Title : Les vieilles villes des Flandres: Belgique et Flandre française
Author : Albert Robida
Release date
: February 16, 2014 [eBook #44931]
Most recently updated: October 24, 2024
Language : French
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A. ROBIDA
LES VIEILLES VILLES
DES
FLANDRES
BELGIQUE ET FLANDRE FRANÇAISE
ILLUSTRÉ PAR L'AUTEUR
DE 155 COMPOSITIONS ORIGINALES, DONT 25 HORS TEXTE,
ET D'UNE EAU-FORTE
PARIS
LIBRAIRE DORBON-AINÉ
53 ter , QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS , 53 ter
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE:
25 exemplaires sur papier des Manufactures impériales du Japon
numérotés de 1 à 25
100 exemplaires sur papier de Hollande Van Gelder
numérotés de 26 à 126
Au pays des Hôtels de Ville.—Le Palais de Fénelon.—La Porte Notre-Dame.—Quelques vieilles façades.—La Maison du Prévost.—Les vieux Chroniqueurs.—Monstrelet et Froissart.
Sur la vieille terre flamande, les villes se touchent, plus serrées qu'en nul autre pays d'Europe, surtout lorsqu'on a quitté la Flandre française et franchi la frontière après Lille.
Et ce sont toutes de vieilles cités historiques, illustres pour le rôle considérable joué aux grandes époques du Moyen-Age, et enrichies par les grands courants commerciaux et maritimes du temps de la Hanse, des villes fameuses pour la grandeur souvent épique de leur histoire mouvementée, pour l'indomptable vaillance de leurs fourmillants bataillons des Métiers et des Communes, dans les grandes luttes contre la puissance féodale ou la domination espagnole.
Elles sont si rapprochées que, du haut des beffrois, les guetteurs pouvaient apercevoir de tous côtés d'autres beffrois, d'autres flèches pointant dans le bleu du ciel, sur les horizons plats.
Dans les Flandres de jadis, c'étaient de vastes ports ouverts sur le monde entier, au fond de quelque estuaire de grand fleuve arrivant du fond des Allemagnes, ou de grandes cités industrielles au cœur du pays, mais rattachées à l'Océan par la mince ligne de quelque canal où se suivaient à la file les navires venus de pays lointains, pendant que sur toutes les routes de terre les chariots de marchandises, en longs convois, apportaient tous les produits de l'Europe, du levant au couchant.
Ces ruches travailleuses débordaient d'une population remuante, qui le prenait parfois de très haut avec les princes et les seigneurs, population prompte aux révoltes et aussi courageuse aux besognes de guerre qu'à celles de ses métiers, mais après les pires désastres, se remettant toujours vaillamment à l'œuvre.
Très vivantes encore aujourd'hui, ou bien déchues et somnolentes, ce sont toujours cités de grande originalité pittoresque et de haut goût artistique.
L'art s'y épanouissait, autrement peut-être qu'en Italie, mais tout autant, art moins fastueux, plus concentré, plus profondément senti dans la brumeuse atmosphère. Et sous un ciel humide et voilé, l'art créait les joies nécessaires que le soleil se refuse à dispenser aussi généreusement que là-bas, l'art ciselait les monuments, fleurissait toutes leurs lignes du haut en bas, taillait et fouillait leurs sculptures, découpait diversement tous les pignons des logis bourgeois, effilait vers les premiers nuages toutes ces flèches, du haut desquelles les carillons, pour égayer et faire chanter le ciel, lançaient d'heure en heure les chansons des cloches.
Après les longues plaines de Picardie et d'Artois, où les tours des Hôtels de ville montrent bien leur cousinage architectural avec les splendides palais municipaux de Belgique, après les mornes horizons des pays miniers où, parmi les collines en scories de charbon, se dressent tant de sombres beffrois industriels, tant de gigantesques cheminées vomissant des fumées noires et tourbillonnantes, tant de hauts fourneaux en gueule d'enfer, la vraie campagne flamande enfin se découvre: verdures à perte de vue, prairies et bouquets d'arbres, villages aux maisons de briques passées à la chaux ou peintes en blanc, aux toits de grosses tuiles d'un rouge éclatant, alignées le long d'un canal dans le feuillage, avec quelque haut moulin de briques battant des ailes de loin en loin. Et c'est tout à fait, vers Cassel ou Dunkerque, le paysage classique des peintres flamands ou hollandais, ou, pour parler comme aujourd'hui, une symphonie de bleu, de vert et de rouge.
Auparavant, il y a des villes un peu intermédiaires, où l'empreinte flamande est moins marquée, modifiée et atténuée plus ou moins par une sorte de refonte subie au cours des derniers siècles. La marque particulariste ne se retrouve que dans certains monuments, ou bien lorsque, parmi les maisons carrées aux toits réguliers, surgissent tout à coup quelques vieux pignons de briques en escalier ou à grosses volutes, évoquant les origines et l'ancien goût régional.
La vieille cité de Cambrai est une jolie ville blanche et propre où les plus vieilles choses ne semblent pas dater de plus loin que la réunion à la France sous Louis XIV. Larges rues d'allures bourgeoises, grands boulevards tournant sur l'emplacement des anciens fossés, avec une ancienne porte de temps en temps, grande place d'aspect très moderne, monuments également modernes ou modernisés,—à première vue voilà tout Cambrai.
L'Escaut tout jeune a encore bien à courir, avant de devenir le large fleuve qui connaîtra sous Anvers les grands navires de haute mer, les gigantesques paquebots venus des lointains océans; il se divise à Cambrai en plusieurs bras et reçoit du canal de Saint-Quentin les lentes péniches marchant comme des canards à la file, sous les peupliers.
Dans cette ville si moderne, que reste-t-il pour parler du Cambrai du Moyen-Age où passa triomphant le roi Charles VI après sa victoire de Rosebeke sur les Flamands, vengeant après soixante-quinze ans la défaite subie à Courtrai par la Chevalerie française? Que reste-t-il du Cambrai de la Renaissance, qui fut deux fois lieu de rencontre entre les Empereurs et les Rois de France pour y négocier des traités de paix et vit se dérouler les magnificences des cours de François I er et de Charles-Quint, de la ville impériale où Charles, au grand dam des bourgeois, construisit une citadelle, en jetant bas, pour ses bastions, des centaines de maisons avec la vieille collégiale Saint-Géry.
Il ne reste pas beaucoup de pierres de ces temps pourtant si proches. Siège d'un archevêché-duché dont Fénelon fut le plus célèbre pasteur, portant la crosse au milieu d'un chapitre illustre, Cambrai possédait une magnifique cathédrale, de belles églises, de riches abbayes, des couvents nombreux; toutes ces magnificences architecturales disparurent pendant la Révolution, rasées par un stupide vandalisme. Notre-Dame, l'église métropolitaine, est moderne, ayant été construite il y a quarante ans, après un incendie; l'église Saint-Géry date pour la plus grande partie du dix-huitième siècle, avec quelques restes anciens. Ce n'est d'ailleurs pas l'édifice consacré par le Moyen-Age à Saint-Géry, l'un des premiers évêques de Cambrai, mais l'ancienne chapelle de l'abbaye de Saint-Aubert, avec laquelle on reconstitua une paroisse du vieux Saint cambrésien.
Du palais archiépiscopal où passèrent bien des prélats jusqu'à Fénelon, et que l'illustre archevêque, après la bataille perdue à Malplaquet près de Mons, en 1709, convertit en hôpital pour les blessés, de ce palais que le très proche successeur de Fénelon au siège de Cambrai, Dubois, le cardinal des roués de la Régence, respecta en ne l'occupant point, il ne reste qu'un portique en architecture du commencement du dix-septième siècle, composé de trois arcades décorées d'écussons très ornementés, portant des inscriptions latines: A Clave Justitia , d'un côté, A Gladio Pax , de l'autre, rappelant les attributions des Archevêques-ducs, spirituelles avec les clefs de saint Pierre, temporelles avec le glaive de justice.
Ce portique, flanqué aujourd'hui d'estaminets, ne voit plus passer les magnifiques prélats et les chanoines à perruques et dentelles d'autrefois, il n'encadre plus que d'humbles passants, petits locataires, ouvriers et ouvrières.
Le dix-septième siècle a laissé encore une assez curieuse façade de chapelle en style classique fignolé et surchargé, avec fronton à volutes, pilastres, frises, sculptures partout. C'était jadis la chapelle du collège des Jésuites, hier celle du Séminaire; pendant la Terreur et sous le sanglant proconsulat de Joseph Lebon, le tribunal révolutionnaire opérait à côté dans une salle du collège.
Tout près de cette fastueuse façade, une vieille maison de bois, rare débris du Cambrai des âges précédents, contraste gaiement par son pignon ogival ardoisé, ses poutrelles sculptées, avec les lignes froides et banales des rues un peu trop modernes.
L'Hôtel de ville de Cambrai n'a rien de flamand, l'hôtel de l'ancien échevinage et le vieux beffroi communal ayant été remplacés au dix-huitième siècle par un vaste édifice classique, refait encore de nos jours avec un plus grand luxe de colonnes gréco-romaines, de balustrades et de vases décoratifs. Au milieu de la façade, quatre colonnes en avant-corps supportent le classique fronton que surmonte un élégant campanile à coupole, sur le côté duquel montent la garde les Jacquemarts célèbres: Martin et son épouse Martine, en costume antique, placés là, dit-on, par l'empereur Charles-Quint, en remplacement des Jacquemarts plus anciens du vieux beffroi.
Quelques parties subsistent de l'ancienne enceinte, c'est d'abord la porte de Paris ou du Saint-Sépulcre, un gros pâté de murailles gothiques complètement isolé et en bon état, à grosses tours par derrière et tourelles vers la ville, puis la porte Notre-Dame, beau morceau dix-septième siècle, de bel aspect avec ses gros bossages en diamants, ses deux étages de colonnes superposées, ses canons de pierre dressés sur le toit, sa statuette de la Vierge dans une niche, mais qu'il aurait fallu voir, comme il y a peu d'années encore, enchâssée dans son rempart au bout du pont jeté sur le fossé. Aujourd'hui, privée de ses accessoires, la porte Notre-Dame ressemble surtout à une maison qui occuperait le milieu de la rue.
Les remparts de briques et pierres du château de Selles, continuent à défendre la ville au nord; le château sert aujourd'hui d'hôpital militaire. La porte de Selles, longue voûte sombre passant sous le château, conduit aux fossés pleins d'eau, à l'Escaut et aux verdures mouillées de la campagne.
A quelques lieues, sur l'Escaut aussi, Valenciennes a bien des caractères communs avec Cambrai. C'est une ville un peu plus importante cependant, avec un passé historique plus chargé, mais qui n'a pas laissé beaucoup plus de traces dans le grand remaniement opéré aux derniers siècles.
La grande place, immense avec un important Hôtel de ville, manque aussi de couleur. Que n'a-t-elle gardé un peu plus de ses vieilles maisons d'autrefois! Il y en a encore deux dans un coin, perdues et comme honteuses, les pauvres belles de jadis, au milieu des façades rectilignes et ennuyeuses. Cependant elles ne manquent pas de charmes, avec leurs étages en encorbellement, leurs pignons ardoisés, leurs consoles sculptées, tandis que l'impitoyable—et pitoyable—goût moderne a rasé soigneusement les façades voisines, et distribué partout les fenêtres à intervalles réguliers.
L'Hôtel de ville, construit au dix-septième siècle, est un monument d'une certaine ampleur, flanqué aux angles de tourelles décoratives dans le style de la Renaissance; on avait conservé le vieux beffroi du Moyen-Age qui datait de 1237 et montait à 70 mètres; malheureusement ce beffroi, bien des fois réparé ou mal rafistolé, a fini par s'écrouler en 1843.
L'histoire de Valenciennes est fort mouvementée; c'était déjà aux anciens jours une ville de commerce importante, affiliée à la Hanse, comme ses grandes voisines du cœur de la Flandre, Gand et Bruges, une ville fière et libre, avec une bourgeoisie enrichie par le négoce. Les troubles religieux du seizième siècle portèrent un coup terrible à cette prospérité qui s'était développée jusque sous Charles-Quint. Les querelles religieuses commencées, le moment vint vite où elles prirent un caractère de lutte furieuse et implacable; alors Huguenots et Catholiques se massacrèrent, pillèrent et brûlèrent à qui mieux mieux. Les Huguenots dévastèrent les églises et furent quelque temps les maîtres en ville. Les Espagnols intervinrent et prirent la place en 1567, après un siège difficile; le duc d'Albe, cinq ans après dut la reprendre encore, la garnison espagnole de la citadelle n'ayant pu empêcher les bandes protestantes de pénétrer en ville, et il en résulta une horrible mise à sac qui dura douze jours.
Au dix-septième siècle, Turenne essaya sans succès d'enlever Valenciennes aux Espagnols, mais en 1677, les armées de Louis XIV reparurent avec le Roi en personne, et la ville, emportée d'assaut après un siège rapide, fut définitivement réunie à la France.
Le monument religieux le plus important de Valenciennes est Notre-Dame du Saint-Cordon, belle et grande église construite de nos jours dans le style du treizième siècle, avec une haute tour à flèche pointant à plus de 80 mètres. On la voit bien surtout du parc arrangé sur l'emplacement des anciens remparts, près de la Tour de la Dodenne.
Son nom lui vient d'un vœu fait par les Valenciennois au onzième siècle, lors d'une peste qui ravagea la ville et emporta sept ou huit mille habitants en très peu de jours. Alors que les habitants désespéraient devant le fléau, un ermite eut une apparition, la Vierge, en compassion des prières des pauvres pestiférés, venait, aidée par une troupe d'anges, entourer les remparts d'un filet protecteur. La peste arrêta ses ravages immédiatement et ne dépassa pas le cordon. En reconnaissance, une procession solennelle eut lieu annuellement et le cordon de la Vierge fut enfermé dans une châsse magnifique en une église dédiée à Notre-Dame.
Dans les rues, les logis d'autrefois sont rares, le débris le plus pittoresque du vieux Valenciennes est la maison dite du Prévost, à l'angle des rues de Paris et Notre-Dame, vieil hôtel de briques aux murailles écorchées et abîmées; l'encorbellement de l'étage sur faux mâchicoulis en ogive fait très bien, ainsi que le renflement en tourelle renfermant l'escalier, malheureusement les fenêtres ont perdu leurs meneaux et leurs moulures.
Dans le faubourg de Paris, presque aux champs, il est encore une petite maison fort jolie, plus jeune que celle-ci d'un bon siècle: le pignon a trois étages de volutes avec des mascarons grassement sculptés, et une tourelle carrée s'élève en arrière. C'est le type de ces maisons qu'on s'obstine à appeler maisons espagnoles un peu partout dans le Nord. Il est superflu de dire qu'elles n'ont absolument rien d'espagnol et ne ressemblent aucunement aux architectures d'au delà des Pyrénées, seulement elles sont du temps de l'occupation espagnole. De même, en d'autres provinces, en Normandie, en Picardie ou ailleurs, on entend dire de telles églises, ou de tels clochers du quinzième siècle, que ce sont ouvrages des Anglais; les Anglais, pas plus que les Espagnols, n'ont rien bâti en France, où d'ailleurs ils avaient bien d'autres choses à faire et bien d'autres préoccupations.
C'est ici le pays des chroniqueurs, des vieux historiens du Moyen-Age. A Cambrai s'élève la statue d'Enguerrand de Monstrelet, le chroniqueur des luttes entre Armagnacs et Bourguignons, le narrateur exact des fêtes, des tournois et des splendeurs, aussi bien que des guerres et des désolations de la première partie du quinzième siècle. Il avait été bailli du chapitre de Cambrai et ensuite prévôt de la ville. A Valenciennes, c'est encore une autre statue d'historien, celle de Froissart, né à Valenciennes en 1337, le chroniqueur voyageur, toujours en recherche de beaux et brillants gestes de chevalerie, batailles, sièges et chevauchées, de hauts faits et de magnifiques histoires de rois, princes, seigneurs et nobles dames, à raconter, détailler amoureusement et embellir de gracieuses et brillantes enluminures.
Le peintre Watteau, dont la statue se dresse bien près des noires murailles de l'église Saint-Géry, est aussi un évocateur, mais d'un autre temps, d'une folle époque où falbalas et dentelles ont remplacé armures de fers et cottes historiées.
Le Beffroi.—La famille Gayant.—L'Hôtel de Ribour.—La Colonne du Siège et les Sièges.—Commines et son Beffroi.—Troisième Chroniqueur.—Bergues. Autre Beffroi.—Gravelines.—Dunkerque.
Douai, ancienne ville de commerce au Moyen-Age, ville d'Université depuis le seizième siècle, université fondée par Philippe II d'Espagne, ancienne ville forte aux défenses considérablement augmentées par Vauban, siège du Parlement de Flandre au dix-huitième siècle, est restée cité universitaire et centre industriel.
L'aspect de la ville est gai et avenant; certes ses rues sont bien modernisées, ce qui veut trop souvent dire banalisées, mais enfin, de loin en loin, au milieu des maisons quelconques, bourgeoisement banales ou de petit aspect boutiquier, on aperçoit encore bien des façades à la mode du dix-huitième siècle, de jolis détails de style rococo, tout à l'honneur du goût de la bourgeoisie ou de la magistrature d'alors. Et puis il y a l'Hôtel de ville, le superbe Hôtel de ville gothique qui peut aller de pair avec les plus célèbres édifices communaux de Belgique. Cet Hôtel de ville est admirable, on est bien forcé, par l'étroitesse de la rue qui passe devant la façade principale de lever très fort la tête pour détailler les beautés de cette façade, mais enfin on y parvient et l'on ne perd rien des belles fenêtres, des deux entrées à triple porte, des pinacles et des ogives dont les crochets et les fleurons s'épanouissent largement.
Le beffroi est superbe. C'est une grosse tour du quatorzième siècle, à hautes et larges fenêtres, flanquée de quatre tourelles coiffées de clochetons qui se hérissent de petites lucarnes. Au-dessus des créneaux se dresse un campanile de bois octogonal à quatre ou cinq étages de lucarnes sur lucarnes, se chevauchant l'une l'autre, laissant voir cloches et clochettes et non moins hérissés de pointes et de crochets, d'épis, de girouettes, d'aiguilles et de hallebardes, avec le lion de Flandre brandissant la dernière girouette au sommet. Une partie de la façade est moderne et par derrière une autre façade et des ailes en retour ont été construites dans le style du monument primitif sur une large cour.
Sur la place d'armes, tout près de l'Hôtel de ville, se trouve la maison dite du Dauphin, la plus jolie façade dix-huitième siècle de la ville; devant son toit, un fronton contourne ses lignes, ses coquilles et ses rocailles, avec de jolies sculptures aux deux étages de fenêtres encadrées de pilastres et de trophées au-dessus d'un riche balcon de fer forgé.
La Renaissance est représentée à Douai par la belle maison des Rémy, un haut pignon entre deux ailes, pignon tout en fenêtres, trois étages de légères colonnades, encorbellées au premier étage sur des têtes de lions et des masques, encadrant des frises et de jolis cartouches.
On trouve encore à Douai, avec çà et là quelques souvenirs d'abbayes et de couvents, un reste d'une ancienne commanderie du Temple, un portail fortifié avec tourelles de briques et vieux toits formant un motif assez pittoresque.
Douai n'a pas d'églises bien remarquables; il y a Saint-Jacques, Saint-Pierre et Notre-Dame: celle-ci est un édifice gothique dont les pignons un peu frustes ne manquent pas de pittoresque, surtout celui que couronne un clocheton ardoisé lourd et trapu, bizarrement campé sur le toit.
La grande église Saint-Pierre allonge sa nef moderne entre une haute chapelle, dont le dôme se termine par un de ces clochetons en gourde qui se rencontrent si nombreux en Belgique, et une très grosse tour carrée de la Renaissance récemment restaurée, à silhouette intéressante malgré sa lourdeur. A l'intérieur, ces églises sont riches en tableaux et sculptures provenant, pour la plupart, d'églises ou d'abbayes supprimées à la Révolution.
Douai n'a pas eu de vieux chroniqueur à statufier, ce n'est pas à l'histoire, c'est à la poésie que la ville a consacré un peu de marbre; sous les arbres d'un square voisin de Notre-Dame, s'élève la statue de cette pauvre Marceline Valmore, grand poète à la destinée malheureuse, dont l'âme vibra sous la douleur en admirables vers, en poèmes de tristesse les plus poignants qui soient, les plus doux et les plus résignés.
Douai est la patrie du géant Gayant, le célèbre géant Gayant, haut de
trente pieds, colosse casqué, bardé de fer, qui se promène, bouclier au
bras, lance au poing, tous les ans, à la Ducasse, un des premiers
dimanches de Juillet, en grande cérémonie et dans un grand fracas de
musiques, accompagné de sa femme, géante richement vêtue, et de ses
enfants Mlle Fillion, M. Jacquot et Ch'tiot Bimbin, son dernier rejeton,
bambins de quatre ou cinq mètres. Cette joyeuse procession qui met
tout le pays en liesse daterait du quinzième siècle et remonterait,
dit-on, à des réjouissances célébrant le départ des troupes du roi Louis
XI après une vaine tentative sur la ville—à moins pourtant que son
origine ne soit encore plus lointaine.
Lille se montre grande ville, très grande ville, les larges boulevards très mouvementés, les immenses voies sillonnées de tramways électriques sont bien d'une capitale; par malheur, cette capitale de la Flandre française, très modernisée, cité industrielle de première grandeur, ressemble à toutes les villes modernes d'importance, trop riches, trop lancées dans le mouvement industriel, pour avoir conservé grand'chose, sinon des monuments du passé, au moins des aspects caractéristiques des époques précédentes. Partout ce sont rues de commerce et d'affaires, avenues, boulevards neufs se prolongeant vers des quartiers usiniers, lesquels s'allongent à leur tour et marchent à la conquête des villages de leur banlieue pour les envelopper et les dévorer, et à la rencontre des villes voisines qui joindront un jour les volutes de fumée de leurs hautes cheminées aux fumées des siennes, pour la grande bataille industrielle.
Et partout de grands monuments bien modernes: le Palais des Beaux-Arts, vaste édifice Renaissance qui ressemble un peu au château de Chantilly et renferme d'importants Musées, l'institut Pasteur, l'Ecole des Arts et Métiers, le Lycée, les Facultés, le palais de Rameau, etc., etc.
Le point central, où bat le cœur de la ville, la Grand'Place, est certainement d'un noble aspect, tout à fait modernisée aussi, mais encore avec quelques monuments âgés d'un siècle ou deux, et quelques façades à lignes intéressantes, pour encadrer tout le mouvement sur cette place: l'Hôtel de ville, l'ancienne Grand'Garde, la Bourse et la colonne du siège de 1792.
L'Hôtel de ville, c'est à la fois le plus jeune et le plus vieux de ces monuments. Sur la place il date du règne de Louis-Philippe et cela se voit, mais si l'on traverse la cour, pour passer derrière, on y trouve les restes de l'hôtel de Rihour, ancien palais des Comtes de Flandre, une tour de briques, deux hauts pignons briques et pierres soutenus par des contreforts et percés de hauts fenestrages éclairant une belle salle gothique dite du Conclave.
En ces bâtiments résidèrent souvent les Comtes de Flandre de la maison de Bourgogne, ceux du quinzième siècle, époque brillante, période de prospérité pour la Flandre, après les luttes et les guerres terribles des treizième et quatorzième siècles, entre les rois de France et les ducs, depuis Ferrand que Philippe-Auguste ramena ferré , dans un chariot pour le tenir treize ans prisonnier en son donjon du Louvre:
«Lors fut Ferrand tout enferré,
«Dans la Tour du Louvre enserré.»
entre Français, Flamands et Anglais, et avant l'époque espagnole, seconde période de malheurs, de guerres et de ravages, qui ne cessa qu'avec les victoires du Grand Roi.
En face de l'Hôtel de ville, la Bourse fait meilleure figure; c'est un bel édifice carré du dix-septième siècle, en style de la Renaissance flamande, dont les façades à deux étages présentent une suite de colonnes décorées de gaines et de cariatides, alternées, encadrant des frontons très chargés de sculptures au-dessus de chaque fenêtre. L'ensemble est joli, avec le grand comble régnant sur le tout et toutes les cheminées, et le campanile malheureusement un peu maigre à la partie supérieure.
A l'intérieur, une cour à arcades, au milieu de laquelle la statue de Napoléon contemple une série de bustes de savants illustres, sous les arceaux.
Sur le côté de la place, troisième édifice, plus modeste. C'est un corps de garde élevé en 1717, sur un immense perron en avant-corps; la Grand'Garde est sans beauté particulière malgré son perron et ses frontons, mais elle rachète sa lourdeur par sa silhouette, d'autant mieux qu'elle est flanquée de quelques maisons anciennes à grands toits.
Au milieu de la place s'élève la colonne commémorative du fameux siège de 1792, colonne robuste et trapue, dressée sur un soubassement entouré d'obusiers pris à l'ennemi, et portant sur son sommet crénelé une figure de Lille au geste énergique, le boute-feu à la main. C'est le dernier des sièges soutenus par la vieille cité flamande, contre une armée autrichienne forte de trente-cinq mille hommes. Elle se défendit héroïquement avec une garnison peu nombreuse et des volontaires qui se distinguèrent, particulièrement les fameux Canonniers bourgeois, vieille et célèbre compagnie bourgeoise des Canonniers de Sainte-Barbe, dont l'hôtel actuel conserve nombre de précieux souvenirs. Une attaque vigoureuse, neuf jours et neuf nuits de bombardement pendant lesquels une partie de la ville flamba, n'eurent pas raison de la résistance héroïque des Lillois, et les Autrichiens, très éprouvés, durent lever le siège.
Si la ville voulait élever sur sa grande place une colonne pour tous les sièges qu'elle a soutenus, victorieusement ou malheureusement, mais toujours avec honneur, les Lillois actuels pourraient s'y promener à l'ombre. En prenant seulement leur histoire au temps du malheureux comte Ferrand et de ses démêlés avec Philippe-Auguste, nous voyons le roi de France assiéger et prendre trois fois Lille, et la troisième fois, pour en finir avec sa résistance obstinée, l'incendier et dévaster de fond en comble. C'est encore un siège sous Philippe le Bel, cent ans plus tard, lorsque Philippe le Bel, peu après la terrible défaite des Eperons d'or, eut écrasé les milices des villes flamandes à Mons-en-Puelle. Ensuite, au seizième siècle, pendant les troubles de la Réforme et la révolte des Pays-Bas, ce sont des coups de main et des surprises.
Puis, c'est le siège de 1667, Louis XIV en personne conduit son armée sous les murs de la vieille cité, qui se défend énergiquement avec deux mille quatre cents hommes de garnison et ses dix-huit compagnies bourgeoises. Mais, après dix jours de tranchée ouverte, une capitulation honorable est signée; moyennant le maintien de ses coutumes et privilèges, Lille fait partie désormais du royaume de France et elle aura à prouver bientôt sa fidélité au roi aussi complètement que jadis à ses ducs.
Vauban transforme la place et construit une citadelle très forte. A cette citadelle viennent se heurter en 1708, lors des guerres de la Succession d'Espagne, le prince Eugène et Marlborough. C'est le temps des désastres des armées royales en Flandre. Siège terrible, Boufflers défend la place à outrance. Après deux mois passés de tranchée ouverte, de famine et de bombardement pendant lesquels les Lillois montrent bien leur vaillance accoutumée, les violons narguant les canons, leur théâtre, malgré bombes et boulets, jouant insolemment la comédie tous les soirs, il faut rendre la ville; mais Boufflers se retire dans la citadelle et se défend encore deux mois, pendant lesquels Lille continue à vivre sous une pluie de fer et de feu.
Des remparts de la première période, Lille peut montrer près de l'église Saint-Sauveur la Noble Tour , qui n'est simplement que la base d'une grosse tour du quinzième siècle, mais, sauf modifications, éventrements et démolitions, la citadelle de Vauban est toujours là, et aussi quelques portes monumentales comme la Porte de Paris, très important arc triomphal, plutôt que porte, élevé par Louis XIV.
Lille a dédié à Saint Maurice une grande église à cinq nefs égales, superbe morceau d'architecture ancienne avec quelques reconstructions ou restaurations. Sur la façade, au-dessus de quatre hauts pignons, s'élève une grosse tour fort intéressante comme détails avec une belle flèche moderne. Du côté de l'abside, Saint-Maurice se prolonge par des sacristies, des chapelles basses en gothique très fleuri, s'alignant sous les hautes verrières.
Il y a encore Sainte-Catherine, Saint-Sauveur, Saint-André, Notre-Dame-de-la-Treille, etc., édifices peu anciens ou tout à fait modernes, quelques-uns intéressants à l'intérieur par des détails ou des œuvres d'art.
Très près de Lille, à cheval sur la frontière belge, à mi-chemin d'Ypres, la petite ville de Commines dresse sur sa grande place l'un des plus curieux, des plus originaux de ces beffrois municipaux de la Flandre. Toutes les villes belges ont gardé précieusement leurs donjons communaux, symboles de leurs libertés et franchises, belle famille de tours géantes, variées dans leurs structures, parfois vraiment colossales comme à Ypres ou Bruges, couronnées de façon si diverses, crénelées, coiffées de campaniles où tintent des carillons, ou bien découpées, ciselées en fantastiques bouquets de fleurs de pierres, comme à Audenarde ou Louvain.
La Flandre française peut, à côté de ces belles tours, avec un rang honorable dans la famille, montrer, outre celui de Douai, les beffrois de Commines et de Bergues.
A Commines, ville franco-belge, en deux parties séparées par la Lys et par une Douane, c'est une grosse tour carrée du quatorzième siècle, en briques et pierres, colorée d'une patine chaude, se terminant par une galerie de fausses arcatures flanquée de quatre tourelles, sous un énorme couronnement bulbeux en coupole ardoisée, coiffée à son tour par un campanile à deux étages, encore surmonté d'un autre clocheton, bulbeux comme les pointes des tourelles renflées en double poire.
L'Hôtel de ville, sous ce beffroi, est une construction quelconque moderne; en arrière, le clocher de l'église ne fait pas mal au-dessus des maisons, malheureusement sans caractère comme le reste de la ville. La faute en est sans doute aux guerres du seizième siècle, pendant lesquelles toute la ville brûla.
Si, comme le veut la tradition, Philippe de Commines est né au château de Commines et non à Argenton, en Poitou, cela fait avec Monstrelet et Froissart un joli trio de chroniqueurs. Il serait dommage de les séparer. Le fin politique qui sut vivre sans accident trop grave,—le cachot de Loches à part,—à côté de Charles le Téméraire et de Louis XI, et nous les pourtraicturer dans ses Mémoires, voisine admirablement avec Froissart et Monstrelet.
Bergues est mieux que Commines. C'est une petite ville gaie d'aspect, ceinte de remparts, de bastions baignant dans l'eau fournie par des canaux, avec des paysages de verdures tout à l'entour, animée par le clairon et le tambour des petits fantassins résonnant dans les vieilles murailles. Les rues de la ville n'ont pas grand caractère et l'église gothique est sans beauté particulière, mais, sur la grande place, s'élève le magnifique beffroi, haute et superbe tour complètement revêtue de haut en bas de grandes arcatures ogivales en sept ou huit zones, sans autres ouvertures que d'étroites meurtrières. Quatre grosses tourelles également plaquées d'arcatures, cantonnent la plate-forme portant le cadran de l'horloge sur ses créneaux. Au-dessus s'élève le campanile où chante le carillon, campanile à dôme renflé en poire ou en gourde, accompagné de petites gourdes ardoisées sur les tourelles.
Un petit corps de garde à arcades s'accote au bas de la tour. Malheureusement l'Hôtel de ville appuyé à côté n'est qu'un bâtiment sans style, refait il y a quarante ans.
Ce magnifique beffroi, par-dessus les petites maisons éparpillées à ses pieds, peut regarder ses vieilles connaissances les tours de l'abbaye de Saint-Winoc, dressées sur le mamelon du Groenberg, à deux ou trois rues de distance, dans le balancement, au vent de la mer assez proche, des masses de verdures de grands vieux arbres alignés, ombrageant une jolie promenade, laquelle fut sans doute le jardin de l'abbaye.
On disait Bergues-Saint-Winoc jadis, l'abbaye étant quelque peu la mère de la ville, ainsi que du village de pêcheurs à deux lieues de là, qui devait devenir Dunkerque, et il ne reste de Saint-Winoc que ces deux tours isolées, l'une carrée, soutenue par d'énormes contreforts de briques, ancien clocher de l'église, et l'autre, octogonale, à quatre étages en retrait les uns sur les autres, terminée par une haute flèche filant très haut dans les airs. Ces pauvres vieilles tours n'ont échappé à la destruction générale que parce que, sur ces côtes basses, elles sont visibles de très loin au large et servent d'amers aux navires.
Gravelines, qui flanque Dunkerque à quelques lieues sur la gauche, est un bon modèle de la petite place de guerre à la mode du dix-septième siècle. Se promener le long de ses remparts, sur les glacis des larges fossés pleins d'eau, c'est relire et revivre un peu l'histoire des guerres avec l'Espagne dans nos provinces du Nord. La ville n'a pas d'importance, il n'y a pas de monuments, ou ces monuments sont d'une architecture tout à fait modeste, mais aux portes, sous les petits corps de garde à colonnes, on est tout surpris de ne pas voir un poste du régiment de Champagne ou de Picardie, des piquiers ou des mousquetaires commandés par un anspessade.
Existence agitée, coups de canons nombreux, sièges, assauts, prises et reprises, durant une centaine d'années, de Philippe II à Louis XIV, puis retour à la tranquillité, voilà l'histoire de Gravelines et des agglomérations voisines, presque ses faubourgs, Petit fort Philippe, Grand fort Philippe, à l'embouchure de l'Aa.
Un point surtout est bien dans le caractère de l'époque, figé aux temps
de Louis XIII et de Louis XIV. C'est un décor de petite place solitaire:
au fond l'église basse, fenêtres gothiques, petite porte Renaissance; à
droite, de vieilles casernes réunies par un pont à la nef de l'église,
pour que Mgr le Gouverneur pût, sans descendre dans la rue, gagner sa
tribune à la messe.
Dans la ville actuelle de Dunkerque, rivale d'Anvers, grand port qui s'agrandit d'année en année, on ne peut guère retrouver grand'chose de la physionomie caractéristique du vieux port de la Flandre française, au temps des frégates du Roi Soleil, du terrible refuge de corsaires d'où, pendant trois siècles, sous les couleurs espagnoles, sous le pavillon fleurdelysé de Louis XIV et de Louis XV, ou sous le drapeau de la République, s'élancèrent tant de hardies escadrilles pour courir sus, à travers la Manche ou la mer du Nord, aux flottes des Hollandais ou des Anglais.
Ce Dunkerque-là est aussi loin que le Duyne-Kerke, Eglise des Dunes , village de pêcheurs des premiers siècles; il a disparu sous les transformations, avec les pittoresques jetées de bois, les estacades d'il y a cinquante ans, et tout le tohu-bohu irrégulier des constructions maritimes de jadis, avec la vieille marine et les frégates et les flûtes et les corvettes à voiles.
Aujourd'hui, ce sont de nombreux et vastes bassins à flot, un avant-port, un arrière-port, des quais s'étendant sur des immensités bordées d'immenses magasins, et des forts, des docks, des écluses communiquant avec les divers canaux de l'intérieur, de larges voies sillonnées de wagons, de tramways, encombrées de la multitude des camions et des fardiers, et toujours des pâtés de hautes bâtisses, par-dessus lesquelles se dressent des mâtures.
Si l'on cherche des traces du vieux Dunkerque, que trouvera-t-on? Sur le port, la vieille tour de Leughenaer, défigurée, enfermée dans les maisons, l'église Saint-Eloi, avec sa grosse tour-beffroi et son carillon, à peine çà et là quelques restes de vieilles maisons et c'est tout.
L'église Saint-Eloi renferme la sépulture de Jean Bart; le héros Dunkerquois, prototype des rudes marins sortis en foule de la cité flamande, des capitaines corsaires de la période héroïque, s'y repose sous les dalles, à côté de sa femme, de ses vingt années de courses glorieuses, pendant les grandes guerres maritimes qui firent d'un simple matelot pêcheur, un chef d'escadre de Louis XIV!
Le décor de la Grand'Place.—Le Pavillon des Officiers espagnols.—Les Eglises.—Le dernier mystère.—Ce qui survit de Nieuport.—Fantôme de ville dans les Dunes.—Dixmude endormie dans ses prairies.
Une des plus gentilles portes pour entrer en Belgique est celle de Furnes. On a suivi depuis Dunkerque les longues ondulations des dunes piquées de végétation, qui menacent de couvrir, tout en les protégeant contre la mer, les petits villages blancs aux toits rouges; les montagnettes de sable envahissant se succèdent, laissant à peine entrevoir la mer entre elles, de temps à autre; on a passé à Zuitcote, marqué par le clocher de son église ensevelie sous le sable, clocher servant aujourd'hui de Sémaphore, et voici bientôt, en quittant le cordon des dunes pour la campagne verte toute sillonnée de canaux, la petite ville de Furnes, et ses tours et ses pignons rouges, et sa jolie gare en vieux style flamand, Furnes, ancienne petite cité d'aspect accueillant et gai, et qui peut montrer comme souvenirs de son passé de superbes édifices et une si magnifique Grand'Place.
Dans cette vaste plaine de Belgique qui s'ouvre, avec toutes ses villes à l'histoire tumultueuse pleine de grandeurs tragiques et de pages éclatantes, c'est le commencement des architectures caractéristiques, et Furnes, comme ensemble monumental, peut être placée immédiatement après les grandes cités d'art, Bruges, Gand et Ypres, au premier rang des villes secondaires.
Bien petite ville aujourd'hui, à peine six mille habitants, mais comme on prend une grande idée de son passé, lorsque, par les rues larges et propres, mais un peu vides, aux grandes et belles maisons bien entretenues, de couleur gaie, mais silencieuses, on débouche tout à coup sur la Grand'Place, carré immense de maisons à pignons flamands dominées par de hauts monuments. Ce forum le dit suffisamment, Furnes fut grande et importante cité jadis; il fallut bien des guerres, et leurs malheurs et leurs bouleversements, puis de lentes modifications économiques pour rétrécir la ville à ses proportions actuelles.
Tout Furnes est sur cette place, ou derrière la ligne de maisons rouges, qui semblent basses sous les hauts édifices montant en arrière. Des ravages de la guerre, Furnes en eut sa bonne part aux époques lointaines, dès le temps des Normands. Au treizième siècle, lorsque Robert d'Artois ayant battu, sous ses murailles, Guy, comte de Flandre, enleva Furnes, il la pilla et brûla de fond en comble. Plus tard, les troubles religieux et les guerres du seizième siècle amenèrent de terribles moments, ses églises en souffrirent, notamment Sainte-Walburge. Cependant elle connut encore des jours de prospérité après l'accalmie, puisque beaucoup de ses belles maisons, l'Hôtel de ville et le Palais de Justice datent de l'occupation espagnole.
Le Pavillon des Officiers espagnols sur la place, belle construction récemment restaurée, était la maison de ville du Moyen-Age, avant d'être occupé par les troupes d'Espagne. C'est d'ailleurs une sorte de gros donjon carré pourvu de créneaux et de tourelles d'angle sous le comble, avec un bâtiment en retour sur la rue, façade plus ornée, d'un grand air aussi, à fenestrages encadrés à la flamande.
Sur l'autre coin, au fond de la place, les Espagnols avaient fait un corps de garde d'une haute maison à pignons, dont le rez-de-chaussée forme une loggia à colonnettes. Cette maison avait été précédemment la Halle aux vins et le quartier des veilleurs de nuit.
Tout l'angle de la place, en face du Pavillon des Officiers, est occupé par l'Hôtel de ville et le Palais de Justice, bien différents de style, quoique très rapprochés comme âge. D'un côté, c'est une façade massive et presque sévère du dix-septième siècle, légèrement renfrognée, de l'autre c'est la Renaissance flamande plus grasse et plus belle, c'est-à-dire tout le charme d'un Rubens opposé à la froideur d'une belle personne classique.
L'Hôtel de ville, de 1612, montre deux beaux pignons décorés de frontons, de colonnettes, de motifs Renaissance, et, passant la tête par-dessus les grands toits, une tourelle octogonale au comble surmonté d'une petite coupole en poire. Sous l'un des pignons, une très élégante loggia en avant-corps forme perron, avec balustrades en ramages Renaissance découpés.
Par-dessus le grave Palais de Justice de 1628, tout en pilastres, colonnes et balustrades, monte le beffroi, grosse tour en partie gothique, avec, en retrait, sur la plate-forme carrée, une seconde tour octogonale portant un campanile à coupoles.
Toutes les maisons de la place, sur la ligne du Palais de Justice, ont des toits de tuiles rouges derrière des pignons en escalier, pignons Renaissance à décoration variée, chacun avec une belle fenêtre à la partie supérieure, surmontée d'une niche en coquille et encadrée de colonnettes et de frontons, décorée d'écussons ou d'arabesques. Sur le côté de l'Hôtel de ville, une autre façade plus ancienne, dans le style du seizième siècle, présente une très belle disposition de moulures montant d'en bas pour encadrer les fenestrages jusqu'à la pointe du pignon.
Par-dessus les petites maisons Renaissance, s'élève le chœur de l'église Sainte-Walburge, le chœur considérable et imposant qui est, avec le transept, toute l'église, le reste manquant, ayant été détruit ou n'ayant pas été achevé, ainsi qu'en témoignent un portail interrompu, des fragments en attente de reconstruction et des débris enchâssés autour de l'église dans la verdure du jardin. A l'intérieur, ce chœur est très majestueux.
On conserve à Sainte-Walburge, les groupes sculptés et les accessoires de la grande procession annuelle du dernier dimanche de Juillet, établie en souvenir de l'aventure d'un comte de Flandre, qui, rapportant de Jérusalem, au temps des Croisades, un morceau de la vraie Croix, et assailli sur les côtes flamandes par la tempête, fit vœu de l'offrir à la première église qu'il apercevrait à terre. La fureur de la mer s'apaisa aussitôt et le croisé, à travers les dernières vagues, aperçut la tour de Sainte-Walburge de Furnes pointant au-dessus de la ligne sablonneuse du rivage.
Par la suite, des confréries se fondèrent en l'honneur de la vraie Croix, et instituèrent une solennelle procession, qui était en même temps une représentation du Mystère de la Passion. Cette procession, supprimée seulement pendant les troubles religieux de la Réforme, a lieu encore, ou plutôt ce Mystère se joue encore tous les ans, et déroule dans les rues de Furnes, à travers le magnifique décor de la Grand'Place, tous les épisodes de l'histoire du Christ, depuis l'étable de Bethléem, la fuite en Egypte, la trahison de Judas, la flagellation, jusqu'au grand drame du Calvaire et la Résurrection, les uns figurés par des personnages vivants, les autres par des groupes sculptés avec une foule considérable de figurants: Prophètes, Apôtres, Juifs, anges, cavaliers, soldats romains accablant le Christ de coups de lance lorsqu'il succombe sous le poids de sa croix, etc., etc. A la suite, à travers les foules accourues pour cette célèbre procession, passent les pénitents et pénitentes, en longue robe noire, la tête couverte de la cagoule, pieds nus, portant ou traînant d'énormes croix de bois.
Sur la partie de la Grand'Place en prolongement du Pavillon des Espagnols, les façades, sauf le joli pignon du théâtre, n'ont plus de caractère artistique, mais se découpent encore pittoresquement en avant de la deuxième église de Furnes, Saint-Nicolas, dont la vieille tour se dresse, épaisse et rugueuse, ses vieilles briques écorchées et patinées par le temps.
En dehors de cette Grand'Place si bien meublée, Furnes n'a plus autre chose à montrer; quelques maisons çà et là et sa belle gare gothique.
Oui, elle est gothique, mais ce n'est pas un de ces pastiches grinçants
et mesquins que l'on connaît, fabriqués avec des détails ramassés et
appliqués n'importe comment, c'est franc et bien accommodé au programme,
c'est ainsi qu'un constructeur du quinzième siècle eût conçu une gare,
si le quinzième siècle en avait eu besoin.
A quelques kilomètres dans les dunes, somnole une autre ville tout à fait déchue, celle-là, Nieuport, jadis havre important, ville forte, cité commerçante d'où s'élançaient des flottes pour le négoce ou la grande pêche.
La côte est toute en longues chaînes de montagnes de sables cachant la mer, et nichant dans leurs creux les petits villages de pêcheurs et les plages de bains. Nieuport montre au milieu des prairies ce qui lui reste de rues et de maisons, groupées autour de la grande place vide. Hélas! tout est tristesse et solitude dans la ville, rien ne remue par les rues, le grand bâtiment gothique des Halles, morne et vide, semble bailler par toutes les grandes ouvertures d'un rez-de-chaussée original en avant-corps, par toutes ses fenêtres, où il semble bien, qu'en partant, les gens du seizième ou dix-septième siècle ont oublié seulement de mettre les volets.
La pauvre ville eut jadis vingt mille habitants, elle est fille d'un village de pêcheurs, hameau de la ville de Lombardzyde, que la mer écrasa et emporta sous ses vagues en 1116. Lombardzyde est redevenu village de pêcheurs et de baigneurs.
Nieuport, né de sa ruine, connut plusieurs siècles de prospérité, coupés de quelques mauvais moments, puis les jours difficiles vinrent tout à fait; les secousses et les alertes des guerres se suivant et se répétant, ses remparts eurent à subir de trop nombreuses attaques. Après des sièges malheureux, la prospérité s'en fut, le commerce disparut et la ville, en pleine décadence, sombra dans sa léthargie actuelle.
Le grand bâtiment des Halles est pourtant un bel édifice de vastes proportions, que domine fièrement le beffroi. Grandeur déchue, spectre mélancolique du passé, le vaste monument est vide, et rien ne remue en lui ni devant lui sur le pavé. Les cultures ensevelissant la place des remparts, des édifices et des rues disparues, la campagne a reconquis la ville et vient jusqu'auprès du beffroi. D'un côté, il y a des champs et des jardins tout de suite; de l'autre, de petites maisons basses quelconques et le clocher de l'église, une grosse tour trapue, clocher découronné sans doute. L'église est grande aussi, d'un beau caractère à l'intérieur avec de nombreux monuments, un jubé, une chaire de pierre du quinzième siècle encadrant des bas-reliefs dans ses panneaux.
Derrière cette église, verdures, jardins, petits chemins, c'est la campagne; à quelque distance dans les arbres, une grosse masse sombre se dresse sur un léger renflement du sol. C'est le débris d'une Commanderie de Templiers, un donjon de briques, carré comme tous les donjons de l'ordre du Temple. Annexé à la ville, il en défendait une porte disparue avec le rempart. La Commanderie fut incendiée et ruinée en 1383 par les Anglais, comme la ville, du reste, que le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, rebâtit deux ans après.
Pour secouer un peu la mélancolie de Nieuport et des paysages de sable
sur la côte, il n'y a qu'à se rappeler la belle bataille livrée ici, sur
les sables de la plage, en 1600, par les troupes du Stadthouder des
Provinces Unies, Maurice de Nassau, prince d'Orange, contre l'archiduc
Albert et l'armée espagnole. Cernée dans les dunes, séparée de sa
flotte, l'armée de Maurice de Nassau ne pouvait que vaincre ou mourir.
Et pendant toute une journée ce ne furent que charges désespérées sur le
sable, presque dans les premières vagues, belles chevauchées
d'escadrons, marche serrée des bataillons traversant l'Yser sous le feu,
avec de l'eau jusqu'aux hanches, chocs et carnages jusqu'à déroute
complète des Espagnols, qui laissèrent cinq mille cadavres dans la dune,
autant de prisonniers et cent cinq drapeaux.
Une troisième ville, à quelque distance en remontant l'Yser, vivote dans les terres, endormie non moins mélancoliquement que Nieuport, parmi les pâturages où de loin en loin tourne quelque moulin.
C'est la curieuse petite Dixmude, bien plus tombée que Nieuport, si elle eut jadis trente mille habitants vivant à l'aise dans ces maisons qui n'en abritent plus maintenant que onze cents. Enchâssée dans la verdure de ses magnifiques prairies, elle dresse encore, pour attester son ancienne splendeur, des beffrois et des flèches.
Dixmude en son temps fut une grande cité, un port; il y a très longtemps, quand l'Yser pouvait lui amener des navires, elle fut ville forte et la marée baignait ses murailles; elle fut cité de commerce, elle eut des métiers et de nombreux artisans comme ses grandes voisines Ypres et Gand;—maintenant, revenue de tout, elle élève des vaches dans ses prairies et soigne la renommée de son beurre.
Hélas! où sont ses corporations et ses confréries? Ce qui en fit l'ombre d'une ville, ce furent des sièges et des sièges, des assauts par les milices de Gand ou Bruges, des pillages, des incendies, dont un seul, en 1553, détruisit le château, les Malles, avec trois cents maisons.
Onze cents habitants seulement. Un des coins de l'immense Grand'Place les contiendrait tous sans peine, car elle est encore plus grande que celles de Furnes et de Nieuport réunies. Le passant,—on doit dire le et non pas les, car il y en a rarement plus d'un à la fois,—le passant, qui la traverse en a pour cinq bonnes minutes.
Le voyageur circulaire n'a pas à regretter ses pas, car cette place fait un beau fond de tableau; il y a quelques vieilles maisons, une prison bien rébarbative, aux fenêtres formidablement quadrillées de barreaux de fer, un Hôtel de ville tout neuf et par-dessus les toits rouges, la masse sombre de l'église Saint-Nicolas.
Ces onze cents habitants se sont fait bâtir un nouvel hôtel de ville dans le beau style ogival flamand—on restaure et on construit beaucoup en Belgique, de très importants monuments, et toujours dans le style national.—Donc, pas si endormis dans la tristesse, les habitants de Dixmude. Leur Hôtel de ville est pourvu d'un joli beffroi en avant-corps, avec bretèche ouverte, comme au Moyen-Age pour parler au peuple dans les grandes occasions, tumultes ou autres. Dans la Dixmude moderne, ces occasions doivent être rares. L'ensemble s'arrange très bien, avec un pignon Renaissance à gauche, le pignon sévère de la prison à droite et Saint-Nicolas, comme repoussoir en arrière.
Saint-Nicolas, vaste église à grosse tour gothique, est l'écrin sombre et rugueux d'un joyau de pierre follement sculpté, fouillé, tarabiscoté et fanfreluché sur toutes les lignes et sur toutes les coutures, en gothique tout ce qu'il y a de plus fleuri, fantastique dentelle pétrifiée ou guipure de pierre arrangée en jubé devant le chœur.
Le jubé de Dixmude est célèbre et mérite sa réputation, ses arcs en anse de panier, se doublent et se triplent de moulures festonnées et refestonnées, qui se découpent en trilobes, se relèvent et s'avancent en pointe pour porter des statuettes nombreuses; c'est extraordinairement compliqué et flamboyant, en contraste avec les lignes un peu rudes de l'église.
En tournant à l'extérieur de Saint-Nicolas, on peut voir sur des carrefours étroits des porches sous de hauts fenestrages, et une petite place arrangeant très pittoresquement de vieilles maisons avec un petit marché au poisson, en avant de l'abside et des pignons des nefs latérales.
Les petites rues n'offrent guère autre chose; de vieilles maisons bordent le canal, un superbe moulin de bois tourne à deux pas de la Grand'Place, mais il y a le béguinage. Ah! si la ville semble plongée dans le sommeil, le béguinage, petite cité dans la cité, bien enclose dans une enceinte particulière, c'est le royaume du Silence. Tout y semble figé et endormi depuis des siècles. Petits murs bordant les jardins, petites maisons entourant une petite place, petite église vieille, vieille, qui semble ratatinée et courbée vers le sol, petites ruelles tournant autour, tout est en briques peintes en blanc, avec une bordure de peinture noire en bas, soulignant tous les angles.
Pas un bruit, pas un souffle. Ce béguinage de petite ville, c'est du silence dans le silence: le feuillage des jardinets oserait-il remuer si le vent soufflait? Le ciel est bleu, il y a du soleil sur ces briques blanchies, ce n'est pas triste. Une forme noire passe sans bruit, lentement, c'est une béguine encapuchonnée, une bonne petite vieille trottinant doucement sous la cape de sa mante, une figure ronde et rose, mais toute plissée de rides, le menton et le nez tendant à se rejoindre. On lui donnerait plusieurs centaines d'années, elle doit dater de la fondation du béguinage, et peut-être est-ce Sainte Begga elle-même, fondatrice de l'ordre des Béguines, en tournée de surveillance.
Triomphe et mise à sac, la journée des Eperons d'or.—Rosebecke. Le Vieux Beffroi.—Un pont fortifié.—Le Béguinage.
Voilà une de ces grandes Communes batailleuses du Moyen-Age, Courtrai, restée ville importante, populeuse, trente-cinq mille habitants, industrielle comme jadis et continuant à tisser le lin de sa campagne. Vieille et célèbre ville qui eut aussi sa large part de malheurs, de sièges et de mises à sac, au cours des siècles, et qui ne s'en porte pas plus mal aujourd'hui.
Son histoire particulière est mouvementée, et en la prenant seulement au commencement du quatorzième siècle, il faut se rappeler qu'elle vit sous ses murs la chevalerie française écrasée à la bataille des Eperons d'or par les communes et les métiers des Flandres.
Ce fut la grande journée triomphale des milices communales des Flandres. Le roi de France, Philippe le Bel, venait conquérir le comté de Flandre, qui avait pris parti contre lui dans sa lutte avec l'Angleterre. Réunie au domaine royal, la Flandre eut un gouverneur. Visites royales aux villes annexées, joyeuses entrées, fêtes, la Flandre étonne par sa richesse et le luxe de ses riches commerçants. Mais les taxes et les exactions des garnisons françaises soulèvent les colères et les révoltes. En une nuit, Bruges égorge trois mille hommes, venus, disait-on, avec une provision de cordes achetées à Courtrai pour pendre les principaux bourgeois. Gand et Audenarde avaient fait de même pour les partisans de la France. Courtrai ne demandait qu'à suivre l'exemple, mais la petite troupe de Français en garnison dans son château se défendit furieusement et mit quelque peu le feu à la ville.
Une armée accourut de France, pour ruiner l'orgueil de ces vilains de Flandre. Elle comptait une nombreuse chevalerie sous le commandement de Robert d'Artois et du connétable Raoul de Nesle. Elle rencontra les Flamands sous les murs de Courtrai et engagea une de ces batailles féroces où, de part et d'autre, la haine et la fureur sont telles, que la lutte tourne vite au massacre.
C'était le 13 Juillet 1302. Toutes les milices et les corporations des grandes communes des Flandres étaient là, Pierre de Koninck et Jean Breidel avec quelques milliers de gens des métiers de Bruges, les hommes de Gand, d'Ypres, de Furnes et les soldats amenés par les barons flamands du parti national, en tout, trente mille combattants qui comptaient bien faire de nouveau un terrible usage de leurs fameux Goedendags ou Bonjours , les longs marteaux à pointes de fer qui leur avaient déjà si bien servi.
Les Flamands, pour se couvrir contre les charges de l'innombrable chevalerie bardée de fer, s'étaient rangés au milieu des prairies marécageuses dans la plaine de Groeningue, derrière des abattis d'arbres.
Au moment d'engager le combat, dans les rangs des Flamands, bourgeois et hommes de métiers réunis en masses serrées, des prêtres passèrent avec le viatique et donnèrent une absolution générale. La chevalerie française chargea à fond tout de suite, sans reconnaître le terrain, enfonça sous le choc les premières lignes, mais s'en alla se noyer dans des canaux et des marais recouverts de branchages. Alors la boucherie commença, l'égorgement de tous ces cavaliers enfermés dans leurs bardes de fer et écroulés sous leurs chevaux pantelants dans la boue du marécage.
Les Flamands, frappant comme des bûcherons, ou coupant des gorges comme des bouchers, avaient pour mot d'ordre de n'accorder aucun quartier, de ne recevoir personne à rançon. Six mille nobles gens d'armes périrent et des milliers d'autres combattants. Les Flamands recueillirent les éperons d'or de toute cette chevalerie, puis, dans la joie du triomphe, les mesurèrent au boisseau , pour les distribuer aux villes confédérées. Courtrai eut la grosse part et suspendit ces trophées aux voûtes de son église Notre-Dame.
Ces éperons d'or devaient attirer de terribles malheurs sur la ville. Quatre-vingts ans plus tard, lors des grandes luttes d'Artevelde et des Gantois pour les libertés des Flandres, une armée française, amenée par le duc de Bourgogne, écrasa les Flamands à Rosebecke, près Courtrai, le 25 novembre 1382, et pour achever de venger l'ancienne défaite, fonça dans Courtrai, décrocha les éperons d'or, et mit tout à feu et à sang dans la ville. Les infortunés bourgeois massacrés ou chassés, le duc de Bourgogne enleva l'horloge du beffroi avec la cloche et les Jacquemards qui sonnaient les heures, et fit placer le tout sur la tour de l'église Notre-Dame, à Dijon, où les Jacquemards flamands sont encore.
Du sac et de l'incendie, Courtrai se remit pourtant. Voici la Grande Place et le vieux beffroi isolé au milieu, dernier reste des Halles disparues. Il y a quelques années, il était encore tout enveloppé jusqu'à mi-hauteur de maisons sans caractère, et pourvu d'un avant-corps dix-huitième siècle à fronton qui ne lui allait guère. On l'a débarrassé de tout cela et il apparaît plus fier maintenant, sorti de sa gangue, avec les cinq flèches aiguës qui le couronnent. L'horloge est bien modeste pour une horloge de beffroi. On voit que Courtrai regrette toujours celle que Dijon détient.
L'Hôtel de ville, en face du beffroi, n'est pas très important. C'est un bâtiment du seizième siècle, long et étroit, à un seul étage de fenêtres régulièrement espacées, avec un tout petit clocheton sur le toit. La salle échevinale renferme une belle cheminée surchargée de petits sujets sculptés sur trois rangées, les statues des Vertus, les Péchés capitaux, des diableries sur le linteau, et, sous un dais au milieu du panneau, la statuette de Charles-Quint.
Une grande église dresse sa grosse tour sous un large porche au bout d'une petite rue du fond de la place. Ce n'est pas l'église aux Eperons d'or, c'est Saint-Martin, fondée par saint Eloi, reconstruite au quinzième siècle. Belle tour à gros contreforts se terminant en tourelles d'angle à combles effilés et renflés en poire, pour accompagner la flèche-campanile ardoisée, renflée de même au sommet.
Courtrai n'abonde pas en maisons intéressantes. Comme motifs pittoresques, après la Grande Place et ses entours, la ville n'a plus à offrir que le pont fortifié de Broel, l'église Notre-Dame et le béguinage. L'église Notre-Dame où furent apportés les éperons d'or de la bataille, a malheureusement été refaite au dix-huitième siècle, avec trop de placages, de marbres somptueux, trop de rococo; mais elle a meilleur aspect à l'extérieur, vue du béguinage, avec sa tour d'architecture rude et la grande chapelle qui flanque sa nef.
Le pont de Broel, par exemple, dernier reste de ses remparts, est un beau morceau. Au tournant de la Lys chargée de péniches, encadrée d'usines et de fabriques, s'aperçoit tout à coup sur la droite un vieux pont aux piles moussues, défendu à chaque extrémité par une grosse tour trapue trempant dans l'eau, masses cylindriques aux briques noircies par le temps; les brèches et les blessures de jadis ont été soigneusement bouchées: sous les hauts combles aigus, l'étage des mâchicoulis demeure intact, comme pour recevoir sa garniture de hourds en cas de siège.
C'est tout ce qui reste de l'enceinte reconstruite au quinzième siècle après les désastres. Au dix-septième siècle, dans les luttes contre l'Espagne, ces remparts furent assaillis et enlevés plusieurs fois par les Français, repris au dix-huitième et finalement démolis. Sous les arches étroites du vieux pont, les péniches, quittant les fumées des hautes cheminées, filent lentement à la queue leu leu, pour aller se perdre parmi les arbres bordant les prairies.
Le béguinage Sainte-Elisabeth est charmant, soigné, entretenu, d'aspect vivant, du moins sur la jolie place en entrant, où se dresse, au milieu d'une pelouse, une statue de dame Moyen-Age, représentant la comtesse Jeanne de Flandre, fondatrice de l'établissement en 1241. Toujours des petites maisons bien closes, blanchies à la chaux, avec bordure noire en bas, petits jardinets, petites portes numérotées avec guichets et statuette de Vierge au-dessus, quelquefois.
Au fond de la place, à côté de la chapelle, une belle maison flamande , en briques restées rouges et chaînes de pierre, à double pignon en gradins, porte la date de 1649. Tout autour, à droite et à gauche, des petites rues se faufilent, modestes et timides, entre les murs blancs.
Capitale mérovingienne.—La Cathédrale aux cinq tours. Le premier beffroi de Belgique.—Eglises et maisons romanes. Le Pont des Trous et la tour d'Henri VIII.
Il y a vieille ville et vieille ville. La très antique Tournai peut regarder de haut ses voisines, dont l'illustration date des quatorzième et quinzième siècles, et qui peuvent à grand'peine, en fouillant au plus profond de leurs archives, se vanter d'une mise à sac par les Normands, retrouver le nom d'un Baudouin au bras de fer , marquis de Flandre, ou d'un Baudouin à la hache . Que d'autres cités parlent de sièges soutenus contre les Espagnols du duc d'Albe, où les Français de Louis XIV, ce sont là des gens d'avant-hier. Elle les a connus, aussi, ceux-là, mais après bien d'autres, car elle peut se vanter d'avoir été assiégée et prise par César, ce qui se passait quelques siècles auparavant.
Alors que toutes ses voisines n'étaient pas même nées, ou peut-être à peine de modestes villages, elle était déjà cité importante, ville capitale de ces chefs francs qui ont abattu l'orgueil et la puissance de Rome, capitale de Clodion le Chevelu, de Mérovée, le vainqueur d'Attila, et de Childéric, père du grand Clovis, fondateur de la monarchie française, ce qui fait descendre directement le royaume de France du royaume de Tournai. C'est quelque chose pour Tournai.
Voilà donc un bon commencement d'histoire. Quelle belle suite d'annales les plus vieilles pierres des monuments peuvent se raconter en regardant passer le vieil Escaut. Et Tournai fut aussi une antique cité religieuse, siège d'un évêché, peu après Clovis, évêché qui, vers 530, eut pour pasteur saint Médard, évêque de Noyon et Tournai.
La gloire de Tournai, c'est sa cathédrale, l'église mère, avec son cortège d'églises nombreuses, dont les tours et les flèches font un imposant cortège aux cinq tours puissantes du vieil édifice.
C'est une grande ville, cette mérovingienne et religieuse cité; une ville industrielle, vivante et gaie. L'Escaut la partage en deux parties à peu près égales, et, tout autour, des boulevards plantés tiennent la place de ses anciens remparts, dont il reste pourtant quelques vestiges dormant sous les verdures, et un magnifique pont fortifié comme celui de Courtrai.
C'est vers la cathédrale romane, joyau monumental de Tournai, que l'on va tout d'abord, vers ce bouquet de tours qui s'aperçoit de tous les carrefours, par-dessus pignons et toits. Elle est immense et superbe, et révèle des aspects différents quand on tourne par les petites rues irrégulières autour de ses puissantes murailles et des édifices ou maisons accrochées à ses flancs. Cette fantaisie de plan dans la découpure des rues est un charme de plus et permet d'admirer le colossal monument sous tous les angles. Voilà une cathédrale qui n'est pas servie sur un plateau et vue d'un coup d'œil! Pourvu seulement qu'on ne la dégage pas trop: il y a d'inquiétantes démolitions en train!
Quatre tours carrées, légères et d'une belle envolée, montant très haut leurs combles aigus, et percées de quatre étages de hautes arcatures irrégulières, cantonnent une grosse tour centrale également carrée. Du côté du portail, sur une petite place presque fermée, un beau pignon s'élève, percé d'un triangle d'arcatures, qui suivent le rampant du gable, flanqué de deux légères tourelles. En avant, un petit porche gothique, semblable à une galerie de cloître, abrite un grand placage de sculptures seizième et dix-septième siècles, garnissant tout le bas du portail.
Ce portail est réuni à l'évêché par un bâtiment du douzième siècle, sur voûte formant passage pour la rue; on arrive par là à une curieuse petite place donnant sur le jardin épiscopal, où de grands beaux arbres balancent des bouquets de feuillage sous les vieilles murailles sombres.
Toute cette partie de l'église date des onzième et douzième siècles, quand on reconstruisit la cathédrale mérovingienne. Sur chaque flanc, s'ouvrent de petits porches romans d'un beau dessin tous deux, curieux par leurs colonnes à torsades, leur décoration rongée par le temps, où se distinguent des bestiaires, des zodiaques écorchés, mutilés, à demi effacés.
Aux parties romanes vient s'adjoindre un magnifique et très vaste chœur, dans le grand style ogival du treizième siècle, qui remplace le chœur roman incendié en 1213. Intérieurement, la cathédrale est superbe de grandeur religieuse, de majesté impressionnante, tout particulièrement dans les transepts terminés en absides rondes, avec de hautes arcatures, des galeries supérieures très claires, de hautes voûtes au centre sous la grosse tour. Un jubé de marbre de la Renaissance ferme le chœur, mais les monuments, tombeaux d'évêques, statues, etc., qui remplissaient l'église autrefois, sont peu nombreux, en raison des dévastations de la Révolution.
Ville religieuse où la cathédrale est le centre principal, Tournai n'a pas une Grand'Place bien importante comme dimensions. C'est une place triangulaire derrière l'évêché et la cathédrale, se prolongeant au fond vers un carrefour étroit sur lequel se dresse le beffroi municipal.
Celui-ci serait, dit-on, le plus ancien de Belgique; il est, à la base, contemporain de sa voisine, c'est-à-dire roman du douzième siècle, repris au treizième siècle.
Grosse tour isolée cantonnée jusqu'à mi-hauteur de tourelles dont les pinacles portent des statues, étages en retrait et campanile. Son second étage aurait remplacé au quatorzième siècle, le haut de la tour détruit par un incendie. On y plaça alors trois grosses cloches appelées: le Vigneron, cloche des réjouissances, le Timbre, cloche d'alarme, et la Bancloke, cloche d'appel suprême pour la défense de la cité:
«Bancloke suis, de commune nommée,
«Car pour effroy de guerre suis sonnée».
L'Hôtel de ville n'est pas là, il occupe à quelque distance, au milieu d'un vaste jardin, le bâtiment des abbés (dix-huitième siècle), de l'abbaye de Saint-Martin, rasée au temps de la Révolution.
Sur le côté de la Grand'Place opposé à la cathédrale se trouve l'ancienne Grand'Garde, aujourd'hui Musée, édifice de la Renaissance qui fut d'abord la Halle aux Draps. Quelques maisons anciennes la flanquent avec le pignon gothique de l'église Saint-Quentin dominé par son gros clocher ardoisé. Au centre de sa Grand'Place, Tournai a élevé une statue à une héroïne, Christine de Lalaing, princesse d'Epinoy qui s'illustra dans un siège soutenu en 1581, contre les Espagnols. La guerrière, revêtue d'une armure, brandit une hache. Statue de style un peu troubadour malheureusement.
En 1581, au plus fort des luttes contre l'Espagne, Tournai révoltée fut investie par l'armée du prince de Parme, Alexandre Farnèse. Le prince d'Epinoy, gouverneur de la ville, était allé rejoindre Guillaume d'Orange, emmenant une forte partie de la garnison. La princesse d'Epinoy, nièce du malheureux comte de Horn, décapité avec d'Egmont, s'enferma dans la place où il ne restait que peu de soldats et se défendit vaillamment.
Elle donnait de sa personne, pour encourager les habitants, et fut blessée au bras en combattant sur la brèche. Après bien des assauts repoussés, il fallut pourtant se rendre, mais elle ne capitula qu'à la dernière extrémité, obtenant de sortir avec les honneurs de la guerre, à cheval, à la tête de la garnison. Cela valait bien une statue.
De vieux témoins de ces assauts et de bien d'autres, avant et après, subsistent. La grosse tour d'Henry VIII par exemple, qui existe encore sur le petit bras de l'Escaut. Là était le château. En 1513, après la bataille perdue à Guinegate par l'armée de Louis XII contre l'Empereur et le roi d'Angleterre, Tournai, qui tenait pour la France, fut assiégée et prise par l'armée anglaise. Pour garder sa conquête, Henry VIII y construisit une forteresse, dont il reste une seule tour découronnée, énorme donjon rond qui trempe dans l'Escaut.
Le pont des Trous, sur le grand bras de la rivière, se découpe sur le ciel un peu mieux que cette masse de pierres. Ce n'est pas précisément un pont, car on n'y passe pas. C'est un rempart sur la rivière qu'il laisse filer par trois belles arches ogivales couronnées d'une galerie crénelée, entre deux grosses tours, carrées du côté de l'intérieur, rondes sur la campagne, un très beau morceau du treizième siècle, formant un superbe décor Moyen-Age, tout à fait le pendant du pont de Broel à Courtrai, en plus original, avec un fond de verdure qui se relie à une jolie promenade pratiquée sur les anciens fossés, où se voient encore quelques débris de murailles.
Louis XIV avait d'ailleurs rasé une partie des remparts du Moyen-Age pour rajeunir l'enceinte, après la rapide conquête de la Flandre en 1667.
Les églises de Tournai sont nombreuses, quelques-unes très intéressantes. Au premier rang, il faut placer Saint-Jacques, qui a son portail surmonté d'une très belle tour romane, revêtue de trois étages d'arcatures. L'église Sainte-Marguerite, possède aussi une belle tour du douzième siècle, terminée par un clocheton curieux; cette tour, dont la base se trouve cachée par des maisons, fait un fond de place pittoresque, en haut de la partie montueuse de la ville, derrière le Monument français , belle colonne élevée par la Belgique aux soldats français tombés au siège d'Anvers en 1832.
Quelques jolies maisons çà et là: rue du Four-du-Chapitre, une façade romano-gothique, à côté d'une vieille porte ogivale; rue de l'Hôpital, une maison à bas-reliefs du seizième siècle; ailleurs, le pignon de la maison des Brasseurs. Il y a plus vieux du côté de l'église Saint-Brice, un souvenir qui nous fait remonter bien des siècles. Côte à côte se dressent sur un carrefour deux pignons noircis à fenêtres romanes géminées, quelques-unes dénaturées.
Ce sont immeubles du douzième siècle, ce qui est déjà respectable, mais
une inscription rappelle qu'en 1653, en construisant une maison en face
de ces pignons romans, on mit à jour le tombeau du roi Childéric I
er
,
mort en son palais de Tournai en 481. Dans le sarcophage du père de
Clovis, on trouva un certain nombre d'objets très précieux, petit trésor
envoyé à Paris au cabinet des médailles de Louis XIV, sur lequel des
voleurs prélevèrent une forte part, mais dont il resta l'épée de
Childéric, quelques bijoux, des agrafes et des fibules.
A peu de distance du Tournai Mérovingien, le Borinage , le pays du charbon, étend ses plaines hérissées de montagnes noires, de hautes collines de scories, sur lesquelles planent comme des fumées de volcans. Mons, chef-lieu du Hainaut et du bassin houiller, parmi tous ces charbonnages, ces beffrois de mines, ces cheminées, n'est pourtant pas dépourvue de coquetterie.
Cette ville ancienne, mais qui se rajeunit, peut montrer une jolie Grand'Place avec un hôtel de ville du quinzième siècle, à campanile encadré de pignons briques et pierres, un beffroi du dix-septième siècle, à petites coupoles, tout en haut sur la colline d'où la ville tira son nom, puis une curieuse cathédrale, Sainte-Waudru, édifice gothique dont le portail trapu s'ouvre entre d'énormes contreforts qui lui font un peu la mine rébarbative d'une forteresse.
L'immense édifice des Halles.—La Grosse Tour et le Nieuwerk.—Tisserands et foulons.—La vieille Boucherie.—Pignons sur pignons.—Le Steen des Templiers.
Une ville grande et belle, de physionomie avenante et que l'on dit pourtant morte. C'est un cliché pour Ypres comme pour Bruges; le cliché tout à fait faux pour Bruges, semble un peu exagéré pour Ypres, qui montre encore les couleurs de la santé.
Pourtant, tomber de plus de deux cent mille habitants au Moyen-Age à moins de vingt mille de nos jours, c'est descendre fortement, mais la ville a toujours si belle apparence que l'on ne se trouve impressionné par cette décadence qu'à la réflexion, par un retour de pensée vers la cité bouillonnante et formidable des treizième, quatorzième et quinzième siècles, la ville aux citoyens peu endurants et batailleurs, comme ceux de Bruges et de Gand, les grandes voisines et rivales d'Ypres. Ypres fut la première ville des Flandres jusqu'à la fin du treizième siècle, avec deux cent mille habitants, quatre mille métiers, et il fallut les guerres du quatorzième siècle, les grandes luttes contre les Comtes, contre les Communes voisines ennemies quelquefois, et contre les rois de France, pour faire choir la ville au second rang, et, par la ruine de ses métiers, commencer sa décadence.
Mais quelle haute idée on prend de sa grande époque, quand on débouche sur la Grand'Place, devant l'énorme édifice des Halles, le plus colossal de tous ces monuments de la fierté communale dans les villes des Flandres, la plus formidable de ces forteresses des Guildes, des gens de négoce et de métiers, enclins à regarder en face les princes et les ducs, et toute la puissance féodale, et prompts aux colères quand leurs libertés étaient en cause.
Sur cette immense Grand'Place qui vit tant de fois des foules tumultueuses aux jours tragiques, l'énorme édifice des Halles aligne une longue façade à trois étages de quarante et quelques ouvertures, hauts fenestrages en ogives, galerie crénelée au-dessus et combles très hauts. Deux belles tourelles à flèches s'encorbellent aux extrémités. De hautes fenêtres à meneaux, éclairant l'étage supérieur, alternent avec des arcatures qui encadrent des statues de personnages historiques, comtes et comtesses de Flandre, illustrations de la ville, statues modernes, remplaçant les anciennes détruites par les armées républicaines de 93.
Au milieu de la façade, la grosse tour altière, le beffroi carré, monte à 70 mètres, ouvert de hautes fenêtres et flanqué sur les angles de tourelles octogonales à flèches, entourant le campanile à carillon dressé sur la plate-forme.
Commencée en 1200, la Halle aux draps, puisque telle était l'ancienne destination de l'édifice, fut après quelques interruptions, achevée en 1304. Le rez-de-chaussée aujourd'hui sert de marché, marché très pittoresquement installé sous les voûtes de briques. A droite sur la face orientale de ce bâtiment gothique, se trouve plaquée une charmante construction de la Renaissance, le Nieuwerck, d'une légèreté invraisemblable, entièrement porté sur une rangée de colonnes; l'édifice, tout en fenêtres, a deux pignons sur le côté, et un autre fort gracieux au milieu de la façade, percé d'une grande verrière éclairant l'ancienne chapelle des échevins. L'angle du Nieuwerck se relie à de vieilles maisons à pignons d'un beau caractère qui n'ont pas été dénaturées, comme malheureusement beaucoup d'autres de la Grand'Place, par exemple l'ancien hôtel de la Chatellenie, leur voisin.
L'intérieur des Halles est fort intéressant. La magnifique salle échevinale abandonnée après les dévastations de la Révolution, a été heureusement restaurée et outre sa superbe cheminée et ses peintures modernes on y peut admirer un côté entièrement revêtu de sa décoration ancienne retrouvée, présentant au-dessus de trois arcades ogivales, une série de portraits de comtes et comtesses de Flandre, peints de 1322 à 1468.
C'est dans la grande salle des Halles qu'apparaît surtout l'énormité de l'édifice. Elle tient toute la longueur de la façade, en deux parties coupées par la traversée du beffroi sous des arcades ogivales. C'est bien une halle, à la charpente apparente, en gigantesques poutres vieilles de près de sept siècles. Sur les panneaux entre les hautes fenêtres donnant sur la Grand'Place et sur le mur de face, on a entrepris une grande décoration historique, dont une partie seulement est exécutée, peintures très remarquables dues à MM. Pauwels et Delbecke, belles compositions historiques pour le premier, et curieux arrangements archaïques dans l'œuvre du second. Toutes les annales d'Ypres se dérouleront ainsi sur ces vieilles murailles si l'entreprise se poursuit: la place ne manque pas. Elle est si haute, cette grande salle, qu'on a pu y relever, dans une travée, la façade entière, pignon compris, d'une vieille maison de bois démolie en ville.
Il est, en face du robuste édifice communal, un autre bâtiment, en partie de la même époque, très intéressant. C'est la vieille Boucherie, ou la Halle aux viandes. Toutefois, si la partie inférieure est du treizième siècle, le double pignon à redans est postérieur. En bas, il est toujours occupé par les bouchers, qui ont une belle installation dans une salle à grosses colonnes, éclairée par deux étages de fenêtres. Au-dessus de la boucherie, l'étage supérieur est occupé par le Musée, ensemble de collections diverses: Beaux-Arts, Archéologie, etc... Le bâtiment donne par derrière sur une jolie petite place où les grands pignons de la Boucherie, les petits pignons des maisons voisines s'arrangent admirablement, dominés par la grosse tour des Halles.
Derrière les Halles, par-dessus le Nieuwerck, on a aperçu la haute nef et la tour d'une grande église. C'est la cathédrale Saint-Martin, édifice superbe et imposant commencé à la même époque que les Halles. Un beau portail du quinzième siècle s'ouvre dans le transept devant le beffroi; un autre beau porche dans l'axe de la nef est au bas de la Tour, gros clocher carré, très joli de lignes dans la décoration de ses hautes fenêtres.
L'intérieur est fort imposant. Pour l'admirer tout à fait, on se trouve un peu gêné par une fastueuse décoration d'autel en marbre noir et blanc, à colonnes romaines, surmontée d'une grande statue de Saint-Martin à cheval. Quoique les Réformés iconoclastes aient passé par là, il reste dans l'église bon nombre de tableaux et de monuments. A côté des tombeaux d'évêques qui sont dans le chœur, on ne manque pas de signaler au visiteur une simple dalle devant l'autel, avec une croix gravée et une date, 1638. Cette pierre recouvre la dépouille mortelle de Cornélius Jansénius, dont la doctrine suscita tant de querelles au dix-septième siècle, querelles mal éteintes d'ailleurs. Evêque d'Ypres, Jansénius mourut de la peste au milieu de ses ouailles qui le vénéraient pour ses vertus et sa charité.
Sur le côté de l'église, dans les constructions de l'ancienne abbaye de Saint-Martin, un cloître sommeille, galerie d'arcatures légères, fort simple, mais d'un bel effet. Sur tout le pourtour de Saint-Martin, solitaire et silencieux, ce sont des perspectives mouvementées ou des fonds de tableaux bien composés, avec le gros massif des Halles, la voûte sombre et la cour dans le beffroi, le joli pignon du Nieuwerck, la façade de la petite conciergerie qui était jadis le local des festins de messieurs les Echevins. Abandonnée, la salle des festins! déserte, la rue Jansénius, un peu triste comme son nom; abandonnés, l'abbaye et les bâtiments des chanoines, et aussi l'ancien évêché, qui sert maintenant de Palais de justice...
Deux siècles d'extraordinaire prospérité avaient fait d'Ypres la première cité des Flandres. Ses tisserands et ses foulons, outre qu'ils avaient acquis renommée d'excellents ouvriers en draps et étoffes de belle et honnête qualité, se montraient aussi de solides soldats pour la défense des droits et libertés de la ville. Organisés par métiers et compagnies, accourant sous leurs enseignes et bannières particulières au premier coup de cloche du beffroi, combien de fois la Grand'Place les a-t-elle vus réunis pour les fêtes, les cérémonies, les joyeuses entrées, ou pour alarme de guerre, soit pour courir aux murailles attaquées, soit pour marcher sur un ennemi extérieur, soit même en temps de séditions, pour renverser quelque mayeur, quelque échevinage, jugé tyrannique.
Deux siècles encore et cette haute fortune s'écroula. Il fallut les désastres des sièges, des guerres, des révolutions religieuses, les ravages des incendies et des pestes...
La Réforme amena ses furies et ses dévastations d'édifices religieux, puis la répression par la main sanglante du duc d'Albe, et la tyrannie espagnole. Mais, de toutes ces calamités, d'autres villes eurent leur bonne part aussi, qui survécurent à tous les désastres. Est-il histoire plus tragique et plus rouge que celle de Gand, l'heureuse rivale d'Ypres? Trouve-t-on beaucoup de villes qui aient autant de bouleversements, de flammes et de massacres, dans leur passé? Et Gand a surmonté les épreuves, elle est restée la grande cité prospère et populeuse, tandis que le déclin d'Ypres ne s'est pas arrêté. Affaire de chance ou seulement de situation géographique.
Les ravages de la peste à la fin du quinzième siècle et au milieu du seizième furent terribles pour Ypres. La première fois, quinze mille personnes périrent; en 1553, la maladie enleva le tiers de la population.
Au temps de la révolte des Provinces-Unies contre l'Espagne, la décadence de la ville déjà commencée s'accentua. Deux fois les réformés l'occupèrent et dévastèrent les églises. Ils y furent assiégés par Alexandre Farnèse pendant sa victorieuse campagne de 1583, et retinrent les Espagnols devant les remparts jusqu'au printemps suivant. Quand la ville affamée, à bout de forces, capitula, il restait cinq mille habitants dans les ruines.
Et d'autres alertes, sièges et bombardements l'attendaient au cours des siècles suivants. Elle devait voir les armées de Condé, de Turenne, celles de la Révolution ensuite...
Une bonne partie des remparts du dix-septième siècle existe encore au sud et à l'est de la ville, avec leurs fossés, encadrement pittoresque pour la vieille cité. Vieux remparts bas sur lesquels ont poussé les grands arbres, fossés larges comme des étangs, une eau tranquille pleine de roseaux et de nénuphars, reflétant les gros bastions ébréchés, au revêtement piqué de broussailles et de fleurs. Par-dessus les brèches, quelques pignons de hautes maisons ou la flèche de quelque église, le beffroi au loin, par-dessus les toits: calme et silence partout.
Une des portes subsiste entre les deux tours rondes. C'est la porte de Lille, au bout de la rue la plus importante de la ville. Il y a de bien jolis fonds de tableaux dans toutes ces rues petites ou grandes, où toujours quelque haute et noble construction parle de l'ancienne Flandre: rutilante façade de briques moulurées, décorée suivant la mode gothique ou le goût de la Renaissance, maison de Corporation, local d'une Guilde disparue, logis de vieille bourgeoisie sur une rue vivante, ou bien, au fond de quelque ruelle étroite et grise, vieux pignon noirci et renfrogné, à portes et fenêtres closes, qui semble se remémorer dans l'éternel silence planant sur le pavé herbeux, des histoires de l'ancien temps que lui seul connaît encore, lui seul et le vieux beffroi.
Il y a des ruelles filant entre des maisons d'un pittoresque dessin, se coulant sous des voûtes ornées de quelque Vierge dans une niche, avec une vieille lanterne au bout d'une potence de fer, des ruelles zigzaguant entre des murs de jardins, passant et se perdant en quelque terrain vague, sur quelque place irrégulière et montueuse, visiblement ancien cimetière supprimé, devant quelque chapelle ou quelque église...
Dans cette rue de Lille qui fait face au beffroi, se voient de nombreuses façades intéressantes. D'abord, dès l'entrée, l'hospice Belle, grand pignon éclairé par une large verrière ogivale; de chaque côté de la verrière, une niche Renaissance datée de 1626 encadre une statue agenouillée: Salomon Belle à gauche, Christine de Gimes, sa femme, à droite en costume dix-septième siècle, fondateurs de l'hospice au treizième.
Un peu plus loin, du même rang, c'est une haute construction à tourelles, la maison des Templiers, Steen ou maison forte, vue et dessinée déjà il y a quelques années, à l'état de ruine presque, aujourd'hui rétablie, restaurée et agrandie. On l'appelle Maison des Templiers par tradition, sans qu'il soit bien prouvé qu'elle eût jamais appartenu à l'ordre. C'était, en tout cas, un vieux logis de mine rébarbative.
La ville d'Ypres l'a restauré et en a fait un bureau de poste. La façade a été plus que doublée, elle n'avait que trois fenêtres, il s'en trouve maintenant sept, deux étages de sept belles fenêtres ogivales à meneaux et roses, avec galerie crénelée au-dessus, entre deux fines tourelles.
Pour une ville en décadence, à faible population et sans grande industrie, par conséquent sans gros budget, c'est assez joli, ce souci des vieux souvenirs, ces restaurations soignées, ici et aux immenses Halles, ces maçonneries et aussi la grande décoration historique entreprise!
Tout au bout de la rue de Lille, on peut voir une construction plus modeste, dernier échantillon des maisons de bois du Moyen-Age remplacées par des bâtisses en briques. C'est un pignon en ogive extrêmement simple, en charpente dont les remplissages hourdés sont complètement revêtus de planches sans la moindre décoration.
Un peu en avant, deux édifices religieux se font presque vis-à-vis. L'un, petit hospice Saint-Jean ou Sainte-Godeliève, hospice de veilles femmes, laisse entrevoir son joli clocheton au fond d'une impasse, l'autre, l'église Saint-Pierre, remarquable surtout par son vieux clocher, tour robuste, puissamment épaulée d'énormes contreforts et percée de belles fenêtres romanes.
Des façades de grand caractère, il y en a dans toutes les rues. Dans la rue des Chiens, c'est l'hôtel de Gand à double pignon; rue de Dixmude, un magnifique pignon complètement revêtu d'une belle broderie ogivale encadrant toutes les ouvertures, et portant en ancres de ferronnerie la date de 1544. Plus loin, un pignon treizième siècle, avec statues dans des niches très décorées.
Au Marché au bétail, groupe d'anciennes maisons de Corporations gothique et Renaissance, ornées également de sculptures, médaillons, bas-reliefs avec vaisseaux voguant à pleines voiles. Hélas, hélas, pauvres corporations, votre course est faite! Et pourtant le dix-huitième siècle construisit encore dans Ypres des morceaux intéressants. Le Marché au poisson, dans la rue au Beurre, a un portique d'entrée daté de 1714 qui est un frontispice d'une belle allure décorative. On a campé dans un immense bas-relief au-dessus de la porte, un grand Neptune, le trident à la main, conduisant un char rococo au milieu des flots, sous un fronton sommé de l'écusson d'Ypres entre deux gros dauphins.
Dans un cadre de grands arbres, sur la vaste esplanade demeurée avec une partie du rempart, près de la gare, se dresse la perche de la compagnie d'archers de Saint-Sébastien. Partout dans le pays flamand, sur un tertre devant chaque village, au-dessus des toits rouges, apparaît la perche du tir à l'oiseau, de même que dans l'Artois et la Picardie jusqu'à Compiègne, c'est la galerie et les deux petits abris pour la cible et pour les tireurs.
Les compagnies de Chevaliers d'arc et les confréries de Saint-Sébastien, en Flandre ou en Picardie ont même origine. Constituées depuis des siècles, elles durent toujours, malgré toutes les transformations. Elles ont combattu souvent dans des rangs opposés, les archers picards se sont distingués à Bouvines et dans les guerres contre l'Anglais, les archers flamands avec les piquiers des Métiers ont à leur compte de rudes prouesses dans les guerres du quatorzième siècle. Bien qu'une confrérie de Saint-Sébastien soit un archaïsme à notre époque de fusils portant à 6 kilomètres, l'arc des ancêtres, l'arme préhistorique n'est pas abandonnée. Il est bon de s'accrocher le plus possible à ce qui subsiste des vieilles traditions. Le passé n'est pas tout à fait mort.
Modernisme et Moyen-Age.—Deux burgs, château des Comtes et château de Gérard le Diable.—Le Cloître de Saint-Bavon.—L'Homme du Beffroi.—Les métiers.—Les Artevelde et les «vaillantes gens de Gand».—Marguerite l'Enragée.
Ypres, c'est le passé révolu, une armure vide, une magnifique carcasse de grande cité éteinte. Bruges, c'est la beauté, Bruges la Belle au canal dormant, une belle endormie qui se réveille et veut vivre comme autrefois d'une vie active et travailleuse, sans pourtant cesser d'être belle. Gand, c'est la ville de lutte et de travail, ville rude et ville d'art pourtant, ville d'histoire superbe et mouvementée, débordant d'usines et de fabriques, remplie aussi de grands monuments de toutes les époques, ville de passé et de présent, citadelle démocratique, qui tient cependant à tout aussi soigneusement conserver toutes les vieilles pierres, toutes les épaves des siècles lointains, que les modernes institutions et les édifices utilitaires d'aujourd'hui.
Ville ultra-moderne, il n'y a pas à en douter devant ses grandes voies semblables à des boulevards, sa rue de Flandre, son mouvement de tramways, de haquets, de camions, de foules grouillantes,—devant ses canaux encombrés de barques, de péniches chargées,—devant l'immense développement de ses faubourgs usiniers l'entourant de plusieurs cercles de cheminées aux fumées tourbillonnantes. Ville serrée et profonde, entassement de maisons que l'on sent, quand on les regarde du haut du donjon des Comtes, remplies comme des ruches qui vibrent et bourdonnent, d'une population agissante, toute à l'action, aux affaires, au commerce, aux besognes de l'industrie. Ville de traditions fortes et fière de son passé aussi, comme on s'en aperçoit au pieux respect qu'elle marque pour ses vieux monuments, sa cathédrale, son beffroi, ses églises, ses châteaux,—car il y a des châteaux de la plus rude féodalité, au cœur de cette vieille forteresse des guildes et des gens de métiers.
Gand est une ville de canaux; il y en a presque autant qu'à Bruges l'ancienne rivale, presque autant d'eau coulant à travers les quartiers, bras divers de l'Escaut, méandres de la petite rivière, la Lys, qui va se jeter dans l'Escaut quelque part en ville, du côté des ruines de Saint-Bavon, nombreux bassins de tous les côtés, dérivations compliquant une topographie déjà très embrouillée. Mais au lieu de se borner à refléter des architectures, maisons de briques ou monuments, au lieu de n'avoir qu'à flâner et dormir sous des verdures de jardins, toutes ces eaux travaillent, polluées par la poussière de charbon, les eaux noires des usines; ce n'est pas le silence doucement mélancolique des canaux de Bruges, troublé seulement par le battement d'ailes d'un cygne ou la cloche grêle d'un béguinage, ce sont les grincements de chaînes, les grands halètements de vapeur, les coups de sifflet, et les ronflements de machines.
Les boulevards modernes, les grandes rues nouvelles aux somptueuses façades, aux étalages luxueux, devanture de ville moderne qu'on trouve partout, vous ont bientôt jeté au cœur de la vieille cité. Le rideau est tout de suite tiré et le passé se dresse brusquement, à deux pas,—disons à une portée d'arbalète de la gare,—avec le château de Gérard le Diable qui touche à la cathédrale de Saint-Bavon, laquelle fait face à la Halle aux draps et au Beffroi communal; celui-ci est presque contigu à l'Hôtel de ville et tout à côté, dans un cercle étroit, on peut voir par-dessus les toits, les autres édifices principaux, Saint-Nicolas, Saint-Jacques sur le Marché du Vendredi et la masse noire et blanche du Château des Comtes.
C'est toute l'histoire et la vie de la grande cité dans un très petit espace et les grandes figures de cette histoire si troublée s'évoquent toutes seules, les comtes des premiers temps, les chefs gantois, les Artevelde, Jacques et Philippe, Charles le Téméraire, sa fille, la pauvre Marie de Bourgogne, l'empereur Charles-Quint, né à Gand, le terrible duc d'Albe que les Réformés appellent le Bourreau des Flandres . C'est la naissance de Gand, entre le Château des Comtes et l'abbaye de Saint-Bavon, c'est la formation de l'industrie gantoise, les premières corporations, la charte de franchise octroyée en 1178 par Philippe d'Alsace, comte de Flandre, constructeur en 1180 du vieux château, c'est l'organisation des métiers et l'interminable suite de luttes, de soulèvements, d'émeutes et de massacres, de révoltes et d'écrasements, la résistance de l'indomptable fourmilière gantoise, et, après chaque défaite, la reprise obstinée de l'offensive contre toute domination, contre l'aristocratie bourgeoise, contre les rois de France suzerains de leurs Comtes, contre la maison de Bourgogne, contre l'Espagne de Philippe II.
Gand fut d'abord une bourgade formée au confluent de la Lys, sous les murailles de l'abbaye de Saint-Bavon, bourgade qui s'étendit peu à peu entre l'église et le château des Comtes. Dès le douzième siècle, Gand est déjà grande ville et son industrie de la draperie, son commerce lui ont apporté la richesse.
Le château des Comtes, comme nous le trouvons aujourd'hui est une exhumation. Il y a vingt ans, qu'en voyait-on? Rien que la porte noire, d'aspect si farouche, serrée entre deux banales maisons qui léchaient de leur fumée les créneaux de ses deux tourelles dépassant le toit.
Le reste était invisible, emboîté dans les bâtisses quelconques, l'intérieur abîmé par des usines, une filature. Après des siècles de grandeur l'abandon était venu, puis la ruine. Vendu à la Révolution comme bien national à un sieur Brisemaille, joli nom pour un démolisseur, on avait taillé dedans, abattu, mutilé. La ruine et la destruction s'acharnaient depuis cent ans sur le manoir féodal. Flux et reflux. Une époque démolit, ensevelit, recouvre. C'est presque l'oubli. Une autre découvre, débarrasse la ruine des constructions parasites accumulées, enlève les décombres, relève et restaure, et c'est un édifice admirable qui réapparaît au grand soleil pour la gloire de la ville.
Le vieux burg est superbe, maintenant que sa restauration est presque terminée, que son enceinte est complètement dégagée, que par-dessus les tourelles le vieux donjon remontre les créneaux de sa plate-forme; c'est véritablement une apparition extraordinaire au cœur de la ville que ce grand château, fantôme de pierres sorti récemment du tombeau. Un Carcassonne flamand de l'époque romane, debout sur les restes d'un autre château de deux siècles plus ancien.
Cette enceinte ovale, avec une pointe pour le Châtelet d'entrée, trempant par un côté dans l'eau de la Lys, compte une trentaine de tours ou tourelles demi-rondes d'une forme particulière, portées chacune et encorbellées au moyen de trompes sur un gros contrefort, et regardant la ville par de larges créneaux auxquels on a rendu leurs volets de bois. Dans le Châtelet d'entrée, la porte ouvre sa voûte noire entre deux tourelles octogonales; au-dessus de la voûte l'inscription de fondation Anno Incarnationis MCLXXX est gravée dans un quatre-feuilles sous une fenêtre en forme de croix.
Un chemin de ronde fait le tour de l'enceinte de tourelle en tourelle. Au milieu s'élève le gros donjon, masse barlongue soutenue de puissants contreforts portant des tourelles, et entourée de diverses constructions. On a pu dégager certaines salles, des chambres, des galeries gothiques, rétablir même la grande salle supérieure.
Abandonné au quatorzième siècle par les Comtes, qui s'en allèrent habiter en ville un autre palais, «la Hoften Wale », la Cour du Prince, aujourd'hui détruit, le château fut alors affecté à divers services, le Tribunal du Comte et le Conseil de Flandre à partir du quatorzième siècle.
La belle grande salle d'en haut, dans le gros donjon central du château, continua à servir en des occasions solennelles pour des fêtes et des cérémonies; après celles des Comtes, celles des ducs de Bourgogne, banquets de la Toison d'or, réceptions d'ambassadeurs. Les Cours de justice fonctionnèrent ici pendant des siècles; à côté des salles de justice, se trouvaient les locaux-annexes obligés, le cachot et la salle de la question; les arrêts de mort s'exécutaient sur la petite place devant le Châtelet d'entrée, et Dieu sait s'il y en eut à certaines époques particulièrement sombres de la vie gantoise.
Du haut de ce Châtelet, on a une jolie vue sur la place Saint-Pharaïlde et son groupe de curieuses vieilles maisons, si bien découpées sur le ciel, avec les trois tours, Beffroi, Saint-Bavon et Saint-Nicolas, surgissant de la masse des toits, en arrière.
Voici, en prolongement de ces vieilles maisons, devant les tourelles trempant dans le canal, une très jolie chose qui n'a rien de la sévérité du vieux burg roman, le portique d'entrée du Marché au poisson, c'est-à-dire des colonnes et pilastres à bossages vermiculés, des chapiteaux ioniques en queues de poissons, des impostes encadrées de dauphins; au fronton, une grande statue de Neptune debout dans son char, sur le côté, grandes figures nues de l'Escaut et de la Lys symbolisant la pêche en mer et la pêche en rivière.
Le second burg de Gand, le Steen de Gérard le Diable, est d'un siècle plus jeune que celui des Comtes, il fut construit au treizième siècle par Gérard dit le Diable, châtelain de Gand. C'est un très gros morceau d'architecture, restauré aussi de nos jours, une puissante masse de bâtiments baignée à sa base par un petit bras de l'Escaut. Haut donjon carré, tourelles, longue façade éclairée par un étage de hautes fenêtres ogivales et par un autre de baies jumelles, renfermant de grandes salles et, au-dessous, une belle crypte aux voûtes soutenues par trois rangs de colonnes. L'excellent Guide archéologique de Gand nous apprend que le château de Gérard le Diable, devenu propriété de la ville, fut, à l'époque héroïque, l'arsenal des citoyens, puis prenant une destination plus pacifique, devint couvent, école, hospice d'aliénés, asile d'orphelins, séminaire même, et, pour finir, de nos jours dépôt des archives de la Flandre orientale.
Les plus anciennes pierres de Gand sont, avec celles du Château des Comtes, les restes de l'abbaye de Saint-Bavon, les arcades romanes accolées aux galeries gothiques, les cryptes et la tour octogonale du cloître, qui était le Lavatorium des moines au rez-de-chaussée, avec petite Chapelle à l'étage. Cette antique abbaye fondée au septième siècle par saint Amand et saint Bavon, montre encore des restes importants, malgré les destructions de Charles-Quint, rasant un vaste espace et construisant une forte citadelle pour maintenir des sujets trop prompts aux révoltes, destructions continuées par les Réformés.
La citadelle de Charles-Quint a disparu, le cloître reste, et c'est un coin de solitude charmante parmi toutes ces vieilles pierres, ces colonnettes romanes enveloppées dans le feuillage, habillées de lierre, avec les trous sombres des galeries intérieures traversées de rayons de lumière.
L'ancien réfectoire des moines abrite un musée lapidaire; tous les débris intéressants pour l'histoire de la ville y ont trouvé asile: pierres tumulaires, fragments de sculptures, pinacles, colonnettes, etc. Le morceau important de ce musée c'est la statue célèbre provenant du beffroi de la ville, l'Homme du beffroi , un de ces rudes compagnons des métiers, qui firent si tragiques les annales de leur ville, figure précieuse pour le costume et l'armement. Debout sur un massif de pierre dans un angle de la salle, l'Homme du beffroi regarde tous ces débris et songe aux luttes du passé, aux triomphes et aux revers populaires, aux révoltes, aux chefs portés sur le pavois, puis renversés, à Jacques van Artevelde massacré, et à son fils Philippe, écrasé avec les milices gantoises à la bataille de Rosebecke.
Le vieux beffroi de Gand n'est arrivé malheureusement à notre époque que mutilé et abîmé; toute la partie haute, le campanile à flèche, est une construction en faux gothique de 1853 . Seule est contemporaine de la grande époque la tour sombre et hautaine, jusqu'à la galerie crénelée aux quatre tourelles, d'où l'Homme du beffroi, le vieux Communier, est descendu récemment, le dernier des quatre qui jadis veillaient aux quatre côtés de l'édifice.
A la pointe vire au vent un énorme dragon de cuivre doré: ce n'est pas une simple girouette, ce dragon, c'est un personnage qui plane depuis plus de cinq cents ans sur les toits de la ville. On racontait jadis qu'il avait été enlevé par les Brugeois, lors de la prise de Constantinople à l'une des églises de la ville, et conquis sur Bruges par les Gantois, mais il paraît que la tradition est controuvée et qu'il est de fabrication gantoise, placé là au quatorzième siècle.
Le beffroi fut achevé au commencement du quatorzième siècle. La grosse cloche placée en 1314 s'appelait Roeland, elle portait en ceinture cette fière inscription en vers flamands:
«Mon nom est Roeland.
«Quand je tinte, c'est l'incendie.
«Quand je sonne, c'est la tempête dans la Flandre.»
Elle sonna souvent, car la tempête rugit de nombreuses fois dans la Flandre des quatorzième et quinzième siècles, quand son tocsin appelait aux armes les métiers, alors qu'il y avait à Gand deux cent cinquante mille habitants, cinquante mille ouvriers en laine, cinquante-deux guildes diverses; les métiers, fortement constitués, organisés en compagnies, en décades équipées et armées, chaque homme devant posséder son harnais de guerre. L'appel de la grosse cloche devait les jeter tous en moins d'une bonne heure sur la place du Marché.
Les corporations se décomposaient en plusieurs classes, en grands et en petits métiers, chaque classe possédant ses droits, et ses franchises; les corporations supérieures étaient les guildes de franc négoce , c'est-à-dire les guildes des marchands de draps de laine, des marchands de toiles, des merciers et des brasseurs, corporations bourgeoises jouissant de privilèges particuliers, très fières et presque fermées, ou du moins d'une accession voulue difficile. Et les autres corporations qui formaient la grande masse, les guildes ouvrières se trouvaient forcément assez souvent en opposition d'intérêts avec les guildes marchandes.
L'énergie de toutes ces corporations artisanes s'était déjà montrée maintes fois, et les Comtes de Flandre, pour se faire, de ces rudes compagnons des métiers, des alliés dans leurs luttes avec le suzerain, les avaient soutenus contre l'aristocratie communale des corporations marchandes, et en retour, les communes ne marchandèrent pas le secours de leurs bras aux Comtes.
En 1297, l'Angleterre alliée de la Flandre ayant abandonné la cause du comte Guy de Dampierre, pour conclure avec Philippe le Bel un accord particulier, les soldats anglais, au moment de quitter Gand, songèrent à piller l'ancien allié, pour ne pas rentrer chez eux sans quelque butin. Croyant avoir bon marché de tous ces bourgeois et artisans, ils se jetèrent inopinément sur la ville, mirent le feu en divers quartiers et se ruèrent au pillage.
Mais les gens des métiers, sans s'effrayer, coururent aussitôt aux armes, les compagnons, à la hâte, endossèrent le haubert, prirent leurs piques et leurs goedendags ; les Anglais assaillants furent assaillis, repoussés, traqués, sept cents routiers avec plus de trente chevaliers tombèrent assommés et le reste n'échappa que difficilement au massacre, jeté hors de la ville avec le roi Edouard lui-même, sauvé à grand'peine par les seigneurs flamands.
Sans alliés désormais, la Flandre allait avoir à faire face à l'armée formidable de Philippe le Bel. «Flandre au lion!» le vieux cri retentissait d'un bout à l'autre du pays. Le lion aurait à montrer des griffes solides pendant une terrible période, et le tocsin du beffroi aurait à appeler bien souvent les métiers de Gand aux armes.
De là-haut, vieux Communier du beffroi, maintenant retraité à Saint-Bavon, tu les as vus tant de fois accourir aux mauvais jours, quand la tour vibrait sous les coups de la Roeland et que frétillait d'aise sur sa pointe le dragon de cuivre. Combien de malheurs ont été amenés par les accès de colère des métiers, leur facilité à s'émouvoir, à courir aux armes et à s'en servir, par leurs imprudences aussi ou leurs haines jalouses, leur promptitude dans les troubles à occire leurs magistrats ou leurs chefs sur de simples soupçons. D'ailleurs, ne rencontre-t-on pas assez souvent dans les musées archéologiques de ces vieilles cités, des armes, épées ou marteaux, ayant servi aux jours de rumeur à dépêcher tels ou tels échevins ayant cessé de plaire ou tels fonctionnaires du prince. Dans cette Flandre si riche et si forte, dans ces démocraties soupçonneuses et rudes, on avait la tête chaude et le bras prompt. Pour les corps de métiers les intérêts du commerce particulier ou de la corporation primaient tous les autres.
Regarde, Homme du beffroi, regarde passer le puissant chef que les métiers se sont donné, le grand Jacques van Artevelde que Bruges, Ypres et Gand confédérés ont fait Ruwaert ou régent de Flandre. Malgré le comte, il a jeté la Flandre dans l'alliance anglaise contre la France. Il est chef de guerre et conduit les Flamands à la bataille sur terre et sur mer. Jours brillants, mais jours tragiques bientôt.
Regarde maintenant, Homme du beffroi. Les gens des métiers soupçonnant Artevelde d'en vouloir aux libertés du pays ont retourné contre lui leurs fureurs, le Ruwaert Artevelde, poursuivi par les cris de mort est traqué dans sa maison, assiégé et massacré à coups de hache, comme il cherche à gagner l'église voisine, lieu d'asile qui n'eût peut-être pas été inviolable.
Jacques van Artevelde, à la fois homme de discours et homme d'action, tribun et capitaine, était pourtant l'idole des Gantois que sa parole entraînait et fanatisait. Gentilhomme, élevé à la cour de France, il était revenu à Gand, s'était fait inscrire à la Guilde des Brasseurs: la commune bourgeoise dirigée par trente-neuf échevins bourgeois, était devenue commune populaire, entre les mains des chefs des métiers, ennemis des « Léliarts », ou gens du Lys, c'est-à-dire de la haute bourgeoisie restée du parti de France. Artevelde fortifia l'organisation des gens de métiers astreints au service militaire de quinze à soixante ans; à sa voix se forma une sorte de confrérie militaire, un corps de gens déterminés, les Chaperons blancs , avec lesquels il fit peser une vraie dictature sur la ville de Gand et sur les villes alliées, Ypres, Bruges, où le parti populaire avait également saisi le pouvoir.
Le commerce ayant pris une extension considérable grâce aux avantages commerciaux consentis par l'Angleterre, les métiers prospéraient, mais cela n'allait pas sans rivalité ni sans haine de métiers à métiers, pour des raisons économiques, des questions de concurrence ou de salaires et ces haines amenaient des batailles et des massacres.
Sur la Place du Vendredi, forum de la cité, il y eut nombreux tumultes et même, un jour, en 1345, bataille rangée entre foulons et tisserands qui laissèrent cinq cents cadavres sur le terrain, et une autre fois, peu après la mort d'Artevelde, à l'entrée du comte Louis de Male, on y vit une tentative de résistance populaire, au cours de laquelle six cents tisserands furent massacrés par les bouchers et les foulons.
Les tempêtes ne cessèrent de souffler sur la Flandre pendant ce quatorzième siècle. En 1379, c'est une révolte générale des Gantois, à propos de la permission accordée à Bruges de creuser un canal qui devait lui rendre plus facile l'accès de la mer; les Chaperons blancs assaillent le bailli du comte, et brûlent les châteaux des nobles. C'est bien la tempête. Soixante mille communiers vont assiéger Audenarde où les nobles se sont réfugiés. Deux ans de luttes, de batailles. Après des revers, les Gantois mettent à leur tête Philippe Artevelde, fils du grand Artevelde, homme de «tres bel langage» aussi, comme dit le chroniqueur,—ainsi que doivent être d'ailleurs par tout pays toutes les idoles des foules.
La guerre embrase toute la Flandre. C'est l'invasion d'une grosse armée française commandée par Charles VI et ses oncles, marchant sur Bruges pour la reprendre aux Gantois. Artevelde attend l'armée féodale à Rosebecke où tout va se décider dans un effort suprême, mais la chevalerie vengeant la journée des Éperons d'or, écrase l'armée des Communes. Ainsi qu'à la même époque dans les guerres des républiques italiennes autour du Carroccio de Florence, «les vaillantes gens de Gand», comme dit Froissart, se sont liés les uns aux autres pour ne pas reculer. Carnage horrible, en une heure et demie de bataille, les bataillons des Communes rompus, il y a vingt mille cadavres de Flamands entassés et, parmi eux, Artevelde.
Il a vu tout cela, le vieux Communier du beffroi, il en verra bien d'autres.
Sous les princes de la maison de Bourgogne, la prospérité revint avec le calme. Ce sont alors fêtes et tournois, entrées de princes, concours d'arbalétriers, chapitres de la Toison d'or; partout, grand déploiement de faste et de richesses. Au milieu du siècle, cela se gâte de nouveau. Après une série de troubles, les Gantois se mettent en pleine révolte contre le duc Philippe le Bon, ils lèvent trente mille combattants, s'emparent de quelques places fortes et vont encore mettre le siège devant Audenarde.
De ce siège qui finit mal pour les Gantois, il reste un souvenir sur une petite place à côté du Marché du Vendredi, c'est le gros canon «Dulle Griete» ou Marguerite l'Enragée , du nom détesté d'une comtesse Marguerite de Flandre, du treizième siècle.
C'est, posée sur trois supports, une belle et forte bombarde qui déjà avait servi contre Audenarde, en 1382, avec Philippe Artevelde. Cette fois, les Gantois, qui espéraient, avec leur nombreuse artillerie, emporter vivement la place, ne purent même pas ramener Marguerite l'Enragée et s'en servir pour défendre leur ville, quand leur tour vint d'être assiégés et il leur fallut attendre plus d'un siècle, jusqu'en 1578, pour parvenir à reprendre la vieille bombarde.
Alors se reforma la Confrérie des Chaperons blancs et avec eux parut une autre bande aussi déterminée, les Compagnons de la Verte-Tente. Ceux-ci, toujours en avant dans les sorties, dans les expéditions, tentèrent même, un jour, d'enlever la duchesse de Bourgogne à Bruges.
Quinze mois de batailles et de carnages s'ensuivirent, jusqu'à la soumission.
C'est Charles le Téméraire maintenant qui est leur duc, et l'on voit à peine quelques tentatives de rébellion, réprimées par la dure main du maître, mais à sa mort, explosion soudaine. La jeune duchesse Marie, fille du Téméraire, se trouvait à Gand lorsque éclata l'insurrection; les conseillers de Charles, le chancelier Hugonnet, le sire d'Humbercourt, Jean van Mele, trésorier de la ville et quelques autres furent jetés dans les cachots du Château des Comtes. Les Métiers en armes remplissaient le marché du Vendredi et réclamaient leur mort. Condamnés par les échevins, les prisonniers furent conduits à l'échafaud. Sur cette Place du Vendredi, au milieu d'un tumulte effroyable, on vit alors la jeune duchesse en habits de deuil, implorer inutilement les Gantois, les trois têtes tombèrent.
Le 24 février 1500, Gand est en fête. L'Homme du beffroi peut s'en souvenir. Du haut de l'édifice communal à la tour de l'église Saint-Nicolas, on a tendu une galerie de cordages illuminée de lanternes et de hardis compagnons font la traversée dans les airs, d'une tour à l'autre. C'est qu'un prince vient de naître à Gand, un petit-fils du Téméraire, qui doit être un jour l'empereur Charles-Quint.
Pourtant en 1540, la ville se mit en pleine révolte contre le Prince né dans ses murs, et ce fut pour venir châtier cette révolte que Charles-Quint obtint de François I er le passage à travers la France.
Il a réuni une armée formidable. Devant toute cette chevalerie et ces bandes de lansquenets, Gand, contenant sa fureur, est obligée de se soumettre: vingt-six chefs de la sédition ont la tête tranchée, Gand perd ses antiques privilèges et sur l'emplacement de l'abbaye de Saint-Bavon, l'empereur ordonne de construire aux frais de la ville, une citadelle qui doit la maintenir en obéissance.
Les années passent. Maintenant, c'est autre chose. Ce sont les guerres de religion. Les Réformés, dans un accès de folie iconoclaste, dévastent les églises de Gand et détruisent une quantité de précieux monuments, ce qui motive l'entrée en scène du terrible duc d'Albe qui vient dresser échafauds et bûchers sur le Marché du Vendredi.
Mais, en 1579, pendant les revers de fortune des Espagnols, Gand a la joie de secouer le joug et de s'emparer de la citadelle de Charles-Quint. Toute la population met la main à sa destruction, on se rend à la démolition avec tambours et musiques, enseignes déployées; un jour, les habitants d'Anvers viennent avec le même appareil de fête militaire, aider les Gantois dans leur œuvre de délivrance et les Gantois s'en vont ensuite, fraternellement, à Anvers, manier la pioche pour abattre, là-bas, une autre citadelle espagnole.
Le vieux Marché du Vendredi, théâtre de toutes les grandes scènes de l'histoire de Gand, a, d'un côté seulement, conservé un peu de son aspect d'autrefois. C'est vers Saint-Jacques qui montre ses vieilles tours romanes au-dessus du Toreken, belle maison à pignon à l'angle de laquelle monte une haute tour ronde. C'était le local de la Corporation des Tanneurs. A mi-hauteur de la tourelle règne un balcon de fer sur lequel on suspendait les pièces de toile défectueuse saisies par les syndics dans les magasins.
Devant le Toreken, il est encore là, comme jadis, le grand Jacques van Artevelde. Sa statue domine la place où tant de fois aux jours des colères et des revendications, le tribun souleva, entraîna, grouillantes et hurlantes, les foules en armes, et les dirigea comme et où il voulut, au gré de son âme violente, jusqu'au jour où, sur ces mêmes pavés, ces mêmes compagnons retournés l'abattirent à coups de hache. Et il semble que le geste et la voix de l'homme d'il y a cinq siècles s'adressent, à l'autre bout de la place, à un édifice très moderne, d'architecture ambitieuse et gonflée, la Maison du peuple, forteresse socialiste d'aujourd'hui.
L'Hôtel de ville.—La Breteque.—La Halle aux draps.—Le Mammeloker.—Les Francs-Bateliers.—Les Béguinages: l'ancien et le nouveau.—Sainte Begga, princesse carolingienne, et les Béguines.—Vieilles maisons.—Le Rabot.
L'Hôtel de ville de Gand, malheureusement, n'a pas la majesté ni la splendeur qu'il lui faudrait pour correspondre à l'importance historique de la ville. Hélas! son histoire particulière, c'est une suite de projets, de mises en route arrêtées par de malencontreux événements, troubles et séditions. C'est un très vaste ensemble de constructions qui vont, comme date, du quatorzième siècle au dix-huitième, façades juxtaposées, bâtiments amalgamés selon les nécessités.
Le morceau principal, le seul vraiment beau, c'est la partie appelée Maison des Echevins de la Keure, superbe morceau d'architecture gothique de la Renaissance, commencé en 1518, construction poussée jusqu'au temps du soulèvement contre Charles-Quint et définitivement arrêtée par les troubles et les guerres de la Réforme.
Ce n'est qu'un fragment superbe, l'édifice n'a pas dépassé la corniche du premier étage. La belle tourelle à balcon, la grande bretèche aux proclamations municipales,—il y en a une plus petite dans la grande façade,—que l'on voit à l'angle du marché au beurre, n'a pas la moitié de la hauteur qu'elle devait comporter, comme toute la façade, d'ailleurs. Tout le reste, le deuxième étage projeté, les pignons prévus, tout manque, et l'œil s'attriste à suivre toutes ces belles lignes, partant d'une base robuste, et encadrant les hautes fenêtres, arrêtées dans leur ascension par un toit qui n'est qu'une sorte de couvercle, brutalement posé sur les fleurs gothiques prêtes à s'épanouir superbement.
A côté de cela, la façade voisine, dite Maison scabinale des Parchons, ne fait pas très bonne figure. C'est de la Renaissance du dix-septième siècle, du classique lourd, avec les trois ordres superposés.
L'intérieur est très riche et naturellement de styles très variés; il faut citer l'ancienne chapelle, la salle de l'arsenal, et surtout la magnifique salle de Justice au rez-de-chaussée, avec son estrade de tribune, son mur décoré d'arcatures et les degrés montant à la bretèche.
Au pied du beffroi, presque devant la façade classique de l'Hôtel de ville, on a dégagé, restauré et complété—on dégage et on restaure beaucoup en ce moment à Gand—un bel édifice des quatorzième, quinzième et vingtième siècles, la vieille Halle aux draps.
C'est un vaste bâtiment à deux étages soutenus par des contreforts, entre deux beaux pignons flanqués de tourelles, l'un ancien, l'autre tout neuf. Au-dessus de la grande salle se trouve une magnifique salle inférieure, une sorte de crypte voûtée sur deux épines de gros piliers, et occupée actuellement en brasserie, authentique brasserie Moyen-Age cette fois, décor en vrai, bien fait pour donner encore meilleur goût à la bonne bière belge.
Comme le château des Comtes, tout cela, Halle aux draps et beffroi, se trouvait, il y a peu d'années, à peu près complètement enveloppé dans un massif de maisons sans caractère, parmi lesquelles il y avait la prison de la ville; on a rasé ces bâtisses en conservant seulement, à la base du beffroi, l'entrée de la prison. Ne disons pas trop de mal du dix-huitième siècle, il avait placé là une jolie chose, le Mammeloker , grand bas-relief décoratif, au milieu d'un fronton concave, représentant «la jeune Romaine qui nourrit de son lait son vieux père condamné à mourir de faim dans un cachot», ce qui est un gentil et coquet frontispice pour une prison.
En descendant par les divers marchés, marché au beurre ou au blé, on se trouve jeté sur un autre point célèbre de la cité de Gand, sur le quai aux Herbes où les grandes Maisons de Corporations, les pignons gothiques, Renaissance et même romans, se reflètent dans l'eau de la Lys, quand il n'y a pas trop de bateaux amarrés aux quais. C'est un point fort animé sur terre ou sur l'eau, et très remuant, très bien encadré de tous les côtés.
La magnifique façade du plus important de ces pignons, celui de la maison des Francs-Bateliers, vient d'être restaurée, on a retouché ou refait les moulures et sculptures de ses quatre ou cinq étages de fenêtres, ses nombreux écussons, le bas-relief au-dessus de la porte représentant une nef du quinzième siècle, les sculptures du pignon figurant des matelots, ainsi que celles des pinacles.
Cette maison fut construite par la corporation des Francs-Bateliers—les Navieurs—en 1530. Sa voisine est moins ancienne, c'est une façade beaucoup plus simple avec pignon à gradins et quelques ornements sous les fenêtres. C'était la maison des Mesureurs de blé.
Le pignon qui suit après un pignon minuscule abrité sous son aile, se carre solidement, plus rude, plus trapu, vieille façade romane d'un grand caractère assombrie par les siècles. C'est la Maison de l'Etape, siège de perception du droit d'étape que Gand prétendait avoir sur les grains et autres marchandises, droit contesté qui fut le sujet de dissensions avec les autres villes de Flandre.
Le tableau se complète, après ces pignons historiques, par un fond de maisons d'une jolie coupe, qui paraissent encore plus pittoresques, le soir, lorsque s'allument leurs rangées de fenêtres serrées, trouant toute la largeur de la façade, et dont toutes les lumières se reflètent, dansant en zigzags de flammes dans les eaux noires de la rivière.
Aujourd'hui, tout ce quartier central est bouleversé par la construction de l'Hôtel des Postes: on a démoli un certain nombre de maisons depuis le quai jusqu'à Saint-Nicolas, et pendant que l'on était en train, on a jeté bas les petites maisons qui encadraient si bien cette église. Elles l'encadraient sans la cacher, ce n'était pas comme à la Halle aux draps; on peut les regretter, elles faisaient valoir la vieille église et sa grosse tour.
Peut-être, pourrait-on dire que cet Hôtel des Postes tient à se montrer un peu trop moyen-âgeux. Au cœur du vieux Gand, dans ce milieu historique, il lance en l'air trop de tourelles qui ne le sont pas du tout. Ainsi, à Courtrai, devant le beffroi, s'élève orgueilleusement un Hôtel des Postes, plus Moyen-Age que le Moyen-Age lui-même, plus hérissé de tourelles que le vieux beffroi d'en face.
Il y a peut-être là exagération d'un bon principe, le principe du Traditionalisme en architecture, autrement dit, de la vraie Renaissance. C'est très bon et très heureux, l'adoption du style national, c'est-à-dire la reprise du style national flamand pur, non pas simplement pastiché, mais continué et adapté à notre époque et à ses nécessités. C'est surtout une question de goût et de mesure. Les gares de Furnes et de Bruges sont gothiques, pourtant elles n'ont rien de choquant, au contraire, car c'est un gothique logiquement adapté; tandis qu'on en connaît d'autres—il est vrai qu'elles sont d'une époque antérieure et mauvaise—qui sont Moyen-Age à peu près comme l'étaient les troubadours de pendule.
On peut trouver de meilleurs exemples récents. A Tournai, il y a un entrepôt de style flamand tout à fait intéressant et soigné. Qu'est-ce généralement qu'un entrepôt? Quelque chose comme un hangar à marchandises, une bâtisse ordinairement très laide, tandis qu'il y a là une recherche d'art et un fort bel édifice.
Saint-Bavon, la cathédrale, n'est Saint-Bavon que depuis que Charles-Quint supprima l'abbaye de Saint-Bavon, pour construire la citadelle destinée à mater la ville souvent rebelle. Avant qu'elle héritât du vocable et du chapitre de l'abbaye, elle était l'église Saint-Jean. C'est un très beau monument du treizième siècle pour le chœur, et du seizième pour la tour et le reste. La tour, cantonnée de quatre fines tourelles, est très haute, même sans flèches. Du côté de l'abside, sous les gables des premières chapelles, au pied d'un haut transept aux immenses verrières se blottit une petite chapelle extérieure. Les tourelles du transept, la grosse tour, la Halle aux laines dans le fond, et le beffroi, cela fait sur le ciel un alignement de silhouettes bien découpées.
Quant à l'intérieur, il semble un peu froid, grâce aux marbres blancs et noirs qui ferment le chœur, mais on y voit d'intéressants monuments, de grands tombeaux d'évêques, une superbe chaire, de nombreux tableaux dans les chapelles, parmi lesquels un Van Dyck célèbre: l'adoration de l'Agneau mystique, un Rubens sur la vie de saint Bavon, où l'on voit saint Bavon en gentilhomme Louis XIII se retirant du monde à l'abbaye de Saint-Amand. Saint Bavon était un noble Gantois du septième siècle qui, dans la première partie de sa vie, s'abandonna vilainement à toutes les débauches, déshonora sa famille et fit mourir sa femme de chagrin. Terrassé soudain par le remords, il chercha à obtenir le pardon du ciel par une vie d'austérités dans le cloître voisin, où il mourut en odeur de sainteté.
La chaire est à elle toute seule un immense monument, comme toutes les chaires des dix-septième et dix-huitième siècles que l'on voit en Belgique, d'une composition extraordinairement touffue, d'aspect peu religieux, qui sont plutôt des décorations de théâtre, malgré tout le talent déployé par des sculpteurs très savants, et malgré toute l'imagination mise en œuvre pour trouver des sujets allégoriques, bibliques, presque mythologiques même, puisqu'on y voit quelquefois le père Temps et des Vertus et qui semblent des Déesses, avec une profusion d'accessoires extraordinaires animés ou inanimés, des chars, des chevaux, des barques, etc...
Ici, l'ordonnance est fastueuse et très décorative: un double escalier très contourné et tarabiscoté, gardé par de grandes figures d'anges, encadre le groupe principal, la Vérité ou la Religion montrant les Livres Saints à un vieillard barbu qui représente à la fois le Temps et le Monde. Au sommet de la chaire, parmi des branchages désordonnés et des draperies soulevées par une nichée de chérubins voltigeant, des petits anges plantent la Croix.
L'œuvre, en bois et en marbre, terminée en 1745, est du sculpteur gantois, Laurent Delvaux.
L'église Saint-Jacques, sur une place en arrière du Marché du Vendredi, est un grand édifice très pittoresque dans ses parties élevées, très découpé, où, sur une nef et des chapelles gothiques, se dressent deux belles tours romanes sur la façade, et une tour centrale également romane, terminée par un étage gothique portant une haute flèche effilée. A l'intérieur, se voient quelques beaux monuments et un très curieux tabernacle de marbre en forme de clocher dix-septième siècle, à quatre ou cinq étages en retrait les uns sur les autres.
Saint-Nicolas, c'est la vieille église noircie, aux murailles patinées à souhait, qui se dresse sur le vieux Marché aux grains, au point le plus mouvementé de la ville. Elle a subi de nombreuses vicissitudes au cours des siècles. Pendant les guerres de religion, lorsque Gand fut au pouvoir des armées des Provinces Unies, on y avait logé la cavalerie, les chevaux et le fourrage. Plus tard, en très triste état, presque ruinée, elle avait frisé la démolition. Par bonheur, les échevins la sauvèrent de la pioche.
Il y a bien peu d'années, elle était encore entourée de petites maisons accrochées sur les bas-côtés ou le long du portail, enserrant le pignon étroit, très noir, de mine sévère, flanqué de deux tourelles à demi romanes, plaquées du haut en bas d'arcatures en plein cintre ou en ogive. Cela faisait valoir, au-dessus des vieilles murailles noires, criblées de blessures, écorchées en bien des endroits, la grosse tour centrale, sombre et rébarbative. Tout l'ensemble: l'église et les petites maisons, avec le mouvement du marché sur la place, plus étroite alors, constituait un joli tableau, vu du fond d'une petite rue disparue sous le nouvel Hôtel des Postes. Peut-être, une fois la restauration terminée, cela fera-t-il mieux, mais ce sera, en fin de compte, moins pittoresque probablement.
Rien de bien remarquable à l'intérieur des écussons armoriés accrochés aux piliers, quelques tableaux, un, entre autres, rappelant un citoyen de Gand, Olivier van Minjau, qui fut un notable chef de famille, père de dix filles et de vingt et un fils, à la tête desquels,—seulement les fils,—armés en guerre, il s'était montré, en 1526, à une solennelle entrée de Charles-Quint, qui s'empressa de lui accorder une pension probablement très nécessaire.
Et ces trente et un enfants, moins de trois mois après, mouraient dans une épidémie de suette importée d'Angleterre, et s'en venaient, avec leurs parents, se coucher au cimetière entourant Saint-Nicolas.
Il y a encore Saint-Michel, Saint-Pierre, Saint-Martin, Saint-Etienne, Saint-Sauveur, Sainte-Anne, cette dernière moderne. Saint-Michel a une très vilaine et très triste façade, sous une tour restée inachevée depuis des siècles, mais le côté de l'abside qui trempe dans l'eau de la Lys est d'un effet assez pittoresque, vu du pont réunissant le Quai aux Herbes au Quai au Blé. En arrière de cette abside, une longue façade grise et morne trempe aussi dans la rivière, vieille muraille de couvent abandonné alignant deux files de fenêtres ogivales, les unes bouchées, d'autres plus ou moins transformées. C'était un couvent de Dominicains qui eut des malheurs au temps des guerres de Religion; son église a disparu, mais le cloître défiguré subsiste, simple cour aujourd'hui, pour des bâtiments convertis en magasins et logements.
L'église Saint-Pierre a été construite sur l'emplacement d'un oratoire de Saint-Amand, c'est l'église classique du dix-septième siècle, un portail à fronton surmonté d'un dôme. Cela s'arrange bien de loin, au-dessus de l'eau, parmi le vert des arbres et le rouge des toits. A l'intérieur, des sculptures et de belles grilles de chœur de style Louis XV.
Saint-Martin, très loin du centre, au boulevard d'Akkergen, est assez curieux avec ses trois nefs d'un gothique très simple et sa chapelle annexe du Saint-Sépulcre; les autres églises ont peu d'intérêt.
Gand possède plusieurs béguinages, il y a le petit et le grand, ce dernier tout à fait moderne; une curieuse petite ville toute neuve a remplacé l'ancien grand béguinage, ou béguinage Sainte-Elisabeth, rue de Bruges, du côté de la porte du Rabot. C'était aussi une petite ville à part dont il reste quelques ruelles avec quelques curieuses rangées de petites maisons, et l'église, aujourd'hui paroisse Sainte-Elisabeth, édifice du dix-septième siècle. Il y avait là six cents béguines; le nouveau grand béguinage en compte au moins autant.
L'institution des béguines date de loin, on la fait remonter aux temps mérovingiens et la fondatrice de l'ordre serait en même temps quelque chose comme la fondatrice de la monarchie carlovingienne. Cette fondatrice marraine de l'ordre, c'est sainte Begga, qui vivait au septième siècle.
Quand on va de Louvain à Liége, on passe à Landen, vieux petit pays dont les contours ont de l'allure, village modeste, mais berceau illustre de la famille carlovingienne. Vers le milieu du septième siècle, vivait dans un burg sur ces collines, Pépin de Landen, dont la fille ou la sœur, la princesse Begga, devint duchesse de Brabant et mère de Pépin d'Héristal,—par conséquent, grand'mère de Karl Martel, qui à la tête de toute la chevalerie franque, refoula les hordes de l'Islam, parvenues à Poitiers,—par conséquent aïeule de Charlemagne, Empereur d'Occident à la barbe florie.
L'institution de Sainte-Begga a traversé les siècles, il est peu de villes en Belgique qui n'aient leur petit enclos de béguines. Les béguines ne sont pas des religieuses, elles n'ont pas prononcé de vœux éternels, ce sont des femmes qui, sans abandonner complètement le monde, se réunissent dans des enclos consacrés, en vertu de fondations anciennes, pour vivre, travailler et prier en commun. C'est un refuge pour des femmes que la solitude dans le monde effraie, qui n'y trouveraient que le vide et la désolation dans la vieillesse, pour des veuves qui veulent passer le restant de leur vie dans une retraite pieuse. Elles peuvent n'avoir qu'un très petit pécule et compléter la somme nécessaire à leur entretien par un travail de couture ou de dentelle. Ainsi, en associant leurs ressources à plusieurs, la vie leur devient facile.
La discipline du béguinage n'a rien de celle des cloîtres fermés, les béguines peuvent sortir, aller et venir, rentrer dans le monde, s'il leur plaît; les petites maisons, suivant leur importance, sont occupées par une béguine ou par un groupe. Elles vivent et travaillent ensemble, égrènent des rosaires, et quand la cloche de la petite église tinte, de chaque petite porte sortent des formes noires, des femmes enveloppées de longues mantes, en cornettes blanches ou en capuchons, chaque ruelle fournissant son contingent à la longue file en marche lente vers l'église, dans la paix et le silence qui planent sur l'enclos. Ces petits groupes, ces mantes sombres isolées, c'est comme un long chapelet vivant, à grains noirs se déroulant à travers les ruelles.
Aux offices du soir, la cloche les exhorte,
Et chacune s'y rend, mains jointes, les yeux clos,
Avec des glissements du cygne dans l'eau morte.
a dit Rodenbach, le poète des béguinages, du silence et de toutes les mélancolies, à qui justement Gand vient d'élever un monument près de l'église de l'ancien grand béguinage.
Les deux béguinages de Gand ont été fondés en 1234 par la comtesse Jeanne de Constantinople et sa sœur Marguerite. Le petit béguinage Notre-Dame est toujours à la même place, rue Longue-des-Violettes, joli nom pour ce nid d'humbles et pauvres existences, mais les violettes sont aujourd'hui bien enfermées dans les grandes bâtisses et les rues en rumeur, à deux pas du mouvement le plus intense de la vie moderne, près de la grande gare.
Comme tous les enclos de béguines, celui-ci a son église, édifice du dix-septième siècle, joli à l'intérieur, en dépit de la froideur peu engageante de sa façade.
Le nouveau grand béguinage du Mont Saint-Amand, qui ne date que d'une trentaine d'années, est un peu en dehors de la ville, au-delà de l'abbaye de Saint-Bavon et des bassins. Il faut passer un certain nombre de canaux, la Lys, le bas Escaut, des voies ferrées, avec les gares d'Eecloo et du pays de Waes, entendre des sirènes de navires et des sifflets de locomotives, traverser les premières rues noires de charbon d'un faubourg industriel pour aboutir tout à coup au paisible petit village des béguines.
Que c'est à la fois près et loin de toutes ces usines et de tout ce mouvement de la grande ville! Il suffit de franchir le portail gothique pour tomber dans un autre monde, en dehors du temps et de la vie, qui, de l'autre côté de la muraille, gronde et se précipite tumultueusement.
Entièrement clos de hautes murailles de briques, le béguinage se compose d'un certain nombre de rues et de ruelles, autour d'une église dont on aperçoit le haut pignon dès la voûte ogivale de l'entrée. Ce Nouveau Béguinage, c'est en somme une petite ville construite tout d'une pièce, très intéressante dans son ensemble et charmante par l'aspect général, par tous les détails pittoresques que le tracé des rues et la plantation très étudiée des maisons fournit à chaque pas.
Tout est en briques, les murs des jardins, les maisons, avec des toits de grosses tuiles claires; ces maisons diverses d'importance, sont très variées de formes, avec des pignons en escaliers, des arrangements de fenêtres ou de toits, des lucarnes, de jolies portes de jardin.
On compte, dans l'enceinte, une quinzaine de couvents, plus de quatre-vingts maisons et une église au centre, église à nef très haute, grand portail flanqué d'une tourelle et campanile surmonté d'une longue flèche ardoisée. Plus de six cents béguines vivent dans ce village, dans ces petites maisons qui doivent être très claires, derrière les vitres des fenêtres nombreuses, groupées par rangées ou espacées deux par deux.
Dans le dédale des rivières, des canaux et des rues, d'une ville à la topographie aussi compliquée que celle de Gand, combien de choses intéressantes et d'aspect curieux rencontrées au hasard des promenades. Parmi toutes ces constructions nouvelles des grandes rues, ou les bâtisses industrielles qui s'alignent le long des berges, il y a bien des coins imprévus, des restes importants du vieux Gand, ou de pittoresques perspectives s'ouvrant tout à coup sur l'eau.—Lys, Liève, Escaut, bras, dérivations ou canaux—, avec souvent par-dessus les toits, quelques monuments se détachant sur le ciel.
Les vieilles maisons sont nombreuses dans les quartiers du centre, vers le Marché du Vendredi ou le Palais de Justice. Un des plus importants de ces vieux logis se rencontre derrière l'Hôtel de ville, dans la rue du Refuge, c'est l'hôtel connu sous le nom de la Faucille, ancien logis seigneurial occupé aujourd'hui par le Conservatoire de musique. La cour se laisse voir maintenant, complètement ouverte, grands bâtiments de briques sur arcades, avec une haute tour à laquelle s'appuie une petite chapelle également portée sur arcades, très beau morceau du quinzième siècle.
Dans la rue du Haut-Port, à côté, ce sont encore de hauts pignons à redans de la même époque, puis, rue du Serpent, rue des Gainiers, de vieilles façades brunies, quai de la Grue, rue du Vieux-Bourg, des maisons du dix-septième siècle à pignons décorés et curieux bas-reliefs sous chaque fenêtre.
Sur la Lys, la Vieille Boucherie est un grand bâtiment sombre, annexe de la Poste, où la Halle aux viandes fut établie en 1417; son pignon a encore quelque beauté pittoresque.
La Vieille Boucherie avait sa chapelle dont on a retrouvé des peintures murales. Dans la très importante corporation des bouchers, jadis, ne pouvaient entrer que les membres de quatre familles privilégiées monopolisant le commerce de la boucherie. Très bien vus au Palais, au temps de Charles-Quint, les bouchers fournissaient aux entrées princières une garde d'honneur, et leur bannière avait un bon rang dans toutes les cérémonies.
Le Musée d'archéologie est établi dans l'ancienne église des Carmes chaussés: il est très riche en tableaux provenant des couvents, en étendards, bannières, écussons, souvenirs divers des anciennes corporations.
De l'autre côté du Marché aux grains, dans la rue des Champs, ce sont encore de belles façades, mais plus jeunes, des architectures pompeuses, de nobles hôtels du dix-huitième siècle, parmi lesquels se remarque surtout le portique de l'hôtel Steenhuyse, habité par le roi Louis XVIII en 1815, pendant les Cent Jours, alors que les réfugiés de la Cour de France remplissaient Gand, en attendant la fin des derniers soubresauts de l'aigle, dans le carnage de Waterloo.
A côté de l'Hôtel Steenhuyse, le Palais de Justice classique s'élève imposant et massif, sur une pointe entre la Lys et le canal des Chaudronniers. Plus loin vers les quartiers neufs, quelques vieilles choses encore, ce sont les restes de l'ancienne abbaye de la Biloque dans l'enceinte des hospices civils, un superbe pignon du treizième siècle, une salle curieuse, un grand pignon du quatorzième siècle, aussi intéressant comme décoration, et des bâtiments divers.
De la cour du Prince, l'ancien Prinsen Hof, où naquit Charles-Quint, il ne reste guère que de vagues traces derrière le château des Comtes, mais la rue qui en marque le contour conduit à un important débris de la vieille cité, le fort du Rabot, aujourd'hui entouré de choses bien modernes, des bâtiments de gare ou d'autres aussi peu intéressants. Le Rabot, qui n'a plus aujourd'hui toute sa hauteur, le sol ayant été relevé, se compose de deux grosses tours reliées par un bâtiment à pignon; l'ouvrage fut élevé en 1489, pour défendre un saillant de rempart et l'écluse de la Liève.
Le bourg et ses monuments.—En haut du beffroi.—Le carillon.—Le Saint-Sang.—Les cygnes expiatoires.—Les grandes églises.—L'hôtel de Gruuthuse.—L'hôpital Saint-Jean.—Le lac d'Amour et le béguinage.
Le Musée archéologique de Bruges conserve le cuivre d'un admirable plan dessiné par Gheeraerts, en 1562, où toutes les rues et places, les canaux, les églises, les édifices et toutes les maisons, une à une, se trouvent figurés à vol d'oiseau, avec un détail et un fini remarquables. Ce portrait de sa jeunesse, ou plutôt de son bel âge, Bruges peut le regarder encore avec orgueil; malgré les trois siècles et plus qui ont passé sur elle, le portrait est toujours ressemblant. Bruges n'a pas de rides, Bruges est restée Bruges la belle, aujourd'hui, comme alors. C'est toujours Bruges la princesse, en robe rouge à ramages gothiques.
Ne l'appelons jamais Bruges-la-Morte, Bruges est bien vivante, elle n'est même nullement mélancolique, quoi qu'on dise. De la mélancolie, il y en a peut-être dans certains quartiers, mais rien de maladif ni de dolent. Et quelle ville n'a pas ses coins un peu abandonnés, dont l'aspect semble un bâillement ou une lamentation? Bruges n'a pas de ces coins-là, car la mélancolie y est de la poésie.
Elle a moins de population qu'autrefois, cela est exact, l'ardeur et les fièvres du négoce qui la tenaient jadis l'ont un peu abandonnée sans doute, mais qu'importe si elle demeure toujours superbe autant que Venise, avec seulement moins de bleu dans le ciel, et si elle reste vraiment la Perle des Flandres.
Bruges combat pour la beauté, puisque tous ses efforts tendent à sauvegarder son caractère de ville d'art, de reliquaire de vieilles et précieuses architectures, puisqu'elle entretient soigneusement ses grands monuments, puisqu'elle restaure ceux que le temps veut détruire, et qu'elle rétablit même les façades de celles de ses maisons qui, aux époques d'aberration, avaient subi, sous prétexte de modernisation, des grattages et des transformations.
Elle combat pour la beauté, puisque dans ses constructions nouvelles elle reprend les traditions de son passé, et réussit à concilier les convenances modernes avec les sentiments et le goût des ancêtres.
Cela se voit dès la gare. Mon Dieu oui, la gare n'étonnerait nullement l'artiste du plan de 1562, qui la dessinerait immédiatement. Une gare, c'est, dans la vie actuelle, aussi important qu'un Hôtel de ville. Pourquoi ne pas fignoler une gare autant qu'un beffroi ou une porte de ville? Bruges a fignolé la sienne et elle a donné un bon exemple. Il y a dans cette gare, une salle des Pas Perdus qui semble une salle échevinale, et un beffroi domine le tout de très haut, pour donner l'heure au loin. Bonne entrée de ville, cela remplace les portes monumentales, militaires ou autres.
Au point de vue de la beauté sur laquelle le poète nous convie à écarquiller nos yeux:
«Ecarquille les yeux à la beauté des choses...»
le présent, presque partout, n'a rien à gagner aux comparaisons avec jadis. Ici, dans ces rues de Bruges la belle , le présent n'est que le passé qui continue. Qu'il continue donc longtemps, et saisissons toutes les occasions qu'il offre d'écarquiller nos yeux.
D'abord, pénétrons au cœur de la cité, pour saluer le grand Beffroi, si fièrement campé sur le bâtiment des Halles, depuis le treizième siècle.
Le berceau de Bruges, c'est le vieux bourg, c'est-à-dire le Burg, avec le Palais du Franc et l'Hôtel de ville; la Grande Place et ses entours, ensemble défendu alors par des murailles et des canaux. Cela, c'était la ville des premiers temps, assez vite forcée de s'agrandir, en raison de la prospérité de son commerce, d'élargir à plusieurs reprises sa ceinture de murailles, pour loger tous ces gens de négoce qui venaient à elle, et abriter leurs navires, des centaines de nefs de toute taille, dans ses canaux ou dans son avant-port de Damme, créé au douzième siècle, sur le bras de mer du Zwin.
Bruges se développe, grandit et prospère jusqu'au quatorzième siècle, qui marque l'apogée de sa fortune. Alors, sur le Burg, il y avait le Palais du Comte, la maison des échevins ou l'Hôtel de ville, la chapelle du Saint-Sang. A côté, sur la Grande Place séparée par un canal, le grand bâtiment des Halles. Autour, dans la ville, des églises admirables, des monastères, des comptoirs de marchands de toutes les nations, c'est-à-dire des halles particulières à chacune de ces nations, quinze ou vingt grands édifices solides, faciles à défendre, pour loger commis et marchandises affluant de toutes les contrées d'Europe et d'Orient, une quantité de somptueux hôtels de noblesse ou de riche bourgeoisie, cent cinquante mille habitants, quatre-vingts corporations florissantes, pour le trafic ou la fabrication des draps, laines, cuirs, etc.
La première Bourse était fondée pour tous ces négociants, elle tirait son nom de la maison Van-der-Beursen, qui portait trois bourses dans ses armoiries.
Pour marquer sa grandeur et sa puissance, au milieu du treizième siècle, Bruges élève sur sa Grande Place le bâtiment des Halles que nous voyons aujourd'hui, et le Beffroi, symbole de la liberté communale et de l'union des bourgeois et artisans des métiers.
Elle est immense, cette Grande Place, et bien à la mesure du formidable beffroi. Les Halles tiennent tout le fond, un carré massif flanqué de tourelles aux angles; du centre de ce massif, l'énorme tour jaillit et monte par étages successifs, deux étages carrés, chacun à plate-forme crénelée, flanquée de tourelles, puis, après le deuxième, un étage octogonal très en retrait, construit seulement en 1482, l'étage des cloches, relié par un arc-boutant à chaque tourelle d'angle. Le sommet est à 80 mètres du sol; il y eut autrefois, sur cette dernière plate-forme, une flèche terminale trois fois incendiée, la dernière fois, en 1742, et qui n'a plus été refaite.
Le symbole est clair et apparaît encore mieux qu'à Ypres; l'énorme beffroi dominant de toute sa taille les Halles à ses pieds, c'est bien la force, la puissance communale, abritant et protégeant le libre trafic des citoyens.
A l'intérieur, les Halles sont occupées à droite par la boucherie, marché aux viandes pittoresquement installé, et à gauche, par le Musée archéologique.
C'est une jolie ascension que celle des quatre cents marches de la tour, mais la vue qu'on a de la plate-forme vaut bien un peu de fatigue. Au dernier étage, dans la partie octogonale, se trouve le célèbre carillon de quarante-neuf cloches et le gros bourdon. Il faut monter par une sorte d'échelle qui passe en travers des grandes ogives complètement ouvertes et par lesquelles on aperçoit le pavé de la place et les toits des maisons, tout en bas. C'est fort joli déjà, on s'attarde naturellement à tous les détails, et pendant ce temps-là l'horloge vient à sonner la demie ou le quart, la grosse cloche se met en branle, le carillon commence sa chanson, l'escalier tremble, la Tour vibre tout entière. Alors l'ascensionniste sent la tête lui tourner et se croit presque en train de descendre en musique avec la Tour, et les quarante-neuf cloches, et le gros bourdon, sur le pavé d'en bas.
Mais le carillon s'est tu, les dernières notes s'envolent allègres et légères pour aller réjouir les passants au loin, et le beffroi se calme. Sur la plate-forme, c'est l'éblouissement. On plane sur les deux places, le Burg et la Grande Place, au-dessus des grands édifices entourant le vieux Beffroi, l'Hôtel de ville, le Palais du Franc, l'Hôtel provincial, la chapelle du Saint-Sang, toute une poussée de cimes ardoisées, de lignes de toits enchevêtrés de toutes les façons, de pointes, de pinacles, de clochetons de toutes formes, de tourelles qui semblent des minarets, de flèches gothiques, lançant le plus haut possible, leurs boules et leurs girouettes.
Et les premiers canaux, le Dyver, le canal du Rosaire, les quais se prolongeant en lignes de verdures ou en files de pignons, la topographie de la ville se révélant, avec ses hauts points de repère, les églises, avec les tours gigantesques de la cathédrale et de Notre-Dame, encadrant les fines découpures de l'hôtel Gruuthuse ou les masses sombres de l'hôpital Saint-Jean. Et tout autour, d'autres tours, d'autres édifices, des rues et des canaux à perte de vue, sur toute l'étendue de l'immense périmètre de l'ancienne enceinte, marqué par quelques portes restées debout dans un moutonnement de verdure.
Une belle ligne de pignons fait face aux Halles au fond de la Grande Place. La ville a dressé devant elles le monument du boucher Breidel et du tisserand Pierre de Coninck, qui soulevèrent la population de Bruges en 1302 contre le parti des Lys, et, dans une terrible bataille de rues, massacrèrent tout ce qu'il y avait en ville de chevaliers et de soldats français, massacre qui fut le prélude de la grande journée des Eperons d'or, sous les murs de Courtrai.
Une petite rue réunit la Grande Place et le Burg. Après les lignes sévères des Halles et du beffroi, voici dans les façades de l'Hôtel de ville, du Greffe du Franc et du portique du Saint-Sang, toutes les fleurs de l'architecture ogivale dans leur complet épanouissement, et même des fioritures de la Renaissance, des boutures étrangères qui vont prendre dans le sol de Flandre et produire des fantaisies nouvelles.
L'Hôtel de ville est de la fin du quatorzième siècle. Façade élégante et fine en lignes ascendantes, de hautes fenêtres, de fines tourelles découpées, des séries de statues superposées, remplaçant les statues originales polychromes, malheureusement détruites par les armées de la Révolution.
A l'intérieur, se voit une belle salle échevinale récemment restaurée, où de grandes compositions résument les belles périodes de l'histoire de la cité, les grands événements et les vieilles institutions.
En prolongement de l'Hôtel de ville, à droite, s'élève la chapelle du Saint-Sang, avec un porche charmant en retour d'équerre, jolie décoration gothique du seizième siècle. A gauche, ce sont les pignons du Greffe, façade extrêmement décorée d'une gaie fantaisie. Le Saint-Sang, lieu de pèlerinage célèbre, église double à deux étages, se compose d'une chapelle basse dédiée à Saint Basile par le comte Thierry d'Alsace, au douzième siècle, chapelle romane sur gros piliers massifs, et d'une chapelle supérieure, reconstruite au quinzième siècle, dans laquelle est conservée, en une châsse précieuse, la relique rapportée de la croisade par le Comte Thierry.
Entre le Greffe et l'Hôtel de ville, se glisse, sous une voûte, recouverte d'un charmant petit pignon, la ruelle de l'Ane-Aveugle, si jolie, si connue, presque autant que le canal du Pont des Soupirs, à Venise; elle débouche sur un point non moins connu, motif pittoresque devant lequel il y a toujours des chevalets de peintres dressés, des albums ouverts et des boîtes d'aquarelles en fonctions, le canal passant derrière le Palais du Franc, avec les pignons de l'arrière-façade se mirant dans l'eau calme, où le lent sillage des cygnes coupe et recoupe les reflets tremblotants des architectures de tous les tons de rouge, sombres ou clairs.
Ces cygnes si poétiques, qui glissent majestueusement sur tous les canaux de Bruges, c'est, faut-il le dire, un remords qui surnage à travers les siècles, un «Souviens-toi» imposé à la ville à perpétuité, après le meurtre, par les bourgeois, révoltés contre Maximilien, de l'Ecoutête Pierre Lanchals, dont la tombe est à Notre-Dame. Le cygne expiatoire a été choisi parce que Lanchals signifie en flamand long col .
C'est sur ce côté que se trouvent les restes intéressants, bâtiments crénelés, pignons et tourelles, du Palais des Comtes de Flandre, plusieurs fois détruit, et reconstruit au quinzième siècle.
Aux trois villes principales, Gand, Ypres et Bruges, qui constituaient les trois membres des Etats pour traiter des affaires de la Flandre, il avait été adjoint un quatrième membre, le Franc de Bruges, c'est-à-dire le bourgeois du dehors, chargé des intérêts des autres villes et des châtellenies. Le Palais des Comtes de Flandre devint le Palais du Franc, ou de la juridiction des magistrats du dehors. C'était un superbe édifice qui complétait bien l'ensemble de la Place, avec une tour faisant pendant à une autre disparue aussi, à l'angle du Saint-Sang, comme on le voit sur le plan de 1562, façade remplacée pendant le dix-huitième siècle, qui fut avec la moitié du dix-neuvième, une malheureuse époque pour l'art brugeois.
Dans ce Palais du Franc, aujourd'hui Palais de Justice, il y a la fameuse cheminée de l'ancienne salle Echevinale, vaste composition décorative des plus touffues, se reliant aux panneaux latéraux, où se voit au-dessus de l'histoire de la chaste Suzanne dans les quatre compartiments d'une frise en albâtre, une somptueuse décoration d'écussons, de trophées et de médaillons autour d'une statue de l'Empereur Charles-Quint, qu'accompagnent quatre autres belles statues des aïeux de l'Empereur, lignes paternelle et maternelle, Maximilien d'Autriche et Marie de Bourgogne, Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille.
En face du Palais du Franc, se trouve le Marché au poisson, avec le pignon d'une charmante petite maison et le tournant du canal du Rosaire. Toujours des vues bien connues, le quai du Rosaire et les vieilles maisons trempant directement dans l'eau qui semble dormir, des architectures rouges, grises, des verdures encadrant quelque joli détail, et tout à l'arrière-plan, la chapelle du Saint-Sang et ses annexes, dominées par le Beffroi.
Il n'y a qu'à se laisser aller le long de l'eau ou par les petites rues: le groupe des grandes églises est tout près. Notre-Dame, c'est la haute flèche aiguë qui porte une couronne à mi-hauteur. Sous la tour colossale soutenue de gros contreforts, s'abrite un portail du quinzième siècle, toute petite construction en hors-d'œuvre, pourvue d'un toit par-dessus sa balustrade. Cela s'appelait le portail du Paradis, c'est aujourd'hui le baptistère. A côté, en dehors des grilles, on a élevé récemment un petit monument gothique dédié à la Vierge, tout à fait charmant de lignes.
Un bien vilain jubé du dix-huitième siècle attriste l'intérieur; heureusement, il y a tant de choses remarquables dans les bas-côtés, tableaux ou monuments, que l'on peut arriver à l'oublier. Ce sont notamment le célèbre mausolée de Charles le Téméraire, élevé par Philippe II, en 1589, et celui de sa fille, la pauvre duchesse Marie de Bourgogne, morte à Bruges à l'âge de vingt-cinq ans, d'une chute de cheval pendant une chasse au héron. Le corps de Charles le Téméraire, tombé à la bataille de Nancy, après être resté à Saint-Georges de Nancy, jusqu'en 1550, fut alors amené par Charles-Quint, dans l'ancienne cathédrale de Saint-Donat de Bruges, qui se trouvait sur le Burg, en face de l'Hôtel de ville, et fut démolie à la Révolution.
Comme joli motif d'architecture, le bas-côté gauche possède l'oratoire de la famille de Gruuthuse, une claire-voie en bas et au-dessus la tribune elle-même, en belle menuiserie gothique, portée en encorbellement.
C'est que l'oratoire des sires de Gruuthuse communiquait avec leur hôtel situé sous les murailles de l'église, à côté de la tour. Magnifique logis gothique élevé au quinzième siècle, l'hôtel de Gruuthuse vient d'être restauré et dégagé, quelques salles sont occupées actuellement par le Musée des dentelles. Coffret précieux des fines merveilles créées par les dentellières de Bruges, l'hôtel est lui-même une dentelle de tourelles, de lucarnes et de balustrades qui se dessine superbement au pied de l'église, surtout par derrière, sous le chevet, quand on tourne vers le petit canal, au fond d'une ruelle solitaire.
Par la rue du Saint-Esprit, on va de Notre-Dame à la cathédrale Saint-Sauveur, monument sévère qui dresse, en face de la flèche gothique de Notre-Dame, un énorme clocher roman dont la base est du dixième siècle, rude et sans ouvertures jusqu'aux deux tiers de sa hauteur et se terminant ensuite par des étages en partie modernes, avec tourelles carrées aux angles, tourelles encore en retrait accompagnant une courte flèche. La nef de Saint-Sauveur, d'une grandeur imposante, renferme de nombreux monuments et objets d'art. Malheureusement, il y a encore ici, pour fermer le chœur un jubé de froid style classique.
Les vieilles murailles les plus sombres de toute la ville, les briques les plus patinées, ce sont bien celles de l'hôpital Saint-Jean, des grands pignons austères devant Notre-Dame, comme des bâtiments divers, d'aspect si vieux et si dolent qui trempent dans l'eau du canal de la Reie et l'assombrissent au pont Notre-Dame. L'entrée au pied du vieux et fruste clocher de la chapelle est d'un grand caractère. Quelques cours, du silence et du recueillement, de vieilles murailles, des coins de verdure, un rayon de soleil qui passe, et, derrière ces vénérables pierres, des chefs-d'œuvre d'une fraîcheur et d'une jeunesse éternelles, les fameuses peintures de Memling, précieux trésor gardé en une salle spéciale.
La légende veut que Hans Memling soit né à Bruges, elle en fait un soldat de Charles le Téméraire, échappé au désastre de Nancy et revenu mourant en son pays. Soigné à l'hôpital Saint-Jean, il aurait, par reconnaissance, exécuté pour l'hôpital ces merveilleuses peintures. Né à Bruges ou ailleurs, il paraît cependant prouvé qu'il s'y maria et qu'il y mourut. Outre la châsse de Sainte-Ursule, il y a le retable de Sainte-Catherine, un triptyque et différents panneaux d'une conservation miraculeuse.
Petites rues tranquilles, petites maisons bien calmes, au-dessus desquelles on entend comme un bruissement de feuillages. C'est le quartier du Béguinage et du Lac d'Amour, l'un des sites les plus poétiques de Bruges.
Ce qui donne au Béguinage de Bruges tout son caractère, c'est surtout sa situation à part, son enceinte complètement entourée d'eau, plutôt que des séductions architecturales. L'église est sans beauté, les maisons très simples, mais l'entrée en est charmante, avec la porte au bout du pont, sur un large canal ombragé de grands arbres, et comme fond, derrière des verdures tombant dans l'eau, des pignons et des toits rouges, la flèche de Notre-Dame et la tour de Saint-Sauveur montant dans le ciel vaporeux.
A l'intérieur, c'est un vaste carré herbeux, planté de grands arbres, à travers lesquels brillent les petites maisons blanchies, au-dessus de la bordure noire traditionnelle.
Ces vieux arbres conduisent au Lac d'Amour, si paisible et si frais, large bassin ombragé, très solitaire, quoique pourtant bien près du cœur de la ville. C'est un tableau délicieux dans son heureuse solitude, ce poétique Lac d'Amour où l'eau n'a pas une ride quand aucun cygne ne s'y aventure, et c'était, paraît-il, le bassin du Commerce au temps de la Bruges commerçante, l'arrivée des canaux de l'intérieur. Des remparts qui le défendaient, il reste toujours debout, comme dominante du tableau et rappel historique, une vieille tour enveloppée de verdure.
Bruges, par des travaux considérables à Zeebrugge, espère redevenir ville maritime et commerçante. Zeebrugge est à une bonne douzaine de kilomètres, il a fallu construire une énorme jetée de deux mille mètres s'avançant en courbe dans la mer, creuser un canal avec bassins, écluses, etc... Heureusement tout le trafic maritime est maintenu au loin et le Lac d'Amour n'a rien à craindre.
La tour du lac n'est pas le seul reste des remparts; sur tout le périmètre, immense en réalité, si les murs de pierre ont été remplacés par des ombrages ou par de simples lignes d'arbres bordant le grand canal circulaire formant fossé, il y a encore quelques portes, la porte de Gand, la porte Sainte-Croix, la porte d'Ostende et la porte Maréchale. Elles se ressemblent toutes, c'est la porte classique, entre deux grosses tours rondes mais toujours dans la verdure, dans un encadrement de grands arbres.
La porte Sainte-Croix avait cette particularité, il y a quelques années, d'être accompagnée de deux grands moulins de bois, tournant sur la butte de l'ancien rempart. C'était tout à fait pittoresque, cela faisait tableau avec la porte sur le canal et, sous les moulins, l'antique local de la Guilde de Saint-Sébastien, confrérie des Archers, fondée au quatorzième siècle, l'une des deux Guildes armées ou Serments, l'autre étant la Guilde des Arbalétriers de Saint-Georges. Le bâtiment de briques, un beau pignon décoré, dominé par une très haute tour, date de 1573.
L'un de ces moulins est parti récemment, il n'en reste plus qu'un hélas, dont il faut souhaiter la conservation, puisque c'est le dernier survivant de tous ceux qui, alignés par dix ou douze sur certains points, tournaient depuis cinq siècles en haut du rempart, tout autour de la ville.
Rues et canaux.—Le style flamand.—La Loge des Bourgeois et les Chambres de Rhétorique.—Les Loges des Nations.—La Toison d'or.
Nulle ville autre que Bruges ne présente, dans ses édifices bourgeois, le style flamand de la période gothique ou de la Renaissance aussi déterminé et caractérisé. Il y a dans Bruges une telle collection de pignons de tout âge, que les séries d'exemples abondent pour chaque époque, depuis les pignons les plus simples, les plus modestes, jusqu'aux façades les plus découpées et ouvragées, depuis l'humble petit pignon de maisonnette populaire, comme on en voit dans les quartiers pauvres, où les dentellières réunies par groupes, travaillent dans la rue, sur le pas de quelque vieille porte en ogive, jusqu'aux orgueilleux pignons des maisons de Corporations ou des logis de riches bourgeois, où la brique est travaillée et dessine du haut en bas de la façade, des cordons d'arabesques.
Le principe, c'est l'encadrement des portes et des fenestrages par des moulures, des rangées de briques en pointe ou taillées, mettant au sommet de chaque ouverture un arc trilobé, mais le tracé se complique et s'enjolive de fantaisies, et tout le pignon se décore de moulures, de grandes arcatures à crochets, de trilobés et de roses quadrilobées.
Au hasard de la promenade à travers la ville, en zigzaguant de rue en ruelle, en passant les canaux sur de vieux ponts plus ou moins en dos d'âne, notons les points où ces vieilles architectures se découpent le plus pittoresquement, et les coins de tableaux apparaissant par des ouvertures entre les murailles rouge sombre, avec des trous de lumière sur quelque morceau de jardin fleuri bien imprévu, ou sur quelque petit canal entrevu, se perdant mystérieusement dans un tohu-bohu de constructions.
On vient de restaurer, au centre de la ville, l'ancienne Loge aux Bourgeois , jadis lieu de réunion, local d'une société de l'Ours au quinzième siècle, ce que rappelle un ours placé depuis 1417 dans une niche,— «le plus vieux Bourgeois de Bruges», comme on le nomme—local devenu ensuite le siège de la Chambre de rhétorique du Saint-Esprit, et depuis 1719, de l'Académie des Beaux-Arts.
On sait ce qu'étaient ces Chambres de rhétorique des pays flamands, curieuse institution qui tint pendant plusieurs siècles une place des plus importantes dans la vie des cités, grandes ou petites. Leur origine est très ancienne et l'on pourrait les rattacher aux confréries du Gai Savoir des vieux trouvères, comme à celles des ménestrels et des acteurs des mystères et moralités.
Dans toutes les villes, même les plus modestes, ce qui indique bien l'extraordinaire prospérité des Flandres, malgré les guerres et les calamités publiques, étaient organisées, à côté de toutes les confréries diverses, combien nombreuses, une ou plusieurs Chambres de rhétorique, c'est-à-dire sociétés bourgeoises de récréation, académies littéraires s'occupant de fêtes, de musique, de poésie, sous le haut patronage des princes,—surtout au temps de la Maison de Bourgogne,—sociétés très bien vues, jouissant de nombreux privilèges et même subventionnées par les villes.
Les Chambres de rhétorique possédaient des locaux pour leurs réunions, elles avaient des dignitaires, des bannières, des insignes; elles organisaient des représentations dramatiques, des cortèges dans les grandes occasions, aux entrées des Rois ou des Princes et prenaient part en corps à toutes les processions et fêtes religieuses. Parfois s'ouvraient de grands concours entre les villes, et c'étaient des occasions de fêtes interminables, de réunions, de banquets, au cours desquels pour les beuveries joyeuses, circulaient les hanaps d'honneur, sous les écussons des personnages importants et les bannières victorieuses de la Chambre.
La vieille Loge aux Bourgeois, abîmée par les siècles, n'était plus qu'un bâtiment informe, lourd d'aspect, surmonté d'une tourelle découronnée, et maintenant, après restauration, ou reconstitution si l'on veut, c'est un fort joli fond de perspective pour le Canal du Miroir sur la Place Van Eyck, très belle place, admirablement encadrée par une rangée de magnifiques pignons, qui commence à l'ancienne Loge des Portefaix et au porche du Tonlieu, charmante petite construction du quinzième siècle, très décorée, restaurée de nos jours, comme toutes les façades de la rangée.
La statue de Van Eyck s'élève face à la Loge aux Bourgeois; à côté, la rue qui tourne entre de vieilles maisons, conduit à une autre place plus solitaire, et à une autre statue de peintre, celle de Hans Memling, se détachant sur les pignons rouges d'un vieux couvent.
Nombreuses sont les belles façades, dans les rues centrales, rue Flamande surtout, qui en aligne des séries. Le plus original peut-être de tous ces pignons, est celui de la maison n o 53, en ogival de la dernière période, très joliment contourné et découpé en trois motifs.
Pas bien loin,—façade historique celle-là—se voit ce qui reste de l'ancienne Loge des Génois , curieuse par ses grands fenestrages. Cette place, c'était l'ancienne Bourse des Négociants: les vieilles images nous la montrent entourée de hautes constructions pittoresques richement décorées, comme le fragment subsistant de la Loge des Génois, laquelle possédait un étage de plus, couronné d'une ligne de créneaux, au lieu du fronton ajusté au dix-huitième siècle.
Aux grands siècles, alors qu'elle était la reine du commerce des Flandres, alors que, par cent ou cent cinquante quelquefois à la journée, les vaisseaux arrivaient par le Zwin à ses ports,—galéasses de Venise ou du Levant, vaisseaux de la Hanse d'Allemagne ou de Londres, navires d'Espagne, de Guyenne ou de Bretagne,—toutes les nations commerçantes possédaient des maisons consulaires, des comptoirs innombrables. Quelques-unes de ces maisons, des sortes de Halles, d'une importance considérable, étaient de magnifiques édifices de la plus riche architecture, avec des galeries pour les marchandises, des annexes, des boutiques, ce qui constituait, lors des grandes foires, régulières, de véritables expositions fréquentées par des négociants de toutes les nations.
L'ensablement de Zwin, au quinzième siècle, commença la décadence commerciale de Bruges, que les guerres de la Réforme achevèrent. Les anciennes Loges des Nations inutilisées disparurent, c'est à peine s'il en reste encore çà et là quelques indications comme la Loge des Génois, ou les débris de la Loge des Orientaux, ou la tourelle des négociants de Smyrne, qu'on aperçoit au fond de la place Van Eyck.
Çà et là, se présente quelque joli motif à dessin, par exemple la petite bretèche de briques très ornée accrochée à une maison donnant sur le canal, au Pont Flamand, construite par un riche orfèvre en 1514, une jolie rangée de hauts pignons, rue Queue-de-Vache.
Il faut aussi noter deux ponts assez curieux: le Pont des Lions, gardé par deux vieux lions de pierre,—de l'autre côté de la Grande Place,—et le Pont Saint-Jean-Népomucène, avec la statue du Saint, devant de vieux bâtiments dominés par le beffroi...
Sur la Grande Place, à gauche, où jadis était la Halle aux draps, s'élève maintenant, remplaçant des maisons sans caractère du dernier siècle, l'Hôtel du Conseil provincial, belle construction moderne en style gothique, dans laquelle vient d'avoir lieu une Exposition de la Toison d'or , c'est-à-dire de tous les souvenirs, objets d'art, tableaux se rapportant au célèbre ordre de chevalerie, institué à Bruges en 1430, par le duc de Bourgogne Philippe le Bon, de galante mémoire, lors des fêtes de son mariage avec Isabelle de Portugal, fêtes magnifiques où le duc déploya tout le luxe traditionnel de la Cour de Bourgogne, en des tournois extraordinaires, de fastueux banquets, et des chapitres du nouvel ordre, tenus solennellement dans la cathédrale Saint-Donat...
C'étaient là de splendides journées, mais tout comme la rude cité de Gand, Bruges la Belle avait aussi ses mauvais jours, ses sursauts de colères terribles. Philippe le Bon, quelques années plus tard, entré imprudemment avec une trop faible troupe pour apaiser une sédition faillit être massacré à Bruges. Assailli par les Métiers en fureur, il eut grand'peine à s'échapper, en combattant et en laissant des morts sur chaque pavé jusqu'aux remparts.
Sur le côté droit de la Grande Place, deux maisons intéressantes encadrent l'entrée de la rue Saint-Amand: l'une, semblable à une tour, a toute sa décoration en lignes perpendiculaires partant du fond jusqu'à la plate-forme. L'autre, par malheur a eu sa façade dénaturée. C'est le Cranenburg , la Cigogne, maison historique, car c'est là qu'en 1488, lors de la révolte des Flandres, l'archiduc Maximilien d'Autriche, l'époux de l'infortunée Marie de Bourgogne, fut emprisonné pendant trois mois.
Bruges était en pleine révolte. Accourus sous les bannières des cinquante-deux corporations, les métiers soulevés remplissaient la Grande Place et les chefs avaient osé porter la main sur leur prince. Maximilien, arrêté aux Halles, fut enfermé sous bonne garde au Cranenburg, pendant que l'on massacrait ses partisans, que l'on brûlait leurs maisons, et que, sur un échafaud dressé devant ses fenêtres, le bourreau torturait les magistrats qui s'étaient opposés à la sédition.
C'est ainsi que périt, avec beaucoup d'autres, le pauvre Ecoutête Lanchals, celui dont le mausolée est à Notre-Dame. Il était bien caché depuis plusieurs semaines, lorsque les révoltés annoncèrent que le bourgeois qui lui donnerait asile plus longtemps serait pendu avec sa femme et ses enfants, devant sa maison. Lanchals quitta son refuge, fut pris bien vite et exécuté. Et Maximilien, pour obtenir la liberté, dut en passer par toutes les exigences des communes et jurer tout ce qu'elles voulurent, sauf à se retourner contre les révoltés.
Les églises secondaires sont nombreuses, la plupart extérieurement assez simples, mais fort riches à l'intérieur; l'Eglise de Jérusalem, très particulière intérieurement, élève par-dessus toits et pignons, dans le quartier de la Porte-Sainte-Croix, un clocher d'une forme curieuse, avec ses tourelles, ses étages octogonaux et la grosse boule qui surmonte le tout.
D'ailleurs, de quelque côté que l'on erre dans Bruges, le long de ces canaux qui tournent et s'entre-croisent dans les quartiers éloignés du centre vivant, sur les quais tranquilles, ombragés de grands arbres ou dentelés de hauts pignons, il y a toujours dans le paysage, pour lui donner tout son caractère, outre les flèches de ces églises ou de ces chapelles, les graves et nobles silhouettes de Notre-Dame et de la cathédrale Saint-Sauveur avec le vieux beffroi.
Façade sur l'Escaut.—Le Steen et ses souvenirs.—La Cathédrale et l'Hôtel de ville.—La fortune d'Anvers.—La Grande Boucherie.—La Furie espagnole et autres furies.— Le grand Siège—Une Bourse gothique.—La Maison Plantin.
Anvers, c'est la grande ville maritime moderne, l'énorme développement de bassins et de quais remplis de hautes mâtures et de cheminées à perte de vue, d'un enchevêtrement de bâtiments de toutes formes et de toutes tailles, depuis les mastodontes ventrus à quatre cheminées rouges, qui s'en viennent des pays d'Extrême-Orient ou des Amériques, jusqu'aux longues, basses et lentes péniches des canaux des Flandres ou de Hollande. Et puis d'étranges constructions, des quais flottants qui tanguent et roulent comme des navires, des grues nombreuses faisant virer des bras fantastiques, un mouvement formidable de gens et de chevaux, de chariots jetant sur les ports des montagnes de ballots et de caisses.
Voilà pour le présent, mais il y a autre chose: Anvers est une grande et magnifique ville où le passé ne peut s'oublier, car il a laissé partout, derrière la façade de grands édifices modernes alignés le long de l'Escaut, sa marque et ses souvenirs , et tous ces monuments d'art si nombreux, de toute nature et de toute importance.
Anvers a une admirable façade sur l'Escaut, presque bras de mer ici plutôt que fleuve, large de 500 mètres. C'est un panorama mouvementé et pittoresque, quand on le regarde en bateau ou de la rive du pays de Waes.
Derrière l'embarcadère flottant, une ligne de hautes constructions modernes, par-dessus lesquelles monte et s'effile la flèche géante de la Cathédrale; sur la gauche, trempant dans les eaux mouvantes, sur lesquels filent de grands vapeurs, apparaît la masse blanche du Steen, berceau du vieil Anvers. Et d'autres monuments s'indiquent par-dessus les toits, le campanile de l'Hôtel de ville, l'église Saint-Paul, d'autres flèches au loin, puis encore un massif de hautes maçonneries, la Vieille Boucherie, un édifice énorme aux pignons rouges flanqués de tourelles. Au delà, sur la gauche, ce sont les grands bassins, les grands services maritimes, la forêt des mâtures, les docks s'estompant dans une buée faite de toutes les fumées qui montent dans le ciel.
Le Steen, la Cathédrale, l'Hôtel de ville, ce sont les trois principaux monuments caractéristiques, c'est-à-dire le passé féodal, le grand élan religieux, puis l'essor commercial de la cité au seizième siècle attesté par l'ampleur du palais bourgeois, énorme auprès du petit burg du Moyen-Age.
Dès le septième siècle, il y avait un burg sur l'Escaut, au Steen.—La légende le fait bien plus vieux, et raconte que ce burg était le repaire d'un géant farouche, nommé Druon d'Antigon, qui percevait un tribut sur toutes les marchandises passant par le fleuve et coupait la main droite aux marchands récalcitrants. Sylvius Brabo, chevalier romain, comme on disait dans les romans du Moyen-Age, vint défier le géant dans son repaire, le tua, comme de juste, et lui coupa les deux mains qu'il jeta dans le fleuve.
Hand Werpen , lancement de la main, de là le nom d'Anvers «Antwerpen». Et la légende ajoute que le vaillant chevalier Brabo, illustré par son exploit, s'en alla de plus fonder le duché de Brabant.
Le Steen d'aujourd'hui, restauré tout récemment, est l'édifice réédifié au seizième siècle sur l'emplacement d'un château du treizième siècle défendant la petite cité du Moyen-Age, enfermée dans une enceinte fort étroite, mais qui sentait déjà le commencement de ses prospérités et faisait craquer ses murailles assez rapidement.
Le quatorzième siècle vit la fortune commençante d'Anvers, le quinzième son rapide développement, et le seizième le triomphe de la ville sur les cités rivales qui tenaient depuis des siècles le sceptre du commerce. Lorsque Bruges descend, quand l'ensablement du Zwin et des ports de Damme et de l'Ecluse fait abandonner l'ancienne route des navires et déserter les Halles et les comptoirs brugeois, c'est Anvers qui hérite des établissements commerciaux, des comptoirs de la Hanse et des Nations, ainsi que de toutes les flottes et des convois de marchandises venant de tous pays par la mer, par les canaux ou par les routes de terre.
C'est une prospérité inouïe. Anvers prend la première place comme ville de négoce et cette richesse de la ville, cette opulence de ses marchands, font sortir de terre églises et palais, maisons de corporations, grands logis bourgeois, monuments publics. Anvers a bientôt plus de deux cent mille habitants; elle déborde de son enceinte qu'il faut élargir et élargir encore. Des centaines de navires se balancent au mouillage devant ses murs, ils arrivent par flottilles, quelquefois cinq cents navires par jour, pendant que deux mille chariots de marchandises par semaine se présentent à ses portes.
Prospérité inouïe. C'est une ville de commerce et de banque et non une ville fabricante comme l'étaient les grandes communes: Gand, Bruges et Ypres. Il y avait à Anvers un millier de maisons étrangères et l'on disait qu'il s'y traitait plus d'affaires en un mois qu'à Venise en deux ans.
Et cette riche cité est souvent en fêtes: joyeuses entrées de Princes, de Rois et d'Empereurs, Maximilien, Charles-Quint, tournois, carrousels, fêtes des Chambres de rhétorique,—bourgeois et marchands rivalisant de luxe avec les princes et les seigneurs.
Le ciel s'assombrissait pourtant. Déjà les querelles religieuses menaçaient de tourner en guerres civiles et la riche cité commerçante, après de triomphales périodes, allait voir des séries d'années cruelles.
Le Steen, réédifié en 1520, a été complètement restauré depuis quinze ans et transformé en Musée. C'est un petit château seizième siècle avec quelques tours portées sur des bases plus anciennes, des pignons en escalier, un grand bâtiment à fines tourelles regardant les bassins. La vieille porte ogivale donne sur une jolie cour pittoresque où se trouve l'entrée du Musée sous la saillie de l'ancienne chapelle. Avant la restauration, c'était un autre genre de pittoresque; le Steen vendu à la Révolution avait été fort maltraité et avili, on y avait établi une scierie et des ateliers; des bicoques de toutes sortes s'étaient incrustées dans ses vieilles murailles et accrochées extérieurement aux tours.
Le Musée est intéressant pour ses souvenirs locaux. Les instruments de torture qui s'y trouvent conservés n'ont pas beaucoup changé de place, car le Steen fut prison pendant des siècles, prison terrible pendant les troubles et les guerres de la Réforme, et ses cachots, ses salles de la question virent passer d'innombrables prisonniers.
Ce n'était plus le temps des joyeuses entrées ni des fêtes. Au commencement du soulèvement des Gueux, quand tout le pays en insurrection se trouvait pour ainsi dire entre les mains des révoltés protestants de toute secte, que la régente Marguerite de Parme était enfermée à Bruxelles, sans pouvoir aucun, les Réformés iconoclastes avaient attaqué la procession de l'Assomption, et, pendant trois jours, s'étaient livrés à tous les excès: destruction des monuments religieux, dévastation et pillage de la cathédrale et de toutes les églises, massacre des opposants, trois journées de véritable mise à sac, simple répétition d'ailleurs de ce qui se passait aux mêmes moments à Gand, Ypres, Furnes, Malines, Valenciennes, Amsterdam, Leyde, et, partout, villes et campagnes, où les églises et les abbayes furent dévastées de fond en comble.
Ce que la splendide cathédrale d'Anvers perdit de monuments en ces explosions de folie sauvage, on le devine. Envoyé par Philippe II pour réduire les Flandres, le terrible duc d'Albe allait entrer en scène. Il arrivait à petites journées par l'Italie, la Savoie, la Franche-Comté. Son armée, composée de dix mille fantassins et de trois mille cavaliers, tous vieux soldats, suivis de mille courtisanes, se grossissait en route d'autres régiments éprouvés et d'escadrons de reîtres; la terreur de son approche remplissait les Flandres et faisait fuir à la hâte les gens compromis dans la révolte...
Ainsi Anvers, parvenu si rapidement à l'apogée de sa fortune, allait, tout aussi rapidement, par une suite de malheurs, redescendre la pente escaladée.
La guerre sévit partout, le négoce tombe à plat, tous les commerçants étrangers ont fermé leurs comptoirs. Anvers épouvanté végète sous les canons de la citadelle espagnole.
En 1576, après une suite de revers des Espagnols, quand la situation devient dangereuse pour eux, Anvers subit l'effroyable accès de rage des vieilles bandes d'Espagne, les trois journées terribles de ce qu'on a appelé la Furie espagnole .
Le 4 novembre, les troupes de la citadelle, demeurées sans solde depuis vingt-deux mois, se mutinent, réunies à un corps accouru d'Alost, sortent tout à coup de la citadelle, alors assiégée par les troupes des Etats, tombent sur la ville, enlèvent les retranchements et mettent tout à feu et à sang. L'Hôtel de ville flambe et, avec lui, huit cents maisons; trois jours durant, les Espagnols égorgent, pillent et brûlent, jettent sept mille cadavres sur le pavé de la ville.
Six ans après, c'est une secousse nouvelle. La ville était au pouvoir des Etats; le duc d'Alençon, frère d'Henri III, qui venait d'être élu duc de Brabant, reçu dans la ville avec magnificence, essaya de s'en assurer la possession. Sous prétexte de passer son armée en revue, il la réunit sous les murs de la ville. Tout à coup, un tumulte préparé s'élève à l'intérieur, l'escorte du duc qui partait pour la revue tombe sur la garde de la porte de Kindorp, la massacre et toutes les troupes massées au dehors s'élancent au cri de: Ville gagnée! Mais, revenus de la première surprise, les gens d'Anvers résistent, tendent leurs chaînes, se réunissent et chargent les assaillants; ceux-ci arquebusés de partout, écrasés sous les meubles qui leur pleuvaient sur la tête, massacrés à leur tour, sont acculés aux portes fermées, et bientôt obligés de sauter par-dessus les remparts pour s'échapper, laissant douze cents soldats et quatre cents gentilshommes sur le terrain.
Puis, c'est l'armée victorieuse du duc de Farnèse qui vient bloquer la ville, place d'armes des Etats, c'est le grand siège de 1584 et 1585, siège mémorable pendant lequel les Espagnols et les Anversois, pour la défense de leurs forts et de leurs circonvallations, inondèrent le terrain sur d'immenses étendues en amont et en aval, couvrant sous les eaux 300 kilomètres carrés!
Outre de formidables ouvrages et les grands forts Sainte-Marie et Saint-Philippe, les Espagnols avaient barré l'Escaut par d'énormes estacades et une chaîne de trente-deux gros navires, le tout défendu par quatre-vingt-dix-sept canons. Les Anversois aux abois s'efforcèrent de détruire ces estacades par tous les moyens, canonnades, machines infernales, jusqu'au jour où treize brûlots chargés de mines réussirent à faire sauter le barrage, en tuant huit cents Espagnols par leur explosion.
Néanmoins, le passage demeura fermé par de nouveaux retranchements, de nouvelles digues, et Anvers, épuisé, affamé, dut se résoudre à capituler, à des conditions d'ailleurs honorables.
Mais à la fin des guerres, dans le traité de Munster qui reconnut l'indépendance des Provinces-Unies de Hollande, une clause ordonnait la fermeture de l'Escaut, et mieux que l'estacade de Farnèse, cet article, bouclant le port d'Anvers, acheva la ruine de la ville au profit d'Amsterdam et Rotterdam. Anvers tomba si bien, qu'à la fin du dix-septième siècle, des milliers de maisons étaient vides d'habitants.
Après deux siècles, tout à coup, la grande tourmente de la Révolution souffle. Les vieux traités sont déchirés, l'Escaut est libre et Anvers commence à renaître. Un grand monument, sur la Place Marnix de Sainte-Aldegonde, commémorant l'affranchissement de l'Escaut, montre à son sommet le fleuve Scaldis délivré de ses chaînes et foulant aux pieds le traité de Munster.
Anvers reprenait le cours de ses prospérités. Quelques secousses encore pendant les grandes guerres et un siège en 1814, rappelèrent les mauvais jours; cela s'acheva après la Révolution belge de 1830 par le siège de la vieille forteresse des Espagnols restée aux mains des Hollandais. Le général Chassé, commandant de la citadelle, bombarda la ville, mais, investie par une armée française, la citadelle capitula en décembre 1832.
L'Hôtel de ville avait été achevé en 1565; incendié lors de la Furie espagnole, il fut restauré ou plutôt réédifié tout de suite après. Anvers n'est pas une de ces grandes communes de la période gothique; c'est une ville de la Renaissance, et son temps de gloire, c'est le seizième siècle. L'Hôtel de ville ne monte pas, il n'a pas de beffroi lancé à l'escalade des nuages et qui s'élève en élan passionné, tout en âme, en imagination fière et joyeuse; c'est un large et ample monument d'une architecture qui ne cherche rien du tout, mais entend jouir commodément des agréments de la vie, de la richesse et du luxe. L'architecture de la Renaissance classique, ce serait, on peut bien le dire sans blasphème artistique, une architecture d'opulent parvenu qui fait bâtir en y mettant le prix, en prenant dans les cartons quelque chose de cossu et de tout fait.
C'est néanmoins un bel édifice, bien proportionné, solidement assis; ses nobles colonnades, le superbe pavillon central en avant-corps pyramidant élégamment, la longue galerie ouverte qui règne en haut, forment un ensemble majestueux, mais il n'y a pas de détails particuliers à chercher et à savourer, de fioritures à caresser particulièrement des yeux ou du crayon comme on en trouve dans tel modeste petit bâtiment de petite cité.
Une fontaine du sculpteur Jef Lambeaux dresse, sur un massif rocheux posé à même sur le pavé de la place, le bon chevalier Brabo en costume du commencement du monde, lançant à toute volée les mains du méchant géant Antigon, étendu mort sur la pente du rocher.
A l'intérieur on voit de nobles salles et d'intéressantes décorations, surtout les belles compositions du grand peintre Leys, l'artiste aux étonnantes reconstitutions, qui faisait si bien revivre les gens, les esprits, les sites, les architectures du Moyen-Age, dans l'atmosphère même du temps, à ce qu'il semble: la joyeuse Entrée de Charles-Quint, le bourgmestre Lancelot d'Ursel haranguant les milices communales sur la Grand'Place, en 1541, au moment de marcher à la bataille, la Régente Marguerite de Parme à Anvers, etc...
La Grand'Place est en train de prendre une physionomie dans le genre de celle de la Grand'Place bruxelloise, avec la restauration ou reconstitution des vieilles façades des maisons de corporations qui la bordent, lesquelles, hélas, avaient été bien abîmées, abandonnées et transformées depuis longtemps. On refait les pignons, on redonne du style aux façades trop dénaturées. Il y a les maisons des Serments ou Corporations, celle des charpentiers, celle des drapiers du seizième siècle, reconstruite après la Furie espagnole, la maison des Tonneliers, la maison de l'Arbalète ou de Charles-Quint, de 1515, la plus haute, six étages et une façade complètement en fenêtres, avec des pilastres décorés, des armoiries; on vient de rétablir au sommet du pignon la statue équestre de saint Georges, patron de la Guilde des Arbalétriers. A côté, s'érige une autre grande façade gothique.
Les rues autour du Palais-Municipal, rue des Serments, rue des Rôtisseurs, à côté de ces pignons nouveaux, sont toutes d'aspect ancien; les hautes façades ont un grand caractère, pignons immenses, noircis par les siècles, longues lignes de fenêtres à meneaux. Combien d'étages jusqu'à la pointe du pignon? On ne sait. Et tout le quartier est ainsi.
Les bouchers ont toujours et partout formé une corporation puissante. Cela se voit aux édifices qu'ils ont laissés. A Anvers, la maison de la Vieille Boucherie est colossale, c'est un autre Steen à peu de distance du premier, une énorme construction de briques de deux couleurs, un carré de 45 mètres, à pignons majestueux flanqués de hautes tourelles. L'édifice datant de 1501, est éclairé par de belles fenêtres ogivales. Les bouchers faisaient bien les choses, il y avait même dans l'édifice une chapelle très ornée.
Aujourd'hui, on restaure l'édifice, ou du moins on le dégage, pour commencer, des vieilles maisons qui l'enserraient.
Un trou sombre formant passage voûté, sur le côté, le long d'un calvaire sous un auvent, arrange un coin bien pittoresque parmi ces vieilles maisons, au pied des sombres murs de briques aux assises alternativement rouges et blanches, écorchés par les griffes du temps. Sur un autre coin, c'est une Vierge érigée au mur d'une tourelle, avec une lanterne à ses pieds. C'est d'ailleurs une note très anversoise: partout, dans la vieille ville, on aperçoit au coin des rues saints ou madones, témoignages de la piété du passé.
L'église Saint-Paul, tout près, possède sur son flanc droit un monumental Calvaire qui n'est pas une merveille de goût, arrangé en montagne de rochers, portant sur toutes les pointes des statues d'apôtres, de saints et d'anges, avec des grottes encadrant divers épisodes de la Passion.
Le centre moderne de la vie anversoise, c'est la Place Verte, sous la cathédrale, un carré d'arbres, avec la statue de Rubens au milieu.—Ce centre de la vie était, jusque vers 1800, le cimetière de la cathédrale.—Il y a bien du mouvement, mais, en dépit de tout le bruit, des flots d'étrangers qui passent et repassent, c'est toujours en haut que les yeux sont attirés, vers l'immense cathédrale qui domine tout le fond du tableau.
Elle élève sa masse puissante, la longue nef avec la coupole en oignon du petit clocheton central, et, par-dessus tout cela, le jaillissement de la grande tour, filant ogive sur ogive, toujours plus haut, jusqu'aux étages de la flèche. Mais c'est par-dessus les pignons en escalier du vieux Marché au blé que paraît plus audacieuse, plus fantastiquement aérienne, cette flèche qui s'élance, échelons par échelons, avec des tourelles posées sur des tourelles, des pinacles hissés sur des pinacles, et reliés par des arceaux pour l'arc-bouter, la soutenir jusqu'à la dernière pointe, à 123 mètres du sol.
Ramenons nos yeux à terre. Au pied de la Tour, sur le Marché aux grains, le Puits de Quentin Metzys pose ses fioritures en ferronnerie sur une margelle toute neuve. C'est le chef-d'œuvre du vieux forgeron peintre Anversois qui, sur la pointe d'un berceau de vignes, feuillages et lis enroulés et entremêlés, en fer miraculeusement forgé, plaça la statuette de Sylvius Brabo en chevalier du quinzième siècle brandissant les mains du géant.
Ce puits, jadis, était devant l'ancien Hôtel de ville, il fut transféré ici quand on construisit le grand édifice au temps de la Renaissance.
L'intérieur de la cathédrale immense, aux nefs d'une surprenante majesté, est un musée d'œuvres d'art parmi lesquelles beaucoup de modernes, car l'église, outre les dévastations des iconoclastes vers 1566, a souffert terriblement à la Révolution. La chaire, du dix-septième siècle, énorme, est un morceau curieux, avec ses statues, sa tente supportée par des arbres, tous ses chérubins soulevant les draperies, le grand ange tombant du ciel en sonnant de la trompette et de grands oiseaux, toute une basse-cour.
Il y a les célèbres Rubens: la Mise en Croix , la Descente de Croix et l' Assomption .
La maison des parents de Rubens est tout près d'ici sur la longue place de Meir. Le grand peintre a fait construire en 1610, à côté, sur la petite rue, une belle maison du style pompeux qu'il affectionnait, maison transformée, malheureusement, et dont il ne reste que des fragments.
Devant Pierre-Paul Rubens, cavalier de noble tournure, ambassadeur, homme politique, admirable peintre, le Rubens des chairs roses et dodues, des grasses Flamandes à fraises, des gentilshommes de belle prestance, évidemment on ne se sent pas ému comme devant le mystérieux et profond Rembrandt, mais on est séduit par cette belle Flandre épanouie, pleine de santé, et bien reposée des terribles émotions du seizième siècle.
Il y a des Rubens partout à Anvers. L'église Saint-Jacques en possède aussi de célèbres; c'était la paroisse du grand peintre, inhumé dans la chapelle de la famille. Musée encore, cette superbe église, commencée vers la fin du quinzième siècle, dont la haute tour se dresse inachevée, au milieu d'énormes échafaudages.
Dès le quinzième siècle, Anvers possédait une Bourse, bientôt devenue trop étroite; la ville en construisit une autre en 1532. Les négociants se réunissaient alors en de vastes locaux entourant un préau à arcades d'un gothique capricieux. Anvers était une place de riches banquiers; dès le seizième siècle, il s'y traitait même des emprunts de princes, tout comme aujourd'hui. Brûlée plusieurs fois, cette Bourse fut définitivement ruinée par un dernier incendie en 1858. On la reconstruisit plus grande, sur le même emplacement, dans le même style ogival extrêmement fleuri.
L'ancien préau, doublé d'un étage de galeries et couvert d'un plafond supporté par de belles ferronneries, forme une très curieuse salle, avec de beaux portiques d'entrée, sur la rue de la Bourse ou sur la rue des Douze-Mois.
Anvers est une ville de contrastes! Juste devant la Bourse, un étroit couloir, en sortant de la rue très moderne et très animée, mène dans une petite cour silencieuse et paisible comme un béguinage, où de vieilles maisons entourent une petite chapelle désaffectée, aux ogives en partie bouchées, avec des tuyaux de cheminées sortant des trilobes. C'était l'hospice du Métier des Merciers. Un menuisier rabote dans la cour, une fontaine coule sous un pilier portant un vieux Saint-Nicolas tout rongé, tandis qu'à deux pas, de l'autre côté de la rue, la Bourse s'agite et bourdonne.
Un coin délicieux et bien en dehors des temps, c'est la vieille maison Plantin-Moretus, poétique musée du passé docte et artiste, que les siècles en tourbillonnant semblent n'avoir même pas effleuré. On ne le devinerait pas de l'extérieur, ce musée, sur le petit Marché du Vendredi aux maisons quelconques, il faut pousser la porte pour retrouver le seizième siècle dans la belle cour de l'imprimeur au Bois-Dormant.
Toute la maison du bon imprimeur Tourangeau, fixé à Anvers après quelques pérégrinations, en 1576, est demeurée intacte. Son appartement, sa chambre avec son lit, comme s'il était toujours là, et le bureau des correcteurs, la boutique où se vendaient les livres à la célèbre marque plantinienne, le Compas d'or , les ateliers de composition et les vieilles presses à bras qui ont tiré les beaux volumes visibles dans la boutique, la fonderie de caractères, les collections des bois et des cuivres ayant servi à l'illustration des vieilles éditions. C'est un asile charmant, cette belle cour à arcades, où, sur la façade de briques, des vignes plantées par le vieil imprimeur, montent encadrer de leurs pampres, les grandes fenêtres à meneaux. Hélas, le bon Plantin, que l'on s'attend à rencontrer en quelque couloir, l'a quittée il y a trois siècles, mais ses descendants, la dynastie des Moretus, l'ont occupée, y ont imprimé des livres jusqu'en 1876, époque où la maison, achetée par la ville, fut transformée en Musée.
Que de choses encore dans Anvers, de vieilles maisons et de grands édifices modernes, des musées, des statues: Van Dyck, Quentin Metzys, Téniers, Jordaens, Leys, un jardin zoologique superbe, un parc établi sur l'emplacement d'un vieux bastion. Et vers le port, toujours en rumeur,—où tout le travail est fait par des corporations d'ouvriers organisés, depuis le seizième siècle, en plus de cinquante nations ou groupes ayant gardé les appellations adoptées à l'origine,—dans le tumulte des chargements, des charrois, parmi tant de hangars et de magasins, il se trouve encore quelques vieux bâtiments curieux, comme la Porte de l'Escaut, sur le quai, ou la Maison Hydraulique, construite en 1553, avec un réservoir pour alimenter les brasseries du quartier.
Deux Hôtels de ville pittoresques.—Aventures et catastrophes.—Sièges.—Pestes et incendies.
Alost, petite ville industrielle, à mi-chemin entre Gand et Bruxelles, plus peuplée qu'il ne semble à première vue, n'a pas très grand caractère, et n'éveillerait pas un intérêt bien considérable, n'était la très belle maison de ville qui se dresse sur sa Grand Place.
C'est une très ancienne ville, il faut le dire, et qui a des annales assez chargées. S'il ne lui est pas resté beaucoup de maisons ou d'édifices de son vieux temps, si sa physionomie s'est un peu banalisée, cela tient sans doute aux mauvais moments qu'elle eut à passer dans le cours des siècles.
En 1360, un incendie réduisit en cendres les trois quarts de ses maisons. Une terrible aventure la mit à mal deux siècles après; au temps des guerres religieuses, la Furie espagnole de 1576 partit d'Alost. C'est un corps d'Espagnols occupant la ville enlevée par surprise, qui donna le signal. Réunis sur cette grande place d'Alost, les soldats mutinés, rendus furieux par une série d'échecs et par les misères de la guerre, furent harangués par Juan de Navarese et l'élurent pour chef. Après avoir mis consciencieusement à sac la malheureuse petite cité, ils marchèrent sur Anvers pour lui faire subir le même sort.
Toujours comme Anvers, quelques années après, Alost eut à subir la visite de l'armée du duc d'Alençon. D'autres visites ne furent pas moins désastreuses pour les habitants; en 1485 et 1580, ce fut la peste qui fit chaque fois un nombre considérable de victimes. L'église principale, la collégiale Saint-Martin, possède un grand tableau de Rubens rappelant ces tristes épisodes: Saint Roch et les pestiférés ou Alost ravagée par la peste.
L'Hôtel de ville d'Alost est très particulier, non point par la magnificence de son architecture, les exubérances du gothique flamboyant ou la belle ordonnance, mais par un arrangement de lignes et de détails curieux, et par le caractère pittoresque de l'ensemble. Le beffroi, le pignon à tourelles, les morceaux ajoutés, gothique et gothico-Renaissance, tout s'arrange de façon très amusante.
Le beffroi est une tour carrée du quinzième siècle, terminée par un campanile à carillon sur la jolie plate-forme. Sous deux statues décorant une des faces et représentant d'anciens comtes d'Alost, s'inscrit la date de 1200 juste. Si l'Hôtel de ville suivant l'habitude de toutes les vieilles personnes, ne se vieillit pas un peu par coquetterie, cela fait un bel âge, et comme il vient d'être restauré, il semble porter très bien ses sept cents ans.— Ni espoir, ni crainte , dit une inscription sur le beffroi, sans doute en souvenir des pestes, assauts, mises à sac et autres catastrophes qui tombèrent sur la ville. Brrr..., c'est beau le stoïcisme.
Le beffroi s'accompagne d'un beau pignon décoré avec un second campanile à la pointe et une tourelle sur le côté. Sur l'angle s'avance une annexe de la fin du quinzième siècle, très joli petit édifice du gothique de la dernière période, très orné, très fleuri, à pignon ondulé, avec des statues et des pinacles. Les décrochements de la façade donnent des ombres nettes qui soulignent et ajoutent au pittoresque des lignes et des détails.
Pour ajouter par la couleur quelque chose de plus, il y a au fond de la place une rangée de maisons à pignons du seizième siècle portées sur arcades, façades de briques avec encadrements de pierres. Une statue au milieu de la place s'entoure des voitures, des échoppes et des déballages du marché: c'est Thierry Mœrtens, célèbre imprimeur, né à Alost, et qui fonda en sa ville natale un des premiers établissements typographiques de Belgique.
L'Hôtel de ville a, par derrière, une deuxième façade plus sévère, un grand pignon éclairé de belles fenêtres et flanqué aussi de tourelles.
La vieille église Saint-Martin fait face au beffroi, au bout d'une petite rue; la pauvre église serait probablement fort belle, si, ayant échappé aux catastrophes de 1360 et de 1576, elle n'avait été ravagée par un incendie en 1605. Elle n'a pour ainsi dire pas de façade, on tourne autour par des petites rues et l'on ne trouve que les entrées latérales, de jolis morceaux, des arrangements de transepts, de chapelles et de toits très mouvementés.
Autre gentille petite ville, autre Hôtel de ville intéressant, à peu de distance; c'est Termonde ou Dendermonde, au confluent de la Dendre et de l'Escaut.
Dans la grasse verdure des prairies, parmi les bouquets d'arbres où çà et là des maisonnettes mettent la note rouge d'un toit de tuiles, la Dendre vire et sinue capricieusement, enserrant des remparts, des talus de batteries, tournant autour des bastions bas et s'élargissant en étang devant une porte. Il faut passer plusieurs ponts, franchir plusieurs bras de rivière pour entrer en ville. Termonde est une vieille place forte et elle a toujours compté l'eau de ses rivières comme son principal rempart.
Toutes ces eaux qui font la beauté et la fraîcheur de sa campagne lui ont servi en 1667 lorsque Louis XIV, arriva avec cinquante mille hommes, se flattant de prendre rapidement la ville, comme il venait d'enlever Alost et la plupart des places de la Flandre et du Hainaut. Mais, aux approches de l'ennemi, les défenseurs de Termonde n'eurent qu'à ouvrir leurs écluses, la campagne fut transformée en un lac, et l'armée française dut aussitôt lever le siège.
Cependant, en 1706, l'armée de Marlborough vint assiéger une garnison française, c'est l'année de Ramillies, le temps des tristesses et des revers pour le grand Roy vieilli, et cette fois Marlborough prend la place, après six jours de tranchée ouverte.
Comme tous les Hôtels de ville de Belgique, celui de Termonde vient d'être restauré. Sa large façade claire compte trois pignons à gradins donnant du pittoresque au grand comble; au milieu, monte le beffroi, haute tour carrée, encastrant en haut l'horloge entre quatre tourelles, et couronnée d'un gracieux petit campanile.
Comme décoration de façade, ce sont des statues accrochées tout le long, sous des niches, un balcon bretèche au beffroi et en bas un petit perron gardé par le lion de Flandre.
Sur le côté gauche de la place, un autre édifice important fait vis-à-vis à l'Hôtel de ville, un grand bâtiment avec un toit énorme, de hautes lucarnes à gradins et une fine tourelle sur le côté; c'était jadis la Halle aux draps convertie aujourd'hui en Musée.
Il y a une église intéressante, Notre-Dame, qui peut montrer un grand décor d'autel de Saint-Nicolas, des fonts baptismaux curieux, et diverses œuvres d'art. David Téniers habita longtemps Termonde. Etait-ce là qu'il portait ses tableaux à vendre au marché sur son âne?
La Grand'Place.—La Tour géante de Saint-Rombaut.—Un grand palais ruiné.—Vieux logis.—Orfèvrerie de pierres à Louvain.—L'Eglise Saint-Pierre.—Autres tours géantes écroulées.—L'Université.—La Grand'Place d'Audenarde et l'Hôtel de ville.—Notre-Dame de Pamele.
La dominante architecturale de Malines, ce n'est pas un beffroi de maison communale, c'est un clocher d'église: la très grosse et très haute tour de Saint-Rombaut. La vieille cité catholique, la vieille ville des dentelles,—très abandonné, le fuseau des dentellières,—bien que modernisée sur ses grandes voies, conserve, dans les quartiers serrés du centre, assez de vieux édifices pour faire cortège à son imposante cathédrale au formidable clocher.
La Dyle, une rivière pas bien large, tourne et retourne à travers les maisons et se divise en plusieurs bras. De temps en temps, on trouve un pont, une percée dans les vieilles murailles, c'est la Dyle qui passe et disparaît sous des voûtes, sous des bâtisses désordonnées, sous des verdures, dans des cours et des jardins.
La Grand'Place, qui se prolonge à droite et à gauche par d'autres places, est admirablement encadrée de très beaux monuments. On trouve d'un côté les Halles, ou plutôt le bâtiment composé des Vieilles Halles et du palais bâti par Charles-Quint pour le Grand Conseil. A gauche, l'ancienne Maison échevinale; en face, une rangée de belles maisons du seizième siècle, accompagnant un Hôtel de ville du dix-huitième, au-dessus desquelles maisons se dressent la nef de Saint-Rombaut, l'abside avec ses magnifiques fenêtres et toutes ses chapelles et la tour colossale.
Saint Rombaut était venu d'Ecosse prêcher le christianisme à Malines vers l'an 700; l'église actuelle date des quatorzième et quinzième siècles. Malines fut érigé en Archevêché pour le cardinal Granvelle, le célèbre ministre de Philippe II, qui eut aussi le titre de Primat des Flandres. C'était en 1559, le roi Philippe II procédait à la réorganisation des Pays-Bas et nommait, entre autres, Guillaume d'Orange, au gouvernement de Hollande, et le comte d'Egmont à celui de Flandre et d'Artois; la duchesse Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles-Quint, était gouvernante générale.
La tour étonne par ses proportions et charme quand on suit le détail des lignes; ce sont d'énormes contreforts habillés de belles sculptures, de niches, de dais, de pinacles, de balustrades, et cela monte à 97 mètres, jusqu'à une belle plate-forme portant une amorce de flèche qui n'a jamais été construite.
Cette géante de pierres, incomplète, ressemble à la Tour Saint-Jacques de Paris, mais elle est plus massive et plus haute. On devait encore lui ajuster une flèche proportionnée à sa taille, montant d'une soixantaine de mètres encore, mais les événements du seizième siècle ont arrêté sa construction. Les habitants de Malines ne peuvent se consoler de ne point voir cette flèche dans leur ciel, et ils accusent Guillaume d'Orange de leur avoir volé les pierres amassées pour la construction, en vue de bâtir la ville de Willemstadt, créée par lui au milieu des polders, en avant de Rotterdam.
Pour se rendre exactement compte des proportions de la tour, il suffit de regarder à ses pieds le pavé de la place. Au centre, s'élève la statue de Marguerite d'Autriche, tante de Charles-Quint, gouvernante des Pays-Bas, qui avait établi sa résidence à Malines. On a reproduit, autour de la statue, sur le pavé, le cadran de l'horloge placée tout en haut de la tour et ce cadran mesure 13m.70.
On vient de commencer la restauration de l'édifice composite, à la fois Halles et Palais du Grand Conseil. Il en avait besoin; en certaines parties, c'était presque une ruine, utilisée tant bien que mal en maisons. Cela faisait tout récemment encore un amalgame extrêmement pittoresque. La façade était en trois morceaux distincts: un grand pavillon au centre, grande porte ogivale surmontée d'une galerie crénelée et d'un pignon flanqué de tourelles;—un pignon du seizième siècle à droite,—et sur le flanc gauche, un édifice tronqué, découronné, d'une très belle architecture du seizième siècle, fortement écorchée, montrant çà et là des sculptures brisées ou grattées, avec les restes d'une jolie tourelle d'angle au-dessus d'un estaminet, et des boutiques banales au rez-de-chaussée, sous des galeries bouchées qui devaient avoir été fort belles. D'ailleurs, sur toute la façade, de grandes ogives murées, des rafistolages de plâtre, des blessures béantes, des estafilades et des cicatrices, montraient combien outrageusement le pauvre palais de Charles-Quint avait été maltraité.
C'était là que siégeait le Grand Conseil, la Consulte , au temps où la Cour de la Gouvernante et les administrations établies par elle à Malines apportaient à la ville animation et prospérité. Malines ne produisait pas que des dentelles pour les fraises des nobles dames, elle fondait des canons et des bombardes pour les armées espagnoles.
Mais les beaux jours avaient parfois de tristes lendemains: ce n'était pas assez de l'épouvantable catastrophe amenée par l'explosion de son grand magasin à poudre, qui détruisit plusieurs églises et trois cents maisons, en tuant ou blessant huit cents personnes, Malines eut encore à souffrir des dévastations et des mises à sac en 1566, 1578 et 1580. Alors disparurent bien des riches logis et les édifices survivants reçurent de nombreuses blessures.
La vieille Maison échevinale, en meilleur état que le Palais de Charles-Quint, n'a pas autant d'importance; c'est cependant un bâtiment d'une assez jolie silhouette grâce à un arrangement de pignons, à la tourelle d'angle et au petit clocheton posé sur son toit.
Sur les Bailles de fer ,—joli nom d'allure romantique,—qui commencent là, se voient quelques pignons du dix-septième siècle encadrant gentiment le marché. Ces Bailles de fer , large rue plutôt que place, conduisent au Grand Pont sur la Dyle, pont du treizième siècle, mais fort abîmé, dont les vieilles arches sombres tiennent à tout un quartier de vieilles constructions patinées à souhait.
En face, sur le Quai au sel, on trouve quelques-unes des plus curieuses parmi les maisons de Malines; la maison d'Adam et Eve a deux étages d'arcatures gothiques: celles de rez-de-chaussée encadrent les deux bas-reliefs qui ont fourni le nom à l'immeuble, la tentation d'Eve, puis Adam et Eve chassés du Paradis. D'après d'anciennes vues, la maison possédait jadis une belle tourelle d'angle disparue. A côté, autre pignon, de bois cette fois, très fouillé, avec sirènes à l'auvent et statuettes à chaque poteau d'encorbellement.
Il s'en trouve un peu plus loin un autre non moins remarquable, en pierre, qui présente du haut en bas des encadrements de fenêtres fort compliqués, arcs trilobés, surbaissés, avec une jolie porte intacte comme sculptures et panneaux. Çà et là se montre quelque haute tourelle de briques, tourelle d'escalier sans doute, montant à une belle hauteur par-dessus les toits, ou surgissant dans des cours de maisons jadis importantes.
Que voir encore de Malines au hasard des petites rues? Le Palais de la Gouvernante, Marguerite de Parme, sert aujourd'hui de Palais de justice, c'est un bel édifice de noble architecture complètement restauré de nos jours. Un débris des remparts apparaît isolé parmi les arbres du boulevard, c'était la porte de Bruxelles, ouvrant entre deux fortes tours coiffées de bizarres poivrières, énormes et renflées en haut. Combien cela devait être plus joli avec l'avancée au-delà du fossé, comme le montrent les estampes d'autrefois.
Et les églises: Saint-Jean, belle tour, jolie petite rosace au portail, Sainte-Catherine, Notre-Dame d'Hanswyck, coupole basse du seizième siècle, Notre-Dame-au-delà-de-la-Dyle, plus intéressante, ces deux dernières s'arrangeant de façon très pittoresque parmi le fouillis des masures et des arbres au-dessus de la rivière.
Il n'y a pas un grand nombre de kilomètres entre Malines et Louvain, toutes les deux situées à une quinzaine de kilomètres de Bruxelles et aussi sur la même petite rivière, la capricieuse Dyle qui la traverse divisée en plusieurs bras enfermant des îlots de maisons, ou les blocs de grands bâtiments des brasseries.
Louvain, vieille cité qui eut aussi ses jours de grandeur et d'opulence, se trouve aujourd'hui, après une série de mauvaises chances et de malheurs, très au large dans l'enceinte à peu près circulaire tracée il y a cinq ou six siècles, qu'elle remplissait de ses rues populeuses, de ses maisons serrées. Maintenant la ville s'est comme recroquevillée sur elle-même, la campagne a refranchi l'ancienne ligne des remparts et reconquis bien du terrain, de rue en rue.
Cette résidence des anciens ducs de Brabant était pourtant, comme tant d'autres villes de métiers, importante avec ses puissantes et riches corporations du drap et de la toile, et de plus une ville d'Université depuis 1426.
Le temps de prospérité des drapiers et tisserands est le quatorzième siècle: alors Louvain comptait deux cent mille âmes, plus que la plupart des capitales d'alors. Son Université au siècle suivant eut parfois huit mille étudiants répartis dans quarante-trois collèges. Aujourd'hui, temps de renaissance après une éclipse presque totale, elle en a deux mille.
Au quinzième siècle, la draperie déclinait déjà; il fallut pour l'achever que le siècle suivant apportât avec lui tous les malheurs, la peste et la guerre. La peste s'acharna sur la malheureuse ville, elle tua cinquante mille habitants, dépeupla l'Université de ses élèves et finit par emporter tous les professeurs.
Ensuite les guerres de la Réforme survinrent, lesquelles détruisirent, suivant les historiens, trois mille trois cents maisons, ce qui faisait ressembler Louvain «moins à une ville qu'à une campagne ravagée». Actuellement, la ville remonte la pente, puisque de vingt-six mille habitants, en 1840, elle en compte maintenant plus de quarante mille.
Il reste à Louvain, de son âge prospère, un splendide édifice, un Hôtel de ville de toute magnificence, construit au milieu du quinzième siècle, et qui semble véritablement le chef-d'œuvre d'une confrérie d'orfèvres qui auraient travaillé la pierre, ou de maçons qui auraient tenté d'imiter l'œuvre des dentellières.
Construit tout à fait sur le modèle de ces châsses merveilleuses destinées à renfermer des reliques vénérées, il ne lui manque que des émaux et des pierres précieuses étincelant et rutilant au bout de ses pinacles ou dans les découpures de ses balustrades.
Cette fabuleuse architecture, ne pouvant être renfermée dans un musée, brille au plein soleil sur une Grande Place, pas très grande, étroite même, resserrée entre ce magnifique reliquaire d'art gothique et l'église Saint-Pierre, autre très beau morceau, au point de vue pittoresque surtout.
L'Hôtel de ville fait penser à une Sainte-Chapelle, c'est la même simplicité de plan, la même netteté de lignes, un rectangle à deux pignons lançant une svelte tourelle à chaque pointe, avec une autre tourelle à chaque angle, mais le tout est fouillé et sculpté de la base au faîte, fleuri de la première à la dernière pierre. Trois étages de fenêtres entre chacune desquelles une colonnette engagée au bas porte sur une saillie triangulaire, en guise de contreforts, une série de statues superposées sous des dais délicatement ciselés; tout le long du toit, règne une belle galerie de créneaux ajourés en balustrade flamboyante. Les tourelles d'angle, à partir de là, ont encore deux étages de plates-formes et une flèche aussi ajourée. Sur le toit, quatre étages de lucarnes.
Et partout, du haut en bas des arcatures trilobées, un hérissement de fleurons, de crochets, de pierres miraculeusement frisées, dentelées, tortillées. Et l'ensemble est d'une grâce souriante et épanouie. Il n'est pas d'architecture plus gaie que ce gothique flamboyant; par tous les temps, à travers bourrasques, brumes, tempêtes et révolutions, le gothique sourit toujours. Quelles lunettes portaient donc les gens du dix-huitième siècle qui l'accusaient d'être un art de tristesse!
Cet admirable monument était, comme tant d'autres, comme presque tous les monuments du Moyen-Age, arrivé à notre époque fort maltraité, et il a dû subir de nos jours une complète restauration; bien entendu les statues manquaient ou se trouvaient mutilées, il a fallu les refaire.
On fait commencer la décadence de Louvain à la fin du quatorzième siècle, après les dissensions entre les nobles et les artisans qui ensanglantèrent maintes fois la ville. Un des principaux chefs des gens des métiers ayant été assassiné à Bruxelles par des nobles chassés de Louvain, le peuple, quand la nouvelle en arriva, se rua en fureur sur les logis des nobles qui durent chercher refuge à l'Hôtel de ville.
Mais la foule les y pourchassa et enfonça toutes les portes, les nobles furent impitoyablement massacrés et jetés par les fenêtres sur les piques du populaire entassé sur la place.
Les massacres suscitèrent d'autres massacres en représailles, il en résulta une longue guerre qui se termina mal pour Louvain. Le duc de Luxembourg, Wenceslas, futur empereur d'Allemagne, petit-fils de Jean de Luxembourg, le roi de Bohême aveugle qui mourut à Crécy, amena une armée pour châtier la ville où il entra par la brèche en janvier 1382. C'est alors que la fabrication des draps commença à décliner et que beaucoup d'artisans portèrent leurs Métiers en Angleterre.
Cette décadence n'empêcha pourtant pas Louvain de construire l'admirable Hôtel de ville actuel, pour remplacer celui qui avait été le théâtre de cette défenestration , et que sans doute la guerre avait ruiné comme une énorme quantité de maisons en ville.
Presque en face de l'Hôtel de ville s'ouvre le porche latéral de l'église Saint-Pierre. Ce côté de la place est tout à fait pittoresque, il y a encore de vieilles petites maisons rouges, à lucarnes flamandes pourvues de frontons à volutes, sous les chapelles de l'église. Pourvu qu'on ne les démolisse pas! l'abside est déjà complètement dégagée et il y a bien des démolitions en train autour de Saint-Pierre. Cela fait si bien partout, ces églises surgissant au-dessus des maisons basses serrées, nichées, pour ainsi dire, dans le giron du grand monument. Ici comme ailleurs, l'église y prend une majesté et une grandeur remarquables, cet entourage cadre très bien avec l'architecture rude du porche devant lequel s'avancent les bases d'un portail commencé, et les deux étages de fenêtres, d'un joli dessin, les pignons des chapelles et tous les arcs-boutants ajoutent encore du mouvementé.
Pour l'intérieur, il faudrait comme à presque toutes les églises, répéter qu'il est majestueux et riche en monuments et œuvres d'art: jubé gothique, grand tabernacle, tombeaux, retables, tableaux, chaire décorative posée sur un gros rocher de bois sculpté formant grotte, avec arbres, feuillages sculptés et statues, particulièrement un saint Paul de grandeur naturelle tombant de cheval sur la route d'Ephèse.
Notons encore un Christ singulier, vêtu d'une robe de velours, et très vénéré parce qu'un jour, suivant une légende, il détacha un bras de sa croix pour saisir un voleur en train d'enlever le calice de l'autel.
Il paraît que jadis, au-dessus de la façade, une énorme tour montait à 175 mètres, sans la croix, entre deux autres de 140. C'était de toute l'Europe la pointe monumentale la plus haute. Le 31 janvier 1604, un ouragan formidable soufflait sur Louvain; la grosse tour, orgueil de la ville, vacilla soudain sur ses deux voisines qui fléchirent, et toutes trois s'écroulèrent sur les maisons voisines, pendant que la grande croix emportée passait par-dessus les maisons de la Place et s'en allait au loin tomber dans la Dyle.
Ici, comme dans toutes les villes, les riches corporations possédaient des Halles monumentales. Les anciennes Halles aux draps, actuellement occupées par l'Université, ne sont qu'un débris de l'édifice primitif du treizième siècle; il reste le rez-de-chaussée, très dénaturé extérieurement, sur lequel au dix-septième siècle, on a construit un étage sans beauté. Cependant la grande salle d'entrée est d'un beau caractère, avec son double escalier dans le fond, son plafond à grosses poutres, porté par une épine de fortes colonnes gothiques.
Partout on rencontre l'eau dans la ville, la Dyle que l'on passe et repasse; partout fument de grandes brasseries: c'est la ville de Gambrinus, partout roulent de grandes voitures chargées de tonneaux. Dans toutes ces rues où l'atmosphère a l'odeur et le goût de la bière, on peut rencontrer un certain nombre de vieilles maisons ou de choses intéressantes, mais sans exagération.
Il y a, non loin de l'Université, un beau et grand pignon de briques à rosaces curieuses, qui provient peut-être de quelque collège; plus loin, un reste de tour avec un morceau de rempart dans un parc. Dans la rue de Bruxelles, se voit, près de l'Hôpital, un vieux portail roman assez curieux appliqué à une chapelle moderne.
Parmi les églises, Sainte-Gertrude et Saint-Jacques surtout, ont quelque
intérêt, le grand pignon de Saint-Jacques et sa flèche, se découpent
pittoresquement sur le ciel. Quant aux bâtiments de l'Abbaye du Parc aux
portes de la ville, ils ont été modernisés au dix-huitième siècle.
Audenarde, c'est encore un Hôtel de ville de premier ordre, encore un très merveilleux édifice qui peut bien se mettre au premier rang, à côté de celui de Louvain. Il est dans le même caractère et tout autant ciselé, tout autant fouillé et travaillé, avec la délicieuse fantaisie du gothique le plus flamboyant, et même il possède, pour le distinguer de la Châsse de Louvain, quelque chose de plus, un beffroi superbe.
C'est pourtant une bien petite ville par le chiffre actuel de sa population, six mille habitants, mais il ne lui suffit pas d'avoir pour Hôtel de ville un chef-d'œuvre de l'art gothique, elle a encore deux belles et grandes églises. D'ailleurs Audenarde jadis était artiste, ce n'est pas des draps qu'elle fabriquait, mais des tapisseries de haute lisse très fameuses, et c'est même chez elle qu'on vint chercher, à la fondation des Gobelins, des ouvriers habiles et le maître tapissier Jans pour les diriger.
Son histoire est celle de toutes les villes voisines pendant les siècles du Moyen-Age. Lorsque Gand se révolta contre le duc Philippe le Bon en 1452, un corps d'hommes d'armes du duc, commandé par le sire de Lalaing, défendit la ville d'Audenarde contre les milices gantoises, trente mille hommes, qui avaient amené avec elles, entre autres pièces d'artillerie, le grand canon Dulle Griet, Marguerite l'Enragée, et Audenarde allait succomber si l'armée du duc, avec toute la noblesse des Flandres, n'était venue livrer bataille aux assiégeants sous les murs de la ville.
Audenarde connut aussi toutes les alarmes, toutes les mauvaises chances des guerres du seizième siècle. Cependant, prise par Alexandre Farnèse, duc de Parme, dans sa campagne de 1581, elle fut plus heureuse que d'autres.
Une maison de la Grand'Place avait abrité un roman d'amour de l'Empereur Charles-Quint, et Farnèse, se souvenant que sa mère, Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles-Quint et d'une belle Flamande, Jeanne van der Gheenst, de la famille d'un maître tapissier d'Audenarde, y était née, épargna à la ville les horreurs de la mise à sac. Plus tard, elle fut prise trois ou quatre fois par les Français qui la démantelèrent.
Pour l'Hôtel de ville, c'est la même ordonnance qu'à Louvain, un rectangle à double pignon, décoré de la même façon, avec la même prodigalité. En plus, le rez-de-chaussée est précédé d'une jolie galerie d'arcades en avant-corps, grand balcon régnant sur toute la façade, et du milieu duquel se détache le beffroi, jolie tour carrée aussi fouillée que tout le reste, ouverte au dedans de la galerie en manière de «bretèque» pour parler au peuple. La grande salle échevinale donne sur cette bretèque, une grande salle de noble caractère, avec une magnifique cheminée comme il s'en trouve une série à signaler dans les Hôtels de ville de Belgique.
Le beffroi a encore trois étages après la naissance du toit, dont deux octogonaux pour le campanile, et il se termine par une coupole à jour en forme de couronne impériale, fleuronnée et hérissée de crochets, au sommet de laquelle plane orgueilleusement une statue dorée d'homme d'armes, que les gens d'Audenarde appellent Hanske, le «petit Jean le Guerrier».
L'Hôtel de ville est dans tout l'éclat d'une récente restauration, qui met en relief toute la délicatesse de sa délicieuse ornementation: on a doré la crête du faîtage et les aigles impériales placées au sommet des grandes lucarnes.
De l'autre côté de l'immense Grand'Place, au delà d'une fontaine datant de l'occupation française sous Louis XIV, au-dessus de maisons qui semblent minuscules en raison de la distance, montent les murailles sombres de Sainte-Walburge, église considérable, dominée par une belle tour robuste de 98 mètres.
Pittoresque plutôt que belle, l'église est faite de morceaux abîmés ayant fortement souffert, ou de parties refaites, car elle a subi plusieurs dévastations, d'abord au seizième siècle, quand les Réformés iconoclastes mirent, à Audenarde comme ailleurs, les églises à sac, et ensuite, pendant les guerres du dix-septième siècle, par les sièges et ensuite, pendant les guerres en 1864.
Dans le quartier de Pamele, où jadis, entouré par l'Escaut, se trouvait le très curieux château à enceinte ronde ou plutôt octogonale, détruit au dix-septième siècle, s'élève une autre église, Notre-Dame de Pamele, édifice romano-gothique d'un bon effet, sur le bord de la rivière, dans le mouvement de la batellerie, parmi les mâts des péniches attendant l'éclusée.
La Grand'Place et ses souvenirs.—L'Hôtel de ville.—La Maison du Roi et les Maisons de corporations.—Les comtes d'Egmont et de Horn.—Sainte-Gudule et les églises.—Palais sur palais.—La porte de Hal.
Jamais personne n'a parlé de Bruxelles autrement que pour reconnaître son charme et ses agréments divers. Grande et superbe ville, Bruxelles trouve le moyen de se montrer vraiment une capitale très moderne, tout en demeurant une ville originale, bien flamande, bien caractérisée, d'aspect aimable et gai, d'être cosmopolite sans cosmopolitisme banal, et de conserver, ce qui devient si rare partout, la couleur locale.
Une capitale toute pimpante de jeunesse et de modernité, cela se voit aux fastueuses architectures dans le goût du jour, aux dômes et coupoles s'allongeant ou bombant dans le ciel, au coin des grandes artères nouvelles sillonnées de trams électriques, agitées d'un mouvement intense,—mais tout ce décor vingtième siècle, tous ces quartiers de la vie actuelle, tous ces boulevards auxquels on passe la banalité des choses neuves qui n'ont pas encore beaucoup vécu, tout cela tourne autour d'un centre historique et artistique, où tout le caractère d'une vieille cité flamande se montre pleinement pittoresque et expressif.
Le noyau, le vieux Bruxelles central, pour quiconque ne s'attarde pas aux nouveautés des grandes voies ou aux élégances des magasins en recherche de somptuosité, offre autant de savoureuses satisfactions artistiques qu'on en peut désirer. Il y a tout le quartier de l'Hôtel de ville si curieux, si grouillant, si amusant, si haut en couleur, où tous les aspects, de coin de rue en coin de rue, sont intéressants par la variété, l'imprévu, le mouvementé.
La Grand'Place est un des points les plus caractéristiques de notre vieille Europe, par son merveilleux ensemble architectural: l'Hôtel de ville tenant tout un côté, la maison du Roi, ancienne Halle au pain en face, et l'entourage curieusement découpé des maisons de corporations.
Le colossal Hôtel de ville, avec ses 80 mètres de façade et sa tour haute de 114 mètres, domine superbement toutes ces architectures entassées, d'un mouvement, d'une richesse et d'une variété de lignes extraordinaires et si chaudement colorées. C'est aux premières années du quinzième siècle que Bruxelles, déjà ville florissante, s'offrit ce gigantesque édifice, que pour la glorification des libertés communales, on voulut faire puissant et somptueux, surchargé, hérissé de sculptures, polychromé et même recouvert de feuilles d'or par places, aux fines tourelles et ailleurs.
Commencé en 1402, l'œuvre s'acheva en 1455. L'énorme masse a deux étages de hautes fenêtres sur un rez-de-chaussée précédé d'une galerie d'arcades, des rangées de statues partout où le nu des murs pouvait se montrer, de belles tourelles d'angle montant aux pignons et une galerie crénelée. Le beffroi partage la façade en deux parties inégales, la plus longue est la plus ancienne; il y a quelque différence au premier étage, après la tour, dans l'aile droite commencée en 1444. Elle monte superbe à l'escalade des nuages, cette tour, fine et légère dans la moitié supérieure, polygonale, et soutenue, quand elle a dépassé le grand comble, par de fines tourelles faisant office de contreforts. Tout en haut, sur la pointe, le patron de la ville, un Saint Michel, statue de cuivre doré, ayant 5 mètres de taille, les pieds sur le Mauvais Ange, brandit l'épée et tourne à tous les vents depuis 1445.
Les bâtiments forment un vaste carré autour d'une cour centrale. Ils renferment nombre de belles salles restaurées et décorées, soit en 1718, soit à notre époque. Au point de vue historique, il faut retenir l'ancienne salle des Etats de Brabant, dans laquelle en 1556 l'empereur Charles-Quint vieilli, usé, cassé avant l'âge, prononça son abdication dans une séance mémorable et remit le sceptre à son fils Philippe II. C'est là aussi, que douze ans plus tard, les comtes d'Egmont et de Horn entendirent prononcer leur sentence. L'Hôtel de ville a beaucoup souffert du bombardement de 1695 et toute la partie postérieure de l'édifice dut être reconstruite.
Cette année-là, au cours des grandes guerres soutenues avec des fortunes diverses par Louis XIV, contre les puissances coalisées: Angleterre, Hollande, Espagne, Allemagne, Savoie, une armée de soixante mille hommes, sous le commandement de Villeroy, se présenta devant Bruxelles, pour faire lever, par une énergique diversion, le siège de Namur que défendait Boufflers.
En représailles de tous les bombardements à outrance, avec brûlots et machines infernales, par lesquels les Anglais essayaient de détruire tous les ports français, Le Havre, Saint-Malo, Calais, Granville, Dunkerque, Dieppe, etc., Villeroy déchaîna sur Bruxelles pendant trois jours, du 13 au 15 août 1695, un ouragan de bombes et de boulets rouges. L'incendie, activé par un vent violent, fit de la ville une effroyable fournaise. Seize églises ou chapelles, quatre mille maisons furent réduites en cendres. L'Hôtel de ville flambait, les Maisons des corporations s'écroulaient, ce fut un désastre épouvantable qui n'empêcha pas Namur de tomber aux mains du roi d'Angleterre, et les batailles de continuer.
La prospérité de Bruxelles n'avait fait que grandir sous les princes de la maison de Bourgogne, son commerce s'était développé, ses métiers pouvaient rivaliser avec ceux de Gand et d'Anvers et le règne de l'empereur Charles-Quint avait été pour la ville un temps de splendeur. La Grand'Place, cadre magnifique pour les fêtes et les tournois, devait voir après Charles-Quint de tout autres spectacles.
Les querelles religieuses commencées, aux ravages des iconoclastes, aux excès de tout genre, répondirent les supplices et les massacres, la guerre répondit à la guerre. C'est à Bruxelles que, le 3 avril 1566, les gentilshommes confédérés réunis au nombre de quatre cents à l'Hôtel de Culembourg, apportèrent solennellement à la Gouvernante Marguerite de Parme, le Compromis d'Union et la requête de suspension des édits contre les protestants; c'est alors qu'ils adoptèrent pour leur parti le nom de Gueux , se parant fièrement d'une injure reçue de l'un des conseillers de la Gouvernante. Tout le pays était précipité dans la guerre civile et l'anarchie. Le duc d'Albe fut chargé de faire tête à la rébellion, aux gueux des bois harcelant les Espagnols par toutes les provinces, aux gueux de mer qui donnaient la chasse aux navires d'Espagne, et faisaient des descentes victorieuses dans les ports. Dès son arrivée à Bruxelles le 22 août 1567, le Conseil des Troubles commença son œuvre de répression. Le duc d'Albe fit prononcer la peine capitale contre les signataires du Compromis et raser l'Hôtel de Culembourg.
Le comte d'Egmont et le comte le de Horn, arrêtés, non comme Réformés puisqu'ils étaient catholiques, ainsi que bon nombre de signataires du Compromis, mais comme défenseurs de l'indépendance flamande, furent amenés à Bruxelles et enfermés à la Maison du Roi, en face de l'Hôtel de ville. Le 5 juin, à cinq heures du matin, vingt-deux compagnies espagnoles, mèches allumées, vinrent se serrer autour d'un échafaud drapé de noir. Le comte d'Egmont, le vainqueur de Saint-Quentin, parut au milieu des soldats; après s'être confessé à l'évêque d'Ypres et avoir reçu l'extrême-onction sur l'échafaud, il posa sa tête sur le billot. Dès que l'épée du bourreau se fut abattue, on amena le comte de Horn dont la tête roula bientôt près de celle de son ami, au milieu d'un tumulte de cris de fureur et de gémissements montant de la foule que les arquebusiers avaient peine à maintenir. D'une fenêtre de l'Hôtel de ville le duc d'Albe assistait au supplice, et, dit-on, pleurait aussi.
La Maison du Roi ou Halle au pain servit de maison communale jusqu'à l'achèvement de l'Hôtel de ville. L'édifice qui existe actuellement, en style ogival extrêmement fleuri et tout étincelant d'une récente restauration, fut construit en 1515. C'est aujourd'hui le Musée historique. La maison du Roi avait été restaurée déjà au dix-septième siècle. A cette époque, pour remercier Notre-Dame de la Paix d'avoir délivré Bruxelles de la peste, de la famine et de la guerre, on y grava l'inscription: A peste fame et bello, libera nos Maria Pacis ; ce qui n'empêcha pas les bombes de 1695 de rendre nécessaire une autre restauration.
On sortait de la cruelle période des guerres, on avait souffert de la grande peste de 1578 qui avait emporté 27 000 Bruxellois, et l'on avait connu la famine pendant le blocus de 1584. Le règne réparateur de l'infante Isabelle, mariée à l'archiduc Albert, allait heureusement faire oublier les calamiteuses années et ramener la prospérité. La sève énergique de ce terrible seizième siècle perçait toujours, malgré désastres et catastrophes.
C'est de ces temps orageux que datent, pour la plupart, les grandes maisons de corporations qui bordent la Grand'Place de leurs façades compliquées et surchargées, rehaussées de peintures et de dorures, façades qu'il fallut malheureusement refaire avec modifications, après le bombardement de 1695.
A droite de l'Hôtel de ville, côté de la rue de la Tête-d'Or, c'est d'abord la Maison du Renard , construite par la corporation des merciers, un pignon à volutes et frontons, avec une statue en haut, et au balcon du premier étage cinq figures, les Parties du Monde; plus haut, des cariatides, et à l'entresol, des bas-reliefs.
A la Maison des Bateliers , sa voisine, c'est bien autre chose, le pignon a été transformé ultérieurement en gaillard d'arrière de frégate, avec balcon, canons, statues de matelots montant la garde, et au-dessous, une figure de Neptune et des chevaux marins cabrés dans les vagues de la mer.
Ensuite, la Maison de la Louve , indiquée par Romulus et Rémus allaités par la louve, en bas-relief, et qui était le local de la guilde des archers, statues nombreuses, fronton et, tout en haut, le phénix renaissant de son bûcher. Puis, Maison du Sac , aux tonneliers et menuisiers, beau pignon à volutes très ornementé, Maison des Imprimeurs ensuite.
A gauche de l'Hôtel de ville, la Maison du Cygne , aux bouchers, la Maison des Brasseurs , très large fronton surmonté de la statue équestre du duc Charles de Lorraine, puis les pignons de la Rose blanche et des Drapeaux . Tout le côté de la place en retour est pris par un grand édifice à pilastres et frontons précédé de trois perrons; c'est l'Hôtel dit des ducs de Brabant , pour la série de bustes à la base des pilastres, hôtel divisé en habitations particulières désignées, suivant la coutume ancienne, par des noms tirés de sculptures servant d'enseignes, comme Saint Antoine, la Fortune, la Pinte, etc., l'Hôtel des ventes en occupe une partie, et cela donne à la place déjà si mouvementée un supplément de mouvement et de bruit. On vend à l'encan, dans les salles intérieures, les ventes débordent sur le perron, les mobiliers s'entassent sur le pavé, les enchères volent, les commissaires-priseurs agitent leurs marteaux jusqu'au milieu de la Grand'Place.
En face de l'Hôtel de ville, la Maison du Roi est flanquée de deux groupes d'autres pignons, moins truculents qu'à côté, mais encore très joliment découpés, où l'on peut signaler la Maison des Tailleurs , en style classique, mais très décorée et très surchargée au sommet.
Tout autour, par derrière, dans les rues étroites, le pittoresque continue; ce sont des façades souvent presque aussi belles que celles de la Place, des recoins curieux, derrière la Maison du Roi, rue des Harengs ou rue Chair-et-Pain, rue au Poivre ou sur le Marché aux herbes, derrière l'Hôtel de ville, rue des Chapeliers, rue de la Tête-d'Or, rue de l'Amigo, rue de l'Etuve.
Ici arrêt forcé toujours, à l'angle décoré par le très fameux Manneken-Pis , fétiche bruxellois et curiosité légendaire. Ce petit bonhomme «shoking», le plus ancien bourgeois de Bruxelles, œuvre du sculpteur Duquesnoy, est là depuis 1648, et remplace une figure plus ancienne représentant un Godefroy, fils d'un duc de Brabant. Ce petit Manneken , nu ordinairement, a cependant, pour les jours de fête, une garde-robe bien fournie. Un Electeur de Bavière lui donna plusieurs riches habillements, avec un valet de chambre pour l'habiller. Louis XV, en réparation des insolences de quelques grenadiers français, le fit chevalier de ses ordres et lui envoya un magnifique costume, avec épée et chapeau à plumes, que l'inconstant personnage remplaça par un bonnet rouge en 93. A la Révolution de 1830, pour le conquérir au nouvel ordre des choses, on le fit officier de la garde civique.
Du Marché aux herbes, la rue de la Montagne conduit à l'église Sainte-Gudule, l'imposante masse sombre qui se dresse là-haut sur l'ancienne Colline aux moulins. Les deux grosses tours de la façade, au-dessus d'un large soubassement formant perron d'une quarantaine de marches, ont, bien que très ornées, une grandiose sévérité de lignes, par leur plate-forme crénelée, par les robustes contreforts en tourelles d'angle et par leurs fenêtres en lancettes, sévérité compensée par un gable du quatorzième siècle, très découpé, à statues, pinacles et clochetons, au-dessus du portail central. De très beaux et très riches porches latéraux s'ouvrent sur les transepts au pignon très orné.
A l'intérieur, beaux vitraux, monuments divers, grands mausolées, et naturellement chaire du même style extraordinaire que dans toutes les églises importantes,—peut-être la plus extraordinaire de toutes. Sous la chaire proprement dite, Adam et Eve, figures colossales, sont chassés du Paradis terrestre par l'ange à l'épée flamboyante et guettés par la Mort.—Au double escalier, troncs d'arbres, branchages entrelacés garnis d'oiseaux et d'animaux divers; tout en haut sur l'abat-voix en feuillages et draperies soulevés par des anges voltigeants, la Vierge sur le Croissant écrase la tête du Serpent.
Le Bruxelles officiel, élégant, le Bruxelles des palais du dix-neuvième siècle, occupe tout le sommet de la ville haute, la longue colline qu'escaladent les rues de la Montagne, Montagne-aux-Herbes-potagères, Montagne-de-la-Cour, et autres voies pittoresques aux noms amusants, comme rue Fosse-aux-Loups, rue du Bois-Sauvage, Montagne-des-Aveugles, etc... On y trouve même la «rue d'une Personne».
Il y a la colonne du Congrès, sur sa place en belvédère dominant tous les toits de la basse ville, le Parc, entre le Palais du Roi et le Palais de la Nation, où siègent les Chambres, la Place Royale et l'église Saint-Jacques-sur-Caudenberg, classique du dix-huitième siècle, sans compter d'autres Palais, Musées ou Ministères, le Palais des Comtes de Flandre, le Palais du duc d'Arenberg, pour arriver à la masse formidable du nouveau Palais de Justice. Il faudrait entasser les uns sur les autres les adjectifs « énorme , formidable , colossal , babylonien » pour essayer de qualifier comme il conviendrait cet extraordinaire ensemble de portiques, de vestibules ouverts à la grecque, de colonnades, de temples, de bâtiments posés sur d'immenses plates-formes, sur d'autres bâtiments, amalgamés, entassés, superposés, le tout portant, sur une terrasse supérieure, comme couronnement majestueux, un édifice carré à colonnades, avec statues colossales assises aux angles, sur lequel se pose un étage circulaire et enfin la coupole terminale, l'ensemble occupant 25 000 mètres carrés.
Le Guide affirme qu'il y a là vingt-sept grandes salles d'audience et deux cent quarante-cinq pièces de moindre dimension. C'est effrayant quand on songe à ce que ces chiffres, formidables comme tout le reste, permettraient de supposer comme quantité indispensable de procès pour les justifier ensuite, comme membres de juges, avocats, greffiers, huissiers, etc., pour occuper tous ces prétoires, tous ces greffes, tous ces locaux divers... Mais resterait-il assez de Belges pour fournir de plaideurs ce temple de la déesse Chicane?
Sur la place du Sablon s'élève une autre église gothique, Notre-Dame-du-Sablon, d'une belle découpure de lignes dans l'ensemble, avec un très gracieux portail, mais sans flèche ni tour.
Devant l'église s'étend une grande place arrangée en square, au-dessous du Palais du duc d'Arenberg. On a placé là, sur une fontaine monumentale, les statues des comtes d'Egmont et de Horn, entourés d'un cercle de personnages du seizième siècle.
Un peu plus loin se trouve l'église de la Chapelle, autre église gothique, mais bizarrement restaurée de nos jours et pourvue d'un très disgracieux clocher.
Un bel échantillon des défenses du vieux Bruxelles des anciens jours subsiste sur le boulevard de Waterloo, derrière le Palais de Justice. C'est la Porte de Hal, imposant morceau conservé à la démolition des remparts en 1830 et qui valait bien d'être maintenu et restauré. Outre ses bons services militaires, ce donjon avait été utilisé en prison sous le proconsulat du duc d'Albe; on lui a donné aujourd'hui une meilleure destination en en faisant un Musée d'armures.
Histoire mouvementée.—Troubles, massacres et boucheries.—Les Princes-Evêques et leur Palais.—Les sièges de Charles le Téméraire.—Eglises romanes et gothiques.—Vieilles pierres et modernités.
L'illustration historique de cette grande cité de Liége, remonte à de longs siècles, et son passé mouvementé n'est qu'une succession d'épisodes tragiques.
Ce n'est certes pas une ville morte, bien qu'elle ait eu, à certaines heures terribles, toutes les chances pour devenir aussi défunte que nulle autre. Ses gens des Métiers furent, au temps des grandes Communes, parmi les plus ombrageux et les plus turbulents, les plus difficiles à manier et les plus prompts à s'enflammer pour leurs droits, comme à se jeter avec une énergie furieuse, en toutes occasions, dans les violences, les séditions et les troubles. Que de luttes, pendant des siècles, contre les princes-évêques ou les suzerains, que de batailles, que de malheurs aussi aux époques sanglantes!
Pourtant Liége vit toujours. Dévastée et dépeuplée après les plus lugubres catastrophes, elle se rebâtissait et se repeuplait. Toujours ouvrière, manufacturière, c'est un centre industriel de premier ordre, une vaste cité où s'agite et travaille une population de 160 000 habitants.
La large Meuse s'y réunit à l'Ourthe dans les bas quartiers industriels. La partie importante de la ville est sur la rive gauche, à la base et sur le flanc des collines, où les grands quartiers modernes flanquent les vieux quartiers de la ville historique, que domine tout en haut la citadelle.
Une statue équestre de Charlemagne, sur le boulevard d'Avroy, nous rappelle l'importance que Liége commençait à prendre dès les derniers temps des vieux Carlovingiens, des Pépin d'Héristal ou de Landen, ducs d'Austrasie nés dans la contrée. Sans remonter jusqu'à cette lointaine époque, nous voyons, vers l'an mille l'évêque Notger, successeur de saint Lambert dont les reliques sont à la cathédrale, et de saint Hubert, le patron des chasseurs, fonder, pour ainsi dire, la principauté ecclésiastique indépendante de Liége, et pendant trente-cinq ans d'épiscopat, travailler au bien et à la grandeur de son évêché, créer des écoles, construire des églises et pour garantir la sécurité de ses ouailles, entourer Liége de solides remparts.
Pendant quelques siècles, Liége poursuit sa marche ascendante, malgré les querelles intestines, les troubles amenés par les compétitions pour le trône épiscopal, ou les luttes des évêques cherchant l'agrandissement de leur domaine. A travers toutes ces secousses, malgré l'existence d'une aristocratie féodale, à côté du pouvoir épiscopal, la bourgeoisie et les métiers de Liége, alliés tantôt des uns, tantôt des autres, conquièrent un échevinage et des garanties pour les libertés communales, non sans émeutes, sans explosions de fureurs et sans égorgements par les rues et les places publiques.
L'importance de cette principauté indépendante explique toutes les compétitions pour le trône épiscopal; les Evêques féodaux, grands seigneurs ou cadets de familles princières, une fois en possession de la mitre, menaient dans leur palais une existence fastueuse, et grâce à leurs richesses se livraient parfois aux plus scandaleux désordres. De là exactions, calamités, insurrections diverses.
En 1408, le peuple de Liége en pleine révolte chasse un de ces prélats indignes, Jean de Bavière, et le remplace. La guerre éclate. Liége peut fournir une armée de 15 000 hommes de pied et de 700 cavaliers, conduits par le nouvel Evêque Jean de Horn et par son père, armée qui se heurte près de Tongres aux 35 000 hommes amenés par Jean de Bavière et le duc de Bourgogne.
Les Liégeois sont écrasés. Après un épouvantable carnage, les têtes du nouvel Evêque et de son père sont portées à Jean de Bavière. Celui-ci, rentré dans Liége, supprime les libertés et privilèges de la ville et se livre à des cruautés qui lui valent le surnom de Jean sans pitié.
Ce Jean de Bavière, Evêque à dix-sept ans, abandonna plus tard son évêché pour se marier et courir à de nouvelles ambitions.
Quelque cinquante années après, Liége recevait un nouvel Evêque, Louis de Bourbon, un prélat de seize ans, neveu du duc de Bourgogne, et ce nouvel Evêque apportait à ses ouailles une longue suite de malheurs. En 1465, la ville révoltée contre Louis de Bourbon l'assiège à Huy et l'oblige à une fuite précipitée. La guerre se poursuit, les Liégeois se savent encouragés par le roi de France Louis XI, mais une armée bourguignonne leur inflige une cruelle défaite à Saint-Trond et marche sur Liége. Commines, qui suivait alors la fortune de Charles le Téméraire, raconte les péripéties de l'entrée en ville, le désaccord des Liégeois sans direction et qui auraient pu encore se défendre et ne pas subir la capitulation extrêmement dure qui leur fut imposée. Louis XI surpris par leur défaite trop prompte n'avait pu rien pour eux.
Six mois après, nouveau soulèvement, les Liégeois n'avaient pas si complètement livré leurs armes, de la première vouge à la dernière arbalète, qu'ils ne pussent encore mettre sur pied une armée considérable, mais dépourvue d'engins d'artillerie, et ils comptaient encore sur Louis XI.
Mais à Péronne, Louis XI s'est mis imprudemment entre les mains du duc Charles. Au lieu d'un allié, c'est un ennemi que le duc de Bourgogne traîne avec lui contre Liége. La ville, démantelée six mois auparavant, peut à peine se défendre contre les 40 000 Bourguignons de Charles le Téméraire. Il n'y avait «portes ny murailles, ny fossez, ny une seule pièce d'artillerie qui rien valut». Les Liégeois ne peuvent que vendre chèrement leur vie; ils commencent par infliger un échec à l'avant-garde ennemie, en lui tuant 2 000 hommes. Les assiégeants installent leur camp en attendant l'heure de l'assaut. Charles le Téméraire a son quartier sur les hauteurs de Sainte-Walburge, du côté de la citadelle actuelle; à côté de son logis, Louis XI, son otage, a le sien, séparé du duc par une grange où sont entassés 300 hommes.
L'assaut devait avoir lieu à la pointe du jour, mais, la nuit même, les Liégeois se sont résolus à une tentative désespérée. Commines racontant «comment les Liégeois firent une merveilleuse sortie sur les gens du duc de Bourgogne, là où lui et le roy furent en grand danger», dit que 600 hommes du pays de Franchimont près Liége, se laissant glisser sans bruit par les brèches, eussent tué le duc et le roi couchés dans leurs lits, si, rencontrant deux grandes tentes où dormaient quelques seigneurs bourguignons, ils ne se fussent «amusés» à lancer de grands coups de piques à travers, ce qui donna l'alarme. Au bruit, les 300 hommes de la grange commencèrent à sortir à demi armés, les archers du duc se levèrent et une horrible mêlée s'engagea dans l'obscurité, devant le logis de Charles qui s'armait à la hâte. D'autre part, le logis du roi était également attaqué, les quelques archers écossais de Louis XI se défendaient à coups de flèches tirés au petit bonheur dans la masse des gens qui s'égorgeaient sans se voir, serrés dans un si petit espace. Mais tout le camp réveillé arrivait à la rescousse, les 600 Liégeois moururent jusqu'au dernier.
Le lendemain l'armée bourguignonne forçait les retranchements et le duc Charles donnait le signal du massacre, des exécutions, des noyades en masse, du pillage à fond et de l'incendie final, de l'effroyable embrasement dont on aperçut les fumées tourbillonnantes depuis Aix-la-Chapelle, atrocités que le duc—l'impitoyable boucher de Nesle, de Gand, de Dinant et d'ailleurs,—devait justement expier un jour à Nancy, sous les piques des Suisses.
Liége semblait bien morte. Charles le Téméraire avait envoyé à la Bourse de Bruges, pour y être exposé «à la risée honteuse de la populace» selon une inscription qu'il y fit graver, le Perron c'est-à-dire une colonne surmontée d'une pomme de pin, Palladium de la cité et symbole des libertés communales, devant laquelle se faisaient les proclamations au peuple. Ce perron, on le voit encore aujourd'hui, ou du moins l'édifice qui a hérité de sa place et de son nom, une jolie fontaine du dix-septième siècle, où la colonne, au lieu de la pomme de pin traditionnelle porte un petit groupe des Trois Grâces. Que de gentillesses aujourd'hui, pour un souvenir des époques dures, des rudes combats soutenus par les métiers liégeois et de tous les égorgements qui firent ruisseler tant de sang sous ce perron.
Il est sur la Place du Marché, devant un Hôtel de ville de 1714. Liége n'a malheureusement pas de maison communale du Moyen-Age, l'Hôtel de ville, construit une trentaine d'années après le sac de Charles le Téméraire, ayant été détruit à son tour par un bombardement en 1691.
Après les massacres et les destructions de 1468, Liége se repeupla pourtant, se reprit à vivre, mais ce n'était pas la dernière tragédie. A peine une douzaine d'années écoulées, c'est l'assassinat de l'Evêque Louis de Bourbon par Guillaume de la Marck, le farouche Sanglier des Ardennes, qui, à la tête d'une bande de 4000 routiers, était venu tendre une embuscade à l'Evêque, aux portes de la ville où il s'était ménagé des intelligences.
Entré en ville, Guillaume de la Marck, terrorisant les chanoines, leur imposa l'élection au trône épiscopal de son fils, Jean d'Arenberg qui n'était même pas clerc. Mais les chanoines ayant pu s'enfuir à Louvain, s'empressèrent d'élire un autre Evêque, lequel, soutenu par le Pape et l'Empereur, put quelque temps après mettre la main sur le farouche Sanglier des Ardennes et le faire décapiter.
Ce fut le signal d'une guerre de brigandages menée par la famille de la Marck, alliée à la populace liégeoise. Huit années de luttes et de surprises, jusqu'au jour où les Liégeois, fatigués de la tyrannie des partisans des la Marck, se révoltèrent et les massacrèrent jusqu'au dernier.
Malgré les troubles, pendant le seizième siècle, Liége s'efforce cependant de se tenir à l'écart des grandes guerres contre l'Espagne. Au dix-septième siècle, les divisions prennent un caractère aigu, la ville se partage entre deux partis: Grignoux —Grognards—parti populaire, et Chiroux ,—Hirondelles—parti de l'aristocratie. Les émeutes et les bagarres se succèdent, le bourgmestre Laruelle est massacré, avec l'aide des Espagnols, mais les Grignoux, furieux, font à leur tour une boucherie de tout ce qui peut tenir au parti opposé.
Luttes contre les Princes-Evêques ou difficultés pour maintenir la neutralité de la principauté pendant les grandes guerres, soulèvements et réactions, cela recommence toujours jusqu'à la Révolution française, quand le dernier des quatre-vingt-dix-huit Princes-Evêques de Liége est obligé de quitter sa ville, devant les troupes de Dumouriez.
Le Palais des Princes-Evêques n'est pas tout à fait tel qu'il était du temps où ces Prélats le remplissaient d'une cour de gens d'Eglise, et d'hommes d'armes. Il est aujourd'hui converti en Palais de Justice. Quelques robes de juges et d'avocats, quelques plaideurs, c'est tout ce qu'on y peut rencontrer. Un incendie l'a ravagé en 1734, détruisant une partie des bâtiments. La façade reconstruite est du dix-huitième siècle, sans beauté. Derrière cette façade, se trouvent deux cours rectangulaires; la plus grande est vraiment belle avec ses quatre galeries d'arcades soutenues par d'étranges colonnes à fûts renflés, différents de chaque côté, semblables à d'énormes chandeliers d'église couverts de grandes arabesques sculptées, aux chapiteaux desquels grimacent des figures grotesques. Dans la restauration entreprise de nos jours, on a ajouté une façade latérale en style du quinzième siècle, rappelant les bâtiments de la grande cour.
Le Palais des Princes-Evêques c'est le cœur du vieux Liége, mais, en dehors des églises, on y rencontre bien peu d'édifices anciens ou de maisons curieuses, ce ne sont dans ces vieux quartiers que rues commerçantes alignant des files de façades modernes, des places très mouvementées, gentilles certainement, mais sans originalité comme la Place Saint-Lambert, où se trouve le Palais de Justice, la Place Verte, la Place du Théâtre où s'élève la statue de Grétry.
On trouve pourtant quelques fragments anciens, quelques vieux murs dans les quartiers hauts, vers Sainte-Croix et Saint-Martin, en montant par les Degrés des Bégards, raide escalier grimpant sous de vieilles pierres moussues, sous des terrasses enlierrées et fleuries, jusqu'à l'église Saint-Martin, du côté où se trouvait jadis la porte Saint-Séverin.
De l'autre côté du Palais, rue Hors-Château, d'autres escaliers se voient encore, montant à la citadelle à la Vauban qui remplace les forts successivement établis sur ces hauteurs depuis le treizième siècle, pris, repris, démantelés, rebâtis, après avoir eu à combattre les archers flamands, les hommes d'armes de Bourgogne, les routiers du Sanglier des Ardennes, les arquebusiers espagnols, les canonniers de Louis XIV ou de Marlborough...
Magnifique vue de là-haut sur le cours de la Meuse qu'assombrissent des tourbillons de fumée, non plus celles des batailles ou du sac de Charles le Téméraire, mais la respiration des grandes usines et des établissements métallurgiques d'une banlieue industrielle.
Des ponts nombreux réunissent les deux parties de la ville; le vieux pont de jadis, le pont des Arches a été reconstruit en 1860 et n'a pas plus de caractère que les autres. Sur le quai de Maestricht, une haute construction domine tout le quartier par sa taille et sa beauté sévère, énorme carré de briques et de pierres à toit immense, jusqu'au sommet duquel monte une tour carrée terminée en terrasse. La porte ouvrant dans un petit pavillon, sous une sorte d'échauguette, a du caractère, ainsi d'ailleurs que certaines grandes fenêtres à solides grillages. C'est aujourd'hui le Mont-de-Piété qui s'abrite derrière ces grillages.
Pour cathédrale, Liége est obligée de se contenter de son église Saint-Paul, la Révolution ayant détruit l'ancien et superbe édifice qui regardait jadis le Palais de ses Princes-Evêques. Tour carrée, sans grand intérêt. Saint-Jacques, beaucoup plus intéressant, montre un peu de tous les styles, une rugueuse tour romane au portail, une longue nef gothique tout le long de laquelle, à la base des combles, se prolonge une galerie d'arcatures ouvertes, comme en haut des façades du Palais épiscopal, et un petit porche classique de la Renaissance, en hors-d'œuvre, ouvrant dans le bas côté gauche, à côté de la tour romane.
A Saint-Jean, de la vieille église romane de forme ronde, remplacée par un édifice dix-huitième siècle, il reste une vieille et belle tour carrée accostée d'une tourelle ronde. Saint-Barthélemy est également roman avec des tours à quatre pignons qui rappellent les clochers rhénans.
Sainte-Croix est une très belle église romano-gothique à trois nefs égales dont l'abside ronde, surmontée de petites tourelles et d'un clocher octogonal, fait un bel effet en haut de la colline. L'église Saint-Martin, grosse tour sans flèche est gothique; ici, lors d'une lutte entre le parti populaire et les nobles en 1312, deux cents de ceux-ci réfugiés dans la tour, après s'être défendus jusqu'au bout, périrent dans l'embrasement de cette tour.
La Meuse.—Une série de citadelles.—Notre-Dame de Huy.—Une fontaine gothique.—Le rocher de Dinant.—Sièges malheureux et mises à sac.—La Roche à Bayard.—Bouvignes.
Sur la Meuse, entre Liége et Namur, un énorme rocher qui vient presque border la rivière porte une citadelle qui pouvait, il y a trente ou quarante ans encore, être qualifiée de formidable.
Maintenant, avec les engins nouveaux et les explosifs à la dernière mode, on ne sait plus si le mot convient encore, mais nous pouvons toujours dire que ce rocher, couronné d'immenses maçonneries, reste très imposant. Cela constitue, dans tous les cas, un fort joli paysage, ces maisons blanches trempant dans la Meuse sans quai sous la forteresse, la roche nue perçant par endroits sous les broussailles ou le maigre gazon, les grands murs d'escarpe à mine rébarbative, percés d'embrasures, enfin, la grande église et sa grosse tour carrée.
Dans cette principauté ecclésiastique de Liége, Huy était une ville essentiellement cléricale qui comptait en ces temps dix-sept abbayes, couvents ou simples monastères et quinze églises.
L'une de ces abbayes, Neufmoutiers, était une fondation de Pierre l'Ermite, le prédicateur de la première Croisade, qui mourut à Huy. Mais la pauvre petite cité subit le contre-coup de toutes les révolutions qui secouèrent la ville capitale, de toutes les explosions populaires, comme aussi de toutes les discordes princières. A chacune de ces secousses, Huy récoltait quelques désagréments, le parti momentanément vaincu à Liége accourait se réfugier dans sa forteresse, pourchassé aussitôt par le parti vainqueur, et la guerre s'abattait sur la malheureuse petite ville pour laquelle il s'ensuivait siège, blocus, assauts, tous les malheurs possibles, avec souventes fois sac, pillage et incendie.
Dans les guerres du dix-septième siècle, elle eut encore à souffrir, elle perdit son beau pont du treizième siècle, détruit par Villeroy en 1689, ensuite la citadelle fut prise d'assaut et incendiée en 1693. Plus tard, après les guerres de l'Empire on la reconstruisit comme nous la voyons aujourd'hui.
De tous ses établissements religieux, il reste à Huy sa grande collégiale Notre-Dame, fondée par Charlemagne en 799. C'est un bel édifice du quatorzième siècle qui élève deux tours carrées à l'abside et, sur le côté d'un porche latéral, une très grosse tour carrée, dans le bas de laquelle, pour éclairer l'église, est percée une grande rosace, ce qui doit être un exemple unique.
Quelques restes de bâtiments claustraux se voient encore autour de l'église; sur la rue qui passe devant l'abside, s'ouvre le charmant portail de la Vierge, un petit édicule accoté au chevet sous les grandes verrières. C'est, au-dessus d'un passage, une grande ogive entre deux moindres, chacune sous un gable fleuronné. La grande ogive encadre dans ses subdivisions des scènes de la Nativité, la Vierge couchée dans l'étable de Bethléem, les Rois mages, les bergers, etc. Il faut dire que ce portail est une restauration très agrandie, l'ogive centrale seule est ancienne; elle s'ouvrait entre deux vieux bâtiments. Quand, il y a quelques années, on dégagea l'église de ce côté, on ajouta les deux petites ogives en supprimant un couronnement de la Renaissance, pour refaire le gable qui avait dû exister jadis.
Huy possède un joli petit monument sur une de ses places, une fontaine en cuivre du commencement du quinzième siècle, tout à fait originale comme arrangement, et qui fait penser à quelque gigantesque aquamanile. Du milieu d'un bassin, surgit une sorte de petit château, composé de quatre tours crénelées avec goulots en forme de gargouilles, entre lesquelles se tiennent debout quatre statuettes intéressantes pour l'allure et le costume, une dame, un évêque, un jeune chevalier et un autre homme d'armes; au milieu, une tour centrale porte une figure d'homme sonnant du cor.
Comme Huy, Namur, à quelques lieues de là, au confluent de la Sambre et de la Meuse, montre de loin les blanches murailles d'une citadelle haut perchée sur des rochers. C'est une très belle situation prêtant fort par elle-même au pittoresque, mais ce n'est pas le pittoresque qu'il faut demander à Namur. Point de vieux logis de tournure ancienne, ni de petite maison à la mode de jadis, point de grands monuments gothiques en cette cité bourgeoise très banalisée; ici les rues propres et froides, aux façades nettes et élégantes, n'ont aucune vieille chose à montrer.
Namur a l'air d'être né au dix-huitième siècle, tout au plus, et quoique un de ses quais sur la Meuse porte un nom latin, boulevard ad Aquam , on ne lui donnerait pas son âge. Quelques morceaux de vieilles rues assez anciennes se rencontrent bien çà et là, mais sans caractère.
L'Hôtel de ville est tout à fait moderne; il y a un beffroi pas bien loin, mais on l'aperçoit à peine par-dessus les toits, au fond d'une cour. Quant aux églises, ce sont des portiques, des colonnades classiques, des balustrades, des entablements, des coupoles, et du corinthien, du style jésuite, de la pompe et du faste.
Elles sont toutes du dix-septième ou du dix-huitième siècle, ce qui explique tout. La cathédrale date de 1750, l'église Saint-Loup, la plus fastueuse, est plus vieille d'un siècle.
Probablement, les sièges subis par la citadelle, avec leurs éclaboussures de bombes et de boulets, sont pour quelque chose dans cette absence d'édifices d'un certain âge, et de pierres travaillées aux belles époques, dans une cité aussi ancienne.
Seule, en arrière de la cathédrale Saint-Aubain, une vieille tour se
montre comme intimidée par tant de somptuosités classiques, c'est le
pauvre vieux clocher de l'ancienne église, clocher roman surmonté d'un
campanile, oublié comme un parent pauvre dans un recoin désert où l'on
ne va plus.
Mais quels charmants paysages tout le long de la Meuse, quel superbe déroulement sinueux de la rivière, entre bois, prairies et escarpements rocheux, avec des villages gentiment perchés dans la verdure, de jolies vallées s'ouvrant comme de bleuâtres coulisses, et les rochers de Dinant qui s'annoncent de loin barrant l'horizon.
Huy est bien situé, Namur agréable, la Meuse au-dessus comme au-dessous coule dans des paysages accidentés, délicieux et gais, mais quelle charmante ville que Dinant et quel site admirable. Au point le plus mouvementé de ces horizons superbes, après des tournants de rivière idylliques, le paysage a pris une soudaine grandeur.
Au-dessus des eaux qui filent, des rochers se lèvent abrupts, se découpant de la façon la plus pittoresque, et c'est encore, là-haut, sur la pointe de ces rochers, une forteresse moderne, mais si bien placée et si pittoresque! Voilà un adjectif que l'on n'a pas souvent l'occasion d'appliquer aux citadelles d'aujourd'hui, aux froids remparts dessinés au tire-lignes. Celle-ci, juchée sur un piton rocheux, à un tournant de la rivière, sans être aussi amusante de lignes qu'un château du quinzième siècle, couronne bien les terribles rochers à pic aux rudes cassures qui surplombent la ville.
Il faut dire que Dinant, serré tout le long de la Meuse sur une rive très étroite fait bonne figure aussi, et surtout que l'église, sous la pointe du rocher, est elle-même de lignes très curieuses, d'une couleur sombre qui met une note vigoureuse, juste où elle est nécessaire, et enfin que, sur son portail robuste et sévère, cette église Notre-Dame campe un très étrange clocher, une flèche bulbeuse qui se renfle en coloquinte, se rétrécit pour se renfler encore et compliquer une silhouette très amusante.
Les maisons au-dessous de ce curieux portail trempent presque dans la Meuse, elles sont hautes et serrées; beaucoup, après un rez-de-chaussée très bas, sont portées en encorbellement sur des poutrelles ou sur des corbeaux de pierre ayant un faux air de mâchicoulis.
Un grand pont moderne traversant la Meuse sous l'église, réunit la ville au faubourg de Leffe, et remplace le vieux pont plusieurs fois détruit, tout comme la ville elle-même, dont le passé est au moins aussi accidenté que les rochers. L'histoire de Dinant n'est qu'une succession d'explosions de fureurs et de catastrophes amenées par les coups de colères aussi imprudents que frénétiques des Dinantais.
C'était une rude ville que Dinant. Fière des richesses amassées dans le travail du cuivre, avec ses Dinanteries renommées par toute l'Europe, se fiant à la force de ses rochers et de son château de Montorgueil, elle se montrait d'une humeur peu commode, aussi bien avec la petite ville de Bouvignes, sa très proche voisine, qui la regardait de la rive en face à moins d'une demi-lieue, qu'avec les puissants, fussent-ils le Prince-Evêque de Liége, leur seigneur immédiat, le duc de Bourgogne ou le roi de France.
Bouvignes, c'est l'ennemie intime. Pendant des siècles, Bouvignes et Dinant si proches, mais séparées par une haine implacable, vécurent en état d'hostilité, telles Semlin et Belgrade. Les Dinantais eurent affaire en 1466 au comte de Charolais, le futur Charles le Téméraire. La principauté de Liége étant en révolte contre la maison de Bourgogne, ils eurent l'imprudence de s'en aller pendre Charles en effigie devant Bouvignes, qui tenait pour le duc, en criant aux habitants: «Voyez le fils de votre duc pendu ici, comme le roi le fera pendre en France». Et Dinantais et Liégeois s'en allèrent de compagnie ravager le pays de Namur resté fidèle au duc.
Mais Charles amenait une grosse armée avec une formidable artillerie qui fit rage contre les remparts. Malgré les averses de boulets, malgré les brèches largement ouvertes aux assaillants, les Dinantais, dans un délire de fureur, pendirent les parlementaires envoyés pour leur offrir une capitulation. La défense était impossible pourtant, et il fallut se résigner et se rendre à discrétion.
A furieux, furieux et demi. Le comte de Charolais allait tirer d'eux une terrible vengeance. Il se faisait alors la main pour les atroces boucheries qu'il devait ordonner par la suite. Il lança au pillage et au massacre ses bandes de routiers. Les femmes, les enfants, les gens d'église mis à part, réunis en un lamentable troupeau furent éloignés, et la ville livrée aux soldats, entièrement pillée, saccagée et incendiée. Comme, parmi les parlementaires mis à mort par les Dinantais, il se trouvait des gens de Bouvignes, huit cents habitants liés deux à deux furent conduits devant Bouvignes et noyés dans le fleuve.
Les flammes éteintes, Charles ne s'éloigna qu'après avoir rassemblé les populations voisines pour leur faire abattre et raser ce que l'incendie avait laissé debout.
La ruine était si complète que l'acte autorisant plus tard la reconstruction d'une église, disait: «Au lieu jadis appelé Dinant.»
Et cependant, après quelques années, les Dinantais revinrent peu à peu et leur industrie se rétablit. Ce n'était pas le dernier siège que la ville devait subir. Moins de cent ans après, en 1554, pendant la guerre des trois évêchés, une armée française arriva sous les murs de Dinant. Les Dinantais dans un nouvel accès de fureur, se livrèrent encore aux mêmes insultes imprudentes, bien que le roi de France leur eût fait offrir de rester neutres, ils n'y gagnèrent qu'un siège et une mise au pillage.
Sous le rocher qui porte la citadelle il n'y a guère qu'une longue rue: l'église vue de côté se dessine de façon tout aussi pittoresque avec son transept et son petit porche latéral.
Il n'y a pas d'autres monuments ensuite que l'Hôtel de ville, ancien palais des Princes-Evêques, où l'on voit encore, flanquant une vieille porte datée de 1637, une grosse tour coiffée du même dôme en coloquinte que l'église, une sorte de tourelle en encorbellement, bref un ensemble de bâtiments s'arrangeant agréablement dans un peu de verdure, sur la berge de la Meuse.
Et cette berge conduit un peu plus loin à une autre curiosité, naturelle celle-ci, très monumentale après tout, la célèbre Roche à Bayard , qui se dresse à pic dans les eaux de la Meuse, droite comme une tour, aiguë comme une flèche de cathédrale, au point le plus magnifique du paysage dinantais.
Cette Roche à Bayard—le Chevalier sans peur et sans reproche n'est pour rien dans cette appellation, ce Bayard serait plutôt le fameux cheval des Quatre Fils Aymon—est une aiguille complètement séparée de la falaise de rochers par une fente, un simple couloir pratiqué à la mine pour laisser passer la route.
Bouvignes, en aval de Dinant, est une vieille petite ville redevenue village: elle a encore les ruines d'une porte et des restes de remparts, sur lesquels vient se poser l'abside de son église du treizième siècle.
Sur la Grand Place s'élève une sorte de vieux manoir, la très curieuse maison dite des Allemands, qui se compose de plusieurs corps de logis, de pignons de pierres et briques groupés sous une tour élevant au-dessus des toits et des cheminées une flèche ardoisée,—en pointe, celle-ci, sans doute pour protester contre les flèches bulbeuses et dodues de Dinant.
Bouvignes est dominé par les ruines du château de Crèvecœur, des pans de murs éventrés et des tours à demi écroulées. C'est l'ouvrage de la guerre de 1544. Bouvignes était alors du même parti que Dinant; le château de Crèvecœur, assiégé par les Français, se défendit jusqu'à la dernière extrémité, et au moment de la prise d'assaut, comme la soldatesque lancée au sac et au pillage se répandait dans le château, les dames de Bouvignes voyant leurs maris morts sur les pierres de la brèche, se précipitèrent du haut de la tour pour ne pas leur survivre.
I. Cambrai—Valenciennes. —Au pays des Hôtels de ville.—Le Palais de Fénelon.—La Porte Notre-Dame.—Quelques vieilles façades.—La Maison du Prévost.—Les vieux Chroniqueurs.—Monstrelet et Froissart. |
5 |
II. Douai—Lille. —Le Beffroi.—La famille Gayant.—L'Hôtel de Rihour.—La Colonne du Siège et les Sièges.—Commines et son Beffroi.—Troisième Chroniqueur.—Bergues.—Autre Beffroi.—Gravelines.—Dunkerque. |
20 |
III. Furnes—Nieuport—Dixmude. —Le décor de la Grand Place.—Le Pavillon des Officiers espagnols.—Les Églises.—Le dernier mystère.—Ce qui survit de Nieuport.—Fantôme de ville dans les Dunes.—Dixmude endormie dans ses prairies. |
39 |
IV. Courtrai. —Triomphe et mise à sac, la journée des Éperons d'or.—Rosebecke.—Le Vieux Beffroi.—Un pont fortifié.—Le Béguinage. |
58 |
V. Tournai. —Capitale mérovingienne.—La Cathédrale aux cinq tours.—Le premier beffroi de Belgique.—Églises et maisons romanes.—Le Pont des Trous et la tour d'Henri VIII. |
66 |
VI. Ypres. —L'immense édifice des Halles.—La Grosse Tour et le Nieuwerk.—Tisserands et foulons.—La Vieille Boucherie.—Pignons sur pignons.—Le Steen des Templiers. |
78 |
VII. Gand. —Modernisme et Moyen-Age.—Deux burgs, château des Comtes et château de Gérard le Diable.—Le Cloître de Saint-Bavon.—L'Homme du Beffroi.—Les métiers.—Les Artevelde et les «vaillantes gens de Gand».—Marguerite l'Enragée. |
94 |
VIII. Gand ( suite ).—L'Hôtel de ville.—La Breloque.—La Halle aux draps.—Le Mammeloker.—Les Francs-Bateliers.—Les Béguinages: l'ancien et le nouveau.—Sainte Begga, princesse carolingienne, et les Béguines.—Vieilles maisons.—Le Rabot. |
119 |
IX. Bruges. —Le bourg et ses monuments.—En haut du beffroi.—Le carillon.—Le Saint-Sang.—Les cygnes expiatoires.—Les grandes églises.—L'Hôtel de Gruuthuse.—L'hôpital Saint-Jean.—Le lac d'Amour et le Béguinage. |
139 |
X. Bruges ( suite ).—Rues et canaux.—Le style flamand.—La Loge des Bourgeois et les Chambres de Rhétorique.—Les Loges des Nations.—La Toison d'or. |
163 |
XI. Anvers. —Façade sur l'Escaut.—Le Steen et ses souvenirs.—La Cathédrale et l'Hôtel de ville.—La Fortune d'Anvers.—La Grande Boucherie.—La Furie espagnole et autres furies.—Le grand Siège.—Une Bourse gothique.—La Maison Plantin. |
172 |
XII. Alost—Termonde. —Deux Hôtels de ville pittoresques.—Aventures et catastrophes.—Sièges.—Pestes et incendies. |
196 |
XIII. Malines—Louvain—Audenarde. —La Grand'Place.—La Tour géante de Saint-Rombaut.—Un grand palais ruiné.—Vieux logis.—Orfèvrerie de pierres à Louvain.—L'Église Saint-Pierre.—Autres tours géantes écroulées.—L'Université.—La Grand'Place d'Audenarde et l'Hôtel de ville.—Notre-Dame de Pamele. |
205 |
XIV. Bruxelles. —La Grand'Place et ses souvenirs.—L'Hôtel de ville.—La Maison du Roi et les Maisons de corporations.—Les comtes d'Egmont et de Horn.—Sainte-Gudule et les églises.—Palais sur palais.—La porte de Hal. |
236 |
XV. Liége. —Histoire mouvementée.—Troubles, massacres et boucheries.—Les Princes-Évêques et leur Palais.—Les sièges de Charles le Téméraire.—Églises romanes et gothiques.—Vieilles pierres et modernités. |
252 |
XVI. Huy—Namur—Dinant. —La Meuse.—Une série de citadelles.—Notre-Dame de Huy.—Une fontaine gothique.—Le rocher de Dinant.—Sièges malheureux et mises à sac.—La Roche à Bayard.—Bouvignes. |
266 |
Alost. —Hôtel de ville ( eau forte ). |
Frontispice |
— Arrière-façade de l'Hôtel de ville. |
200 |
— L'Église. |
202 |
— Vieilles Maisons. |
203 |
Anvers. —Vue sur l'Escaut. |
172 |
— Le Steen. |
174 |
— Intérieur du Steen. |
175 |
— La Cathédrale. |
176 |
— Puits de Quentin Metzys. |
180 |
— Maisons de corporations. Place de l'Hôtel-de-ville. |
182 |
— Entrée de la Bourse. |
183 |
— Statue de Sylvius Brabo. |
186 |
— La Vieille Boucherie. |
187 |
— Passage sous la Vieille Boucherie. |
189 |
— Église Saint-Jacques. |
190 |
— Cour de l'ancien Hospice des Merciers. |
191 |
— Cour de la maison Plantin-Moretus. |
193 |
— Vieille Porte, rue Haute. |
194 |
— Porte de la Maison hydraulique. |
195 |
Audenarde. —L'Hôtel de ville. |
225 |
— Église Sainte Walburge. |
229 |
— Vieux Pignon, rue de Namur. |
231 |
— Notre-Dame de Pamele. |
233 |
— Cheminée de l'Hôtel de ville. |
235 |
Bergues. —Le Beffroi. |
33 |
— Restes de l'abbaye de Saint-Winoc. |
36 |
Bouvignes. —Ancienne Porte sous le chevet de l'église. |
276 |
— La Maison des Allemands. |
279 |
Bruges. —Canal du Rosaire. |
Couverture |
— Canal derrière le Franc. |
Couverture |
— Le Lac d'Amour. |
139 |
— Le Beffroi. |
141 |
— Chapelle du Saint-Sang. |
143 |
— Hôtel de ville et Chapelle du Saint-Sang, vus du Beffroi. |
145 |
— Les Pignons du Franc et Entrée du Marché au Poisson. |
146 |
— Rue de l'Ane-Aveugle entre le Greffe et l'Hôtel de ville. |
149 |
— Église Notre-Dame. Ancien portail du Paradis, aujourd'hui baptistère. |
150 |
— Chevet de l'église Notre-Dame. |
153 |
— Entrée de l'Hôpital Saint-Jean. |
154 |
— Hôtel de Gruuthuse. |
155 |
— Intérieur du Béguinage. |
156 |
— Hôpital Saint-Jean. |
157 |
— Porte des Baudets, ou d'Ostende. |
158 |
— Porte Sainte Croix. |
159 |
— Les Moulins de la Porte Sainte-Croix. |
160 |
— Place Van Eyck. |
161 |
— Entrée du Béguinage. |
163 |
— La Loge aux Bourgeois restaurée. |
165 |
— Pignon rue Flamande. |
166 |
— Oratoire sous les murs de Saint-Sauveur. |
167 |
— Bretèche sur le canal. Au Pont Flamand. |
168 |
— Pignon provenant de l'ancienne Loge aux Génois. |
169 |
— Église de Jérusalem. |
171 |
Bruxelles. —Beffroi. |
Couverture |
— Notre-Dame du Sablon. |
236 |
— Place de l'Hôtel de ville. |
237 |
— Bretèches de l'Hôtel Ravenstein, rue Terarken. |
242 |
— La Maison du Roi, ancienne Halle au pain. |
243 |
— Sainte Gudule. |
247 |
— Porte de Hal. |
251 |
Cambrai. —Maison de bois près la Chapelle des Jésuites. |
9 |
— Portique de l'ancien évêché. |
10 |
— Porte Notre-Dame. |
12 |
Commines. —Le Beffroi. |
31 |
Courtrai. —Le Pont du Broel. |
5 |
— Le Béguinage. |
58 |
— Le Beffroi et l'Église Saint-Martin. |
61 |
— Cheminée de l'Hôtel de ville. |
65 |
Dinant vu de la Roche à Bayard. |
266 |
— Vue générale. |
269 |
— L'Hôtel de ville. |
275 |
Dixmude. —Moulin. |
Couverture |
— Le Jubé de Saint-Nicolas. |
52 |
— La Grand'Place. |
53 |
— Le Béguinage. |
57 |
Douai. —Beffroi. |
Couverture |
— Hôtel de ville. |
13 |
— Église Notre-Dame. |
21 |
— Fronton de la maison du Dauphin. |
23 |
Furnes. —Les Pénitents de la Grande Procession. |
39 |
— La Grand'Place. |
41 |
— Pavillon des Officiers espagnols. |
45 |
— Tour de Saint-Nicolas. |
46 |
Gand. —Tourelle d'angle de l'Hôtel de ville. Le dragon du beffroi. Abside de l'église Saint-Michel. |
94 |
— Le Château de Gérard le Diable. |
95 |
— Le Château des Comtes. |
97 |
— Grand Châtelet d'entrée du Château des Comtes. |
100 |
— Donjon du Château des Comtes. |
101 |
— Ruines de Saint-Bavon. |
102 |
— Cloître de Saint-Bavon. |
105 |
— L'Homme du Beffroi. |
108 |
— Le Beffroi. |
109 |
— Le Toreken. Place du Marché du Vendredi. |
112 |
— La Grosse Bombarde «Marguerite l'Enragée» . |
114 |
— Pignon de la Halle aux draps. |
116 |
— Château des Comtes, crénelage de l'enceinte. |
118 |
— Place Saint-Pharaïlde. |
119 |
— Le Quai aux herbes, pignon des Francs-Bateliers. |
121 |
— Portique du Marché aux poissons. |
124 |
— Maison de la Faucille. |
126 |
— Église Saint-Nicolas. |
129 |
— Le Mammeloker. |
130 |
— Entrée du Nouveau Béguinage. |
133 |
— Intérieur du Nouveau Béguinage. |
134 |
— Église du Nouveau Béguinage. |
137 |
— Le Rabot. |
138 |
Gravelines. —L'Église reliée aux casernes. |
20 |
Huy. —Église Notre-Dame et Citadelle. |
261 |
— Porche de la Vierge à l'église Notre-Dame. |
268 |
— Fontaine du quinzième siècle. |
271 |
Liége. —Cour du Palais des Évêques. |
249 |
— Statue de Charlemagne. Le Perron. Tour romane à Saint-Jacques. |
252 |
— Église Saint-Jacques. |
256 |
— Église Sainte-Croix. |
259 |
— Le Mont-de-piété. |
263 |
— Église Saint-Jean. |
265 |
Lille. —Restes de l'hôtel de Rihour derrière l'Hôtel de ville. |
25 |
— La Bourse et la Colonne du Siège sur la Grand'Place. |
27 |
— Abside de l'église Saint-Maurice. |
29 |
Louvain. —L'Hôtel de ville. |
217 |
— Église Saint-Pierre. |
223 |
— Chaire de l'église Saint-Pierre. |
224 |
— Église Saint-Jacques. |
227 |
— Reste des remparts au Parc Saint-Donat. |
228 |
Malines. —Vieux Pont et Notre-Dame-au-delà-de-la-Dyle. |
205 |
— Ancien Échevinage. |
206 |
— Anciennes Halles et Palais du Grand Conseil, avant leur restauration. |
207 |
— Pignon sur la Grand'Place. |
210 |
— Cathédrale Saint-Rombaut. |
211 |
— Maison du Quai au Sel. |
214 |
— Tourelle sur les Bailles de Fer. |
215 |
— Maison du Saumon. |
216 |
— Ancien Palais de Marguerite d'Autriche. |
219 |
— Porte de Bruxelles. |
220 |
Mons. —Le Beffroi. |
76 |
— Cathédrale Sainte-Waudru. |
77 |
Namur. —Citadelle de Namur, au confluent de la Sambre et de la Meuse. |
273 |
Nieuport. —Les Halles. |
47 |
— Tour des Templiers. |
50 |
Termonde. |
196 |
— L'Hôtel de ville. |
197 |
— Le Musée. |
204 |
Tournai. —Le Pont des Trous. |
66 |
— Maison, rue du Four-du-Chapitre. |
66 |
— Porche de la Cathédrale. |
67 |
— Le Beffroi. |
69 |
— Petit Porche latéral à la Cathédrale. |
72 |
— Derrière l'évêché. |
73 |
— Église Sainte-Marguerite. |
75 |
Valenciennes. —Un coin de la Grand'Place. |
16 |
— Maison du Prévost. |
17 |
— Pignon dans le faubourg de Paris. |
19 |
Ypres. —Remparts près la porte de Lille. |
78 |
Vieux Pignon de bois, rue de Lille. |
78 |
Le Nieuwerck. |
81 |
La Vieille Boucherie. |
84 |
Les Halles. |
85 |
Intérieur de la Vieille Boucherie. |
87 |
— L'ancien Steen des Templiers restauré. |
89 |
— Maison Bièbuyck, rue de Dixmude. |
90 |
— Clocher de Saint-Pierre. |
91 |
— Sur l'esplanade. Tir des archers de Saint Sébastien. |
92 |
— Portail du Marché au poisson. |
93 |
Zuitcote .—Clocher ensablé. |
281 |
PARIS
IMPRIMERIE DE J. DUMOULIN
5, RUE DES GRANDS-AUGUSTINS, 5
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