plus goûtée que, s'il eût l'ingéniosité de la concevoir, nul aussi ne pouvait mieux la réaliser que Michel Provins.
Michel Provins, en effet, dont le théâtre et le journalisme littéraire ont établi la réputation, est un spécialiste, pourrait-on dire, du Parisianisme. Mais il faut s'entendre, car il y a Parisianisme et Parisianisme. Michel Provins n'est même pas de Paris. Il est Bourguignon, est resté Bourguignon, revient chaque année au berceau de sa famille, ne se repose et ne se plaît que là. Si la vie le lui eût permis, peut-être qu'il n'eût décrit que la campagne et ses plaisirs et l'on verra dans le roman d'aujourd'hui avec quelle ferveur attendrie il parle de la poésie et du bonheur des belles existences rustiques. Mais Michel Provins, qui fut secrétaire de Waldeck-Rousseau, a été de bonne heure initié aux affaires, à la finance, à la haute finance. Son talent, son goût pour la littérature et principalement pour le théâtre achevèrent d'élargir le cercle de son information. Il apparaît ainsi comme un observateur qui n'a pas choisi son milieu et qui a seulement observé celui où il s'est trouvé. Il a fait du Parisianisme comme d'autres font des paysanneries, uniquement parce qu'il avait de bons yeux, le sens de la vérité, et que c'était cela qu'il voyait.
De là son charme, son originalité vraie. Michel Provins est un Parisien à la bonne franquette, un boulevardier sans façon, un ironiste charmant homme. De silhouette élégante et mince, les yeux bleus, la moustache fine et toute la physionomie comme la moustache, l'air un peu d'un administrateur de grande banque, cordial, souriant, sérieux, on le sent tout de suite dans la vie, dans la réalité, autant que dans les livres, intéressé par les hommes et par les choses, sincèrement, directement, naïvement, comme on l'est dans la pratique, avant de songer à ce qu'on pourra dire en ses écrits, attitude d'esprit qui est la plus précieuse et la plus féconde. Elle exclut toute prétention. Elle est la sincérité même et le naturel. Michel Provins dédaigne tout enjolivement, tout apparat, toute «pose» proprement littéraire. Il n'a rien d'un gendelettre acharné à une ingrate profession, ni d'un écrivain à système. Il est seulement un des hommes les plus avertis de la vie, qui s'est trouvé à même de la connaître sous ses aspects les plus variés, dans les milieux parfois les plus fermés, côté dames et côté messieurs, et qui, tout naturellement, selon ses dons et moyens, s'est mis à la peindre comme il l'avait aperçue, non sans en dégager quelque philosophie qui ressemble à une morale ni sans y mêler un peu de ce sentiment, j'allais dire de cette tendresse ou mieux encore de cet attendrissement qui, chez beaucoup, est comme la revanche des occupations les plus positives......
M. Michel Provins.
Portrait par Caillac.
Cette simplicité d'un écrivain sans doctrine se révèle dans le choix même de la forme qui a fait le succès de Michel Provins. Ses livres, il ne les compose pas à la manière des romanciers: cela l'ennuierait ou simplement le fatiguerait. Il est un dialoguiste, comme le furent avec tant d'éclat les Lavedan, les Donnay. Peut-être même, à l'heure actuelle, est-il le seul qui y excelle encore. La loi de ce genre est la fantaisie, la fantaisie dans la vérité, la vérité dans l'ironie: tout l'art consiste ici dans le dosage de la satire, de l'observation, de l'esprit, de l'enjouement, du scepticisme et de la morale. Et il est incomparable, ce dosage, dans la Femme d'aujourd'hui, les Passionnettes, l'Entraîneuse, Comment elles nous prennent, Nos petits coeurs, Toute la lyre, Du désir au fruit défendu , et tant d'autres volumes, à la fois si harmonieux et de ton si pareil, si nuancés dans leur fond. Même quand il renonce au dialogue, Michel Provins ne renonce pas à s'effacer lui-même au seul profit de ses personnages. Il adopte alors le genre épistolaire qu'il ne manie pas moins heureusement. C'est ainsi que, dans Celles qu'on brûle et celles qu'on envoie , il a tiré de ce procédé l'effet le plus ingénieux. Chacun des héros qu'il met en scène, le mari, par exemple, qui découvre que sa femme le trompe, rédige, en un moment de sincérité, une longue épître où il se peint tout entier et laisse parler son âme: celle-là, c'est la lettre à brûler. Puis, en regard, sans aucun commentaire, se trouve une toute petite lettre de rien du tout sur les affaires courantes de la vie qui continue: c'est la lettre qu'on envoie: antithèse qui correspond justement à la duplicité de toute existence ou du moins à son mystère.
La vérité, c'est donc que Michel Provins est, avant tout, un homme de théâtre et je regrette que ce ne soit pas aujourd'hui le lieu d'étudier un peu plus longuement cet aspect essentiel de son talent. Chacune des scènes qu'il publie de quinzaine en quinzaine dans un quotidien et qui constituent ses volumes est une pièce de théâtre parfaitement composée. Outre le dialogue, Michel Provins ne possède pas seulement les qualités, qu'on pourrait appeler matérielles, de l'auteur dramatique, le sens de l'effet, du mouvement, la logique scénique. Tout ce qui se présente à son esprit sous la forme théâtrale prend un sens, une portée, une valeur morale. A cette tâche qui l'amuse, en cette observation légère et gaie, il apporte tout le sérieux d'une longue réflexion et le soin méticuleux d'un écrivain attentif... Si ses amants, qui ne sont pas toujours recommandables, si ses petites femmes, qui ne sont pas toujours ni bien vertueuses ni bien amoureuses, si tous ces figurants de la «passionnette» parlent selon leur nature et la vie, ils parlent aussi selon la langue, et bien qu'ils ne s'expriment que pour se peindre, ils ne le font pas au hasard et en disent bien souvent plus long qu'ils ne pensent. Ce dialoguiste est un satirique et ce Boulevardier, venu de Bourgogne, a des vues d'ensemble. C'est ainsi que peu de sujets furent plus justes, plus compréhensifs, plus actuels en leur temps et plus neufs que celui des Dégénérés dont le titre même est demeuré générique (ce n'est pas une méchante pointe...!). Ce type du ministre veule, du groupe Gibou, cette femme arriviste, ce financier complaisant, tous ces désossés, sans morale, sans foi et sans force, n'ayant pas même l'énergie des petites vilenies qu'ils commettent presque sans les avoir voulues, n'ayant' d'autre conception de l'existence que celle d'un plaisir qu'ils sont aussi incapables de conquérir que de goûter, tout cela demeure comme une des peintures les plus réussies et les plus authentiques d'une époque dont on peut, par bonheur, espérer déjà qu'elle n'est plus tout à fait la nôtre.
Au surplus, les lecteurs d'
Un roman de théâtre
vont se trouver bien à
l'aise pour apprécier à la fois Michel Provins tout entier, car je ne
serais pas étonné que ce fût là justement un de ses ouvrages les mieux
venus. Il semble qu'il y ait combiné avec un bonheur particulier les
deux procédés où il excelle --le dialogue et les lettres--et il y étudie
le milieu pour lequel nous savons son goût naturel et sa compétence
acquise. J'ajoute qu'il est à l'âge de maîtrise où les dons et
l'expérience s'harmonisent comme d'eux-mêmes dans le travail créateur.
Un jeune homme de famille et de province, pris à l'éblouissement du
théâtre, de l'applaudissement et de l'amour, puis revenu à la vérité de
la vie et du coeur, des comédiens et des comédiennes, des étoiles, des
auteurs, des critiques, une fille de financier qui n'échappe à la misère
que par des engagements de toutes sortes, des commanditaires et des
directeurs, des lectures de pièces, des répétitions, des chutes et des
triomphes, de la puérilité, des nerfs, et, contre tant de
faux-semblants, un peu d'amour vrai, d'innocence et de pureté qui ont
tout de même ici, comme dans la vie, le dernier mot,--en faut-il tant à
un excellent et malicieux dialoguiste pour charmer, attacher, et parfois
doucement émoustiller les amateurs si ardents que nous sommes tous de
toutes choses théâtrales...?
Gaston Rageot.
LE VOYAGE D'UNE COCCINELLE
par ROSEMONDE GÉRARD
Tandis que j'écrivais, hier soir,
Près de la fenêtre entr'ouverte,
Parmi l'odeur, l'odeur si verte,
Qui monte du jardin si noir;
Tandis que par plaintes égales,
Dans le gazon mouillé de nuit,
La fine chanson des cigales
Montait comme une herbe de bruit;
Tandis que la brise essoufflée,
Remplaçant le grand vent qui court
N'envoyait plus qu'un souffle court
Sentant la double giroflée;
Tandis que, fronçant les sourcils,
Je cherchais vainement à mettre
Le soir vague en des mots précis;
Et tandis que, par la fenêtre,
Mon coeur suivait mon rêve au loin,
--Sur ma page claire est tombée.
Minuscule, rouge et bombée,
Une coccinelle à sept points!
Elle tomba, brusque et jolie;
Et, comme elle tombait de haut,
De même que Manon Lescaut
Elle en était tout étourdie!
Mais te brusque étourdissement
Dura le quart d'une seconde.
Et le plus simplement du monde
Elle reprit le sentiment.
Elle ne cria pas: «Où suis-je?»
N'eut pas besoin de sels anglais,
Ni, pour dissiper son vertige,
De dégrafer son corselet,
Mais elle sut, hors de panique,
Vite se réarticuler
Comme un doux objet mécanique
Dont on a retrouvé la clef.
Plus vernie et plus écarlate,
Sous le rond d'or de l'abat-jour,
Elle se mit à faire un tour
Au petit pas de ses six pattes;
Elle esquissa des avant-deux,
Traça des lignes et des cercles,
Levant, ainsi que des couvercles,
Son dos qui se sépare en deux;
Et, fins pétales de dentelle
Bien repliés dans un coffret,
On voyait paraître ses ailes
Chaque fois que son dos s'ouvrait.
*
* *
Elle fit, sur mon écritoire,
Un voyage très varié;
Elle contourna la mer Noire
Sur le rebord d'un encrier;
Sur un presse-papier de verre
Elle escalada le Mont-Blanc,
Et, dans le brin de capillaire
Qui d'un bouquet pendait tremblant.
Elle put se croire, sans doute,
Parmi les profondeurs d'un bois:
Trois fois elle y perdit sa route
Et dut la retrouver trois fois!
Elle en partit comme on se sauve,
Un instant tournoya dans l'air,
Et tomba sur le sable fauve,
Juste au milieu d'un grand désert!
(Ce désert en miniature
C'était, dans la sébile en buis,
La poudre à sécher l'écriture...)
Elle en sortit vaillamment; puis.
Sur la plate-forme splendide
D'un pot de colle à bouchon d'or,
Elle fit quelques pas encor
Sur le dôme des Invalides!
Elle avait absolument l'air
D'une petite voyageuse
Qui s'en va du bord de la mer
Jusqu'à l'altitude neigeuse I
Elle avait l'air absolument
D'une infatigable touriste
Qui, seule, sans guide et sans liste,
Visite tous les monuments!
Chaque perspective inconnue
La ravissait comme un bonheur;
Pour regarder les points de vue
Elle montait sur les hauteurs;
Et sa course était si fuyante,
Son voyage si furieux,
Que, malgré sa robe voyante,
Parfois je la perdais des yeux!
Un instant, n'ayant pu la suivre
Autour du manche d'un cachet,
Je crus, dans un étui de livre,
Que, peureuse, elle se cachait:
Soudain, je la vois sur la pointe
Du porte-plume que je tiens;
Elle y demeure, pattes jointes;
Sans doute elle s'y trouve bien.
Sans bouger la main, je l'inspecte
Et je l'admire de tout près:
Rien n'est joli comme un insecte,
Douceur qui ne fait pas exprès,
Perle qui brode la nuit triste
Entre le soir et le matin,
Ame qui semble une améthyste,
Rubis qui possède un destin,
Minute où s'accrochent deux ailes,
Battement de coeur du mois d'août!...
Je regardai la coccinelle:
Elle ne bougeait plus du tout,
Et semblait s'amuser, sournoise,
A donner, de tout son émail,
Au porte-plume de travail
Un air d'élégance viennoise.
Juste à ce moment, du dehors,
La sérénade cigalière
Monta si limpide, et le lierre
Fut noir avec un cri si fort,
Orgueilleux de sa fleur nouvelle,
L'acacia parla si bien
A la petite coccinelle,
La glycine trouva moyen
De lui faire, depuis la grille,
En traversant tout le jardin,
Un si tendre appel de vanille,
Que je crus la voir fuir soudain.
Mais qu'importent les tentatives
De tout un soir occidental
Quand s'échappe une flamme vive
D'une colonne de cristal?
Et restant le temps, sur ma tempe,
De murmurer: «Qu'est-ce que c'est?»
Elle s'élança vers la lampe
Dont la splendeur l'éblouissait.
A peine eut-elle, au bord du verre,
Mis un pied fin comme un cheveu,
Qu'elle reçut d'un doigt de feu
Des chiquenaudes de lumière;
Et brusquement, pour le bureau,
Quittant la colonne qui brille,
Je crus la voir tomber du haut
D'une transparente Bastille!
Vite, elle se remit d'aplomb,
Alla, mais n'y demeura guère,
Parmi les gros boulets de guerre
Qui pour nous sont des grains de plomb;
Elle explora deux livres: Dante
(l'Enfer) , et Michelet (l'Oiseau) ;
Faillit trébucher, l'imprudente,
Entre les pointes des ciseaux;
Se noya presque dans un vase
Pour voir de plus près un oeillet;
Revint examiner la phrase
Qui s'étalait sur mon feuillet;
Promena longuement sa bouche
Sur l'encre de mon papier bleu,
Mettant dans mes pattes de mouche
Ses pattes de bête à bon Dieu;
Enfin, ayant, ronde et légère,
D'un bout de table à l'autre bout,
Tracé des mots sur la poussière
Et vivement marché sur tout;
Ayant, minuscule et ravie,
Dans ce voyage merveilleux,
Manqué trois fois perdre la vie,
Par le fer, par l'eau, par le feu.
Elle regagna les dentelles
Vacillantes des blancs rideaux,
Quatre fois projeta ses ailes
Et les replia sur son dos,
Puis, ayant supprimé ses pattes,
Elle leva complètement
Ses deux élytres écarlates,
Hésita, frémit un moment,
Et, soudain, vite, vite, vite,
Par la fenêtre s'envola,
Emportant, elle si petite,
Mon grand rêve de ce soir-là!
Rosemonde Gérard.
Nous exposions récemment (numéro du 10 mai) le plan de campagne dont la réalisation progressive, par une action convergente des colonnes Mangin et Henrys, secondées par le colonel Coudein, doit nous livrer bientôt, enfin, le Tadla et la région du Moyen Atlas, si farouchement défendus par les tribus qui les occupent, Chleuh. Zemmour, Zaïan, Beni M'Tir, Beni M'Guild, Guerrouan, etc.
En rendant compte des conditions brillantes dans lesquelles avait été exécutée la première partie de ce plan, nous avions laissé le colonel Henrys à Dar Caïd Ito--exactement «Dar Caïd Omar Ould Ito» dont la position n'était pas alors très exactement connue--après un raid audacieux sur Azrou qu'il avait occupé.
A ce moment, les Beni M'Tir étaient coupés en deux groupes, dont l'un avait cherché asile chez les Zaïan, tandis que l'autre se repliait vers le pays des Beni M'Guild.
Très satisfait des résultats obtenus, le général Franchet d'Esperey tenait à venir féliciter en personne le colonel Henrys, et aussi à visiter les deux nouveaux postes établis à Ifrane et à Dar Caïd Ito.
Le 13 mai, accompagné du général Dalbiez, commandant de la région de Meknès, le commandant en chef du Maroc occidental arrivait à la kasba El Hajeb, un de nos plus anciens postes en pays berbère, et le centre du cercle des Beni M'Tir, récemment créé et confié précisément au colonel Henrys. L'après-midi, il passait en revue la petite garnison de Dar Caïd Ito. Le lendemain, il se portait avec la colonne sur Ifrane, en passant par le nord de la forêt de Jaba. Il eut la fortune d'être témoin, au cours de cette marche qui devait n'être qu'une promenade d'inspection, d'une attaque vigoureuse des Beni M'Guild. Ce fut une affaire assez chaude, où, malheureusement, un des bons collaborateurs du colonel Henrys, le commandant Bernier, du 1er tirailleurs, tomba mortellement blessé, au moment où, à la tête de son bataillon, il conduisait une charge à la baïonnette qui allait être décisive et repousser l'ennemi.
Les Marocains laissèrent sur le terrain de nombreux cadavres. Le chef lui-même qui les conduisait était blessé, et son prestige semblait en être considérablement entamé.
A six jours de là, le 20 mai, l'ennemi dessinait une nouvelle offensive. Mais il donnait des signes visibles de lassitude et ne montra pas le «cran» qui caractérise d'ordinaire ses attaques et qui étonne toujours les plus allants de nos soldats eux-mêmes.
La colonne continue ses opérations, et il est certain que nous aurons à rendre compte de plus d'un combat encore, avant 4e pouvoir enregistrer la paix définitive.
Ce que nous tenons à souligner, c'est l'extrême rigueur de cette campagne, dans un pays âpre, difficile, dépourvu même de pistes, hérissé en tous sens, par une température inclémente, pluvieuse, froide, même en cette saison avancée.
Au premier coup d'oeil qu'on jette sur la carte que nous donnons et où sont reportés tous les itinéraires suivis par la colonne Henrys depuis sa mise en route, à la mi-mars, jusqu'à la fin de mai, on est frappé de la prodigieuse activité que dénotent ces marches et contremarches, et de l'endurance qu'il a fallu aux troupes, à chaque instant accrochées, bataillant à chaque pas, pour parcourir et battre aussi en tous sens un terrain en lui-même si pénible.
Les opérations, marches et contremarches, de la colonne
Henrys.
Colonel Henrys.
Général Franchet d'Esperey.
Général Dalbiez.
A j'état-major de la colonne Henrys.
Le colonel Henrys était, aux dernières nouvelles que nous en avons eues, au pied de l'Atlas. Il avait reçu la soumission de nombreux douars guerrouan et beni m'tir. Les rebelles étaient rejetés dans la montagne, bloqués; l'indépendance des indomptables Zaïan se trouvait fortement compromise. Car la pression qu'exercent graduellement les colonnes lancées à l'attaque de l'Atlas va s'accentuant.
SANGLANTS COMBATS AU TADLA
Le colonel Mangin, de son côté, vient d'être amené à livrer deux combats très meurtriers, les plus sanglants que nous ayons eu à enregistrer depuis le commencement de l'occupation du Maroc, puisqu'ils ne nous ont pas coûté moins de 70 morts dont 3 officiers, et 135 blessés, parmi lesquels 6 officiers.
C'est toujours Moha ou Saïd qu'a devant lui le colonel Mangin.
Le chef d'escadron Picard.
--
Phot. Louis Botte.
Informé, au commencement de juin que cet irréconciliable ennemi s'apprêtait à fondre sur les tribus ralliées de la région avoisinant la kasba Tadla, le colonel constituait un groupe mobile qui, espérait-il, suffirait à détourner Moha de ses projets. Il n'en fut rien, et le 8 juin, une rencontre se produisait à Sidi ben Daoud, à la suite de l'occupation, par le groupe mobile, de Rhorm el Allem, à 12 kilomètres de la kasba Tadla. Moha ou Saïd fut mis en déroute, mais il alla se réfugier à sa kasba de Ksiba. Le colonel Mangin, laissant à Sidi ben Daoud le gros de ses forces, se lança sur Ksiba avec un groupe léger et deux batteries de 65.
La cavalerie, composée de goumiers et de partisans, sous le commandement du chef d'escadron Picard, fut attaquée dès le matin. L'escarpement de la route rendit le combat très périlleux. La petite troupe ne parvint à se maintenir qu'au prix de pertes importantes: 21 tués, dont 2 officiers, et 3 blessés.
L'arrivée du colonel Mangin, avec le gros, permit de reprendre l'offensive. L'ennemi fut bousculé, la kasba enlevée à la baïonnette. Nous avions 4 autres morts et 31 blessés. On fit sauter la kasbah, on y mit le feu et l'on rentra camper le soir à Sidi ben Daoud.
Mais l'ennemi ne s'avouait pas vaincu. De nouveau il se rassemblait à la kasba Ksiba. Le surlendemain de ce premier succès, le colonel Mangin revenait sur lui pour l'achever, emmenant toutes ses forées, divisées en trois groupes: avant-garde commandée par le lieutenant colonel Mathieu; centre sous le commandement du commandant Biétrix; arrière-garde et convoi, enfin, sous le colonel Mangin lui-même.
Colonel Mangin Général Ditte.La kasba fut défendue avec un acharnement désespéré.
La région de Tadla où opère la colonne Mangin. Les pistes
sont
indiquées par les lignes en tirets.
On se rendit compte alors de l'importance qu'avait sa possession aux yeux des indigènes et, donc, de l'impression que produirait sur eux sa prise définitive. Au prix d'un héroïque effort, la colonne escalada une falaise rocheuse dominant Ksiba, d'où l'on commença le bombardement, et occupa, tour à tour toutes les crêtes avoisinantes. A 10 heures du matin, on pouvait donner à la kasba le second assaut. Quand elle fut prise, on y ralluma le feu pour en achever la ruine. A midi, on reprenait le chemin de Sidi ben Daoud.
Mais cet avantage avait été acheté au prix de 45 morts et de 101 blessés.
La liste des officiers et soldats mis hors de combat au cours de ces deux opérations vient d'être publiée. On y relève parmi les morts, en tête de liste, le nom du commandant Picard, commandant de la cavalerie du groupe mobile, qui appartenait, comme capitaine, d'abord, à la colonne Mangin depuis sa formation, qui s'était distingué à Ben Guérir, à Sidi bou Othman, contre El Heiba, avait commandé la pointe d'avant-garde entrée le 7 septembre 1912 à Marrakech, et qui, en récompense de ces brillants états de service, venait d'être promu chef d'escadron.
Avec lui sont tombés, le 8 juin, le lieutenant Bornet-Mazimbert, l'adjudant Barreau, du 8e bataillon colonial, les brigadiers Bossillon, Ladreux, et le cavalier Corbillin du 4e spahis, le soldat Mille, du 3e zouaves. Au combat du 10 on a eu à déplorer la perte du lieutenant Variengien du 7e tirailleurs, du sous-lieutenant de réserve Gilles, du 8e bataillon sénégalais, de 6 zouaves, etc.
Aux dernières nouvelles, on annonce que le général d'Esperey se rend sur
les lieux, afin d'examiner les mesures à prendre pour assurer la
tranquillité de ce pays sans étendre les opérations.
G. B
La kasba Tadla. Dans les bâtiments blancs, à la base du
minaret, ont été installés les services de santé; à l'arrière-plan, à
gauche, pont sur l'Oum er Rhia.
Impératrice Alexandra. Tsar Nicolas II. Tsarévitch Alexis
(sur les bras d'un cosaque).
LES FÊTES DU CENTENAIRE DES ROMANOF.
--A
Moscou: la famille impériale saluée par la foule au Kremlin.
Phot.
C.-O. Bulla.
Afin de suivre toute une série de fêtes organisées pour la célébration du centenaire des Romanof, le tsar Nicolas, accompagné de l'impératrice, du grand-duc héritier et des grandes-duchesses, entouré des membres de la famille impériale et suivi par tous les hauts dignitaires de l'empire, vient de se rendre dans plusieurs des «vieilles villes» russes. Le voyage impérial commença à Vladimir, d'où les souverains et leur suite gagnèrent Nijni Novgorod. Là, seize vapeurs attendaient pour conduire, par la Volga, cette cour brillante à Kostroma.
Un peu avant d'atteindre cette ville, le groupe impérial débarquait afin de gagner, en voiture, le monastère Ilatief, où s'était réfugié, fuyant les Polonais, Michel Féodorovitch, le fondateur de la dynastie. Le cortège emprunta la même route qu'avaient prise, en 1613, les délégués moscovites qui allaient offrir la couronne à cet illustre ancêtre des Romanof.
De Kostroma, la famille impériale gagnait Moscou, où elle arriva le 6 juin. De grandes fêtes avaient été préparées en son honneur. La journée du 7, anniversaire de la naissance de l'impératrice Alexandra, fut particulièrement solennelle. Les souverains, accompagnés du prince héritier et de toute la famille impériale, reçurent, au Kremlin, des délégations venues des plus lointaines Russies, des confins de l'empire. Et, en remerciant le maréchal de la noblesse de Moscou, qui l'avait salué au nom de la noblesse russe tout entière, l'empereur dit combien il avait été frappé des témoignages de fidélité et d'affection qui lui avaient été prodigués au cours de ce voyage.
Antilope mâle de Grant.
Chargé de mission dans l'Afrique équatoriale par le Muséum national d'histoire naturelle, le docteur Émile Gromier, à la différence de tous ceux qui ont avant lui rapporté des photographies de la grande faune africaine, n'est pas allé là-bas en chasseur de grosse bête, soucieux de produire des témoignages de ses exploits, ni en photographe spécialiste, préoccupé d'obtenir des clichés records, mais en zoologue, en observateur de la vie animale dans la forêt, et dans la brousse des Tropiques. Il n'a pas traqué les antilopes, les girafes, les zèbres, les rhinocéros, les éléphants: il les a regardés vivre, les épiant, se cachant près de leurs points d'eau, non pour placer une balle au bon endroit, mais pour les étudier sans les effrayer, pour surprendre leurs attitudes familières qu'il notera sur le carnet et fixera par l'objectif. Il a traité les fauves comme Fabre les insectes. De là, le caractère, l'aspect particulier de ses photographies, surtout de celles qui montrent des éléphants, en quelque sorte, dans leur intimité, et qui accompagneront un second article.
Nul, s'il n'est observateur passionné, ne saura l'intérêt qu'offre la poursuite et l'étude des animaux africains aux moeurs occultes, aux allures furtives, aux sens éveillés. Si l'intérêt est grand, la difficulté d'observation n'est pas petite. Il faut épier l'animal, l'attendre avec une inébranlable patience et savoir profiter de l'occasion à l'instant même où elle se présente. Cette occasion, après l'avoir guettée des mois et encore des mois, un jour, tout à coup, elle surgit avec une facilité d'examen, une clarté dans le détail, qui dédommagent de la longue attente. J'ai ainsi pu récolter, malgré les multiples difficultés de la tâche, d'intéressants documents et de nombreux clichés pris sur le vif.
Les contrées de l'Est africain, de l'Uganda et du Congo belge, sur lesquelles ont porté mes investigations zoologiques, sont loin de posséder une faune ornithologique et mammalogique semblable. Les différences profondes qu'elles présentent au point de vue du relief du sol et partant au point de vue climatérique font que chacune d'elles est en quelque sorte caractérisée par une flore et des espèces animales particulières.
Inversement, il est exact de dire que, dans les mêmes conditions de relief de sol et de climat, la flore et la faune se retrouvent étrangement semblables à elles-mêmes à des centaines de kilomètres de distance.
Il existe évidemment un grand nombre d'espèces qui, par suite de leur malléabilité, de leur facilité d'adaptation aux différents milieux, ont étendu leur habitat sur toute la zone tropicale, mais le plus grand nombre se sont confinées dans des contrées bien définies qui leur assurent une nourriture conforme à leurs besoins et une protection suffisante.
C'est ainsi que les grands herbivores et les fauves qui en vivent abondent dans les glands espaces herbeux, que les antilopes de plus petite taille, les petits rongeurs et carnassiers, hôtes des brousses basses, s'accommodent en général des régions habitées par l'indigène; que les singes arboricoles affectionnent les rives boisées des cours d'eau et que les mammifères amphibies recherchent le voisinage des estuaires et des grandes rivières.
Jetons un coup d'oeil sur la faune des plaines et des grandes steppes. C'est le vrai domaine des herbivores, c'est là que nous trouverons, réunies en troupeaux souvent innombrables, ces antilopes de toutes tailles et de tout poil qui constituent pour le voyageur un si curieux spectacle dans les grandes plaines traversées par l'Uganda Railway par exemple.
Voici de bien mignonnes petites bêtes: taille effilée, tournure svelte, costume crème avec écharpe noire sur le ventre, tel est le signalement sommaire des gazelles de Thomson. Hautes comme un chevreau, elles sont là une dizaine, le chef armé de leurs petites cornes annelées, broutant les pousses vertes qui vont reconstituer la prairie détruite par le grand fléau des feux annuels. Peu méfiantes en général là où elles ne sont pas trop poursuivies, elles laissent facilement approcher l'observateur si celui-ci a pris la bonne précaution de se mettre sous le vent.
Élan femelle allant, dans les
roseaux, s'abreuver à un
ruisselet.
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Photographies du
Dr E. Gromier.
Mais la plus méfiante s'est alarmée: c'est une jeune mère accompagnée de son petit haut comme un caniche; elle a levé la tête, fixé le chasseur en mastiquant la dernière bouchée d'herbes folles, remué vivement le petit appendice blanc et noir qui lui sert de queue et aussitôt, à ce signe d'inquiétude, tout le groupe s'est alarmé, toutes les petites queues se sont agitées, et la harde s'en est allée en trottinant, conduite par la plus avisée.
Plus loin, voici des gazelles plus fortes, mais tout aussi gracieuses, ce sont des «Grant».
Plus éclectiques que leurs petites cousines de «Thomson», elles broutent avec entrain aussi bien dans la plaine dénudée que dans les rochers buissonneux, dominés çà et là par de rachitiques mimosées épineuses.
Le mâle, d'un échantillon plus fort que ses compagnes, relève de temps en temps la tête, montrant une admirable paire de cornes annelées, arquées en arrière, presque hautes comme lui-même, une robe plutôt isabelle et une ceinture noire aussi, mais d'un noir moins franc.
D'une contrée à l'autre, à quelques lieues de distance, les cornes de cette antilope varient de forme et créent ainsi des sous-espèces locales dont la plus typique certainement la gazelle de Roberts (Gazella Robertsi) , dont les cornes divergent d'extraordinaire façon.
Quel est cet escadron bizarre, et, quelque peu ridicule qui vous suit des yeux avec obstination? Ce sont des bubales. Ah! les bubales: providence et désespoir du chasseur.
Providence, car ils sont partout et font la base du garde-manger; désespoir, car ils se constituent souvent les sentinelles des troupeaux sans malice et les entraînent dans leur fuite éperdue au moment même où vous alliez faire le plus intéressant des clichés ou le plus rare des coups de fusil.
Bien souvent, des scènes se passent comme celle-ci: avec la prudence et la souplesse du chat qui guette sa proie vous vous êtes glissé en rampant dans les herbes folles, votre front moite, vos reins courbaturés méritent bien la récompense : un bel élan aux cornes spiralées broutant sans soupçon l'herbe sauvage. Hélas! un bubale vous a vu! Il part de son trot élastique et saccadé dans la direction de votre gibier, se plante en face de vous, droit comme un I, éternue, donne l'alarme et s'enfuit d'un galop grotesque, lent et rythmé, entraînant l'autre à sa suite. Lorsque cette scène s'est renouvelée quelquefois vous devenez l'ennemi irréductible de ces pauvres «congoni», nom que leur donnent les indigènes, et vous ne pouvez plus les voir sans être pris d'une rage de destruction irréfléchie.
Les curieux de la steppe africaine: quatre bubales
intrigués par le photographe.
Comme les Grant, et comme, en général, tous les animaux africains, ces bubales varient d'une contrée à l'autre. La forme des cornes, les proportions, la robe, varient sensiblement, créant ainsi des sous-espèces.
Dans certains districts éloignés les uns des autres et très délimités, on trouve un parent du bubale, mais moins disgracieux, le chanfrein moins disproportionné, la croupe moins fuyante, la robe d'un beau brun roux: c'est le topi. On le rencontre dans le Jubaland, dans les districts au sud du Rodolphe, à des centaines de kilomètres plus loin aux sources du Nil, dans la vallée de la Ronts-chourou et dans les plaines au sud du lac Albert-Edouard. A Witschoumbi, j'ai vu 1.500 topis en un seul troupeau.
Je n'ai pas l'intention de passer en revue, même rapidement, toutes les antilopes des steppes, je sortirais du cadre de cet article. Cependant, je mentionnerai encore deux espèces des grands espaces dénudés, les gnus d'abord, ces curieux animaux qui tiennent du cheval par la queue, la crinière et les ruades, du boeuf par la tête et les cornes, de l'antilope par la souplesse et les moeurs, du bison d'Amérique par l'allure générale; et les oryx, si jolies dans leur robe isabelle, leur chanfrein harnaché, leurs longues cornes effilées et parallèles qui ont donné naissance autrefois à la légende de la licorne.
Je veux dire quelques mots d'un hôte important des forêts à clairières et de la savane: l'élan. C'est un animal superbe, la plus grande antilope africaine. J'ai tué des mâles d'une taille et d'un poids considérables. Le cou musclé comme celui du taureau, terminé très près de terre par un fanon proéminent, soutient une tête élégante, animée de beaux yeux fort doux, et surmontée d'une paire de cornes tordues sur leur axe très volumineuses et lourdes. L'espèce de l'Ouest et du Centre africain, dite Taurotragus derbyanus , est la plus grande, ses cornes atteignent parfois le poids de 20 kilos et une longueur d'un mètre. Cet animal, pendant la saison des amours, vit en petites hardes d'un mâle accompagné de cinq à six femelles, puis les sexes se séparent.
J'ai pu approcher l'élan de fort près; un jour même, mon ami Barbezat et moi, armés de nos appareils photographiques, sommes arrivés en rampant à une dizaine de mètres d'une petite harde dont nous avons pris simultanément quelques clichés.
FAUNE D'AFRIQUE.--Surprise à l'abreuvoir, une harde de
zèbres s'enfuit au galop.
Phot. du Dr Em. Gromier
Un escadron de zèbres.
Un grand rhinocéros mâle fait la sieste sous un maigre
mimosa, épineux. Sur son dos des oiseaux cherchent des parasites.
Une girafe mâle gigantesque et un girafon, surpris par le
photographe, restent un instant immobiles avant de prendre leur galop.
FAUNE D'AFRIQUE
Photographies du Dr Émile Gromier.
Singes cercopithèques dans les branches des palmiers
Jeune rhinocéros.
C'est une antilope facile à tuer, cependant, comme elle est puissante et son cuir épais, le chasseur doit employer des balles pleines. Ayant tiré au coeur, à trente mètres, un énorme et vieux taureau, celui-ci fit un bond, décocha une ruade et resta immobile. Je tirai de nouveau: l'animal fit une cinquantaine de mètres au trot. Outré de ma maladresse et croyant avoir manqué le coeur malgré la proximité, je tirai une troisième balle sans résultat. Un quatrième coup eut raison enfin de la bête qui s'écroula; il était temps, mes hommes, goguenards, chuchotaient, et mon prestige en souffrait. Mes quatre balles pleines étaient au coeur où elles avaient opéré de simples pertuis, venant ensuite s'arrêter contre la paroi costale opposée. Si la distance avait été plus grande, les dégâts eussent été plus importants, bien entendu.
Si l'on veut enrayer la disparition de cette espèce, intéressante, belle, et facile à domestiquer, il faudra employer des moyens énergiques, car elle offre une cible large, elle est lourde dans la fuite, peu méfiante, et sa reproduction est médiocre.
Dans les fourrés épineux de l'Est africain, du Cap à l'Abyssinie, jusqu'à 3.000 mètres d'altitude, on trouve la plus belle de toutes les antilopes: le coudou.
De grande taille, de formes élégantes, la robe d'un brun roux strié de quelques lignes blanches parallèles, la tête petite surmontée de la plus admirable paire de cornes spiralées qu'il existe, c'est un animal magnifique.
Très furtif, on l'aperçoit rarement au clair et dans les bush épais où il se tient le jour, sa recherche est malaisée et son approche très difficile. Il se nourrit de feuilles et de bourgeons, et vient souvent, le soir, paître l'herbe des clairières.
Il existe un petit échantillon de l'espèce, le lesser-kudu des Anglais, Strepsiceros imberbis , assez abondant dans l'Est africain. Dans le British-East-Africa notamment, il existe un peu partout entre les stations de Tsavo et de Makindu. Je conseille au sportsman de s'arrêter à la station de M'toto-Andeï, sur l'Uganda Railway, et de diriger ses recherches avec un bon guide de la tribu des War Kàmba entre la voie ferrée et la base du massif des Ongolea.
A côté de toutes ces antilopes, il ne faut pas oublier leur compagnon presque inséparable: le zèbre. Il en existe plusieurs espèces qui varient par la taille, par le nombre et la disposition des rayures, nulle n'est plus belle que le zèbre de Grant coloré par les rayons si riches du soleil équatorial. L'espèce la plus favorisée au point de vue de la taille est le zèbre de Grévy, spécial au Somaliland et qui n'atteint pas au sud l'Équateur. Son domaine est même curieusement délimité par la rive gauche du fleuve Guaso-Nyiro, qui décrit un vaste arc de cercle autour du puissant massif de Kénia et va se perdre dans un immense marécage, le Lorian.
Le zèbre est si peu méfiant, si peu résistant à la balle, si lourd, et offre une telle cible que le tirer n'est plus du sport, mais du massacre, ce sont donc les novices ou les disciples de Costecalde qui se livrent à cet exercice.
Cependant, un impérieux besoin de viande oblige quelquefois à en sacrifier. La chair est rouge, semblable à celle du boeuf et excellente à mon goût; les colons, pourtant, la dédaignent, en général.
Tous ces beaux animaux de la steppe ont actuellement une vie bien précaire, constamment obligés de surveiller les quatre points de l'horizon, le jour, à cause de l'homme acharné à leur perte, ils doivent se garer encore, la nuit, des entreprises du lion.
Le grand félin, que je ne nommerai pas «roi des animaux», réservant cette appellation honorifique au seul qui la mérite, l'éléphant, existe partout où il y a des herbivores en dehors des forêts. Il n'est pas rare dans la savane, il est extrêmement abondant dans les steppes où la vie animale pullule et se tient surtout à leurs confins, à cause dos couverts.
Il excelle à se dissimuler et dans un pays que vous parcourez chaque jour en long et en large, vous n'avez que bien rarement l'occasion d'en rencontrer alors que, la nuit, vous l'entendez rugir de tous côtés. Cependant, en battue, on arrive à le débusquer de sa retraite qui est souvent au bord d'un cours d'eau, dans les buissons épineux, les ajoncs et les hautes graminées de la rive.
Quelquefois, dans les pays rocheux, il est tapi à l'ombre d'un bloc, dans une anfractuosité, dans une grotte, ou plus simplement sous un petit acacia épineux formant parasol.
Par des nuits très étoilées, sans lune, je pouvais compter exactement tous les lions qui m'entouraient grâce à leurs prunelles. Il ne s'agit pas là de phosphorescence, bien entendu, mais, comme chez tous les félins, y compris notre chat domestique, l'oeil reflète la lumière qui le frappe sous une certaine incidence.
Quand j'étais débutant en Afrique, je me rappelle qu'un soir nous étions couchés, M. Brandon, un charmant Anglais, M. Klein, un jeune Américain, et moi sous un petit mimosa épineux, dans la steppe sauvage; vers le milieu de la nuit, nos noirs vinrent, tremblants, nous avertir que nous étions entourés de lions. Ils nous montraient des lueurs jaune verdâtre qui se mouvaient. Je ne pouvais que me rendre à l'évidence: six lions rôdaient autour de nous, et chaque fois qu'ils nous fixaient on voyait admirablement leurs six paires de prunelles, ainsi que le jeu de leurs paupières. Depuis, j'ai pu faire souvent la même constatation.
Le lion est timide le jour, au moins dans les pays où il est très poursuivi; s'il entend ou sent le chasseur blanc (il fait parfaitement la différence entre l'Européen et l'indigène) et qu'il soit bien tapi, il ne bouge pas; sinon, il se dérobe rapidement.
S'il est surpris, il peut adopter, suivant son humeur, plusieurs attitudes. D'assez loin sur une proie, il vous regarde fixement, retrousse les babines comme pour lâcher un juron, pivote sur lui-même et s'en va lentement, la tête basse sans se retourner, faisant comme si vous n'étiez pas là. Vous voyez un animal beaucoup plus grand et plus long que vous ne vous y attendiez, puissant, musclé, marchant sans légèreté, la queue raide, les deux omoplates saillant alternativement. Sa robe très claire le fait paraître blanchâtre dans les herbes roussies par le soleil, seule sa crinière, s'il en a, tranche en fauve ou en noir sur l'ensemble. Ne vous y trompez pas, ce lion profitera du moindre obstacle, un groupe d'arbres, un rocher, un mouvement de terrain qui le masquera pour partir à fond de train et disparaître à longues foulées.
Le plus souvent, un lion surpris de près sur sa proie fuit au petit trot ou au galop, quelquefois pourtant il esquisse un mouvement en avant; c'est tantôt une action de défense réflexe, tantôt une façon de vous tâter. La tête est haute, il vous regarde bien en face, retroussant par intervalles les babines, montrant les dents, ses oreilles sont couchées, il ronchonne et grommelle, la queue se tortille de droite et de gauche, surtout à son extrémité qui est plus mobile; puis la prudence reprenant le dessus et en face de votre immobilité ou devant votre geste d'épauler, il tourne sur les talons et se dérobe.
Autre attitude, si vous avez affaire à un lion peu commode ou blessé: il baisse la tête en grondant et en montrant les dents par intervalles, faisant le geste de mordre de côté, la queue s'agite avec précipitation, il rugit par saccades, découvre carrément ses crocs en retroussant les lèvres, couche les oreilles, part sur vous au trot, puis, levant brusquement la queue, prend le galop sans cesser de vous fixer avec fureur et en accompagnant chaque bond d'un rauquement rythmé.
Chasseur, du sang-froid! Si vous êtes sûr de vous-même attendez et placez bien votre balle expansive, le lion n'ira pas plus loin et vous aurez l'orgueil d'avoir triomphé d'un grand péril. Sinon, ayez un noir expérimenté et sûr qui vous passera en cas de charge deux coups de chevrotines. Ce n'est plus du sport, mais vous serez sauf et votre ennemi criblé. Il n'existe, en face d'une charge, que ces deux solutions.
Le lion est doué d'une grande force musculaire. Évidemment, je ne l'ai jamais vu sauter une barrière avec un boeuf aux dents, comme on l'a raconté, mais les manifestations de sa force auxquelles j'ai assisté m'en ont pourtant donné une haute idée.
Un matin, sur les flancs du mont Donyo-Sabuk, dans l'Est africain anglais, un indigène Masaï accourt m'avertir que le cheval d'un Européen absent vient d'être tué par des lions.
Je me rends en hâte sur les lieux et constate que la porte d'une petite écurie en bois a été forcée, que le cheval a été tué à l'intérieur et tiré au dehors par les fauves. Ceux-ci, alourdis, ne doivent pas être loin. Je prends quelques hommes avec moi pour battre un petit ravin. Effectivement, les lions, car ils sont deux, un mâle et une femelle, sortent au pas d'un buisson épineux où ils étaient tapis, ils sont gorgés de viande et leur ventre énorme traîne presque jusqu'à terre. Je les vise dans mon oculaire photographique 9x12; mais, les apercevant mal, je prends le pas de course pour me rapprocher autant que possible. Inutiles efforts, les deux fauves se décident à prendre le galop et à remonter la pente de la montagne à une allure que je ne puis soutenir. Quelques instants après ils rentrent dans un bois sombre où je ne me risque pas à les suivre. Je change alors mes batteries et décide de photographier les lions la nuit suivante. Pour cela, j'appelle tous mes hommes disponibles qui, s'attelant au nombre d'une trentaine, arrivent avec une peine inouïe à déplacer de quelques mètres le cadavre du grand cheval blanc, de façon à le mettre dans une position plus favorable à mon affût. Je fais construire une petite cabane en branchage épineux, installe mon magnésium et mon appareil photographique en bonne position et je descends au camp.
Le soir, je me rends à mon affût, sur les flancs de la montagne, en recommandant à mes hommes de monter au premier coup de fusil.
Le soleil va se coucher à l'horizon des grandes plaines que je domine, ses rayons lui font comme une auréole incandescente, son disque rouge paraît énorme dans la brume légère du soir.
La nuit vient et son silence n'est plus troublé que par le claquement du bec de l'engoulevent au vol feutré engloutissant quelque coléoptère, ou par le chant vraiment euphonique d'une sorte de rapace nocturne égrenant ses notes perlées.
Je m'introduis dans mon petit réduit épineux, et les sens aux aguets, calme, avec l'indifférence que crée l'habitude, je rêve, pour tromper l'attente, à la patrie lointaine, aux êtres aimés laissés si loin, là-bas...
Il peut être 10 heures quand le silence est rompu par des froissements dans les grandes herbes. C'est alors que l'esprit travaille et que la sagacité du chasseur s'essaie à interpréter les sons pour en déduire leur auteur; car chaque animal a son allure, qu'il est facile de déterminer à l'oreille avec un peu d'habitude.
J'arrive, au bout de quelques minutes, à me rendre compte que ce sont bien des lions qui avancent. Ils avancent, mais d'une façon intermittente, ils font 20 ou 30 mètres et restent immobiles de longues minutes avant de faire de nouveau quelques pas. Ces animaux sont évidemment en méfiance, ayant été dérangés le matin même et sachant la présence d'un chasseur dans la région.
Je n'insisterai pas sur la dose de patience qu'il faut déployer dans ces circonstances, je dirai seulement que ces lions mirent plus d'une heure certainement à franchir la distance qui les séparaient de mon appât, lorsque je commençai à les entendre.
Enfin, à un moment donné sous la lune blafarde, fantômes blancs immobiles en face de moi à exactement 7 mètres, j'aperçois un magnifique lion et une lionne. Ils me fixent sans un mouvement et me voient certainement. Pensant qu'ils vont peut-être fuir sans toucher au cadavre, je me prépare à déclancher mon magnésium, lorsque d'un commun accord ils se jettent sur le cheval, l'empoignent non avec la gueule, mais avec les griffes de devant et s'arc-boutant sur le train de derrière ils le tirent à eux pour l'emporter...
Je fais exploser mon magnésium, une lueur intense m'éblouit, accompagnée d'une détonation très forte provoquée par un malheureux excès de poudre. Mes hommes croient à un coup de fusil, une immense clameur monte de la vallée célébrant la mort probable du «simba couboua» (grand lion) qu'ils avaient aperçu le matin même, et trente torches illuminent bientôt le paysage.
Je renvoie tous mes gens en leur recommandant expressément de ne revenir qu'à la troisième détonation de mon fusil.
Je m'installe de nouveau dans mon réduit, m'entoure d'une grosse couverture, car je suis transi par le froid relatif des nuits africaines, pose ma carabine Mannlicher à ma portée, bien décidé cette fois à faire une fin au grand lion.
Je suis à peu près sûr que les fauves reviendront, car leur audace précédente prouve leur appétit. Ce sera long, évidemment, mais je suis armé d'une inébranlable patience.
Ma patience fut mise à trop forte épreuve, hélas! car je m'endormis... et, lorsque je m'éveillai, le cheval n'était plus là! Les lions étaient venus, avaient empoigné le lourd cadavre et l'avaient traîné à plus de 100 mètres de là sur une pente assez forte, à travers les hautes herbes et les ronces. Ils avaient réussi à deux le travail de trente hommes... Belle manifestation de leur force musculaire que je tenais à signaler.
Je ne sais rien de plus formidable, de plus beau et de plus impressionnant que le rugissement du lion dans son domaine sauvage. Il est rare de l'entendre avant les dernières heures de la nuit, car auparavant le félin chasse et il est silencieux. Mais, dès qu'il a triomphé et que son appétit est satisfait, il l'exprime à pleine gueule. Aux quatre coins de l'horizon, les lions se répondent ainsi, et c'est un concert d'une grandeur et d'une sauvagerie incomparables!
Si la rencontre du grand félin m'a vite laissé sans émotion, sa grande voix m'a toujours impressionné vivement et certaines nuits je ne pouvais m'endormir tant j'étais «empoigné».
Une nuit, mon domestique personnel vint tout tremblant me réveiller: «Bouana ico simba arbaïni!», Monsieur, il y a ici quarante lions. A la clarté de la lune blafarde, j'aperçus vingt-quatre lions qui buvaient à tour de rôle à une flaque d'eau près de laquelle nous nous trouvions. Allant et venant, ils enjambaient et flairaient mes hommes roulés par terre dans leurs couvertures. Leur soif étanchée, ces lions repus s'en allèrent comme ils étaient venus, nous gratifiant peu après du plus magnifique concert.
Contrairement à ce que l'on croit généralement, les lions ne se nourrissent pas seulement de viande fraîche et palpitante, ils s'accommodent admirablement des chairs putréfiées. A l'affût, derrière un cadavre de rhinocéros, je les voyais la nuit venir humer les effluves épouvantables, le nez au vent, paraissant se complaire tellement à cette cérémonie qu'ils la renouvelaient plusieurs nuits de suite, comme le chasseur qui hume avec volupté le fumet de la bécasse pour savoir si elle est à point. C'était, d'ailleurs, le cas, car ces lions, ne pouvant entamer le cuir épais de la lourde bête, attendaient que la décomposition eût fait son oeuvre.
Il n'y a pas plusieurs espèces de lions. Dans une contrée particulièrement sèche il y a plus de probabilité, évidemment, de rencontrer des lions gris jaunâtre avec une faible crinière, ou même sans cet ornement, mais on y rencontre aussi des lions doués d'un système pileux plus développé.
Dans la vallée du Kédong (Rift Valley), près de la capitale de l'Est africain anglais, Nairobi, il y avait en 1911 et même encore en 1912 un lion colossal bien connu des chasseurs anglais, que j'ai traqué moi-même sans succès à plusieurs reprises, et qui était doué d'un système pileux brun roussâtre au moins aussi développé que celui des plus beaux spécimens de nos ménageries. Il faisait partie d'une bande de fauves gris jaunâtre dont plusieurs n'avaient aucune crinière. J'ai vu d'autre part, dans une même troupe, un lion sans crinière, deux lions avec une courte crinière roussâtre et un grand lion à petite crinière noire. Sur la quantité de lions mâles qu'il m'a été donné d'apercevoir, je n'en ai peut-être pas vu deux absolument semblables et il ne m'a pas été vraiment possible de les classer en espèces particulières.
L'animal typique de la savane est la timide girafe. Ce n'est pas un animal, c'est un télescope dont l'approche est d'une extrême difficulté. Immobile, son mimétisme la rend presque invisible; sa robe se marie admirablement avec le paysage. L'espèce du Kilima-N'djaro, dite de Schillings, présente même en guise de taches de véritables feuilles de platane.
Apeurée, la girafe fuit au galop. Ce galop est lent (j'ai calculé que l'animal accomplit une foulée toutes les quatre secondes), mais ces foulées sont immenses et la vitesse est extrême dans tous les terrains. Pendant la fuite, le grand cou décrit un mouvement lent et rythmé de balancier d'avant; en arrière; tandis que la queue aux longs poils noirs est relevée en arc de cercle sur le côté gauche. Cet animal gigantesque est encore très abondant et subsistera partout où on voudra se donner la peine de le protéger comme dans les colonies anglaises. Malheureusement partout ailleurs on le massacre par lucre ou simplement pour le plaisir. N'ai-je pas lu qu'un sous-officier du Chari avait anéanti tout un troupeau en quelques minutes? Triste exploit!
Cet animal atteint parfois des proportions considérables dont la belle girafe du Jardin d'Acclimatation peut donner déjà une idée. La girafe vit par petites hardes, d'un grand mâle roux sombre, de cinq ou six femelles roux clair et de deux ou trois girafons café au lait. Rarement, elle se réunit en grands troupeaux; cependant j'ai vu ensemble trente-deux girafes, dont je n'ai malheureusement pu prendre qu'un bien mauvais cliché.
La girafe vit aux dépens des mimosées de la savane.
La harde est là, immobile, devant les sveltes mimosas épineux; les mouvements sont lents et compassés, les lèvres préhensibles projetées en avant saisissent délicatement les pousses terminales, la queue fouette les flancs, les oreilles sont couchées, les yeux clignotent pour éviter les épines, de temps à autre une langue rosée s'introduit dans chaque narine.
Le grand mâle noisette, au dos brun noir, prend l'amble et va explorer un mimosa voisin que sa tête claire domine.
Alerte! Il a aperçu l'observateur: il fait demi-tour et se plante droit comme un I, oreilles en avant. Aussitôt ses six compagnes, comme à la parade, l'imitent, se rendent compte du danger et, pivotant de nouveau, tous s'éloignent à longues foulées.
Parmi les animaux qui frappent l'imagination et dont je veux entretenir le lecteur, il en est un qui fréquente indifféremment la savane, la brousse épineuse, et n'est point rare dans la steppe à condition qu'elle présente les quelques petits mimosas épineux dont il se nourrit: c'est le rhinocéros. Cet animal détient deux records, celui de la laideur et celui de l'inintelligence. Il est facile de l'approcher de très près, car il est pratiquement aveugle et n'a pas une ouïe très fine; seul son odorat est excellent. Il ne faudrait pas se fier à son aspect massif et lourdaud, car il est capable de galoper dans les terrains les plus extraordinaires et on le rencontre dans les montagnes abruptes comme dans les plaines. Si le rhinocéros sent l'homme de loin, quelquefois il fuit au galop, le plus souvent il charge sur l'odeur. De près, il charge toujours sans hésiter, avec furie, sa petite queue grotesque à peine longue de 50 centimètres menaçant le ciel. Cette charge est rapide et dangereuse si on ne sert pas du vent. Il est d'ailleurs facile et de toute nécessité de courir rapidement à angle droit de façon à faire perdie l'odeur à l'animal irascible. Dérouté, il s'arrête net, tourne sur les talons et fuit souvent au galop pendant des kilomètres.
Il a comme parasite un oiseau, le Buphaga erythroryncha , gros comme une grive et marron comme elle, qui lui tend les deux services de le débarrasser de ses tiques et de l'avertir du danger. Un jour que j'approchais, prêt à prendre, à quelques mètres, un curieux cliché de deux rhinocéros endormis, les oiseaux parasites s'envolèrent en crissant, réveillant les deux grands animaux qui, instantanément, se précipitèrent sur moi qui n'étais nullement masqué dans la plaine rase. Je dus sacrifier presque à bout portant l'un d'eux pour ma défense.
Le rhinocéros n'est pas dur à tuer, à condition de le tirer au coeur, qui est volumineux et facile à repérer. Une balle pleine suffit à en avoir raison.
Dans certaines régions, très boisées, cet animal est encore assez abondant pour constituer un certain danger, pour les caravanes qu'il charge sans qu'on sache d'où il vient et où il va. Nous étions quelquefois chargés plusieurs fois par jour, mes hommes et moi, sans apercevoir notre ennemi, tant était dense la végétation. Inutile d'ajouter que mes malheureux colis, régulièrement précipités à terre par leurs porteurs, étaient soumis à une bien rude épreuve.
Dans l'Est africain, lorsque je désirais rencontrer un rhinocéros pour mes photographies, je montais sur une éminence et, armé de ma lunette Zeiss, j'explorais minutieusement les alentours; il était rare que je ne visse point un ou plusieurs rhinocéros.
... Aujourd'hui ils sont trois dans le champ de mon observatoire. L'un d'eux somnole dans l'herbe, au gros soleil, ses quatre pattes repliées sous lui. Il ressemble à s'y méprendre à une termitière, d'autant plus qu'il est couvert de la même terre rougeâtre; seules les allées et venues des gros cornets qui lui servent d'oreilles attestent la vie de sa grosse masse.
Une grande femelle aux cornes remarquablement longues erre d'un pas lent, broutant des acacias rachitiques couverts de grosses noix de galle, d'épines droites et blanches et de fourmis noires. Des oiseaux brun roux, au bec corail et aux yeux rouges, courent, sur son grand corps comme nos pics autour de leur arbre. Quand ils sont par trop indiscrets et s'agrippent aux oreilles, la lourde bête les secoue violemment pour s'en défaire. Mais on sent une union étroite entre ces parasites et leur hôte, l'un père nourricier, les autres avertisseurs.
Le troisième rhinocéros est un vieux mâle, maigre, efflanqué, dont les côtes simulent les grillages de bois d'une cage à poulets. Ses oreilles déchiquetées attestent son ardeur à provoquer ses rivaux lors des compétitions amoureuses de ses jeunes années. Son oreille gauche est même percée d'un gros trou rond comme à l'emporte-pièce. Paisiblement, en vieux philosophe désabusé, il somnole à l'ombre problématique de l'éternel mimosa épineux de la steppe.
De temps à autre il changera de place pour suivre l'ombre mouvante de l'arbuste, jusqu'au soir, dont la fraîcheur l'engagera à reprendre la monotonie de ses promenades nocturnes. Il se livrera alors avec volupté aux douceurs des bains de boue, il s'abreuvera à longs traits à la mare bourbeuse qui sert à toute la faune du district, il marchera toute la nuit arrachant de-ci de-là quelques feuilles ou quelques branchages terminaux qu'il mastiquera avec un bruit rude de molaires.
Un animal fort dangereux, et je ne crains pas de dire le plus dangereux même de l'Afrique, est le grand buffle de Cafrerie dont le domaine est étendu dans tout l'Est africain et qui est remplacé au Centre et à l'Ouest par une espèce de taille moins considérable, mais d'humeur tout aussi vindicative.
Animal des bois, on le voit rarement au clair, sinon au lever et au coucher du soleil. Les mâles sont d'une musculature et d'une puissance étonnante, dont nos taureaux ne peuvent donner aucune idée. Les cornes, fort belles, prennent souvent avec l'âge de grandes proportions, le poil noir brillant est souvent rare chez les vieux mâles. J'ai tué des taureaux qui portaient de longues cicatrices parallèles dues aux griffes du lion dont ils s'étaient débarrassés victorieusement.
Le buffle est dur, une balle «solid» bien placée au coeur en a pourtant raison, malgré l'épaisseur de son cuir. Mal placée, le danger est grand, la charge est foudroyante et difficile à arrêter à temps; d'autre part, quelquefois l'animal blessé se cache et fond sur le chasseur à l'improviste pendant qu'il suivait imprudemment sa piste. La meilleure arme pour le buffle est l'express double 450-500.
Le buffle de Cafrerie a été fort éprouvé il y a quelques années par la grande épidémie de peste bovine qui a sévi sur le sud du continent et a atteint la région des grands lacs elle-même. Des mesures de protection ont permis aux troupeaux de se reconstituer en partie et dans l'Uganda on parlait, lors de mon passage, d'en rendre la chasse absolument libre pour quelque temps de façon à en limiter le nombre. Je ne puis m'étendre davantage sur cet animal pourtant si intéressant, et je passe au vrai «roi des animaux», au plus intelligent, au plus formidable, et, je ne crains pas de le dire, au plus beau de tous: l'éléphant d'Afrique...
Dr Émile Gromier.
A suivre. --Droits réservés.
Éléphants cueillant des pousses nouvelles dans un fourré.
Phot. du Dr E. Gromier.
LA MODE AU DERBY DE CHANTILLY.--Les gracieux effets et
les surprises du contre-jour.
Photographies Agié et B.
Des robes souples, vaporeuses, enveloppantes, où la mousseline de soie, la précieuse dentelle, le tulle neige, la fine charmeuse, soulignés de gros rubans, font merveilles, des chapeaux qui supportent toutes les fantaisies de l'aigrette et du paradis ou qu'orne encore le tulle, disposé en grands nouds légers: tels sont apparus, dimanche passé, en cette belle réunion de Chantilly, où se courait le Derby français, les derniers produits de la Mode, décidément parée pour les ardeurs de l'été... Cette fois-ci, les photographes se sont plu à saisir en contre-jour quelques-unes des élégantes qui remplissaient le pesage. La précaution était nécessaire pour obtenir des images où tous les détails fussent mis en valeur, et non pas absorbés par l'éclat direct du soleil: on lui doit aussi--car l'instantané est impitoyable--cette silhouette inattendue de jeune femme, un peu trop sommairement vêtue sous sa robe aérienne et surprise par l'objectif avec une cruelle indiscrétion.
L'investissement, par la force armée, de la maison où
s'étaient enfermés les meurtriers.
La police pénètre dans une maison d'où elle pourra surveiller les assiégés. | Les meurtriers capturés sont emmenés en automobile. |
La garde de la maison enlevée d'assaut.
Photographies
Taïb Kope.
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La capture des meurtriers du grand vizir Mahmoud Chefket.
Pas un instant la tranquillité de Constantinople n'aura été troublée après l'assassinat de Mahmoud Chefket pacha et deux jours à peine auront suffi pour arrêter ses meurtriers. Tout l'honneur en revient à l'énergie du gouverneur militaire Djemal bey et du préfet de police Azmi bey.
La recherche des assassins a donné lieu à un épisode émouvant. Ceux-ci s'étaient réfugiés à Péra dans un immeuble de la rue Piré Mehmed où la police les découvrit. Ils s'y défendirent avec acharnement durant trois heures.
Agents et pompiers occupaient les alentours de la maison, le doigt sur la gâchette de leur fusil. Dès le début de l'affaire, un officier, Hilmi bey, fut blessé mortellement. La police avait pénétré dans la maison sise en face de l'immeuble assiégé. Assassins et agents échangeaient de là coups de fusil et coups de revolver. Cependant d'autres policiers, avec le préfet à leur tête, entraient dans une maison mitoyenne de celle occupée par les meurtriers, faisaient sauter les cloisons et s'emparaient de trois hommes, le capitaine Kiazim, le lieutenant Ali bey et un certain Chefky qu'une automobile emportait aussitôt à la prison de la cour martiale.
Les funérailles du grand vizir se sont faites avec pompe. Les fils du sultan suivaient le corps qui, les prières faites à Sainte-Sophie, fut transporté sur la colline de la Liberté pour y être inhumé parmi les soldats morts à la bataille de Constantinople (24 avril 1909) que commandait Mahmoud Chefket pacha.
Un grand ministère s'est aussitôt constitué. Nous y voyons figurer les noms que les récents événements de Turquie ont rendu les plus célèbres: Izzet pacha, Mahmoud pacha, Talaat bey. La tâche est énorme, souhaitons qu'ils y suffisent, selon la formule turque, «avec l'aide et la miséricorde de Dieu».
Tchuruk Soulou Mahmoud,
Hadji Adil,
Saïd Halim,
Zia effendi. Hilmi effendi,
ministre de la Marine.
ministre de l'Intérieur.
grand vizir.
fils du sultan.
Le nouveau grand vizir aux obsèques du grand vizir assassiné.
--
Phot.
Taïb Kope.
Au Théâtre Antique: les jeunes Arlésiennes, revêtues du
costume local, défilent devant Mistral et le saluent.
Des fêtes pittoresques ont eu lieu dimanche et lundi derniers à Arles, en Provence. Près de quatre cents jeunes filles du territoire, ayant nouvellement revêtu le costume local qu'elles s'engagent à conserver, sont venues recevoir, des mains de Frédéric Mistral, le diplôme attestant cette solennelle «prise de coiffe».
Le grand poète de Maillane est l'initiateur de cette consécration dont l'origine remonte à 1903. A cette époque, une vingtaine de jeunes Arlésiennes seulement se rendirent, dans une salle du Museon Arlaten , à l'appel des organisateurs: la Festo Vierginenco , la Fête Virginale, était fondée. L'année suivante, le lundi de Pâques, pour la première fois, elle fut rendue publique et célébrée avec éclat.
Mistral y parla devant un grand concours de peuple, et son allocution, évoquant le passé glorieux de la race, rendit hommage à la beauté de ses femmes. L'Illustration (9 avril 1904) consacra une page entière à cette intéressante manifestation régionale qui, depuis, n'avait plus été renouvelée, dans Arles du moins.
Cette année, par les soins du Syndicat d'initiative local, dont le président, le docteur Urpar, a déployé la plus intelligente persévérance, la cérémonie s'est déroulée dans l'imposant décor du Théâtre Antique, et elle a été précédée et suivie de divertissements empruntés aux vieilles coutumes du pays d'Arles.
Le dimanche, après les aubades des tambourinaires, les jeunes filles, ayant défilé une à une devant Mistral au Théâtre Antique, se rendirent, escortées d'une foule enthousiaste, aux arènes. On y vit les taureaux du Pouly combattus à la mode provençale, les farandoleurs exécuter les danses traditionnelles, les gardian se défier au tournoi des écharpes et au jeu des aiguillettes. Puis le soir, dans le Théâtre Antique encore, impressionnant sous les clartés lunaires, une représentation d'opéra réunit un auditoire innombrable; et les fêtes se terminèrent le lendemain, aux plaines de Meyran, en Camargue, par une ferrade --émouvant spectacle dont, au cours d'une récente excursion aux Saintes-Maries-de-la-Mer, les invités des Annales ont connu le frisson--cavaliers et piétons, aux prises avec le jeune taureau qu'il faut parvenir à terrasser, y rivalisèrent de courage et d'audace, pour gagner un sourire de celles en l'honneur desquelles la fête était donnée.
Fêtes arlésiennes: la
ferrade
, dans l'arène improvisée
des plaines de Meyran, en Camargue.
Photographies Chusseau-Flaviens.
Les gens de sport ont leurs «grandes semaines». Le petit monde des théâtres a sa grande Quinzaine; et cette grande quinzaine s'ouvrira ces jours-ci. C'est deux semaines d'émotions très fortes; de rires, de larmes, d'enthousiasmes et d'attaques de nerfs. Il faut voir cela. Un étranger qui aime Paris et qui a la curiosité de le bien connaître commettrait la plus inexcusable des étourderies s'il se désintéressait d'un spectacle aussi rare, et laissait passer les Concours du Conservatoire sans essayer de conquérir le coin de loge ou le strapontin d'où il pourra y assister.
Tous ces concours ne sont pas également «courus», et, pour moi, j'ai cette faiblesse de m'intéresser surtout à ceux que la foule néglige: aux concours de contrebasse et de cor, de clarinette, de trombone et de basson. Ceux-là sont les plus accessibles. Ils sont suivis par une clientèle discrète d'amis, de parents pauvres, de vieux amateurs et de jeunes soldats. Les concurrents qu'on applaudit là ne s'élèveront presque jamais à la dignité de virtuoses. Ils occuperont obscurément leur place en des orchestres civils ou militaires; ils y tiendront leur «partie» avec utilité, et sans gloire.
Comme l'accompagnateur qui, assis au piano, soutient de ses dix doigts le chant de la cantatrice qu'on acclame, ils seront, toute leur vie, les servants du succès des autres. Ce sont les prolétaires de la Musique; et ces concours sont pour eux d'inoubliables journées...
Car ce sont les seuls instants de leur carrière où ils auront eu l'honneur de comparaître seuls devant une salle où chacun d'eux est attendu, et séparément entendu. Ils connaîtront la gloire du solo ; un accompagnateur, assis près d'eux, au piano, les assistera modestement; ils seront, pour cinq minutes, des vedettes; on les applaudira. Et, si une récompense leur est décernée, ils seront de nouveau introduits en scène par un appariteur en habit noir, interpellés dans le silence de la salle par un monsieur illustre qui prononcera les mots sacramentels: «Monsieur, le jury vous décerne un premier prix.» Dans le crépitement des bravos, ils salueront encore, très confus, très heureux, tellement émus qu'on les verra rire quelquefois, à cause d'une extrême envie de pleurer... Et puis, le lendemain, ce sera la joie d'ouvrir les journaux, d'y trouver, son nom, suivi d'appréciations élogieuses de la critique; ils pourront dire, tout comme Caruso, Pugno, Chaliapine ou Nijinski: «J'ai une bonne presse.» Et ce sera fini pour toujours. Confondus désormais dans la foule des orchestres, ils ne seront plus, sous le bâton du chef, que deux mains qui s'agitent devant un pupitre, autour d'une figure qu'on ne regarde pas. N'importe. Ils auront eu leur minute heureuse, et l'impression délicieuse de ce que c'est que la gloire... Allez les voir vivre cette minute-là. C'est très touchant, et ce n'est pas ennuyeux du tout.
Et puis, vraiment, quelquefois, on tombe sur un solo de trombone ou de contrebasse qui est fort agréable à écouter.
Les séances consacrées au piano et au violon sont plus dures, et vous admirerez qu'une telle foule consente à s'écraser en une salle où règne une température d'étuve, pour entendre le même morceau joué trente ou quarante fois de suite, et presque toujours très bien! car on n'a même pas, aux concours du Conservatoire, la ressource d'entendre, de temps à autre, le morceau très mal joué qui vous reposerait des autres, et donnerait du prix à ce qui va suivre. Tous sont d'une force décourageante. Mais l'auditoire qui est là ne se décourage point. Il épie les fautes, prend des notes, se pâme aux traits heureux, compare et commente avec passion... Il me semble qu'aux concours de violon et de piano le spectacle, pour un observateur désintéressé, est surtout dans la salle.
Mais voici les grandes épreuves! Le chant, l'opéra, l'opéra-comique, la comédie!
Amis étrangers, que le caprice de vos «déplacements» a fixés à Paris dans le moment précis où s'ouvre la série des grandes épreuves du Conservatoire, ne manquez pas de mettre un hasard si exceptionnel à profit. Coin de loge, ou simple strapontin, vous dis-je! Ce sera déjà bien joli si vous les obtenez.
En ces dernières années, il n'était pas trop difficile d'y réussir. Un sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts, M. Dujardin-Beaumetz, s'était généreusement avisé de transporter du Conservatoire à l'Opéra-Comique les concours du Conservatoire. Cela lui donnait mille places de plus, dont une partie était distribuée aux membres du Parlement. Et comme je m'étonnais un jour que le Parlement prétendît envahir à lui seul la moitié d'une salle de spectacle où, somme toute, il ne s'agissait que de suivre une épreuve scolaire qui ne le regarde point; «Pardon, fit M. le sous-secrétaire d'État, cela les regarde! Ce sont les parlementaires qui votent le budget. Il est tout naturel qu'ils veuillent savoir comment leur argent est dépensé...» L'amitié d'un sénateur ou d'un député (et quel étranger ne compte un sénateur ou un député parmi les amis de ses amis?) suffisait donc à assurer l'accès de ces spectacles célèbres à quiconque avait résolu de s'y faufiler. La vieille tradition est, depuis deux ans, restaurée; et l'on est revenu à la petite salle du faubourg Poissonnière. Sept cents personnes seulement peuvent trouver place aux grands concours; en sorte qu'au plaisir d'en être s'ajoute l'orgueilleuse satisfaction d'en avoir été!
Amis étrangers, je vous recommande tout particulièrement celui de Comédie. Il y a de vieux Parisiens qui se croiraient déshonorés s'ils n'avaient été vus, ce jour-là, dans l'atmosphère surchauffée de la petite salle, applaudissant aux débuts de la «grande amoureuse» ou de la grande soubrette de demain. Ah! les enthousiasmes de ce public, et ses fureurs! Comme il aime le succès et comme il déteste l'injustice! Ah! ces salles déchaînées contre un jury dont la sonnette éperdue de M. Gabriel Faure s'efforce en vain de faire entendre les décisions!...
Sans doute, le Grand Prix de Longchamp est une chose à voir, et vous ne
manquerez pas, amis étrangers, ce spectacle-là; sans doute, le Salon du
peintre-sculpteur futuriste Boccioni qui s'ouvre demain rue La Boétie
est à voir aussi; mais qu'est-ce que tout cela, à côté d'un beau
«chahut» au concours d'Opéra-comique ou de Comédie!
Un Parisien.
Examens et concours .--Les épreuves pour le concours d'admission au Prytanée militaire de la Flèche auront lieu les 23 et 24 juin, au chef-lieu de chaque département. Les candidats inscrits à Paris concourront à la mairie du 6e arrondissement--Un concours est ouvert entre les artistes français, pour l'exécution d'une médaille commémorative de l'élection du président de la République par les Chambres réunies à Versailles le 17 janvier 1913.
Les concours du Conservatoire .--Les concours publics de fin d'année du Conservatoire sont ainsi fixés: 23 juin, contrebasse, alto, violoncelle; le 24, instruments à vent (bois); le 25, instruments à vent (cuivre); le 26, chant (hommes); le 27, chant (femmes); le 28, piano (femmes); le 30, harpe; le 1er juillet: opéra-comique; le 2, tragédie; le 3, comédie; le 7, violon; le 8, piano (hommes); le 9, opéra; le 12, distribution des prix.
Expositions artistiques .--Grand-Palais (Champs-Elysées); Salon de la Société des Artistes français; Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts.--Pavillon de Marsan (musée des arts décoratifs); exposition rétrospective de l'art des Jardins en France.--Bibliothèque Le Peletier de Saint-Fargeau (29, rue de Sévigné): promenades et jardins de Paris. Conférences le vendredi à 4 heures.--Galerie Georges Petit (rue de Sèze): exposition des petits maîtres de 1830.
Exposition philatélique .--Au Palais de glace (Champs-Elysées): du 21 au 30 juin, exposition philatélique internationale organisée par la Société française de timbrologie.
Inaugurations de monuments .--Le 22 juin aura lieu l'inauguration du monument d'Hougoumont, dans la plaine de Waterloo, élevé à la mémoire des soldats morts le 18 juin 1815 à Waterloo.--Les fêtes d'inauguration du musée Ingres et du monument Pouvillon, qui devaient avoir lieu à la fin de juin à Montauban, sont remises au mois d'octobre.
Fête de bienfaisance .--Le 22 juin, au théâtre du Parc de la maison de retraite de Pont-aux-Dames, matinée de gala au bénéfice de la Maison de retraite fondée par Coquelin.
Concert .--Le 22 juin, au Châtelet en soirée, concert donné par la Société des grandes auditions musicales de France: les Grands musiciens modernes anglais.
Sports .-- Courses de chevaux : le 21 juin, Saint-Ouen; le 22, Auteuil (grand steeple); le 23, Saint-Cloud; le 24, Longchamp; le 25, Auteuil; le 26, Longchamp; le 27, Auteuil; le 28, Longchamp; le 29, Longchamp (Grand Prix de Paris).-- Automobile : le 22 juin, Grand Prix de France des motocyclettes, circuit de Fontainebleau.--Le 1er juillet commencera le rallye-automobile du Plateau central (concours de tourisme en montagne).-- Cyclisme : les 29 juin, 3 et 6 juillet, à la Piste municipale (Vincennes): Grand Prix cycliste de Paris. --A Buffalo, le 22 juin, réunion de courses. Course de 100 kilomètres.--Le 11e tour de France se disputera du 29 juin au 27 juillet.-- Athlétisme : le 22 juin, à Colombes, championnats nationaux d'athlétisme.
M. Georges Oudart a glané avec tact quelques-unes des pensées vives ou profondes, qui rendent à la fois si grave, par ses vérités d'âme, et si joliment chatoyante, par son alerte et spirituelle fantaisie, l'oeuvre de Maurice Donnay. La rubrique la plus riche de ce recueil (1) est naturellement celle qui traite de l'amour. N'oublions point qu'Amants est l'un des premiers triomphes de Maurice Donnay et que l'amour a tenu le grand premier rôle dans toute une partie de son théâtre.
Note 1: Le Coeur et la Tête, Sansot, éditeur.
Or voici, entre autres choses, ce que M. Maurice Donnay nous dit, ou nous fait dire par ses personnages, de l'amour:
... «On aime plusieurs fois, c'est vrai, et chaque fois d'une manière différente, mais on n'aime qu'une seule fois d'une façon immortelle, divine presque... une seule fois, on peut être un dieu!»
... «On naît amant comme on naît musicien ou poète.»
... «Le dédain d'aimer n'est le plus souvent que l'impuissance d'être aimé.»
... «En amour, il y a toujours un qui aime davantage et c'est celui-là qui souffre. --Mais c'est l'autre qui s'ennuie.»
... «Moins un coeur est sec, mieux il flambe.»
... «En amour, neuf fois sur dix, le malheur arrive par les lettres comme la fièvre typhoïde vient par l'eau.»
... «Ça ne signifie rien de dire à un homme qu'on ne l'aime plus; mais ce qui signifie quelque chose, c'est de lui dire qu'on en aime un autre.»
... «La passion excuse tout, mais chez les brutes seulement.»
... «Les mariages d'amour sont les seuls qui ne puissent pas durer, car ils supposent des âmes d'amants, et être amants, n'est-ce pas avoir le désir continuel de sensations, de troubles, de mystère et d'inconnu, d'inconnu?»
... «Il y a des souvenirs d'amour qu'on n'évoque pas avec des mots; c'est comme des paysages de bonheur que l'on revoit dans le silence de soi-même, des paysages attendrissants avec de grandes lignes calmes; un air que l'on entend, un parfum que l'on respire, et voilà que vous revivez avec leur intensité les heures de jadis et que vous retrouvez l'âme que vous aviez à cette heure-là; c'est donc qu'elles valaient la peine d'être vécues.»
En amour, l'homme et la femme sont dissemblables, et par le coeur et par la tête. L'amour chez la femme, plus violemment passionnée, plus exclusive, plus personnelle, a particulièrement retenu l'attention, si souvent émue, de l'auteur d'Amants , qui nous parla le mieux de l'amour moderne. Il nous dit:
... «Dans le coeur de l'homme, chacune de ses maîtresses a sa pierre, son inscription et sa petite croix. Tandis que les femmes, lorsqu'elles aiment un homme, tout disparaît; leur vie commence à partir du jour où elles l'ont connu... et, quant au reste, il n'y a pas d'inscription ni de croix dans leur coeur. C'est l'oubli absolu, et, pour certaines, la fosse commune.»
... «Le flirt est la leçon d'escrime que prend une femme avec des fleurets mouchetés avant d'aller sur le terrain avec des épées véritables.»
... «Il y a une règle commune qui veut que, lorsqu'une femme se croit moins aimée, elle se rende encore moins aimable.»
Rien n'est plus vrai... Mais, nous le savons aussi, pour avoir fait la plus large part à l'observation moderne de l'amour, le théâtre de Maurice Donnay ne lui est pas exclusivement consacré. L'auteur de la Patronne , du Retour de Jérusalem , de Paraître , s'est surtout passionné, dans les oeuvres de ces dix dernières années, à l'étude des problèmes sociaux. D'où, dans le précieux petit recueil de M. Oudart, de riches glanes sur notre époque, sur la souffrance, sur la mort. Nous ne pouvons citer tout le livre, nous donnerons seulement, pour terminer, ces quelques lignes, jolies et graves, sur la patrie:
... «La patrie, c'est des victoires glorieuses, des défaites héroïques, de beaux exemples de sacrifices et de vertus... c'est des cathédrales, des palais, des tombeaux... c'est des paysages que l'on a vus tout enfant et d'autres qui, plus tard, ont encadré des heures de joie ou de tristesse... c'est des choses intimes, des souvenirs, des traditions, des coutumes... c'est un langage qui nous paraît le plus doux, c'est une vieille chanson, un vieux proverbe plein de bon sens... c'est une rose qui s'appelle la France, c'est une assiette peinte, que sais-je?
«Mais oui, la patrie, c'est tout ça... et bien d'autres choses encore.»
Voilà. Et cette définition chaude et vibrante, cette définition d'élan
et d'instinct, peut suffire à la fois à notre tête et à notre coeur.
A. C.
Voir dans La Petite Illustration le compte rendu des oeuvres des poètes.
Nous avons déjà, dans le numéro du 3 mai, consacré quelques gravures à l'Exposition de Gand. Nous publions aujourd'hui un ensemble de photographies en couleurs qui donneront une vision des «Floralies» qui sont le clou de cette exposition, et au sujet desquelles notre correspondant de Bruxelles, M. Gérard Harry, nous a adressé l'article suivant:
Voici près d'un siècle que la très ancienne Société d'horticulture de Gand organise, de cinq en cinq années, ces concours baptisés «Floralies» où se marque chaque étape du progrès que le savoir et le goût du botaniste ont fait franchir à des créations d'essence immuable tels que l'oillet, l'azalée, l'orchidée, le bégonia, le lilas, la rose même. Ces Floralies, plus populaires encore en Belgique que les Concours hippiques et les Expositions de beaux-arts (il faut, tous les cinq ans, des trains spéciaux pour y amener les foules d'amateurs des neuf provinces) ont été presque ignorées du grand public de France, d'Angleterre, d'Allemagne, jusqu'à leur coïncidence actuelle avec une Exposition universelle. Mais, sur les spécialistes de tous pays, elles exercent depuis longtemps autant d'attirance que le Derby d'Epsom ou le Grand Prix de Paris sur les éleveurs de chevaux pur sang. Et chacun s'y prépare de longue date et y apporte, avec le souci de sa propre gloire, ce qu'il a pu produire de plus beau ou de plus neuf, en s'aidant des procédés de culture les plus ingénieux ou des combinaisons chimiques les plus savantes.
Les photographies en couleurs, que nous reproduisons, du récent «concours de beautés» de Gand donneront une idée synthétique de cette périodique et poétique solennité. On y verra que la furie multicolore et odorante des fleurs est elle-même «habillée» d'un joli décor constitué par des dioramas qui situent illusoirement leur splendeur dans un cadre adéquat: ici, à l'orée d'un taillis, le feuillage d'un hêtre rouge tranchant sur les teintes azurées d'un massif d'hortensias; là, les ondulations d'une simili-chaîne de montagnes élargissant l'horizon de pyramides d'azalées; là encore, les ruines, en staff patiné, d'un antique temple grec, dédié à Flore, éternelle divinité de l'éphémère royaume du printemps. A défaut des délicieuses variétés d'oeillets anglais, arrivés en retard, par la suite de la grève générale belge, on a pu fixer les ombelles couleur bleu de ciel d'un groupe d'hortensias dont les experts ont chanté spécialement les louanges, à raison de leur nuance idéale et aussi parce que leurs «éleveurs» avaient su les préserver d'une maladie qui, après quelque temps, les décolore ou les amaigrit. Une variété d'hortensias d'un blanc immaculé apparaît sur une autre de nos gravures et aussi un massif de ces azalées à fleur simple ou double, unicolores ou panachées, qui constituent la spécialité gantoise par excellence et qui étonnent, aux Floralies, par leur opulente profusion et la recherche de leur coloris.
Ici vient s'intercaler une double page hors texte en couleurs: LES FLORALIES DE GAND, comptée dans la pagination de 591 à 594.
Corbeille de Cinéraires.
Le Temple de Flore.
Azalées et Hortensias.
Bégonias Gloire de Lorraine.
Renan thera. Odontoglossum et Oncidium. Dendrobium. Autre
variété de Dendrobium.
Un coin de la serre des Orchidées.
Hortensias.
Des potées de bégonias «Gloire de Lorraine» appelaient d'emblée les regards des profanes par le prestige de leur ton de rose brique, et les connaisseurs les proclamaient presque uniques parmi les bégonias hybrides, supérieurs au prototype naturel et homogène. Hybride encore, ce groupe de cinéraires où le bleu indigo lutte avec le rouge sang et le violet intense pour composer un tableau qui met l'oeil en tumulte, et l'on sent bien que l'audace imaginative et la persévérance du botaniste ont passé par là et surenchéri victorieusement sur la conception de la nature... Quant à la tribu des orchidées qui emplissaient huit salonnets de leurs gestes pleins de fier décorum ou de grâce aristocratiquement alanguie et retombante, il faudrait des pages pour les énumérer et les dépeindre. Jamais on n'avait vu réunie une telle profusion de ces Reines exquises et «maniérées» du monde végétal,--à croire que cette élite patricienne était devenue une démocratie innombrable. Que dire de l'infinité et de la subtilité de leurs bigarrures, et comment définir des nuances qui vont de la teinte de la neige ou du nuage à celles des velours violets, des satins verts ou des bronzes dorés. Le groupe que montrent nos photographies et où elles se présentent, au milieu des hautes et souples lianes dont elles sont les luxueuses parasites, appartient à un assortiment magnifique des genres odontoglossum, cattleyas, amarylles et vandas qui se déroulent en grappes jaunes, blanches ou mauves, en silhouettes d'insectes ou d'oiseaux, ou en admirables cols d'urnes.
On m'a dit que l'ensemble des Floralies de Gand avait été assuré contre
les accidents pour quatre ou cinq millions, dont la grosse part
s'appliquait aux orchidées. Quel salon de peinture moderne prétendrait
atteindre ou surpasser pareille évaluation, pour des risques de huit
jours? Mais les fleurs n'ont qu'une saison. Et c'est précisément ce qui
fait le prix de ces expositions fugitives, de ces floralies où l'on
court comme à un spectacle de radieuse jeunesse sans lendemain, à un
étalage de beauté dont il faut se hâter de jouir et dont le souvenir
vaudra plus que la possession des choses plus durables et pour cela
moins rares.
Gérard Harry
.
Le plus précieux tapis du monde
Le Victoria-and-Albert Muséum, à Londres, vient de recevoir, à titre de prêt, l'un des quatre panneaux qui forment le fameux «tapis de perles de Baroda», ce trésor de l'art indien que les experts considèrent comme la plus merveilleuse pièce de broderie en existence.
Il est composé de quatre panneaux symétriques, présentant chacun une superficie de 0 m. 55, et qui se juxtaposent exactement.
D'après le Times , à qui nous empruntons ces détails, ce tapis fut commandé par un des prédécesseurs du maharadja actuel, qui le destinait à recouvrir le tombeau de Mahomet, à Médine. Le travail demanda trois années aux meilleurs brodeurs et joailliers du Baroda; les matières employées coûtèrent une vingtaine de millions de francs, et les artistes se distribuèrent une gratification de 50.000 francs.
La section exposée comporte une fleur centrale formée de 405 diamants et 24 rosettes en bordure, formées chacune de 52 diamants. Des ruissellements de rubis, d'émeraudes et de saphirs sont encadrés d'arabesques brodées de perles fines.
On comprend que le prudent prince hindou, qui, dans un élan d'enthousiasme inspiré par sa femme préférée, de religion musulmane, avait décidé d'offrir un pareil chef-d'oeuvre à la mémoire du Prophète, se soit ravisé au dernier moment!
Les causes du dessèchement du Pain
On pourrait croire que, si le pain se dessèche, devient rassis, c'est simplement parce qu'il perd de l'eau par évaporation.
Il n'en est rien, et la preuve, c'est qu'en chauffant du pain rassis vers 50 à 60 degrés, ce pain reprend la consistance du pain frais.
De récentes expériences dé M. Katz, d'Amsterdam, démontrent qu'il s'agit de deux formes différentes d'équilibre physico-chimique.
Aux températures élevées, de 50 à 100 degrés, le pain frais est la phase d'équilibre; au contraire, aux températures ordinaires, la forme stable est le pain rassis.
On peut conserver du pain frais en vase clos à la température ordinaire; après vingt-quatre heures, il est devenu rassis; au contraire, celui qu'on conserve, même à l'air libre, à une température de 50 à 70 degrés, présente encore une mie parfaitement fraîche et une saveur inaltérée.
Les températures très basses ont d'ailleurs une action analogue aux températures élevées. Tandis qu'à 0° le pain est devenu très rassis, à -6° il se ramollit, et à -8° il redevient frais. A la température de l'air liquide, le pain se conserve absolument frais.
Il est vraisemblable qu'il s'agit là de modifications se produisant dans le grain d'amidon.
Ces expériences sont intéressantes au point de vue pratique, car elles démontrent qu'il serait possible d'avoir du pain frais le matin sans imposer le travail nocturne aux boulangers.
Nègres esclavagistes .
Un écrivain américain vient de faire connaître un chapitre curieux de l'histoire de l'esclavage aux États-Unis: c'est celui qui concerne les nègres possesseurs d'esclaves. Il n'y avait pas seulement des blancs qui eussent des esclaves noirs: il y avait des nègres aussi. Des nègres émancipés qui s'étaient mis, eux aussi, à acheter de leurs congénères. Rien de surprenant à cela, puisque en Afrique l'esclavage était pratique courante et que la population était divisée en deux classes: les hommes libres et les esclaves. On ne peut donc s'étonner que l'usage africain ait persisté en Amérique.
Bon nombre de cas sont relatés, d'après des pièces: par exemple, des contrats de vente. Les contemporains, en outre, ont fait mention de faits de ce genre. Il en est de scandaleux dans le nombre. Ainsi on rappelle l'exemple d'un jeune nègre qui, étant fils de blanche, et par là citoyen libre, se laissa persuader par sa mère d'acheter son père qui était esclave. Tout alla bien jusqu'au jour où le père, froissé de quelque mauvais procédé de son fils, lui fit des représentations; sur quoi le jeune homme vendit son père à quelque autre propriétaire, dans le Sud, dans la région la plus redoutée des malheureux nègres, «pour lui apprendre les bonnes manières».
On cite un autre exemple: celui d'une négresse libre qui avait pour esclave son mari. Elle le louait au tiers et au quart, pour divers travaux, et s'en faisait des rentes. Mais un jour il l'offensa de quelque manière, et elle le vendit à un autre. Elle eut du regret du reste, et voulut le ravoir, mais le nouveau propriétaire refusa.
Un nègre, libre, qui avait une femme esclave la racheta en vendant leurs enfants. On a connu des nègres qui approuvaient fort l'esclavage: l'un d'eux était l'esclave de sa femme, et, lorsque éclata la guerre, ce fut un sudiste enragé. Il fallut même le mettre quelque temps à l'ombre, pour insultes aux troupes du Nord.
Il est même arrivé à des nègres de posséder des blancs, des émigrés: entre autres deux familles allemandes trop pauvres pour payer le voyage et qui obtinrent l'avance des fonds contre promesse d'une certaine durée de travail. Une loi fut même promulguée en Virginie pour empêcher les nègres de posséder des blancs ou des Indiens.
En 1860, à Charleston, il y avait 132 nègres possédant 390 esclaves. On estime qu'il y a bien eu plus de 6.000 nègres possesseurs d'esclaves aux États-Unis. Mais les renseignements les concernant sont très rares.
La chapelle de l'Elysée .
Nous avons promené l'autre jour nos lecteurs parmi les salons du palais de l'Elysée. Nous avions passé, sans nous y arrêter, devant une étroite antichambre, presque obscure, tout près de laquelle aboutit l'escalier privé des appartements du président de la République. On n'a pas parlé depuis bien longtemps de ce coin de l'Elysée. C'est là que se trouve la chapelle, salle basse à laquelle on accède par quelques degrés. Depuis la séparation des Eglises et de l'État, cette chapelle est inutilisée, mais elle a été laissée intacte. Naguère, jusque sous la présidence de M. Émile Loubet, un prêtre y venait dire la messe plusieurs fois dans l'année, et la petite chapelle était alors remplie d'assistants. De vieux serviteurs ont gardé le souvenir des fastueuses cérémonies qui se déroulaient sous ses voûtes, telles que la remise, par le nonce, de la barrette pourpre aux nouveaux cardinaux. Dans sa robe éclatante, le prélat qui, devant l'autel, venait ainsi d'être investi de nouvelles grandeurs, quittait la chapelle et parcourait plusieurs salons aux côtés du président de la République. Des officiers français et des Gardes nobles, venus de Rome tout exprès, leur faisaient cortège. Les personnes qui ont été témoins de ces pompes ne les évoquent qu'avec admiration.
La portée des ondes hertziennes comparée à celles du son et de la lumière.
On peut communiquer à travers l'atmosphère par les ondes sonores, les ondes lumineuses ou les ondes hertziennes. Or, la télégraphie sans fil atteint aujourd'hui des portées de plusieurs milliers de kilomètres, qui dépassent de beaucoup la portée de la télégraphie optique ou des signaux sonores. On peut donc se demander si la supériorité de la télégraphie sans fil ne tient pas, en majeure partie, à ce que les postes hertziens disposent d'une puissance mécanique beaucoup plus considérable que celle utilisée pour la télégraphie optique ou acoustique.
Un ingénieur anglais, M. Duddell, a essayé de résoudre la question, en prenant pour base de ses calculs une portée de 100 milles anglais, soit 160 kilomètres.
Pour franchir cette distance par ondes électriques, l'antenne doit rayonner environ 300 watts.
D'autre part, les expériences récentes de M. Paterson permettent d'admettre qu'une source lumineuse ayant une intensité de l/10e de bougie, est visible jusqu'à 1 kilomètre. Il en résulterait que, pour rester visible à 160 kilomètres, la source lumineuse devrait avoir une intensité de 2.560 bougies. En tenant compte de la perte de rendement, il faudrait, pour obtenir une telle lumière, une force d'environ 250 watts.
Enfin, en appliquant les lois physiques connues, on trouve qu'une puissance mécanique de 143 watts peut produire un signal sonore perceptible à 160 kilomètres.
Ces trois chiffres, 300, 250, 143 watts présentent des écarts sensibles; on peut dire cependant qu'ils sont du même ordre de grandeur.
Il semblerait donc que notre oreille, notre oeil et le récepteur radiotélégraphique possèdent approximativement la même sensibilité et sont, à une distance donnée, impressionnés par des puissances variant au maximum du simple au double.
Mais cet équilibre ne se manifeste plus dans la pratique, parce que l'atmosphère ne véhicule point avec la même perfection les ondes de divers genres.
Les ondes hertziennes, constituées par d'immenses vagues, contournent les obstacles et sont peu absorbées par l'air et par ses poussières. Au contraire, les ondes sonores et les ondes lumineuses sont très courtes; un obstacle faible les arrête et les brumes les absorbent. En outre, elles sont incapables de contourner la courbure de la terre, qui cesse d'être négligeable quand il s'agit de franchir des centaines de kilomètres.
L'accroissement de la population et de la production du blé.
Le prix du blé tend à augmenter sur tous les grands marchés du monde. Voici, en effet, pour différents pays, les cours d'avril 1913 comparés au prix moyen par quintal de deux périodes décennales:
1881-90 1901-10 Avril 1913 Paris....... 24 55 22 60 28 80 Liverpool... 20 08 16 94 20 57 Berlin...... 22 66 23 49 26 03 Budapest.... 27 22 22 41 22 64 New-York.... 18 50 16 71 18 36
La hausse est donc générale. Et, cependant, de 1901 à 1910, la production mondiale a passé de 674 millions de quintaux à 888 millions, soit un accroissement d'environ 30%.
M. Edmond Théry se demande dès lors si l'augmentation de la production n'est pas dépassée par l'augmentation de la population consommatrice de blé.
En prenant pour base les statistiques officielles, on constate que, pour l'ensemble de l'Europe, la production moyenne de blé par tête d'habitant est tombée de 126 kilos pendant la période 1881-1890 à 117 kilos pendant la période 1901-1910. A vingt ans d'intervalle, la population européenne a donc augmenté dans une proportion plus grande que la production mondiale du blé. Il en est de même en Afrique.
La situation change en Asie, en Océanie et surtout en Amérique. Dans ce dernier pays, la production du blé par habitant s'est élevée de 174 à 218 kilos. Ainsi s'est trouvé compensé le déficit relatif de la production européenne.
Maintenant, si nous envisageons le problème de façon plus générale, nous voyons que la population de tous les pays producteurs de blé est passée de 689 millions d'habitants en 1885 à 858 millions en 1905, soit une augmentation, de plus de 24%, alors que la production du blé augmentait de 30%, comme nous l'indiquons plus haut.
M. Théry croit pouvoir conclure que la hausse persistante du blé tient à des causes diverses très accidentelles. Et l'élévation des cours ayant provoqué un accroissement des surfaces ensemencées, il en résultera une nouvelle augmentation de la production mondiale par rapport à la population. Dans ces conditions, le prix du blé pourra baisser sensiblement sur les marchés français.
Un précurseur.
Projet d'un gratte-ciel (11 étages et
110 mètres de hauteur) datant de 1601.
C'est bien un «gratte-ciel», avec ses multiples étages, son architecture massive et régulière, où se reconnaissent pourtant, aux détails d'ornementation, la grâce et la mesure du goût français, que figure l'ancienne estampe reproduite ici, dont nous devons la communication à un de nos lecteurs, M. Félix Rochet, de Pigeac.
Cet édifice, qui rappelle si curieusement les «sky-scrapers» américains--nous en avons, tout récemment encore, montré quelques-uns pour illustrer les pages de M. Pierre Loti, sur New-York--fut conçu et dessiné, voilà plus de trois siècles, par un architecte savoyard, Jacques Perret, de Chambéry, le précurseur assurément des hardis constructeurs d'outre-Atlantique. Dans un ouvrage paru en 1601, il a donné le plan d'ensemble de ce «grand et excellent pavillon dans lequel pourraient loger cinq cents personnes à leur aise». Le bâtiment mesure 26 toises de long (50 mètres 45 cent.) sur 22 toises de large (46 mètres 65 cent.). Dans l'épaisseur des murailles, qui n'ont pas moins de 2 toises (3 mètres 98 cent,), «sont petits escaliers, cabinets et privés depuis le bas jusques en haut; par ce moyen, ajoute l'ingénieux architecte, il n'y a rien de vide ou de perdu».
Avec ses onze étages et le petit pavillon bâti sur le toit en terrasse du corps central, l'édifice devait atteindre environ 110 mètres. Certes, nous sommes loin encore des immeubles géants de New-York, hauts de 150 ou 200 mètres, dont nous avons reproduit naguère, dans notre numéro du 3 août 1912, l'impressionnant aspect. Mais il faut reconnaître, dans le «grand et excellent pavillon» de Jacques Perret, l'ancêtre des «sky-scrapers» d'aujourd'hui: les Américains devaient réaliser, trois cents ans plus tard, l'audacieuse idée conçue par un Français.
Dr Carrel.
M. Georges Clemenceau.
Dr Pozzi.
La conférence
du docteur Alexis Carrel à l'hôpital Broca.
--
Phot. L. Mayer
.
Lundi dernier, à l'hôpital Broca, dans l'amphithéâtre du docteur Pozzi, le docteur Alexis Carrel, devant une affluence énorme, a exposé les résultats de ses merveilleuses recherches sur la vie des tissus conservée et transférée. Le public connaît déjà, par les comptes rendus des séances de l'Académie de médecine, les impressionnantes découvertes que l'on doit, dans le domaine de la physiologie expérimentale, au docteur Alexis Carrel qui, après avoir été attaché comme prosecteur à la Faculté de médecine de Lyon, est maintenant fixé, depuis plusieurs années, à New-York où il poursuit ses admirables travaux à l'Institut de recherches scientifiques créé par M. Rockefeller. Le docteur Carrel est l'homme qui enlève une cuisse tout entière, un rein, ou tout autre organe à un animal et qui lui en rajuste un autre emprunté à un de ses congénères. Il a, dans sa conférence, expose comment il réussissait à conserver des cellules, des tissus, des organes entiers même maintenus vivants pendant des semaines, une fois séparés du corps, et il a expliqué les applications pratiques qui pouvaient être faites au point de vue de la greffe humaine. Ajoutons qu'une ovation enthousiaste fut faite au jeune savant par ses auditeurs, au premier rang desquels on remarquait, vêtu du même sarrau d'hôpital que les étudiants, M. Clemenceau toujours curieux des progrès de la science médicale.
Le prince de Galles, qui fait partie du bataillon d'officiers formé par les élèves de l'Université d'Oxford, a, pour la première fois, porté cette semaine l'uniforme kaki de l'armée territoriale anglaise: samedi dernier, il quittait Oxford, avec de nombreux étudiants, «dans un compartiment de troisième classe», disent les journaux de Londres, et gagnait Mitchet Camp, près d'Aldershot, où il devait accomplir une courte période d'instruction.
Avec la même simplicité et la même bonne grâce qui ont laissé en France un souvenir si charmant, le prince de Galles partagea familièrement la vie de ses camarades, s'associant aux travaux du camp, prenant sa part des corvées, et marchant, dans le rang, comme un simple «private». Le premier jour de manoeuvres lui réserva des émotions inattendues: envoyé en reconnaissance avec un autre éclaireur, il fut surpris par une dizaine de cyclistes du parti adverse, qui le firent prisonnier en criant: «Haut les mains». Quelques instants après, il était heureusement délivré par les siens, accourus en nombre...
Au cantonnement. | Sur la route, en éclaireur. |
L'ÉDUCATION MILITAIRE D'UN FUTUR SOUVERAIN.
--Le prince de Galles aux
manoeuvres.
Note du transcripteur: A l'exception de la
Faune africaine
et des
Floralies de Gand
qu'on retrouve dans
le texte,
les suppléments mentionnés en titre ne nous ont pas été fournis.