The Project Gutenberg eBook of Histoire de Marie-Antoinette, Volume 2 (of 2) This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Histoire de Marie-Antoinette, Volume 2 (of 2) Author: Maxime de La Rocheterie Release date: November 13, 2016 [eBook #53503] Most recently updated: October 23, 2024 Language: French Credits: Produced by Clarity, Christian Boissonnas and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Books project.) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE, VOLUME 2 (OF 2) *** ┌────────────────────────────────────────────────────────────────────┐ │ Note de transcription: │ │ │ │ Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été │ │ corrigées. L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été │ │ conservées et n'ont pas été harmonisées. │ │ │ │ Les mots en italiques sont _soulignés_. │ │ │ │ Voir la note plus détaillée à la fin de ce livre. │ │ │ │ La Table des Matières se trouve en fin de livre. │ └────────────────────────────────────────────────────────────────────┘ HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE PAR MAXIME DE LA ROCHETERIE TOME DEUXIÈME [Illustration] PARIS LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER PERRIN ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS 35, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 35 1890 Tous droits réservés HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE CHAPITRE PREMIER Les États généraux.—Impopularité de la Reine au milieu de l'enthousiasme général.—Ouverture des États généraux.—Pressentiments de la Reine.—Les bougies qui s'éteignent.—Mort du premier Dauphin. Nous abordons maintenant la période militante de la vie de Marie-Antoinette. Nous le ferons, comme pour le reste de cette histoire, avec la plus complète impartialité, mais avec une impression de mélancolie que nous ne ressentions pas au même degré dans la première partie de ce travail. Jusqu'ici, malgré les nuages passagers qui assombrissent son ciel bleu, malgré de noirs pressentiments et des tristesses contenues, nous avons vu la Reine relativement heureuse: elle a encore pour elle l'éblouissement de la jeunesse et la majesté de la couronne. Si l'on marche à l'abîme, on y marche lentement, et l'éclat du trône, le rayonnement de la maternité dissimulent à demi le gouffre béant. Aujourd'hui, les voiles se déchirent; le danger apparaît, pressant, inexorable, et, sur le front même de la mère, un nouveau rayon va s'éteindre. La reine de Trianon a disparu; la reine de Versailles va disparaître; voici venir la reine des Tuileries, en attendant la reine du Temple et de la Conciergerie. La souveraine se dépouille, mais la femme grandit; son caractère se retrempe, et l'épreuve la transfigure. Toutes les qualités vigoureuses, contenues en germe dans sa nature, et que la bonne fortune avait comme cachées sous le vernis plus séduisant des qualités aimables, la dignité fière, la vaillance intrépide, le mépris du danger, l'élan, l'indomptable fermeté d'âme se développent et s'accusent en saillie; la femme élégante fait place à la femme forte; le pastel de Boucher devient une peinture de Rembrandt et, pour nous servir du mot de Mirabeau, à partir de 1789, auprès du Roi, il n'y a plus qu'un homme, c'est la Reine. Si le génie politique ne fut pas à la hauteur du caractère, si Marie-Antoinette, malgré son viril courage, s'épuisa en efforts impuissants et souvent mal conçus, c'est que, pour dominer des situations aussi difficiles que la sienne, le courage ne suffit pas; il faut avoir été préparé à la lutte par une éducation et une expérience qui lui manquèrent[1]; c'est aussi peut-être que, dans les insondables desseins de sa justice, Dieu se réserve parfois des victimes éclatantes et pures, dont la chute commande le respect. Et cependant, au printemps de 1789, qui eût pu prévoir ces sanglantes extrémités? Tout était à l'espérance; on rêvait de l'âge d'or. Il est difficile aujourd'hui de se faire une idée du tressaillement qui s'était emparé de la France, à l'approche des États généraux. A tout prendre, quels qu'eussent été les désordres qui avaient précédé, quels que fussent les germes de discorde contenus dans certains cahiers, ce qui dominait dans cette émotion, c'était la confiance. La nation, qu'un siècle de révolutions n'avait point encore rendue sceptique, avait foi dans cette monarchie qui l'avait faite, dans cette dynastie sortie de ses entrailles, qui lui avait donné, avec Henri IV, la paix; avec Louis XIV, la gloire. Elle avait foi dans ce souverain, jeune encore, qui n'avait jamais eu d'autre préoccupation que celle du bonheur de son peuple et qui ne demandait qu'à lui faire l'abandon de son pouvoir absolu, «le meilleur de tous les rois», disait un cahier[2], et dont tous célébraient «la bonté paternelle»; dans «l'immortel Necker[3],» ce ministre «si précieux à la France[4],» cet habile financier que l'opinion publique non moins que le choix du monarque avait porté au pouvoir; dans ce Tiers-État qui, sans être appelé pour la première fois, comme on le répétait faussement, à la vie publique, semblait destiné à prendre dans les affaires, grâce à sa double représentation et avec l'assentiment de la royauté, une part prépondérante; dans ces privilégiés même, qui paraissaient prêts à sacrifier tout au moins leurs privilèges pécuniaires. De tous côtés on saluait avec enthousiasme cette ère nouvelle qui s'ouvrait. Avec un Roi ferme, avec un homme d'État sachant ce qu'il voulait et déterminé à l'accomplir, cette confiance était une force incomparable. Avec un prince faible comme Louis XVI, avec un ministre irrésolu comme Necker, elle était un effroyable danger. L'opinion, surexcitée par l'anarchie des six mois qui avaient précédé la réunion des États, disposée par son inexpérience à accepter toutes les utopies, poussée par son caractère propre à en vouloir la réalisation immédiate, devait avoir des exigences d'autant plus grandes qu'on lui promettait davantage, des impatiences d'autant plus irritables que ses espérances étaient plus vives et paraissaient plus fondées. Au milieu de cette satisfaction générale, il y avait un point noir: c'était la Reine. Les acclamations qui saluaient le Roi se taisaient devant sa femme. La calomnie avait fait son œuvre, et tous ces nobles de province, ces curés de campagne, ces bourgeois de petites villes, qui composaient l'immense majorité des Etats, arrivaient des extrémités de la France, imbus des plus détestables préjugés contre l'infortunée princesse. Les pamphlets que la malignité avait vomis contre elle, ces rumeurs vagues et mystérieuses qui circulent partout, colportées à voix basse sans qu'on puisse saisir d'où elles émanent, d'autant plus dangereuses qu'elles sont plus vagues, d'autant plus acceptées qu'elles sont plus méchantes et plus absurdes, avaient si souvent répété que la Reine était l'auteur de tout le mal, qu'on s'était habitué à voir en elle, avec la cause du déficit, le seul obstacle sérieux à des réformes efficaces. «La Reine pille de tous côtés, pour envoyer même, dit-on, à son frère l'Empereur,» écrivait, en 1787, sur son registre paroissial, un prêtre du Maine[5], et il attribuait à ces dilapidations prétendues le motif de la réunion des Notables. Si, dès 1787, de pareils bruits avaient pénétré jusqu'au fond des campagnes et trouvé créance près d'hommes éclairés comme le curé Boucher, on juge de ce que cela devait être deux ans plus tard, en 1789, lorsque la convocation des États généraux eut surexcité les esprits. Qu'il se rencontrât sur la route de ces Etats des obstacles inévitables, que des promesses imprudentes ne pussent se réaliser, que les réformes annoncées échouassent, c'était à Marie-Antoinette que les impatiences de l'opinion et la malveillance toujours en éveil devaient s'en prendre: on lui imputerait tout le mal qui se ferait, tout le bien qui ne se ferait pas. Les symptômes de cette méfiance éclatèrent dès le début. «Les députés du Tiers, raconte Mme Campan, arrivaient à Versailles avec les plus fortes préventions contre la Cour. Les méchants propos de Paris ne manquaient jamais de se répandre dans les provinces; ils croyaient que le Roi se permettait les plaisirs de la table jusqu'à des excès honteux; ils étaient persuadés que la Reine épuisait les trésors de l'Etat pour satisfaire au luxe le plus déraisonnable; presque tous voulurent visiter le Petit Trianon. L'extrême simplicité de cette maison de plaisance ne répondant pas à leurs idées, quelques-uns insistèrent pour qu'on leur fît voir jusqu'aux moindres cabinets, disant qu'on leur cachait les pièces richement meublées. Enfin ils en indiquèrent une qui, selon eux, devait être partout ornée de diamants, avec des colonnes torses mélangées de saphir et de rubis. La Reine ne pouvait revenir de ces folles idées et en entretint le Roi qui, à la description que ces députés avaient faites de cette chambre aux gardiens de Trianon, jugea qu'ils cherchaient la décoration de diamants de composition qui avait été faite, sous le règne de Louis XV, pour le théâtre de Fontainebleau[6].» Le 4 mai, eut lieu à Versailles la procession solennelle qui devait précéder l'ouverture des États généraux. On ne croyait pas alors qu'il fût inutile d'appeler la bénédiction de Dieu sur les travaux d'une grande Assemblée; la cérémonie religieuse préludait à la cérémonie politique. Le temps, pluvieux la veille, s'était mis au beau[7]; une foule énorme de peuple remplissait les rues; les fenêtres, louées à prix d'or, étaient garnies de curieux, accourus de toutes parts. A dix heures, le Roi quitta le Château, accompagné de la Reine, de la famille royale et des principaux officiers de la couronne, pour se rendre en grand équipage à l'église Notre-Dame. «Les chevaux, magnifiquement harnachés, avaient la tête couverte de hauts plumets. Toute la Maison du Roi, les écuyers, les pages à cheval, la fauconnerie, l'oiseau sur le poing, précédaient le superbe cortège[8].» Dans l'église, les députés attendaient: le Tiers, vêtu de noir, avec un petit manteau de soie, cravate de mousseline blanche, cheveux flottants et chapeau retroussé de trois côtés, sans ganse ni boutons, ce qu'on nommait alors chapeau clabaud[9]; la Noblesse, en manteau à parements d'or et chapeaux relevés à la Henri IV, avec plumes blanches; le Clergé, en soutane et grand manteau, les cardinaux en chape rouge, les évêques en rochet et camail, soutane violette et bonnet carré[10]. La procession commença, le Tiers en tête, sur deux lignes parallèles, puis la Noblesse, puis le bas Clergé; les évêques entouraient le Saint-Sacrement[11], porté par l'archevêque de Paris, sous un dais somptueux, dont Monsieur, le comte d'Artois, le duc d'Angoulême et le duc de Berry tenaient les cordons. Derrière le dais, marchait le Roi, en habit de drap d'or couvert de pierreries, un cierge à la main[12]. Près de lui, la Reine, magnifiquement vêtue, la coiffure entrelacée de fleurs de couronnes impériales[13]. «Son air triste, dit un témoin oculaire, ajoutait encore à son maintien si noble et si digne[14].» Le cortège s'avançait à travers les rues garnies de riches tentures, entre deux haies de troupes, formées par les gardes françaises et les gardes suisses, au milieu d'une foule innombrable de spectateurs. Des chœurs, disposés de distance en distance, faisaient retentir l'air de leurs accords. «Les marches militaires, le bruit des tambours, le son des trompettes, le chant noble des prêtres, tour à tour entendus sans discordance, sans confusion, animaient cette marche triomphale de l'Eternel[15].» Lorsque la députation du Dauphiné passa, des acclamations frénétiques la saluèrent; elles reprirent avec plus de force à la vue du duc d'Orléans, qui, dédaigneux de se ranger parmi les princes du sang, avait affecté de prendre place parmi les députés de son bailliage[16]. Démonstration menaçante qui renfermait au fond moins de sympathie que de haine; ce n'était pas le prince qu'on applaudissait, c'était la Reine qu'on voulait conspuer, et le ton même de ces cris en soulignait l'intention. «Des femmes du peuple, raconte Mme Campan, en voyant passer la Reine, crièrent: _Vive le duc d'Orléans!_ avec des accents si factieux» que, devant ces applaudissements, qui étaient une insulte, la pauvre femme faillit s'évanouir. On la soutint et ceux qui l'environnaient craignirent un moment qu'on ne fût obligé d'arrêter la marche de la procession. Elle se remit et eut, dit-on, un vif regret de n'avoir pu éviter les effets de ce saisissement[17]. Mais elle fut profondément blessée d'une manifestation dont elle sentait bien la portée et dont l'inconvenance avait froissé le sentiment chevaleresque d'un républicain. S'il faut en croire Gouverneur Morris, Mme Adélaïde eut le triste courage de joindre à cette explosion populaire l'ironie de ses sarcasmes[18]. De Notre-Dame, le cortège se rendit à l'église Saint-Louis: les députés s'assirent sur des banquettes; le Roi et la Reine prirent place sous un dais de velours violet, semé de fleurs de lys d'or[19]. Le Saint-Sacrement fut porté à l'autel au son de «la plus expressive musique[20]». L'archevêque de Paris célébra la messe; l'évêque de Nancy, Mgr de la Fare, prononça le discours. Lorsque l'orateur, au milieu de mouvements éloquents, vint à tracer le tableau des maux occasionnés par la gabelle, des battements de mains éclatèrent de toutes parts. Ce fait, inouï jusque-là, des applaudissements dans une église, en présence du Saint-Sacrement exposé, impressionna vivement les spectateurs qui en tirèrent des pronostics sinistres: on se demandait avec inquiétude si ceux qui avaient si peu de respect pour Dieu dans son temple en auraient plus pour la royauté dans son palais[21]. Le lendemain, l'ouverture des États généraux se fit solennellement dans la salle des Menus-Plaisirs, qui avait déjà servi à l'Assemblée des Notables. La salle, magnifiquement décorée sur les dessins de Pâris, dessinateur du cabinet du Roi, offrait un coup d'œil imposant. Au fond, le trône garni de longues franges d'or; à gauche du trône, un grand fauteuil pour la Reine et des tabourets pour les princesses; à droite, des pliants pour les princes. Dans la longueur de la salle, à droite, des banquettes pour le Clergé; à gauche, pour la Noblesse; à l'extrémité, en face du trône, pour le Tiers-État. Tout autour, des gradins et des tribunes, remplis de plus de deux mille spectateurs. Entre neuf et dix heures, les députés commencèrent à arriver, puis les secrétaires d'État et les ministres, les gouverneurs de provinces, les lieutenants généraux, tous en grand costume. M. Necker seul, par une singularité qui voulait être et qui fut remarquée, était en habit de ville; il fut applaudi à son entrée. Comme lui, le duc d'Orléans et la députation du Dauphiné, déjà acclamés la veille, le furent encore ce jour-là. «Quelques mains, raconte Grimm, se disposaient à rendre le même hommage à la députation de Provence; mais elles furent arrêtées par un murmure désapprobateur dont l'application personnelle ne put échapper à la sagacité de M. le comte de Mirabeau[22].» Quand le Roi fit son entrée, toute la salle se leva, et les cris de _Vive le Roi!_ éclatèrent «avec l'effusion de cœur la plus touchante et l'attendrissement le plus respectueux». La Reine l'accompagnait, «mise à merveille, dit un témoin, un seul bandeau de diamants, avec la belle plume de héron, l'habit violet et la jupe blanche en pailleté d'argent[23].» Mais la même froideur menaçante, qui l'avait accueillie pendant la procession, l'accueillait encore dans la salle des Menus, malgré son émotion visible[24]. «Pas une voix ne s'élève pour elle, raconte Gouverneur Morris. Si j'étais Français, j'aurais certainement élevé la mienne; mais je n'ai pas le droit d'exprimer un sentiment et je sollicite en vain ceux qui sont près de moi de le faire[25].» Louis XVI lut son discours d'une voix ferme et avec une grande dignité[26]. Au moment de le commencer, il avait invité la Reine à s'asseoir; elle le refusa par une profonde révérence, et écouta debout comme toute l'assemblée[27]. Après ce discours, qui n'était qu'un appel à la sagesse et à la modération, et qui en donnait l'exemple, le garde des sceaux, M. de Barentin, rappela les sacrifices que le Roi avait faits et ceux qu'il était disposé encore à faire «pour établir la félicité générale sur la base sacrée de la liberté publique[28]». Il indiqua en quelques mots les réformes à opérer et les questions à résoudre, mais sans indiquer la solution et sans laisser pressentir que le ministère eût un plan, sauf la répartition de l'impôt et l'abandon des privilèges pécuniaires. Puis Necker, dans un rapport qui dura près de trois heures, exposa la situation des finances et accusa un déficit de cinquante-six millions. «Sa longue énumération de chiffres, dit l'éminent historien de Louis XVI, éteignit l'enthousiasme qu'avait produit le langage du Roi[29].» Des acclamations saluèrent pourtant encore la sortie du monarque; aux cris de _Vive le Roi!_ se mêlèrent même quelques cris de _Vive la Reine!_ Celle-ci y répondit par une révérence qui redoubla les acclamations[30]; mais il était aisé de remarquer, dit un témoin, que ces applaudissements étaient surtout un hommage rendu au Roi[31]. Dès ce jour même, et à l'issue de la séance, les difficultés commençaient. Imprévoyance ou ignorance du cœur humain, on avait soulevé les passions, et mis les vanités aux prises, sans s'inquiéter même de diriger le conflit. En accordant au Tiers une double représentation, qui lui donnait ainsi un rôle prépondérant, on avait comme à plaisir irrité sa fierté. En abandonnant ce qui semblait être un des principes fondamentaux de l'ancienne constitution des Etats, on en avait conservé les formes les plus surannées. Par une réglementation puérile, par des différences de costume et d'étiquette, on froissait au dernier point l'amour-propre du Tiers, au moment même où l'on doublait son importance. Le mécontentement ne se fit pas attendre, et les prétentions s'affichèrent en même temps. Au lieu de se retirer, comme les deux autres Ordres, dans le local qui lui était réservé, le Tiers, après la séance royale, resta dans la chambre des Menus, s'en emparant en quelque sorte et semblant ainsi résumer et personnifier à lui seul les États généraux tout entiers. Puis la grosse question de la vérification des pouvoirs, de la délibération par ordre ou par tête se posa immédiatement, jetant un brandon de discorde entre les trois Ordres, soulevant les passions, aigrissant les esprits, amenant des représailles, qu'entretenaient encore les excitations du dehors, sans que le gouvernement, qui n'avait pas su prévenir ces tiraillements, intervînt d'une façon efficace pour les faire cesser. Ainsi commençait à se creuser, entre une royauté qui paraissait impuissante et une Assemblée qui tendait manifestement à s'emparer du pouvoir, le gouffre où devait sombrer la monarchie. Cette situation attristait profondément Marie-Antoinette. Vainement s'était-elle efforcée de se concilier les sympathies des députés. Vainement avait-elle ordonné que ses jardins de Trianon, ceux de Versailles, le Château, leur fussent ouverts à toute heure. Vainement avait-elle fait remettre à chacun d'eux une carte qui leur donnait entrée gratuite aux spectacles de la ville et de la Cour[32]. Les rares députés qui avaient cru pouvoir répondre à ces avances étaient signalés aux vengeances populaires comme des séides de la Reine et des ennemis de la nation. La pauvre souveraine était navrée et je ne sais quels pressentiments sinistres agitaient son esprit. Une anecdote, rapportée par Mme Campan, donne bien l'idée de ce douloureux état d'âme: «La Reine, dit-elle, se couchait très tard, ou plutôt cette infortunée princesse commençait à ne plus goûter de repos. Vers la fin de mai, un soir qu'elle était assise au milieu de la chambre, elle racontait plusieurs choses remarquables, qui avaient eu lieu pendant le cours de la journée. Quatre bougies étaient placées sur sa toilette; la première s'éteignit d'elle-même; je la rallumai bientôt; la seconde, puis la troisième s'éteignirent aussi; alors la Reine, me serrant la main avec un mouvement d'effroi, me dit: «Le malheur peut rendre superstitieuse, si cette quatrième bougie s'éteint comme les autres, rien ne pourra m'empêcher de regarder cela comme un sinistre présage.»....... La quatrième bougie s'éteignit.» «On fit observer à la Reine que les quatre bougies avaient été probablement coulées dans le même moule, et qu'un défaut à la mèche s'était naturellement trouvé au même endroit, puisque les bougies s'étaient éteintes dans l'ordre où on les avait allumées[33].» La Reine ne voulut rien entendre, et avec cette impression indéfinissable dont les cœurs les plus forts ne savent souvent pas se défendre aux heures de crise, elle s'absorba dans ses lugubres pressentiments. Les événements, hélas! semblaient donner raison à ces craintes superstitieuses. Quelques jours à peine s'étaient écoulés et la première de ces lumières qui paraissaient destinées à éclairer l'horizon de la France, allait s'éteindre. Le Dauphin mourait à Meudon. Une enfance délicate, une constitution rachitique, et plus encore peut-être cette précocité d'intelligence et ce développement du cœur, par lesquels il semble que la Providence veuille compenser la brièveté de la vie, faisaient depuis trop longtemps prévoir ce douloureux événement. Malgré les soins dévoués de la duchesse de Polignac, malgré l'existence au grand air et en toute liberté que la Reine avait voulue pour ses enfants, sans les aises qui amollissent et l'étiquette qui comprime, le jeune prince n'avait jamais pu acquérir la vigueur de tempérament qui paraissait l'apanage de sa famille, et que son jeune frère, le duc de Normandie, possédait au suprême degré. Etait-ce la conséquence de sa nature trop frêle, comme le pensait sa mère, ou la suite d'une inoculation mal réussie, dont l'éruption avait été brusquement interrompue par une émotion trop forte, comme l'a écrit le secrétaire de son gouverneur, le duc d'Harcourt[34]? Toujours est-il que, lorsqu'au moment de son passage des mains des femmes dans celles des hommes, le Dauphin, âgé de six ans, fut soumis, suivant la règle, à l'examen de la Faculté, les témoins durent constater avec tristesse une difficulté dans la marche, une tendance à la difformité, une faiblesse dans la constitution tout entière, qui ne permettait guère les longs espoirs[35]. Triste dès son lever, l'enfant ne reprenait un peu de vie qu'après sa toilette terminée, mais jamais la vie d'un enfant bien portant. «Mon fils aîné me donne bien de l'inquiétude, écrivait la Reine le 22 février 1788... Sa taille s'est dérangée, et pour une hanche qui est plus haute que l'autre, et pour le dos dont les vertèbres sont un peu déplacées et en saillie. Depuis quelque temps, il a toujours la fièvre et est fort maigre et affaibli[36].» Mais, avec cette puissance d'illusions que l'amour donne aux mères, elle se figurait que ce n'était qu'un accident passager, dû à la dentition et à la croissance, et que le grand air triompherait de ces mauvaises dispositions, de même qu'il avait triomphé déjà de la faiblesse de Louis XVI, frêle dans ses premières années, comme l'était son fils[37]. L'enfant fut en effet établi à Meudon, au commencement d'avril. Sous l'influence du changement, du printemps, de l'air, de l'espace, il parut un moment se remettre; la gaîté, l'appétit revenaient; les forces augmentaient, et la pauvre mère se sentait renaître à la confiance[38]. Confiance bien fugitive, car, trois mois après, elle était réduite à écrire: «Mon fils a des alternatives de mieux et de pire, qui, sans détruire l'espérance, ne permettent pas d'y compter[39].» Le mal faisait des progrès rapides; le dos se voûtait; la taille se déformait; les jambes étaient si faibles que le jeune malade ne pouvait plus marcher sans être soutenu[40], ni se promener sans être monté sur un âne[41]. Les remèdes n'opéraient plus; la gangrène gagnait l'épine dorsale[42]; la figure s'allongeait et prenait cette expression de douleur et d'angoisse qui navre tant chez un enfant. L'intelligence était nette encore; le goût de la lecture très vif; l'esprit semblait vivre aux dépens du corps[43]. Mais, sous l'aiguillon de la souffrance, le caractère s'était aigri, et s'il faut en croire Mme Campan, le prince témoignait une véritable antipathie à son ancienne gouvernante, Mme de Polignac[44]. Du moins restait-il d'une tendresse touchante pour sa mère[45]. On eût dit qu'avant de la quitter, il voulait lui donner tout ce qu'il avait d'affection dans le cœur. Il la suppliait de demeurer près de lui, et pour lui faire plaisir, elle restait parfois à dîner dans sa chambre. Hélas! la pauvre mère avalait plus de larmes que de pain[46]. Le 4 mai 1789, ce ne fut que du haut d'un balcon de la petite écurie, couché sur un monceau de coussins, que l'héritier du trône put assister à la procession des États généraux[47]. Un mois après, il n'était plus. La veille de sa mort, vers quatre ou cinq heures du soir, comme son père venait de Versailles pour le voir, le duc d'Harcourt envoya son secrétaire supplier le prince de ne pas entrer. «Le Roi,» raconte un témoin oculaire, s'arrêta de suite en s'écriant, en sanglotant: «Ah! mon fils est mort!»—«Non, Sire, répondis-je, il n'est pas mort, mais il est au plus mal.» Sa Majesté se laissa tomber sur le fauteuil près de la porte. La Reine entra presqu'aussitôt, se précipita à genoux entre ceux du Roi, qui, en pleurant, lui cria: «Ah! ma femme, notre cher enfant est mort, puisqu'on ne veut pas que je le voie!» Je répétai qu'il n'était pas mort. La Reine, en répandant un torrent de larmes et toujours les deux bras appuyés sur les genoux du Roi, lui dit: «Ayons du courage, mon ami; la Providence peut tout, et espérons encore qu'elle nous conservera notre fils bien aimé.» Tous deux se levèrent et reprirent la route de Versailles[48]. Et l'auteur de ce récit touchant, sans appareil et sans phrases, ajoute: «Cette scène fut pour moi admirable, cruellement douloureuse, et ne sortira jamais de ma mémoire.» Quelques heures plus tard, dans la nuit du 3 au 4 juin, l'objet de tant de joie, devenu l'objet de tant de larmes, n'existait plus, et le pauvre monarque écrivait sur son journal: «Jeudi 4, mort de mon fils à une heure du matin. La messe en particulier à huit heures trois quarts. Je n'ai vu que ma Maison et les princes à l'ordre.» Le 8, les honneurs furent rendus au Dauphin à Meudon; douze archevêques et évêques, accompagnés de douze curés, douze gentilshommes, vingt-huit membres du Tiers-État représentèrent leurs Ordres respectifs à cette triste cérémonie. Dès le 4, Bailly, doyen du Tiers-État, s'était présenté au Château, au nom de son Ordre, pour «témoigner au Roi la sensibilité des Communes sur la mort du Dauphin» et demander en même temps qu'une députation du Tiers fût reçue par le prince pour lui remettre à lui-même une adresse sur la situation des affaires, «les députés des Communes ne pouvant reconnaître d'intermédiaire entre le Roi et son peuple[49].» Il insista d'un ton si impérieux, dit Weber, et avec des paroles si pressantes, que le Roi, tout absorbé qu'il fût dans sa douleur, dut céder à ces exigences et recevoir dès le samedi 6 juin, avant même les funérailles du Dauphin, les députés du Tiers[50]; mais peu d'empiétements sur son autorité l'affectèrent autant que cette violation du sanctuaire intime de ses regrets: «Il n'y a donc pas de pères, dans l'assemblée du Tiers?» dit-il avec un amer serrement de cœur[51]. Sept jours après, le 13 juin, le corps du Dauphin était transporté sans pompe à Saint-Denys. Il ne devait pas y reposer longtemps. CHAPITRE II Progrès de la Révolution.—Le serment du Jeu de Paume.—La séance royale du 23 juin.—Prise de la Bastille.—Départ du comte d'Artois et des Polignac.—Le Roi va à Paris, le 17 juillet.—La nuit du 4 août.—Désordres en province.—Lettres de la Reine à Mme de Polignac.—Menaces de Paris contre Versailles.—Malouet propose vainement de transférer l'Assemblée à Compiègne. Les tristesses du père ne pouvaient faire diversion aux préoccupations du roi. Les difficultés, nées dès le début, s'aggravaient chaque jour et les dissentiments s'accentuaient. Le Tiers, d'une part, la Noblesse et le Clergé, de l'autre, étaient en lutte ouverte, et les efforts de Louis XVI pour amener l'entente avaient échoué. Le débat s'aigrissait de toutes les prétentions des uns, de toute la résistance des autres. Les hommes étaient rares qui voulaient, comme Malouet, travailler à la réunion des Ordres, sans l'imposer, par un accord commun. Le 17 juin, sur une motion de Siéyès, le Tiers, à la majorité de 491 voix contre 90, se déclarait _Assemblée nationale_. Devant cet empiétement, qui, suivant le mot juste de Malouet, affichait «une scission désastreuse[52]» le gouvernement ne pouvait pas garder le silence; il annonça une séance royale pour le 22 juin et fit, en conséquence, fermer jusqu'à ce jour la salle des Menus. Lorsque, le 20 juin, le Tiers se présenta à la porte de la salle, des soldats lui en interdirent l'entrée. Sur la proposition du docteur Guillotin[53], les députés des Communes se réunirent dans la salle du Jeu de Paume. Irrités des refus qu'ils avaient essuyés, exaspérés par les bruits alarmants que la malveillance ne cessait de répandre sur les intentions de la Cour[54], emportés par un de ces entraînements contagieux auxquels résistent difficilement les assemblées nombreuses, ils firent le serment de ne pas se séparer avant d'avoir donné, _avec ou sans le Roi_, sans s'inquiéter même de son assentiment, une constitution à la France[55]. Prétention audacieuse[56], que n'autorisaient ni les instructions de leurs mandants[57], ni les traditions du pays, ni les principes constitutifs des États généraux; «serment fatal»—le mot est de Mounier[58],—que ne tarda pas à regretter et à désavouer celui-là même qui en avait été le promoteur. Le courant était si irrésistible qu'un seul député, Martin, d'Auch, osa s'y opposer, et la populace, qui commençait déjà à affirmer la puissance, bientôt prédominante, de la rue, faillit lui faire payer cher cette courageuse et consciencieuse résistance[59]. S'il faut en croire Malouet, il était temps encore, avec de l'énergie, avec un plan arrêté[60], de mettre un terme à des empiétements dont l'audace compromettait le succès des réformes sages et pacifiques, réclamées par les cahiers. Necker ne sut prendre que des demi-mesures, dont l'imprudente faiblesse était un encouragement pour les meneurs, en leur assurant, comme on l'a dit justement, une impunité qu'ils attribuaient à l'impuissance de punir[61]. La séance royale fut remise d'un jour; elle eut lieu le 23 juin, avec l'appareil, plus irritant qu'imposant, d'un lit de justice[62]. Des soldats et des gardes du corps environnaient la salle des États, et la forme impérative, employée par le Roi à plusieurs reprises, froissa les représentants du Tiers, surexcités par leur exaltation même et rendus plus forts par l'adhésion de 149 membres du Clergé, qui, la veille, étaient venus se joindre à eux. Le texte du discours, rédigé par Necker, avait été modifié au dernier moment dans un conseil[63], auquel avaient assisté Monsieur et le comte d'Artois, suspects au parti populaire. Mécontent de ces changements, qu'il désapprouvait, le ministre en profita pour s'abstenir d'assister à la séance royale, sacrifiant ainsi son devoir à sa popularité et paralysant le gouvernement, dont il était encore membre. Malgré des lacunes regrettables, la déclaration du Roi constituait un très réel progrès; elle réalisait une partie considérable des réformes réclamées par les cahiers et posait des principes qui, régulièrement et sagement développés, eussent conduit la France, lentement peut-être, mais sûrement, à la possession de ce régime constitutionnel dont elle poursuit vainement, depuis un siècle, l'établissement. Le consentement de l'emprunt et de l'impôt par les États, la publication chaque année du tableau des recettes et dépenses, la renonciation de la Noblesse aux privilèges pécuniaires, la garantie de la liberté personnelle et de la liberté de la presse, la suppression des douanes intérieures, la réforme de l'administration et de la justice, l'abolition de la taille et de la corvée, le remaniement de l'impôt du sel, la fondation d'États provinciaux, où le Tiers devait avoir double représentation, où les délibérations devaient avoir lieu en commun, étaient ou accordés ou promis. «Qu'on relève les déclarations de Louis XVI à la séance du 23 juin, a dit un écrivain distingué, on y verra le principe, le développement même de toutes les réformes politiques qui ont été écrites depuis dans les éditions si souvent renouvelées de nos constitutions et de nos chartes[64].» Mais le prince conservait la distinction des trois Ordres, et à un moment où la lutte entre ces Ordres et l'irritation contre les deux premiers tenaient le premier rang dans les préoccupations publiques, il se contentait d'inviter la Noblesse et le Clergé à délibérer en commun avec le Tiers «dans les affaires qui regardaient le bien général». Il restait dans le vague sur la question si débattue de la constitution et de la périodicité désirée des États généraux, maintenait les droits féodaux, gardait le silence sur l'admissibilité de tous aux emplois publics. Enfin, il laissait entendre que si, par des prétentions exagérées ou des difficultés hors de propos, l'accord entre les États et la royauté était rendu impossible, il était décidé à accomplir seul les réformes. «Toute défiance de votre part, disait-il, serait une grande injustice. C'est moi, jusqu'à présent, qui ai fait tout pour le bonheur de mes peuples, et il est rare peut-être que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits.» Ce ton personnel et quelque peu menaçant, malgré tout ce qu'il y avait, au fond, de paternel dans la déclaration, irrita vivement des hommes tout enivrés encore de leur puissance nouvelle, mis en méfiance d'ailleurs par l'absence du ministre populaire. Le Roi fut écouté dans un morne silence. Lorsqu'il sortit, après avoir ordonné à l'assemblée de se séparer immédiatement, le Clergé et la Noblesse seuls le suivirent; les membres du Tiers restèrent dans la salle. «Messieurs,» s'écria Mirabeau, rendant ainsi un involontaire hommage aux généreuses et patriotiques intentions du souverain, «Messieurs, j'avoue que ce que vous venez d'entendre pourrait être le salut de la patrie, si les présents du despotisme n'étaient pas toujours dangereux.» La défiance était ainsi ranimée, les mécontentements réveillés, et lorsque le grand-maître des cérémonies, le marquis de Brézé, vint rappeler les ordres du Roi: «Nous sommes ici par le vœu de la nation, répondit encore Mirabeau: la force matérielle seule pourrait nous faire désemparer[65].» Et l'Assemblée, donnant raison au tribun qui, malgré la répugnance qu'il avait inspirée tout d'abord, commençait à conquérir sur elle une influence prépondérante, refusa de se séparer et se proclama inviolable. Ainsi était manqué l'effet de cette journée, d'où eût pu dater, sans secousses, l'ère de la liberté. Le soir, Necker donna sa démission. La Reine manda le ministre et le conjura de reprendre sa place. C'était elle qui l'avait fait rentrer au ministère; c'était elle qui lui demandait d'y rester. Le Roi ajouta le poids de son autorité aux instances de sa femme, et Necker donna un consentement qui s'accordait peut-être avec ses désirs secrets et qui lui valut un triomphe populaire[66]. Mais ce retour de Necker n'était que momentané. Louis XVI ne pouvait guère reprendre en lui une confiance absolue, après son attitude au 23 juin, et d'ailleurs sa naturelle irrésolution l'empêchait lui-même de suivre une ligne bien fixe. Les conseils contradictoires se pressaient autour de lui; le malheureux prince flottait au milieu de ces contradictions, penchant tantôt vers les concessions, tantôt vers la résistance, et détruisant souvent le lendemain ce qu'il avait fait la veille. Après avoir maintenu, le 23 juin, le droit pour les Ordres de délibérer à part, il engageait la Noblesse à se réunir au Tiers. Cette réunion eut lieu en effet le 28 juin, au milieu d'une explosion de joie. Versailles prit un air de fête; des cris de _Vive le Roi!_ furent poussés sous les fenêtres du Château; et la Reine elle-même eut, ce jour-là, sa part des acclamations. L'enthousiasme était universel, et l'on entendait des naïfs s'écrier que la révolution était finie. L'illusion ne dura pas longtemps, et cette réunion tardive ne rendit la paix ni à l'Assemblée ni à la France. Bientôt, la fièvre qui embrasait les têtes, l'agitation qui menaçait de descendre dans la rue, les violences même dont quelques membres du Clergé et de la Noblesse avaient failli être victimes pour avoir résisté aux injonctions populaires, la récente insurrection des gardes françaises, avaient fait sentir le besoin d'avoir à la disposition du gouvernement une force suffisante. Le Roi réunit des troupes autour de Versailles, sous le commandement d'un des héros de la guerre de Sept ans, le maréchal de Broglie. Mais la désorganisation générale, qui avait envahi la société tout entière, n'avait pas épargné l'armée: «On n'est pas sûr des soldats,» écrivait, dès le 26 juin, le comte de Fersen[67]. Quoi qu'il en soit, au lieu de calmer les têtes, cette concentration de forces les exaspéra; l'Assemblée feignit de s'en alarmer et d'y voir un attentat contre son indépendance[68]. Elle réclama, par l'organe toujours enflammé de Mirabeau, le retrait des troupes. Le Roi, tout en protestant contre le projet de coup d'Etat qu'on lui prêtait, proposa de transférer les Etats à Soissons ou à Noyon. Peut-être y avait-il là une solution. L'Assemblée, éloignée des excitations de Paris, se fût montrée moins ardente, et le prince, qui ne demandait qu'un accord avec elle, eût vraisemblablement conclu cet accord. «Mais, disait Gouverneur Morris, en enregistrant cette nouvelle et en émettant cette hypothèse, le mal est plus avancé que les conseillers du Roi ne se l'imaginent, et il faut maintenant que les événements aient leur cours[69].» Quelle avait été, dans toutes ces mesures, la part de la Reine? En l'absence de documents positifs, émanés d'elle ou de ses confidents, il est assez difficile de l'établir d'une manière bien nette. En général, il faut se méfier singulièrement, pendant cette période tourmentée, des auteurs de mémoires ou de chroniques, qui supposent souvent sans raison et affirment sans autorité. On affecte habituellement de confondre dans un même parti, et les meneurs, à cette époque, confondaient dans une même haine la Reine et le comte d'Artois. Il ne faudrait pas oublier cependant qu'à l'occasion de la convocation des États généraux, un dissentiment grave avait éclaté entre Marie-Antoinette et son beau-frère. M. de Ségur raconte même que, dans la première entrevue qu'il eut avec la Reine, à son retour de Russie, cette princesse, après un long entretien où elle s'était exprimée avec une tristesse pleine de dignité[70], mais «sans aigreur», contre ceux de ses amis qui étaient alors à la tête du parti populaire, ajouta: «Je vois que, d'après ce qu'on vous a dit, vous me croyez fort éloignée de votre opinion. Mais demain vous aurez de mes nouvelles, et vous verrez que je ne suis pas aussi déraisonnable qu'on le suppose.» Et le lendemain, en effet, elle lui fit remettre par Mme Campan un paquet cacheté qui contenait un écrit de Mounier, le chef incontesté des constitutionnels modérés[71]. Toutefois, étant données la fierté du caractère de la Reine et la haute opinion qu'elle se faisait du pouvoir royal, il est permis de penser qu'elle fut plutôt pour la résistance que pour les concessions. Mais il est probable aussi qu'absorbée alors dans la douleur causée par la perte récente de son fils, elle songeait plus aux larmes qu'à la politique, et que les chagrins de la mère entravèrent singulièrement, s'ils n'empêchèrent pas complètement, l'activité de la souveraine. Le 11 juillet, Necker recevait, sous une forme d'ailleurs très douce[72] l'ordre de donner sa démission, ou plutôt l'autorisation de se retirer, et s'éloignait en silence, avec une incontestable noblesse. Un nouveau ministère était constitué, sous la présidence du baron de Breteuil, avec le maréchal de Broglie à la guerre et M. Foulon au contrôle général. Cette nouvelle, promptement répandue, jette une extrême effervescence dans Paris. La foule se réunit au Palais-Royal, centre habituel des agitations. Camille Desmoulins s'élance sur une table, un pistolet à la main, arrache une feuille à un arbre pour s'en faire une cocarde, et tonne contre les ennemis de la nation. On porte en triomphe les bustes de Necker et du duc d'Orléans; on couvre d'imprécations les noms du comte d'Artois et de la Reine, auxquels on attribue le renvoi du ministre populaire. On assaille à coups de pierres les troupes réunies sur la place Louis XV. Le prince de Lambesc, irrité de voir ses hommes lapidés sans défense et menacés par la foule qui remplit les Tuileries, pénètre dans le jardin, avec un détachement, pour le faire évacuer. La foule s'enfuit, redoublant le désordre par sa précipitation et le tumulte par ses cris. Le bruit se répand partout qu'on égorge les citoyens inoffensifs; à défaut du cadavre qu'on trouve toujours dans les révolutions, on exhibe un blessé, et les soldats, auxquels les ordres les plus pacifiques ont été donnés, passent dans l'imagination populaire pour les massacreurs de peuple[73]. La multitude se porte à l'Hôtel-de-Ville, réclamant le tocsin et des armes; les gardes françaises prennent parti pour l'émeute[74] et marchent contre les troupes royales, que leur commandant, le baron de Besenval, irrésolu et sans ordres, fait replier sur Versailles. Le lendemain l'agitation redouble. Tandis que les électeurs, réunis à l'Hôtel-de-Ville, décrètent la formation d'une milice parisienne, bientôt célèbre sous le nom de garde-nationale, l'émeute pille la maison des Lazaristes, qu'elle accuse d'accaparements, relâche les prisonniers de Sainte-Pélagie, saccage le garde-meuble, et dresse des barricades dans les rues. En face de ce désordre permanent et croissant, le gouvernement demeure dans une incroyable inertie. Enhardie par l'impunité, encouragée tacitement par l'Assemblée qui, au milieu de la fermentation de la capitale, continue à réclamer le renvoi des troupes, la foule ne se borne plus aux exploits faciles de l'incendie des barrières et du pillage des couvents. Le 14 juillet, au matin, elle se porte aux Invalides, pour y chercher les armes qui lui manquent. Le gouverneur, Sombreuil, veut fermer les portes; les invalides eux-mêmes les ouvrent et livrent les fusils. L'esprit de révolte souffle partout. Les bandes, désormais armées, s'élancent sur la Bastille. Après un siège, qui n'est qu'une misérable parodie, après des négociations étranges qu'il serait trop long de rapporter ici, la vieille forteresse, si terrible en apparence, si faible en réalité, sans autre garnison que trente-deux Suisses et quatre-vingt-deux invalides qui ne veulent pas se battre, sans munitions, presque sans canons, la vieille forteresse est prise, disons mieux, elle se rend sans avoir été défendue. Sans ordres et sans secours, le gouverneur, ou plutôt la garnison, capitule. La foule, qui s'est enfuie, au seul coup de canon tiré de la Bastille, se précipite dans l'enceinte de la forteresse, dès qu'il n'y a plus même l'apparence d'un danger à craindre; elle égorge les principaux officiers, les invalides, le gouverneur lui-même, de Launay, dont la tête, arborée au bout d'une pique, sert de trophée aux vainqueurs de la journée, avec celle du prévôt des marchands, Flesselles, qu'on est allé égorger à l'Hôtel-de-Ville[75]. La Terreur était commencée: c'est un témoin oculaire, un des hommes les plus modérés et les plus clairvoyants de ce temps, qui l'a dit[76]. Le meurtre de de Launay et de Flesselles était le prélude; la bête populaire était lâchée; enivrée par l'odeur du sang, elle s'apprêtait à en verser d'autre. «Si la Cour avait été à Paris au lieu d'être à Versailles, écrit Malouet, ce sont les ministres et les princes qu'on aurait massacrés, au lieu de Foulon, de Berthier et de de Launay[77].» Le Palais-Royal avait dressé la liste des victimes, les égorgeurs étaient prêts. Le comte d'Artois, les Condé, les Polignac, le baron de Breteuil, le maréchal de Broglie, Foulon, Berthier, bien d'autres encore étaient inscrits sur la liste fatale. «Prince,» avait dit au comte d'Artois le duc de Liancourt, qui revenait de Paris, «votre tête est proscrite; j'ai lu l'affiche de cette terrible proscription[78].» A Versailles même, le prince avait été insulté plusieurs fois[79] et Mme Campan avait entendu un homme déguisé dire à une femme voilée: «La duchesse est encore à Versailles; elle est comme les taupes, elle travaille en dessous, mais nous saurons piocher pour la déterrer[80].» Devant ces menaces, qui pouvaient sitôt devenir de sanglantes réalités, le Roi s'émut; il engagea son frère à chercher hors de France une sécurité qu'il se sentait impuissant à lui assurer. La Reine en fit autant pour son amie. Le 16 juillet, à huit heures du soir, elle envoya chercher le duc et la duchesse de Polignac et les pria instamment de partir dans la nuit même. Ils s'y refusèrent longtemps. Enfin la Reine, ne sachant par quel moyen les déterminer et «frémissant de chaque instant qui suspendait leur départ», dit à son amie en versant un torrent de larmes: «Le Roi va demain à Paris; si on lui demandait..... Je crains tout; au nom de notre amitié, partez. Il est encore temps de vous soustraire à la fureur de mes ennemis; en vous attaquant, c'est bien plus à moi qu'on en veut qu'à vous-mêmes; ne soyez pas la victime de votre attachement et de mon amitié.» Le Roi entra dans cet instant, et la Reine lui dit: «Venez, Monsieur, m'aider à persuader à ces honnêtes gens, à ces fidèles sujets, qu'ils doivent nous quitter.» Le Roi, s'approchant du duc et de la duchesse, les assura que ce conseil de la Reine était le seul à suivre; il ajouta: «Mon cruel destin me force d'éloigner de moi tous ceux que j'estime et que j'aime. Je viens d'ordonner au comte d'Artois de partir; je vous donne le même ordre. Plaignez-moi; mais ne perdez pas un seul moment; emmenez votre famille. Comptez sur moi dans tous les temps; je vous conserve vos charges.» ...... A minuit, la duchesse reçut ce petit mot de la Reine: «Adieu, la plus tendre des amies! Que ce mot est affreux! Mais il est nécessaire. Adieu! je n'ai que la force de vous embrasser[81].» Quels qu'eussent été les refroidissement des dernières années, Marie-Antoinette ne pouvait voir, sans un déchirement de cœur, s'éloigner cette amie à laquelle l'unissaient quinze ans d'affection et tous les souvenirs de sa vie heureuse. C'était le premier lien qui se brisait; c'était l'amitié qui devait fuir devant les préventions et le meurtre: triste et trop intelligible présage du sort réservé à la Reine elle-même. La veille, une femme, voilée de noir, n'avait-elle pas dit à Mme Campan: «Dites à votre Reine qu'elle ne se mêle plus de nous gouverner. Qu'elle laisse son mari et nos bons États généraux faire le bonheur du peuple.»—«Oui,» avait repris un homme manifestement travesti en fort de la Halle, «répétez-lui qu'il n'en sera pas de ces États généraux comme des autres, qui n'ont rien produit de bon pour le peuple...... Dites-lui bien cela, entendez-vous[82]?» Ainsi, la malveillance populaire s'obstinait à voir en la Reine seule l'obstacle aux réformes, et si le peuple ne trouvait pas ce bonheur, qu'on lui promettait si bruyamment avec plus de témérité que de sagesse, c'était elle qu'il en devait accuser. La duchesse de Polignac, en arrivant à Bâle, rencontra Necker, auquel elle donna la première nouvelle de son rappel, bientôt confirmée par l'arrivée d'un courrier royal[83]. Effrayé de cette révolte de Paris qui, suivant le mot du duc de Liancourt, s'élevait à la hauteur d'une révolution, déterminé à ne pas faire couler le sang pour sa querelle, Louis XVI avait cédé. Le 15, il était allé à l'Assemblée à pied, sans gardes, accompagné de ses deux frères, pour annoncer lui-même le retrait des troupes. A son retour, les applaudissements de la foule le saluèrent; les drapeaux flottaient dans les airs, les tambours battaient; les troupes, rangées sur la Place d'Armes, partageaient l'ivresse générale. La Reine parut au grand balcon, accompagnée de sa famille, tenant le Dauphin dans ses bras et Madame par la main. Peu après, les enfants du comte d'Artois furent amenés par leur gouverneur. Ils baisèrent la main de la Reine, qui se pencha vers eux, son fils dans les bras. Les deux jeunes princes embrassèrent leur cousin; la petite Madame, émue, joignit ses caresses à celles du duc d'Angoulême et du duc de Berry; et un moment toutes ces jeunes têtes blondes furent confondues dans un commun embrassement, dominées par la figure plus grave, mais souriante de la Reine. Ce fut un tableau touchant et un moment d'enthousiasme indescriptible[84]. Mais, dans le peuple qui se pressait au pied du balcon, cet enthousiasme se mêlait d'imprécations contre le comte d'Artois et aussi de sourds murmures contre la Reine. Louis XVI le vit et, ne voulant pas faire partager à son frère les dangers qu'il affrontait lui-même, il lui donna, comme nous l'avons dit, l'ordre de s'éloigner. Dans la nuit du 16 au 17, le comte d'Artois et ses enfants, le prince de Condé, le duc de Bourbon et le duc d'Enghien, prirent le chemin de la Belgique, où les derniers n'arrivèrent qu'après avoir échappé à grand peine aux furieux qui voulaient les jeter dans l'Oise[85]. Les ministres compromis dans le cabinet du 11 juillet, MM. de Barentin, de Villedeuil, de la Vauguyon, de Breteuil, l'abbé de Vermond[86], le prince de Lambesc, coupable d'avoir commandé, le 12 juillet, la charge du Royal-Allemand dans le jardin des Tuileries, suivirent cet exemple. Le maréchal de Broglie se retira dans son gouvernement des Trois-Évêchés, d'où les clameurs de la populace, ameutée contre lui, le forcèrent bientôt de fuir à Luxembourg[87]. Quelques jours plus tard, l'horrible assassinat d'un des ministres du 11 juillet. Foulon, et de son gendre Berthier, ancien intendant de l'Ile-de-France, ne justifiait que trop les sombres pressentiments du Roi et de la Reine et la nécessité de cette première émigration. Un moment cependant, Louis XVI avait eu la pensée de tenir tête à l'insurrection. Il avait voulu quitter Versailles et se retirer à Metz, sous la protection des troupes auxquelles il venait de donner l'ordre de s'éloigner. La Reine y poussait vivement; déjà même elle avait fait ses préparatifs de départ, brûlé ses papiers, réuni ses diamants dans un coffret facile à emporter et remis à Mme Campan un ordre de l'accompagner pour servir d'institutrice à Madame. Un conseil eut lieu où le Roi posa nettement la question; les débats furent longs et animés; mais la majorité se prononça contre le départ[88]. Monsieur supplia le Roi de rester, et le maréchal de Broglie, interrogé à son tour, répondit: «Oui, nous pourrons aller à Metz; mais que ferons-nous, quand nous y serons[89]?» Devant ces prières de son frère, devant ces hésitations du commandant en chef de ses troupes, devant la perspective de la guerre civile qui pouvait suivre, Louis XVI renonça à son plan et la Reine, reprenant le papier qu'elle avait remis à Mme Campan, le déchira, les larmes aux yeux, en disant: «Lorsque je l'écrivis, j'espérais bien qu'il serait utile, mais le sort en a décidé autrement; je crains bien que ce ne soit pour notre malheur à tous.» Elle ne se trompait pas, et le Roi, plus tard, regretta le parti qu'il avait pris ce jour-là. «J'ai manqué le moment, disait-il tristement à Fersen, trois ans après, et depuis je ne l'ai plus retrouvé[90].» Au lieu de prendre la route de Metz, il fut décidé que le prince irait à Paris pour essayer de calmer les esprits. De tristes appréhensions agitaient son cœur et, avant de partir il tint à mettre en règle sa conscience de chrétien et de roi. Le chrétien entendit la messe et communia. Le roi remit confidentiellement à Monsieur un acte qui l'instituait lieutenant général du royaume, dans le cas où l'on attenterait à la vie ou à la liberté du souverain. Puis, le 17, à 9 heures du matin, Louis XVI partit: s'il n'avait pas le courage de l'initiative, il avait celui de la résignation. Douze gardes du corps seulement le suivaient, avec les ducs de Villeroy et de Villequier, le maréchal de Beauvau et le comte d'Estaing, sans princes du sang et sans ministres. Le reste de l'escorte était fourni par la garde nationale de Versailles, qui l'accompagna jusqu'à Paris. Là, on retrouva la garde nationale parisienne, encore en habits bourgeois, sous le commandement de Lafayette, à cheval. Une double file d'hommes armés, cent cinquante mille, dit-on[91], s'étendait du Point-du-Jour à l'Hôtel-de-Ville. Dans les rues, aux fenêtres, sur les toits même, une foule immense, impatiente et houleuse, des jeunes gens portant des piques ou des fusils de chasse, des moines même en armes, comme sous la Ligue[92], des poissardes portant d'énormes bouquets, sautant, gambadant, à moitié ivres, des musiciens jouant l'air: _Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?_ des canons couronnés de fleurs avec cette inscription: «Votre présence nous a désarmés.» Partout, aux chapeaux, aux bonnets, aux uniformes, à la statue même de Louis XV, la cocarde aux couleurs de la capitale, rouge et bleue[93]. A la barrière, le maire de Paris, Bailly, présenta au Roi les clefs de la ville sur un bassin de vermeil: «Sire, dit-il, j'apporte à Votre Majesté les clefs de sa bonne ville de Paris; ce sont les mêmes qui ont été présentées à Henri IV. Il avait reconquis son peuple; ici c'est le peuple qui a reconquis son roi.» Bailly avait raison. C'était bien un vaincu, «un grand captif», dit le marquis de Ferrières, qui s'avançait lentement[94] à travers les rues de la cité, sans gardes, entouré de deux ou trois cents membres de l'Assemblée, «l'air triste et agité[95]», avec un cortège en désordre et «une pompe qui, aux yeux de tous, avait quelque chose de lugubre[96]». Les cris de _Vive la Nation!_ qui retentissaient de toutes parts, à peu près seuls et sans le vieux cri français de _Vive le Roi[97]!_ précisaient la situation. L'humiliation se consomma à l'Hôtel-de-Ville, où le Roi, après avoir passé sous une voûte menaçante d'épées entrelacées[98], confirma les pouvoirs décernés par l'émeute. Bailly présenta à Louis XVI la nouvelle cocarde, qui remplaçait pour les Parisiens l'antique cocarde royale. Le prince la prit, la mit à son chapeau et parut au balcon. Des applaudissements frénétiques éclatèrent, saluant le souverain désarmé et vaincu, et ce fut alors seulement que reparut le cri de _Vive le Roi[99]!_ Ce n'était plus l'ivresse du dévouement; c'était l'ivresse du triomphe. Le Roi le sentit; des larmes, qui n'étaient pas des larmes de joie, coulèrent de ses yeux, et ce fut l'air morne et le cœur serré, qu'il reprit la route de Versailles. L'alarme était grande au Château; la Reine, quoiqu'elle fît «paraître un grand courage et une fermeté d'âme extraordinaire[100]», n'avait pu envisager sans inquiétude ce voyage à Paris; elle avait tout fait pour retenir son mari; elle l'avait supplié à genoux et en pleurant de renoncer à un projet qui présentait en effet tant d'incertitude et de dangers. N'essaierait-on pas de le garder prisonnier? Ne ferait-on pas pis encore? Et de fait, ces craintes n'étaient pas vaines. Lafayette ne se vantait-il pas, quelques jours plus tard, à Gouverneur Morris, d'avoir été seul maître, le 17 juillet, d'avoir pu, s'il l'avait voulu, retenir le Roi prisonnier, de l'avoir fait marcher dans les rues à sa fantaisie et d'avoir prescrit lui-même le degré d'applaudissements qu'il convenait de lui accorder[101]? Aux Champs-Élysées, n'avait-on pas vu une femme frappée d'une balle tirée dans la direction de la voiture du Roi, et ce fait, bien qu'il fût vraisemblablement l'effet du hasard, n'avait-il pas paru, à Bailly même, «extraordinaire[102]?» La journée avait donc semblé bien longue à la pauvre Reine. Elle l'avait passée dans les transes et les larmes, enfermée dans ses cabinets, donnant l'ordre de tenir ses attelages prêts, s'essayant même à tracer le discours qu'elle irait adresser à l'Assemblée, si des factieux, dont on pouvait tout attendre, s'opposaient au retour du Roi et répétant sans cesse ces mots entrecoupés: «Ils ne le laisseront pas revenir[103]!» Il revint cependant. A six heures du soir, le premier page, M. de Lastour, accourut à franc étrier, porteur de la bonne nouvelle. A neuf heures[104], le Roi rentrait lui-même, brisé de fatigue, mais se félicitant qu'aucun accident n'eût marqué ce voyage entrepris avec tant de craintes. «Heureusement, disait-il, il n'a pas coulé de sang; je jure qu'il n'y aura jamais une goutte de sang français versé par mon ordre[105].» La Reine se précipita au-devant de son mari avec le Dauphin[106] jusqu'au milieu de l'escalier[107]. En un instant, le prince fut dans les bras de sa famille. Sa femme, sa sœur, ses enfants l'entourèrent en pleurant de joie; les alarmes avaient été si vives que ce retour remplissait tout le monde de bonheur. On oubliait les inquiétudes de la journée; pouvait-on oublier celles du lendemain? «Votre Majesté, avait dit Bailly au Roi, vient jouir de la paix qu'elle a rétablie dans sa capitale[108].» Cinq jours plus tard, le meurtre de Foulon et de Berthier avait montré sur quelle base était fondée cette paix et comment le peuple parisien comprenait le respect des lois. Arrêtées toutes deux loin de la capitale, ramenées à Paris par une populace furieuse, qui les abreuvait de mauvais traitements et d'insultes, abandonnées par ceux qui devaient les défendre[109], les deux malheureuses victimes étaient égorgées avec d'horribles raffinements de barbarie. Leurs têtes, placées au bout des piques, étaient promenées dans les rues, au milieu de chants et de danses de cannibales, et le cœur sanglant de Berthier était porté sous les yeux même des électeurs assemblés dans la grande salle de l'Hôtel-de-Ville. En province, l'agitation et les violences n'étaient pas moindres. Des bruits vagues, mais trop concordants pour n'être pas l'effet d'un mot d'ordre, jettent l'effroi dans les campagnes: des bandes de brigands, assure-t-on, vont venir piller les récoltes et incendier les blés. «Une terreur panique, dit un témoin non suspect, se répand le même jour dans toutes les parties du royaume[110].» Les femmes s'enfuient, les hommes prennent leurs armes; on court sus aux brigands imaginaires, et, ne les trouvant pas, on se rue contre ceux qu'on accuse de les avoir soudoyés. On démolit les châteaux; on pille les couvents; on brûle les registres et les titres; on massacre les nobles et tous ceux qu'on soupçonne, à tort ou à raison, d'être hostiles à la Révolution. L'autorité n'a plus d'action et l'anarchie règne en maîtresse. «Les propriétés, de quelque nature qu'elles soient, disait, le 3 août, le député Salomon au nom du Comité des rapports, sont la proie du plus coupable brigandage. De tous côtés, les châteaux sont brûlés, les couvents détruits, les fermes abandonnées au pillage; les impôts, les redevances seigneuriales, tout est anéanti; les lois sont sans force, les magistrats sans autorité, et la justice n'est plus qu'un fantôme, qu'on cherche inutilement dans les tribunaux.» Il semblait que les décrets du 4 août, en abolissant les droits féodaux, eussent dû faire cesser des désordres qui n'avaient plus de prétexte. Il n'en fut rien: de nouveaux incendies, de nouvelles violences, de nouveaux massacres furent la seule réponse au généreux élan des privilégiés. Contre de tels excès, il eût fallu agir; l'Assemblée se contenta de parler. Mais ses proclamations, sans couleur et sans énergie, restaient sans effet. Toute puissante pour détruire, elle se trouvait sans force pour conserver. Et comment en aurait-elle eu? N'était-ce pas de sa tribune que partaient les excitations les plus violentes? N'avait-on pas entendu l'homme qui exerçait sur elle la plus incontestable influence s'écrier un jour: «Il faut des victimes aux nations; on doit s'endurcir aux malheurs publics et l'on n'est citoyen qu'à ce prix.» Et au moment de l'assassinat de Foulon et de Berthier, Barnave n'avait-il pas dit ce mot qu'il devait si cruellement regretter: «Le sang qui coule est-il donc si pur?» «Ma santé se soutient encore, écrivait la malheureuse Reine à la duchesse de Polignac; mais mon âme est accablée de peines, de chagrins et d'inquiétudes. Tous les jours j'apprends de nouveaux malheurs; un des plus grands pour moi est d'être séparée de tous mes amis; je ne rencontre plus de cœurs qui m'entendent.»—«Soyez tranquille, lui écrivait-elle une autre fois, l'adversité n'a pas diminué ma force et mon courage et m'a donné la prudence[111].» En attendant des jours meilleurs, elle avait pris, disait son frère, «le seul parti qui lui convenait, savoir: de vivre fort retirée et tout occupée de ses enfants[112]». Necker était revenu le 28 juillet, au milieu des acclamations populaires[113]. Mais son retour n'avait rétabli ni les finances ni l'ordre; les dons patriotiques, l'envoi même de la vaisselle royale à la Monnaie, l'annonce de réformes importantes dans les Maisons du Roi et de la Reine n'avaient pas rempli le vide du trésor[114]. Les contributions ne rentraient pas; depuis le 4 août, les paysans se croyaient affranchis de tout impôt envers l'Etat, comme de toute redevance féodale. En politique, Necker n'était pas plus heureux; au mois de juillet comme au mois de mai, il n'avait aucun plan, et la crainte de compromettre sa popularité l'entraînait à des compromis qu'un homme d'Etat, même hostile, comme Mirabeau, n'eût pas voulu accepter. C'est ainsi que dans la grande et capitale discussion sur le _Veto_, on avait vu le tribun soutenir la prérogative royale qu'abandonnait le ministre. Mais cette soumission même ne suffisait pas. Le mot de _Veto_ incompris devenait la qualification injurieuse et mortelle dont on affublait le Roi et la Reine. Le danger croissait d'heure en heure. Des lettres anonymes dénonçaient non seulement les députés favorables, mais tous ceux qui n'obéissaient pas aveuglément aux volontés du Palais-Royal[115]. «Tous les liens sont rompus, écrivait, le 3 septembre, le comte de Fersen; l'autorité du Roi est nulle; l'Assemblée nationale elle même tremble devant Paris, et Paris tremble devant quarante ou cinquante mille bandits ou gens sans aveu établis à Montmartre ou dans le Palais-Royal, qu'on n'a pas pu en chasser et qui ne cessent d'y faire des motions[116].» La situation était intolérable; l'Assemblée n'était plus libre. Les vociférations des tribunes, les cris de la rue, les lettres anonymes menaçaient ses membres les plus éminents et les plus sages. Les rapports de police signalaient un projet d'invasion de Versailles par les meneurs de Paris[117]. Il fallait sortir de là. La Cour s'en préoccupait et les royalistes de l'Assemblée ne s'en préoccupaient pas moins. Y eut-il alors un plan pour enlever le Roi par la Champagne et Verdun et le transporter à Metz sous la protection de l'armée de Bouillé? Le comte d'Estaing l'affirme dans une lettre à la Reine, dont le brouillon fut retrouvé chez lui[118]. On le disait tout haut à Paris, et Mme de Tourzel le confirme dans ses Mémoires; mais ce plan paraît être resté toujours fort vague; le lieu de la retraite même n'était pas décidé et l'on ne tarda pas à y renoncer[119]. Vers la même époque, trois députés, au nom d'un certain nombre de leurs collègues et se croyant sûrs d'entraîner la majorité de l'Assemblée, qu'effrayait l'audace des factieux, Malouet, Redon et l'évêque de Langres, proposèrent au ministère de transporter l'Assemblée à vingt lieues de Paris, à Soissons ou à Compiègne. Plusieurs ministres, Necker et Montmorin entre autres, avaient adhéré à ce projet: mais quand il fut soumis au Roi, le Roi refusa. Quelle fut la raison de ce refus? Le prince n'avait-il pas confiance dans le succès? Se souvint-il qu'il avait voulu, au 14 juillet, prendre une résolution analogue et qu'il avait dû y renoncer devant les représentations de ceux-là même sur lesquels il croyait pouvoir le plus compter? Pensa-t-il qu'il fallait rester près de Paris pour le mieux contenir? Ne crut-il pas à la réalité du danger? Eut-il honte de sembler fuir devant l'émeute? Tout ce que l'histoire peut dire, c'est que, ce jour-là comme plus tard, Louis XVI manifesta une répugnance invincible à abandonner Versailles. Les députés se retirèrent consternés[120]. C'était le 29 septembre[121] que cette démarche était faite et repoussée. Quelques jours après, le Roi et l'Assemblée quittaient Versailles, pour rentrer prisonniers dans Paris. CHAPITRE III Fermentation à Paris et à Versailles.—Appel de troupes à Versailles.—Banquet des gardes du corps.—Préparatifs des journées d'octobre. Cependant, le plan d'envahir Versailles n'était plus un mystère; les avis alarmants se multipliaient[122]. Déjà, le 30 août, l'un des chefs les plus décriés et, par cela même, les plus influents de la démagogie parisienne, le marquis de Saint-Huruge, avait essayé d'entraîner quinze cents émeutiers contre Versailles. Sa tentative avait échoué[123]; mais le projet n'avait pas été abandonné. Un peu plus tard, en septembre, au Palais-Royal, Camille Desmoulins s'était écrié qu'il fallait envoyer quinze mille hommes à Versailles pour en ramener le Roi et faire enfermer la Reine[124]. Des bruits d'insurrection, d'invasion du Château étaient dans l'air. «On annonçait, dit Mounier, d'horribles desseins contre la Reine[125].» A Paris, en province, jusqu'à Toulouse, on en parlait tout haut. Il s'agissait d'enlever l'Assemblée et le Roi et de «traiter comme ils le méritaient les députés qui se seraient mal montrés pour le peuple[126]». Mirabeau avait dit un jour au libraire Blaisot «qu'il croyait apercevoir qu'il y aurait des événements malheureux à Versailles, mais que les honnêtes gens n'avaient rien à craindre[127]». Enfin, les gardes françaises qui, depuis leur licenciement après la prise de la Bastille, formaient les compagnies soldées de la garde nationale parisienne, se vantaient tout haut de «venir reprendre au Château les postes qu'ils occupaient jadis, et au besoin chercher le Roi[128]». Leur commandant général, Lafayette, se préoccupait de ces dispositions, et, tout se croyant sûr de les neutraliser par son autorité, il avait pensé, vers la mi-septembre, devoir avertir de ces «mauvais desseins» le ministre de la Maison du Roi, M. de Saint-Priest[129]. La Cour s'alarma; le service du Château n'était plus fait que par les Suisses et les gardes du corps, tous dévoués, mais en somme assez peu nombreux. Le service de la ville était livré à la garde nationale, dont la majorité était suspecte, et qui d'ailleurs était harassée par de continuelles expéditions pour assurer les approvisionnements. Déjà au mois d'août, on avait dû faire venir pour l'aider deux cents chasseurs des Trois-Evêchés et deux cents dragons de Lorraine. Contre un envahissement possible et prévu, c'était trop peu. M. de Saint-Priest s'en ouvrit au commandant général de la garde nationale, le comte d'Estaing, et ce dernier, dont l'attachement aux idées nouvelles n'était pas contestable, se chargea d'obtenir l'assentiment de la municipalité, dont la réquisition était nécessaire, pour l'entrée de troupes à Versailles. Sur sa proposition, et vu la délibération des capitaines d'état-major de la garde nationale, constatant l'insuffisance de leurs forces, «attendu les divers avis plus alarmants les uns que les autres qui se succèdent continuellement,» il fut décidé, le 18 septembre, «qu'il était indispensable, pour la sûreté de la ville, pour celle de l'Assemblée nationale, et pour celle du Roi, d'avoir le plus promptement possible un secours de mille hommes de troupes réglées qui seront aux ordres du commandant général de la garde nationale de Versailles[130]». On fit choix du régiment de Flandre, dont le bon esprit et la discipline semblaient garantir la fidélité, tandis que le nom de son colonel, le marquis de Lusignan, qui siégeait à gauche de l'Assemblée, devait rassurer les patriotes contre tout projet de contre-révolution. Le 23 septembre, le régiment de Flandre arriva à Versailles, où il fut «fort bien reçu[131]»; le comte d'Estaing, avec l'état-major et un détachement de la garde nationale, le président de la municipalité avec les membres du corps municipal, allèrent au-devant de lui jusqu'à la barrière. Le régiment fut conduit à la Place d'Armes, où, en présence du maire, il prêta le serment de fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi; il comptait onze cents hommes et deux canons[132]. Le Roi avait été si satisfait de la milice versaillaise en cette circonstance qu'il écrivit, pour la remercier, une lettre de sa main au commandant général, le comte d'Estaing[133], et que la Reine résolut d'offrir aux gardes nationaux un témoignage de gratitude; le 29, elle annonça elle-même à l'état-major qu'elle voulait donner un drapeau à chaque division, et, le 30, ces deux[134] drapeaux furent solennellement bénis dans l'église Notre-Dame par l'archevêque de Paris, en présence du gouverneur de Versailles, de la municipalité, d'un grand nombre de membres de l'Assemblée et de personnes notables de la ville, et des officiers de tout le corps militaire. Après la cérémonie, un banquet réunit les invités; la plus grande cordialité ne cessa d'y régner et des toasts furent portés au Roi et à la prospérité de la nation, «objets inséparables,» à la Reine, au Dauphin et à toute la famille royale. Le lendemain, un nouveau banquet devait avoir lieu; c'est celui dont le récit, indignement travesti, allait donner prétexte à d'effroyables massacres. Il était alors d'usage dans l'armée française, comme il l'est encore aujourd'hui, d'offrir un repas de corps au régiment qui arrive dans une garnison nouvelle. Lors du voyage de Louis XVI à Cherbourg, les gardes du corps avaient reçu de semblables politesses d'un grand nombre de régiments d'infanterie; ils résolurent de les rendre au régiment de Flandre et de cimenter ainsi les liens qui unissaient toutes les troupes de Versailles[135]. Il fut décidé qu'ils lui offriraient un banquet, et la date en fut fixée au jeudi, 1er octobre. La salle du Manège et la salle du Théâtre de la ville n'ayant pu convenir, les organisateurs de la fête demandèrent au Roi, qui l'accorda volontiers, la salle de l'Opéra du Château, dans laquelle, quelques années auparavant, les gardes du corps avaient offert un bal à la famille royale. La pièce fut décorée avec goût; une table de deux cent dix couverts, en fer à cheval, fut dressée sur le théâtre; quatre-vingts gardes du corps environ, tous les officiers du régiment de Flandre, des chasseurs et des dragons de Lorraine, alors en garnison à Meudon[136], plusieurs officiers des Suisses et de la Prévôté, une vingtaine de gardes nationaux devaient s'y asseoir. Au jour dit, «à trois heures de l'après-midi, raconte l'historien de Versailles, M. Le Roy, tout le monde se réunit à la grille du Château, où était le rendez-vous. On se rend à la salle de l'Opéra, par le corridor du palais. En entrant, on est charmé par l'aspect de la salle; les convives se placent et le repas commence. Dans l'orchestre étaient les trompettes des gardes et la musique du régiment de Flandre; le parterre était réservé aux grenadiers du régiment et aux chasseurs et dragons de Lorraine[137].» Aucun incident ne signala le premier service. Au second, le duc de Villeroy, capitaine des gardes du corps, qui présidait le banquet, fit entrer dans le fer à cheval les grenadiers de Flandre, les grenadiers suisses, les chasseurs des Trois-Évêchés. Heureux de cet honneur, ces braves gens demandèrent à porter la santé de la famille royale. On leur versa à boire; ils burent à là santé du Roi, de la Reine et du Dauphin. Les spectateurs, qu'avait attirés cette fête et qui s'étaient entassés dans les loges, répondirent par les mêmes cris, alors encore familiers au peuple de France. Quoi qu'en aient pu dire des écrivains intéressés à travestir les faits, la santé de la nation ne fut ni proposée, ni par conséquent rejetée[138]. A ce moment, au dessert, la famille royale parut dans une loge grillée. La Reine, inquiète des bruits qui venaient de Paris et profondément triste de la désaffection qui s'attachait à elle, s'était retirée de bonne heure dans ses appartements. Plusieurs fois, ses dames lui avaient vanté la gaîté de la fête, en l'engageant à s'y rendre; elle avait résisté. On lui représenta que ce spectacle amuserait le Dauphin; par amour maternel, elle consentit à y aller. Le Roi arrivait de la chasse; elle l'entraîna avec elle. En les apercevant tous deux dans une loge, des cris de _Vive le Roi!_ éclatent de toutes parts. On les supplie de descendre dans la salle; vaincus par ces instances réitérées, ils descendent. Le vicomte d'Agout, en signe de réjouissance, arbore un mouchoir au bout de son bâton de commandement. La Reine prend son fils par la main et fait le tour de la salle. Les convives se lèvent, tirent leurs épées, comme pour défendre cette noble et malheureuse famille; on lui jure fidélité; on lui jure amour et dévouement. Un des assistants, M. de Canecaude, demande que l'on joue l'air: «_Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?_» Les musiciens, qui ne l'ont pas, y suppléent, en exécutant le motif si connu et si entraînant d'un maître cher à la Reine: _O Richard! ô mon Roi!_ Les acclamations redoublent; l'enthousiasme est à son comble. Marie-Antoinette, touchée de ces applaudissements qui s'adressent à son mari, à elle, à ses enfants, se sent heureuse comme reine, comme épouse, et comme mère: elle se laisse aller à des pensées plus douces et jouit sans mélange de ce retour de popularité. Pauvre femme! C'était son dernier jour de bonheur! La famille royale se retire bientôt; un grand nombre de soldats escaladent les loges et franchissent les barrières pour l'accompagner dans le corridor de la chapelle, par où elle rentre dans ses appartements. Puis, tout le monde, musiciens, convives, spectateurs, se transporte dans la cour de Marbre au bas même des fenêtres du Roi. Une foule d'habitants de Versailles étaient réunis là, dans les cours et sur la Place d'Armes, pour assister à la fête. Echauffés par le vin, enthousiasmés par la visite qu'ils viennent de recevoir, les convives se livrent à des démonstrations bruyantes: on chante, on danse, et un soldat, qui fut, cinq jours plus tard, «un des plus dangereux insurgés[139],» parvient, en grimpant le long des colonnades, à escalader le balcon du Roi, qui, malgré les acclamations, reste enfermé chez lui et ne se montre pas. Ce fut tout. Qu'il y ait eu des manifestations contre-révolutionnaires, que la cocarde tricolore ait été foulée aux pieds, le fait a été allégué, mais il est faux. Les organisateurs du banquet, les gardes du corps, s'en sont toujours défendus avec la plus fière énergie, et la Reine elle-même a pris soin de réfuter cette calomnie. «Il n'est pas à croire,» a-t-elle répondu au tribunal révolutionnaire, «que des êtres aussi dévoués foulassent aux pieds et voulussent changer la marque que leur Roi portait lui-même[140].» Qu'on ait vu au banquet des cocardes blanches, cela est vrai et cela devait être. L'armée, à cette époque, avait encore la cocarde blanche; le Roi seul et la garde nationale portaient la cocarde tricolore. Et si, comme on le raconte, quelques dames de la Cour, faisant avec du papier des cocardes blanches, les ont données aux officiers qu'elles rencontraient, elles n'ont fait que donner à ces officiers la cocarde légale, réglementaire, celle que Mounier appelait encore «la cocarde française[141]». Le 3 octobre, la Reine reçut une députation de la garde nationale, qui venait la remercier des drapeaux distribués le 30 septembre. Tout émue encore des démonstrations sympathiques de l'avant-veille, elle répondit: «Je suis fort aise d'avoir donné des drapeaux à la garde nationale de Versailles. Je suis enchantée de la journée de jeudi; la nation et l'armée doivent être attachées au Roi, comme nous leur sommes nous-mêmes[142].» Le même jour, un nouveau banquet[143] a lieu dans l'Hôtel des gardes du corps; quatre-vingts soldats des régiments de Flandre et de Lorraine, un homme de chaque compagnie de la garde nationale de Versailles y sont invités. Le repas est gai; on y porte la santé du Roi, de la nation, de l'Assemblée, de la garde nationale; puis, vers la fin, les têtes s'échauffent; on chante, on crie, on casse les bouteilles et les verres; quel est le banquet de deux cents personnes, de deux cents jeunes gens, où il ne se passe pas de scènes de ce genre? Le dimanche 4, c'est la municipalité de Versailles qui traite à son tour le régiment de Flandre. La garde nationale prend part au festin; on y boit, à la santé du Roi et de la Reine; tout s'y passe avec ordre. Telle est la série de fêtes et de banquets qui fut transformée en une série d'attentats contre la souveraineté nationale. Rien—ce simple exposé suffit à l'établir,—rien n'avait pu servir de base à cette accusation. Il y avait eu sans doute des démonstrations enthousiastes en l'honneur de la famille royale; mais ces démonstrations étaient alors dans le cœur de la grande majorité des Français. Quant à des attaques contres les réformes de l'Assemblée, il n'y en avait point eu. Les gardes du corps, l'armée, la garde nationale s'étaient trouvés réunis dans un parfait accord[144]. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que ces gardes du corps, si dévoués au Roi, n'étaient nullement hostiles aux idées nouvelles;—ils en avaient donné tout récemment la preuve[145],—vivaient très amicalement avec les députés et passaient dans l'Assemblée pour d'_excellents patriotes_. C'est le témoignage que leur rendit, dans l'enquête, un député qui n'est pas suspect[146]. Mais il fallait un prétexte; et celui-là fut choisi. Un homme qui devait jouer un triste rôle à la Convention, et qui était dès lors un des plus fougueux ennemis de la royauté, quoiqu'il se qualifiât «un des plus fidèles sujets du Roi[147]», Laurent Lecointre, lieutenant-colonel de la garde nationale du quartier Notre-Dame, donna le signal. Mécontent de n'avoir point été invité à la fête du 1er octobre, sa rancune personnelle s'ajoutait à son exaltation politique. A son instigation, un de ses amis, rédacteur d'une feuille révolutionnaire, le _Courrier de Versailles_, Gorsas[148], commença dans son journal toute une série d'articles contre le banquet des gardes du corps; le repas que nous avons raconté d'après les documents les plus authentiques, était représenté comme une «orgie complète». Les convives chancelants avaient donné un spectacle «dégoûtant et horrible» La santé de la nation ayant été proposée, les gardes du corps l'avaient rejetée. Et c'était d'un pareil scandale que la Reine s'était déclarée «enchantée». Quelle meilleure preuve des plans contre-révolutionnaires de la Cour et des projets de vengeance de l'Autrichienne contre le peuple? On conçoit facilement quel effet devaient produire ces dénonciations furibondes, en tombant, comme une semence haineuse, sur le terrain si bien préparé de la populace parisienne. Le récit de Gorsas est lu avidement, odieusement commenté. Marat, Camille Desmoulins, Loustalot, tonnent dans leurs journaux contre la Cour et contre la Reine: on dénonce la grande conspiration contre-révolutionnaire. On reprend un vieux bruit jadis colporté, l'enlèvement du Roi pour le conduire à Metz. On ne calcule pas que pour exécuter un pareil plan, s'il avait été conçu, Louis XVI n'avait à sa disposition que six cents gardes du corps «en général chauds partisans du Tiers[149]», deux cents dragons, deux cents chasseurs, onze cents soldats du régiment de Flandre commandés par un colonel patriote, et que ce n'est pas avec ce faible corps de deux mille hommes qu'il pourrait se lancer dans une entreprise aussi hasardeuse, en face d'une garde nationale qui n'y prêterait certainement pas les mains. Mais les masses populaires, quand elles sont surexcitées, sont aveugles, et les chefs ne leur laissaient pas le temps de raisonner. L'occasion était bonne d'ailleurs. Une disette, à laquelle on peut assigner des causes trop sérieuses, mais qui, à ce moment, eut certainement quelque chose de factice, une «famine docile», comme l'appelle Lally-Tollendal[150], régnait dans Paris. Il y avait là des souffrances réelles, et, comme toujours, c'était au gouvernement, au Roi, à la Cour, aux membres les plus impopulaires de la famille royale, à la Reine, par conséquent, qu'on faisait remonter la responsabilité de ces souffrances. Les calomnies de Gorsas jettent de l'huile sur ce feu qui couve sous une cendre chaude. Au Palais-Royal, la populace s'assemble; des attroupements se forment; les orateurs déclament. On jure de tirer vengeance des gardes du corps, qui ont arboré, dit-on, la cocarde noire. On tient contre la Reine les «propos les plus affreux». On fait des motions contre les accapareurs. Une femme, «dont la mise indique une femme au-dessus du médiocre,» s'écrie qu'elle n'a pas de pain et qu'il faut aller à Versailles en demander au Roi, et comme un des assistants se permet de rire, elle lui applique un soufflet. Les autres femmes qui sont là applaudissent. «Demain, disent-elles, les choses iront mieux; nous nous mettrons à la tête des affaires.» Des gardes nationaux, attablés au café de Foy, font chorus avec les femmes; la police reste inerte et n'essaie ni de dissiper les groupes ni de rétablir l'ordre[151]. Rien n'avait été négligé pour organiser l'attaque et désorganiser la résistance. «Des Machiavels de place publique et de mauvais lieu, a dit M. Taine, ont remué les hommes du ruisseau et les femmes du trottoir[152].» L'or avait été répandu à profusion dans le peuple et dans l'armée; sept millions, assure-t-on, étaient venus de Hollande[153]. Depuis l'arrivée du régiment de Flandre, tous les moyens de corruption, même les plus honteux, le vin, l'argent, les femmes, avaient été employés pour suborner les soldats, et au commencement d'octobre, ce régiment, qui avait été appelé pour protéger l'ordre et la monarchie, n'était plus qu'un danger. C'est avec ces faibles ressources, avec ces soldats à demi gagnés et quelques gardes fidèles, en face d'une garde nationale, en partie hostile, que Louis XVI allait se défendre contre une conspiration ourdie de longue date, avec la plus infernale habileté. CHAPITRE IV Journées des 5 et 6 octobre.—Retour à Paris. Ce furent les femmes qui donnèrent le signal. «Ceux qui dirigeaient l'insurrection, dit Mounier, avaient jugé utile de la faire commencer par les femmes; ils sentaient que leur présence inspirerait moins d'inquiétudes, qu'on se déterminerait plus difficilement à les repousser par la force des armes, qu'elles répandraient la confusion, qu'alors les hommes qui suivraient auraient moins de dangers à courir[154].» Ce calcul ne fut pas trompé. Le 5 octobre au matin, une émeute éclate à Paris. Une fille du quartier des Halles entre dans un corps de garde, saisit un tambour, et parcourt les rues en battant le rappel et «en poussant des cris contre la cherté du pain». On sonne le tocsin. Les femmes s'assemblent; un certain nombre d'hommes déguisés se réunissent à elles et la foule se porte vers l'Hôtel-de-Ville qu'elle envahit vers neuf heures. On force les magasins d'armes; on les pille; on s'empare de sept à huit mille fusils. On insulte les membres du conseil municipal et les employés. Des femmes, armées de torches, entrent dans les salles et s'apprêtent à y mettre le feu[155]. Fait significatif et sur lequel on ne saurait trop insister, la plupart de ces femmes étaient «vêtues de blanc, coiffées et poudrées[156]» comme si elles allaient à une fête; très peu semblaient appartenir à la «populace». Les unes riaient, chantaient et dansaient dans la cour, tandis que les autres sonnaient le tocsin et relâchaient les prisonniers. Presque toutes avaient les poches pleines d'or. A onze heures et demie, une bande d'hommes, armés de haches et de marteaux, force les portes de l'arcade Saint-Jean, envahit à son tour l'Hôtel-de-Ville, se répand de tous côtés, enfonce les armoires, pille et brise tout. Ici apparaît une des figures les plus sinistres de la Révolution, le futur organisateur des massacres de l'Abbaye, l'huissier Maillard. Une affaire de service l'avait appelé à l'Hôtel-de-Ville. Reconnu par quelques femmes, qui saluent en lui un des vainqueurs de la Bastille, il est proclamé ou se proclame leur chef. Il prend un tambour, se met à leur tête et se dirige vers le Louvre. Les rangs se grossissent d'une foule de femmes qu'on force à marcher avec la bande. Arrivées au jardin des Tuileries, «ces dames», comme dit Maillard, veulent traverser le jardin; le Suisse s'y oppose; elles le renversent, le frappent et passent. La place Louis XV avait été assignée comme quartier général; on va un peu plus loin, jusqu'aux Champs-Élysées; là se trouvent des détachements de femmes, munies de piques, de bâtons, de fusils. Maillard fait déposer les armes, harangue sa troupe, la range et part à sa tête. Un certain nombre d'hommes armés, qui se sont réunis à la bande, sont relégués à la queue; les femmes, suivant le mot d'ordre, marchent les premières. Partout, sur leur passage, les boutiques se ferment, les maisons se vident, les portes sont barricadées. Elles enfoncent les portes, enlèvent les enseignes, arrêtent les courriers, forcent tous ceux qu'elles rencontrent à les accompagner. A Sèvres, elles font halte; elles ont faim, et d'ailleurs elles craignent que le pont de la Seine ne soit gardé. Par une fatale négligence, le passage est libre. Après s'être donné le plaisir populaire de briser les portes et les enseignes des marchands de vin qui n'ont pu lui donner à manger, la horde, traînant avec elle deux canons, s'élance dans la direction de Versailles. Pendant ce temps-là, une nouvelle émeute éclatait à l'Hôtel-de-Ville. Les gardes françaises licenciées qui, sous le nom de compagnies soldées, formaient une partie notable de la garde nationale parisienne, trouvaient l'occasion bonne pour aller reprendre à Versailles leurs anciens postes, occupés par les gardes du corps. Réunis sur la place de Grève, ils s'agitaient et criaient. Vers midi, cinq ou six grenadiers montèrent au Comité de police, où se trouvait Lafayette. L'un d'eux, «qui joignait à la plus belle figure un choix d'expressions qui étonnait tous ceux qui l'écoutaient et un sang-froid qui les étonnait encore davantage[157]», prit la parole: «Mon général, dit-il, nous sommes députés par les six compagnies de grenadiers. Nous ne vous croyons pas un traître; nous croyons que le gouvernement vous trahit; il est temps que tout ceci finisse. Nous ne pouvons tourner nos armes contre des femmes qui demandent du pain; le Comité des subsistances vous trompe, il faut le renvoyer. Nous voulons aller à Versailles exterminer les gardes du corps et le régiment de Flandre qui ont foulé aux pieds la cocarde nationale. Si le Roi est trop faible pour porter la couronne, qu'il la dépose; nous couronnerons son fils; on lui nommera un conseil de régence, et tout ira mieux[158].» Les délégués étaient fiers de leur orateur: «Laissez parler celui-là, disaient-ils; il parle bien[159].» En vain Lafayette voulut-il les rappeler au devoir; leur décision était manifestement arrêtée d'avance; le mot d'ordre était donné: «Il est inutile de nous convaincre, s'écriaient-ils tous ensemble, car tous nos camarades pensent ainsi, et quand vous nous convaincriez, vous ne les changeriez pas[160].» Lafayette sortit sur la place; il harangua ses soldats, leur rappela leur serment, fit appel aux sentiments d'affection et de confiance qu'ils avaient pour lui, protesta de son amour pour la liberté. Paroles et prières furent inutiles. Des cris tumultueux: «A Versailles! A Versailles!—Si le général ne veut pas venir, il faut prendre un ancien grenadier pour le mettre à notre tête.—Il est étonnant que M. de Lafayette veuille commander au peuple, tandis que c'est au peuple à lui commander!»—furent la seule réponse de cette troupe chez laquelle on n'avait pas en vain ébranlé tous les liens de la discipline. Lafayette rentra; il hésitait; il attendait l'ordre de la municipalité. La municipalité, honnête comme Lafayette et faible comme lui, n'était pas livrée à de moindres angoisses. Le flot tumultueux grossissait sur la place de Grève; la troupe, travaillée par de mystérieux agents, s'impatientait; des menaces, des cris de mort étaient proférés contre Bailly et contre Lafayette. La municipalité céda, et, «vu les instances du peuple et sur la représentation de M. le commandant général qu'il était impossible de s'y refuser», donna au général l'ordre de partir pour Versailles. Le pouvoir légal était encore une fois vaincu; l'émeute triomphait. Des acclamations bruyantes saluèrent la victoire de la populace et la défaillance de l'autorité. Il était six heures du soir. Lafayette monte à cheval, la tête basse, l'âme triste, l'esprit plein de lugubres pressentiments, de remords peut-être; il détache en avant trois compagnies de grenadiers, un bataillon de fusiliers, trois pièces de canon. Sept à huit cents hommes en guenilles, armés de piques, de fusils et de bâtons, bras nus, voix avinées, têtes hideuses, brigands que le ruisseau vomit les jours d'émeute, marchent derrière l'avant-garde, mélangés dans les rangs[161]. Lafayette suit avec les compagnies, et, conduit par ses soldats plutôt qu'il ne les conduit, trophée vivant de l'émeute, pour ainsi dire, il prend la route de Versailles. Dans cette ville, une agitation sourde régnait. Les déclarations de Lecointre et de ses amis, les calomnies de Gorsas avaient produit leur effet, et la garde nationale, si sympathique aux gardes du corps le 1er et le 3 octobre, leur était devenue hostile. _On attendait les Parisiens_, a dit un témoin non suspect[162]. Dès le 4, on connaissait l'invasion projetée par les gardes françaises; on faisait des motions incendiaires dans les cafés et l'on préparait des cartouches en disant: «C'est pour assassiner demain les gardes du corps[163].» A l'Assemblée, les chefs de la gauche n'étaient pas moins instruits du plan qui devait être exécuté contre la Cour. Le lundi 5 octobre, à l'ouverture de la séance, il fut facile de voir «qu'il se préparait quelque chose d'extraordinaire, par le ton qu'affectèrent de prendre quelques membres de l'Assemblée[164]». Les tribunes paraissaient aussi plus animées et la foule qui entourait la salle était en proie à cette fièvre qui présage les orages populaires. Le président Mounier annonce qu'il a reçu la réponse du Roi sur la Déclaration des droits de l'homme et les derniers articles soumis à sa sanction. Le Roi accepte, mais avec certaines réserves, et en faisant sur ces articles des observations d'une incontestable sagesse[165]. La discussion s'entame avec une extrême violence. Robespierre et Lapoule dénoncent les réflexions si naturelles du Roi comme une censure de la Constitution; Adrien Duport y voit tout un plan de contre-révolution et il en prend occasion de tonner contre l'«orgie indécente» dont Versailles a été témoin le 1er octobre. Vainement Virieu proteste et le marquis de Monspey demande qu'on précise l'accusation. Mirabeau se lève: «Que l'Assemblée, dit-il, décide que la personne du Roi seule est inviolable, et je suis prêt, moi, à fournir les détails et à les signer.» Et précisant lui-même son odieuse et transparente insinuation: «C'est la Reine et le duc de Guiche que je dénoncerai,» dit-il à mi-voix à ceux qui l'entourent[166]. Ces accusations excitent un violent tumulte dans l'Assemblée; la gauche s'agite bruyamment; la droite proteste avec vivacité; la fermentation redouble dans les tribunes[167]. Cependant, le bruit de l'approche des Parisiens commence à se répandre. Entre onze heures et midi, Mirabeau monte au bureau. «Monsieur le Président, dit-il à Mounier, quarante mille hommes armés arrivent de Paris; pressez la délibération; levez la séance; dites que vous allez chez le Roi.»—«Je ne presse pas les délibérations,» répond Mounier; «je trouve qu'on ne les presse que trop souvent.»—«Mais, Monsieur le Président,» reprend Mirabeau, étonné de ce calme, «mais, Monsieur le Président, ces quarante mille hommes.....—Eh bien,» réplique Mounier, «tant mieux: ils n'ont qu'à nous tuer tous, mais tous, entendez-vous bien, les affaires de la République en iront mieux.—Monsieur le Président, le mot est joli,» ne peut s'empêcher de dire Mirabeau, en regagnant sa place[168]. Seule, peut-être, parmi les habitants de Versailles, la famille royale était calme, et, par un étrange aveuglement, les ministres, si souvent cependant avertis des projets des Parisiens, partageaient cette quiétude. Le Roi était parti de bonne heure pour la chasse; Madame Elisabeth était à Montreuil; Mesdames à Bellevue; la Reine à Trianon, dont elle parcourait les bosquets aimés pour la dernière fois. Elle était assise dans la grotte, essayant de s'isoler des bruits du monde, quand un courrier, envoyé par M. de Saint-Priest, vint précipitamment la chercher. En même temps, M. de Cubières, écuyer cavalcadour, était parti au galop pour prévenir le Roi. Il le rejoignit vers trois heures, dans les tirés de Meudon, et lui remit un billet du ministre. Le Roi prit le billet, le lut et ne put s'empêcher de dire tout haut: «Elles demandent du pain; hélas! si j'en avais, je n'attendrais pas qu'elles vinssent m'en demander[169].» Il fit amener son cheval, et, au moment où il mettait le pied à l'étrier, un chevalier de Saint-Louis, que personne n'avait vu, se jeta à ses genoux, en s'écriant: «Sire, on vous trompe; j'arrive à l'instant de l'École militaire; je n'y ai vu que des femmes assemblées qui disent venir à Versailles pour demander du pain; je supplie Votre Majesté de n'avoir point peur.»—«Peur! Monsieur, reprit vivement le Roi; je n'ai jamais eu peur de ma vie[170].» Puis, descendant au galop une des pentes les plus raides du bois de Meudon[171], il prit précipitamment la route de Versailles, et rentra au Château, où il retrouva la Reine. A son arrivée le Conseil s'assemble; dans ce moment de crise, les ministres sont faibles, hésitants, irrésolus. Necker, toujours préoccupé de sa popularité, déjà pourtant bien compromise, Necker est d'avis de céder. M. de Saint-Priest seul semble avoir la pleine conscience du danger et l'intelligence du remède. D'accord avec un énergique officier, M. de Narbonne-Fritzlar[172], il demande qu'on mette le pont de Sèvres en état de défense et que le Roi aille, à la tête des troupes fidèles, repousser les Parisiens au passage de la Seine. Pendant ce temps, la famille royale se retirerait à Rambouillet. Plusieurs ministres, parmi lesquels M. de la Luzerne[173] appuient ce plan; d'autres, avec Necker, s'y opposent. Le Roi fut-il convaincu par l'argumentation de ce dernier[174]? Se défia-t-il de ses troupes, et craignit-il de ne pas rencontrer parmi elles des dévouements assez solides? Fut-il déterminé par la répugnance de la Reine à se séparer de lui[175]? Toujours est-il que l'avis de M. de Saint-Priest ne prévalut pas, et que cette dernière chance de salut fut abandonnée. On se borna à d'insuffisantes mesures de défense. La municipalité de Versailles avait requis le comte d'Estaing, «commandant de la milice nationale, de prendre toutes les précautions et d'employer toutes les forces qui étaient à sa disposition, pour garantir de toute insulte le Roi, la famille royale, l'Assemblée nationale et la ville.» Les gardes du corps et les troupes de ligne furent placés sous ses ordres[176]. Vers trois heures et demie, le régiment de Flandre s'était rangé en bataille sur la place du Château; mais, malgré les instances du major, M. de Montmorain, il n'avait pu obtenir de cartouches. Les gardes du corps, au nombre de trois cent vingt, s'étaient placés devant la grille des Ministres; quelques chasseurs des Trois-Évêchés, quelques gardes de Monsieur et du comte d'Artois étaient parmi eux. Un détachement de dragons était posté sur l'avenue de Paris, en face de la porte de l'Assemblée. Le comte d'Estaing, connaissant les mauvaises dispositions de la garde nationale, que depuis deux jours on ne cessait d'exciter contre les défenseurs du Roi, n'avait pas osé lui faire prendre les armes. Mais Lecointre avait fait battre la générale et réuni un certain nombre de compagnies du quartier Notre-Dame[177], à l'ancienne caserne des gardes françaises, sur la droite des gardes du corps. Au Château, les délibérations continuaient.—Louis XVI, toujours indécis, retenu d'ailleurs par une bonté qui, on l'a dit justement, paraissait n'être qu'une des formes de la faiblesse, ne pouvait se résoudre ni à résister, ni à se retirer. M. de Luxembourg, capitaine des gardes du corps, lui ayant demandé des ordres: «Allons donc, répondit-il, contre des femmes? Vous vous moquez.» Un peu plus tard, M. de Saint-Priest proposa la retraite dans une province fidèle, la Normandie, par exemple. Le Roi y répugnait extrêmement; il lui semblait que fuir devant l'émeute, c'était abdiquer. «Un roi fugitif, un roi fugitif!» répétait-il tristement. Cependant le danger pressait; «Sire, s'écria vivement M. de Saint-Priest, si vous êtes conduit demain à Paris, votre couronne est perdue[178].» On se décida à partir pour Rambouillet. La municipalité de Versailles n'y mettait point obstacle; elle avait même donné l'ordre à M. d'Estaing de protéger ce départ. Déjà les voitures étaient commandées et la Reine avait fait dire à ses dames: «Faites vos paquets; nous partons dans une demi-heure, hâtez-vous!» Mais il semblait qu'on ne prît une résolution que pour l'abandonner. Peu après, la Reine faisait dire à ces mêmes dames: «Tout est changé; nous restons[179].» Les voitures furent décommandées. Lorsque, dans la soirée, on voulut, par un nouveau revirement, reprendre le projet de retraite à Rambouillet, il était trop tard; quand les voitures se présentèrent pour sortir, à la grille de l'orangerie, le peuple, la garde nationale, les gens même de l'écurie du Roi[180], les forcèrent à rentrer; et peut-être alors la Reine n'eût-elle pu partir sans péril pour sa vie[181]. Pendant toutes ces indécisions[182], en effet, la populace parisienne était arrivée; tous les acteurs étaient en scène: le grand drame allait commencer. La bande dirigée par Maillard avait quitté Sèvres, après s'y être reposée un instant. Un individu sans col et qui, prétendait-il, avait failli être pendu le matin pour avoir voulu sonner le tocsin, avait pris le commandement des hommes, comme Maillard avait celui des femmes. En route, on continuait à arrêter les courriers du Roi[183], ne laissant passer que ceux du duc d'Orléans; on mettait la main sur les voyageurs; on maltraitait ceux qui portaient des cocardes noires; on les forçait à marcher au milieu de la troupe, avec un écriteau insultant dans le dos. Le temps était affreux; l'eau tombait à torrents; la route détrempée était devenue un cloaque. Le cortège de ces femmes en désordre, mouillées par la pluie, souillées par la boue, hurlant, vociférant, était hideux. «Voyez comme nous sommes arrangées, disaient-elles; nous sommes comme des diables; mais la b... nous le paiera cher[184].» D'autres chantaient et dansaient, en proférant d'infâmes outrages et en jurant qu'elles mettraient la Reine en pièces et rapporteraient les lambeaux de son corps pour s'en faire des cocardes[185]. «Nous emmènerons la Reine morte ou vive, criaient-elles; les hommes se chargeront du Roi[186].» En arrivant à la barrière, Maillard harangua sa troupe; il fit mettre les femmes sur trois rangs, envoya les canons à la queue, commanda d'entonner _Vive Henri IV!_ et ce fut au bruit des vieux couplets royalistes, hurlés comme une ironie sanglante par ces mégères qui allaient forcer dans son palais le petit-fils du bon Roi, que l'effroyable bande fit son entrée à Versailles. Sa première visite fut pour la salle des Menus, où siégeait l'Assemblée. Maillard y pénétra, suivi d'une partie de sa troupe, il prit la parole: «Paris manque de pain, dit-il; le peuple est au désespoir; il a le bras levé; qu'on y prenne garde; il se portera à des excès. C'est à l'Assemblée à prévenir l'effusion du sang. Les aristocrates veulent nous faire périr de faim.»—«Oui, nous voulons du pain, reprirent les femmes;» et quelques-unes, tirant de leur poche un morceau de pain moisi: «Nous le ferons avaler à l'Autrichienne, crièrent-elles, et nous lui couperons le cou[187].» Le tumulte croissait; la délibération devenait impossible. Sur la proposition d'un membre, il fut décidé qu'une députation irait immédiatement chez le Roi pour l'entretenir de la situation de la ville de Paris et solliciter en même temps l'acceptation pure et simple des décrets constitutionnels. Le président Mounier se rendit au Palais, escorté d'un certain nombre de femmes, auxquelles il avait dû promettre de les introduire près du Roi. Parmi ces femmes, deux semblaient n'être point de la classe du peuple, quoiqu'elles en affectassent le langage[188]. Louis XVI promit de faire rassembler tout le pain qu'on pourrait trouver, et après quelques hésitations il signa les décrets. Les femmes sortirent; elles paraissaient contentes[189] et ne le dissimulaient pas, en sortant, au point même d'exciter la colère de leurs compagnes, restées au dehors[190]. Quelques-unes, croyant tout fini puisqu'on allait avoir du pain, retournèrent à Paris dans les voitures de la Cour. Les autres, celles qui étaient dans le secret, refusèrent de partir; elles avaient, disaient-elles, ordre exprès de rester[191]. Au Château cependant, la plus grande confusion continuait à régner. Les ministres étaient réunis, mais ne savaient à quoi se résoudre; les avis les plus contradictoires étaient ouverts, adoptés, puis abandonnés. Louis XVI, avec sa résignation passive, demeurait silencieux et irrésolu. Seule, au milieu de ces inerties et de ces défaillances, la Reine conservait sa fière attitude. «Sa contenance était noble et digne; son visage calme, et quoiqu'elle ne pût se faire d'illusion sur ce qu'elle avait à redouter, personne n'y put apercevoir la plus légère trace d'inquiétude. Elle rassurait chacun, pensait à tout, et s'occupait beaucoup plus de ce qui lui était cher que de sa propre personne[192].» «Tout, excepté elle, m'a paru consterné,» dépose le président de Frondeville, qui a passé la nuit du 5 au Palais[193]. «Je sais qu'on vient de Paris demander ma tête, dit l'héroïque femme; mais j'ai appris de ma mère à ne pas craindre la mort; je l'attendrai avec fermeté[194].» On l'engage à se mettre en sûreté avec ses enfants. «Non, répond-elle, ma place est ici, près du Roi; j'y resterai.» La seule précaution qu'elle consente à prendre n'est pas pour elle, mais pour ses enfants. Elle était convenue qu'au moindre bruit, on les amènerait chez elle; instruite du péril qui la menace, elle donne contre-ordre, et à onze heures du soir fait dire à Mme de Tourzel de conduire, en cas d'alerte, son fils et sa fille non pas chez elle, mais chez le Roi, où ils seront mieux à l'abri. Et comme on la presse de s'y rendre elle-même et d'y passer la nuit, plutôt que dans son propre appartement, que l'on sait désigné aux coups des assassins: «Non,» répondit-elle, «j'aime mieux m'exposer à quelque danger, s'il y en a à courir, et l'éloigner de la personne du Roi et de ses enfants[195].» Les nouvelles alarmantes se succèdent; sur la Place d'Armes, on assaille les gardes du corps; les autres soldats lâchent pied. Seule, la Reine «montre un front calme et serein, rassure ceux qui tremblent pour elle, et fait admirer son courage à ceux-là même qui condamnaient ses principes». C'est le _Moniteur_ qui parle ainsi, et le _Moniteur_ n'est pas suspect. Un certain nombre de gentilshommes se réunissent pour défendre la famille royale; ils demandent des ordres; ils demandent des chevaux. Le président de Frondeville se fait leur organe près de la Reine et sollicite la permission de prendre des chevaux dans les écuries du Château. «Soit, répond-elle simplement; je consens à vous donner cet ordre, mais à une condition: si les jours du Roi sont en danger, vous en ferez le plus prompt usage; si moi seule je suis en péril, vous n'en userez pas[196].» «Au milieu de tant de perfidies de tout genre, a écrit Rivarol, sur ce théâtre où la peur et la lâcheté conduisaient la faiblesse à sa perte, il s'est pourtant rencontré un grand caractère, et c'est une femme, c'est la Reine qui l'a montré. Elle a figuré, par sa contenance noble et ferme, parmi tant d'hommes éperdus et consternés, et par une présence d'esprit extraordinaire, quand tout n'était qu'erreur et vertige autour d'elle. On la vit, pendant cette soirée du 5 octobre, recevoir un monde considérable dans son grand cabinet, parler avec force et dignité à tout ce qui l'approchait et communiquer son assurance à ceux qui ne pouvaient lui cacher leurs alarmes..... On la verra bientôt, quand les périls l'exigeront, déployer la magnanimité de sa mère; et si, avec le même courage, elle n'a pas eu de succès pareil, c'est que Marie-Thérèse avait affaire à la noblesse de Hongrie et que la Reine n'a parlé qu'à la bourgeoisie de Paris[197].» Pendant ce temps-là, Mounier revenait à l'Assemblée; il fit évacuer le bureau, envahi par la populace[198], et convoquer les députés pour une séance de nuit. Dans ces heures de crises, il jugeait utile de tenir l'Assemblée réunie jusqu'au jour. Mais un peu plus tard, vers trois heures du matin, rassuré par Lafayette, qui venait de parcourir les différents postes et répondait de l'ordre public, il leva la séance. Arrivé à minuit, à la tête de son armée, Lafayette s'était rendu au Palais; il y entra seul avec les députés de la municipalité de Paris. Les appartements étaient pleins de monde. Quand le général parut: «Voilà Cromwell,» murmura une voix.—«Monsieur,» répondit Lafayette, «Cromwell ne serait pas entré seul.»—Les entraînements populaires ne lui avaient pas fait perdre le sentiment des convenances et le ton du monde dans lequel il était né. «Je viens, Sire, dit-il, vous apporter ma tête pour sauver celle de Votre Majesté. Si mon sang doit couler, que ce soit pour le service de mon Roi, plutôt qu'à l'ignoble lueur des flambeaux de la Grève.» Il ajouta qu'il se faisait fort des dispositions de son armée[199]. Naturellement disposé à la confiance, le Roi se sentit rassuré, et, suivant le mot piquant de Rivarol, «se reposa de tout sur un général qui n'était sûr de rien[200].» A deux heures du matin, la Reine, rassurée aussi, du moins en apparence, alla se coucher dans ses appartements[201]. Lafayette insista pour que la garde du Château fût remise à son armée et que les gardes françaises reprissent leurs anciens postes; Louis XVI y consentit. Dès huit heures, les gardes du corps, en butte à la rage populaire, assaillis à coups de pierre et à coups de fusil par la foule et par la milice versaillaise, avaient reçu l'ordre d'évacuer la Place d'Armes, et de se retirer à leur hôtel, d'où ils regagnèrent Trianon ou Rambouillet à travers champs[202]. Ceux qui étaient de service au Château avaient quitté la cour de Marbre et s'étaient repliés sur la terrasse, en face des appartements de la Reine. Ils ne conservaient que les postes intérieurs; les postes extérieurs étaient occupés par les gardes françaises. Lafayette, après avoir veillé à l'exécution de ses ordres, visite la Place d'Armes, va à l'Assemblée, où il communique au président «la contagion de sa sécurité[203],» traverse de nouveau les cours, s'entretient un instant avec M. de Montmorin, puis, harassé de fatigue, rassuré par les mesures qu'il a prises[204], confiant d'ailleurs dans son prestige populaire et plein d'illusions sur l'honnêteté des masses, il va lui-même se coucher à l'hôtel de Noailles. Il était alors quatre heures du matin: le réveil devait être terrible. Tout dort dans Versailles. Brisée par les émotions de cette rude journée, tranquillisée d'ailleurs par les déclarations de Lafayette, la famille royale repose pour la dernière fois dans ce palais de Louis XIV, dont la majesté n'a pas encore était violée. Les gardes nationaux, trempés par la pluie, fatigués par une marche à laquelle ils ne sont point accoutumés, ont cherché des logements partout, dans les églises, dans la caserne des gardes du corps, dans les maisons particulières. Les hommes à piques et les femmes, au nombre de huit ou neuf cents, sont étendus sur les bancs de l'Assemblée; d'autres, qui n'ont pas trouvé d'asile, ont allumé de grands feux sur la place et, après avoir dépecé et fait rôtir un cheval blessé, sont couchés autour de ce bivouac improvisé. Le crime seul, on l'a dit éloquemment, le crime seul ne dort pas. L'émeute n'a point accompli son œuvre; ces femmes, ces brigands déguisés, qui demandent du pain et dont les poches sont pleines d'or, n'ont pas encore gagné leur salaire. Ils se sont bien donné la veille le plaisir de jeter des pierres aux défenseurs de la royauté et de blesser grièvement un garde du corps. Mais il leur faut de plus illustres victimes, et ce n'est pas pour rien qu'ils ont juré de tordre le col de la Reine et de faire de sa peau des rubans de district[205]. A l'Assemblée, une femme, les yeux hagards, dégoûtante d'ivresse et de sueur, s'était approchée du président de Frondeville, et, lui montrant un poignard, lui avait demandé si les appartements de la Reine étaient bien gardés[206]. Au Château, un député, le marquis de Digoine, avait remarqué que la grille de la cour de l'Opéra, par laquelle venait de sortir une troupe d'hommes déguenillés, était restée ouverte; il en avait fait l'observation au portier qui avait répondu qu'il n'avait pas les clefs pour le moment, mais qu'il la fermerait; le marquis de Digoine avait repassé à minuit, puis à trois heures du matin: la porte était toujours ouverte et gardée par un soldat de la milice de Versailles[207]. Et un officier de cette garde nationale parisienne, en laquelle Lafayette avait une si aveugle confiance, s'informait avec soin «du chemin le plus court pour gagner les appartements de la Reine et des passages dérobés qui pouvaient y conduire sans être aperçu[208].» Dès que le jour commence à paraître, les bandes s'éveillent. A cinq heures et demie du matin, des groupes d'hommes et de femmes, armés de piques, de lances, de sabres, de bâtons, se forment sur la Place d'Armes et se ruent sur le Château. «Des tambours les appellent; des étendards qui portent des flammes rouges et bleues les rallient[209].» Une troupe pénètre dans la cour des Ministres, dont la grille est restée ouverte, et, trouvant la porte Royale fermée, revient en arrière, franchit la grille des Princes, gardée par deux miliciens qui la laissent passer, et se répand dans le parc, sous les fenêtres de la Reine. La Reine, réveillée par le bruit, sonne sa première femme, Mme Thibaut, et lui demande ce que signifie ce tumulte. Mme Thibaut lui répond que ce sont sans doute les femmes de Paris qui n'ont pas trouvé à se coucher, et la Reine, tranquillisée, reste dans son lit[210]. La foule grossit; de nouveaux flots arrivent à chaque instant. Le major des gardes du corps, le marquis d'Aguesseau, place plusieurs gardes pour défendre le passage des Colonnades, qui, de la cour des Princes, donne accès dans la cour Royale. Mais que peuvent quelques soldats contre cette marée humaine, sans cesse montante? Le passage est forcé; la populace envahit en vociférant la cour Royale. Les bandes se forment, chacune dirigée par les chefs qui semblent le mieux connaître la disposition des lieux; l'une d'elles, conduite par deux hommes déguisés en femmes, court à la grille de la cour Royale, saisit un garde du corps, M. de Varicourt, qui vient d'y être mis en faction, l'entraîne sur la Place d'Armes et le massacre. Un misérable chiffonnier, vêtu d'une petite redingote à large plaque blanche[211], porteur d'une longue barbe noire, les bras nus, la tête coiffée d'un chapeau rond à forme très élevée[212], fend la foule, pose le pied sur la poitrine de M. de Varicourt et lui tranche la tête d'un coup de hache[213]. Presque au même moment, un autre garde, en faction à la voûte de la chapelle, M. Deshuttes, est arraché de son poste par les bandits, entraîné par la grille de la cour Royale, sans que les sentinelles qui sont à cette grille fassent rien pour le protéger[214], et renversé à coups de crosses de fusil. L'homme à la longue barbe lui tranche la tête, et, les mains toutes sanglantes encore, va demander une prise de tabac au Suisse de la vicomtesse de Talaru, en lui disant d'un air triomphant: «En voilà un; ce ne sera pas le dernier[215].» Cela ne suffit pas en effet; il faut d'autres victimes; il en faut de plus hautes: «Ce n'est pas assez, hurlent les mégères, il nous faut le cœur de la Reine[216].»—«Prenons ses entrailles pour nous en faire des cocardes[217].» Les chefs sonnent de nouveau le hideux hallali, et la meute, haletante, enivrée par l'odeur du meurtre, se précipite à l'assaut d'une plus chaude curée. «Tue! tue! point de quartier. Allons chez la Reine[218],» s'écrie-t on de toutes parts. Une grande femme rousse agite une faucille[219]; une autre aiguise son couteau[220]. Un milicien de Versailles, petit et noir, qui semble bien connaître les entrées du Château, se met à la tête d'une bande, qui s'élance par l'escalier de marbre, en vociférant des cris de mort et en demandant partout la chambre de la Reine. «C'est par là, c'est par là,» crient quelques voix[221]. Deux gardes du corps, MM. de Miomandre et du Repaire, cherchent en vain à s'opposer à ce flot furieux; ils sont jetés par terre, frappés à coups de piques et de crosses de fusil; mais avant de tomber baigné dans son sang, M. de Miomandre a eu le temps d'ouvrir la porte de l'antichambre de la Reine et de crier à l'une des femmes qui sont là: «Madame, sauvez la Reine! On en veut à sa vie[222]!» L'héroïque résistance des deux vaillants jeunes gens avait sauvé Marie-Antoinette. Une de ses femmes, Mme Auguié, qui a entendu le cri de détresse du garde du corps, ferme au verrou la porte de la seconde antichambre, puis elle court chez la Reine, où elle trouve Mme Thibaut. Toutes deux lui passent à la hâte un jupon et des bas, lui jettent un mantelet sur les épaules et l'entraînent par le petit couloir qui mène à l'Œil-de-Bœuf. La porte est fermée. On attend cinq minutes[223]; cinq minutes, un siècle! Que d'angoisses dans ce court moment de retard! On frappe; on se fait reconnaître; les valets du Roi ouvrent[224]; la Reine est sauvée! Quand les brigands, après avoir pillé la grande salle, parviennent à forcer les portes et à pénétrer dans les appartements royaux, ils n'y trouvent plus leur victime et ne peuvent assouvir leur rage que sur un lit vide[225]! «Le coup est manqué,» murmure, assure-t-on, un des assassins désappointés[226]. Par une coïncidence touchante, au moment même où la Reine se réfugiait chez le Roi, le Roi se précipitait chez la Reine, par un escalier dérobé; ne l'y rencontrant pas et apprenant qu'elle était allée chez lui, il se hâtait de retourner dans ses appartements, où il la trouvait enfin, «le visage triste, mais calme[227].» Presque au même instant, Mme de Tourzel amenait le Dauphin, et la Reine courait chercher sa fille qu'elle ne tardait pas à ramener «avec une fierté et une dignité remarquables dans un pareil moment[228]». Mais le danger n'est pas conjuré. La foule remplit le palais, s'acharnant après les gardes du corps. Heureusement, Lafayette, enfin averti, accourt à cheval, à la tête de ses grenadiers, prend les malheureux gardes sous sa protection et chasse les bandits qui sont là, occupés à briser et à piller. Il monte au Château; les appartements y sont pleins de monde. Le Roi, avec ses ministres, se tient dans la salle du Conseil; le duc d'Orléans y est aussi, causant d'un air dégagé avec Duport[229]. Monsieur, Madame, Mesdames Tantes, le reste de la famille est dans la chambre du Roi. La Reine, debout dans l'encoignure d'une fenêtre, regarde tristement au dehors; près d'elle, sa fille et Madame Elisabeth; devant elle, debout près d'une chaise, le Dauphin joue avec les cheveux de sa sœur: «Maman, j'ai faim,» murmure le pauvre enfant. Et la Reine ne peut que répondre, les larmes aux yeux: «Prends patience, mon enfant; il faut que ce tumulte soit fini.» La foule gronde sous les fenêtres du Château, dans la cour de Marbre. «Le Roi! le Roi! Nous voulons le voir.» Le Roi se présente; des cris de _Vive le Roi! Vive la Nation!_ éclatent de toutes parts. Mais bientôt à ces cris s'en mêle un autre: «La Reine! la Reine au balcon!» On va prévenir la Reine; elle hésite un instant. «Madame, lui dit Lafayette, cette démarche est nécessaire pour calmer le peuple.»—«En ce cas, répond-elle, dussé-je aller au supplice, je n'hésite plus; j'y vais.» Elle prend ses enfants par la main et paraît à la fenêtre[230]. «Point d'enfants!» vocifère la foule. La «Reine sur le balcon, seule, seule[231]!» La Reine, d'un geste sublime, repousse ses enfants dans l'appartement, et seule, debout, les mains croisées sur sa poitrine[232], mille fois plus belle dans sa modeste redingote de toile rayée jaune[233] que dans la parure de ses jours de fête, elle reste sur le balcon, pâle, les cheveux en désordre[234], la lèvre plissée, la tête haute, imposant un respect involontaire et défiant les balles. «Deux minutes, deux siècles, elle est là[235].» Un homme, vêtu d'un costume de garde national, la met en joue, mais n'ose tirer[236]. Un mouvement se fait dans la foule: l'héroïsme de la Reine et son imprudence sublime ont opéré une réaction en sa faveur, et ces mégères qui, il n'y a qu'un instant, voulaient la mettre en pièces, maintenant l'acclament: «_Vive la Reine!_» crient-elles[237]. «Son génie, a dit Rivarol, redressa tout à coup l'instinct de la multitude égarée, et, s'il fallut à ses ennemis des crimes, des conjurations et de longues pratiques pour la faire assassiner, il ne lui fallut, à elle, qu'un mouvement pour se faire admirer[238].» Chose étrange! Cette femme si impopulaire, si indignement calomniée près du peuple, dès qu'elle se retrouve face à face avec ce peuple, reconquiert son prestige et, par le seul ascendant de sa dignité et de la vérité, force la foule hostile à s'incliner devant elle et à l'applaudir[239]. Quelques femmes cependant, plus opiniâtres dans leur haine, continuent à vomir contre elle d'infâmes injures[240]. Mais les enthousiasmes populaires passent vite et il y a des rancunes plus mortelles et plus sûres que les balles. Marie-Antoinette le sait, et, en quittant le balcon, elle s'approche de Mme Necker et lui dit avec des sanglots étouffés: «Ils vont nous forcer, le Roi et moi, à nous rendre à Paris, avec les têtes de nos gardes du corps, portées au bout de leurs piques!» Et, serrant son fils dans ses bras, elle le couvre de baisers et de larmes[241]. La Reine, hélas! ne se trompait pas; de nouveaux cris se font entendre: «_Le Roi à Paris! le Roi à Paris!_» Le Roi hésite, consulte ses ministres, consulte Lafayette. Mais comment pourrait-il résister? On se décide à partir et, pour calmer la foule, on jette des petits papiers qui annoncent la détermination, ou plutôt la capitulation du monarque. Des acclamations effroyables éclatent dans la cour; en signe de joie, les soldats déchargent leurs fusils; les canonniers, leurs pièces[242]. Lafayette interroge la Reine: «Madame, dit-il, quelle est votre intention personnelle?»—«Je sais le sort qui m'attend,» répond-elle; «mais mon devoir est de mourir aux pieds du Roi et dans les bras de mes enfants[243].» A une heure vingt-cinq minutes, la famille royale descendit l'escalier de marbre, encore teint du sang de ses défenseurs[244], et monta en voiture. Le peuple s'impatientait; à peine vainqueur, il avait toutes les exigences de la souveraineté. Le nouveau maître de la France avait failli attendre; il ne voulait pas même laisser à la vieille royauté le temps de faire ses préparatifs de départ. Mais le passage était tellement obstrué que les voitures ne purent se mettre en marche qu'à deux heures. L'avenue de Paris était couverte de gens armés. En tête du cortège s'avançaient deux hommes portant au bout de leurs piques les têtes livides des malheureux Deshuttes et de Varicourt; plusieurs gardes du Roi à pied, escortés de brigands à moitié ivres, marchaient derrière ces hideux trophées. «Après eux venaient deux autres gardes, sans armes, dont l'un était en bottes, ayant une blessure au col, sa chemise et ses vêtements ensanglantés, et tenu au collet par deux hommes en uniforme national, une épée nue à la main; plus loin, il y avait un groupe de gardes du Roi à cheval, les uns en croupe, les autres sur la selle, ayant presque tous un compagnon en uniforme national, qui était monté avec eux; une partie de la populace et des femmes qui les environnaient obligeaient les gardes du Roi à crier: _Vive la Nation!_ et à boire et à manger avec eux[245].» Après cette étrange avant-garde, une voiture dans laquelle étaient le Roi, la Reine, le Dauphin, Madame Royale, Monsieur, Mme Élisabeth, Mme de Tourzel; autour de la voiture, et comme une lamentable escorte, des gardes désarmés, des hommes déguenillés, des femmes avinées qui criaient: «_Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron_[245].» Comme pour donner raison à ces clameurs ignobles, une soixantaine de chariots de farine, couronnés de feuillage et conduits par des forts de la halle; quelques rares cris de _Vive le Roi!_ des cris plus fréquents de: _A bas la calotte! Tous les évêques à la lanterne[246a]!_ Des femmes, des mégères, Théroigne de Méricourt en tête, grimpées sur des canons, entassées dans des fiacres, parées des dépouilles des gardes du corps, vomissant, de temps à autre, des injures contre la Reine; puis, à la fin, pour clore le défilé et consacrer en quelque sorte la défaite de la royauté et sa propre servitude, une députation de l'Assemblée, traînée dans les voitures de la Cour, à la portière desquelles des hommes à piques venaient demander s'il n'y avait pas de calotins pour les mettre à la lanterne[247]!...... Quel cortège pour le petit-fils de Louis XIV! La journée était splendide; par une de ces ironies poignantes dont on devait avoir un nouvel exemple au 10 août, la nature semblait en fête; tout était calme et gai. Dans les bois de Viroflay, les oiseaux chantaient; les feuilles avaient ces belles teintes jaunes et rouges dont elles se revêtent avant de tomber; «l'air agitait à peine les arbres[248];» le ciel était sans nuage; un soleil radieux, un de ces beaux soleils d'automne, éclairait le convoi funèbre de la monarchie. Pendant ce triste voyage, la Reine gardait son calme et sa majesté. Elle parlait aux hommes et aux femmes qui entouraient sa voiture: «Le Roi,» leur disait-elle, «n'a jamais voulu que le bonheur de son peuple. On vous a dit bien du mal de nous; ce sont ceux qui veulent vous nuire. Nous aimons tous les Français.» Et quelques-uns de ces gens, touchés de tant de bonté, émerveillés de tant de sang-froid, murmuraient naïvement: «Nous ne vous connaissions pas; on nous a bien trompés[249]!» «J'ai vu ce sinistre cortège, a écrit un témoin oculaire[250]. Au milieu de ce tumulte, de ces clameurs, de ces fréquentes décharges de mousqueterie, que la main d'un monstre ou d'un maladroit pouvait rendre si funestes[251], je vis la Reine conservant la tranquillité d'âme la plus courageuse, un air de noblesse et de dignité inexprimable, et mes yeux se remplirent d'admiration et de douleur.» Burke avait raison de dire, dans un élan de sombre enthousiasme: «On aime à savoir que des êtres destinés à souffrir sachent bien souffrir[252].» Et plus tard, lorsque, dans l'enquête ouverte sur ce grand attentat des journées d'octobre, une députation du Châtelet vint lui demander son témoignage, elle ne sut faire que cette réponse sublime: «J'ai tout vu, tout su, tout oublié!» Le trajet fut long; il dura sept heures. A la grille de Chaillot, Bailly vint haranguer le Roi et lui présenter les clefs de la ville. Avec un manque de tact incroyable chez un homme d'esprit: «Quel beau jour, Sire, dit-il, que celui où les Parisiens vont posséder dans leur ville Votre Majesté et sa famille!» A ce mot, le Roi ne put s'empêcher de soupirer et de dire: «Je souhaite, Monsieur, que mon séjour y ramène la paix, la concorde et la soumission aux lois[253].» Il fallut aller à l'Hôtel-de-Ville; le Roi y répugnait et Marie-Antoinette eût voulu se soustraire à cette dernière humiliation; mais Moreau de Saint-Merry, interrogé si elle pouvait s'en dispenser, avait répondu: «J'espère que la Reine pourra revenir de l'Hôtel-de-Ville; mais je doute qu'elle puisse aller seule aux Tuileries.» Des cris: _A la lanterne!_ se faisaient entendre; c'est ainsi que Paris accueillait la famille royale que, suivant le mot de Bailly, il avait reconquise. Le Roi entra d'un pas tranquille dans l'assemblée des représentants de la Commune; la Reine suivait, tenant ses enfants par la main. «C'est toujours avec plaisir et confiance, dit le prince en entrant, que je me vois au milieu des habitants de ma bonne ville de Paris.» Bailly répéta ces paroles au peuple et oublia le mot confiance. La Reine le lui rappela: «Messieurs, reprit galamment Bailly, vous êtes plus heureux que si je ne m'étais pas trompé[254].» Le Roi et la Reine étaient montés sur un trône qu'on avait préparé à la hâte. Mais le peuple voulait voir sa conquête; il fallut paraître aux fenêtres de l'Hôtel-de-Ville, entre deux flambeaux, afin que les traits mieux éclairés fussent plus reconnaissables. Sous ce dais d'un nouveau genre, le Roi et la Reine saluèrent la foule. La foule, toujours mobile, applaudit avec un enthousiasme irrésistible ceux qu'elle insultait tout à l'heure: On criait sur la place de Grève: «_Vive le Roi! Vive la Reine! Vive le Dauphin et nous tous[255]!_» On se félicitait, on s'embrassait en pleurant d'attendrissement et de joie; il semblait que la présence du Roi à Paris eût tout sauvé. A dix heures, le lugubre cortège rentra aux Tuileries. La famille royale était prisonnière; l'Assemblée l'était aussi. Joseph II avait raison d'écrire à son frère Léopold: «La racaille de Paris va être le despote de toute la France[256].» CHAPITRE V Délabrement des Tuileries.—Premières entrevues de la Reine avec la foule; bonne entente réciproque.—Visites officielles des corps constitués.—Murmures dans le peuple.—Bienfaits de la Reine.—Elle fait retirer des reconnaissances du Mont-de-Piété.—Elle envoie ses bijoux chez son joaillier Daguerre.—Licenciement des gardes du corps.—Pillage de la maison du boulanger François.—Représentation de _Charles IX_.—Comment la famille royale est installée et vit aux Tuileries.—Education des enfants.—Lettre de la Reine à Mme de Tourzel.—Bienfaisance de Marie-Antoinette.—Traits charmants du Dauphin.—Première communion de Madame Royale. Le Palais des Tuileries était resté inhabité, presque sans interruption, depuis 1665; rien n'y était préparé pour recevoir les hôtes augustes que la volonté du nouveau souverain venait d'y interner. Des ouvriers, prévenus à la dernière heure, s'efforçaient d'y faire à la hâte quelques réparations indispensables; des échelles étaient dressées de tous côtés[257]. Les meubles étaient vieux, les tentures fanées; les appartements, mal éclairés[258]; les lits manquaient, les portes ne fermaient pas; le Dauphin dut passer la nuit dans une chambre ouverte de tous côtés et dans laquelle sa gouvernante se barricada comme elle put. «Tout est bien laid ici, Maman,» dit l'enfant en y entrant. «Mon fils,» répondit la Reine, «Louis XIV y logeait et s'y trouvait bien; nous ne devons pas être plus difficiles que lui[259].» Et se tournant vers les dames qui l'accompagnaient, comme pour s'excuser du dénuement du Château: «Vous savez, leur dit-elle avec un triste sourire, que je ne m'attendais pas à venir ici[260].» Le lendemain, dès l'aube, une foule immense se pressait dans le jardin; cédant à l'orgueil du triomphe ou plutôt entraînée par un vieil instinct royaliste, elle avait soif de voir cette famille royale dont la présence lui avait si longtemps manqué[261]. La cour, la terrasse, le parc étaient pleins de monde; on demandait à grands cris le Roi et la Reine; Mme Elisabeth alla les chercher. «La Reine, dit la princesse, parla avec toute la grâce que vous lui connaissez. Cette matinée fut très bien pour elle. Toute la journée, il fallut se montrer aux fenêtres; la cour et le jardin ne désemplissaient pas[262].» Quand Marie-Antoinette parut, les bravos furent si vifs et si universels que, d'après le récit d'un ardent patriote, la souveraine fut quelque temps sans pouvoir parler[263]. Un certain nombre de femmes, venues avec des préjugés révolutionnaires, repartaient royalistes. L'une d'elles accusait la Reine d'avoir voulu faire bombarder Paris au 14 juillet et s'enfuir aux frontières le 6 octobre. La Reine répliqua avec douceur que ses ennemis seuls avaient fait courir ce bruit et que ces calomnies avaient fait son désespoir et celui du meilleur des rois. La foule applaudit. Une autre lui adressa la parole en allemand. Marie-Antoinette répondit qu'elle ne l'entendait plus, qu'elle était devenue française, qu'elle avait oublié même sa langue maternelle. Des bravos accueillirent cette déclaration. Quelques femmes prièrent la Reine de faire un pacte avec elles: «Eh! comment, reprit-elle, puis-je faire un pacte avec vous, puisque vous ne croyez pas à celui que mes devoirs me dictent et que je dois respecter pour mon propre bonheur?» Ces femmes lui demandèrent alors des fleurs de son chapeau; elle les détacha elle-même et toute la troupe se les partagea en criant: «_Vive Marie-Antoinette! Vive notre bonne Reine[264]!_» L'enthousiasme fut général, et, à cette heure, il était sincère. «La même foule et le même empressement pour voir la famille royale, raconte Mme de Tourzel, continuèrent plusieurs jours avec la même indiscrétion et poussée à un tel point que plusieurs poissardes sautèrent dans l'appartement de Mme Élisabeth, qui supplia le Roi de la loger ailleurs[265].» Mais la Reine était touchée de ces empressements, et, dans sa bonté confiante, elle excusait presque les emportements de ce peuple, qui, vu de près, et laissé à lui-même, lui apparaissait si bon. Un jour, elle était allée visiter, au faubourg Saint-Antoine, la manufacture de glaces; elle fut accueillie avec enthousiasme: «Que le peuple est bon, dit-elle, quand on vient le chercher!»—«Il n'est pas si bon, riposta un courtisan, quand il va chercher.»—«Oh! reprit-elle avec vivacité, c'est qu'alors il est mené par des impulsions étrangères[266].» Au lendemain des jours d'octobre, elle croyait encore à la bonté des Parisiens! Et cependant, au milieu de ces angoisses, ses cheveux, d'un blond si beau, étaient subitement devenus blancs et, au bas de son portrait, peint pour Mme de Lamballe, elle avait de sa main écrit ces mots: «Ses malheurs l'ont blanchie[267].» Aux visites populaires succédèrent les présentations officielles. La Royauté vaincue conservait encore son prestige et le Roi occupait toujours son trône. Le Parlement fut reçu le premier, le vendredi 9 octobre; sa députation comptait trente membres, ayant à leur tête le Premier Président. «Sa Majesté reçut la députation dans son cabinet, ayant à sa droite le Dauphin debout, un ployant derrière lui, et Madame, fille du Roi, à sa gauche, également debout, avec un ployant derrière elle. La Reine après sa réponse voulut bien ajouter que, M. le Dauphin et Madame ne pouvant recevoir dans leur appartement, elle les avait fait venir près de sa personne pour que le Parlement ne fût pas privé du bonheur de les voir[268].» Le même jour, à midi, ce fut la Commune de Paris, conduite par Bailly et Lafayette. «Madame,» dit Bailly à la Reine, «je viens apporter à Votre Majesté les hommages de la ville de Paris, avec les témoignages de respect et d'amour de ses habitants. La ville s'applaudit de vous voir dans le palais de nos rois; elle désire que le Roi et Votre Majesté lui fassent la grâce d'y établir leur résidence habituelle; et lorsque le Roi accorde cette grâce, lorsqu'il daigne lui en donner l'assurance, elle est heureuse de penser que Votre Majesté a contribué à la lui faire obtenir.» La Reine fit à Bailly cette courte réponse: «Je reçois avec plaisir les hommages de la ville de Paris, je suivrai le Roi avec satisfaction partout où il ira et surtout ici[269].» Le mois tout entier fut consacré à des cérémonies de ce genre. La Cour des aides fut reçue le 11; l'Université, le même jour; le Grand Conseil, le mercredi 14; la Chambre des comptes, la Cour des monnaies et le Conseil privé, le lundi 19. Ce jour-là, la Reine était incommodée et ne put voir personne. Enfin, le 20, à six heures et demie du soir, l'Assemblée nationale, de retour à Paris, malgré les sombres pressentiments de ses membres les plus sages, de Malouet en particulier[270], et qui avait tenu la veille sa première séance à l'Archevêché, se présenta inopinément au Château[271]. Pour la première fois, les députés n'avaient pas revêtu le costume de cérémonie; les évêques même et les curés étaient en habit court. Le Roi les reçut, assis et couvert, ayant seulement ôté son chapeau à l'entrée et pendant les révérences du Président. De l'appartement du Roi, l'Assemblée passa dans celui de la Reine, en traversant le cabinet et la galerie. La Reine, dit le compte rendu officiel, n'étant pas prévenue de l'hommage que l'Assemblée désirait rendre à Sa Majesté, était en ce moment à sa toilette et se disposait à jouer en public. Le désir de ne point faire attendre l'Assemblée engagea la Reine à donner audience sur-le-champ, sans être en grand habit. Sa Majesté s'étant donc placée dans son fauteuil dans le grand cabinet, les officiers des cérémonies introduisirent l'Assemblée, comme ils avaient fait chez le Roi. L'appartement fut rempli par les députés, dont un assez grand nombre ne purent entrer. La Reine se leva pour recevoir l'Assemblée, et M. Fréteau, dans son discours, ayant témoigné le désir qu'avaient les représentants de la nation de voir M. le Dauphin entre les bras de Sa Majesté[272], la Reine ordonna au maître des cérémonies de l'aller chercher, et lorsqu'il fut arrivé, la Reine le prit dans ses bras et le fit voir à tous les députés qui firent retentir la salle d'applaudissements et des acclamations réitérées de _Vive le Roi! Vive la Reine! Vive le Dauphin!_ Sa Majesté voulut bien faire ainsi le tour du cabinet, pour que tous les députés pussent voir M. le Dauphin, et dire en même temps des paroles pleines de bonté à ceux d'entre eux qui se trouvaient près d'elle. La Reine rentra ensuite dans son appartement, et l'Assemblée se retira, reconduite jusqu'au bas de l'escalier par les officiers des cérémonies. Le maître des cérémonies[273] croit devoir faire observer à cette occasion que la Reine, «recevant toujours les Corps de la même manière que le Roi, aurait pu ne pas se lever, à l'entrée de l'Assemblée nationale, et que ce fut une marque particulière d'égards que Sa Majesté voulut lui donner en se levant et en disant un mot sur ce qu'Elle n'était point en grand habit[274].» Le maître des cérémonies a soin d'ajouter un peu plus loin que toutes ces «irrégularités», comme il les appelle, ne tiennent qu'aux circonstances et qu'elles ne sauraient tirer à conséquence pour l'avenir. Etrange préoccupation dans un pareil moment! La monarchie croulait, et M. de Nantouillet ne songeait qu'au renversement de l'étiquette! A l'Assemblée succédèrent la municipalité de Paris, le Châtelet, le bureau des Trésoriers de France, l'Amirauté et, en dernier lieu, le 16 novembre, l'Académie française, qui harangua la Reine et le Dauphin par la bouche de son directeur, le chevalier de Boufflers[275]. Dans toutes ces réceptions, officielles ou populaires, Marie-Antoinette se retrouvait avec sa dignité simple et ce charme séducteur auquel ses malheurs récents ajoutaient je ne sais quel attrait de plus. «Il est impossible, écrivait Mme Élisabeth le 13 octobre, de mettre plus de grâce et de courage que la Reine n'en a mis depuis huit jours[276].» Mais ce courage était parfois nerveux et cette grâce se voilait de mélancolie. Tout était tranquille en apparence. Le pain était revenu en abondance; une certaine détente semblait se produire. Intimidé par Lafayette, le duc d'Orléans était parti pour l'Angleterre, sous prétexte d'une mission qui déguisait mal un exil. Mais que de passions grondaient sous cette surface calme! Le petit Dauphin, avec la naïve insouciance de son âge, pouvait écrire à Mme de Polignac: «Oh! Madame, comme vous auriez été malheureuse les 5 et 6 octobre; mais à présent nous sommes tous heureux[277].» La Reine ne pouvait avoir ni cette gaîté enfantine, ni cette confiance; ses ennemis n'avaient pas désarmé. Le surlendemain même de son retour à Paris, une émeute avait éclaté au Mont-de-Piété. On avait fait courir le bruit,—dans quelle intention, on le devine facilement,—on avait même annoncé dans les papiers publics que la Reine retirerait tous les objets mis en gage, et la foule s'était pressée, impatiente et houleuse, aux portes des bureaux[278]. Déçue dans son attente, elle s'était portée aux Tuileries, appelant à grand cris la Reine et réclamant l'exécution de sa prétendue promesse. Quelques personnes engageaient Marie-Antoinette à céder à ce désir tumultueux. Mesdames de Tourzel et de Chimay l'en dissuadèrent, et, haranguant elles-mêmes la foule, l'engageant à s'en reposer sur la bonté bien connue de la souveraine, finirent par la déterminer à se retirer tranquillement. Quelques jours après, la Reine, toujours prête à signaler son passage par des bienfaits, obtenait du Roi l'autorisation de retirer du Mont-de-Piété tous les objets qui n'excéderaient pas la valeur d'un louis. Il y en eut pour trois cent mille livres. Un peu plus tard, elle faisait rendre la liberté à quatre cents pères de famille, détenus pour dettes de mois de nourrice. Mais cette bonté même n'arrêtait pas la calomnie. Souvent une populace soudoyée venait, jusque sous les fenêtres des Tuileries, vomir des injures contre les malheureux souverains. On allait plus loin; sous le titre de délégués et sous prétexte de haranguer le Roi, des individus, sortis de la lie du peuple, pénétraient au Château et, en présence de la famille royale, répétaient des outrages inspirés et payés. L'abus était tel que les ministres proposèrent d'interdire à de telles gens l'entrée du Palais. «Non,» répondirent le Roi et la Reine, «ils peuvent venir, nous aurons le courage de les entendre.» Un jour, s'adressant à Louis XVI, un homme de cette trempe osa inculper, dans les termes les plus offensants, Marie-Antoinette qui assistait à l'entrevue: «Vous vous trompez,» reprit le Roi avec douceur, «la Reine et moi n'avons pas les intentions qu'on nous prête; nous agissons de concert pour votre bien commun.» Lorsque la députation fut partie, ajoute Hue, à qui nous empruntons ce fait, la Reine fondit en larmes[279]. Dans de telles conditions, la confiance ne pouvait renaître; et dès le 10 octobre 1789, la Reine faisait transporter chez son bijoutier Daguerre[280] la majeure partie de cette précieuse collection d'objets d'art qu'elle avait réunie: laques du Japon, porcelaines de Chine, bois pétrifiés, coffrets de jaspe, coupes d'agate orientale, vases de sardoine brune, boîtes à parfiler, aiguières en cristal de roche: objets charmants, dont le style exquis séduit aujourd'hui encore les visiteurs du Musée du Louvre et dont les commissaires de la Convention eux-mêmes seront forcés de reconnaître le «beau et riche travail». C'était, disait le procès-verbal d'inventaire, «afin de les faire monter, d'autres réparer, et y faire des étuis et coffres à l'effet de pouvoir les transporter avec sûreté.» Ils devaient en effet être transportés à Saint-Cloud; mais les événements ne le permirent pas et c'est chez le successeur de Daguerre, Lignereux, que les commissaires délégués, les citoyens Nitot et Besson, vinrent en faire le récolement le 30 brumaire an II, et en demander le transfert au Musée national[281]. A peine arrivée à Paris[282], la famille royale avait dû se résigner à un douloureux sacrifice. Par mesure de prudence, Louis XVI avait cru devoir éloigner de lui les gardes du corps. Il avait fallu se séparer de ces fidèles serviteurs, dont le dévouement avait seul arraché la Reine au poignard des assassins et qui eussent été une défense sûre contre des attentats futurs, si leur dévouement même ne les eût signalés à la fureur populaire: «Cela a été une peine bien vive pour le Roi et la Reine,» mandait Mme Elisabeth à la duchesse de Polignac[283]. Vers la même époque, la Reine désolée écrivait à son amie: «J'ai pleuré d'attendrissement en lisant vos lettres. Vous parlez de mon courage; il en faut bien moins pour soutenir les moments affreux où je me suis trouvée que pour supporter notre position, ses peines à soi, celles de ses amis et celles de tous ceux qui nous entourent. C'est un poids trop fort à supporter, et si mon cœur ne tenait par des liens aussi forts à mon mari, mes enfants, mes amis, je désirerais de succomber; mais vous autres me soutenez; je dois encore ce sentiment à votre amitié. Mais, ajoutait-elle tristement, je vous porte à tous malheur et vos peines sont pour moi et par moi[284].» La garde nationale occupa les postes des Tuileries, comme, le 6 octobre, elle avait occupé ceux de Versailles. Issue d'une émeute, née d'une pensée de défiance contre la monarchie, formée de soldats révoltés et de bourgeois naïfs et frondeurs, tiraillée entre les différents partis, condamnée par son origine même à partager les préjugés de la foule et les illusions de ses chefs, elle ne pouvait, quoiqu'elle eût été très attentive au début[285], apporter à la défense de la royauté ni le dévouement de serviteurs séculaires, ni la solidité d'une troupe disciplinée[286]. L'agitation, un moment apaisée, avait vite recommencé. «Nous vivons au milieu des alertes, écrivait un attaché de la légation de Saxe; le peuple ne paraît pas encore satisfait, malgré tout ce qu'il a obtenu[287].» Les portes cochères des maisons un peu marquantes avaient été crayonnées de noir ou de rouge; on redoutait une émeute[288]. Le 21 octobre, en effet[289], le surlendemain du jour où l'Assemblée tenait à Paris sa première séance, la populace assaillait la boutique d'un boulanger nommé François[290], la pillait, pendait le boulanger en place de Grève, lui coupait la tête et la promenait dans les rues au bout d'une pique[291]. La Reine ne put que donner sur sa cassette une petite pension à la veuve de cet infortuné; elle lui envoya six mille francs[292]. Le 4 novembre, le _Charles IX_, de Chénier, d'abord interdit, puis autorisé par la faiblesse de Bailly, mettait en feu les spectateurs du Théâtre-Français. Malgré les protestations de l'auteur et sa dédicace enthousiaste au «prince magnanime» que trois ans plus tard il devait condamner à mort, l'attaque contre le trône était transparente, et le moment singulièrement choisi, comme le faisait justement remarquer Beaumarchais[293], lorsque le Roi et sa famille venaient résider à Paris. Chaque soir, les allusions étaient avidement saisies par un public ardent, qui sortait de là, dit Ferrières, «ivre de vengeance et tourmenté d'une soif de sang[294].» Les chefs de la révolution ne s'y trompaient pas. «Cette pièce, écrivait Camille Desmoulins, avance plus nos affaires que les journées d'octobre.» Et, le jour même de la première représentation, Danton disait au parterre: «Si _Figaro_ a tué la noblesse, _Charles IX_ tuera la royauté[295].» On conçoit que la Reine mît peu d'empressement à se montrer dans les théâtres où se jouaient de telles pièces, et que, sollicitée par une députation de la municipalité et de la garde nationale de paraître aux spectacles, elle ait répondu «qu'elle aurait infiniment de plaisir à se rendre à l'invitation de la ville de Paris, mais qu'il fallait du temps pour perdre le souvenir des affligeantes journées qu'elle venait de passer et dont son cœur avait trop souffert[296]». Tout émue des épreuves qui l'avaient assaillie, des dangers qu'elle avait courus, et qui l'attendaient encore, quoiqu'elle affectât de n'avoir point d'inquiétude[297], alarmée des symptômes qu'elle découvrait chaque jour, et mal rassurée contre les menaces de la rue par la protection de Lafayette, et de sa milice parisienne, elle se renfermait au Château et s'absorbait dans la vie de famille. Après quelques tâtonnements, inévitables dans le désarroi du premier moment, on avait fini par s'organiser aux Tuileries. Les meubles avaient été apportés de Versailles, et le Roi et la Reine avaient marqué eux-mêmes leurs logements et ceux de leur suite. Le Roi, pour avoir son fils près de lui, avait partagé ses appartements avec le Dauphin; il occupait au rez-de-chaussée, sur le jardin, trois pièces auxquelles on arrivait par la galerie de gauche. A l'entresol était son cabinet de géographie; au premier, sa chambre à coucher; près de cette pièce, la chambre du Conseil. Les appartements de la Reine étaient près de ceux du Roi. En bas, son cabinet de toilette, sa chambre à coucher et le salon de compagnie. A l'entresol, la bibliothèque, qu'elle avait fait venir de Versailles[298]: bibliothèque grave et pieuse, «qui, dit un auteur, annonce un esprit sérieux et cultivé[299]»; et où, parmi des ouvrages d'apologétique chrétienne, de philosophie et d'histoire, on ne trouve que de rares romans, les poètes classiques et quelques pièces de théâtre[300]. Au-dessus de cette bibliothèque, l'appartement de Madame, séparé de la chambre du Roi par celle du Dauphin. Mme de Tourzel habitait le rez-de-chaussée[301]. Un petit escalier noir reliait l'appartement du jeune prince à celui de sa gouvernante. Seules, la Reine et Mme de Tourzel en avaient la clef[302]. D'autres escaliers permettaient au Roi et à la Reine de communiquer librement entre eux et avec leurs enfants. Mme de Lamballe occupait le rez-de-chaussée du pavillon de Flore; Mme Elisabeth, le premier étage; Mesdames de Mackau, de Grammont, d'Ossun, l'étage supérieur; Mesdames, le pavillon de Marsan. Monsieur et Madame habitaient le Luxembourg[303]. Au bout de quelques jours, la Cour avait repris ses habitudes. Les principales charges, les premiers gentilshommes de la chambre, les ducs de Villequier et de Duras, le grand prévôt, marquis de Tourzel, le grand maréchal-des-logis, marquis de Brézé, étaient revenus à leur poste[304]. Il y avait jeu les dimanche et jeudi, et parfois grand couvert le dimanche[305]. La princesse de Lamballe essaya, pour distraire sa royale amie, d'organiser chez elle quelques soirées. Mais Marie-Antoinette n'avait plus le cœur à la joie. Il y avait, par un reste d'étiquette, quelques actes de représentation; mais, la plupart du temps, la Reine restait chez elle avec son mari et ses enfants. Elle déjeunait seule tous les jours, voyait ensuite son fils et sa fille; pendant ce temps, le Roi venait lui rendre visite. Puis elle allait à la messe; durant quelque temps, et jusqu'à ce qu'on ait eu le temps d'élever une sorte de galerie en planches, elle traversait, pour se rendre à la chapelle, la grande terrasse du Château en plein air, au milieu des regards curieux ou hostiles[306]; après la messe, elle revenait s'enfermer dans ses cabinets. Elle dînait à une heure, avec le Roi, Madame Royale et Mme Elisabeth. Après le dîner, elle faisait, dans la galerie de Diane[307], une partie de billard avec Louis XVI, qui, ayant renoncé à sortir depuis le départ des gardes du corps[308], avait besoin d'un peu d'exercice; elle travaillait à la tapisserie et rentrait de nouveau chez elle jusqu'à huit heures, heure à laquelle Monsieur et Madame arrivaient pour souper. A onze heures, on se séparait[309]. Dans ses appartements, la vie de Marie-Antoinette se partageait entre le travail manuel et l'éducation de ses enfants. Son esprit, soucieux des affaires publiques, avait besoin d'une distraction qui occupât les doigts sans absorber l'attention. Le travail manuel lui rendait ce service; elle l'avait toujours aimé; elle s'y attacha plus encore. On la vit entreprendre de grands ouvrages de tapisserie, besogne facile, qui laissait à la pensée sa liberté, et Mme Campan assure qu'une marchande de Paris, Mme Dubuquois, conserva longtemps dans son magasin un tapis fait par la Reine et Mme Elisabeth pour le grand appartement du rez-de-chaussée des Tuileries[310]. Mais le meilleur et le plus cher de son temps était réservé à ses enfants. Dès le 12 août, elle avait écrit à la duchesse de Polignac: «Mes enfants font mon unique ressource; je les ai le plus possible avec moi[311].» Aux Tuileries, c'était plus encore. La matinée était consacrée à l'éducation de Madame Royale, qui prenait toutes ses leçons sous les yeux de sa mère. Quand le temps était beau, la Reine faisait avec ses enfants une promenade dans le jardin des Tuileries[312], qui n'était ouvert au public qu'à midi[313]. C'était une consolation pour elle et une vraie joie pour le Dauphin, qui aimait passionnément le grand air et l'exercice. Il eût bien voulu circuler dans Paris; mais, au début, on ne l'osait pas, et à la fin de novembre ou au commencement de décembre, le jeune prince écrivait à son ancienne gouvernante: «Nous ne sommes pas encore sortis des Tuileries; nous allons souvent nous promener avec maman dans le jardin[314].» Le dimanche, le curé de Saint-Eustache venait faire le catéchisme à Madame Royale, qui se préparait à sa première communion; le Dauphin assistait à ces instructions[315]. C'était un charmant enfant que ce Dauphin, avec ses grands yeux bleus, ses longs cheveux bouclés, ses joues fraîches et roses, sa franche et communicative gaîté et cet entrain un peu étourdi que le malheur allait si tôt changer en une gravité précoce. Nul ne le connaissait mieux que sa mère; nul n'avait étudié avec une attention plus minutieuse et une plus sévère clairvoyance les défauts comme les qualités de son caractère. Quelques jours après le 14 juillet, appelant la marquise de Tourzel à la place de gouvernante des Enfants de France, que laissait vacante l'émigration de la duchesse de Polignac, et, comme elle le disait elle-même, remettant à la vertu ce qu'elle avait confié à l'amitié[316], Marie-Antoinette écrivait la lettre suivante: «24 juillet 1789. «Mon fils a quatre ans, quatre mois moins deux jours. Je ne parle ni de sa taille, ni de son extérieur; il n'y a qu'à le voir. Sa santé a toujours été bonne; mais, même au berceau, on s'est aperçu que ses nerfs étaient très délicats et que le moindre bruit extraordinaire faisait effet sur lui. Il a été tardif pour ses premières dents; mais elles sont venues sans maladies ni accidents. Ce n'est qu'aux dernières, et je crois que c'était à la sixième, qu'à Fontainebleau il a eu une convulsion. Depuis, il en a eu deux, une dans l'hiver de 1787-1788, et l'autre à son inoculation; mais cette dernière a été très petite. La délicatesse de ses nerfs fait qu'un bruit auquel il n'est pas accoutumé lui fait toujours peur; il a peur, par exemple, des chiens, parce qu'il en a entendu aboyer près de lui. Je ne l'ai jamais forcé à en voir, parce que je crois qu'à mesure que sa raison viendra, ses craintes passeront. Il est, comme tous les enfants forts et bien portants, très léger et violent dans ses colères; mais il est bon enfant, tendre et caressant même, quand son étourderie ne l'emporte pas. Il a un amour-propre démesuré, qui, en le conduisant bien, peut tourner un jour à son avantage. Jusqu'à ce qu'il soit bien à son aise avec quelqu'un, il sait prendre sur lui et même dévorer ses impatiences et colères pour paraître doux et aimable. Il est d'une grande fidélité quand il a promis une chose; mais il est très indiscret; il répète aisément ce qu'il a entendu dire et souvent, sans vouloir mentir, il ajoute ce que son imagination lui a fait voir. C'est son plus grand défaut et sur lequel il faut bien le corriger. Du reste, je le répète, il est bon enfant, et avec de la sensibilité et en même temps de la fermeté, sans être trop sévère, on fera toujours de lui ce qu'on voudra. Mais la sévérité le révolterait, parce qu'il a beaucoup de caractère pour son âge, et, pour en donner un exemple, dès sa plus petite enfance, le mot pardon l'a toujours choqué. Il fera et dira tout ce qu'on voudra, quand il a tort; mais le mot pardon, il ne le prononcera qu'avec des larmes et des peines infinies. «On a toujours accoutumé mes enfants à avoir grande confiance en moi, et, quand ils ont eu des torts, à me les dire eux-mêmes. Cela fait qu'en les grondant j'ai l'air plus peinée et affligée de ce qu'ils ont fait que fâchée. Je les ai accoutumés tous à ce que oui ou non, prononcé par moi, est irrévocable; mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge, pour qu'ils ne puissent pas croire que c'est humeur de ma part. «Mon fils ne sait pas lire et apprend fort mal, mais il est trop étourdi pour s'appliquer. Il n'a aucune idée de hauteur dans la tête, et je désire fort que cela continue. Nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu'ils sont. Il aime sa sœur beaucoup et a bon cœur. Toutes les fois qu'une chose lui fait plaisir, soit d'aller quelque part ou qu'on lui donne quelque chose, son premier mouvement est toujours de demander pour sa sœur de même. Il est né gai. Il a besoin, pour sa santé, d'être beaucoup à l'air, et je crois qu'il vaut mieux, pour sa santé, le laisser jouer et travailler à la terre sur les terrasses que de le mener plus loin. L'exercice que les petits enfants prennent en courant, en jouant à l'air, est plus sain que d'être forcés de marcher, ce qui souvent leur fatigue les reins. «Je vais maintenant parler de ce qui l'entoure. Trois sous-gouvernantes: Mmes de Soucy, belle-mère et belle-fille, et Mme de Villefort. «Mme de Soucy la mère, fort bonne femme, très instruite, exacte, mais mauvais ton. La belle-fille, même ton. Point d'espoir. Il y a déjà quelques années qu'elle n'est plus avec ma fille; mais avec le petit garçon, il n'y a pas d'inconvénient. Du reste, elle est très fidèle et même un peu sévère avec l'enfant. «Mme de Villefort est tout le contraire, car elle le gâte; elle a au moins aussi mauvais ton, et plus même, mais à l'extérieur. Toutes sont bien ensemble. «Les deux premières femmes, toutes deux fort attachées à l'enfant. Mais Mme Lemoine, une caillette et bavarde, insoutenable, contant tout ce qu'elle sait dans la chambre, devant l'enfant ou non, cela est égal. Mme Neuville a un extérieur agréable, de l'esprit, de l'honnêteté; mais on la dit dominée par sa mère, qui est très intrigante. «Brunier, le médecin, a ma grande confiance, toutes les fois que les enfants sont malades; mais hors de là, il faut le tenir à sa place; il est familier, humoriste et clabaudeur. «L'abbé d'Avaux peut être fort bon pour apprendre les lettres à mon fils; mais du reste il n'a ni le ton, ni même ce qu'il faudrait pour être auprès de mes enfants, c'est ce qui m'a décidée dans ce moment à lui retirer ma fille; il faut bien prendre garde qu'il ne s'établisse hors les heures de leçons chez mon fils. C'est une des choses qui a donné le plus de peine à Mme de Polignac et encore n'en venait-elle toujours à bout; c'était la société des sous-gouvernantes. Depuis dix jours, j'ai appris des propos d'ingratitude de cet abbé, qui m'ont fort déplu. «Mon fils a huit femmes de chambre. Elles le servent avec zèle; mais je ne puis pas compter beaucoup sur elles. Dans ces derniers temps, il s'est tenu beaucoup de mauvais propos dans la chambre; mais je ne saurais dire exactement par qui; il y a cependant une Mme Belliard qui ne se cache pas sur ses sentiments; sans soupçonner personne, on peut s'en méfier. Tout son service en hommes est fidèle, attaché et tranquille. «Ma fille a à elle deux premières femmes et sept femmes de chambre. Mme Brunier, femme du médecin, est à elle depuis sa naissance, et la sert avec zèle; mais, sans avoir rien de personnel à lui reprocher, je ne la chargerais jamais que de son service. Elle tient du caractère de son mari. De plus, elle est avare et avide des petits gains qu'il y a à faire dans la chambre. «Sa fille, Mme Fréminville, est une personne d'un vrai mérite. Quoique âgée seulement de vingt-sept ans, elle a toutes les qualités d'un âge mûr. Elle est à ma fille depuis sa naissance et ne l'a jamais perdue de vue. Je l'ai mariée, et le temps qu'elle ne passe pas avec ma fille, elle l'occupe en entier à l'éducation de ses trois petites filles. Elle a un caractère doux et liant, est fort instruite, et c'est elle que je désire charger de continuer les leçons à la place de l'abbé d'Avaux. Elle en est fort en état, et puisque j'ai le bonheur d'en être sûre, je trouve que c'est préférable à tout. Au reste, ma fille l'aime beaucoup et y a confiance. «Les sept autres femmes sont de bons sujets et cette chambre est bien plus tranquille que l'autre. Il y a deux très jeunes personnes, mais elles sont surveillées par leurs mères, l'une à ma fille, l'autre par Mme Lemoine. «Les hommes sont à elle depuis sa naissance. Ce sont des êtres absolument insignifiants; mais comme ils n'ont rien à faire que le service, et qu'ils ne restent point dans sa chambre par delà, cela m'est insignifiant[317].» Laissons de côté les appréciations sur les personnes, que les événements ont pu et dû modifier par la suite[318]. Qui n'admirerait, au milieu de tant de préoccupations de toute sorte, la surveillance de cette mère, sa perspicacité et cet incessant souci de la santé et de l'éducation morale de ses enfants? Un mois après, elle écrivait encore à Mme de Tourzel, à propos d'un petit accès de colère du Dauphin: «Mon cher cœur, notre tendresse doit être sévère pour cet enfant; il ne faut pas oublier que ce n'est pas pour nous que nous devons l'élever, mais pour le pays. Les premières impressions sont si fortes dans l'enfance qu'en vérité je suis effrayée, quand je pense que nous élevons un Roi[319].» Le Dauphin s'élevait ainsi, s'instruisant aux leçons de l'abbé d'Avaux, et plus encore à celles de sa mère; il développait, sous cette chère influence, son esprit et son cœur. Sa mère, il l'adorait, heureux de son sourire, souffrant de ses peines, s'ingéniant sans cesse à lui faire plaisir. Il avait,—la lettre que nous venons de citer le constate,—une assez vive répugnance pour l'étude; il en triompha par amour filial. Un jour, Marie-Antoinette lui reprochait de ne pas savoir lire à quatre ans et demi.—«Eh bien! répondit-il, je le saurai pour vos étrennes.» «A la fin de novembre,» raconte Mme de Tourzel, il dit à son précepteur: «Il faut pourtant que je sache combien j'ai de temps jusqu'au jour de l'an, puisque j'ai promis à maman de savoir lire pour ce jour-là.» En apprenant qu'il n'y avait plus qu'un mois, il regarda l'abbé d'Avaux et lui dit avec un sang-froid inconcevable: «Donnez-moi, je vous prie, mon bon abbé, deux leçons par jour, et je m'appliquerai tout de bon.» Il tint parole, et, au jour fixé, entra triomphant chez la Reine, tenant un livre à la main; il se jeta à son cou: «Voilà vos étrennes,» lui dit cet aimable enfant; «j'ai tenu ma promesse; je sais lire à présent[320].» Une autre fois, entendant une femme dire d'une de ses amies: «Elle est heureuse comme une reine.»—«Heureuse comme une Reine! s'écria-t-il; ce n'est pas de maman que vous voulez parler, alors; car elle pleure toujours[321].» Les promenades officielles dans le jardin des Tuileries, sous l'escorte dès gardes nationaux, étaient une contrainte. Mme de Tourzel obtint qu'on arrangeât pour le Dauphin un petit jardin particulier, à l'extrémité de la terrasse du bord de l'eau[322]. Le jeune prince s'y ébattait en toute liberté; il y élevait des lapins; il y soignait des oiseaux dans une volière, des canards sur un bassin[323]. Il y cultivait des fleurs, et les plus belles toujours étaient réservées à sa mère. D'autres fois, on le conduisait chez une parente de Mme de Tourzel, la marquise de Lède, qui possédait au faubourg Saint-Germain un bel hôtel et un vaste parc. Plus souvent, il accompagnait sa mère dans ses excursions charitables. Quand la Reine allait visiter les hôpitaux ou les pauvres, elle emmenait son fils avec elle et elle avait soin qu'il distribuât lui-même les aumônes qu'elle laissait dans les mansardes. Tantôt c'était aux Gobelins, et le président du district étant venu la complimenter, elle lui disait: «Monsieur, vous avez bien des malheureux; mais les moments où nous les soulageons nous sont bien précieux[324].» Tantôt à la Société de charité maternelle, qu'elle avait fondée et dont elle autorisait les dames à distribuer par mois seize cents livres pour la nourriture et le chauffage, douze cents pour des couvertures et des vêtements, sans compter les layettes qu'on donnait à trois cents mères[325]. Tantôt à l'école de dessin, aussi fondée par elle et à laquelle elle envoyait un jour douze cents livres, économisées à grand'peine, pour qu'on ne diminuât pas les récompenses et que ses chers élèves n'eussent pas à souffrir de sa propre détresse[326]. D'autres fois encore elle plaçait chez Mlle O. Kennedy quatre filles d'invalides, orphelines, qui sont, disait-elle, «l'objet de ma fondation[327].» Mais ce qui semblait attirer plus particulièrement le Dauphin, comme par un mystérieux pressentiment, c'était l'hospice des Enfants-trouvés. Marie-Antoinette l'y conduisait souvent, et la reconnaissance de ces pauvres enfants se traduisait encore par des acclamations, qui lui étaient bien douces; on y criait «beaucoup _Vive le Roi!_ et pas mal _Vive la Reine[328]!_» Le jeune prince ne s'éloignait de là qu'à regret et toutes ses petites économies étaient consacrées au soulagement de ces infortunés. Un jour, son père le surprit au moment où il rangeait des écus dans un joli coffret que lui avait donné sa tante, Mme Élisabeth: «Comment! Charles, lui dit-il d'un air mécontent, vous thésaurisez comme les avares?» L'enfant rougit, mais se remettant bientôt: «Oui, mon père, répondit-il; je suis avare, mais c'est pour les enfants trouvés. Ah! si vous les voyiez! Ils font vraiment pitié!» Le Roi se pencha vers son fils et, l'embrassant avec une de ces effusions de joie qu'il ne connaissait plus guère: «En ce cas, mon enfant, dit-il, je t'aiderai à remplir ton coffret.» Plus âgée et plus grave que son frère, Madame Royale sentait plus profondément les angoisses de la situation. Pour mettre un peu de gaîté dans sa vie, la Reine avait organisé chez Mme de Tourzel de petites réunions intimes, où elle allait de temps à autre prendre le thé et où sa fille rencontrait des jeunes amies de son âge. On jouait à de petits jeux; on courait à travers les appartements grands ouverts; on faisait même des parties de cache-cache, que plus tard le Dauphin se rappelait avec plaisir. Mais des soins plus sérieux occupaient le temps et s'imposaient au cœur de la jeune princesse. Depuis son arrivée à Paris, le curé de Saint-Eustache venait chaque dimanche lui faire le catéchisme et la préparer à sa première communion. Ce fut le mercredi saint 31 mars[329] qu'elle accomplit ce grand acte, à Saint-Germain-l'Auxerrois. Dès le matin, la Reine conduisit sa fille dans la chambre du Roi: «Ma fille, lui dit-elle, jetez-vous aux pieds de votre père et demandez-lui sa bénédiction.» Madame se prosterna; le Roi la bénit, la releva et lui adressa ces graves et religieuses paroles: «C'est du fond de mon cœur, ma fille, que je vous bénis, en demandant au Ciel qu'il vous fasse la grâce de bien apprécier la grande action que vous allez faire. Votre cœur est innocent aux yeux de Dieu; vos vœux doivent lui être agréables; offrez-les-lui pour votre mère et pour moi. Demandez-lui qu'il m'accorde la grâce nécessaire pour faire le bonheur de ceux sur lesquels il m'a donné l'empire et que je dois considérer comme mes enfants. Demandez-lui qu'il daigne conserver dans le royaume la pureté de la religion et souvenez-vous bien, ma fille, que cette sainte religion est la source du bonheur et notre soutien dans les adversités de la vie. Ne vous en croyez pas à l'abri. Vous êtes bien jeune; mais vous avez déjà vu votre père affligé plus d'une fois. «Vous ne savez pas, ma fille, à quoi la Providence vous destine; si vous resterez dans ce royaume ou si vous irez en habiter un autre. Dans quelque lieu où la main de Dieu vous pose, souvenez-vous que vous devez édifier par vos exemples, faire le bien toutes les fois que vous en trouverez l'occasion; mais surtout, mon enfant, soulagez les malheureux de tout votre pouvoir. Dieu ne nous a fait naître dans le rang où nous sommes que pour travailler à leur bonheur et les consoler dans leurs peines[330].» Tels étaient les enseignements que ce «tyran» donnait à ses enfants, et les actes suivaient de près les paroles. Il était d'usage que les filles de France reçussent une parure en diamants le jour de leur première communion. Madame Royale n'eut pas ce brillant cadeau[331]. La cérémonie s'accomplit avec la plus grande simplicité. La jeune princesse arriva à l'église, conduite par sa gouvernante et sa sous-gouvernante, Mme de Mackau; elle avait le maintien le plus recueilli et s'approcha de la Sainte Table avec les marques de la dévotion la plus sincère[332]. La Reine, qui avait fait ses Pâques la surveille[333], n'assista à la cérémonie qu'incognito et sans suite, «aussi simplement habillée qu'une bourgeoise,» raconte un témoin oculaire, mais avec une piété extrême et les yeux toujours fixés sur la jeune communiante[334]. Le jour même, d'abondantes aumônes furent distribuées aux pauvres des diverses paroisses de Paris; c'était le prix du collier de diamants que n'avait point reçu Madame Royale. CHAPITRE VI Travaux de l'Assemblée.—Les biens du clergé sont déclarés à la disposition de la nation.—Suppression des Parlements.—Affaire de Favras.—Sa mort héroïque.—Plan d'évasion d'Augeard.—Démarche du Roi à l'Assemblée le 4 février 1790.—On présente à la Reine la veuve et le fils de Favras.—Mort de Joseph II.—Publication du Livre rouge.—Alarmes aux Tuileries.—Séjour à Saint-Cloud.—Fédération du 14 juillet 1790.—La famille royale est acclamée par les fédérés.—Enquête et rapport de Chabroud sur les journées d'octobre. Réinstallée à Paris, dans la salle du Manège, l'Assemblée avait repris le cours de ses discussions. Pour combler le déficit, elle s'en prenait au clergé. Le 2 novembre, sur la proposition du trop fameux évêque d'Autun, elle déclarait que les biens ecclésiastiques étaient à la disposition de la nation. C'était le premier pas dans la voie de la spoliation. Le lendemain, à l'instigation d'Adrien Duport, l'Assemblée ajournait la rentrée des Parlements, en attendant qu'elle les supprimât. Ainsi ce grand corps, qui avait été le promoteur de la réunion des États généraux, en était la première victime. Bientôt après, les provinces étaient remplacées par les départements. Les ministres acceptaient ces changements avec une facilité qui rendait leur résignation suspecte. «Le pouvoir exécutif fait le mort,» s'écriait Charles de Lameth[335], et les chefs de la Révolution se défiaient de cette attitude passive, lorsque l'affaire du marquis de Favras vint fournir un corps à leurs soupçons. Quel était au fond le plan du marquis de Favras? Voulait-il réellement enlever le Roi et la famille royale, pour les conduire hors de Paris? Préparait-il un plan de contre-révolution? Sous quelle inspiration? Avec quels appuis? Un grand mystère plane sur tous ces points et y planera probablement toujours, grâce à l'héroïque silence de l'accusé. On a dit que la Reine redoutait ses aveux[336]. Monsieur, dont les journaux avaient mêlé le nom à cette affaire, effrayé de ces dénonciations, crut devoir se justifier publiquement et se rendit, le lendemain de l'arrestation de Favras, à l'Hôtel-de-Ville, pour protester de son attachement à la Révolution: démarche étrange et qui fut jugée peu digne d'un fils de France[337]. Le procès fut rapidement instruit: arrêté le 25 décembre 1789, et traduit devant le Châtelet, Favras répondit avec un calme admirable aux allégations de ses dénonciateurs, deux individus de petit état et de petite réputation. Mais l'arrêt était rendu d'avance: «Il fallait, écrivait Mme Elisabeth à Mme de Bombelles, il fallait effrayer ceux qui voudraient servir le Roi; il fallait du sang au peuple et le sang d'un homme à qui l'on pût donner le nom d'aristocrate[338].» Le jour où le jugement fut rendu, la foule hurlait autour du prétoire, réclamant à grands cris la mort de l'accusé et essayant d'intimider les juges. Les juges cédèrent: la démonstration populaire suppléa aux preuves qui n'existaient pas, et Favras fut condamné à être pendu. «Votre vie, lui dit Quatremère, rapporteur du procès, est un sacrifice que vous devez à la tranquillité publique.» Favras ne répondit que par un regard de mépris à cette étrange théorie par laquelle, depuis l'origine du christianisme, les peureux ont toujours tenté de légitimer leurs défaillances. Le lendemain, vendredi 19 février, à la lueur des torches, au milieu des cris d'une joie féroce et d'un appareil inusité, Favras fut pendu en place de Grève. Jusqu'à la fin, il montra le même sang-froid, n'opposant aux injures qu'un dédaigneux sourire et refusant noblement de révéler son secret: «Citoyens,» dit-il, «je meurs innocent; priez Dieu pour moi. Je meurs avec le calme que donne la tranquillité de la conscience et je recommande ma mémoire à l'estime de tous les citoyens vertueux, ainsi que ma femme et mes enfants, à qui j'étais si nécessaire. Je demande la grâce des faux témoins, s'ils étaient reconnus comme tels, et que personne n'appréhende les suites d'un complot imaginaire[339].» Et se tournant vers le bourreau: «Allons, mon ami, dit-il, fais ton devoir.» Incapable de comprendre cet héroïsme, la foule insulta le mourant par des rires, des danses et des applaudissements ironiques; quelques misérables eurent même le courage de crier: _Bis!_ et l'on ne sauva le cadavre des derniers outrages que par une inhumation précipitée[340]. Le Roi et la Reine furent profondément affectés de cette condamnation et de cette mort. «Je fus témoin de leur douleur, raconte Mme de Tourzel, et je ne puis encore penser à l'état où je vis la Reine, quand elle apprit que M. de Favras n'existait plus[341].» Un projet plus sérieux, ou du moins mieux connu que celui de Favras,—car il a été raconté en détail par son auteur lui-même,—avait été conçu par un secrétaire des commandements de la Reine, Augeard. Frappé des dangers qui menaçaient la famille royale et surtout Marie-Antoinette, Augeard avait proposé à cette princesse de l'emmener avec ses enfants, un soir, dans une voiture de poste à deux chevaux: elle eût pris le costume d'une gouvernante et le Dauphin eût été habillé en fille. Le lendemain matin, on devait descendre à Saint-Thierry, maison de campagne de l'archevêque de Reims, et, repartant après un repas sommaire, en ayant soin d'éviter les villes, on serait arrivé au château de Buzancy, appartenant à Augeard, d'où un relai, préparé à l'avance, eût conduit les fugitifs à la frontière. Le plus grand secret eût couvert ce plan, même à l'égard du Roi. La Reine accepta d'abord; mais quand il fallut prendre une décision définitive, elle ne put s'y résoudre, et aux instances pressantes d'Augeard ne répondit que par ces mots: «Toute réflexion faite, je ne partirai pas; mon devoir est de mourir aux pieds du Roi[342].» Quelques précautions qu'eût prises Augeard, son projet transpira; il fut arrêté et emprisonné; mais, plus heureux que Favras, il fut relâché après quatre mois et demi[343] de détention. Ces diverses affaires, celle de Favras surtout, avaient donné lieu à tant d'imputations contre la Cour, que les ministres, Necker en particulier, conseillèrent à Louis XVI de faire une démarche publique pour affirmer son attachement au nouveau régime. Docile aux inspirations de ses ministres, le Roi y consentit. Le jeudi 4 février, il prévint par un billet le président qu'il se rendrait à l'Assemblée vers midi et voulait y être reçu sans cérémonie. La séance fut aussitôt suspendue; une housse de velours rouge, fleurdelysée d'or, fut jetée sur le fauteuil du président, et en attendant l'auguste visiteur, «tout le monde,» raconte un témoin oculaire dans le style sentimental alors à la mode, «se félicitait avec son voisin de la jouissance délicieuse et anticipée de voir son père et son ami. C'est ainsi que, dans l'effusion des âmes, on appelait le bon Louis XVI[344].» A une heure, le Roi parut, vêtu simplement et sans appareil, et prononça un discours, rédigé en partie par Necker. Il protesta de son adhésion à la Constitution, vanta les réformes opérées par l'Assemblée, et désavoua toute entreprise qui tendrait à en ébranler les principes. «Moi aussi,» dit-il en faisant allusion aux sacrifices que le nouveau régime imposait à tant de gens; «moi aussi j'aurais bien des pertes à compter, si, au milieu des plus grands intérêts, je m'arrêtais à des calculs personnels; mais j'ai trouvé une compensation pleine et entière dans l'accroissement du bonheur de la nation; c'est du fond de mon cœur que j'exprime ici ce sentiment. Je défendrai donc, je maintiendrai la liberté constitutionnelle, dont le vœu général, d'accord avec le mien, a consacré le principe; je ferai davantage, et, de concert avec la Reine, qui partage tous mes sentiments, je préparerai de bonne heure l'esprit et le cœur de mon fils au nouvel ordre de choses que les circonstances ont amené; je l'habituerai, dès ses premiers ans, à être heureux du bonheur des Français et a reconnaître toujours, malgré le langage des flatteurs, qu'une sage Constitution le préservera des dangers de l'inexpérience et qu'une juste liberté ajoute un nouveau prix aux sentiments d'amour et de fidélité, dont la nation française, depuis tant de siècles, donne à ses Rois des preuves si touchantes[345].» Des applaudissements enthousiastes saluèrent cette déclaration et l'Assemblée, électrisée, jura d'oublier toutes ses divisons et d'être fidèle à la Constitution, qui, à vrai dire, n'était pas encore faite. Une députation reconduisit le Roi aux Tuileries. La Reine, avec ses enfants, était descendue à la porte pour le recevoir. «Je partage tous les sentiments du Roi, dit-elle à la députation; je m'unis de cœur et d'affection à la démarche que sa tendresse pour ses peuples vient de lui dicter.» Et, montrant le Dauphin: «Voici mon fils, ajouta-t-elle. Je n'oublierai rien pour lui apprendre de bonne heure à imiter les vertus du meilleur des pères[346], et je l'entretiendrai de l'amour de la liberté publique, dont, je l'espère, il sera le plus ferme appui[347].» Le soir, Paris illumina; sur la proposition de Clermont-Tonnerre, le président de l'Assemblée, avec soixante membres, vint remercier le Roi et la Reine: «Veillez, Madame, sur ce précieux rejeton,» dit-il à Marie-Antoinette en lui montrant le Dauphin; «qu'il ait la sensibilité, l'affabilité et le courage qui vous caractérisent; vos soins assureront sa gloire, et la France, dont vous aurez procuré le bonheur, en sentira le prix, en songeant qu'elle le doit aux vertus de Votre Majesté.» La Reine répondit: «Je suis sensible, Messieurs, aux témoignages de votre affection; vous avez reçu ce matin l'expression de mes sentiments; ils n'ont jamais varié pour une nation que je me fais gloire d'avoir adoptée en m'unissant au Roi; mon titre de mère en assure pour toujours les liens[348].» Le lendemain, Bailly, avec une délégation de la Commune, vint à son tour féliciter le Roi, et, le dimanche suivant, on chanta un _Te Deum_ solennel à Notre-Dame. Mais ces accès d'enthousiasme duraient peu. La démarche de Louis XVI ne désarma pas ses ennemis; elle mécontenta un grand nombre de royalistes, et un patriote sincère, mais en même temps ami de la monarchie française dont la cause était à ses yeux inséparable de celle de la liberté, Gouverneur Morris, écrivait: «Si cette démarche du Roi produit quelque effet sur les esprits raisonnables, à coup sûr, c'est de prouver plus clairement que jamais le peu de prévoyance de ses ministres[349].» Quinze jours plus tard, une démarche irréfléchie, à laquelle il fut impossible de se soustraire, vint de nouveau compromettre la famille royale, et ranimer les défiances. Le surlendemain de la mort de Favras, un de ses amis, M. de la Villeurnoy, maître des requêtes, eut la malheureuse pensée de présenter la femme et le fils en deuil de l'héroïque supplicié au dîner public du Roi et de la Reine. La Reine, malgré sa sympathie profonde, resta froide et insensible en apparence. Mais qu'on juge de la douloureuse contrainte qu'elle dut s'imposer pour ne rien laisser voir de ses sentiments aux spectateurs; la garde nationale la surveillait, et le commandant du jour, debout derrière le fauteuil royal pendant toute la durée du repas, était Santerre! Le dîner fini, et dès qu'elle put s'échapper, elle courut chez Mme Campan et, se jetant épuisée sur un fauteuil, après s'être assurée qu'elles étaient seules. «Il faut périr, dit-elle, quand on est attaqué par des gens qui réunissent tous les talents et tous les crimes, et défendu par des gens fort estimables, mais qui n'ont aucune idée juste de notre position. Ils m'ont compromise vis-à-vis des deux partis en me présentant la veuve et le fils de Favras. Libre dans mes actions, je devais prendre l'enfant d'un homme qui vient de se sacrifier pour nous et le placer à table entre le Roi et moi; mais, environnée des bourreaux qui viennent de faire périr son père, je n'ai pas même osé jeter les yeux sur lui. Les royalistes me blâmeront de n'avoir pas paru occupée de ce pauvre enfant; les révolutionnaires seront courroucés en songeant qu'on a cru me plaire en me le présentant[350].» Pour montrer toutefois qu'elle sentait vivement le dévouement du marquis de Favras et le malheur de sa famille, la Reine envoya à l'infortunée veuve quelques rouleaux de cinquante louis et le Roi lui assura une pension de quatre mille livres qui fut payée jusqu'à la chute du trône[351]. Mais cet acte même de reconnaissance dut être enveloppé de mystère. Quelques jours après, un deuil plus intime venait atteindre Marie-Antoinette. Une lettre du 27 février, de son frère Léopold, lui annonçait la mort de l'Empereur Joseph II, décédé le 20, à Vienne. Malade depuis près de deux ans d'une hydropisie de poitrine, traînant depuis dix-huit mois, comme il l'écrivait à Léopold[352], le malheureux souverain succombait à la douleur que lui avait causée l'insurrection victorieuse des provinces Belgiques. «C'est votre pays qui m'a tué,» disait-il au prince de Ligne. Il laissait une lourde charge à son successeur, un empire divisé, une guerre avec les Turcs, et l'une des provinces les plus fidèles de l'Autriche, les Pays-Bas, soulevée par ses imprudentes réformes philosophiques. Les embarras où il se débattait ne lui eussent vraisemblablement pas permis d'intervenir activement dans les affaires de France; mais il jouissait encore d'un certain prestige; il aimait sincèrement sa sœur, malgré ses représentations parfois injustes et son ton grondeur. Une de ses dernières lettres à son frère avait été un suprême hommage à cette sœur et une protestation contre les calomnies qui la poursuivaient, protestation d'autant plus décisive qu'elle n'était point destinée à la publicité: «J'ai été affligé comme vous, écrivait-il, le 8 octobre 1789, de toutes les horreurs qu'on répand contre la Reine de France; mais que faire avec des insolents et des fous? On ne revient pas non plus de l'idée que ma sœur m'a envoyé secrètement des millions, pendant que je ne sais ni le pourquoi ni le comment j'aurais pu les demander, ni elle me les faire tenir; _je n'ai jamais vu un sou de la France_[353].» A défaut d'un appui réel, c'était du moins un conseil, et surtout un ami dévoué que perdait Marie-Antoinette. Quelques jours avant de mourir, Joseph lui avait écrit «la lettre la plus tendre et la plus touchante, lui témoignant qu'un de ses plus vifs regrets en mourant était de la laisser dans une position aussi cruelle et de ne pouvoir lui donner des marques efficaces de l'affection qu'il avait toujours conservée pour elle[354]». Quoi qu'en dise Mme Campan[355], la douleur de la Reine fut profonde; mais elle dut la concentrer en elle-même[356] et ne l'épancher que dans le cœur de quelques amies: «J'ai été bien malheureuse par la perte que je viens de faire, écrivait-elle à la duchesse de Polignac; mais au moins la force et le courage que celui que je regrette a mis dans ses derniers moments forcent tout le monde à lui rendre justice et à l'admirer, et j'ose dire, il est mort digne de moi[357].» Ce fut l'une des dernières lettres que la Reine écrivit à son amie ou du moins que son amie reçut d'elle[358]. Espionnée sans relâche, elle dut, la plupart du temps, renoncer à une correspondance qui était une consolation, mais qui pouvait devenir un danger. Le nom de Polignac était un de ces mots d'ordre que, dans les jours troublés, les meneurs de parti jettent en pâture aux passions de la rue pour les irriter et les soulever. Quelques jours plus tard, la publication du _Livre rouge_, faite par ordre de l'Assemblée, donnait un nouvel aliment aux récriminations contre la Cour et contre les favoris de la Reine, contre les Polignac en particulier, dont le nom y figurait pour des sommes considérables, expliquées d'ailleurs par les grandes dépenses qu'ils étaient obligés de faire pour soutenir l'éclat de leurs charges. Le Comité des pensions, qui avait décidé cette publication, se faisait lui-même, dans l'avertissement qui lui servait d'introduction, l'écho de ces rumeurs malveillantes et, tout en affectant de mettre le Roi hors de cause, laissait planer sur les familiers du souverain, sur «l'avidité des gens en faveur», sur les «déprédations des ministres», sur les prodigalités de la Reine et de la famille royale, représentées comme les «véritables sources de la dette immense de l'Etat[359]», des soupçons qui prenaient bientôt corps dans de violents et odieux pamphlets[360] et ne tardaient pas à se traduire par des émeutes. La Reine, tout en imposant le calme à son visage, ne pouvait l'imposer à son cœur. «On ne sait pas jusqu'où iront les factieux,» disait-elle; «le danger augmente de jour en jour[361].» Mais ce n'était pas pour elle qu'elle craignait, c'était pour son mari, et surtout pour ses enfants. Le 13 avril, la séance de l'Assemblée avait été orageuse; il y avait eu de l'agitation dans la rue, et Lafayette lui-même redoutait une attaque du Château. Pendant la nuit, des coups de fusil furent tirés sur la terrasse des Tuileries. Réveillé en sursaut par ce bruit, le Roi se leva et vola chez la Reine; il ne la rencontra pas. De plus en plus alarmé, il courut chez le Dauphin et trouva l'enfant dans les bras de sa mère, qui le serrait convulsivement sur son sein: «Madame, lui dit-il, je vous cherchais; vous m'avez inquiété.»—«J'étais à mon poste,» répondit simplement l'héroïque femme[362]. Cependant le printemps approchait. Habituée aux larges espaces et aux vastes ombrages de Versailles, la famille royale étouffait dans ce palais des Tuileries où elle était confinée depuis le 6 octobre. Elle aspirait à respirer un air plus pur, elle aspirait surtout à retrouver un peu de calme, à s'éloigner de cette foule curieuse et souvent hostile, dont les familiarités ne respectaient pas son repos, et dont les cris attaquaient son honneur. Il entrait d'ailleurs dans le plan des chefs de la Révolution, qu'au moment de la fédération qui allait avoir lieu le 14 juillet, la famille royale, que le bruit public représentait comme captive à Paris, ne parût pas jouir de moins de liberté que le reste de la France, et surtout de la première des libertés: celle d'aller et venir où elle voudrait. Versailles était trop loin; on voulait bien allonger la chaîne, on ne voulait pas la rompre. Saint-Cloud fut proposé et adopté. Le 29 mai, la Reine écrivait à son frère Léopold: «Notre santé à tous se soutient bonne, c'est un miracle, au milieu des peines d'esprit et des scènes affreuses, dont tous les jours nous avons le récit et dont souvent nous sommes les témoins. Je crois qu'on va nous laisser profiter du beau temps en allant quelques jours à Saint-Cloud, qui est aux portes de Paris. Il est absolument nécessaire pour nos santés de respirer un air plus pur et plus frais; mais nous reviendrons souvent ici. Il faut inspirer de la confiance à ce malheureux peuple; on cherche tant à l'inquiéter et à l'entretenir contre nous. Il n'y a que l'excès de la patience et la pureté de nos intentions qui puissent le ramener à nous[363].» On partit en effet, le vendredi 4 juin[364], après avoir suivi la veille la longue et fatigante procession de la Fête-Dieu à Saint-Germain-l'Auxerrois[365]. Saint-Cloud! la campagne, le grand air, la liberté, la solitude, tous ces biens dont on était privé depuis huit longs mois, quelle joie, quel épanouissement pour la famille royale! Rien n'étant préparé pour recevoir les augustes hôtes, on s'était logé comme on avait pu; on admettait toutes les personnes du voyage à la table royale; et cet imprévu, cette absence d'étiquette ajoutait encore aux charmes du séjour[366]. Suivant le mot spirituel de Mme Elisabeth, on trouvait Paris beau.... dans la perspective[367]. Et du moins on n'entendait plus «tous ces vilains curieux qui ne se contentent pas d'être à la porte des Tuileries mais parcourent le jardin pour que personne ne puisse ignorer toutes ces infamies[368]». Le temps était beau et le ciel pur. Le Roi reprenait ses promenades à cheval, accompagné par un seul aide de camp de M. de Lafayette[369]; après le repas, il jouait au billard avec sa femme et sa sœur[370]. Mme Elisabeth allait à Saint-Cyr; quand elle ne se promenait point au dehors, elle passait son temps dans un petit jardin fermé qui faisait son bonheur: «Il n'est pas si joli que Montreuil, écrivait-elle; mais au moins l'on y est libre et l'on y respire un bon air frais qui fait un peu oublier tout ce qui est autour de soi, et tu conviendras, ajoutait-elle, que l'on en a souvent besoin[371].» Le Dauphin s'ébattait en toute insouciance dans le parc et parfois même poussait jusqu'à Meudon. Sa santé, un peu altérée par la réclusion des Tuileries, se fortifiait; son esprit se développait d'une manière surprenante[372]. La Reine faisait quelques excursions en calèche[373], promenant ses enfants, assistant à leurs études et à leurs jeux, et, malgré la présence de la garde nationale de Paris, envoyée là moins comme un honneur que comme une surveillance, pouvait, à distance de la grande ville, recevoir plus facilement les personnes dont la société lui était agréable, comme Mmes de Fitz-James et de Tarente, ou même les hommes politiques qui voulaient l'entretenir de leurs plans, comme Mirabeau. Le soir, il y avait cercle[374]; on admettait quelques intimes; Monsieur venait avec Madame de la petite maison de campagne qu'il avait louée près de Saint-Cloud[375]. Un jour, on entendit du bruit dans la cour du Château sous les fenêtres de la Reine; sur son ordre, Mme Campan souleva le rideau et aperçut une cinquantaine de personnes, vieux chevaliers de Saint-Louis, chevaliers de Malte, prêtres, femmes de la campagne. La Reine parut au balcon et un certain nombre de femmes s'approchèrent d'elle: «Ayez courage, Madame,» lui dirent-elles à demi-voix; «les bons Français souffrent pour vous et avec vous; ils prient pour vous; le ciel les exaucera; nous vous aimons, nous vous respectons; nous révérons notre vertueux Roi.» Marie-Antoinette fondit en larmes; mais, dans la crainte de compromettre ceux qui lui manifestaient un intérêt si touchant, elle rentra dans sa chambre, les yeux humides et le cœur un peu dilaté. Il y avait donc encore en France de l'amour pour elle[376]! Mais au milieu même de ce calme apparent et de ce soulagement relatif, les angoisses du présent réveillaient avec plus d'amertume les souvenirs des jours heureux de 1786. La date même de l'installation à Saint-Cloud ne rappelait-elle pas l'anniversaire de la mort du pauvre prince pour les ébats duquel le Château avait été acheté? La Reine ne pouvait se défendre de ces retours vers le passé[377]. Un jour, voyant autour d'elle la milice parisienne, composée en partie des gardes françaises qui avaient déserté: «Que ma mère serait étonnée,» ne put-elle s'empêcher de dire amèrement, si elle voyait sa fille, fille, femme et mère «de rois ou du moins d'un enfant destiné à l'être, entourée par une pareille garde[378]!» Et alors, évoquant les plus mélancoliques souvenirs de son enfance, elle raconta à ses dames les sombres pressentiments de son père, lorsqu'il l'avait quittée: «Je ne m'en serais peut-être plus souvenue, reprit-elle, si ma position actuelle, en me rappelant cette circonstance, ne me faisait voir pour le reste de ma vie une suite de malheurs qu'il n'est que trop facile de prévoir.» Pauvre femme! les prévoyait-elle tous? Et, s'arrêtant au bout de la galerie d'où le regard embrassait le panorama de la capitale, elle ajouta tristement: «Cette vue de Paris faisait jadis mon bonheur; j'aspirais à l'habiter souvent. Qui m'aurait dit alors que ce désir ne serait accompli que pour être abreuvée d'amertumes et voir le Roi et sa famille captifs d'un peuple révolté[379]?» Le Roi lui-même, moins impressionnable que sa femme, ne pouvait s'empêcher d'écrire à la duchesse de Polignac: «J'arrive de la campagne. L'air nous a fait du bien; mais que ce séjour nous a paru changé! Le salon du déjeuner, qu'il était triste! Aucun de vous n'y était. Je ne perds pas l'espoir de nous y retrouver. Dans quel temps? Je l'ignore. Que de choses nous aurions à nous dire! La santé de votre amie se soutient malgré toutes les peines qui l'accablent[380]!» Ce séjour à Saint-Cloud se prolongea pendant tout l'été. De temps en temps, on revenait à Paris; car Paris voulait voir son Roi, et la Reine elle-même jugeait qu'il convenait de tenir compte de ces exigences: «Il ne fallait pas, disait-elle, céder aux cris; mais il était bon de prouver qu'on n'était pas éloigné d'y aller, quand il y avait quelque chose à faire[381].» On allait donc presque tous les dimanches dîner aux Tuileries[382]. On revenait pour les jours de fête[383], pour les séances importantes; on y revint surtout pour la grande cérémonie de la Fédération. L'Assemblée avait décidé, par un décret du 27 mai[384], que l'anniversaire de la prise de la Bastille serait célébré avec une pompe extraordinaire, par une fédération solennelle de tous les représentants et de toutes les troupes du royaume. Le Champ-de-Mars avait été choisi comme emplacement[385]; le Roi avec sa suite, les députés, la garde nationale, les délégués de tous les départements devaient y prêter serment de fidélité à la Nation, à la Loi et à la Constitution. La nouvelle de cette cérémonie avait été accueillie avec enthousiasme. C'était une véritable ivresse. Chacun avait tenu à honneur d'apporter son concours aux préparatifs de la fête nationale. On avait vu des femmes du monde, des prêtres, des religieux, des hommes politiques, des tourières même de couvents[386], venir, une pioche ou une bêche à la main, travailler à la transformation du Champ-de-Mars; les rangs étaient confondus et souvent, le soir, ces ouvriers improvisés revenaient en bande, au son des tambours et en chantant le _Ça ira!_ Malgré l'engouement de la foule, on ne voyait pas sans appréhension approcher cette date du 14 juillet. Des deux côtés on avait ou l'on affectait des craintes. Les partisans de la Révolution répandaient le bruit que la Cour profiterait de l'enthousiasme des fédérés pour dissoudre l'Assemblée et restaurer le pouvoir absolu. Les royalistes redoutaient avec plus de raison quelque émeute populaire, toujours facile à exciter dans une grande agglomération d'hommes, et à la probabilité de laquelle le retour inopiné du duc d'Orléans, brusquement arrivé d'Angleterre le 9 juillet, donnait quelque créance. La Reine fit bonne mine au duc[387]; mais elle n'était nullement rassurée. «Il est bien nécessaire, surtout au mois de juillet, d'avoir du monde à nous, écrivait-elle dès le 12 juin. Je ne pense pas sans frémir à cette époque; elle réunira pour nous tout ce qu'il y a de plus cruel et de plus douloureux, et avec cela il faut y être. C'est un courage plus que surnaturel qu'il faut avoir pour ce moment. Tout va de mal en pis; le ministère et M. de Lafayette entraînent tous les jours dans de fausses démarches; on va au devant de tout et, loin de contenter ces monstres, ils deviennent à tous moments plus insolents, et vis-à-vis des honnêtes gens on s'avilit d'autant[388].» Toutes ces craintes ne se réalisèrent pas. Il y eut, au contraire, comme une lueur d'éclaircie dans un ciel assombri. «La veille de la Fédération, raconte Mme de Tourzel, le Roi passa en revue les fédérés des départements. On les faisait défiler devant lui et la famille royale, au pied du grand escalier des Tuileries. Le Roi demandait le nom de chaque députation, et parlait à chacun de ses membres avec une bonté qui redoublait encore leur attachement. La Reine leur présenta ses enfants et leur dit quelques mots avec cette grâce qui ajoutait un nouveau prix à tout ce qu'elle disait. Transportés de joie, ils entrèrent dans les Tuileries aux cris de _Vive le Roi, la Reine, Monseigneur le Dauphin et la famille royale!_ Le Roi s'y promena sans gardes, avec sa famille, au milieu d'un peuple immense et entouré des fédérés qui continrent tellement les malveillants que pas un n'osa s'écarter de son devoir[389].» Le lendemain, mercredi 14 juillet, malgré une pluie battante, les fédérés de province, rangés sous quatre-vingt-trois bannières, partirent de la Bastille; les délégués des troupes de ligne, de l'armée de mer et de la milice parisienne les accompagnaient. Arrivés au Champ-de-Mars, et en attendant le commencement de la cérémonie, ils se mirent à former des rondes et à danser des farandoles: étrange spectacle et qui ne donnait pas une bien haute idée de la discipline de ces soldats improvisés. Trois cent mille spectateurs, dit-on, se pressaient dans la vaste enceinte, assis sur des gradins de gazon et s'efforçant en vain de se garantir, avec des parasols, des torrents d'eau qui les inondaient. Un autel de forme antique avait été dressé au milieu du Champ-de-Mars; l'évêque d'Autun y devait célébrer la messe, assisté de trois cents prêtres, vêtus d'aubes blanches sur lesquelles tranchaient de larges ceintures tricolores[390]. Une vaste estrade avait été dressée pour le Roi, les ambassadeurs et les députés. Louis XVI avait désiré que sa famille l'entourât; l'Assemblée ne le permit pas. Elle décida, le 9 juillet, que le Roi serait seul, ayant à sa gauche le président. La famille royale devait être aux fenêtres de l'Ecole militaire, où l'on avait disposé pour elle un salon, voisin mais distinct de la tribune de l'Assemblée. C'était une nouvelle marque de défiance contre la famille royale, contre la Reine surtout qu'on affectait ainsi d'isoler de son mari et des représentants de la nation: «Tu sais, écrivait gaiement Mme Elisabeth à son amie, Mme de Bombelles, que j'ai le bonheur de connaître un des membres de cette auguste famille du temps passé; eh bien! je te fais part que cela lui est bien égal; elle n'en est affligée que par rapport à la Reine, pour qui c'est un soufflet donné à tour de bras, et d'autant mieux appliqué qu'il a été ménagé de loin et que jusqu'au dernier moment on avait dit au Roi que le contraire passerait[391].» Louis XVI s'était rendu de bonne heure à l'Ecole militaire; en attendant que tout fût prêt, il y resta avec sa famille, se faisant voir de temps en temps à la fenêtre de la Reine, et salué, à chaque apparition, des cris de _Vive le Roi!_ auxquels se mêlaient des cris de _Vive la Reine! Vive le Dauphin!_ Marie-Antoinette, touchée, montra son fils à la foule, et comme la pluie mouillait l'enfant, elle l'enveloppa, dans son châle; les applaudissements redoublèrent, acclamant la mère comme la reine[392]. Pendant ce temps, les députations arrivaient successivement[393]. Lorsque le cortège fut entré tout entier dans l'enceinte, le Roi alla se placer sur son trône, au milieu des députés, près du président[394]. Après la messe, l'évêque d'Autun bénit les quatre-vingt-trois bannières, et entonna le _Te Deum_ que chantèrent douze cents musiciens. Lafayette monta à l'autel et, au nom de l'armée, jura fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi. Le président de l'Assemblée, le marquis de Bonnay, répéta le serment, et un immense cri de _je le jure!_ s'échappa de trois cent mille poitrines, qui se pressaient au Champ-de-Mars. Le canon gronde; les drapeaux sont agités; les chapeaux, jetés en l'air; les bonnets des grenadiers, arborés au bout des sabres et des baïonnettes. Le Roi se lève et d'une voix forte jure de maintenir la Constitution. La Reine prend le Dauphin dans ses bras et le présente au peuple en disant: «Voilà mon fils; il se réunit, ainsi que moi, dans ces mêmes sentiments.»—«Ce mouvement inattendu, dit Ferrières, fut payé de mille cris de _Vive le Roi! Vive la Reine! Vive monseigneur le Dauphin[395]!_» Pendant plusieurs jours, ce fut un enchantement universel. Ces braves délégués de province, tout remplis encore du respect séculaire et de l'amour traditionnel des Français pour la royauté, étaient ravis d'approcher de si près la famille royale. Dès le matin, ils remplissaient la cour et le jardin des Tuileries, se pressant sous les fenêtres et avides surtout de voir le Dauphin; le jeune prince se montrait au balcon, leur faisait les honneurs de son petit parterre, leur distribuait des fleurs et des feuilles de ses arbres. De bruyantes acclamations le saluaient: «Venez dans votre province du Dauphiné,» disaient les fédérés de Grenoble; «nous saurons bien vous défendre.»—«N'oubliez pas, ripostaient les Normands, que vous avez porté le nom de notre province et que les Normands ont toujours été et seront toujours fidèles[396].» Quatre jours après, le Roi passa une revue de la garde nationale à la porte de Chaillot. La Reine y alla dans une calèche découverte sans armoiries avec ses enfants et Mme Elisabeth. Aussitôt sa voiture fut entourée de fédérés avec lesquels elle s'entretint familièrement, répondant à leurs questions et les provoquant même. Ils désirèrent baiser la main du petit Dauphin; elle le leur présenta elle-même; ces braves gens furent ravis. A ce moment, le bras de la Reine se trouva appuyé à la portière; un des fédérés le saisit vivement et y appliqua ses lèvres. L'exemple fut contagieux, et l'affection faisant taire le respect, en un instant, trois cents bouches couvrirent de baisers le bras que la Reine, émue, ne songeait pas à retirer. Touchée de cette sympathie expressive, à laquelle elle n'était pas habituée, la pauvre femme pleura d'attendrissement[397]. «Ce jour-là, a dit un témoin oculaire, fut véritablement un jour de bonheur pour le Roi, pour la Reine et ceux qui leur étaient dévoués. C'était une ivresse de sentiments; ce fut le dernier beau jour de la Reine[398].» «Les députés des provinces ont été à merveille pour le Roi et la Reine, écrivait un autre témoin; ils n'ont cessé de leur donner des marques touchantes de respect, d'amour et de fidélité, et Leurs Majestés les ont traités à merveille. Ils ont été enchantés de la Reine qui a eu pour eux toute la grâce et l'obligeance dont elle est susceptible[399].» Si Louis XVI eût voulu profiter de cet enthousiasme, si, comme l'en suppliait le duc de Villequier, il fût monté à cheval et eût déclaré que, se trouvant pour la première fois à la tête de l'élite de la nation, il devait lui représenter qu'il ne pouvait sans inconvénient jurer fidélité à une Constitution inachevée; si surtout, comme le demandait Mme de Tourzel, il fût parti de là pour visiter les provinces, où il eût vraisemblablement été accueilli par les mêmes acclamations, il eût pu, appuyé sur la véritable majorité du pays, arrêter les empiétements de l'Assemblée et reprendre le légitime exercice du pouvoir royal. L'Assemblée le craignit; l'attitude des fédérés la fit un moment douter de son succès et de l'assentiment du pays, et Barnave en fit l'aveu à Mme Elisabeth dans une de ces conversations du retour de Varennes, dont le jeune député sortit, rallié à la cause qu'il avait si violemment attaquée. Comme la princesse se plaignait des vues qu'avait eues l'Assemblée en décrétant la fédération: «Ah, Madame!» reprit vivement Barnave, «ne vous plaignez pas de cette époque; car si le Roi eût su en profiter, nous étions perdus[400].» Mais le Roi ne sut pas; il recula devant la crainte d'un conflit. L'occasion perdue ne se retrouva plus. Les fédérés reprirent le chemin de leurs départements, enchantés de l'accueil qu'ils avaient reçu, pénétrés pour toute l'auguste famille de sentiments d'amour et de respect; mais sans direction, sans instructions, sans concert entre eux et avec la Cour, livrés sans défense, dans leurs lointaines provinces, à toutes les influences malsaines auxquelles ils n'avaient échappé qu'un instant. Louis XVI et les siens retournèrent à Saint-Cloud, un peu rassérénés et renaissant à une lueur d'espérance, mais, hélas! pour combien de temps? A peine étaient-ils rentrés dans leur résidence d'été qu'un misérable, du nom de Rotondo, s'y introduisait pour assassiner la Reine. Il avait pénétré dans les jardins extérieurs; la pluie seule, qui ce jour-là empêcha la princesse de sortir, la sauva du poignard[401]. Presque en même temps, on découvrit un complot pour l'empoisonner. Marie-Antoinette le sut et n'en parut point émue. Néanmoins, son médecin, Vicq d'Azyr, et sa première femme, Mme Campan, convinrent qu'on remplacerait plusieurs fois par jour, dans le sucrier de la Reine, le sucre en poudre qu'elle avait l'habitude de prendre pour mettre dans ses verres d'eau. Un jour la pauvre femme surprit Mme Campan occupée à faire l'échange convenu. Elle sourit tristement et la pria de ne plus se donner une peine inutile: «Souvenez-vous, lui dit-elle, qu'on n'emploiera pas un grain de poison contre moi. Les Brinvilliers ne sont pas de ce siècle-ci; on a la calomnie, qui vaut beaucoup mieux pour tuer les gens, et c'est par elle qu'on me fera périr[402].» Quelques jours après, l'attitude de l'Assemblée donnait raison à ces pressentiments. Le Châtelet avait été chargé d'ouvrir une enquête sur les journées d'octobre. Interrogée par les commissaires, la Reine s'était renfermée dans un généreux silence: «Je ne serai jamais, avait-elle répondu, la dénonciatrice de mes sujets. J'ai tout vu, tout su, tout oublié[403].» L'enquête continua néanmoins et, le 7 août 1790, le rapporteur, M. Boucher d'Argis, vint à l'Assemblée donner connaissance de l'information. Son travail, écrit dans un style maladroitement emphatique[404], concluait à des poursuites contre Mirabeau et le duc d'Orléans, et fut l'objet d'un rapport de Chabroud. Cette œuvre de Chabroud, monument d'hypocrisie et de mensonge, remplie de malveillance contre les gardes du corps et d'insinuations haineuses contre la Reine, semblait n'avoir qu'un but: pallier les crimes, accuser les victimes, et innocenter les coupables. Ce but fut atteint: le 2 octobre, malgré les protestations de l'abbé Maury et de Montlosier, et après une vive sortie de Mirabeau, qui déplaça habilement le terrain et d'accusé se posa en accusateur, les conclusions de Chabroud furent adoptées; les attentats du 6 octobre ne furent plus que des «malheurs» destinés à fournir une leçon aux rois. Mirabeau et le duc d'Orléans, aussi bien que Théroigne de Méricourt, et même Jourdan Coupe-tête, furent déchargés de toute accusation, et les vrais coupables, désignés par le rapport aux fureurs des tribunes et aux coups de la populace, furent les défenseurs de la royauté, transformés en adversaires de la Constitution. La Reine fut indignée, moins peut-être de la décision qui innocentait Mirabeau et le duc d'Orléans que de la glorification du crime et de l'odieuse falsification des faits. «Je ne vous parle pas, écrivait-elle à son frère, du jugement qui se fait à présent de l'affaire des 5 et 6 octobre de l'année dernière. On devait s'y attendre; mais je trouve qu'il souille les âmes, comme le palais du Roi l'a été l'année dernière par les faits. Au reste, c'est à l'Europe entière et à la postérité à juger de ces événements, et à rendre justice à moi et à ces braves et fidèles gardes du corps, avec lesquels je me fais gloire d'être nommée[405].» Cependant, à cette heure même,—tant ses devoirs de reine l'emportaient sur ses répugnances de femme,—elle était entrée en négociation avec un des hommes que l'opinion publique avait le plus vivement incriminés pour les journées d'octobre et qui, en toute circonstance, s'était montré un de ses adversaires les plus violents, avec Mirabeau. CHAPITRE VII Mirabeau.—Son entrevue avec Necker.—Ses ouvertures au comte de la Marck.—Première note de Mirabeau pour la Cour.—Son entrevue avec la Reine.—Ses projets.—Le Roi et la Reine les écoutent sans les suivre.—Eclats de Mirabeau.—La Reine est de nouveau menacée.—Nouveaux plans de Mirabeau.—Quarante-septième note.—Utilité mais difficultés de ce plan.—Mort de Mirabeau. Jeté par l'orgueil, la rancune, l'ambition, les débordements de sa vie privée, les nécessités d'une existence besoigneuse, dans le parti de la Révolution; placé, non pas par son crédit,—il ne prit une influence sérieuse que la seconde année[406],—mais par son talent et la nature fougueuse de son éloquence, au premier rang de ses chefs, Mirabeau n'avait pas tardé à s'apercevoir de l'abîme où l'inexpérience de ses amis et ses propres emportements allaient précipiter la France[407]. La passion l'avait rendu révolutionnaire; la raison le maintenait royaliste; son tempérament même le faisait autoritaire, et il n'hésitait pas, dans le secret de l'intimité, à déplorer les dangers de la royauté qu'il voulait bien attaquer, qu'il consentait même à ébranler, mais qu'il n'entendait pas détruire. Dès la fin du mois de mai, il avait fait proposer à Necker, par Malouet, son concours pour sauver «la monarchie et le monarque de la tempête qui se préparait»; c'étaient ses expressions même[408]. L'accueil plus que froid de Necker, qui le détestait et ne le craignait pas encore, l'avait replongé dans l'opposition: «Monsieur, lui avait dit sèchement et dédaigneusement le ministre, M. Malouet m'a dit que vous aviez des propositions à me faire; quelles sont-elles?»—«Ma proposition,» avait répondu brusquement Mirabeau, «est de vous souhaiter le bonjour[409].» Et il était parti, furieux, jurant de mettre au service de ce qu'on appelait alors le «parti populaire» l'audace de son caractère et la puissance de ses moyens[410]. Quoique, en certaines circonstances, il eût montré des sentiments monarchiques et fait preuve d'homme d'Etat éclairé, soucieux des véritables conditions de la monarchie constitutionnelle et de la vraie liberté et grandeur de la France[411], l'année 1789 l'avait vu parmi les plus violents détracteurs du gouvernement, et il avait été véhémentement soupçonné, bien qu'à tort suivant M. de la Marck, d'avoir été un des organisateurs des sanglantes journées d'octobre. Mais, au milieu même de ses plus fougueuses attaques, désavouant tout bas les excès de langage auxquels il se laissait emporter en public, par passion et peut-être par calcul; peu sympathique d'ailleurs aux chefs de la gauche, à Lafayette, dont la présomptueuse nullité l'irritait, au duc d'Orléans, sur lequel il s'exprimait dans les termes les plus durs[412], hostile aux ministres, mais au fond attaché à la monarchie, aristocrate d'instinct et effrayé des progrès de la démocratie qu'il voyait s'avancer menaçante, il n'abandonnait pas la pensée de se rapprocher de la Cour: «Faites donc,» disait-il à la fin de juin à son ami le comte de la Marck, l'un des anciens habitués de Trianon, «faites donc qu'au Château on me sache plus disposé pour eux que contre eux[413].» Il était épouvanté des dangers dont son clairvoyant génie lui montrait l'imminence: «A quoi pensent donc ces gens-là?» répétait-il sans cesse avec sa brutalité de parole. «Ne voient-ils pas les abîmes qui se creusent sous leurs pas?» Et un jour, vers la fin de septembre, plus alarmé que jamais et plus exaspéré de l'incapacité des ministres, il s'écriait: «Tout est perdu; le Roi et la Reine périront et, vous le verrez, la populace battra leurs cadavres; vous ne comprenez pas assez le danger de la position; il faudrait cependant le leur faire connaître[414].» Quinze jours plus tard, le lendemain même du funèbre retour à Paris, il revenait à la charge: «Si vous avez quelque moyen de vous faire entendre du Roi et de la Reine, dit-il à M. de la Marck, persuadez-leur donc que la France et eux sont perdus, si la famille royale ne sort pas de Paris. Je m'occupe d'un plan pour les en faire sortir.» Et ce plan il le remettait le 15 octobre à son ami. Mais La Marck hésitait: il n'ignorait pas l'horreur que Mirabeau inspirait à la Reine et il faut bien avouer que pour un homme qui briguait l'honneur de devenir le conseil de la famille royale, Mirabeau avait une étrange manière de défendre ses clients. Son attitude à l'Assemblée pendant les journées d'octobre avait révolté les plus sincères amis de la liberté, et, le 5, il avait lancé contre l'infortunée Marie-Antoinette elle-même une de ces insinuations perfides que la populace, le lendemain, devait traduire en un si sanglant langage. M. de la Marck avait dû même s'excuser près de la Reine de ses relations avec le fougueux tribun, sous prétexte qu'il pourrait être utile un jour à la cause royaliste, et la Reine, qui ne savait guère dissimuler ses antipathies, avait répondu: «Nous ne serons pas assez malheureux, je pense, pour être réduits à la pénible extrémité de recourir à Mirabeau[415].» N'osant donc s'adresser à la souveraine, il se tourna vers Monsieur et lui remit le plan de Mirabeau. Mais ce plan reposait avant tout sur la sortie de Paris et la retraite dans une province fidèle, comme la Normandie, ou une ville sûre comme Beauvais[416]. Il exigeait une certaine décision et Monsieur ne croyait pas à la fermeté de son frère: «La faiblesse et l'indécision du Roi, disait-il, sont au-delà de tout ce qu'on peut dire. Pour vous faire une idée de son caractère, imaginez des boules d'ivoire huilées, que vous vous efforceriez vainement de retenir ensemble.» L'énergie même de la Reine ne saurait avoir raison des incertitudes de son mari[417]. Malgré cette réponse désespérante, le projet ne fut pas abandonné. Monsieur entretint quelques relations avec Mirabeau; la Reine en fut instruite et il ne semble pas qu'elle l'ait désapprouvé[418], quoiqu'elle affectât de ne se mêler de rien[419]. Mais bientôt une mesure maladroite, prise par l'Assemblée le 7 novembre sur la proposition de Lanjuinais et avec l'appui irréfléchi de la droite, vint, en interdisant aux députés d'être ministres, enlever à Mirabeau une partie de ses moyens. Ne pouvant plus faire partie lui-même du cabinet, il voulut du moins en faire nommer chef Monsieur, qui, à ce moment, acceptait ses conseils. Mais cette nouvelle combinaison échoua, et il est certain que la Reine, qui n'aimait pas beaucoup son beau-frère, ne lui fut pas favorable[420]. Bientôt d'ailleurs Mirabeau en vint à se brouiller avec Monsieur[421], comme il l'était déjà avec Necker, Lafayette et le duc d'Orléans. M. de la Marck, découragé, était, dès le 16 décembre, parti pour sa terre de Raismes et de là il avait passé en Belgique, où l'appelaient ses affaires et l'intérêt qu'il prenait à la situation des Pays-Bas soulevés contre l'Autriche, lorsque, vers le milieu de mars, une lettre du comte de Mercy le ramena à Paris. Les négociations avaient été reprises et le Roi s'était enfin déterminé à entrer en rapport avec Mirabeau. La Reine conservait encore quelques doutes sur la participation du violent tribun aux journées d'octobre; ces doutes furent levés, et après une première entrevue entre Mirabeau, Mercy et la Marck et une longue conversation entre ce dernier et le Roi et la Reine, il fut convenu que le puissant orateur rédigerait une note qui serait remise par la Marck à Marie-Antoinette et par celle-ci à son mari. Un secret absolu serait observé vis-à-vis des ministres jusqu'à ce qu'on eût constitué un ministère meilleur, qu'on pût mettre en relations avec le nouveau conseiller de la monarchie. Au point de vue des réformes, l'entente entre le Roi et le tribun devait être facile: «Louis XVI était bien loin de songer à reconquérir son ancienne autorité absolue; il était parfaitement résigné sur ce que la Révolution lui avait fait perdre du pouvoir et des droits de ses prédécesseurs. Je pourrais dire, ajoute la Marck, auquel nous empruntons cette appréciation, que, sous ce rapport, Mirabeau était moins résigné que lui[422].» Mirabeau acquiesça avec empressement au plan ainsi arrêté. Dès le 10 mai, il écrivit une lettre, dans laquelle, protestant de ses sentiments monarchiques, il promettait au Roi «loyauté, zèle, activité, énergie et courage[423]». Le Roi et la Reine furent contents de cette déclaration, et la Reine voulut en assurer elle-même le comte de la Marck. «Elle me confirma ce que le comte de Mercy m'avait dit de la satisfaction que le Roi avait éprouvée en lisant cette lettre de Mirabeau; elle me répéta encore que le Roi n'avait nul désir de recouvrer son autorité dans toute l'étendue qu'elle avait eue autrefois et qu'il était bien éloigné de croire que cela fût nécessaire pour son bonheur personnel pas plus que pour celui de ses peuples[424].» La pauvre femme paraissait à ce moment pleine de confiance et presque joyeuse, et, pendant un entretien de deux heures avec la Marck, elle se mit à évoquer les souvenirs du passé, comme si, envisageant désormais l'avenir avec plus de calme, elle secouait déjà les préoccupations du présent[425]. Il fut convenu que le Roi paierait les dettes de Mirabeau—et elles était nombreuses—et lui garantirait un traitement de six mille livres par mois et un million à la fin de l'Assemblée. C'était le prix des services qu'on attendait de lui. Mirabeau fut ravi et son bonheur de sortir de la vie gênée et aventureuse, qu'il avait menée jusque-là, lui inspira une exubérance d'enthousiasme pour la famille royale et pour la Reine. «J'ai professé les principes monarchiques, dit-il au début de sa première note, lorsque je ne voyais de la Cour que sa faiblesse et que, ne connaissant ni l'âme ni la pensée de la fille de Marie-Thérèse, je ne pouvais compter sur cette auguste auxiliaire. J'ai combattu pour les droits du trône, lorsque je n'inspirais que de la méfiance, et que toutes mes démarches, empoisonnées par la malignité, paraissaient autant de pièges. J'ai servi le monarque, lorsque je savais bien que je ne devais attendre d'un Roi juste, mais trompé, ni bienfaits, ni récompenses. Que ferai-je, maintenant que la confiance a relevé mon courage et que la reconnaissance a fait, de mes principes, mes devoirs? Je serai ce que j'ai toujours été, le défenseur du pouvoir monarchique, réglé par les lois, et l'apôtre de la liberté garantie par le pouvoir monarchique. Mon cœur suivra la route que la raison seule m'avait tracée[426].» Les négociations une fois entamées se poursuivirent activement par l'intermédiaire du comte de la Marck, du comte de Mercy, de M. de Fontanges, archevêque de Toulouse et ancien confesseur de la Reine, et plus tard de M. de Montmorin. Les notes se succédaient avec rapidité. Mirabeau insistait sur la nécessité de relever l'autorité royale, d'abaisser l'influence dictatoriale de Lafayette, d'entretenir des agents dans les provinces pour s'emparer de l'esprit des populations et de resserrer les liens de la discipline dans l'armée, dont on aurait besoin pour une restauration monarchique. «Le Roi, disait-il, n'a qu'un homme, c'est sa femme. Il n'y a de sûreté pour elle que dans le rétablissement de l'autorité royale. J'aime à croire qu'elle ne voudrait pas de la vie sans la couronne; mais ce dont je suis bien sûr, c'est qu'elle ne conservera pas sa vie, si elle ne conserve pas sa couronne. Le moment viendra et bientôt, où il lui faudra essayer ce que peuvent une femme et un enfant à cheval; c'est pour elle une méthode de famille; mais, en attendant, il faut se mettre en mesure, et ne pas croire pouvoir, soit à l'aide du hasard, soit à l'aide des combinaisons, sortir d'une crise extraordinaire par des hommes et des moyens ordinaires[427].» Sachant la faiblesse du Roi et l'énergie de la Reine, Mirabeau était convaincu que cette princesse aurait seule assez d'influence sur son mari pour triompher de ses indécisions. Cette haute opinion qu'il avait du caractère de Marie-Antoinette lui faisait souhaiter une entrevue avec elle, où il pourrait l'éclairer plus complètement sur les périls de la situation, lui exposer en détails son système et, en gagnant mieux sa confiance, la pénétrer en quelque sorte de son esprit. «Il serait essentiel, écrivait-il le 26 juin à la Marck, que je visse votre homme, et surtout _Elle_[428].» C'est par ce mot qu'il désignait la Reine. Mais la Reine avait une répugnance extrême pour une telle entrevue. Quelles que fussent les protestations de dévouement de Mirabeau, elle ne pouvait oublier que, depuis plus d'un an, elle était habituée à le considérer comme «un monstre», et qu'à cette heure même le Châtelet le signalait comme un des fauteurs des journées d'octobre. Pourtant, encouragée par le comte de Mercy[429] et l'archevêque de Toulouse[430], et surmontant ses plus naturelles répulsions dans l'intérêt du Roi, de ses enfants et du pays, elle finit par se résigner à la conférence demandée. Il ne s'agit plus que de choisir le jour et le lieu convenable. Saint-Cloud, où la Cour passait l'été, offrait plus de facilités que Paris; mais même à Saint-Cloud, on était surveillé. A force de recherches, Marie-Antoinette trouva un endroit «non commode, mais suffisant pour le voir et pallier tous les inconvénients du jardin et du Château[431]». L'audience, primitivement fixée au vendredi[432], fut remise au samedi 3 juillet, à huit heures et demie du matin[433]. Pour mieux couvrir sa démarche, Mirabeau partit la veille de Paris et alla coucher à Auteuil, chez sa nièce, la marquise d'Aragon[434]. Le lendemain matin, il en partit, dans un cabriolet à deux chevaux[435], seul avec son neveu, le comte du Saillant, déguisé en courrier et qui conduisait la voiture. Il descendit à la petite porte du parc, et, avant d'entrer, mu par un sentiment de défiance, dont il ne tarda pas à se repentir, il remit une lettre à son neveu en lui disant: «Si dans trois quarts d'heure je ne suis pas de retour, pars et remets sans perdre un instant ce billet au commandant de la garde nationale[436].» Puis il frappa à la porte et fut introduit dans le parc, d'où on le conduisit à l'appartement de la Reine[437]. Quelqu'empire que Marie-Antoinette eût sur elle-même, elle ne sut se défendre, en apercevant le «monstre», d'une émotion si profonde qu'elle en ressentit le lendemain une légère indisposition[438]. Elle se remit cependant et, s'avançant vers le fougueux tribun: «Auprès d'un ennemi ordinaire, dit-elle avec sa grâce souveraine, auprès d'un homme qui aurait juré la perte de la monarchie, sans apercevoir l'utilité dont elle est pour un grand peuple, je ferais en ce moment la démarche la plus déplacée. Mais quand on parle à un Mirabeau[439].....» Mirabeau fut séduit: l'aspect seul de Marie-Antoinette l'avait ébloui. Sa dignité sereine, l'incomparable attrait répandu dans toute sa personne, le sourire mélancolique qui errait sur ses lèvres, son affabilité, lorsqu'avec un attendrissement mêlé de remords il s'était accusé lui-même d'avoir été une des principales causes de ses peines, tout acheva de l'enthousiasmer[440]. «Madame, dit-il en se retirant, lorsque votre auguste mère admettait un de ses sujets à l'honneur de sa présence, jamais elle ne le congédiait sans lui donner sa main à baiser[441].» La Reine tendit la main. Mirabeau la baisa en s'inclinant respectueusement, et se relevant: «Madame, reprit-il, la monarchie est sauvée[442].» Lorsqu'au bout de trois quarts d'heure, il franchit de nouveau le seuil de la porte du parc, sa respiration était haletante, sa parole entrecoupée. Il écouta comme à regret les derniers craquements du sable sous les pieds des personnes qui s'éloignaient. Puis, s'approchant de son neveu, il lui reprit vivement la lettre qu'il lui avait confiée et, lui serrant le bras avec force: «Elle est bien grande, bien noble et bien malheureuse, Victor, dit-il, mais je la sauverai.» «Jamais, ajoute M. du Saillant, la voix de mon oncle n'avait été altérée par une émotion pareille, par une émotion aussi vraie[443].» Si bien gardé qu'eût été le secret sur cette entrevue, quelques précautions que la Reine eût prises pour dérouter les soupçons, ou tout au moins les égarer sur un autre, moins compromettant et moins compromis, comme le comte de Ségur[444], je ne sais quelle rumeur vague transpira dans le public et des lettres anonymes dénoncèrent au Comité des recherches ce qu'on avait déjà nommé, dans une occasion précédente[445], la _Grande trahison du comte de Mirabeau_. Mais ces criailleries n'intimidaient pas le puissant orateur, pas plus qu'elles ne l'avaient intimidé au 22 mai. Illuminé par la bonté de la Reine, touché de la calme résignation du Roi, et de la modération de ses vues sur le rétablissement de l'autorité royale, il poursuivait avec ardeur le but qu'il s'était proposé. «Rien ne m'arrêtera, dit-il, je périrai plutôt que de manquer à mes promesses[446].» Malheureusement, l'accord complet que l'entrevue de Saint-Cloud semblait avoir établi entre le tribun et la famille royale dura peu. Le Roi, toujours indécis, hésitait à se confier entièrement à lui; il demandait des conseils de tous côtés et finissait par n'en suivre aucun. Ce partage de confiance exaspérait Mirabeau. S'étant une fois dévoué, il eût voulu qu'on suivît exclusivement ses avis; il était jaloux de tous ceux auxquels le Roi et la Reine semblaient accorder quelque crédit, de Ségur, de Rivarol[447], de Bergasse[448]. Dès le 9 juillet, il se plaignait qu'on ne lui dît pas tout et que Louis XVI n'exécutât pas les décisions arrêtées avec sa femme. «Il faut, disait-il, que la Reine se détermine à toujours donner l'impulsion au Roi;» et ce qu'il n'ajoutait pas, mais ce qui était le fond de sa pensée, que la Reine accepte toujours la direction de Mirabeau. «Sans cela, le Roi et la Reine ne seront que des personnes timides, toujours obligées de composer avec leurs geôliers...., toujours à la merci des insurrections, de l'ambition ou de la démagogie[449].» Mais Marie-Antoinette elle-même, si intrépide qu'elle fût, reculait parfois devant les plans proposés par son nouvel allié. Le 13 août, Mirabeau adressait la note bien connue dont le début a été si souvent cité: «Quatre ennemis arrivent au pas redoublé: l'impôt, la banqueroute, l'armée, l'hiver. Il faut prendre un parti; je veux dire qu'il faut se préparer aux événements en les dirigeant. En deux mots, la guerre civile est certaine et peut-être nécessaire[450].» Et il concluait en demandant une nouvelle entrevue et en insistant sur la nécessité de constituer dans l'armée un fort noyau de résistance. La Reine fut épouvantée. La perspective brutale du danger qu'elle sentait bien, mais qu'elle aimait sans doute à croire moins pressant, le ton même de la note, ce ton auquel ne l'avaient guère habituée les phrases polies et obséquieuses de ses ministres, ce style «extraordinaire»,—le mot est d'elle,—ce style haché, saccadé, qui sentait la poudre et qui sonnait la charge, tout cela la jetait dans le trouble et dans l'effroi; elle était presque tentée de croire «fou» son audacieux correspondant. La guerre civile surtout lui inspirait et devait lui inspirer jusqu'à la fin une insurmontable répugnance. «Comment M. ou tout autre être pensant, écrivait-elle à Mercy, peut-il croire que jamais, mais surtout dans cet instant, le moment soit venu pour que nous, nous provoquions la guerre civile[451]?» Quant à une nouvelle conférence avec Mirabeau, elle était impossible. On avait soupçonné la première et ce simple soupçon avait failli tout gâter. Que serait-ce, si l'on venait à découvrir la seconde? Mirabeau fut sans doute instruit par Mercy de l'impression produite par son mémoire. Il en fut plus attristé qu'étonné, mais en même temps découragé. Il eût voulu que le Roi prît un rôle actif, et le Roi ne pouvait se résoudre qu'à un rôle passif. Il eût voulu qu'on surexcitât par des agents habiles, qu'on fît naître, au besoin, le mécontentement que devaient inévitablement soulever dans les provinces les réformes de l'Assemblée, et le Roi attendait que ce mécontentement se produisît et grandît tout seul; on ne comptait que sur le temps, et il n'y avait pas un jour à perdre. La Reine elle-même, dans l'intrépidité de laquelle il avait foi, reculait, comme éblouie de la lumière sinistre qu'il avait brusquement projetée sur la situation. Elle aussi se réfugiait dans un rôle passif: «Le temps et la patience sont les vrais remèdes à nos maux, écrivait-elle un peu plus tard à son frère. Je crois qu'il viendra pourtant un temps où il faudra aider l'opinion; mais nous n'y sommes pas encore[452].» Plus le moment d'agir approchait, plus la nécessité d'une action énergique s'imposait, plus elle cherchait à l'éloigner, comme épouvantée des conséquences. Et Mirabeau de répéter tristement: «Je continuerai à servir, autant que le permet la nature des choses, même dans le rôle passif auquel on se condamne, quelque répugnance que j'aie pour cet ordre de choses, et cette répugnance est telle que, si je me suis abstenu ici d'en développer tous les dangers, ce n'est que pour épargner à votre imagination ou à votre sensibilité un tableau dont la difformité vous affligerait en pure perte, dès que vous vous croyez hors de mesure de rien tenter pour la chose publique et pour vous-mêmes..... Je gémirai qu'un si bon prince et une Reine si bien douée par la nature aient été inutiles, même par le sacrifice de leur considération et de leur sûreté à la restauration de leur pays.... Je serai fidèle jusqu'au bout, parce que tel est mon caractère; je me bornerai aux moyens temporaires et circonstanciels, puisqu'on ne veut se prêter à aucuns autres..... Du reste, j'attendrai qu'un coup de tonnerre brise la déplorable léthargie sur laquelle je ne puis que gémir[453].» Un mois après, il écrivait encore: «Je l'avoue, non sans regret, je suis très peu utile, mais on m'impose bien plus le devoir de servir qu'on ne m'en donne le pouvoir. On m'écoute avec plus de bonté que de confiance; on met plus d'intérêt à connaître mes conseils qu'à les suivre, et surtout, on ne sent point assez que le rôle passif de l'inaction, fût-il préférable à tous les autres, ne consiste pas précisément ou à ne rien faire ou à ne laisser agir que ceux qui nuisent.» Et, venant à la revision de la Constitution, décidée par l'Assemblée, il ajoutait: «Je donnerai mes idées sur ce point, si on l'exige; je donnerai mon avis sur d'autres plans, si on daigne me consulter; car, puisque l'initiative qu'on m'a laissée n'a produit jusqu'à présent que de l'hésitation et de l'embarras, il conviendrait peut-être d'essayer si je ne suis pas plus utile en changeant de rôle[454].» Dans l'épanchement de l'intimité, ses plaintes étaient plus vives et même brutales; il se laissait entraîner à des expressions grossières, dont il demandait pardon plus tard[455]; il allait jusqu'à traiter ses augustes clients de «couards[456]» et de «royal bétail[457]». «C'est pitoyable, écrivait-il... On dirait que la maison où ils dorment peut être réduite en cendres sans qu'ils en soient atteints ou seulement réveillés[458].» Et alors, indisposé par les tergiversations de la Cour, irrité par l'attitude malveillante et les interruptions du côté droit, il se livrait, à la tribune de l'Assemblée, à des emportements de langage, à des «par delà», comme disait la Marck[459], qui, en inspirant des doutes sur sa fidélité, ne faisaient que redoubler les indécisions du Roi et de la Reine. D'autres fois, faisant un retour sur lui-même et comprenant, non sans remords, combien étaient légitimes au fond les répugnances de la famille royale: «Ah, s'écriait-il avec amertume, que l'immoralité de ma jeunesse fait maintenant de tort à la chose publique[460]»! C'était bien là en effet le secret des incertitudes de la Reine et la cause réelle de l'impuissance de Mirabeau. Vainement écrivait-il le 24 octobre, trois jours après une de ses plus virulentes sorties[461]: «Jamais mon zèle n'a été si pur, mon dévouement plus illimité, mon désir d'être utile plus constant, j'ose dire plus opiniâtre. Ce n'est pas pour moi-même, c'est pour obtenir plus de succès que j'ambitionnais le prix de la confiance et ceux qui parviendront à me la ravir n'arracheront de mon cœur ni la reconnaissance ni le serment que j'ai fait de défendre l'autorité royale, dussé-je combattre seul et succomber dans cette lutte éclatante, où j'aurai l'Europe pour témoin et la postérité pour juge[462].» La Reine ne pouvait se persuader que l'homme qui avait si rudement ébranlé le trône, qui se laissait encore emporter à l'attaquer de temps en temps avec tant de passion et de violence, fût sincèrement déterminé à le soutenir, et, tout en acceptant la plupart du temps les idées de son correspondant, elle se demandait avec angoisse quelle arrière-pensée elles pouvaient cacher, si ce n'était pas plutôt ses intérêts personnels que ceux de la monarchie que Mirabeau avait en vue, et s'il ne justifiait pas cette dure parole de son père: «Faut-il être singe, loup ou renard, tout lui est égal; rien ne lui coûte[463].» Ou cette autre non moins dure: «La conversion de saint Paul même ferait un autre homme, mais ne ressusciterait pas celui-là[464].» Justement irritée de son discours révolutionnaire du 2 octobre sur la procédure du Châtelet, elle écrivait à Mercy: «Il m'a envoyé son discours; si je le voyais, j'aurais plusieurs points sur lesquels je lui demanderais explication, et, avec tout son esprit et astuce, je crois qu'il aurait encore de la peine à prouver que c'est pour nous servir qu'il l'a prononcé[465].» L'archevêque de Toulouse, si dévoué pourtant pendant toute cette négociation et si disposé à soutenir Mirabeau, disait de son côté, après une autre sortie non moins brutale[466]: «Comment voulez-vous que la confiance, si nécessaire dans les circonstances où nous sommes, puisse naître, après des écarts pareils à ceux d'avant-hier[467]?» La Reine se trompait: Mirabeau voulait franchement et sérieusement un gouvernement monarchique, tempéré par la liberté, et depuis l'entrevue de Saint-Cloud, son dévouement à Marie-Antoinette en particulier s'inspirait d'un sentiment chevaleresque: ce n'était pas seulement la Reine, c'était aussi la femme qu'il prétendait servir. Mais lui, qui se plaignait tant des indécisions de la famille royale, méritait souvent le même reproche. Tiraillé entre sa raison et sa passion, entre son désir de ne pas compromettre sa popularité et sa volonté de sauver la royauté, les efforts même qu'il faisait pour concilier ces choses inconciliables rendaient sa marche oscillante et troublée et donnaient à sa conduite une apparence de fausseté qui ranimait les soupçons et réveillait les préventions endormies à grand'peine. Il était sincère, il n'était pas droit; il était fidèle, il n'était pas constant et ne paraissait pas logique. Le danger croissait d'heure en heure, et les ennemis de la royauté qui sentaient, comme Mirabeau, que, de la famille royale, la Reine seule était un obstacle sérieux à leurs désirs, ne mettaient pas moins d'ardeur à l'attaquer que l'éloquent tribun à la servir. La tactique contre elle avait été habile; on avait commencé, dans les écrits inspirés par les meneurs, par faire un éloge emphatique du Roi en gardant le silence sur la Reine; puis le silence s'était transformé en insinuations hostiles, bientôt en agression ouverte, qui concordait avec des bruits malveillants propagés dans le peuple, avec des menées perfides tramées dans l'ombre, avec des plans odieux, cyniquement avoués. «Une partie du public, dit la Marck, avait fini par s'en laisser imposer à cet égard et croyait bêtement aux calomnies atroces répandues contre cette princesse infortunée[468].» Toutes les résolutions du côté droit, même celles qu'elle blâmait, tous les actes des monarchistes, même ceux auxquels elle était le plus étrangère, comme le duel du duc de Castries avec Charles de Lameth, lui étaient imputés[469]. Le ministère avait fini par se dissoudre dans l'impuissance. Necker était parti le 4 septembre, tombé sous le coup de l'indifférence publique et n'ayant pas même à son départ l'aumône d'un regret ni l'honneur d'une attaque. «Il n'est regretté de personne, disait Fersen, pas même de sa société, et son départ ne fera aucun effet[470].» Deux mois après, les autres membres du cabinet donnaient leur démission. De nouveaux ministres avaient succédé aux anciens[471]: créatures des Lameth pour la plupart et naturellement pris hors de l'Assemblée. Seul, M. de Montmorin était resté, soutenu par Mirabeau, auquel il devait servir d'intermédiaire avec la Cour, et seul aussi osant soutenir la Reine, parfois même contre quelques-uns de ses nouveaux collègues. Car c'était toujours la Reine qu'on poursuivait, c'était elle qu'il fallait séparer du Roi, et faire disparaître de gré ou de force. Une première fois,—un peu après le retour à Paris,—les Constitutionnels lui avaient fait proposer par son amie, la duchesse de Luynes, de s'éloigner pendant quelque temps de la France, afin de laisser achever la Constitution, sans que les patriotes pussent l'accuser de s'y opposer. La duchesse de Luynes, qui savait combien la personne de Marie-Antoinette était menacée, avait consenti à lui porter ces propositions. Mais il s'agissait de partir seule; la Reine répondit «que jamais elle n'abandonnerait le Roi et ses enfants; que si elle se croyait seule en butte à la haine publique, elle ferait à l'instant même le sacrifice de sa vie; mais qu'on en voulait au trône et qu'en abandonnant le Roi, elle ferait seulement un acte de lâcheté, puisqu'elle n'y voyait que le seul avantage de sauver ses propres jours[472].» A défaut de persuasion, on eut recours à la menace. On parla d'assassinat; on parla de procès. Le bruit se répandit,—c'était vers la fin de 1790,—qu'on allait reprendre le plan qui avait échoué le 6 octobre. Emu de ces bruits, M. de Montmorin demanda à ses collègues de prendre des mesures pour ne pas laisser se consommer un pareil forfait. Le garde des sceaux, Duport du Tertre, prit la parole et déclara froidement qu'il ne se prêterait pas à un assassinat, mais qu'il n'en serait pas de même s'il s'agissait de faire le procès de la Reine—«Quoi!» reprit M. de Montmorin indigné, «vous, ministre du Roi, vous consentiriez à une pareille infamie!»—«Mais,» répondit tranquillement Duport, «s'il n'y a pas d'autre moyen[473]?» A défaut d'assassinat, à défaut de procès, ou peut-être comme corollaire et but du procès, on proposa le divorce, et M. de Lafayette, dans une entrevue avec la Reine, eut l'outrageante impudeur de lui dire que, pour en arriver là, on la rechercherait en adultère[474]. La Reine n'opposa que sa dignité et son courage habituels à cette injurieuse menace. Mais qu'il lui fallut d'empire sur elle-même pour ne pas faire jeter à la porte son insolent interlocuteur, et ne trouve-t-on pas là, dans cet affront de Lafayette la cause de l'insurmontable répulsion que Marie-Antoinette conserva jusqu'à la fin contre le «héros des deux mondes» et qui lui faisait dire qu'elle aimerait mieux périr que de lui devoir son salut? En même temps, Mme de la Motte était à Paris, appelée par les chefs de la Révolution, et prête à recommencer contre sa royale victime ses infâmes et ténébreux «tripotages». Mirabeau bondit: «J'arracherai cette Reine infortunée à ses bourreaux,» s'écria-t-il, ou «j'y périrai[475].» Et prenant immédiatement la plume: «Il est impossible, écrivit-il, de s'exagérer le sentiment du dévouement audacieux que produit en moi la découverte de tant d'iniquités et de perfidies, et si j'indique d'autres provocateurs,—il avait proposé que Fréteau ou d'Ailly demandassent l'arrestation de l'intrigante,—c'est que le bruit vague de mes liaisons plaiderait irrésistiblement contre moi parlant le premier; mais on ferait tout à la fois la plus cruelle injure à moi et le plus pitoyable mécompte dans cette affaire, si l'on doutait que je périrais sur la brèche dans une telle affaire et dans tout ce qui touchera l'auguste et intéressante victime que convoitent tant de scélérats[476].» Ce n'était pas seulement la Reine qu'on visait, c'était le Roi à travers sa femme. Mirabeau l'avait senti: «Dans ce projet, disait-il, la Reine, dont ils connaissent le caractère, la justesse d'esprit et la fermeté, serait le premier objet de leur attaque, et comme la première et la plus forte barrière du trône, et comme la sentinelle qui veille de plus près à la sûreté du monarque. Mais le grand art des ambitieux serait de cacher leur but; ils voudraient paraître entraînés par les événements et non les diriger. Après avoir fait du procès de la dame la Motte un poison destructeur pour la Reine; après avoir changé les calomnies les plus absurdes en preuves légales capables de tromper le Roi, ils feraient naître tour à tour les questions du divorce, de la régence, du mariage des rois, de l'éducation de l'héritier du trône... Mais, ajoutait-il, ce pays périrait tout entier, que je serais encore le défenseur de la Reine et du Roi[477].» Effrayés du bruit que faisait cette affaire et de la tournure qu'elle prenait, ceux qui avaient fait venir Mme de la Motte jugèrent plus prudent de la faire repartir, et, pour cette fois du moins, l'intrigue avorta[478]. Malheureusement, le lendemain même du jour où le grand orateur rédigeait ces notes si éloquentes et signait cette protestation de dévouement inaltérable, il se laissait encore emporter, à l'Assemblée, à des écarts de langage, à une apologie de l'insurrection[479], qui désolait son ami la Marck et faisait évanouir la «confiance nouvelle[480]» que les notes avaient inspirée à la Reine[481]. Mirabeau s'excusait; mais il était incorrigible, et quinze jours plus tard, dans la discussion sur la Constitution civile du clergé, il revenait à ses premiers errements et prononçait un discours d'une extraordinaire violence. Quelle était son intention vraie en agissant ainsi? Voulait-il, par ses attaques véhémentes, mieux dissimuler son véritable but? Espérait-il, comme il l'a prétendu, que l'exagération même des mesures proposées les rendrait illusoires? Estimait-il ne pouvoir mieux se faire écouter de ses collègues qu'en se mettant à leur diapason, en renchérissant sur eux, en aggravant encore la rigueur de leurs décrets[482]? Avait-il la pensée, comme il s'en est vanté encore, d'«enferrer» l'Assemblée, et de la discréditer en la rendant tyrannique[483]? Croyait-il à la bonté de cette théorie, si souvent préconisée en temps de révolution, mais si rarement couronnée de succès, qui prétend faire sortir le bien de l'excès du mal? Quelles qu'aient été ses intentions réelles, l'effet produit fut déplorable. En se livrant, contre le clergé et contre la religion catholique, à de telles déclamations, ce n'était pas seulement les sentiments politiques, les préjugés, si l'on veut, de la famille royale qu'il blessait, c'était sa conscience même. Toutes les objections, jadis émises contre lui, reparurent. Mirabeau multipliait vainement ses notes, on n'en tenait plus compte; et la Marck lui-même osait à peine aborder la Reine, tant il la savait découragée et refroidie à l'égard de son ami[484]. Pour ramener une confiance qu'il sentait lui échapper, l'éloquent et fantasque tribun se remit à l'œuvre et, le 23 décembre, traça tout un projet de défense et de salut par la conciliation des libertés publiques avec l'autorité royale. Ce n'était point un plan de contre-révolution,—il ne regardait la chose ni comme possible ni comme souhaitable,—c'était un plan de contre-Constitution. «Je regarde, disait-il, tous les effets de la Révolution et tout ce qu'il faut conserver de la Constitution comme des conquêtes tellement irrévocables, qu'aucun bouleversement, à moins que l'empire ne fût démembré, ne pourrait plus les détruire[485].» Ces réformes d'ailleurs, suivant lui, ne sont pas aussi défavorables au pouvoir royal que de vieux préjugés pourraient le faire craindre. «Cette surface parfaitement unie, qu'exige la liberté, rend aussi l'exercice de l'autorité bien plus facile; cette égalité dans les droits politiques, dont on fait tant de bruit, est aussi un instrument de pouvoir.» Sans doute ces réformes ont été souvent excessives, prématurées, maladroites; il importe de les corriger. Il faut admettre «la Révolution dans son esprit», et «la Constitution dans la plupart de ses bases».—«Tendre à une meilleure Constitution, voilà donc le seul but que la prudence, l'honneur et le véritable intérêt du Roi, inséparable de celui de la nation, permettent d'adopter[486].» Mais l'Assemblée actuelle est incapable d'accomplir les améliorations nécessaires. Il faut donc la perdre dans l'opinion, et la forcer à se dissoudre. Et dans ce but, il est essentiel de prendre de l'influence sur l'esprit public et sur les futures assemblées électorales qu'il faudrait décider à demander elles-mêmes la révision de certains articles de la Constitution et—ceci est capital,—la fixation du lieu de la future Constituante tout autre part qu'à Paris; car, disait-il, «aucun corps délibérant, et je n'en excepte pas l'Assemblée nationale, n'est libre aujourd'hui, à côté de la redoutable influence qu'on a voulu donner au peuple[487].» Il faut s'emparer de l'esprit public, à Paris et dans les provinces; il faut influencer l'Assemblée par une coalition de députés de la droite et de la gauche, dont M. de Montmorin sera le correspondant attitré et Mirabeau, l'inspirateur secret[488]. Il faut un ministère sûr et uni, à la fois agréable à la multitude et dévoué à l'autorité royale[489]. Il faut aussi que le Roi et la Reine se rendent populaires. «Il faut qu'on ne puisse pas douter de leur adhésion à tous les changements utiles au peuple et à tous les principes qui peuvent assurer la liberté..... Se montrer souvent en public, se promener quelquefois, même à pied, dans les lieux les plus fréquentés, assister à des revues de la garde nationale, paraître à quelques séances de l'Assemblée dans la tribune du président, visiter les hôpitaux, les hospices publics, les grands ateliers d'ouvriers et y répandre quelques bienfaits: ce genre de représentation, également convenable à la Reine et au Roi, leur serait sans doute plus utile qu'une impénétrable retraite[490].» Et Mirabeau terminait par ce pressant appel et ce dramatique tableau: «On peut tout espérer, si ce plan est suivi, et s'il ne l'est pas, si cette dernière planche de salut nous échappe, il n'est aucun malheur, depuis les assassinats individuels jusqu'au pillage, depuis la chute du trône jusqu'à la dissolution de l'empire, auquel on ne doive s'attendre. Hors ce plan, quelle ressource peut-il rester? La férocité du peuple n'augmente-t-elle pas par degrés? N'attise-t-on pas de plus en plus toutes les haines contre la famille royale? Ne parle-t-on pas ouvertement d'un massacre général des nobles et du clergé? N'est-on pas proscrit pour la seule différence d'opinion? Ne fait-on pas espérer au peuple le partage des terres? Toutes les grandes villes du royaume ne sont-elles pas dans une épouvantable confusion? Les gardes nationales ne président-elles pas à toutes les vengeances populaires? Tous les administrateurs ne tremblent-ils pas pour leur propre sûreté, sans avoir aucun moyen de pourvoir à celle des autres? Enfin, dans l'Assemblée nationale, le vertige et le fanatisme peuvent-ils être poussés à un plus haut degré? Malheureuse nation! Voilà où quelques hommes qui ont mis l'intrigue à la place du talent et les mouvements à la place des conceptions t'ont conduite! Roi bon, mais faible; Reine infortunée! Voilà l'abîme affreux où le flottement entre une confiance trop aveugle et une méfiance trop exagérée vous ont conduits! Un effort reste encore aux uns et aux autres; mais c'est le dernier. Soit qu'on y renonce, soit qu'on échoue, un voile funèbre va couvrir cet empire. Quelle sera la suite de sa destinée? Où sera porté ce vaisseau, frappé de la foudre et battu par l'orage? Je l'ignore. Mais si j'échappe moi-même au naufrage public, je dirai toujours avec fierté dans ma retraite: «Je m'exposai à me perdre pour les sauver tous; ils ne le voulurent pas[491]!» Jamais le puissant orateur n'avait été plus net, plus précis, plus sagace. Jamais il n'avait tracé un tableau plus sombre et plus vrai de la situation. Jamais il n'avait plus clairement indiqué le remède. Jamais il n'avait dressé un plan plus étudié, embrassant plus complètement toutes les parties de l'administration et du royaume. Jamais il n'avait été plus éloquent, plus émouvant et plus ému. La Reine, profondément impressionnée par la lecture de cette note, entra avec ardeur dans les vues de son conseiller. Le Roi fut plus difficile à ébranler; les dangers signalés lui paraissaient exagérés, et l'énergie de l'action répugnait à son caractère. Il finit toutefois par accepter le plan de Mirabeau et l'application en fut commencée. La Reine, triomphant de ses propres répugnances, consentait à employer comme intermédiaires Montmorin et Talon, contre lesquels elle nourrissait de vives préventions[492]. Avec Talon, elle se montrait pleine d'esprit et de tact, alliant toutefois à la grâce qui lui était naturelle une réserve que commandait la situation[493]. Avec Montmorin, elle manifestait plus d'ouverture et de confiance[494]. Le Roi faisait, ou plutôt laissait organiser quelques-uns des rouages recommandés par Mirabeau: on créait un atelier de police pour agir sur l'opinion[495]; on gagnait plusieurs journalistes et déjà certains effets favorables se faisaient sentir. Paris semblait mieux disposé pour le Roi: on y parlait moins de la Reine[496]. Les provinces étaient encore bonnes, en grande majorité; les calomnies contre Marie-Antoinette y avaient moins cours, et il eût suffi de s'y montrer pour conquérir promptement la confiance du peuple[497]. On l'avait bien vu à la Fédération. On pouvait trouver là un point d'appui sérieux. La Marck partait pour Metz, afin de concerter avec M. de Bouillé la sortie de la famille royale de Paris, base essentielle de tout projet de restauration[498]. On essayait donc quelque chose; mais c'était encore bien peu, et il fallait d'autres efforts. Ce plan de Mirabeau, d'ailleurs, n'était-il pas trop vaste et trop compliqué pour réussir[499]? Les augustes clients même pour le salut desquels il avait été combiné n'étaient pas le moindre des obstacles à sa bonne et prompte exécution. Le Roi, quand il laissait agir, restait inerte; il méditait chaque jour la vie de Charles Ier[500], dont le portrait était suspendu dans sa chambre; mais c'était plutôt pour apprendre à souffrir et à mourir que pour apprendre à résister. Lorsqu'on lui parlait de ses affaires et de sa position, il semblait, disait tristement un de ses plus dévoués serviteurs, qu'on lui parlât de choses relatives à l'empereur de la Chine[501]. Plus énergique et plus active, la Reine voyait son énergie paralysée par l'inaction de son mari; elle luttait sans espoir contre sa déplorable destinée. «Comme femme, écrivait la Marck, elle est attachée à un être inerte; comme Reine, elle est assise sur un trône bien chancelant[502].» Elle-même, d'ailleurs, mal préparée à la lutte, ne joignait pas à la force du caractère l'habitude des affaires, et la persévérance dans les idées. «La Reine, écrivait encore la Mark, a certainement l'esprit et la fermeté qui peuvent suffire à de grandes choses, mais il faut avouer que, soit dans les affaires, soit même dans la conversation, elle n'apporte pas toujours ce degré d'attention et cette suite qui sont indispensables pour apprendre à fond ce qu'on doit savoir pour prévenir les erreurs et pour assurer le succès[503].» Il était du reste un terrain sur lequel Mirabeau et ses amis se fussent bien difficilement mis d'accord avec la famille royale: c'était la question religieuse, que les premiers jugeaient d'après les principes de la philosophie rationaliste, la seconde avec les lumières de la foi et les délicatesses de la conscience, auxquelles chez Louis XVI, depuis la fatale sanction donnée à la Constitution civile, s'ajoutaient les saintes susceptibilités du remords. Quant aux agents de ce vaste plan, pouvait-on compter absolument sur eux? Montmorin était faible et sans initiative; Talon et Sémonville, suspects; plusieurs autres, d'une fidélité bien chancelante. Restaient la Marck et Mirabeau lui-même. La Marck était actif, capable, sincèrement dévoué. Mais Mirabeau, malgré ses protestations ardentes, ne se livrait pas entièrement. C'est son ami intime, son répondant, la Marck, qui l'observe lui-même. L'exécution chez lui était souvent fort différente du projet, et la réalité, de la promesse[504]. «Il voulait concilier la volonté apparente de servir avec l'inaction, pousser les autres et se tenir en arrière, avoir le mérite du succès _et ne pas mettre sa popularité à de trop fortes épreuves_[505].» De là des indécisions, une inertie parfois et de temps à autre des bouffées de démagogie qui gâtaient tout. Il faut en convenir, d'ailleurs, sa situation était singulièrement critique. Comme l'écrivait justement Fersen, «il n'avait pas autant de moyens pour faire le bien qu'il en avait pour faire le mal[506].» Le mystère même dont il enveloppait sa conduite la rendait plus difficile à soutenir. Le secret gardé le laissait en butte aux rancunes du côté droit; découvert ou même soupçonné, il lui enlevait tout crédit sur la gauche. Mais en tout cas, pour que le plan de Mirabeau pût aboutir, il fallait que celui qui l'avait conçu fût là pour l'exécuter. Il fallait que l'homme puissant qui avait disposé toutes les batteries, qui tenait en main tous les ressorts, continuât à tout diriger. Or, à ce moment même, les jours de Mirabeau étaient comptés; la vie, dont il avait tant abusé, allait lui échapper à l'heure où il en consacrait les restes à la défense, au salut peut-être de ce qu'il avait plus que tout autre contribué à perdre. Dans ces derniers temps, du reste, son attitude est correcte. Le 24 février, il demande qu'on ordonne à la municipalité d'Arnay-le-Duc de laisser Mesdames continuer leur voyage, illégalement interrompu. Le 28, il s'oppose, avec la plus brillante éloquence, au vote d'une loi contre les émigrés et, malgré l'ardeur de la gauche, parvient à la faire repousser. «Si l'on fait cette loi, s'écrie-t-il, je jure de n'y point obéir[507].» Et c'est alors que, violemment interrompu par les Lameth et leurs amis, il leur jette ce cri dédaigneux: «Silence aux trente voix!» Le soir, il paraît encore aux Jacobins pour combattre les chefs de la Révolution, irrités de ses attaques et de ce qu'ils appellent sa défection. Le 23 mars, dans la discussion sur la régence, il prend parti, avec les soutiens des vrais principes monarchiques, pour la régence héréditaire. Ce fut le chant du cygne. Le 27 mars 1791, Mirabeau tombait malade; le samedi 2 avril, il mourait, après avoir demandé à plusieurs reprises son ami le comte de la Marck, le confident de ses derniers projets, et en murmurant ces mots, devenus célèbres: «J'emporte avec moi le deuil de la monarchie; après ma mort, les factieux s'en disputeront les lambeaux[508].» Cette monarchie, l'aurait-il sauvée? Les conditions même dans lesquelles il se dévouait à elle, et que nous avons exposées plus haut, nous en font douter. Mme Elisabeth donnait de ce doute une raison moins politique, mais plus conforme à ses idées religieuses un peu exclusives, quand elle écrivait, le 3 avril, à Mme de Raigecourt: «Mirabeau a pris le parti d'aller voir, dans l'autre monde, si la Révolution y était approuvée. Bon Dieu! quel réveil que le sien!..... Beaucoup en sont fâchés; les aristocrates le redoutent beaucoup. Depuis trois mois il s'était montré pour le bon parti; on espérait en ses talents. Pour moi, quoique très aristocrate, je ne puis m'empêcher de regarder sa mort comme un trait de la Providence sur ce royaume. Je ne crois pas que ce soit par des gens sans principes et sans mœurs que Dieu veuille nous sauver[509].» Sous une forme mystique, la pensée de Mme Elisabeth était vraie; dans ces temps troublés, il est rare que ceux qui ont pu ébranler soient capables ensuite d'affermir et que ceux qui ont démoli sachent reconstruire. C'est la logique des révolutions, et c'est aussi leur justice. CHAPITRE VIII Situation alarmante de Paris: l'émeute en permanence.—Démission de Necker.—Départ de Mesdames.—Le 28 février.—Le 18 avril.—Projets de fuite.—Le comte d'Hinnisdal.—Espérances d'évasion de Saint-Cloud.—Plan de Mirabeau.—Hésitations du Roi.—Ouvertures au marquis de Bouillé.—Le projet est discuté, puis arrêté entre la Reine, Fersen et Bouillé.—Le départ, ajourné à plusieurs reprises, est définitivement fixé au 20 juin. Quelles que fussent les chances de succès du grand plan de Mirabeau, il était évident que ce plan allait disparaître avec son auteur: la clef de voûte tombant, tout l'édifice s'écroulait. Un certain nombre de pygmées pouvaient bien se disputer l'héritage du géant: aucun n'était de taille à le recueillir en entier. Cependant, la situation devenait chaque jour plus critique. L'émeute était en quelque sorte à l'ordre du jour. Dès qu'une mesure prise par l'Assemblée ou le gouvernement déplaisait aux Jacobins, le peuple, ou plutôt la populace de Paris, se soulevait et formulait son opinion à sa manière, en vociférant, pillant et pendant. L'Assemblée n'était pas plus libre que la famille royale. La rue était souveraine maîtresse, et c'est à ce titre que Malouet a pu écrire justement que la Terreur en France datait du 14 juillet 1789[510]. Le mot fut bien plus vrai encore lorsque le gouvernement et le Roi eurent été ramenés de force à Paris. La liste serait longue à dresser des mouvements populaires, à partir seulement du 6 octobre 1789. Nous n'essaierons pas de le faire; nous nous contenterons des émeutes les plus mémorables. Le 2 septembre 1790, à la nouvelle de la répression de la révolte de Nancy par le général de Bouillé, quarante mille hommes s'étaient portés aux Tuileries et à l'Assemblée, en réclamant à grands cris le renvoi des ministres. Un moment même, on avait craint que cette foule ne marchât sur Saint-Cloud, où la famille royale était alors, et n'y renouvelât les scènes de Versailles[511]. Le 4 septembre, Necker, effrayé, avait quitté le ministère et la France. Deux mois après, l'hôtel d'un membre de l'Assemblée, le duc de Castries, était pillé, pour le punir d'avoir blessé dans un duel loyal l'un des héros populaires, Charles de Lameth. Le 27 janvier 1791, des bandes allaient huer Clermont-Tonnerre et l'assaillir dans sa maison et fermaient de force, avec la complicité pusillanime de Bailly, le club des Impartiaux, dont il était président[512]. «Nous n'avons pas eu de tapage depuis huit jours,» écrivait le 5 février Mme Elisabeth à Mme de Raigecourt[513]. Mais ce calme inaccoutumé ne devait pas durer longtemps. Moins de deux semaines après, la nouvelle du départ de Mesdames donnait un nouvel aliment à l'agitation populaire. Une députation des sections se rendit aux Tuileries et prétendit forcer le Roi à interdire à ses tantes de s'éloigner. Louis XVI refusa. Mesdames partirent le 19 février. Arrêtées par la municipalité d'Arnay-le-Duc, les deux princesses ne purent continuer leur voyage qu'en vertu d'un décret de l'Assemblée, après une inconvenante plaisanterie de Menou, pour qui les tantes du monarque n'étaient plus que deux vieilles femmes, tant le respect de l'autorité et de la famille royale avait, en moins de deux ans, disparu du langage et des mœurs! On répandit le bruit que ce départ de Mesdames n'était qu'un prélude, que le Roi, la Reine et Monsieur ne tarderaient pas à suivre l'exemple de Mme Adélaïde et Mme Victoire. Sept à huit cents personnes, lie du peuple, filles de la rue Saint-Honoré et leurs souteneurs, se portèrent tumulteusement au Luxembourg, forcèrent Monsieur et Madame à aller aux Tuileries et ne les quittèrent qu'après s'être assurés qu'ils y étaient entrés[514]. Le 24, un ramassis confus de filles publiques, d'émissaires des Jacobins et d'hommes déguisés en femmes envahit le jardin des Tuileries et demanda en hurlant que le Roi ordonnât à ses tantes de revenir. Sur l'injonction de cette bande, les soldats ôtèrent leur baïonnette et Bailly proposait qu'on ouvrît les portes et qu'on introduisît dans le Château une vingtaine de délégués qui voulaient voir le Dauphin, qu'on disait parti comme Mesdames[515]. Heureusement, la garde fut plus ferme que le maire; la foule fut sommée de se disperser, et au premier roulement de tambour, tout s'enfuit comme une volée d'oiseaux[516]. Le 28 février, la chose était plus grave. La commune de Paris faisait en ce moment réparer le château de Vincennes. Le bruit se répandit que ces réparations n'étaient qu'un moyen de favoriser une évasion du Roi, qui, par des conduits souterrains, irait des Tuileries à Vincennes, et de là à la frontière. Des bandes d'ouvriers des faubourgs, armés de pioches et de piques, se dirigèrent sur Vincennes pour démolir le donjon. Lafayette et la garde nationale les suivirent et parvinrent à les disperser. Mais la nouvelle de ce mouvement populaire s'était répandue. Un certain nombre de gentilshommes, redoutant quelque attaque des Tuileries en l'absence de la milice parisienne, s'y rendirent. Ils étaient trois cents environ, la plupart avaient des armes pour défendre la famille royale et au besoin se défendre eux-mêmes; le motif même qui les avait conduits au Château l'exigeait. Une fois là, y eut-il des imprudences de commises par quelques jeunes gens, comme semble le croire Mme Elisabeth[517]? Affichèrent-ils une attitude hostile ou tinrent-ils des propos blessants pour la garde de service? Y eut-il, au contraire, comme le prétend Hue[518], de l'eau-de-vie distribuée aux gardes nationaux pour échauffer les têtes? Ce qui est certain, c'est qu'un conflit éclata, et le bruit se répandit que ces amis de la royauté n'étaient venus que pour enlever le Roi et opérer une contre-révolution. A peine de retour de Vincennes, Lafayette accourut au Château, apostropha durement les gentilshommes et voulut les désarmer. Ils résistèrent; mais le Roi, soucieux d'éviter à tout prix une lutte, pria lui-même ses défenseurs de remettre leurs armes dans son cabinet, leur promettant qu'elles leur seraient rendues le lendemain. On obéit; une heure après, les gardes nationaux exigèrent que les armes fussent portées chez M. de Gouvion, major général; au bas de l'escalier, elles furent pillées[519]. Quant aux fidèles serviteurs, déjà victimes de cette humiliante exigence, lorsqu'ils sortirent des Tuileries, à huit heures du soir, on les fouilla, on les hua, on les maltraita; on en conduisit plusieurs à l'Abbaye[520]. Des vieillards même, comme le maréchal de Mailly, ne furent pas à l'abri des insultes et des coups[521]. Le lendemain, Lafayette fit afficher sur les murs de la capitale une proclamation pour prévenir la garde nationale qu'il avait donné des ordres aux «chefs de la domesticité»,—c'est ainsi qu'il nommait les gentilshommes de la Chambre,—afin qu'on ne laissât plus entrer au Château d'hommes armés et «d'un zèle très justement suspect[522]», confirmant ainsi par ces paroles les faux bruits de complot et autorisant de son prestige populaire l'absurde et mortelle légende des _Chevaliers du poignard_. «Tout est fort tranquille depuis ce moment-là, écrivait, le 2 mars, Mme Elisabeth, toujours prompte à se rassurer ou plutôt à rassurer ses amies, et je crois que c'est fini, parce que les méchants ont obtenu ce qu'ils voulaient et que nous autres, bonnes bêtes, nous ne voyons pas plus loin que le bout de notre nez et donnons tête baissée dans tous les pièges que l'on nous tend[523].» La princesse se trompait: rien n'était fini. La journée du 28 février avait aggravé le dissentiment entre les monarchistes et les Constitutionnels et fait descendre l'autorité du Roi de toute la hauteur dont avait grandi celle de Lafayette. Mais ce n'était, en somme, qu'un incident et un symptôme. Une question plus grave, sur laquelle le Roi ne pouvait se mettre d'accord avec l'Assemblée, pas plus qu'avec Mirabeau, c'était la question religieuse. Louis XVI était profondément pénétré des principes du catholicisme. Il avait bien pu, dans un moment de faiblesse, donner sa sanction à la Constitution civile du clergé[524], et aux décrets qui exigeaient des évêques et des prêtres un serment contraire à leur conscience[525]; mais le remords même qu'il en éprouvait rendait plus inébranlable désormais son attachement à sa foi, et nulle force humaine n'eût pu le contraindre à se servir du ministère d'un prêtre assermenté, qui n'était à ses yeux qu'un prêtre schismatique. Marie-Antoinette n'était pas moins ferme. Vainement Montmorin et Mirabeau, qui ne comprenaient pas ces scrupules, les pressaient-ils de se rendre à des cérémonies où officiaient des membres du clergé constitutionnel et à donner un semblant de satisfaction à l'opinion démocratique, en assistant le dimanche à la messe de leur paroisse. Ni le Roi ni la Reine n'y voulaient consentir, et le Roi avait nettement refusé d'admettre dans sa chapelle des ecclésiastiques assermentés[526]. Cependant, Pâques approchait. Louis XVI, souffrant depuis les scènes douloureuses du 28 février et privé de l'exercice auquel il était accoutumé[527], avait besoin de respirer un air plus pur que celui de Paris. Il résolut d'aller passer la semaine sainte à Saint-Cloud, où il aurait en même temps plus de liberté pour remplir ses devoirs religieux. Les préparatifs furent faits au grand jour. Mais les meneurs répandirent le bruit que le voyage annoncé en dissimulait un autre, que ce n'était pas à Saint-Cloud, mais à Metz que le Roi devait aller, et qu'en tout cas il était poussé à ce voyage par des scrupules indignes d'un monarque constitutionnel. Les ennemis du catholicisme devenaient chaque jour plus intolérants. Le 3 avril, on avait installé dans toutes les paroisses de Paris les curés assermentés. Les fidèles, usant de leur droit de ne point assister à des cérémonies célébrées par des schismatiques, avaient loué l'église des Théatins pour y exercer leur culte. Mais lorsqu'ils s'y présentèrent, le jour des Rameaux, 17 avril, une foule ameutée les maltraita; des femmes furent insultées, des jeunes filles fustigées, et le soir le club des Cordeliers avait engagé à faire, le lendemain, une démonstration au Château, afin de forcer le Roi à renvoyer les prêtres de sa chapelle et à faire ses Pâques à Saint-Germain-l'Auxerrois[528]. Déjà, ce même jour, la garde nationale avait voulu empêcher les aumôniers royaux de dire la messe aux Tuileries[529]. En présence de cette effervescence, Louis XVI, désireux de ne pas donner prétexte à des troubles, avait, assure-t-on, renoncé à son projet de départ; il ne l'avait repris que sur les instances de Lafayette et de Bailly, qui se croyaient sûrs de maintenir l'ordre[530]. L'événement ne tarda pas à leur prouver que le vrai maître de Paris, ce n'était pas eux, mais le club des Cordeliers. Le lendemain matin, en effet, lundi saint, 18 avril, la foule se porta en masse aux Tuileries. Lorsque, vers onze heures[531], le Roi et la Reine parurent pour monter en voiture, ils furent assaillis par des clameurs hostiles. Ils prirent place néanmoins dans une berline avec leurs enfants, Mme Élisabeth et Mme de Tourzel[532]. Mais le départ fut impossible. La garde nationale, d'accord avec les émeutiers, obstruait les portes, entourait les voitures, croisait la baïonnette sur le poitrail des chevaux[533], apostrophait le Roi et la Reine de la manière la plus grossière[534]. «A bas les valets! A bas les chevaux! criait-on. On ne doit pas sortir de Paris avant la fin de la Constitution.» Vainement Lafayette harangua-t-il sa troupe; la troupe désobéit. Vainement le Roi disait-il à Bailly: «Il serait étonnant qu'après avoir donné la liberté à la nation, je ne fusse pas libre moi-même[535]!» Pendant deux heures, la famille royale resta dans son carrosse, exposée aux insultes de la populace[536]. Pendant deux heures, Lafayette essaya vainement de rappeler enfin les perturbateurs à l'ordre et les soldats à la discipline. Ni ordres, ni prières, ni menaces ne furent écoutés. Le tumulte croissait d'heure en heure; le maire refusait de proclamer la loi martiale[537]. Les serviteurs du Roi étaient maltraités[538]; le grand aumônier, mis en joue[539]; M. de Duras, frappé avec une telle violence que le Dauphin se prît à pleurer[540]. Pour éviter de nouveaux excès, il fallut renoncer au voyage. Satisfaite de sa victoire, la garde nationale protesta de son dévouement: «Soyez tranquille, nous vous défendrons,» disaient les soldats à la Reine, en se pressant autour d'elle.—«Oui,» répondit ironiquement la princesse, «nous y comptons; mais vous avouerez à présent que nous ne sommes pas libres[541].» Et prenant le Dauphin dans ses bras, elle rentra fièrement aux Tuileries. Le soir, les gardes nationaux prétendirent encore fouiller les appartements, même la chambre du Roi, même les greniers, même les remises, sous prétexte d'y trouver des prêtres réfractaires[542], et, à dix heures, un homme, sur le Carrousel, lisait à haute voix un papier rempli d'horreurs contre le Roi, exhortant le peuple à forcer le Château, à tout jeter par les fenêtres et surtout à ne pas manquer l'occasion, comme on l'avait manquée à Versailles, au 6 octobre[543]. Le lendemain, le Roi se rendit à l'Assemblée et protesta énergiquement contre la violence qui lui avait été faite. Le président Chabroud se contenta de répondre «qu'une inquiète agitation est inséparable des progrès de la liberté[544].» Cette agitation croissant toujours, le Roi engagea son premier aumônier, le cardinal de Montmorency, Mgr de Roquelaure et Mgr de Sabran, ses aumôniers, les prêtres de sa chapelle, les premiers gentilshommes de la Chambre, MM. de Duras et de Villequier, à s'éloigner de lui; la Reine adressa la même invitation à sa dame d'honneur, Mme de Chimay, à sa dame du palais, Mme de Duras; et le jour de Pâques, 24 avril, Louis XVI et Marie-Antoinette furent contraints d'aller à Saint-Germain-l'Auxerrois, paroisse des Tuileries, assister à la messe solennelle chantée par l'intrus qui avait remplacé le vénérable curé, démissionnaire pour refus de serment. Seule, Mme Élisabeth, quoique menacée des derniers outrages, put se dispenser d'une cérémonie qui froissait si légitimement sa conscience[545]. C'était là sans doute ce que Chabroud entendait par les progrès de la liberté! La semaine fut triste pour les prisonniers des Tuileries; le deuil de l'église, pendant les jours saints, s'accordait trop bien avec le deuil de leurs propres cœurs pour qu'ils n'en fussent pas émus. «La solitude des Tuileries, dit Mme de Tourzel, la vue du Roi, privé de ses grands officiers, et nous tous à la veille d'être forcés de nous éloigner de sa personne, les offices de l'Eglise, auxquels nous assistions régulièrement et qui offraient des analogies si frappantes avec la situation, le tombeau du jeudi saint, espèce de cénotaphe entouré de cyprès et sur lequel il y avait une couronne d'épines, emblème si juste de celle que portait le Roi, tout contribuait à augmenter la profonde tristesse dont nous étions pénétrés et qu'il fallait renfermer en soi-même pour ne la pas faire partager à notre pauvre petit Dauphin[546].» C'en était trop. L'homme avait pu généreusement pardonner les outrages dont on n'avait cessé de l'abreuver; le Roi avait fait largement le sacrifice de son autorité; mais, violenté dans sa conscience, le chrétien se redressa. Louis XVI résolut de sortir de ce Paris, qui n'était plus pour lui qu'une prison. Depuis longtemps déjà, les serviteurs les plus anciens de la monarchie, comme les conseillers de la dernière heure, considéraient le départ du Roi comme indispensable au salut de la royauté. Le lendemain même du jour où l'émeute triomphante l'avait ramené dans la capitale, les hommes d'Etat, vraiment dignes de ce nom, avaient jugé qu'il n'y pouvait rester, parce qu'il n'y avait pas la liberté nécessaire. Les projets d'évasion se succédaient sans relâche. De quelque mystère que la mort de M. de Favras ait enveloppé ses projets, il est certain que la base première en était le départ de la famille royale, volontaire ou forcé. Un peu plus tard, en mars 1790, un député de la noblesse, le comte d'Hinnisdal, avait organisé tout un plan pour enlever le Roi; la garde nationale de service était gagnée; les hommes étaient à leur poste; les relais étaient disposés; tout était prêt, sauf le consentement de Louis XVI. M. Campan fut chargé de sonder le prince, un soir, pendant qu'il jouait au whist avec la Reine et sa famille. Le Roi fit d'abord la sourde oreille, puis, pressé de se prononcer: «Dites à M. d'Hinnisdal, répondit-il, que «je ne puis consentir à me laisser enlever.»—«Vous entendez bien, reprit la Reine, le Roi ne peut consentir à ce qu'on l'enlève.» Espérait-elle qu'on ne tiendrait pas compte de cette défense ambiguë, qui pouvait cacher un acquiescement tacite? Toujours est-il que, suivant Mme Campan, elle resta jusqu'à minuit à préparer sa cassette. Mais aucun bruit ne vint troubler le silence de la nuit: M. d'Hinnisdal, mécontent de la réponse équivoque du Roi et ne voulant pas agir sans l'assentiment positif de ceux pour lesquels il se compromettait, avait renoncé à l'entreprise[547]. Si le départ était difficile à Paris, il était plus praticable à Saint-Cloud, où la famille royale passa l'été de 1790. Le Roi y était sans gardes, accompagné d'un seul aide-de-camp de Lafayette; la Reine n'avait de même qu'un seul homme de service auprès d'elle. Souvent tous deux sortaient de bonne heure et rentraient tard, sans qu'on s'en inquiétât. On voyageait encore sans obstacle en France; il était facile de quitter Saint-Cloud et de là de gagner une province sûre. Mme Campan affirme qu'un plan d'évasion fut alors combiné: le Roi se serait rendu seul à un bois distant de quatre lieues du Château, où la famille royale l'aurait rejoint[548]. D'autre part, Mme de Tourzel raconte—et cela semble bien être le même fait,—que M. de la Tour du Pin, ministre de la guerre, avait supplié Louis XVI de profiter de son séjour à la campagne pour partir, promettant de disposer des régiments fidèles pour protéger la route et assurant—l'avenir ne lui donna que trop raison—que cette occasion perdue ne se retrouverait plus[549]. Les meilleurs serviteurs du monarque, sa famille elle-même, souhaitaient vivement qu'il acceptât cette proposition. Mme Elisabeth l'espérait: elle croyait voir à certains symptômes, suivant son langage énigmatique, que «la guérison approchait[550]». Un moment en effet, après la discussion sur les événements d'octobre, on crut que le Roi, indigné des résolutions de l'Assemblée, céderait aux conseils de M. de la Tour du Pin. Un jour, s'il faut en croire le comte Esterhazy, Louis XVI gagna les hauteurs de Saint-Cloud et sortit par une porte du parc qui était condamnée et qu'il fit enfoncer. Il était accompagné du duc de Brissac, de MM. de la Suze, de Tourzel et Esterhazy. On descendit par la plaine auprès de Rueil et, après avoir passé le pont de Chatou, on entra dans la forêt du Vésinet. Là, le Roi tourna à droite et lança son cheval sur la route de Maisons. La Reine, de son côté, était sortie en voiture avec Mme Elisabeth et son fils. Tout faisait supposer qu'on pousserait plus loin: on eût trouvé un bateau pour traverser la Seine et de l'autre côté du fleuve des voitures pour gagner Chantilly où les chevaux du prince de Condé, encore dans les écuries, auraient servi de relais pour se rendre à l'armée. Tout à coup, le Roi s'arrêta et l'on retourna à Saint-Cloud. Les espérances étaient encore une fois déçues. A sa rentrée au Château, le comte Esterhazy ne put s'empêcher de dire à la Reine son désappointement en insistant sur l'urgence de se soustraire à la surveillance des geôliers. La Reine répondit qu'elle pensait bien comme lui,—elle l'avait déjà déclaré à Mme Campan[551].—Mais elle désespérait d'obtenir le consentement du Roi, sinon lorsqu'il ne serait plus temps; quant à elle, elle était résolue à ne jamais se séparer de son mari et à suivre le sort que la destinée lui préparait[552]. A ce moment, pourtant, les négociations avec Mirabeau étaient en plein cours et le plan de Mirabeau reposait avant tout sur la sortie de Paris. Seulement,—et c'est là que le puissant orateur différait d'avis avec la Tour du Pin et Esterhazy,—Mirabeau n'admettait pas une évasion. «Un roi, qui est la seule sauvegarde de son peuple, disait-il, ne fuit pas devant son peuple; il ne se met pas dans la position de ne pouvoir rentrer au sein de ses États que les armes à la main, ou d'être réduit à mendier des secours étrangers[553].» Et il écrivait de même à la Marck: «Un roi ne s'en va qu'en plein jour, quand c'est pour être roi[554].» C'était sa conviction au lendemain même des journées d'octobre. Il voulait qu'on se retirât à Rouen, au sein de la Normandie, province fidèle, à proximité de la Bretagne et de l'Anjou, qui ne l'étaient pas moins[555], et où il serait facile de s'entourer de troupes sûres. L'année suivante, c'était à Fontainebleau qu'il demandait qu'on se transportât[556], mais toujours en plein jour, après avoir prévenu officiellement l'Assemblée et sous la protection de la garde nationale, à laquelle on associerait un régiment d'infanterie, le Royal-Comtois, alors en garnison à Orléans et animé d'un excellent esprit, et deux cents cavaliers du régiment de Lorraine, qu'on ferait venir de Rambouillet[557]. Plus tard, lorsque l'esprit révolutionnaire eût fait de nouveaux progrès, ce ne fut plus de Fontainebleau, ville ouverte et à la merci d'un coup de main, qu'il s'agit, mais d'une ville fortifiée et plus rapprochée de la frontière, Compiègne ou Beauvais[558], d'où l'on pouvait aller plus loin, sous la protection de l'armée de M. de Bouillé[559]. Mais le grand obstacle à l'exécution de ce plan, c'était l'indécision du Roi. Louis XVI manifestait pour un départ, sous quelque forme qu'il se présentât, la même répugnance qu'il avait déjà si malheureusement montrée lors des néfastes journées d'octobre, et sans s'y refuser positivement, il opposait la plus fatale des résistances, la force d'inertie. La Reine y était plus résolue: «Il faudra pourtant bien s'enfuir,» avait-elle dit un jour à Mme Campan[560]. Mme Elisabeth l'était plus encore, mais elle n'était guère appelée au conseil et ses lettres à ses amies sont pleines de ses doléances sur cette funeste inaction de son frère. Après tant d'alternatives d'espoir et de déceptions, le 24 octobre, peu après la tentative avortée qu'a racontée le comte Esterhazy, elle écrivait à Mme de Raigecourt, dans ce style figuré qui servait à sa correspondance: «J'ai vu l'homme qui est si beau; il est un peu à la désespérade. Mon malade a toujours des engourdissements dans les jambes, et il craint que cela ne gagne tellement les jointures qu'il n'y ait pas de remède[561].» La Reine négociait de divers côtés, dépêchait courriers sur courriers, lettres sur lettres, à son frère et à M. de Mercy, demandait des conseils, des secours, de l'argent. Le Roi restait à l'écart, comme s'il se désintéressait des projets de sa femme et des espérances de sa sœur. A la fin d'octobre 1790, cependant, il se décida à entrer en relations avec le général qui commandait à Metz, le marquis de Bouillé. Mirabeau lui-même l'avait indiqué; ses services et ses talents le recommandaient plus encore. Connu jadis par de brillants exploits aux Antilles, pendant la guerre d'Amérique, plus récemment par la vigueur avec laquelle il avait réprimé l'insurrection de Nancy, très estimé de l'armée, très aimé même des gardes nationales, très royaliste et cependant très populaire, très énergique de caractère et très modéré d'opinion, inclinant même, dit-on, vers une constitution modelée sur celle de l'Angleterre[562], le marquis de Bouillé était l'homme désigné pour être le défenseur suprême de la royauté aux abois. Il commandait à Metz et cette situation, en plaçant sous ses ordres les places fortes de la frontière, lui permettait d'y assurer un refuge à la famille royale. Lui-même déjà avait étudié un plan de départ du Roi, car c'était là la question capitale qui préoccupait à juste titre tous les royalistes, comme la base indispensable de toute restauration monarchique. Il ne fut donc nullement surpris lorsque, à la fin d'octobre 1790, l'évêque de Pamiers, Mgr d'Agout, vint lui exposer le dessein du Roi. Seulement, le dessein du Roi différait essentiellement de celui du général. Comme Mirabeau, M. de Bouillé eût voulu un départ en plein jour, sur la demande des départements et des troupes, auxquels il ne pensait pas que l'Assemblée pût s'opposer[563]. Louis XVI, entraîné par sa faiblesse naturelle, qui avait horreur de toute mesure énergique, préférait une évasion. Au reste les détails de ce plan n'étaient point encore arrêtés, et l'exécution n'en aurait lieu qu'au printemps[564]. Le général fit quelques objections; elles tombèrent devant la volonté royale, et il n'y eut plus qu'à désigner la ville qui semblerait offrir la retraite la plus sûre. Après un long échange de lettres, le Roi se décida pour Montmédy; l'époque du départ fut fixée à la fin de mars. Les choses en étaient là, et M. de Bouillé, tout en regrettant la résolution de Louis XVI, en préparait l'exécution, lorsque, au mois de février, il reçut la visite du comte de la Marck. Le prince s'était enfin décidé à accepter le plan de Mirabeau, et M. de la Marck en venait confier les détails au commandant de l'armée de Metz. Le Roi sortirait de Paris en plein jour et s'en irait à Compiègne, où M. de Bouillé le recevrait et l'entourerait de troupes fidèles, soit pour rester là, soit pour aller plus loin, si les circonstances l'exigeaient. Une fois en liberté, il adresserait une proclamation au pays et l'on ne doutait pas que le mécontentement général, venant à l'appui de la protestation du souverain, ne forçât l'Assemblée à modifier la Constitution ou ne permît au Roi de convoquer hors de Paris une nouvelle Législature, qui accomplirait les réformes demandées par l'opinion et rendrait à la royauté l'exercice légitime de son autorité[565]. Mirabeau croyait pouvoir compter sur trente-six départements; M. de Bouillé sur six, et d'ailleurs la plupart des administrations départementales étaient royalistes[566]. M. de Bouillé approuva ce plan, qu'il préférait beaucoup à la retraite sur Montmédy, et supplia Louis XVI d'en poursuivre l'exécution, en continuant à se servir de son habile et puissant conseiller[567]. Malheureusement Mirabeau mourut et le Roi retomba plus que jamais dans ses indécisions. La situation d'ailleurs s'aggravait à chaque instant. Si, au début de février, on pouvait sortir de Paris en plein jour, le pourrait-on deux semaines plus tard, après l'aventure de Mesdames? Si les tantes du Roi avaient eu tant de peine à passer, laisserait-on partir le Roi lui-même? L'émeute, qui avait forcé Monsieur à venir coucher aux Tuileries, n'était-elle pas un signe de ce que pouvait et voulait la populace parisienne? Deux mois après, toute illusion à ce sujet, s'il y en avait encore, devait cesser: la garde nationale qui, malgré Lafayette et Bailly, ne permettait même pas à la famille royale d'aller à Saint-Cloud, lui permettrait bien moins encore d'aller à Compiègne. L'impossibilité d'un départ public apparaissait manifestement, et cette atteinte à sa liberté, qui déterminait enfin irrévocablement le Roi à sortir de Paris, ne lui laissait que les chances d'une évasion. On revint au dessein primitif de Louis XVI, la fuite sur Montmédy. Le 20 avril, la Reine écrivait à Mercy: «L'événement qui vient de se passer nous confirme plus que jamais dans nos projets. La garde qui est alentour de nous est celle qui nous menace le plus. Notre vie même n'est pas en sûreté.., Notre position est affreuse; il faut absolument en finir dans le mois prochain. Le Roi le désire encore plus que moi[568].» Cette lettre et celles qui suivirent révèlent le plan de la famille royale: jusqu'à ce que le départ fût possible, Louis XVI se renfermerait dans une inertie absolue, accepterait sans résistance des lois que le manque de liberté entacherait plus tard de nullité et, en attendant, s'efforcerait de se procurer des ressources et de se ménager des appuis. Il fallait trouver quinze millions[569]; on espérait les avoir en Hollande[570]. L'Espagne et la Sardaigne, par des mouvements de troupes sur la frontière, pouvaient exercer une pression morale qui aiderait à l'explosion du mécontentement des provinces. La Prusse et l'Autriche, si elles parvenaient à se mettre d'accord, prendraient en main les réclamations des princes possessionnés d'Alsace et protesteraient, «non pas, disait la Reine, s'associant à la pensée de Mirabeau, pour faire une contre-révolution ou entrer en armes, mais comme garants de tous les traités, de l'Alsace et de la Lorraine, et comme trouvant fort mauvaise la manière dont on traite un roi[571].» Si la Prusse, dont la conduite était suspecte et dont l'agent, le juif Ephraïm, fournissait de l'argent aux révolutionnaires, si l'Angleterre, dont on cherchait, avec peu de chances de succès, de s'assurer la neutralité[572], si la Hollande voulaient s'opposer à la restauration de l'ordre en France, les Puissances du Nord, la Russie et la Suède, pourraient faire contrepoids et leur en imposer[573]. En attendant, les démonstrations que l'Autriche ferait aux Pays-Bas permettraient à M. de Bouillé de rassembler des troupes et des munitions à Montmédy[574]. Malheureusement plus on tardait, plus les difficultés augmentaient. L'esprit des troupes, encore bon à la fin de 1790, s'était affreusement gâté depuis le commencement de 1791, surtout depuis que du Portail, créature des Lameth, avait remplacé au ministère de la guerre le loyal la Tour du Pin. A sa demande, l'Assemblée avait autorisé les soldats à aller dans les clubs, et cette fréquentation déplorable n'avait pas tardé à désorganiser la discipline. Au commencement de mai, M. de Bouillé ne pouvait plus compter que sur huit ou dix bataillons allemands ou suisses et une trentaine d'escadrons de cavalerie; l'infanterie presque tout entière, l'artillerie en entier avaient passé à la Révolution[575]. L'esprit des populations civiles avait subi les mêmes influences que celui de l'armée. Les menaces des émigrés, les bruits de complots des aristocrates, de trahison des officiers, habilement répandus et perfidement exploités, avaient à la fois effrayé et exaspéré les habitants des frontières, et les avaient surexcités contre le Roi qu'ils supposaient d'accord avec les Français du dehors[576]. Une lutte était donc possible, et, dans cette prévision, Louis XVI avait réclamé le secours des Cantons suisses[577], dont la cause était liée à celle de la France par des Capitulations séculaires, et, pour le premier moment, si besoin en était, un corps de huit à dix mille Autrichiens[578]. Non pas qu'il voulût une intervention directe des Puissances étrangères dans les affaires du pays,—la Reine l'avait formellement répudiée dans sa lettre du 12 juin 1790, à M. de Mercy[579].—Il ne demandait que leur appui moral, ou, s'il devait faire appel aux dix mille hommes de son beau-frère, il ne les acceptait que «comme auxiliaires[580]», entendant bien les faire marcher à côté des troupes françaises, sous l'étendard royal, comme Henri IV, obligé, lui aussi, de reconquérir son royaume, avait eu à ses ordres les soldats d'Élisabeth et les reîtres de Schomberg, comme chaque jour encore des régiments allemands ou suisses servaient dans l'armée française, à côté des milices nationales. Cela même, il ne le ferait qu'à la dernière extrémité; il espérait toujours éviter la lutte, quoique Mirabeau, avant de mourir, en eût plus que jamais proclamé l'imminence et la nécessité[581]. Mais il importait avant tout de calmer l'opinion publique et pour cela d'arrêter les entreprises des émigrés. C'était le but auquel tendaient les efforts de la Reine. Ses instructions à ses agents, sa correspondance avec son frère et Mercy sont remplies des plus pressantes instances pour que l'Empereur, par ses conseils et au besoin par son autorité, s'oppose aux coups de tête du comte d'Artois: «Notre sûreté et notre gloire, écrivait-elle, tiennent à nous tirer d'ici; j'espère n'en pas laisser le mérite uniquement à d'autres[582].» Après la sortie de Paris, que ferait-on? Les lettres de Marie-Antoinette, la correspondance du marquis et de la marquise de Bombelles, les Mémoires récemment publiés de Mme de Tourzel, les déclarations même de Louis XVI permettent de le reconstituer. Une fois rendu à Montmédy, dans une place française, au milieu des troupes de M. de Bouillé, le Roi appellerait à lui tous les sujets fidèles; il donnerait l'ordre aux émigrés de rentrer en France, et, appuyé sur ces forces, y joignant, si besoin en était, les dix mille hommes de son beau-frère, soutenu plus encore par le mouvement qui ne manquerait pas de se produire dans les provinces, lorsqu'elles sauraient le souverain en liberté et trouveraient en lui un centre d'action et un point d'appui, il adresserait un manifeste au pays. Il protesterait hautement contre les agissements de l'Assemblée, qui, sur les points les plus essentiels, avait outrepassé les instructions de ses mandants, déclarerait nuls, «par défaut absolu de liberté,» les actes qu'on lui avait arrachés depuis le 6 octobre 1789, et affirmerait qu'il ne rentrerait à Paris que lorsque «une Constitution, qu'il aurait acceptée librement, ferait que la religion serait respectée, que le gouvernement serait rétabli sur un pied stable, et que, par son action, les biens et l'état de chacun ne seraient plus troublés, que les lois ne seraient plus enfreintes impunément, et qu'enfin la liberté serait posée sur des bases fixes et inébranlables[583].» Cette Constitution aurait-elle été un retour à l'ancien régime? Assurément non: le mot même de _constitution_ en excluait la pensée. Jamais Louis XVI,—le fait est banal à force d'être évident,—jamais Louis XVI n'avait souhaité le pouvoir absolu et, en 1791, il le souhaitait moins que jamais. «Le Roi, écrivait, le 13 juillet, la marquise de Bombelles, bien au courant des intentions de la famille royale, puisque son mari était, avec le baron de Breteuil, l'agent accrédité de la Cour à l'étranger, le Roi voulait revenir à la déclaration du 23 juin, par laquelle il remplissait le vœu que la nation avait témoigné par ses mandats lors des États généraux; il restreignait son pouvoir, mais en même temps il l'assurait et rassurait les esprits; car jamais le despotisme ne pourra plus avoir lieu en France et, il faut être juste, _il n'est pas désirable_. Le Roi ne voulait donc pas conquérir son royaume, armé de forces étrangères; il voulait en imposer à ses sujets et traiter avec eux[584].» Pour satisfaire les intérêts en éloignant l'idée d'une banqueroute imminente, il aurait garanti le paiement des rentes viagères en entier, réduit l'agiotage et les emprunts onéreux à un taux raisonnable, et, en rendant au clergé ses biens, l'aurait chargé de rembourser les assignats. Cela était possible, disait Fersen, et les biens du clergé réalisés par lui, comme il l'avait proposé, auraient produit des résultats qu'on ne pouvait attendre avec la confiscation par l'Assemblée. Ainsi, les capitalistes, qui avaient tout fait pour la Révolution et que la Révolution menaçait maintenant dans leurs intérêts, seraient rassurés et se seraient prononcés pour un retour de l'autorité royale, qu'ils redoutaient moins encore que la banqueroute[585]. Etait-ce suffisant? Il est permis d'en douter. Mais il importe de remarquer pourtant qu'après l'échec de Varennes, et lorsqu'on se trouva en présence de la Constitution si défectueuse que l'Assemblée avait substituée aux propositions du Roi, bien des gens de ceux-là même qui avaient applaudi à l'arrestation de Louis XVI, qui y avaient peut-être contribué, en vinrent,—c'est un témoin non suspect qui l'affirme,—à regretter ce qu'on appelait _le plan de Montmédy_; car, disait-on, il promettait à la France une constitution également éloignée des deux extrêmes[586]. La Reine partageait la pensée de son mari. Elle avait déclaré, dès le commencement de 1790, qu'elle ne voulait pas de «contre-révolution[587];» elle l'avait redit le 12 juin[588] et, le 3 février 1791, elle écrivait encore à Mercy: «Nous sommes décidés à prendre pour base de la Constitution la déclaration du 23 juin, avec les modifications que les circonstances et les événements ont dû y apporter[589].» Quelles eussent été ces modifications? Nous ne saurions le dire; mais il est certain que Marie-Antoinette, comme Louis XVI, était décidée à donner satisfaction aux vœux des cahiers de 1789, et à faire jouir enfin la France d'une juste et bonne liberté, «telle, disait-elle, que le Roi l'a toujours désirée lui-même pour le bonheur de son peuple, loin de la licence et de l'anarchie qui précipitaient le plus beau royaume dans tous les maux possibles[590].» En attendant la réalisation de ce plan, la Reine était plus surveillée que jamais. Si quelque compatriote, un ami d'enfance, ou un envoyé de son frère, comme le prince de Lichtenstein, venait la visiter dans sa prison des Tuileries, elle était obligée de le congédier au plus vite et de lui bien recommander de ne dire à personne qu'il l'avait vue en particulier: «Quoique je ne l'aie vu,—le prince de Lichtenstein,—qu'une fois chez moi pendant dix minutes, écrivait-elle à Léopold, je crois que tout Autrichien un peu de marque me doit dans ce moment de n'être point ici.» Et elle ajoutait tristement: «Notre santé continue à être bonne, et elle le serait bien davantage, si nous pouvions seulement apercevoir une idée de bonheur alentour de nous; car, pour nos personnes, il est fini pour jamais, quelque chose qui arrive. _Je sais que c'est le devoir d'un roi de souffrir pour les autres; mais aussi le remplissons-nous bien[591]._» CHAPITRE IX Fuite de Varennes.—Arrestation de la famille royale et retour à Paris. Au commencement de juin 1791, tout était préparé pour le départ. Des deux routes qui conduisaient de Paris à Montmédy, Louis XVI avait préféré celle qui passait par Varennes, malgré les inconvénients signalés par M. de Bouillé[592]; mais l'autre traversait Reims, la ville du sacre, et le Roi craignait d'y être reconnu. Un corps de troupes devait être réuni à Montmédy et des détachements disposés le long de la route, à partir de Châlons, pour en assurer le libre passage[593]; quant aux bataillons autrichiens, ils devaient être rendus à Arlon le 12 juin. Un million en assignats avait été expédié par Fersen sous le couvert du comte de Contades[594]. La Reine avait fait envoyer à Arras un trousseau de linge pour elle et ses enfants, à Bruxelles son nécessaire de voyage[595]; le coiffeur Léonard devait emporter ses diamants[596]. Le départ, fixé d'abord à la fin de mai[597], avait été, malgré les instances de M. de Bouillé, qui suppliait de ne pas dépasser le 1er juin[598], reculé au 12 juin[599], puis au 15[600], puis au 19[601], puis au 20, à cause d'une femme de chambre du Dauphin, justement suspecte, qui ne devait quitter son service que le 19 au matin[602]. Et ce dernier retard, décidé le 13 seulement, fut fatal; car il fut en grande partie cause de l'échec du plan. «Il n'y a que deux personnes dans la confidence: M. de Bouillé et M. de Breteuil, écrivait la Reine à son frère, le 22 mai 1791, et une troisième personne qui est chargée des préparatifs du départ[603].» Cette troisième personne était un Suédois, que nous avons déjà rencontré dans cette histoire, le comte Axel de Fersen. Cœur plein de chaleur, caractère plein de noblesse, le comte de Fersen, à l'heure de l'adversité, avait senti redoubler son dévouement à l'auguste famille qui l'avait accueilli aux jours de sa splendeur. «Je suis attaché au Roi et à la Reine, écrivait-il lui-même à son père en février 1791, et je le dois par la manière pleine de bonté dont ils m'ont toujours traité lorsqu'ils le pouvaient; et je serais vil et ingrat, si je les abandonnais, quand ils ne peuvent plus rien faire pour moi et que j'ai l'espoir de pouvoir leur être utile. A toutes les bontés dont ils m'ont toujours comblé, ils viennent d'ajouter encore une distinction flatteuse, celle de la confiance: elle l'est d'autant plus qu'elle est extrêmement bornée et concentrée entre trois ou quatre personnes, dont je suis le plus jeune[604].» Louis XVI et Marie-Antoinette avaient compris qu'il y avait là, dans ce jeune homme, un dévouement à toute épreuve sur lequel ils pouvaient compter, un dévouement désintéressé et pur, qui ne leur demanderait rien. Dégoûtés des services payés, des conseils ambitieux, des exaltés et des incapables, ils s'ouvraient à Fersen en toute confiance, et s'ils pouvaient souhaiter un conseiller plus habile politique et plus rusé diplomate, plus ouvert aux idées modernes, ils ne pouvaient pas rencontrer un serviteur plus chevaleresque et plus sûr. Dès le commencement de 1791, Fersen était devenu leur confident attitré, le dépositaire de leurs pensées et l'agent de leur correspondance. Il chiffrait et expédiait leurs lettres; il recevait et déchiffrait les dépêches adressées à la famille royale; il transmettait leurs instructions au baron de Breteuil et au marquis de Bouillé; le premier, l'agent diplomatique; le second, l'agent militaire du projet d'évasion. C'était M. de Fersen qui s'occupait des préparatifs de départ à Paris; il demandait et obtenait, par l'intermédiaire du ministre de Russie, M. de Simolin, un passeport au nom d'une grande dame russe, la baronne de Korff; il surveillait, chez le carrossier Louis, la confection de la spacieuse berline, destinée à abriter la famille royale tout entière[605]. Cette berline, qui, par ses dimensions, devait exciter les soupçons, avait alarmé la prudence de M. de Bouillé; il avait fait faire des représentations par son fils Louis et proposé de substituer à une voiture unique deux voitures plus légères: l'une eût renfermé le Roi, Mme Elisabeth et Madame Royale; l'autre la Reine et le Dauphin; mais la Reine refusa de se séparer de son mari et répondit que si l'on voulait les sauver, il fallait que ce fût tous ensemble ou point[606]. M. de Bouillé avait demandé aussi qu'on se fît accompagner par le marquis d'Agout, ancien major des gardes du corps, homme de tête et de cœur, dont le concours eût été précieux en cas d'accident ou d'obstacle[607]. Le Roi avait songé à M. de Saint-Priest[608]; le chevalier de Coigny avait proposé un commandant de gendarmerie, ancien maître de postes retiré, M. Priol, très dévoué et qui connaissait parfaitement toutes les routes du royaume[609]. Au dernier moment, on ne prit personne, soit scrupule d'étiquette, soit pour ne pas mettre de nouveaux confidents dans le secret; le Roi ne voulut même pas,—et ce fut profondément regrettable,—être escorté par Fersen, qui était au courant de tout[610]. Quoi qu'il en soit, après tous ces pourparlers et toutes ces tergiversations, le 13 juin, le plan était définitivement arrêté. Le Roi, la Reine, leurs enfants, Mme Elisabeth, Mme de Tourzel et deux femmes de chambre, Mmes de Neuville et Brunier, devaient partir dans la nuit du 20 au 21, les six premiers dans la fameuse berline, les deux autres dans un cabriolet qui précéderait la berline. A défaut de M. d'Agout, trois gardes du corps, MM. de Valori, de Moustiers et de Maldent devaient accompagner la voiture, en qualité et sous le costume de courriers, deux sur le siège, le troisième galopant en avant. A partir de Pont-Sommevesle jusqu'à Montmédy, des postes devaient être échelonnés à tous les relais pour escorter les voyageurs et les protéger au besoin. Fersen aurait préféré qu'on supprimât ces détachements ou du moins qu'on ne les disposât qu'à partir de Varennes: «Il n'y a pas de précautions à prendre d'ici Châlons, écrivait-il à M. de Bouillé; la meilleure de toutes serait de n'en pas prendre. Tout doit dépendre de la célérité et du secret, et si vous n'êtes pas bien sûr de vos détachements, il vaudrait mieux n'en pas placer ou du moins n'en placer que depuis Varennes, pour ne pas exciter quelque attention dans le pays. Le Roi passerait tout simplement[611].» L'événement a prouvé que Fersen avait vu juste. M. de Bouillé lui-même avait objecté, dit-il, «le grand inconvénient qui résulterait de placer une chaîne de postes sur la route[612].» Mais le Roi y tint malheureusement, et il est bien certain que ce luxe de précautions, ces apparences d'étiquette, ce souci de conserver, au milieu d'une fuite, comme un reste de grandeur royale et de confortable princier, nuisirent singulièrement au succès de l'entreprise. Tant de préparatifs ne pouvaient se faire sans exciter les méfiances, toujours en éveil depuis le départ de Mesdames. «Tout serait perdu, si l'on pouvait soupçonner le moindre projet,» écrivait le clairvoyant Fersen au baron de Breteuil[613]. Malgré cela, des indiscrétions, des imprudences, des dénonciations tenaient l'opinion publique en suspens. Des bruits de tentative d'évasion du Roi étaient dans l'air. On en dissertait dans les journaux, on en parlait dans le peuple, on s'en entretenait dans les Comités. Les préparatifs avaient été trop longs et trop importants pour être dissimulés entièrement; les personnes qui y avaient été employées n'avaient pas toujours été discrètes; dès le 21 mai, la femme de garde-robe, qu'on soupçonnait justement et dont on avait eu le tort de continuer à accepter les services, avait dénoncé un projet de départ. S'il faut en croire le marquis de Raigecourt, l'entourage de M. de Bouillé manquait de réserve, et le général, tout «prudent et boutonné qu'il était,» s'oubliait lui-même quelquefois[614]. L'émigration, que la Reine avait tant et si justement recommandé de tenir à l'écart, était instruite, sinon de tout le plan, au moins de la pensée d'un départ prochain. A Londres, devant le prince de Galles, l'ami intime du duc d'Orléans, on en parlait tout haut chez lord Randon[615]. A Bruxelles, on en jasait chez M. de la Queuille, sur un mot de Monsieur, qui avait engagé Mme de Balbi à rester en Belgique, au lieu de rentrer en France[616]. A Paris, l'un des gardes du corps, M. de Maldent, avait l'imprudence d'en faire l'aveu à sa maîtresse, et celle-ci n'avait rien de plus pressé que de le raconter à sa sœur et à sa domestique[617]. L'attention était tellement éveillée que, dès le 11 juin, Lafayette voulait doubler les sentinelles et faire visiter toutes les voitures au Château[618]. Tout cela cependant, il faut bien le dire, se bornait à des inquiétudes vagues. On avait des soupçons, parce que le désir du Roi était trop naturel, pour qu'un projet de départ ne fût pas dans l'ordre même des choses; mais on ne savait rien de positif. Le jour désigné se leva enfin. Tout se passa au Château, comme à l'ordinaire. Le Dauphin sortit à dix heures et demie pour aller à son jardin; à onze heures, la Reine se rendit à la chapelle avec sa suite; au sortir de la messe, elle commanda sa voiture pour cinq heures du soir, afin de conduire ses enfants à la promenade. Pendant ce temps, Mme Elisabeth avait été à Bellevue; elle en revint à une heure; à une heure et demie, le dîner de famille eut lieu[619]. Dans la journée, Fersen vint, s'entretint avec le Roi et la Reine des derniers préparatifs et arrêta la conduite à tenir en cas d'arrestation: «Monsieur de Fersen, lui dit le Roi, quoi qu'il puisse m'arriver, je n'oublierai pas ce que vous faites pour moi.» La Reine pleura beaucoup; à l'approche du danger, son cœur, sans faiblir, s'attendrissait[620]. A six heures, Fersen partit, et Marie-Antoinette, suivant l'ordre donné le matin, monta en voiture avec ses enfants pour aller au jardin de M. Boutin, à Tivoli, où les enfants goûtèrent[621]. Pendant ce temps, elle chercha à préparer l'esprit de sa fille aux événements qui allaient se passer[622]. Au retour de la promenade, vers sept ou huit heures[623], le Dauphin fut conduit chez sa gouvernante, puis à son appartement et prit son repas du soir, servi par son valet de chambre, Cléry, qui ne le quitta qu'à neuf heures, lorsqu'il fut au lit[624]. Madame Royale se coucha à dix heures, comme d'habitude. La Reine se fit coiffer; elle entra ensuite dans le salon et y trouva Monsieur, qui demeura avec elle jusqu'à neuf heures. A ce moment, le Roi, la Reine et Mme Elisabeth passèrent dans la salle à manger. Tout se fit avec le cérémonial accoutumé et, vers dix heures, la famille royale se retira dans ses appartements. Le coucher de la Reine dura peu; lorsqu'elle fut au lit, les portes du corridor furent fermées et les ordres donnés, suivant l'usage, au valet de chambre et au commandant de service pour le lendemain matin. Le coucher du Roi se fit avec le cérémonial ordinaire; Lafayette et Bailly y assistèrent et y causèrent quelque temps[625]. Malgré le secret gardé par les augustes voyageurs vis-à-vis de leurs plus fidèles serviteurs et des membres même de leur famille,—ce fut le jour même, à midi, que Mme Elisabeth fut avertie; Mmes Brunier et de Neuville le furent avant le coucher seulement,—des rumeurs vagues, nous l'avons dit, avaient transpiré; depuis quelques jours, la surveillance était plus active; la garde avait été augmentée; dans l'après-dîner du 20, elle avait même été triplée[626] et le soir un grenadier couchait en travers de la porte de Mme Elisabeth[627]. Mais, depuis longtemps aussi, le Roi avait adopté des mesures pour s'assurer des facilités de sortir du Château. Dès le mois de janvier, des communications secrètes entre les divers appartements de la famille royale avaient été ménagées, et des portes pratiquées dans la boiserie avec un art si subtil qu'il était impossible de les découvrir[628]. En outre, le Roi avait pris la précaution, depuis une quinzaine de jours, de faire sortir, par la grande porte du Château, le chevalier de Coigny, dont la tournure ressemblait à la sienne[629]. Vers dix heures et quart ou dix heures et demie[630], la Reine se leva, alla chez le Dauphin, l'éveilla et le fit descendre à l'entresol avec sa sœur[631]. Mmes Brunier et de Neuville habillèrent les enfants. Madame Royale fut vêtue d'une robe d'indienne mordorée à fleurs bleues et blanches; le Dauphin costumé en petite fille. «Il était charmant, raconte Madame Royale; comme il tombait de sommeil, il ne savait pas ce qu'il faisait. Je lui demandai ce qu'il croyait qu'on allait faire; il me dit qu'il croyait que nous allions jouer la comédie, puisque nous étions déguisés[632].» On passa dans le cabinet de la Reine, puis de là, par les issues secrètes dont nous avons parlé, dans l'appartement inoccupé du duc de Villequier[633], d'où l'on gagna une porte non gardée de la cour des Princes. Il était onze heures et quart[634]. Dans la cour, une voiture attendait depuis une heure; c'était M. de Fersen qui, après avoir réglé dans la soirée les derniers détails du départ[635], s'était déguisé en cocher pour conduire en personne les augustes fugitifs au début de leur voyage. La Reine amena elle-même les enfants et Mme de Tourzel[636], et les installa dans la voiture; puis M. de Fersen partit, fit plusieurs tours sur les quais pour dérouter la surveillance, et revint se ranger près du petit Carrousel[637]. Lafayette passa deux fois[638], mais ne remarqua rien. Au bout d'une demi-heure, dit M. de Fersen[639], de trois quarts d'heure, dit Mme de Tourzel[640], d'une grande heure, dit Madame Royale, dont l'attente anxieuse trouvait le temps long[641], Mme Elisabeth arriva, conduite par un garçon de sa chambre, puis le Roi vers minuit, et enfin la Reine. Elle avait voulu sortir la dernière, et ayant aperçu la voiture de Lafayette, craignant d'être reconnue, elle s'était jetée dans le labyrinthe des ruelles qui environnaient les Tuileries, et s'y était perdue quelque temps avec le garde du corps qui l'accompagnait. Dès qu'elle fut montée dans la voiture, le Roi, que ce retard avait inquiété, la serra tendrement dans ses bras, en répétant: «Que je suis content de vous voir arrivée[642]!» La Reine était en robe du matin, avec un chapeau et un mantelet noir; le Roi portait un chapeau rond, une perruque, une redingote brune et une canne à la main. C'était Mme de Tourzel qui devait jouer le rôle de la baronne de Korff; la Reine était la gouvernante des enfants et s'appelait Mme Rochet; le Roi, le valet de chambre Durand; Mme Elisabeth, la demoiselle de compagnie, Rosalie; le Dauphin et Madame Royale, les deux enfants de Mme de Korff, sous le nom d'Amélie et d'Aglaé[643]. A la barrière Saint-Martin, on rejoignit la berline qu'y avaient amenée M. de Moustier et le cocher de M. de Fersen, Balthazar Sapel. Les deux voitures furent approchées côte à côte, afin que la famille royale pût passer de l'une dans l'autre sans mettre pied à terre. Fersen monta sur le siège, à côté de M. de Moustier. «Allons, hardi; menez vite,» dit-il à son cocher qui conduisait en postillon. On partit, et les quatre chevaux, vivement enlevés, arrivèrent en une demi-heure à Bondy[644]. M. de Valori y avait fait préparer à l'avance un relais de six chevaux; on attela à la hâte; Fersen prit congé des voyageurs en leur jetant ces mots, destinés à tromper les postillons: «Adieu, Madame de Korff[645],» et la voiture, précédée des gardes du corps en courriers, s'élança sur la route de Claye, où elle retrouva Mmes de Neuville et Brunier. Pendant ce temps-là, Fersen, à cheval, retournait à Paris par des chemins de traverse[646] et, le jour même, partait pour la Belgique. Le 22, à six heures du matin, il arrivait à Mons, et le lendemain, à Arlon, il apprenait de la bouche de M. de Bouillé le triste résultat de l'évasion. La famille royale restait seule, livrée à ses propres inspirations et n'ayant d'autres guides que trois jeunes gens assurément très dévoués, mais sans autorité et sans expérience. On avait perdu un temps précieux à la sortie de Paris; on en perdit encore à diverses reprises, et malheureusement on ne songeait pas à la nécessité de le regagner. «Quand on eût passé la barrière, le Roi, raconte Mme de Tourzel, commençant à bien augurer de son voyage, se mit à causer sur ses projets. Il commençait par aller à Montmédy, pour aviser au parti qu'il croirait convenable, bien résolu de ne sortir du royaume que dans le cas où les circonstances exigeraient qu'il traversât quelque ville frontière pour arriver plus promptement à celle de France, où il voudrait fixer son séjour, ne voulant pas même s'arrêter un instant en pays étranger.» «Me voilà donc, disait ce bon prince, hors de cette ville de Paris, où j'ai été abreuvé de tant d'amertumes. Soyez bien persuadés qu'une fois le cul sur la selle, je serai bien différent de ce que vous m'avez vu jusqu'à présent.»—«Lafayette, ajouta-t-il en regardant sa montre, est présentement bien embarrassé de sa personne[647].» Tout à la joie de se sentir libres, les augustes fugitifs se relâchèrent des précautions minutieuses dont la stricte observation était indispensable et que Fersen ou M. d'Agout n'eussent pas manqué de leur rappeler. Les nuits sont courtes à cette époque de l'année et, grâce aux retards du début, le trajet de Paris à Châlons, qui eût dû se faire dans l'obscurité ou au moins au commencement de la journée, se faisait au grand jour[648]. Sans s'en inquiéter, le Roi descendait aux relais et parlait aux gens qui entouraient la voiture, paysans ou employés de la poste[649], au risque de se faire reconnaître. Il faillit l'être à Etoges[650]. A Châlons, il le fut. Un homme en avertit le maire qui, fort peu révolutionnaire, prit le parti de répondre au dénonciateur que, s'il était bien sûr de sa découverte, il n'avait qu'à la publier, mais qu'il serait responsable des suites. L'homme, effrayé, ne dit rien[651] et, s'il faut en croire Madame Royale et M. de Bouillé, «beaucoup de monde louait Dieu de voir le Roi et faisait des vœux pour sa fuite[652].» A partir de Châlons, on entrait dans le commandement militaire de M. de Bouillé et l'on devait rencontrer, à chaque relais, les escortes échelonnées par le général, sous le prétexte de protéger un convoi d'argent adressé à ses troupes. Le premier détachement était à Pont-Sommevesle, sous le commandement du duc de Choiseul, qu'accompagnait M. de Goguelat. Mais les retards apportés au départ, aggravés encore par la lenteur de la marche, déroutaient le plan arrêté: on attendait la voiture royale à trois heures; à cinq heures et demie, elle n'était point arrivée, non plus que le courrier qui la précédait. Le stationnement prolongé des troupes en ce lieu, où rien ne semblait motiver leur présence, jetait l'alarme parmi les habitants. Effrayé des dispositions hostiles de la foule, M. de Choiseul donna l'ordre de la retraite: quand les augustes voyageurs arrivèrent enfin à Pont Sommevesle, il y avait une heure que les troupes en étaient parties. Le Roi fut surpris, mais continua néanmoins sa route; il espérait rencontrer l'escorte promise à l'étape suivante. A Orbeval, il n'y avait rien. «Même silence, dit Mme de Tourzel, même inquiétude[653].» A Sainte-Menehould, on trouva trente dragons sous les ordres de M. d'Andoins, mais aussi une population nerveuse, surexcitée par la présence des soldats. M. d'Andoins, s'approchant de la berline, dit tout bas à la fausse baronne de Korff: «Les mesures sont mal prises; je m'éloigne pour ne donner aucun soupçon[654].»—«Ce peu de paroles, ajoute Mme de Tourzel, nous perça le cœur; mais il n'y avait pas autre chose à faire que de continuer notre route, et l'on ne se permit pas même la plus légère incertitude[655].» La méfiance était éveillée; le maître de poste, Drouet, avait cru reconnaître la Reine, qu'il avait vue quand il servait dans les dragons de Condé. Ses soupçons furent confirmés lorsqu'il compara, avec le portrait du Roi gravé sur un assignat, la figure du prétendu valet de chambre. Fier de cette découverte, et de l'importance qu'elle lui donnait, il se hâta de prévenir la municipalité qui le chargea, avec un ancien dragon de la Reine, nommé Guillaume, de «courir après les voitures et de les faire arrêter, s'il pouvait les joindre.» En attendant, et pour faciliter son entreprise, il avait recommandé à ses postillons qui partaient de ne point trop se presser[656]. Cependant, la famille royale, qui ne s'était point aperçue de ce mouvement, poursuivait son voyage avec la même sécurité et, hélas! la même lenteur. Le retard du début se maintenait et s'aggravait à chaque étape. A Clermont, comme à Sainte-Menehould, on arrivait quatre ou cinq heures après l'heure fixée. M. de Damas, chef du détachement, était inquiet, la population émue, et la fidélité des dragons singulièrement ébranlée par le contact avec les habitants. Le relais cependant se fit sans obstacle. Mais quand M. de Damas voulut commander aux troupes de se mettre en marche, la garde nationale s'y opposa et les dragons refusèrent de monter à cheval[657]. Drouet et Guillaume étaient partis à bride abattue. Ayant appris par le postillon de Sainte-Menehould que la famille royale avait pris la direction de Varennes, ils s'étaient jetés dans des chemins de traverse pour y arriver avant elle. Ils y arrivèrent en effet les premiers, trouvèrent, malgré l'heure avancée, quelques jeunes gens réunis dans une auberge, donnèrent l'alarme et coururent avertir les autorités. En l'absence du maire, retenu à Paris par sa charge de député, le procureur de la commune, Sauce, prit la direction du mouvement. On sonna le tocsin, on réveilla les habitants en faisant parcourir les rues par des enfants qui criaient au feu; on barricada le pont qui réunissait les deux parties de la ville de Varennes et que les voitures devaient forcément traverser, et un poste d'hommes déterminés, armés de fusils, s'y installa, prêt à en disputer le passage par la force. Tout était prêt de la part des ennemis du Roi; de la part de ses amis, rien ne l'était; les malheureux retards apportés au voyage, les malentendus qui en avaient été la suite avaient troublé les esprits et dérangé les mesures prises. A l'entrée de Varennes, on ne trouva pas de relais; les postillons, les gardes du corps, le Roi et la Reine elle-même perdirent un temps précieux à le chercher; les conducteurs refusaient d'aller plus loin avec les mêmes chevaux; on discuta; on parlementa; quand on les détermina à passer au moins la ville, il était trop tard. Sous la petite voûte qui joignait la ville haute à la ville basse[658], Sauce, Drouet et leurs amis attendaient. Le cabriolet où étaient les femmes de chambre se présenta le premier, on l'arrêta; on demanda les passeports; une des voyageuses répondit qu'ils étaient dans la seconde voiture. Sauce se porta à la berline et renouvela sa réquisition. Le Roi tendit le passeport; le procureur fit observer qu'il était bien tard pour le viser,—il était onze heures et demie du soir[659]—«qu'il fallait descendre et qu'au jour on verrait[660]». La baronne de Korff se récria, tenta de forcer le passage; mais les gardes nationaux menacèrent de faire usage de leurs armes[661]; il fallut se résigner à descendre. On gagna la maison de Sauce, située à vingt pas de là, et pendant qu'on préparait au premier étage deux chambres plus convenables pour recevoir ces hôtes improvisés dont on soupçonnait la grandeur, on introduisit les voyageurs dans une salle basse où Sauce leur fit servir un frugal repas. Les enfants, le Dauphin surtout, mouraient de sommeil; on les coucha sur un lit; la Reine s'était retirée dans un coin obscur de la pièce, son voile abaissé sur ses yeux[662]. Malgré les objurgations des municipaux, malgré les affirmations de Drouet, et d'un médecin du pays nommé Mangin, qui prétendait connaître la famille royale, Louis XVI continuait à nier obstinément. Un moment la Reine faillit se trahir: choquée du ton blessant de Drouet dans sa discussion avec le Roi, elle releva son voile: «Si vous le reconnaissez pour votre Roi, dit-elle vivement, respectez-le[663].» Mais les preuves décisives manquaient encore. Incertain, indécis, redoutant à la fois de laisser échapper ses prisonniers, si c'étaient bien ceux qu'il supposait, et de se rendre ridicule par une arrestation arbitraire et vexatoire, si ses soupçons n'étaient pas fondés, le procureur, après avoir «déposé,»—c'est son mot,—ces étrangers dans une chambre de derrière, courut chez un juge du tribunal, M. Detez, qui avait vu plusieurs fois le Roi et la Reine pendant un séjour qu'il avait fait à Paris. M. Detez revint avec Sauce et reconnut la famille royale. Devant cette déclaration formelle, toute dénégation devenait inutile. «Oui,» dit Louis XVI, d'une voix forte, «je suis votre Roi; voici la Reine et la famille royale. Placé dans la capitale au milieu des poignards et des baïonnettes, je viens chercher en province, au milieu de mes fidèles sujets, la liberté et la paix, dont vous jouissez tous: je ne puis vivre à Paris sans y mourir, ma famille et moi. Je viens vivre parmi vous, dans le sein de mes enfants, que je n'abandonne pas[664].» Le prince était ému; ses auditeurs ne l'étaient pas moins. «L'attendrissement, l'émotion de toutes les personnes présentes, raconte le premier procès-verbal dressé par la municipalité, se joignant à celui du Roi, le monarque et son auguste famille daignèrent presser dans leurs bras tous les citoyens qui se trouvaient dans l'appartement et recevoir d'eux la même marque de leur sensibilité vive et familière[665].» Cet attendrissement dura peu; la municipalité renouvela ses instances pour que les voyageurs retournassent à Paris; le Roi s'y refusa; il opposa le tableau des humiliations auxquelles il avait été en butte dans la capitale, des périls auxquels son retour exposerait sa famille. «La Reine, qui partageait ses inquiétudes, les exprimait par une extrême agitation[666].» Le prince, avec sa bonhomie habituelle, exposait ses plans, jurant qu'il ne passerait pas la frontière et se rendrait à Montmédy, offrant même de se confier à la garde nationale pour l'y conduire. «Le spectacle était touchant, mais il n'ébranlait point la commune dans sa résolution et son courage pour conserver son Roi.» Brave homme, au fond, mais grisé par le rôle inattendu que les événements lui donnaient; impressionné par le touchant tableau qu'il avait sous les yeux, mais effrayé par les grands mots et les grands cris des patriotes; désireux de satisfaire le Roi, mais ne voulant pas déplaire au peuple, Sauce était tiraillé entre son vieux respect pour la monarchie et sa vanité doublée de sa peur. La peur devait l'emporter chez lui, comme chez sa femme, dont la Reine avait bien pu faire couler les larmes, sans réussir à vaincre son naïf égoïsme: «Bon Dieu, Madame,» avait-elle répondu, «ils feraient périr M. Sauce; j'aime bien mon Roi; mais, dame, écoutez, j'aime bien mon mari. Il est responsable, voyez-vous[667].» La grand'mère du procureur, vénérable octogénaire, demanda à voir les hôtes inattendus que le hasard des révolutions amenait dans sa famille. Toute pleine encore du respect et de l'amour traditionnel des Français pour la dynastie, elle s'approcha du lit où dormaient les enfants et, se jetant à genoux, elle sollicita la faveur de leur baiser la main. Puis elle bénit ces infortunés que la faiblesse de son petit-fils allait livrer à la captivité et à la mort et se retira, profondément émue. Cependant, MM. de Choiseul et de Goguelat étaient arrivés, avec les hussards de Pont-Sommevesle. Peut-être, à ce moment, où la foule n'était pas encore très considérable, où les gardes nationales des communes voisines n'étaient point rassemblées, eût-il été possible, avec un peu d'énergie, de forcer le passage. «Eh bien! quand partons-nous?» demanda le Roi à Goguelat, quand il le vit entrer dans la chambre.—«Sire, nous attendons vos ordres,» répondit l'aide-de-camp. Mais demander des ordres à un prince d'un caractère aussi indécis que Louis XVI, c'était le replonger dans ses hésitations habituelles. M. de Damas, qui venait d'arriver à son tour, ouvrit un avis énergique: c'était de démonter sept hussards, de faire monter sur les chevaux le Roi, la Reine et leurs compagnons, et, avec les soldats restants, de se faire jour à travers la foule. Marie-Antoinette n'eût pas reculé devant cette résolution aventureuse. «Mais, dit le Roi, répondez-vous que, dans cette lutte inégale, une balle ne viendra pas frapper la Reine, ou ma sœur, ou mes enfants?» Comme à l'appui de cette crainte, sous les fenêtres de la petite maison, la populace grondait; on renonça à ce parti trop périlleux. Lorsque, plus tard, vers deux heures du matin, Goguelat essaya de pousser une reconnaissance dans la direction de Dun, les gardes nationales des environs étaient réunies: la résistance était organisée par les soins de M. de Signémont, commandant de la milice de Neuvilly; des barricades étaient dressées; des canons rangés; l'aide-de-camp, ayant voulu dégager la voiture royale pour la tenir prête à toute occasion, fut jeté bas d'un coup de pistolet par le major de la garde nationale de Varennes, et les hussards, déjà hésitants, ébranlés par les caresses des patriotes, effrayés par la chute de leur chef, se mirent à fraterniser et à boire avec les gardes nationaux. A cinq heures du matin, lorsque le commandant du détachement de Dun, M. Deslon, accouru à bride abattue avec soixante cavaliers, pénétra dans la maison de Sauce, et demanda les ordres du Roi: «Mes ordres!» répondit avec amertume le malheureux monarque, «je suis prisonnier et n'en ai point à donner.» Une seule chose restait à faire: gagner du temps et attendre que M. de Bouillé, prévenu par son fils, se portât sur Varennes avec ses troupes. Mais, avant M. de Bouillé, deux nouveaux acteurs entraient en scène, qui allaient aggraver l'état des choses, et détruire les dernières espérances de la famille royale: c'étaient les émissaires de l'Assemblée. Lorsque, le 21 au matin, on s'était aperçu, à Paris, de la disparition du Roi et de sa famille, le premier mouvement avait été de la stupeur; puis, à la stupeur succéda rapidement une vive irritation, et l'Assemblée, partageant la colère populaire, rendit un décret pour ordonner l'arrestation du Roi. Un aide-de-camp de Lafayette, M. de Romeuf, spécialement attaché au service de la Reine, qui, en maintes circonstances, l'avait comblé de bontés, partit pour signifier le décret de l'Assemblée. A Châlons, il rencontra un chef de bataillon de la garde nationale, nommé Bayon, qui, avec Palloy, avait pris les devants, porteur d'ordres analogues du maire de Paris. Tous deux continuèrent leur route, Bayon réveillant le zèle de Romeuf à qui ses relations personnelles avec la famille royale rendaient particulièrement pénible l'accomplissement de sa mission. A six heures du matin, ils entraient à Varennes, et Bayon, montant le premier chez Sauce: «Sire,» dit-il d'une voix entrecoupée par l'essoufflement du voyage, «Paris s'égorge..... Nos femmes, nos enfants...., l'intérêt de l'Etat.....» Romeuf s'approcha ensuite et, les larmes aux yeux, remit au Roi le décret de l'Assemblée. «Il n'y a plus de Roi de France,» dit tristement le malheureux prince. La Reine prit le décret, le lut: «Les insolents!» s'écria-t-elle, et elle rejeta brusquement le papier qui alla tomber sur le lit où reposait le Dauphin; elle le lança violemment à terre: «Je ne veux pas, dit-elle, qu'il souille le lit de mon fils.» Au dehors, la foule ameutée grondait: «A Paris! à Paris! criait-elle. Faisons-les partir de force.—Nous les traînerons plutôt par les pieds.»—Vainement l'infortuné monarque épuisait-il tous les moyens dilatoires. Le Dauphin et Madame Royale dormaient; il fallait respecter leur repos. Une des femmes de chambre, Mme de Neuville, entrant dans la pensée de ses maîtres, se roulait sur un lit, en proie à une crise violente; la Reine déclarait qu'elle ne la quitterait pas sans secours. Mais la populace, excitée sous main par Bayon[668], tout haut par Palloy, ne s'inquiétait ni du sommeil des enfants, ni des maladies, vraies ou fausses, des voyageurs. Les cris redoublaient avec plus de fureur. Le Roi se consulta un moment avec sa famille et, reconnaissant sans doute l'impossibilité d'une plus longue résistance, il se résigna douloureusement. Les voitures étaient déjà au pied de la maison de Sauce; les chevaux furent amenés et rapidement attelés; les gardes nationaux formèrent l'escorte. Les malheureux captifs descendirent tristement l'étroit et sombre escalier qui, du premier étage, conduisait au rez-de-chaussée; la Reine donnait le bras au duc de Choiseul; Mme Elisabeth à M. de Damas. Quand ils parurent à la porte de la maison, la rue retentit des cris de: _Vive le Roi! Vive la nation!_ Pas un cri de _Vive la Reine!_ Pour les habitants de Varennes, comme pour ceux de Paris, c'était toujours l'_Autrichienne_! On monta en voiture; M. de Choiseul ferma la portière, et les chevaux s'élancèrent sur la route de Clermont. Il était environ sept heures et demie du matin. Lorsque M. de Bouillé, retardé dans son départ par l'incroyable lenteur du commandant du Royal-Allemand, parut enfin en vue de Varennes, à la tête de ce régiment sur lequel il comptait, il y avait près de deux heures que le funèbre cortège en était parti. Il avait trop d'avance pour qu'on pût le rejoindre avec des chevaux harassés par une course forcée de neuf lieues. Le général donna l'ordre de la retraite et, l'air morne, le cœur déchiré, il regagna Stenay, d'où il passa immédiatement la frontière. Cependant, le triste convoi poursuivait sa marche sur Paris, sous l'escorte de cinq à six mille gardes nationaux et au milieu d'un concours immense de peuple. A Clermont, les officiers municipaux de Varennes se détachèrent pour regagner leur ville. Drouet resta avec Bayon; quant à Romeuf, il était demeuré à Varennes pour protéger MM. de Choiseul et Goguelat et avait été lui-même emprisonné. La voiture avançait lentement, au milieu de nuages de poussière et sous un soleil torride; la chaleur était écrasante, l'air embrasé. Les enfants tombaient épuisés de fatigue; la Reine les regardait tristement, songeant à ses espérances évanouies, et aux sombres réalités du retour. A Sainte-Menehould, il fallut subir un discours insultant de la municipalité et se montrer à la foule du haut des fenêtres de l'hôtel de ville; la Reine, tenant le Dauphin dans ses bras, fut saluée des cris évidemment malveillants de _Vive la nation!_ Mais, si déchue qu'elle fût de son pouvoir, la malheureuse souveraine conservait encore le plus doux et le plus cher de ses privilèges, celui de la charité. Avant de quitter cette petite ville, qui lui avait été si hostile, prisonnière elle-même, elle fit distribuer cinq louis aux prisonniers[669]. Une horrible tragédie marqua le trajet de Sainte-Menehould à Châlons; un gentilhomme du pays, le comte de Dampierre, s'étant joint au cortège, fut reconnu, dénoncé comme aristocrate, assailli par la garde nationale, jeté à bas de son cheval et tué d'un coup de fusil: «Qu'y a-t-il donc?» demanda le Roi, ému par le bruit de la détonation,—«Rien, répondit-on; c'est un fou que l'on tue[670].» Et les assassins revinrent à la voiture «les mains ensanglantées et portant la tête[671]». Vers onze heures et demie du soir, on entra à Châlons. La ville était royaliste, l'accueil contrasta avec celui qui avait été fait jusque là aux prisonniers. «Les corps administratifs, dit le procès-verbal officiel, mettaient au rang de leurs principaux devoirs de veiller à ce que le respect dû à la majesté royale fût maintenu[672].» Le Roi fut reçu à la porte de la ville par la municipalité et conduit, entre deux haies de gardes nationaux à l'hôtel de l'Intendance, qui avait été préparé pour le recevoir. C'était le même hôtel où, vingt et un ans auparavant, la Dauphine s'était arrêtée radieuse, au bruit des acclamations et au milieu des fêtes populaires, quand elle venait ceindre, en France, la couronne royale[673]. Du moins à Châlons, la population fit-elle tout ce qu'elle put pour adoucir aux visiteurs involontaires l'amertume de leur situation. Comme en 1770, des jeunes filles offrirent des fleurs à Marie-Antoinette[674]; plusieurs d'entre elles s'empressèrent à la servir, et lorsque, après un souper fait en public, la famille royale se fut retirée dans ses appartements, le procureur du département, Roze, proposa même au Roi de l'aider à fuir par un escalier dérobé, inconnu du public. Louis XVI refusa, parce qu'on ne pouvait sauver que lui seul. Ce dévouement si rare, ces sympathies, manifestées par une ville presque entière, avaient profondément ému les prisonniers; ils ne devaient plus en retrouver d'autre exemple sur leur route. Le lendemain 23, jour de la Fête-Dieu, vers dix heures, tandis qu'ils entendaient la messe dans la chapelle de l'Intendance, des volontaires rémois, arrivés dans la nuit, envahirent la cour et se précipitèrent vers la chapelle; la messe n'était pas achevée[675]; le Roi et sa famille durent néanmoins sortir et se montrer au balcon. Il fallut hâter le départ, dans la crainte que ces volontaires, composés de la lie du peuple de Reims, n'excitassent quelque tumulte. La Reine, toujours gracieuse et véritablement touchée, répondit «qu'elle était fâchée des circonstances qui la privaient et le Roi de quelques instants de plus à passer au milieu de bons citoyens[676]». Un dîner avait été préparé à la hâte pour les voyageurs; mais «l'émotion dans laquelle ils se trouvaient, dit le procès-verbal, ne leur a permis de rien prendre[677]». A midi, l'on se mit en marche avec une telle précipitation que le Roi oublia à Châlons un petit coffret qui contenait treize cents louis[678]. A mesure qu'on avançait vers Paris, l'attitude des populations devenait plus hostile. A Epernay, où l'on arriva à quatre heures de l'après-midi[679], l'accueil fut mauvais. Le président du district prononça une harangue pleine de reproches; de grossières injures furent lancées, et, sans le dévouement du jeune Cazotte, accouru à la tête d'une troupe de paysans et qui se tint à la portière de la voiture pour contenir la foule, la vie même des augustes captifs n'eût peut-être pas été respectée. On avait entendu un misérable dire à son voisin: «Cache-moi bien pour que je tire sur la Reine, sans qu'on sache d'où le coup est parti[680].» La foule s'était tellement pressée autour des fugitifs, que la robe de Marie-Antoinette fut déchirée par les pieds; il fallut la réparer sur place; la fille de l'hôte chez lequel on était descendu rendit ce léger service à la malheureuse souveraine, avec un respect et une affection qui firent du bien à son triste cœur. Pendant ce temps, les officiers municipaux adressaient au Roi d'insultants discours: «Malgré vos fautes,» lui disaient-ils, «nous vous protégerons, n'ayez pas peur.»—«Peur?» dit le prince d'un ton surpris. Et il se mit à expliquer à ses interlocuteurs qu'il n'avait point l'intention de quitter la France, mais qu'il ne pouvait rester à Paris, où sa famille était en danger. «Oh! que si fait, vous le pouviez,» riposta un des assistants. On repartit vers cinq heures, au milieu d'une multitude soulevée. «Allez, ma petite belle, on vous en fera voir bien d'autres,» tel fut l'adieu cynique, jeté à Marie-Antoinette par une des mégères d'Epernay. La Reine, ayant voulu donner à un garde national, qui se plaignait de la faim, un morceau de bœuf à la mode qui était dans la voiture: «N'y touche pas, cria un autre, ne vois-tu pas qu'on veut t'empoisonner?» La Reine en mangea sur-le-champ et en fit manger à son fils[681]. Mais ce cri d'injurieuse méfiance lui alla au cœur et, parmi tant d'outrages, celui-là la blessa le plus. A peu de distance d'Épernay, la famille royale fut rejointe par les trois commissaires que l'Assemblée avait délégués pour «ramener le Roi à Paris, veiller à sa sûreté et à ce que le respect dû à Sa Majesté fût maintenu[682].» C'étaient Barnave, Pétion et la Tour-Maubourg. Ce dernier ne voulut pas prendre place dans la voiture royale; alléguant que les augustes voyageurs pouvaient être sûrs de lui, mais qu'il fallait gagner les deux autres[683], il monta avec les femmes de chambre. Pétion et Barnave s'installèrent dans la berline, où dès lors huit personnes furent entassées, par ces tourbillons de poussière et cette chaleur suffocante; on prit les enfants sur les genoux. Barnave se montra plein de convenance et de respect; le spectacle de cette grande infortune, le charme de la Reine firent sur ce jeune homme, à la tête ardente mais au cœur honnête, une impression profonde; entré dans la voiture révolutionnaire et presque républicain, il en sortit royaliste[684]. Quant à Pétion, le récit qu'il a écrit de son voyage est le plus insigne monument de grossièreté et de prétention que puisse enfanter le cerveau d'un fat sans éducation et sans tact[685]; il donne la mesure de l'homme devant lequel ne trouva pas même grâce la pureté de Mme Elisabeth, du personnage vaniteux et impertinent, dont la Révolution fit un héros et qui n'était qu'un sot. En montant en voiture, il assura qu'il savait bien que les fugitifs avaient pris près du Château une voiture de remise, conduite par un Suédois, et, affectant de n'en pas savoir le nom, il le demanda à la Reine: «Je ne suis pas dans l'usage de savoir le nom des cochers de remise,» répliqua sèchement la princesse[686]. Un peu plus tard, le Roi, s'étant mêlé à la conversation et ayant dit que sa fuite n'avait d'autre but que de donner au pouvoir exécutif la force nécessaire dans un régime constitutionnel, puisque la France ne pouvait être une république: «Pas encore,» répondit insolemment Pétion, «parce que les Français ne sont pas encore assez mûrs pour cela, et je ne serai pas assez heureux pour la voir établir de mon vivant[687].» A Dormans, il fallut s'arrêter dans une simple auberge: «Je n'étais pas fâché, dit Pétion avec son envieuse affectation d'austérité, que la Cour sût ce que c'était qu'une auberge ordinaire[688].» Pendant la nuit, les gardes nationaux et les habitants du pays, accourus en foule, chantaient, buvaient et dansaient sous les fenêtres de l'auberge; et c'est au milieu de ces bruits et de ces cris, que les voyageurs épuisés durent prendre un instant de repos[689]. Le pauvre petit Dauphin fit des rêves horribles et se mit à sangloter; on ne put le calmer qu'en le conduisant à sa mère[690]. On repartit à cinq heures; Pétion se plaça dans le fond, entre le Roi et la Reine et prit le Dauphin sur ses genoux. La conversation s'engagea; le Roi était embarrassé, au dire de Pétion, qui consent pourtant à convenir «qu'il est très rare qu'il lui échappe des choses déplacées et qu'il ne lui a pas entendu dire une sottise[691]». La Reine était plus libre; elle parla de l'éducation de ses enfants. «Elle en parla en mère de famille et en femme assez instruite. Elle exposa des principes très justes en éducation.» Mais, ajoute aussitôt le grotesque narrateur, comme pour s'excuser de cet hommage involontaire rendu à une Reine, «je sus depuis que c'était le jargon de mode dans toutes les Cours de l'Europe[692].» A la Ferté-sous-Jouarre, la réception sympathique et respectueuse du maire, M. Regnard, vint faire un moment diversion aux insultes de la foule. On trouva chez lui un appartement frais et un dîner simple, mais bien fait. La femme du maire, ne voulant point par délicatesse manger avec la famille royale, s'était habillée en cuisinière pour la servir. La Reine la reconnut cependant: «Vous êtes sans doute, Madame, lui dit-elle, la maîtresse de la maison?»—«Je l'étais un moment avant que Votre Majesté y entrât,» répondit en s'inclinant l'excellente femme[693]. En sortant de la petite ville, un certain tumulte se fit. C'était un député, Kervelégan, qui se disputait avec les gardes nationaux et cherchait à arriver jusqu'aux prisonniers, qu'il insultait grossièrement. «Voilà un homme bien malhonnête,» ne put s'empêcher de dire la Reine[694]. Comme on approchait de Meaux, un prêtre s'efforça de pénétrer près de la voiture; la foule éclata en menaces et s'apprêtait à le massacrer, comme M. de Dampierre. La Reine le vit et poussa un cri; Barnave s'élança à demi hors de la portière: «Français, nation de braves, s'écria-t-il, voulez-vous donc devenir un peuple d'assassins?» Cet accent indigné et cette intervention puissante arrachèrent le malheureux prêtre à la mort. On entra à Meaux d'assez bonne heure et l'on coucha chez l'évêque constitutionnel. Le Roi mangea peu et se retira promptement dans son appartement. Le petit-fils de Louis XIV n'avait plus de linge et fut obligé d'emprunter une chemise à un huissier! Le soir, Barnave eut un long entretien avec Louis XVI et Marie-Antoinette. Il parla avec force; on l'écouta avec attention et bienveillance. «Evidemment, dit la Reine, nous avons été trompés sur l'état réel de l'esprit public en France.» Barnave sortit de là, dit M. de Beauchesne, «en se promettant de mourir fidèle au trône et dévoué à la liberté[695].» On repartit à six heures du matin; c'était la dernière étape jusqu'à Paris: longue étape de treize lieues. La chaleur était excessive. Plus on approchait de la capitale, plus la foule se montrait hostile; plus les exigences des gardiens étaient odieuses: malgré un soleil ardent et une poussière atroce, on ne put baisser ni stores ni jalousies[696]. Les injures les plus grossières étaient proférées contre la Reine et il y eut lieu de craindre, à deux ou trois reprises, qu'on ne voulût attenter à ses jours[697]. La pauvre femme ne put retenir ses larmes, ni le Dauphin, un cri d'effroi. Au lieu d'entrer par la porte Saint-Denys, on fit le tour des murs, pour gagner la porte de la Conférence. Les Champs-Élysées étaient remplis de monde; les barrières, les arbres, les toits des maisons étaient couverts d'hommes, de femmes et d'enfants. Tous gardaient leur chapeau sur la tête; seul le député Guilhermy eut le courage de saluer les prisonniers. Le mot d'ordre était donné; on avait affiché partout des placards portant ces mots: «Quiconque applaudira le Roi aura des coups de bâton; quiconque l'insultera sera pendu.» Le cri de _Vive la nation!_ retentissait seul, comme un outrage et une menace. Dès que la voiture fut entrée dans le jardin des Tuileries, on ferma le pont tournant. Le jardin, néanmoins, comme les Champs-Élysées, était plein de gardes nationaux; un certain nombre de députés sortirent de la salle de l'Assemblée pour jouir du spectacle. Au moment où la berline arriva à la grille du Château, un mouvement se fit dans la foule: on voulait écharper les gardes du corps; il fallut une intervention énergique des députés pour soustraire ces malheureux à la fureur populaire. Quand le Roi descendit de voiture, on garda le silence; quand ce fut le tour de la Reine, les murmures éclatèrent de toutes parts et c'est au bruit des injures que l'infortunée souveraine, la tête haute, l'air fier, mais le désespoir dans l'âme[698], put, sous la protection du vicomte de Noailles et du duc d'Aiguillon[699], rentrer dans ce palais qu'elle avait quitté cinq jours auparavant, pleine d'espérance. Au milieu de cette scène, le Roi conservait son sang-froid et son calme apparent. «Il était tout aussi flegme, dit Pétion, tout aussi tranquille que si rien n'eût été.... Il semblait qu'il revenait d'une partie de chasse[700].» Mais la Reine, plus vive, épuisée par tant de secousses[701], brisée par la fatigue, la douleur, l'humiliation, la colère, n'avait que la force d'adresser au chevaleresque Fersen ce simple mot qu'elle avait dû se cacher pour écrire: «Rassurez-vous sur nous: nous vivons[702].» CHAPITRE X La famille royale est gardée à vue aux Tuileries.—Sa vie captive.—La Reine est interrogée par les commissaires de l'Assemblée.—Le 17 juillet.—Le drapeau rouge déployé au Champ-de-Mars.—Les Constitutionnels se rapprochent de la Cour. La France avait _reconquis_ son Roi; telle était la formule officielle des adresses de félicitations envoyées à l'Assemblée nationale de toutes les parties du pays. C'était bien une conquête, en effet, et le prince, qui rentrait à Paris le 25 juin 1791, au milieu de ce silence qu'interrompaient seulement des cris de haine, n'était plus qu'un captif, humilié et détrôné. L'arrêté de l'Assemblée, pris sur la proposition de Thouret, équivalait à un décret de déchéance. Le Roi, la Reine, le Dauphin devaient être entourés d'une garde qui répondait de leurs personnes; «le ministre de la justice continuait à apposer le sceau de l'Etat aux décrets de l'Assemblée, sans qu'il fût besoin de la sanction royale, et les ministres étaient autorisés à remplir, chacun dans son département, les fonctions de pouvoir exécutif[703].» Cette décision fut exécutée à la lettre; la famille royale, réintégrée aux Tuileries, était gardée à vue. Ses membres ne pouvaient communiquer que sous le regard de leurs geôliers, et il y avait toujours avec eux plusieurs officiers de la milice parisienne[704]. Une troupe considérable était installée dans les cours, un véritable camp,—c'est le mot dont se sert Mme Elisabeth[705],—camp nombreux et bruyant[706], établi sous les fenêtres du Roi et de la Reine, de peur, ajoute ironiquement la princesse qui, même dans les plus douloureuses circonstances, n'abdiquait jamais sa gaîté, «de peur qu'ils ne sautent dans le jardin, qui est hermétiquement fermé et rempli de sentinelles, entre autres deux ou trois sous ces mêmes fenêtres[707].» Des sentinelles, il y en avait à chaque escalier de l'intérieur[708], jusque sur les toits. Personne n'entrait au Château sans un billet de Lafayette ou de Bailly[709]; on en avait même refusé l'accès à des membres de l'Assemblée[710]. Tous les appartements de la famille royale avaient été visités avec le plus grand soin; les officiers de la garde nationale en conservaient les clefs dans leur poche, et, s'il faut en croire Mme de Tourzel, Lafayette avait poussé si loin les précautions, qu'il avait envoyé des ramoneurs examiner si les captifs ne pouvaient pas s'enfuir par les cheminées[711]. Toutes les pièces extérieures de l'appartement de la Reine avaient été transformées en corps de garde; dans sa chambre, deux gardes nationaux se tenaient en permanence, avec ordre de ne la perdre de vue ni jour ni nuit[712], même dans les détails les plus intimes de la vie[713]. Pendant les premiers jours, l'infortunée souveraine était obligée de se lever, de s'habiller, de se coucher devant ses geôliers; il avait fallu de longues négociations pour obtenir qu'ils ne logeassent pas dans sa chambre même[714]; mais ils restaient la nuit près de son lit et l'un d'eux, s'accoudant sur son oreiller, avait voulu renvoyer sa première femme, Mme de Jarjayes[715]. La chapelle paraissant trop éloignée de l'appartement des prisonniers, on avait dressé un autel de bois dans une pièce du rez-de-chaussée. C'est là que la famille royale entendait la messe. Quand la Reine allait chez le Dauphin, elle était escortée de deux officiers; elle trouvait la porte fermée; un des officiers grattait en disant: la Reine! et ce n'est qu'à ce signe que les gardiens du jeune prince et de sa gouvernante consentaient à ouvrir à cette mère qui venait voir son fils[716]. Au bout de quelque temps, cependant, soit que Lafayette eût fini par sentir l'indécence de ces ordres, soit que la Reine se fût plainte, certains ménagements furent apportés. Les gardiens restaient dans la chambre de la Reine, tant qu'elle était levée; ils se retiraient quand elle se couchait; mais, pendant la nuit, l'un d'eux s'établissait dans l'espèce de tambour formé par l'épaisseur du mur entre les deux portes, de manière à ce que, la porte de la chambre restant entr'ouverte, il pût voir tout ce qu'y s'y passait. Weber raconte même à ce sujet une anecdote qui peint bien l'état des esprits et la confusion des idées à cette époque. Une nuit, que Marie-Antoinette ne pouvait reposer, elle alluma une bougie et se mit à lire. Le garde qui la surveillait s'en aperçut et, entrant dans la chambre, il ouvrit les rideaux et s'assit familièrement sur le lit, en disant: «Je vois que vous ne pouvez dormir; causons ensemble; cela vaudra mieux que lire.» La Reine, ajoute le narrateur, «contint son indignation et lui fit comprendre avec douceur qu'il devait la laisser tranquille[717]». En apparence, on avait repris la régularité de la vie habituelle; la «vie végétale», écrivait le cardinal de Bernis[718]; le service se faisait comme à l'ordinaire; les personnes attachées à la Cour étaient restées à leur poste. On allait à la messe à midi; on dînait à une heure et demie; à neuf heures et demie on soupait. Comme le Roi, qui avait été habitué à une vie active, ne pouvait plus ni marcher ni monter à cheval, on jouait au billard après dîner et après souper, afin qu'il prît un peu d'exercice. Le reste du temps, le prince demeurait enfermé dans son cabinet, lisant et étudiant: ni lui, ni sa femme ne sortaient de leur appartement; ne voulant pas s'exposer en captifs aux regards de la foule, ils n'allaient même pas prendre l'air dans le petit jardin du Dauphin. La Reine s'occupait de ses enfants,—c'était son seul moment de distraction et de soulagement,—et passait ses journées à lire, à écrire et à travailler. A sept heures, elle recevait les dames du palais. A onze heures, chacun rentrait chez soi[719]. Mais que de tristesses dans cette existence! Que d'ennuis dans cette régularité, et, malgré le calme apparent, que de révoltes intimes contre cette monotonie forcée! Avec quelle émotion contenue on accueillait les visages sympathiques, les députés qui passaient sous les fenêtres du Château, afin de saluer au passage les prisonniers[720] et les rares amis qui osaient franchir le seuil de ce palais suspect! Un jour, peu après le retour de Varennes, Malouet eut ce courage: «Je trouvai, dit-il, le Roi, la Reine et Mme Elisabeth plus tranquilles que je ne m'y attendais..... Lorsque j'entrai, la Reine dit au jeune Dauphin: «Mon fils, connaissez-vous Monsieur?—Non, ma mère,» répondit l'enfant.—«C'est M. Malouet,» reprit la Reine, «n'oubliez jamais son nom.» C'était l'heure de la messe; le service entra; le Roi ne me dit qu'un mot: «Nous avons été très contents de Barnave[721].» Dès le 26 juin, l'Assemblée avait désigné trois de ses membres, Adrien Duport, d'André et Tronchet, pour recevoir les déclarations du Roi et de sa famille. Le soir même, les trois commissaires se transportèrent aux Tuileries et furent introduits dans la chambre du Roi. Le prince protesta contre toute idée d'interrogatoire. Il déclara que les outrages faits à sa famille et restés impunis l'avaient seuls déterminé à quitter Paris, mais qu'il n'avait jamais eu l'intention de sortir du royaume. De là, les commissaires se rendirent chez la Reine; mais comme elle venait de se mettre au bain, ils revinrent le lendemain à onze heures. Marie-Antoinette les reçut seule et confirma par ses affirmations celles de Louis XVI: «Je déclare,» dit-elle, «que, le Roi désirant partir avec ses enfants, rien dans la nature n'eût pu m'empêcher de le suivre. J'ai assez prouvé depuis deux ans, dans plusieurs circonstances, que je ne le quitterais jamais, et j'ai été surtout déterminée à le suivre par la confiance et la persuasion que j'avais qu'il ne quitterait jamais le royaume. S'il eût voulu en sortir, toutes mes forces auraient été employées pour l'en empêcher[722].» Au reste, le Roi et la Reine prenaient sur eux seuls la responsabilité du voyage et en déchargeaient tous ceux qui avaient été mêlés au projet ou à son exécution. L'Assemblée n'accepta pas ce système, et, refusant de mettre en cause le Roi et la Reine, affectant de voir là plutôt un enlèvement qu'un départ volontaire, elle renvoya devant la Haute-Cour d'Orléans M. de Bouillé et ses complices. Mais les Jacobins allaient plus loin que l'Assemblée; c'était au Roi qu'on en voulait; c'était lui qu'on injuriait dans les discours des clubs et dans les articles des journaux. Grâce à d'habiles menées et à des distributions d'argent[723], la fermentation populaire ne diminuait pas; les rues étaient tapissées de caricatures grossières; des chansons infâmes, des satires sanglantes contre le Roi et surtout contre la Reine se vendaient sur toutes les places; les orateurs débitaient dans les lieux publics les plus odieuses calomnies[724]. Les adresses venues des départements,—c'est un observateur impartial qui l'affirme,—étaient «véritablement atroces[725]». Un ancien militaire, Achille Duchatelet, prit l'initiative d'une adresse insolente par laquelle il réclamait la déchéance, et le dimanche 17 juillet, le peuple fut convoqué au Champ-de-Mars pour signer cette adresse. Dès le matin, une foule désordonnée se réunit au lieu indiqué; des motions incendiaires furent faites; on parlait de se porter en masse à l'Assemblée. La garde nationale intervint; on lui lança des pierres. Le maire, Bailly, fit alors déployer le drapeau rouge et proclama la loi martiale. Une première décharge à poudre dissipa la populace; mais bientôt, voyant qu'il n'y avait ni morts ni blessés, les fuyards se rallièrent et recommencèrent à assaillir les gardes nationaux. Une seconde décharge en jeta une trentaine par terre, «une douzaine ou deux de héros en guenilles,» dit Gouverneur Morris[726]. Le reste prit la fuite à toutes jambes. Quant aux meneurs, ceux qui ne s'étaient pas cachés dès la veille s'empressèrent de le faire ou de quitter Paris[727]; mais ils ne pardonnèrent pas à Bailly cet acte de vigueur et le lui firent cruellement expier plus tard. L'énergie inattendue déployée par la municipalité et la garde nationale avait rétabli le calme à Paris et momentanément effrayé les factieux. Peut-être eût-on pu en faire le point de départ d'une ère nouvelle, si l'on eût persévéré dans cette attitude; mais c'eût été trop demander à l'Assemblée; la mollesse dont elle fit preuve quelques jours après dans la discussion de la loi sur les clubs rendit le courage aux meneurs. Mais l'échauffourée du Champs-de-Mars avait éclairé les chefs des Constitutionnels sur les projets des Jacobins. Se séparant brusquement de ces derniers, ils fondèrent le club des Feuillants, et les principaux d'entre eux cherchèrent à se rapprocher du Roi et de la Reine. Le retour de Varennes avait été le trait d'union entre Barnave et Marie-Antoinette: l'attitude réservée et respectueuse, l'esprit élevé, les sentiments généreux, les manières distinguées du jeune député du Dauphiné, qui faisaient contraste avec la grossièreté et le mauvais ton de Pétion, avaient inspiré confiance à la Reine, comme la dignité et la bonté de la Reine avaient séduit le jeune député. Les relations nouées dans cette triste voiture se continuèrent à Paris, et l'on attribuait même à Barnave la réponse faite par le Roi aux délégués de l'Assemblée. Des raisons moins personnelles, mais non moins fortes, la crainte des Jacobins, la peur de l'anarchie, peut-être aussi la parole de Barnave, déterminèrent ses amis, jusque-là si hostiles au Roi et surtout à la Reine, à s'efforcer de consolider ce trône qu'ils avaient tant contribué à ébranler. Une sorte de triumvirat se forma et se mit en relations avec les Tuileries et particulièrement avec Marie-Antoinette, par l'intermédiaire de M. de Jarjayes[728], qui déjà, en diverses circonstances, avait rempli des missions de confiance de la famille royale. Barnave, Alexandre de Lameth et Duport composaient ce triumvirat. La Reine écouta leurs conseils, se conforma en apparence à leurs idées, mais refusa de se fier complètement à des hommes dont les uns, d'après leur propre aveu, n'avaient pas de plan arrêté et vivaient au jour le jour, dont les autres semblaient n'avoir d'autre but que de conserver le pouvoir[729]. Dès lors commence une double politique secrète, dont les agents se contrarient et se désavouent sans cesse, au milieu de complications où les diplomates du temps durent avoir bien de la peine à se reconnaître et que l'historien de nos jours n'arrive pas toujours à démêler: politique qui resta longtemps ignorée, quoique soupçonnée, et sur laquelle la publication récente des papiers de M. de Fersen a jeté enfin un jour nouveau. Nous allons essayer de l'esquisser. CHAPITRE XI Négociations de la Reine avec les Puissances.—Projets de l'Empereur.—Projets du roi de Suède.—Projets des émigrés.—Accroissement du nombre et de l'importance de ces derniers.—Leurs dissentiments avec la Cour et avec le baron de Breteuil, agent officiel de la Cour.—Lettre du 30 juillet, écrite par Marie-Antoinette à Léopold, sous l'influence des Constitutionnels.—Missions du chevalier de Coigny et de l'abbé Louis.—La Reine dément par ses lettres secrètes ses lettres officielles.—Pourquoi elle se méfie des Constitutionnels. De tous les princes étrangers, c'était vers l'Empereur qu'étaient le plus naturellement tournés les regards de la Reine et de ses nouveaux alliés, les Constitutionnels. Nous avons dit plus haut quel genre de secours Marie-Antoinette attendait de son frère: des mouvements de troupes sur la frontière pour expliquer les agissements de M. de Bouillé, la concentration de dix mille hommes environ à Luxembourg; puis, au premier moment, si cela était nécessaire, l'appui passager de ce corps. Le 20 juin, Léopold n'était pas en Allemagne, mais en Italie, à Padoue; il avait cru d'abord au succès de l'évasion. On lui avait bien dit que la famille royale avait été arrêtée dans sa fuite; mais on avait ajouté que M. de Bouillé, étant survenu à la tête de son armée, avait délivré les prisonniers et conduit le Roi à Metz, sous la protection de ses troupes, tandis que la Reine avait gagné Luxembourg[730]. Le 5 juillet, l'Empereur écrivait à sa sœur: «Si je n'avais consulté que mon cœur, je serais parti d'ici tout de suite, pour venir vous rejoindre et embrasser; mais les circonstances m'en ont empêché. J'envie bien le sort de ma sœur Marie, qui aura cette satisfaction; je la charge, ainsi que le comte de Mercy, d'arranger tout ce qui pourra vous être agréable en ce moment. Je me flatte que vous serez convaincue qu'étant chez moi vous êtes comme chez vous, et que vous ne ferez pas le moindre compliment avec un frère qui vous est aussi tendrement et sincèrement attaché que moi.» «Quant à vos affaires, je ne puis que vous répéter, ainsi que je l'ai fait au Roi, que tout ce qui est à moi est à vous, argent, troupes, enfin tout. Ma sœur et le comte de Mercy ont tous les ordres nécessaires pour faire quelconque manifeste, déclaration, mouvement ou marche de troupes que vous pourrez ordonner; trop heureux, si je puis vous être bon à quelque chose[731].» Et à cette même date, il mandait à sa sœur, Marie-Christine, gouvernante des Pays-Bas: «En ce moment, le Roi est libre; le Roi a protesté contre tout ce qui a été fait. Je ne connais donc plus que le Roi; je suis son parent, ami et allié, et veux le secourir et seconder de toutes mes forces et pouvoir[732].» Malheureusement, le jour même, il apprenait par l'électeur de Trèves l'arrestation définitive de la famille royale; il en fut très ému et dès le lendemain, déployant, disait Vaudreuil, «toute la tendresse d'un frère, la grandeur d'âme d'un vrai monarque et la décision des grands hommes dans les grandes circonstances[733]», il adressa une circulaire aux principales Puissances:—Espagne, Russie, Angleterre, Prusse, Sardaigne, Naples[734],—pour organiser une intervention commune en faveur dos prisonniers. Il fallait, disait-il, rédiger un manifeste énergique, qui pût imposer aux révolutionnaires français. On y revendiquerait hautement, au nom du droit public européen, la liberté du Roi de France, «tout en laissant les voies ouvertes à une résipiscence honnête et à l'établissement pacifique d'un état de choses, en France, qui sauve du moins la dignité de la couronne et les considérations essentielles de la tranquillité générale[735].» On s'engagerait à ne reconnaître comme lois constitutionnelles, légalement établies en France, que celles qui seraient «munies du consentement volontaire du souverain[736]». Le manifeste des Puissances serait soutenu par des «moyens suffisamment respectables» et l'on ne reculerait pas devant les mesures les plus rigoureuses. «Je me flatte de les prévenir,—les révolutionnaires,—écrivait Léopold à Marie-Christine; mais si je n'y réussis point, je les vengerai exemplairement[737].» Plus ardent que l'Empereur, le roi de Suède, souverain militaire et aspirant à jouer un rôle militaire dans la coalition, avait, dès le 27 juin, rompu avec l'Assemblée[738]; le 30, il avait fait assurer Louis XVI et Marie-Antoinette de ses sympathies et de son concours[739]. Il négociait, en même temps, et cherchait, comme Léopold, mais avec plus de vivacité et moins de prudence, à réunir toutes les Puissances dans une ligue dont il aurait été le bras armé[740]. Redoutant la froideur et les idées temporisatrices de l'Empereur, il s'adressait, dès le 9 juillet, à Catherine II; quelques jours après, le 16 juillet, au roi d'Espagne, pour leur exposer son plan et solliciter leur concours. Suivant lui, les troupes impériales, fortes de trente-cinq mille hommes, devaient entrer en France par la Flandre, tandis que douze mille Suisses envahiraient la Franche-Comté, quinze mille Sardes le Dauphiné; les princes de l'Empire, l'Alsace et le Brisgau, et que vingt mille Espagnols franchiraient les Pyrénées. On espérait avoir le concours du Hanovre et de la Prusse, et la neutralité de l'Angleterre. «Dès que les Princes émigrés se trouveront sur la terre française, disait Gustave, ils assembleront autour d'eux les pairs, grands officiers de la couronne, archevêques, évêques, magistrats du Parlement, et là, après avoir fait déclarer la régence, Monsieur donnera une assurance de conserver les anciennes lois du royaume et les droits des différents Ordres et réintégrer le Parlement. Il n'est pas douteux que la terreur et la confusion, la dissension et le désordre, joints aux lenteurs et au peu de secret qu'il est impossible de conserver dans les délibérations d'un corps, ne favorisent l'attaque des princes, et il est à croire que les succès suivent leur entreprise[741].» Lui-même se mettrait à la tête de seize mille Suédois, auxquels l'Impératrice était suppliée de joindre six, sept ou huit mille Russes. Ces troupes, transportées par les flottes réunies de Russie et de Suède, débarqueraient à Ostende et se porteraient sur Liège pour former, avec les Hessois et les Palatins, «le centre de cette ligne, dont la droite serait vers Dunkerque et la gauche vers Strasbourg»; ou, suivant un plan ultérieur, s'embarqueraient à Ostende et iraient débarquer en Normandie pour marcher sur Paris. Le Nord aurait ainsi, dans cette grande entreprise, une influence prépondérante, et au besoin il serait là pour s'opposer aux convoitises des autres Puissances, qui pourraient être tentées de profiter des malheurs de la France pour la démembrer. Gustave ajoutait que les secours pécuniaires de la Russie ne seraient point inutiles pour mettre en mouvement l'armée suédoise. Catherine était «bien assez riche pour payer sa gloire et celle de ses alliés». En même temps, l'impétueux souverain engageait Monsieur à se proclamer régent et à créer autour de lui un gouvernement qui serait le vrai gouvernement de la France, le Roi devant être considéré comme prisonnier de ses sujets rebelles. «Ce nom de régent, disait-il, sauvera Monsieur et tous les Français attachés à leur devoir, de l'imputation de révolte, dont l'Assemblée ne manquera pas de vouloir les entacher. Ce ne sera pas des Français qui combattront contre la France, mais des sujet fidèles qui attaqueront des révoltés pour délivrer leur souverain opprimé[742].» Cette impatience du roi de Suède s'accordait bien avec celle des émigrés, dont le parti, depuis le 21 juin, s'était considérablement accru en importance et en nombre. L'échec de la tentative de fuite, combinée par le Roi et la Reine en dehors des princes et de leurs amis, semblait assurer à ceux-ci une prédominance incontestée. Entouré d'espions et manifestement captif dans son propre palais, quelle pouvait être désormais l'autorité de Louis XVI? Partant, quelle pouvait être, dans les conseils de l'émigration, celle de son agent, le baron de Breteuil, l'un des auteurs du plan qui avait si misérablement échoué? N'était-ce pas à ceux qu'on avait systématiquement tenus dans l'ignorance des projets dont on venait de voir la triste issue, n'était-ce pas au comte d'Artois et à Calonne à prendre dorénavant la direction des affaires? Leurs partisans augmentaient chaque jour. Une foule de gentilshommes, qui n'étaient demeurés en France que pour se mettre à la disposition du Roi, dans le cas où il eût voulu tenter quelque entreprise, jugèrent que tout effort était rendu inutile par la situation nouvelle que venait de créer à la famille royale sa déplorable aventure. Il leur en coûtait beaucoup sans doute, comme l'écrivait l'un d'eux, de «laisser le Roi derrière eux»; mais «aucun point de ralliement n'étant plus possible en France, celui que les princes présentaient à Coblentz était le seul que l'honneur et le devoir semblaient leur indiquer[743]». Quel moyen restait-il au Roi de s'opposer aux tyranniques résolutions de l'Assemblée et des clubs? Si, avant Varennes, il n'avait pu épargner à ses fidèles serviteurs les humiliations du 28 février, après Varennes, que pouvait-il faire? La seule manière de lui venir en aide n'était-elle pas d'aller là où l'on pouvait organiser la résistance? M. de Bouillé l'avait bien compris ainsi, puisqu'il s'était réfugié à Luxembourg avec tout son état-major, et M. de Bouillé n'était point un cerveau brûlé, un contre-révolutionnaire intransigeant; c'était un esprit sage, patriotique, partisan, dans une assez large mesure, des réformes réclamées par l'opinion. A peine sorti de France, après avoir écrit à l'Assemblée une lettre menaçante où il revendiquait pour lui seul toute la responsabilité de la fuite du Roi, et jurait de tirer vengeance de son arrestation, l'ancien commandant de l'armée de Metz avait adressé aux officiers fidèles un chaleureux appel, et beaucoup avaient répondu à cet appel, apportant aux émigrés leur dévouement, leur épée, leur drapeau, parfois aussi leur caisse: des régiments entiers, comme les hussards de Berchiny, le régiment de Berwick, la plus grande partie du Royal-Allemand, avaient fait comme leurs officiers. C'étaient de puissants renforts pour ce noyau d'armée, qui se formait sous les ordres du maréchal de Broglie et du prince de Condé. Enfin, la journée du 21 juin avait donné à l'émigration ce qui lui avait manqué jusque-là, un chef incontesté. Monsieur, comte de Provence, avait réussi là où l'infortuné Louis XVI avait échoué; il ne s'était point entouré du luxe de relais et de détachements qui partout avait éveillé l'attention sur le passage du Roi, et était parvenu ainsi à gagner sans encombre Mons et Bruxelles[744]. L'autorité du comte d'Artois, le dernier né de la famille royale, pouvait être discutée; celle de Monsieur, le premier prince du sang, le régent de France, en cas de minorité ou de prison du souverain, ne pouvait pas l'être, et, s'il consentait à ne pas afficher un titre que l'évidente captivité du Roi semblait lui donner et que Gustave III le pressait de revendiquer[745], du moins était-ce à lui à prendre résolûment la direction des affaires. A vrai dire, il y avait là pour l'émigration, enfin appelée à jouer un rôle, une singulière bonne fortune. Esprit fin et cultivé, instruit et disert, le comte de Provence, s'il n'avait pas les séductions et le brillant du comte d'Artois, n'avait pas non plus sa légèreté et son imprévoyance; on le considérait même comme un habile politique. Malheureusement, il n'avait point encore acquis la maturité et la sagesse qui, vingt-cinq ans plus tard, firent de son règne un des règnes les plus réparateurs de la France. Quoique passant pour libéral et en affectant les dehors, il partageait sur bien des points et devait partager longtemps encore les préjugés et les illusions des émigrés. Il partageait surtout l'hostilité de quelques-uns d'entre eux, et particulièrement de Calonne, contre la Reine dont la maternité tardive avait fait évanouir ses rêves de grandeur. La Reine le lui rendait bien; elle avait fait plus d'une fois assaut avec lui d'épigrammes et de mots aigres-doux. Le malheur n'avait pu faire cesser cette rivalité sourde, et Marie-Antoinette conservait contre son beau-frère, plus heureux qu'elle dans sa fuite, une méfiance qui se traduisait dans la lettre suivante à Mme de Lamballe: «Soyez sûre qu'il y a dans ce cœur-là plus d'ambition personnelle que d'affection pour son frère et certainement pour moi. Sa douleur a été toute sa vie de n'être pas né le maître et cette fureur de se mettre à la place de tout n'a fait que croître depuis nos malheurs, qui lui donnent l'occasion de se mettre en avant[746].» Toutefois, au début, il semble que Monsieur, tout en se réservant le premier rang, ait volontiers abandonné le premier rôle au comte d'Artois, son cadet par l'âge, son aîné en émigration, et qui, par là même, connaissait mieux les ressources et les aspirations des émigrés, qui d'ailleurs avait été déjà mêlé à toutes les négociations avec les Puissances. Le comte d'Artois, ardent, léger et fougueux, «parlant toujours, n'écoutant jamais, étant sûr de tout[747],» ne se laissait arrêter par rien et voulait une action immédiate: pas de négociations avec les membres de l'Assemblée; la force seule: tout au plus pouvait-on chercher à travailler Paris avec de l'argent et garantir à Lafayette et à ses compagnons sûreté et oubli du passé[748]. Plus prudent que son frère, mais alors «entièrement subjugué par lui», dit Fersen[749], Monsieur se prêtait à ces combinaisons et acceptait presque la direction de l'homme du comte d'Artois, le fatal Calonne. On organisait les émigrés de Belgique sous six chefs: MM. de Frondeville, de Robin, de Jaucourt, le marquis de la Queuille, les ducs d'Uzès et de Villequier. A Coblentz, on formait un véritable gouvernement; on instituait un Conseil d'État composé du prince de Condé, de M. de Vaudreuil, de l'évêque d'Arras, «prélat plus politique que religieux[750],» chancelier, et de Calonne, premier ministre. Quant à Breteuil, l'homme de la Reine, il était laissé de côté[751]. En même temps, on envoyait le baron de Roll à Berlin, le baron de Flachslanden à Vienne, le baron de Bombelles[752] à Saint-Pétersbourg, et Calonne lui-même à Londres[753]. C'était cette double action des Princes et de Gustave III d'une part, de l'Empereur de l'autre, que les chefs du parti constitutionnel voulaient s'efforcer de neutraliser. Déjà ils avaient essayé, mais sans succès, d'entrer, par l'intermédiaire de M. de la Borde, en rapports avec le comte de Mercy[754]; repoussés de ce côté, ils s'adressèrent à la Reine, avec laquelle leurs relations étaient fréquentes, et la Reine consentit à écrire, sous leur inspiration et presque sous leur dictée, la lettre suivante à l'Empereur: «Le 30 juillet 1791. «On désire, mon cher frère, que je vous écrive, et l'on se charge de vous faire passer ma lettre, car pour moi je n'ai aucun moyen de vous donner des nouvelles de ma santé[755]. Je n'entrerai point en détails dans ce qui a précédé notre départ; vous en avez connu tous les motifs. Pendant les événements qui ont accompagné notre voyage, et dans la situation qui a suivi notre retour à Paris, j'ai été livrée à de profondes impressions. Revenue de la première agitation qu'elles avaient produite, je me suis mise à réfléchir sur ce que j'avais vu et j'ai cherché à démêler quels étaient, dans l'état actuel des choses, les intérêts du Roi et la conduite qu'ils me prescrivaient. Mes idées se sont fixées par une réunion de motifs, que je vais vous exposer...... La situation des affaires a extrêmement changé ici depuis les événements occasionnés par notre voyage. L'Assemblée nationale était divisée en une multitude de partis. Bien loin que l'ordre parût se rétablir, chaque jour voyait diminuer la force des lois. Le Roi, privé de toute autorité, n'apercevait pas même la possibilité d'en reprendre à la fin de la Constituante, par l'influence de l'Assemblée, puisque chaque jour l'Assemblée perdait elle-même le respect du peuple. Enfin, il était impossible d'apercevoir un terme à tant de désordre. «Aujourd'hui, les circonstances donnent beaucoup plus d'espoir. Les hommes qui ont le plus d'influence sur les affaires se sont réunis et se sont prononcés ouvertement pour la conservation de la monarchie et du Roi et pour le rétablissement de l'ordre. Depuis leur rapprochement, les efforts des séditieux ont été repoussés avec une grande supériorité de force. L'Assemblée a acquis dans tout le royaume une consistance et une autorité dont elle paraît vouloir user pour établir l'exécution des lois et finir la Révolution. Les hommes les plus modérés, qui n'ont cessé d'être opposés à ses opérations, s'y réunissent en ce moment, parce qu'ils y voient le seul moyen de jouir en sûreté de ce que la Révolution leur a laissé et de mettre un terme à des troubles dont ils redoutent la continuation. Enfin, tout paraît se réunir pour assurer la fin des agitations et des mouvements auxquels la France est livrée depuis deux ans. Cette terminaison naturelle et possible ne donnera pas au gouvernement le degré de force et d'autorité que je crois qui lui serait nécessaire; mais elle nous préservera des plus grands malheurs; elle nous placera dans une situation plus tranquille, et lorsque les esprits seront revenus de cette ivresse, dans laquelle ils sont actuellement plongés, peut-être sentira-t-on l'utilité de donner à l'autorité royale une plus grande étendue. «Voilà, dans la marche que les choses prennent d'elles-mêmes, ce que l'on peut apercevoir de l'avenir. Je compare ce résultat avec ce que pourrait promettre une conduite opposée au vœu que la nation manifeste. Je vois une impossibilité absolue à rien obtenir autrement que par l'emploi d'une force supérieure. Dans cette dernière supposition, je ne parlerai pas des dangers personnels que pourraient courir le Roi, son fils et moi; mais quelle entreprise que celle dont l'issue est incertaine et dont les résultats, quels qu'ils fussent, présentent de tels malheurs qu'il est impossible d'y attacher ses regards! On est ici déterminé à se défendre. L'armée est en mauvais état par le défaut de chefs et de subordination; mais le royaume est couvert d'hommes armés, et leur imagination est tellement exaltée qu'il est impossible de prévoir ce qu'ils pourraient faire et le nombre des victimes qu'il faudrait immoler pour pénétrer au sein de la France. On ne saurait calculer, d'ailleurs, quand on voit ce qui se passe ici, quels seraient les effets de leur désespoir. Je ne vois, dans les événements que présente une telle tentative, que des succès douteux, et la certitude de grands maux pour tout le monde. Quant à la part que vous, mon cher frère, pourriez y prendre, ce seraient des grands sacrifices que vous feriez à nos intérêts, et cependant ils présenteraient d'autant plus de danger pour nous qu'on pourrait nous y supposer plus d'influence.» Que devait donc faire l'Empereur? Cesser toute protestation, toute menace, être le premier à reconnaître la Constitution, lorsqu'elle aurait été acceptée par le Roi, et se lier ainsi intimement à la France régénérée. Par là il ferait disparaître «des inquiétudes d'autant plus fâcheuses pour tout le monde qu'elles sont un des principaux obstacles au rétablissement de la tranquillité publique». Une telle attitude ne pourrait que ramener les esprits au Roi, auquel on ne manquerait pas d'attribuer une part prépondérante dans cette résolution de son beau-frère; les chefs de la Révolution «qui ont soutenu le Roi dans la dernière circonstance et qui veulent lui assurer la considération et le respect nécessaires à l'exercice de son autorité», trouveraient là «un moyen de concilier la dignité du souverain avec les intérêts de la nation et par là de consolider et d'affermir une Constitution, dont ils conviennent tous que la majesté royale est une chose essentielle». «Je ne sais, ajoutait la Reine en terminant, si le Roi ne trouvera pas là et dans les dispositions de la nation, dès qu'elle sera plus calmée, plus de déférence et des dispositions plus favorables que celles qu'il pourrait attendre de la plupart des Français, qui sont actuellement hors du royaume[756].» Quant à ces derniers, les émigrés, dont les menaces exaspéraient la nation et compromettaient la pacification intérieure, l'essentiel était de les contenir, et pour les contenir, le plus simple était de les faire rentrer en France. Pour confirmer la pensée contenue dans cette lettre et lui donner plus de poids par des explications verbales, quelques jours après, au commencement d'août, les chefs des Constitutionnels, avec l'assentiment officiel du Roi et de la Reine, firent partir deux émissaires, l'un, le chevalier de Coigny, pour Coblentz, où il devait remettre des dépêches aux princes; l'autre, l'abbé Louis, pour Bruxelles, où il devait rencontrer un ministre de Léopold, longtemps confident de la Reine, et qui ne s'était pas désintéressé des affaires de France, le comte de Mercy. Ancien familier de Trianon, habitué fidèle des Tuileries, depuis le retour à Paris, et l'un des confidents, dit-on, du voyage de Varennes, le chevalier de Coigny était l'homme de la famille royale, et devait, pensait-on, inspirer confiance aux frères du Roi. Ami intime de Duport, l'abbé Louis était plutôt l'homme des Constitutionnels. Tous deux eurent, avant leur départ, une entrevue avec Louis XVI et Marie-Antoinette; mais M. de Coigny ne les vit qu'en présence des ministres, et c'est devant ces derniers que la lettre pour le comte d'Artois lui fut remise et lue. Le Roi y ajouta une lettre cachetée pour Monsieur, et M. de Montmorin, un mémoire qui ne devait être communiqué qu'autant que les Princes paraîtraient bien disposés[757]. Dans sa dépêche ostensible, Louis XVI engageait ses frères à rentrer en France avec tous les émigrés; la Constitution avait les sympathies de la nation; il était donc impossible de s'y opposer: mieux valait s'y soumettre. Dans la lettre à Monsieur, le Roi ajoutait que les Princes ne devaient point avoir égard à ce qui lui était personnel, à lui et à sa famille, mais ne consulter que le bonheur et les avantages du pays; qu'au surplus, ils pouvaient avoir toute confiance dans le chevalier de Coigny[758]. Lorsque ce dernier arriva à Coblentz[759], les Princes, après avoir pris connaissance des deux lettres, demandèrent s'il ne fallait pas agir du tout et si telle était bien l'intention du Roi. Le chevalier répondit qu'il ne le croyait pas, mais que le Roi désirait que, si l'on agissait, on prît toutes les précautions nécessaires pour sa sûreté, celle de sa famille et des gens qui lui étaient attachés dans le royaume[760]. Cette réponse de M. de Coigny, interprète ou non de la pensée de Louis XVI, s'accordait trop bien avec les sentiments intimes des Princes, pour qu'ils ne se fussent pas empressés d'y conformer leur conduite. Excités par le roi de Suède, flattés par l'Impératrice de Russie, possesseurs, depuis le 7 juillet, d'un plein pouvoir en blanc, envoyé par le Roi, débarrassés ainsi du contrôle du baron de Breteuil, l'homme de la Reine[761], ils étaient moins que jamais résignés à rentrer, et, plus que jamais, décidés à agir. Quant à l'abbé Louis, il avait eu, avant de partir, une assez longue conférence avec Marie-Antoinette. Il lui avait exposé que trois partis s'offraient à elle: ou favoriser les entreprises des Princes, ou se jeter dans le parti démocratique, ou attendre du temps et d'une conduite adroite et sage le retour du peuple à des idées modérées, dont les malheurs de l'anarchie devaient lui faire sentir la nécessité. «La Reine, raconte Staël, très lié avec les chefs de l'Assemblée et qui, manifestement, tenait d'eux ses renseignements, la Reine a rejeté avec une grande force le premier parti, répétant souvent que les princes voulaient faire les héros aux dépens de la France et de la sûreté du Roi et de la sienne; qu'elle avait toujours détesté leurs intentions, et qu'elle n'avait conçu le plan de Montmédy que pour ne devoir rien qu'à l'opinion qui se serait formée et montrée en France en faveur de la monarchie, et non aux secours étrangers. Elle a témoigné aussi beaucoup d'éloignement pour les exagérations démocratiques, et le parti qui permettait au Roi de profiter de toutes les occasions pour regagner l'affection du peuple lui a paru préférable. L'abbé Louis lui a proposé qu'un moyen d'inspirer la confiance au peuple serait la conduite de l'Empereur; que, s'il était le premier souverain qui ménageât son alliance avec la France et éloignât de chez lui les émigrés français, connus par leurs projets hostiles, on croirait que la Reine est franchement déterminée à ne point vouloir de réforme en France que dans le temps et l'expérience faite[762].» La Reine, paraissant entrer dans les vues de l'abbé, lui donna une lettre pour l'accréditer près de Mercy, et engager ce dernier, ainsi que c'était le désir des Constitutionnels, à revenir à Paris, ajoutant qu'elle craignait de s'être trompée sur la route qu'elle aurait dû suivre, et qu'elle avait grand besoin de ses lumières et de ses conseils[763]. Mais la Reine ne se prêtait qu'en apparence aux plans de ses nouveaux alliés; et tout en écoutant leurs projets, et en transmettant leurs mémoires à son frère, en rendant même justice à leur bonne volonté, elle n'acceptait point leur politique. «Je suis assez contente de ce côté-là, écrivait-elle, c'est-à-dire de Duport, de Lameth et de Barnave,—les trois seuls, disait-elle une autre fois, avec lesquels on puisse tenter quelque chose[764].—Il faut leur rendre justice, quoiqu'ils tiennent toujours à leurs opinions, je n'ai jamais vu en eux que grande franchise, de la force et une grande envie de remettre de l'ordre, et par conséquent l'autorité royale[765].»—«Mais, reprenait-elle presque aussitôt, quelques bonnes intentions qu'ils montrent, leurs idées sont exagérées et ne peuvent jamais nous convenir[766].» Cette méfiance instinctive ne s'expliquait que trop. Ces hommes, qui prétendaient sauver la monarchie, n'étaient-ils pas les mêmes qui lui avaient porté les premiers et les plus rudes coups? Ce peuple, en la sagesse duquel on l'engageait à se fier, n'était-il pas le peuple du 14 juillet, du 6 octobre, du 18 avril, qui, chaque jour encore, outrageait la famille royale sous les fenêtres de son palais et menaçait ses plus fidèles serviteurs? La Reine ne savait-elle pas qu'il est plus facile de déchaîner le torrent que de l'arrêter, et que ceux qui ont été habiles à détruire sont rarement capables de réédifier? Les intentions de Barnave et de ses amis étaient pures; la Reine le croyait; mais la politique n'est-elle pas pavée de bonnes intentions? La clairvoyance des Constitutionnels, si souvent en défaut, serait-elle plus heureuse aujourd'hui, et leur pouvoir d'ailleurs serait-il à la hauteur de leur bonne volonté? Cette Assemblée, dont ils se croyaient les maîtres et qu'ils représentaient comme si désireuse de restaurer l'autorité royale, ne venait-elle pas d'infliger à la majesté du Roi un sanglant outrage en votant publiquement une récompense à ceux qui l'avaient arrêté, de porter un coup mortel à sa puissance et à sa sûreté en éloignant de sa personne les Suisses et les plus dévoués défenseurs de la monarchie[767]? Qu'avaient donc fait Barnave et les Lameth pour épargner au Roi ces insultantes mesures, ou, s'ils avaient voulu faire quelque chose, quelle était leur influence? Et quelle était alors la valeur de leur concours et des idées qu'ils prétendaient imposer? Aussi, dès le lendemain du jour où elle avait écrit la lettre inspirée par les chefs de la gauche, le lendemain de sa conférence avec l'abbé Louis, la Reine s'empressait-elle de renier ses paroles et de désavouer ses agents: «Je vous ai écrit, le 29, une lettre que vous jugerez aisément n'être pas de mon style, écrivait-elle à Mercy le 31. J'ai cru devoir céder aux désirs des chefs du parti ici, qui m'ont donné eux-mêmes le projet de lettre. J'en ai écrit une autre à l'Empereur hier, 30; j'en serais humiliée, si je n'espérais pas que mon frère jugera que, dans ma position, je suis obligée de faire et d'écrire tout ce qu'on exige de moi[768].» Le jour suivant, elle revenait à la charge: «L'abbé Louis doit aller vous joindre bientôt; il se dira accrédité par moi pour vous parler. Il est essentiel que vous ayez l'air de l'écouter et d'être prévenu, mais de ne pas vous laisser aller à ses idées[769].» Mercy, plus dur que la Reine, dur jusqu'à l'injustice, il faut le dire, était plein de mépris pour ces anciens ennemis repentants. A ses yeux, Barnave et les Lameth n'étaient que des «scélérats dangereux»; Duport, «le plus déterminé antiroyaliste et le factieux le plus intrépide[770]». Marie-Antoinette elle-même était convaincue que les Constitutionnels ne se rapprochaient d'elle que par ambition et par dépit; que l'attachement qu'ils affichaient pour la royauté n'était qu'un moyen de reprendre un pouvoir qui leur échappait et que si, grâce à leur coalition avec les royalistes, ils redevenaient les maîtres, ils ne vaudraient pas mieux que leurs adversaires plus avancés. Si elle feignait de les écouter et de les suivre, c'était pour les endormir, pour les empêcher de se réunir aux Jacobins et de fonder avec eux la république[771]; c'était aussi dans l'espoir, par cette division, d'amener le discrédit du nouveau gouvernement, de le rendre en quelque sorte impossible, et de préparer par là les esprits à un mécontentement d'où sortirait le rétablissement du trône; mais elle n'avait pleine confiance ni dans la franchise ni dans le désintéressement de ses nouveaux alliés[772]. C'est le malheur des révolutionnaires qui veulent revenir à des idées plus saines, qu'on ne croit pas à la sincérité de leur conversion. C'est aussi leur châtiment. CHAPITRE XII La Reine ébauche un plan.—En quoi il consiste; pas d'action immédiate; des négociations seulement.—Lettre du 8 juillet à Fersen.—Hostilité de la Reine contre les émigrés.—Mauvaise attitude d'un certain nombre de ces derniers contre Marie-Antoinette.—Froideur de Léopold à l'égard des Princes.—Déclaration de Pillnitz.—Sa vraie portée.—Comment elle est jugée par la Reine.—Lettre du 12 septembre à Mercy.—Cruelle situation de Marie-Antoinette. Mais si Marie-Antoinette n'adoptait pas les idées des Constitutionnels, si elle n'acceptait pas non plus celles des émigrés, que prétendait-elle donc, et quel était son plan? Ce plan, à la date où nous sommes arrivés, n'était et ne pouvait être encore qu'ébauché. Après l'échec de Varennes, qui avait dérouté si complètement des projets arrêtés et mûris, il fallait un certain temps à la Reine, prisonnière et isolée de ses amis, pour recueillir ses esprits, étudier une ligne de conduite et combiner les débris de l'organisation précédemment élaborée avec les exigences nouvelles de la situation. Une lettre du 8 juillet, à Fersen, donne cependant la première pensée et comme les premiers traits de ce plan qui a été longtemps ignoré, mais que des publications récentes permettent de reconstituer avec une certaine précision. Ce à quoi le Roi et la Reine tenaient avant tout, ce qu'ils recommandaient avec la dernière énergie, c'est qu'on n'eût pas recours à la force. «Le Roi pense, écrivait Marie-Antoinette, le 8 juillet, que c'est par la voie des négociations seules que leur secours,—des Puissances étrangères,—pourrait être utile à lui et à son royaume; que la démonstration de forces ne doit être que secondaire, et si l'on se refusait ici à toute voie de négociation. «Le Roi pense que la force ouverte, même après une première déclaration, serait d'un danger incalculable, non seulement pour lui et sa famille, mais pour tous les Français qui, dans l'intérieur du royaume, ne pensent pas dans le sens de la Révolution. Il n'y a pas de doute qu'une force étrangère ne parvienne à rentrer en France; mais le peuple, armé comme il l'est, en fuyant les frontières et les troupes du dehors, se servirait dans l'instant de leurs armes contre ceux de leurs concitoyens que, depuis deux ans, on ne cesse de leur faire regarder comme leurs ennemis. «..... On doit regarder tout ce qui s'est fait depuis deux ans comme nul quant à la volonté du Roi, mais impossible à changer, tant que la grande majorité de la nation sera pour les nouveautés. C'est à faire changer cet esprit qu'il faut faire tourner toute notre application. «Résumé: Il désire que la captivité du Roi soit bien constatée et bien connue des Puissances étrangères; il désire que la bonne volonté de ses parents, amis et alliés et des autres souverains qui voudraient y concourir, se manifestât par une manière de Congrès où on employât la voie des négociations; bien entendu qu'il y eût une force imposante pour les soutenir, mais toujours assez en arrière pour ne pas provoquer au crime et au massacre[773].» Il est facile de voir, par ce simple aperçu, combien ce plan différait de celui des Constitutionnels, qui voulaient l'inaction des Puissances; combien plus encore il différait de celui des émigrés, qui, eux, voulaient une entrée en campagne immédiate. C'était à ce dernier projet surtout que la Reine était le plus énergiquement opposée. Toutes ses lettres à l'Empereur, à Mercy, à Fersen, lettres intimes et lettres officieuses, sinon officielles, sont remplies d'instances pour qu'on retienne les émigrés, pour qu'on les réduise à l'inaction, sinon à l'impuissance. Sa méfiance contre les chefs des émigrés, son antipathie surtout contre Calonne, dont l'appel près du comte d'Artois lui avait semblé une sorte d'insulte personnelle[774], et quelle voyait triomphant et plus actif que jamais, semblait s'être accrue de l'humiliation de son échec. Elle s'était accrue surtout des nouvelles qu'elle recevait de Coblentz, du peu de cas que les meneurs de l'émigration faisaient de l'autorité du Roi, et du peu de respect qu'ils avaient pour sa personne. Elle ne pouvait guère ignorer en effet qu'à Bruxelles et à Coblentz on traitait mal ses plus dévoués serviteurs, comme Breteuil, le maréchal de Castries, M. d'Agoût[775], qu'on ne la traitait guère mieux elle-même, et qu'il avait fallu un certain courage à M. de Vaudreuil pour la défendre contre des récriminations ardentes[776]; qu'on opposait hautement le parti du comte d'Artois à celui de la Reine[777], et que certains émigrés avaient poussé l'inconvenance jusqu'à se réjouir publiquement de son arrestation[778]. N'avait-on pas été jusqu'à dire à Coblentz que «le Roi, lorsque ses frères lui auraient _rendu_ la couronne, ne pourrait jamais, sous aucun prétexte et dans aucun cas, renvoyer un des ministres qui faisaient partie du Conseil nommé par les Princes, sans l'aveu et le consentement des autres membres de ce Conseil[779]?» Non pas assurément que ces reproches d'ambition personnelle doivent s'étendre à tous les émigrés; le plus grand nombre n'avait été poussé à s'engager dans l'armée des Princes que par dévouement pour la famille royale et parce que, après Varennes, ils n'apercevaient pas d'autre moyen de la servir que là. Beaucoup de braves gentilshommes de province étaient accourus du fond de leurs campagnes, prêts à verser leur sang simplement, sans prétention, comme à Fontenoy, comme à Clostercamps, parce qu'ils voyaient là un devoir à remplir, et que, dans leur loyal enthousiasme, combattre pour le Roi, c'était toujours combattre pour la France: politiques à courtes vues peut-être, mais serviteurs au cœur large et au dévouement sans bornes. Pour eux, suivant le mot heureux de Mme Swetchine, «le royalisme, c'était le patriotisme simplifié[780].» Mais il faut malheureusement convenir que certains chefs de l'émigration, les meneurs, ceux qui donnaient le ton à Coblentz, «ces talons-rouges et ces têtes folles,» comme les appelait, avec un certain dédain, le cardinal de Bernis[781], n'avaient pas des vues si désintéressées, ni de si naïfs calculs. C'était leur cause autant que celle du Roi qu'ils soutenaient; c'était leur pouvoir, plus encore que celui du Roi, qu'ils prétendaient défendre et perpétuer, quel que fût d'ailleurs le souverain régnant, que ce fût, comme l'avait écrit Gustave III à Stedingk, Louis XVI, Louis XVII ou Charles X[782]. Dès 1790, un émigré, le baron de Castelnau, «un des plus instruits et des plus loyaux,» suivant Mounier[783], n'avait-il pas dit, à Vienne, que «quand même, au milieu d'une contre-révolution, le Roi, la Reine et leurs enfants seraient sacrifiés, le comte d'Artois resterait, et que la monarchie serait sauvée[784]?» Cela n'était-il pas plus vrai maintenant que, outre le comte d'Artois, il y avait, hors de France, Monsieur, héritier présomptif de la couronne après le Dauphin? Qui pourrait dire que cette perspective d'un changement dans la personne royale ne fût pas entrée dans les visées de quelque personnage, non pas sans doute des frères du Roi, malgré les méfiances de Marie-Antoinette contre le comte de Provence, mais du moins de certains de leurs conseillers, qui espéraient avoir près des Princes plus d'influence qu'ils n'en auraient jamais auprès du Roi et en face de la Reine? Mme de Bombelles avait donc raison d'écrire que «le peu d'égards qu'ils,—les Princes,—ont eu pour la Reine ferait toujours redouter leur empire à cette dernière[785]». Et l'on conçoit que la malheureuse princesse, instruite de cette attitude, se soit écriée un jour avec colère: «Ils se croient des héros! Que feront ces héros, même avec leur roi de Suède?» Et qu'une autre fois, dans un moment d'amertume et d'abandon, elle se soit laissée aller à dire: «Si mes frères parvenaient à nous rendre quelques services, la reconnaissance en serait bien pesante, et nous aurions ces maîtres-là de plus, qui seraient les plus gênants et les plus impérieux[786].» La raison politique était donc d'accord avec le ressentiment de la souveraine outragée et de la femme offensée, pour lui faire repousser le concours armé des émigrés. «Il est essentiel, écrivait-elle à Mercy, le 7 août, il est essentiel qu'on contienne les Princes et les Français qui sont au dehors. Je crains tout de la tête de Calonne, et une seule fausse démarche perdrait tout[787].» Le 16 août, elle est plus pressante encore. Pourquoi se fierait-elle aux Princes? Ils n'ont aucun moyen sérieux, ils ne feront rien de bon; ils ne peuvent que nuire. «Et si même, ce qui n'est pas à présumer, ils ont un avantage réel, nous retomberions sous leurs agents dans un esclavage nouveau et pis que le premier, puisque, ayant l'air de leur devoir quelque chose, nous ne pourrions pas nous en tirer. Ils nous le prouvent déjà en refusant de s'entendre avec les personnes qui ont notre confiance, sous le prétexte qu'ils n'ont pas la leur, tandis qu'ils veulent nous forcer à nous livrer à M. de Calonne qui, sous tous les rapports, ne peut pas nous convenir, et qui, je le crains bien, ne suit en tout ceci que son ambition, ses haines particulières et sa légèreté ordinaire, en croyant toujours possible et fait tout ce qu'il désire. Je crois même qu'il ne peut que faire tort à mes frères, qui, s'ils n'agissaient que d'après leur cœur seul, seraient sûrement parfaits pour nous[788].» Mais quoi! Ignore-t-elle les mauvais propos qui se tiennent contre elle à Coblentz? Ne songe-t-on pas à proclamer Monsieur régent, le comte d'Artois, lieutenant général du royaume? On veut annihiler le Roi, après l'avoir privé de ses défenseurs. Car ne sont-ce pas ces perpétuels appels à l'émigration qui ont créé autour des souverains captifs un isolement sous lequel ils succombent, et qui la force elle, à s'abaisser et à dissimuler? Et, se révoltant à cette pensée, sentant son courroux grandir, et sa tête bouillonner, la Reine rouvre sa lettre le 21 août, pour y revenir encore dans les termes les plus formels et les plus durs sur la nécessité de repousser le concours des émigrés: «Il est essentiel que les Français, mais surtout les frères du Roi, restent en arrière, et que les Puissances réunies agissent seules. Aucune prière, aucun raisonnement de notre part ne l'obtiendra d'eux; il faut que l'Empereur l'exige; c'est la seule manière dont il puisse, mais surtout à moi, me rendre service. Vous connaissez par vous-même les mauvais propos et les mauvaises intentions des émigrants. _Les lâches!_ Après nous avoir abandonnés, ils veulent exiger que seuls nous nous exposions et que seuls nous servions tous leurs intérêts. Je n'accuse pas les frères du Roi, je crois leurs cœurs et leurs intentions purs; mais ils sont entourés et menés par des ambitieux, qui les perdront, après nous avoir perdus les premiers[789].» Le 26, avant le départ de cette lettre, nouvelles instances: «Il est essentiel que, pour conditions, il—l'Empereur—exige que les frères du Roi et tous les Français, mais surtout ces premiers, restent en arrière et ne se montrent pas[790].» L'Empereur d'ailleurs était très naturellement porté à donner satisfaction à ces désirs de sa sœur. Il n'avait pour les émigrés ni confiance, ni sympathie. Dès le 6 juillet, il s'était adressé aux Électeurs de Trèves et de Cologne, pour les engager à empêcher les Français réfugiés de faire un coup de tête[791], et le 30 du même mois, il écrivait à sa sœur Marie-Christine, gouvernante des Pays-Bas: «Ne vous laissez induire à rien, et ne faites rien de ce que les Français et les Princes vous demanderont, hors des politesses et dîners, mais ni troupes ni argent. Je plains bien leur situation, et celle de tous les Français qui ont dû s'expatrier; mais ils ne pensent qu'à leurs idées romanesques et à leurs vengeances et intérêts personnels, croient que tout le monde doit se sacrifier pour eux et sont bien mal entourés[792].» «Dans toute cette affaire, écrivait-il un peu plus tard, je n'ai vu que la Reine et M. de Fersen et Bouillé qui parlent et entendent raison[793].» Lui-même ne voulait agir qu'avec «le parfait concours de toutes les Puissances[794]». C'est dans ce but qu'il s'était ménagé une entrevue avec le Roi de Prusse. L'entrevue eut lieu en Saxe, à Pillnitz, le 25 août; le comte d'Artois s'y était rendu avec Calonne, au grand mécontentement de Léopold. La déclaration qui sortit de ces longues conférences entre l'Empereur, le Roi, leurs ministres, le Prince français et ses conseillers, est connue; il n'est pas inutile pourtant d'en reproduire le texte ici: «Sa Majesté l'Empereur et Sa Majesté le Roi de Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur et de M. le comte d'Artois, se déclarent conjointement qu'Elles regardent la situation où se trouve actuellement Sa Majesté le Roi de France comme un objet d'un intérêt commun à tous les souverains de l'Europe. Elles espèrent que cet intérêt ne peut manquer d'être reconnu par les Puissances dont le secours est réclamé; qu'en conséquence, Elles ne refuseront pas d'employer, avec leurs dites Majestés, les moyens les plus efficaces, relativement à leurs forces, pour mettre le Roi de France en état d'affermir dans la plus parfaite liberté les bases d'un gouvernement monarchique, également convenable aux droits des souverains et au bien-être de la nation française. Alors, et dans ce cas, leurs dites Majestés, l'Empereur et le Roi de Prusse, sont résolues d'agir promptement, d'un mutuel accord, avec les forces nécessaires pour obtenir le bien propre et commun. En attendant, Elles donneront à leurs troupes les ordres convenables, pour qu'elles soient à portée de se mettre en activité.» A Pillnitz, le 27 août 1791. LÉOPOLD, FRÉDÉRIC-GUILLAUME. Si menaçante que parût être cette déclaration, elle n'était, au fond, suivant l'expression de Mallet du Pan qu'«une comédie auguste[795]». Les cinq mots: _Alors et dans ce cas_, introduits par un des négociateurs autrichiens, Spielmann, dans la rédaction de l'acte, en avaient annulé toute la portée. Les souverains ne devaient agir que dans le cas d'un concours général des Puissances, et Léopold lui-même déclarait ce concours «bien difficile», sinon impossible[796]. Mais c'était une comédie singulièrement dangereuse. Tôt ou tard connu du public qui ne savait point les arrière-pensées et les dessous de cartes, le manifeste ne pouvait manquer de produire un double effet: exalter les espérances des émigrés, qui se croyaient soutenus, surexciter les passions des révolutionnaires, qui se supposaient menacés: de toutes façons donc, compromettre la sécurité de ceux qu'on prétendait sauver. La Reine ne s'y trompa point: elle fut très mécontente de la déclaration de Pillnitz: «On dit ici, écrivait-elle à Mercy, le 12 septembre, que, dans l'accord signé à Pillnitz, les deux Puissances s'engagent à ne jamais souffrir que la nouvelle Constitution française s'établisse. Il y a sûrement des points auxquels les Puissances ont le droit de s'opposer; mais, _pour ce qui regarde les lois intérieures d'un pays, chacun est maître d'adopter dans le sien ce qui lui convient_. Ils auraient donc tort de l'exiger, et tout le monde y reconnaîtrait l'intrigue des émigrants, ce qui ferait perdre tous les droits de leur bonne cause[797].» On nous objectera peut-être qu'il y a là une contradiction étrange et que la Reine, en sollicitant l'appui des Puissances, demandait, au fond, ce qu'elle repoussait par cette lettre, une intervention étrangère dans la Constitution intérieure du pays. Nous croyons que ce serait mal interpréter sa pensée. La Reine voulait que, grâce à l'attitude menaçante, à la pression même, si l'on veut, des Puissances, le Roi fût remis en liberté; c'était tout. Le Roi, une fois redevenu maître de ses actes, aurait seul décidé, avec les représentants de la nation, ce qu'il devait conserver, et ce qu'il devait rejeter d'une Constitution, dont les défauts étaient évidents, mais que, prisonnier dans Paris, il ne pouvait se refuser à sanctionner. Et qu'on ne croie pas que ce fût sous l'influence de Barnave et des Lameth que Marie-Antoinette avait tracé les lignes si sages et si fermes que nous venons de citer. Non; cette lettre du 12 septembre est une lettre tout intime; c'est la protestation de son patriotisme, le cri de son cœur, le sentiment profond de sa dignité de Reine et de Française. Si l'on veut voir à quel point elle y ouvre son âme tout entière, qu'on continue la lettre jusqu'au bout, et qu'on lise ceci: «Enfin, le sort en est jeté; il s'agit à présent de régler sa marche et sa conduite d'après les circonstances. Je voudrais bien que tout le monde réglât sa conduite d'après la mienne; mais, même dans notre intérieur, nous avons de grands obstacles et de grands combats à livrer. Plaignez-moi; je vous assure qu'il faut plus de courage à supporter mon état que si on se trouvait au milieu d'un combat; d'autant que je ne me suis guère trompée et que je ne vois que malheur dans le peu d'énergie des uns et dans la mauvaise volonté des autres. Mon Dieu! Est-il possible que, née avec du caractère et sentant si bien le sang qui coule dans mes veines, je sois destinée à passer mes jours dans un tel siècle et avec de tels hommes! Mais ne croyez pas pour cela que mon courage m'abandonne. Non pour moi, mais pour mon enfant, je me soutiendrai, et je remplirai jusqu'au bout ma longue et pénible carrière. _Je ne vois plus ce que j'écris. Adieu!_[798]» Et elle écrivait, quelques jours après à Esterhazy, «qu'il ne fallait pas s'occuper de sa sûreté personnelle, mais seulement du salut de la France[799].» La France et son fils, c'était la double pensée qui la soutenait pendant ses jours d'accablement, et qui lui inspirait, suivant le mot du comte de Stedingk, «un courage égal à son infortune.» CHAPITRE XIII Achèvement de la Constitution.—La Reine consulte Mercy et Léopold.—On ne peut refuser de sanctionner, car on n'a pas de moyens de résistance.—Conseils divers.—Retour momentané de l'opinion.—Le Roi accepte la Constitution.—Fêtes à Paris.—Enthousiasme populaire. Pendant toutes ces négociations et ces échanges de correspondances, l'Assemblée nationale avait atteint le terme de sa carrière. La Constitution était achevée le 3 septembre, et, le 4, présentée à l'acceptation du Roi, sans que les Constitutionnels convertis, abandonnés, le jour de la discussion, par la rancune inintelligente de la Droite, eussent pu y faire introduire les modifications qu'ils jugeaient indispensables à la dignité de l'autorité royale. Qu'allait faire Louis XVI? Sanctionnerait-il une œuvre que des libéraux éprouvés, comme Gouverneur Morris, proclamaient «inexécutable», que ses auteurs eux-mêmes, les Lameth, Barnave, Duport, trouvaient pleine d'erreurs dangereuses, et contre laquelle lui n'avait cessé de protester, soit secrètement, près des autres souverains, soit publiquement, avant de partir pour Varennes, par le message du 20 juin 1791? Refuserait-il sa sanction? Mais quelles en seraient les conséquences? Depuis longtemps, la Reine se préoccupait de cette grave question et ne cessait d'interroger Mercy et ses plus fidèles amis. «C'est à la fin de la semaine qu'on présentera la charte au Roi, écrivait-elle le 21 août; ce moment est affreux[800].» Mais Mercy, mais Léopold, mais les conseillers du dehors se rendaient-ils exactement compte de la situation? «L'Assemblée voudra composer, opinait Mercy dès le 28 juillet; il faudrait que le Roi eût la fermeté de dire qu'il ne consentira jamais à rien qu'en pleine liberté de lui, de la Reine et du Dauphin. Ce n'est que par le plus grand courage que l'on en imposera. ..... Il ne faudrait pas rejeter des conditions raisonnables; cela serait désarmer la nation, pouvoir du Roi sur l'armée, droit entier de la paix, de la guerre et des négociations, droit de fixer la prochaine Législature hors de Paris[801].» Mais ces conditions, très sages, au demeurant, pour la plupart, avaient-elles chance d'être acceptées par un peuple aussi ardent et aussi enclin aux préjugés que le peuple français? Qui eût pu, alors, sans une lutte violente, enlever aux gardes nationales ces armes qui leur semblaient le palladium de la liberté? L'expérience de Varennes ne venait-elle pas de prouver que Paris ne se croyait réellement capitale qu'autant qu'il gardait le Roi et l'Assemblée? Aurait-on pu exécuter, en 1791, ce qu'on n'a pu exécuter que quatre-vingts ans plus tard, après la plus sanglante révolte, et qui, même alors, n'a pas duré? La Reine ne le croyait pas. Pour parler ferme, comme le voulait Mercy, il eût fallu disposer d'une force sérieuse, et, au besoin, appuyer les paroles par des actes énergiques. Cette force, elle ne l'avait pas. «Ce que vous mandez des conditions à faire, répondait-elle, est juste, mais impraticable pour nous. Nous n'avons ni force, ni moyens; nous ne pouvons que temporiser.....» Et s'obstinant, malgré tout, dans un invincible espoir, elle ajoutait: «Il faut du temps et un peu de sagesse, et je crois encore qu'on pourra préparer à nos enfants un avenir plus heureux[802].» Un avenir plus heureux, quelle ironie! De même que Mercy, Léopold posait comme première condition la sortie du Roi de Paris et sa retraite dans une province, où, en pleine liberté et sous la protection de défenseurs dévoués, il eût pu examiner à son aise la Constitution qu'on lui soumettait. On désignait même le lieu de sa retraite: un château de M. de Crouy[803], du nom de l'Hermitage, situé près de Condé, ou encore Montmédy[804], et là, le Roi serait entouré de ses gardes du corps[805]. Mais l'Assemblée y consentirait-elle? C'était bien peu probable, car on eût replacé le Roi précisément dans la position où il avait voulu se mettre le 20 juin, et c'était pour l'empêcher de réaliser ce plan qu'on l'avait arrêté à Varennes, ramené à Paris et gardé à vue aux Tuileries. Le laisserait-on même aller, non pas à Condé ou à Montmédy, c'est-à-dire à une lieue de la frontière et à proximité des troupes étrangères, mais à une petite distance de la capitale, à Fontainebleau, Rambouillet ou Compiègne, par exemple? Malgré l'avis de Malouet et de Mallet du Pan, la Reine ne le croyait pas davantage. «On désire que nous allions soit à Rambouillet, soit à Fontainebleau; mais, d'un côté, comment et par qui serons-nous gardés? Et de l'autre, jamais ce peuple ne laissera sortir mon fils. On l'a accoutumé à le regarder comme son bien. Rien ne les fera céder, et,—ajoutait-elle avec le touchant exclusivisme et les légitimes appréhensions de l'amour maternel,—et nous ne pouvons pas le laisser seul[806]!» Il était bien facile à Burke d'écrire d'Angleterre: «Si le Roi accepte la Constitution, vous êtes tous deux perdus...... Ce n'est pas l'adresse, c'est la fermeté seule qui peut vous sauver...... Votre salut consiste dans la patience, le silence et le refus[807].» La patience, la Reine en avait depuis longtemps; mais le silence, comment le garder? Comment refuser la sanction demandée et en quelque sorte exigée? N'entendait-on pas dans Paris, et jusque sous les fenêtres des Tuileries, gronder des menaces incessantes d'insurrection? Le peuple, non seulement dans la capitale, mais dans les provinces même—on l'avait bien vu au retour de Varennes,—n'était-il pas emporté par un enthousiasme irréfléchi, mais irrésistible, pour cette Constitution qu'il ne connaissait pas, mais que, dans sa crédulité naïve, avec ce besoin inné en France de chercher toujours un sauveur, et en dépit des sinistres prophéties de Malouet, il regardait comme l'aurore de jours sans nuages? Résister à cet entraînement universel, mais avec quoi? Quelle armée, quelle autorité avait-on? «Nous n'avons ni forces, ni moyens, disait la Reine. Tout ce que nous pouvons pour notre honneur et pour l'avenir, ce sont des observations à faire, qui ne seront sûrement pas écoutées, mais qui, au moins avec la protestation que le Roi a faite, il y a six semaines, et calquées sur elle, serviront de base pour le moment où l'ennemi, le malheur et le désenivrement pourront laisser passer la raison[808].» Mercy lui-même, si partisan d'abord d'une attitude énergique, revenait à des opinions tout autres, et en envoyant à la Reine les conseils de Burke, dont nous avons parlé plus haut, et qui poussaient à la résistance, il avait soin d'ajouter: «Telle est l'idée de M. Burke et des amis de la Reine; mais cette idée, vraie dans le principe, est dangereuse dans le fait..... Il faudrait donc ne rien brusquer et mettre toute sa fermeté à tâcher de temporiser[809].» Plus les jours s'écoulaient, plus la terrible nécessité de l'acceptation de la Constitution s'imposait à Marie-Antoinette, quelque dur que cela pût être à sa fierté. Le 26 août, elle écrivait encore à Mercy: «Il est impossible, vu la position ici, que le Roi refuse son acceptation. _Croyez que la chose doit être bien vraie, puisque je le dis._ Vous connaissez assez mon caractère pour croire qu'il se porterait plutôt à une chose noble et pleine de courage; mais il n'en existe point à courir un danger plus que certain[810].» En présence de cette évidente nécessité, la Reine ne cherchait qu'à temporiser, comme disait Mercy, afin d'attendre l'occasion favorable de corriger l'œuvre, plus qu'imparfaite, qu'on allait être contraint d'accepter. Pour cela, il fallait avant tout inspirer la confiance; il fallait que rien, ni au dedans, ni au dehors, ne vînt entraver le retour de l'opinion et fournir un aliment aux passions révolutionnaires: «C'est le seul moyen, écrivait la Reine à l'Empereur, pour que le peuple, revenu de son ivresse, soit par le malheur qu'il éprouvera à l'intérieur, soit par la crainte du dehors, revienne à nous, en désertant les auteurs de ses maux[811].» Déjà, s'il faut en croire un observateur, ami, il est vrai, des Constitutionnels, un certain revirement se manifestait dans le public. Une foule plus sympathique se portait aux Tuileries; la Reine, prenant son fils dans ses bras, le présentait au peuple: elle était acclamée. Le 4 septembre, la messe au Château était des plus brillantes; Louis XVI et sa famille, en s'y rendant,—c'est un témoin bien peu suspect qui le rapporte,—étaient salués par des applaudissements[812]. L'opinion royaliste faisait des progrès sensibles; on commençait à oser la soutenir dans les cafés, même au Palais-Royal, ce palladium de la Révolution[813], et les chefs des partis populaires la professaient entre eux[814]. La plupart étaient convaincus que la Constitution, telle qu'ils l'avaient ébauchée, était inapplicable; Barnave allait jusqu'à dire qu'il fallait que les assemblées futures n'eussent que l'influence d'un Conseil de notables et que toute la force devait résider dans le gouvernement[815]. Bien plus, nombre de gens, de ceux même qui avaient applaudi et peut-être participé à l'arrestation du Roi, en étaient venus à déplorer publiquement qu'il eût échoué dans son entreprise; ils regrettaient ce qu'on appelait «le plan de Montmédy», car, disaient-ils, ce plan promettait à la France «une bonne Constitution également éloignée des deux extrêmes[816]». La Reine elle-même, si calomniée, avait sa part dans ce retour de la faveur populaire, et seize mille gardes nationaux, dit-on, portaient des anneaux avec cette devise: _Domine, salvum fac Regem et Reginam_[817]. Il fallait donc profiter de ce revirement inattendu, et dussent les aristocrates l'accuser,—comme ils le faisaient pour la punir de ses répugnances contre les émigrés,—l'accuser de sacrifier à sa fierté le salut de la France[818], ne valait-il pas mieux se résigner, en apparence du moins, à une Constitution dont les défauts étaient si criants, qu'ils sauteraient à tous les yeux, dès qu'on essaierait seulement de la mettre en pratique[819]? Il fallait donc accepter l'acte constitutionnel; mais comment, et dans quels termes? Ici encore les avis étaient partagés. Malouet, comme la Marck, comme Gouverneur Morris, demandaient que le Roi fît des réserves, et c'était le parti auquel inclinaient manifestement d'abord Louis XVI et Marie-Antoinette[820]. Mais les Constitutionnels insistaient pour une acceptation pure et simple, et le Roi, désireux de ne pas s'aliéner ces conseillers de la dernière heure, et de n'inspirer aucune méfiance sur la sincérité de son adhésion, se détermina à suivre leur avis. «Refuser eût été plus noble, écrivait la Reine à Fersen, mais cela était impossible dans les circonstances où nous sommes. J'aurais voulu que l'acceptation fût simple et plus courte; mais c'est le malheur de n'être entourés que de scélérats; encore je vous assure que c'est le moins mauvais projet qui a passé. Les folies des Princes et des émigrants nous ont aussi forcés dans nos démarches; il était essentiel, en acceptant, d'ôter tout doute que ce n'était pas de bonne foi[821].» Le jour même où l'Assemblée avait mis la dernière main à son œuvre, et afin d'enlever à la délibération et à l'acceptation du Roi l'apparence de la contrainte, Lafayette était venu lever la garde placée autour de la famille royale. Le Château redevint libre, les jardins furent rouverts au public. Le dimanche suivant, la messe fut célébrée dans la chapelle. Le peuple s'y rendit en masse et témoigna une grande joie de revoir les augustes prisonniers. On cria de toutes parts: _Vive le Roi!_ Mais une voix, partie de la foule, se chargea de dire à quel prix étaient les acclamations populaires: «Oui, reprit-elle, s'il accepte la Constitution[822].» Le 4 septembre, une députation, conduite par Thouret, vint en grande pompe apporter au Roi l'acte constitutionnel; le Roi le prit des mains du président et répondit qu'il l'examinerait. Le 13, il écrivit à l'Assemblée qu'il l'acceptait et qu'il irait le lendemain en jurer solennellement le maintien; il demandait en même temps, que «les accusations et les poursuites qui avaient pour cause les événements de la Révolution fussent éteintes dans une amnistie générale». La lecture de cette lettre rédigée par Duport du Tertre[823], mais écrite tout entière de la main du Roi[824], souleva de frénétiques applaudissements. L'amnistie fut votée séance tenante; on en était aux politesses et aux échanges de bons procédés. Une nombreuse députation alla porter le décret aux Tuileries. Le prince était avec sa famille: «Voilà ma femme et mes enfants, dit Louis XVI; ils partagent mes sentiments.» Marie-Antoinette reprit: «Voici mes enfants, nous accourons tous et nous partageons les sentiments du Roi.» Le Roi était sincère dans son acceptation de la Constitution; il espérait encore, à force de sagesse et de patience, la faire marcher tant bien que mal, tout en éclairant la nation sur les défauts de cette œuvre mal digérée, et sur les intérêts vrais du pays. «Il demanda à la Reine et à tous ceux qui l'entouraient, dit Mme de Tourzel, de s'interdire toute réflexion sur les démarches que les circonstances venaient d'exiger de lui, de ne se permettre rien de contradictoire à la Constitution, et, conformément à un de ses articles de ne plus nommer à l'avenir Mgr le Dauphin que du nom de Prince Royal[825].» La Reine n'avait pas la même confiance que son mari dans l'issue de l'expérience qu'on allait tenter et dans la sagesse du peuple; elle se résignait moins facilement aux sacrifices que le régime nouveau imposait à la royauté. Cette résignation d'ailleurs n'allait pas tarder à être soumise à une rude épreuve. Le 14 à midi, le Roi se rendit à l'Assemblée, entouré de tous ses ministres. Il alla prendre place sur un fauteuil à côté du président et prononça d'une voix ferme la formule du serment. Par un étrange oubli de toutes les traditions et de toutes les convenances, le président Thouret avait fait décréter que l'Assemblée resterait assise pendant que le Roi parlerait; le prince, qui était demeuré debout en prêtant serment, s'en aperçut et en fut vivement ému[826]. La Reine, qui s'était jointe spontanément à son mari et assistait à la séance dans une tribune avec son fils, sa fille et Mme Elisabeth, en fut plus émue encore[827]. Mais l'enthousiasme était si général que le public n'avait fait attention ni à cette étrange inauguration du nouveau régime, qui débutait par une humiliation officielle de la royauté, ni à cette légitime indignation du souverain; la salle et les tribunes s'étaient confondues dans de bruyantes et unanimes acclamations. Après la séance, l'Assemblée entière accompagna la famille royale revenant aux Tuileries. Arrivée au Palais, la Reine se hâta de saluer les dames de sa suite et rentra dans ses appartements; le Roi l'y suivit, pâle, les traits altérés, et, se jetant dans un fauteuil, un mouchoir sur les yeux: «Tout est perdu, s'écria-t-il. Ah! Madame, vous avez été témoin de cette humiliation. Quoi! vous êtes venue en France pour voir....» Sa voix était coupée par les sanglots. La Reine se jeta à genoux devant lui et le serra dans ses bras. Mme Campan était là; Marie-Antoinette lui fit signe de sortir, et les deux époux restèrent l'un près de l'autre, confondant leurs larmes et leurs tristes pressentiments[828]. Au dehors, cependant, l'enthousiasme n'était pas moins vif qu'à l'Assemblée: on croyait la Révolution finie, la paix et l'ordre désormais assurés; plus de dangers dans le présent, plus de menaces pour l'avenir; c'était un entrain, c'était une ivresse. «Les esprits sages, disait l'ambassadeur de Suède, ne partageaient pas cette joie[829].» Mais qu'importait à la foule? Quelques jours après, la Constitution fut proclamée au Champ-de-Mars; la municipalité, le département, les fonctionnaires publics, la foule s'y pressaient, et lorsque l'acte constitutionnel eut été lu, du haut de l'autel de la patrie, un immense cri de _Vive la Nation!_ s'échappa de la poitrine de trois cent mille hommes qui s'étouffaient dans cette enceinte. On riait, on s'embrassait, on se félicitait; des aérostats s'élevaient dans les airs, couverts d'inscriptions patriotiques; il y avait jeux populaires et distributions de vivres sur les places et dans les carrefours[830]. Le soir, tout Paris illumina; les boulevards, le Louvre, les Tuileries, la place Louis XV, les Champs-Élysées surtout étincelaient; des guirlandes de feu couraient d'arbre en arbre jusqu'à la porte de l'Etoile. Le Roi, la Reine et le Dauphin se promenèrent en voiture jusqu'à onze heures du soir, escortés par la garde nationale et acclamés par la foule; des cris de _Vive le Roi!_ retentissaient de toutes parts. Mais un homme s'était attaché à la voiture royale, et chaque fois qu'éclatait le cri de _Vive le Roi!_ d'une voix de Stentor il criait à l'oreille de la Reine: «Non! ne les croyez pas. _Vive la Nation!_» C'était la voix brutale de la Révolution proclamant qu'elle n'abdiquait pas, même devant l'enthousiasme populaire. «La Reine, rapporte Mme Campan, en fut frappée de terreur[831], et quand elle rentra au Château: «Qu'il est triste,» dit-elle à Mme de Tourzel, «que quelque chose d'aussi beau ne laisse dans nos cœurs qu'un sentiment de tristesse et d'inquiétude[832]!» Les fêtes continuaient néanmoins; fêtes religieuses et fêtes profanes; on chantait un _Te Deum_ aux Tuileries; on jouait aux théâtres des pièces royalistes. Le dimanche 25, il y eut réjouissances populaires offertes par le Roi, dans le jardin du Château. «Nous avons été à l'Opéra, écrivait ce jour-là Mme Elisabeth à son amie Mme de Raigecourt; nous irons demain à la Comédie. Mon Dieu! que de plaisirs! J'en suis toute ravie! Et aujourd'hui, nous avons eu pendant la messe le _Te Deum_. Il y en avait un à Notre-Dame. M. l'intrus avait bonne envie que l'on y allât; mais quand on en chante un chez soi, on est dispensé d'en aller chanter d'autres, tu en conviendras. Nous nous sommes donc tenus tranquilles. Ce soir, nous avons encore une illumination; le jardin sera superbe, tout en lampions et en petites machines de verre que, depuis deux ans, on ne peut nommer sans horreur[833].» Le mardi 20, à l'Opéra[834], et le lundi 26, à la Comédie-Française, l'accueil fut excellent; il y eut des applaudissements «inexprimables[835]». Aux Italiens, quelques jours plus tard, l'enthousiasme ne fut pas moins bruyant. «Tu ne peux te faire une idée du tapage qu'il y a eu samedi à la Comédie-Italienne,» écrivait encore Mme Elisabeth à Mme de Raigecourt. «Mais,» ajoutait mélancoliquement la princesse, «il faut voir combien cet enthousiasme durera[836].» Le 30 septembre, le Roi se rendait à l'Assemblée pour en faire la clôture. Le président Thouret déclarait que l'Assemblée nationale avait terminé sa mission[837], et Lafayette radieux partait pour l'Auvergne, en annonçant béatement que la Révolution était finie. CHAPITRE XIV Suites de l'acceptation de la Constitution.—Protestation des Princes.—Lettre de Louis XVI à ses frères.—Lettre de Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt.—Dissentiments entre les Tuileries et Coblentz.—Correspondance de la Reine avec Fersen.—Plan de Marie-Antoinette.—Le congrès armé.—Pourquoi le plan de la Reine est inexécutable. Quelle avait été l'impression produite à l'étranger par l'acte solennel du 14 septembre? Avant même de le connaître officiellement, le 10, les Princes avaient protesté, en déclarant que l'acceptation du Roi ne pouvant être libre, et lui étant d'ailleurs interdite par son devoir et par le serment prêté lors de son avènement au trône, était nulle et non avenue. Ils ajoutaient qu'aucun ordre ne les empêcherait de suivre la ligne que leur traçait leur conscience et «qu'ils obéissaient au véritable commandement de leur souverain, en résistant à ses défenses extorquées[838]». Le 11 septembre, le prince de Condé, le duc de Bourbon et le duc d'Enghien adhéraient à cette déclaration. Vainement Louis XVI, dès le milieu de septembre et avant même d'avoir reçu cette protestation que lui apporta le duc de la Force[839], avait-il écrit à ses frères la lettre la plus touchante et la plus sage, pour les conjurer de rentrer en France et de ne pas compliquer les difficultés qui l'assaillaient: «Je sais, disait-il, combien la Noblesse et le Clergé souffrent de la Révolution; tous les sacrifices qu'ils avaient si généreusement proposés n'ont été payés que par la destruction de leur fortune et de leur existence. Sans doute, on ne peut être plus malheureux et l'avoir moins mérité; mais, pour des crimes commis, faut-il en commettre d'autres? Moi aussi j'ai souffert; mais je me sens le courage de souffrir encore, plutôt que de faire partager mes malheurs à mon peuple..... «Je sais, disait-il plus loin, qu'on se flatte, parmi mes sujets émigrés, d'un grand changement dans les esprits. J'ai cru longtemps qu'il se préparait, mais je suis détrompé aujourd'hui. La nation aime la Constitution, parce que ce mot ne rappelle à la classe inférieure du peuple que l'indépendance où il vit depuis deux ans, et à la classe au-dessus, l'égalité. Ils blâment volontiers tel ou tel décret en particulier; mais ce n'est pas là ce qu'ils appellent la Constitution. Le bas peuple voit que l'on compte avec lui; le bourgeois ne voit rien au-dessus. L'amour-propre est satisfait. Cette nouvelle jouissance a fait oublier toutes les autres..... Le temps seul leur apprendra combien ils se sont trompés. «Il faut donc attendre, et surtout se garder avec soin de tout ce qui pourrait faire croire au peuple qu'on veut détruire cette Constitution, qu'il regarde comme la charte de sa liberté; il faut,—et cela ne saurait tarder,—que l'usage lui en démontre à lui-même les inconvénients.....» Et le Roi terminait par ces lignes, où il ne pouvait déguiser l'amertume de son âme: «Je finissais cette lettre, dans le moment où j'ai reçu celle que vous m'avez envoyée. Je l'avais vue imprimée avant de la recevoir, et elle est répandue partout en même temps. Vous ne sauriez croire combien cette marche m'a peiné!..... Je ne vous ferai aucun reproche; mon cœur ne peut se décider à vous en faire...... Je vous ferai seulement remarquer qu'en agissant sans moi, il,—le comte d'Artois,—contrarie mes démarches, comme je déconcerte les siennes. Vous me dites que l'esprit public est revenu et vous voulez en juger mieux que moi qui en éprouve tous les malheurs. Je vous ai déjà dit que le peuple supportait toutes ses privations, parce qu'on l'avait toujours flatté qu'elles finiraient avec la Constitution. Il n'y a que deux jours qu'elle est achevée, et vous voulez que son esprit soit changé! J'ai le courage de l'accepter pour donner à la nation le temps de connaître ce bonheur dont on la flatte, et vous voulez que je renonce à cette utile expérience!... Vous vous flattez de donner le change, en déclarant que vous marchez malgré moi; mais comment le persuader, lorsque cette déclaration de l'Empereur et du Roi de Prusse est motivée sur votre demande? Pourra-t-on jamais croire que mes frères n'exécutent pas mes ordres? Ainsi, vous allez me montrer à la nation, acceptant d'une main et suscitant les Puissances étrangères de l'autre?...... «Je ne vous parle pas de ma position personnelle; on peut en être peu occupé hors de France; mais moi je suis occupé de celles de mes frères..... Je conçois qu'on ne compte plus ni mes peines, ni mes embarras; mais vous devez m'éviter ceux qui vous touchent[840].» Vainement, quelques jours après, craignant que cette lettre ne parût un message officiel et imposé, Louis XVI adressait-il à ses frères un nouveau billet tout confidentiel, où il renouvelait ses instances et les suppliait de conformer leur conduite à la sienne, et de ne pas le priver, par leurs incessants appels, de ses derniers défenseurs; car, disait-il, «il m'est bien essentiel d'en avoir près de moi.» Toutes ces prières restaient sans effet. Pour toute réponse, les Princes répandaient à profusion, à Paris et dans les départements, une nouvelle protestation contre la Constitution[841], et ils écrivaient à leur frère ce billet qui fut retrouvé, après le 10 août, dans le secrétaire du Roi. «Si l'on nous parle de la part de ces gens-là, nous n'écouterons rien; si c'est de la vôtre, nous écouterons, mais nous irons notre chemin[842].» Vainement Mme Elisabeth, qu'un admirable dévouement retenait à Paris, mais que son cœur portait souvent à Coblentz, essayait-elle, par l'intermédiaire de ses fidèles amies, Mme de Bombelles, et surtout Mme de Raigecourt, d'aplanir les dissentiments qui divisaient la famille royale. Vainement leur écrivait-elle, dans ce style énigmatique, qui servait à leur correspondance: «On perdrait tout, si l'on pouvait avoir d'autre vue pour le Futur que celle de la confiance et de la soumission aux ordres du Père[843]. Toute vue, toute idée, tout sentiment doit céder à celui-là..... Vous me direz que cela est difficile, quoique cela soit dans le cœur; mais plus je le sens difficile, plus je le désire..... Le Père est presque guéri; ses affaires sont remontées; mais comme sa tête est revenue, dans peu il voudra reprendre la gestion de ses biens, et c'est là le moment que je crains. Le Fils, qui voit des avantages à les laisser dans les mains où elles sont, y tiendra; la Belle-mère ne le souffrira pas et c'est là ce qu'il faudrait éviter, en faisant sentir au jeune homme que, même pour son intérêt personnel, il ne doit pas prononcer son opinion sur cela..... Il faudrait aussi qu'on persuadât au jeune homme de mettre un peu plus de grâce vis-à-vis de sa Belle-mère, seulement de ce charme qu'un homme sait employer, quand il veut, et avec lequel il lui persuadera qu'il a le désir de la voir ce qu'elle a toujours été..... On te dira du mal de la Belle-mère; je le crois exagéré[844].» Pas plus que les prières de Louis XVI, les objurgations de Mme Elisabeth n'étaient écoutées. On a vu, par le billet que nous avons cité plus haut, quel cas les Princes faisaient de l'autorité du Roi; leurs entours étaient plus violents. La Reine était quotidiennement traité à Coblentz de «démocrate»; le Roi, de «pauvre homme» et de «soliveau». Le _Journal des Princes_, publié par Suleau, était tellement rempli d'injures contre Léopold et Marie-Antoinette, qu'on était obligé de supprimer le journal, de renvoyer Suleau, et de destituer le censeur, Christin, secrétaire de Calonne[845]. Mme de Bombelles, écho de ces bruits, et indignée de ces outrages, était réduite à écrire à Mme de Raigecourt, le 3 novembre: «Comment la Reine se fierait-elle jamais à M. le C. D.[846], elle qui sait les propos infâmes que tous ses entours ont tenus et tiennent encore sur elle et sur le Roi? Je n'ai pas, grâce à Dieu, à me reprocher de lui avoir fait parvenir _tout ce que j'ai entendu moi-même_ mais j'en sais assez pour sentir que, si elle est aussi instruite que moi, elle ne risquera jamais de faire dépendre son sort de gens _qui lui doivent beaucoup et qui sont ses plus mortels ennemis_. J'excepte M. le comte d'Artois des traits dont je vous parle; son âme est droite, noble et franche, et je suis intimement convaincue de la pureté de ses intentions; mais, faible comme la plupart des princes de son sang, il se laisse diriger aveuglément par sa société[847].» Le dissentiment s'aggravait donc chaque jour entre les Tuileries et Coblentz[848]. Indépendamment de la rivalité entre Breteuil et Calonne, le premier, agent attitré, le second, ennemi personnel de Marie-Antoinette, les divergences de vues s'accentuaient entre les Princes et le Roi, et surtout la Reine, chacun entendant diriger le mouvement: les Princes voulant se lancer en avant et détruire la Constitution, l'épée à la main; le Roi s'efforçant de temporiser et d'améliorer, et la Reine repoussant avant tout une action des Princes qui, pensait-elle avec raison, n'aurait d'autre résultat que d'«irriter les factieux sans les effrayer[849]», et par là compromettrait le succès d'un plan qu'elle étudiait depuis le retour de Varennes et qui, chaque jour, se formulait avec plus de netteté. Comme la famille royale, les Puissances étaient divisées; suivant leurs intérêts particuliers, elles penchaient vers les Princes ou vers le Roi. Tandis que Gustave III rompait avec l'Assemblée, renvoyait à Louis XVI sans le lire le billet où il lui notifiait son acceptation de la Constitution[850], accréditait, près de Monsieur, le comte d'Oxenstiern; tandis que l'Impératrice de Russie déclarait que l'acceptation du Roi devait être considérée comme non avenue parce qu'elle avait été forcée, et que si Louis XVI et Marie-Antoinette avaient été de bonne foi en acceptant, c'était tant pis pour eux, et que «dans ce cas, il faudrait regarder le Roi de France comme un nonens (_sic_)[851]»; tandis que le roi d'Espagne donnait à son ministre à Paris l'ordre de faire un voyage à Nice[852], Léopold, heureux d'un événement qui s'accordait avec ses goûts de temporisateur, proclamait que dorénavant toute idée de contre-révolution était inutile et dangereuse[853], et que, Louis XVI ayant adhéré à l'acte constitutionnel, il n'y avait plus qu'à attendre et à observer la tournure que prendraient les événements. «Le Roi et la Reine, disait-il, n'ont d'autre ressource que de laisser à l'Assemblée législative le temps de se discréditer; ils doivent en outre se conformer exactement aux lois, se composer un parti, et profiter des circonstances. Cet essaim d'abeilles françaises, ajoutait-il en parlant des émigrés, devrait enfin songer à se retirer; elles seront bien à charge au pays[854].» Et le roi de Prusse s'écriait de son côté: «Enfin, je vois la paix de l'Europe assurée[855].» Et Fersen, l'ardent Fersen, revenu de Vienne, où l'avait envoyé son maître, à Bruxelles, où il s'installait pour entretenir, au nom de la Suède, une correspondance avec le Roi de France[856], Fersen, resté pendant deux mois sans nouvelles directes des Tuileries[857], et déjà dérouté par le langage de Louis XVI, l'était plus encore en recevant cette lettre de Marie-Antoinette: «Je crois que la meilleure manière de dégoûter de tout ceci est d'avoir l'air d'y être en entier; cela fera bientôt voir que rien ne peut aller. Au reste, malgré la lettre que mes frères ont écrite au Roi, et qui, par parenthèse, ne fait point du tout ici l'effet qu'ils en espéraient, je ne vois point, surtout par la déclaration de Pillnitz, que les secours étrangers soient si prompts. C'est peut-être un bonheur, car plus nous avancerons, et plus ces gueux-ci sentiront leurs malheurs; peut-être viendront-ils à désirer eux-mêmes l'étranger[858].» Stupéfait de cette résignation inattendue de sa royale correspondante, Fersen lui posait aussitôt catégoriquement les trois questions suivantes: «1o Comptez-vous vous mettre sincèrement dans la Révolution et croyez-vous qu'il n'y a aucun autre moyen?» «2o Voulez-vous être aidés, ou voulez-vous qu'on cesse toute négociation avec les Cours?» «3o Avez-vous un plan et quel est-il[859]?» Mais la Reine se hâtait de détromper son chevaleresque serviteur: «Rassurez-vous; je ne me laisse pas aller aux _enragés_, et si j'en voie ou que j'aie des relations avec quelques-uns d'entre eux, ce n'est que pour m'en servir, et ils me font trop horreur pour jamais me laisser aller à eux[860].» «Soyez bien tranquille, jamais je ne me laisserai aller aux _enragés_; il faut s'en servir pour empêcher de plus grands maux; mais pour le bien, je sais bien qu'ils ne sont pas capables de le faire[861].» Il fallait dissimuler, il fallait gagner la confiance du peuple; c'était le seul moyen d'arrêter, ou tout au moins d'ajourner le mal et de préparer le mieux. Car, disait la Reine: «Si l'esprit public ne change pas, aucune force humaine ne saurait gouverner dans un sens contraire[862].» Or, pour faire changer cet esprit, mieux valait faire semblant d'y céder d'abord pour le redresser, et cette attitude effacée faisait ainsi partie du plan dont Marie-Antoinette poursuivait l'exécution, par l'intermédiaire de son ancien conseiller Mercy et du fidèle Fersen. Convaincue qu'il n'y avait pour le moment rien à attendre du dedans, que le mécontentement que ne pourrait manquer de produire l'application de la Constitution serait stérile et inerte, si les mécontents ne se sentaient appuyés et au besoin excités par une force sérieuse au dehors; convaincue d'autre part que les émigrés ne pouvaient pas être cette force, parce que leurs menaces ne serviraient qu'à exaspérer la France[863]; froissée d'ailleurs elle-même de leur attitude et du peu de cas qu'ils faisaient de la volonté du Roi, même la plus formelle et la plus nettement exprimée, elle demandait que l'Empereur prît l'initiative de ce qu'elle nommait un _Congrès armé_[864]. Les Puissances auraient réuni à Aix-la-Chapelle leurs ambassadeurs à Paris ou tous autres plénipotentiaires. Là, prenant en main les intérêts de l'équilibre européen menacé, invoquant notamment l'occupation d'Avignon, les droits lésés des princes allemands en Alsace, la garantie des traités passés avec la France et compromis par le changement de régime; appuyant au besoin leurs revendications par la présence à la frontière de têtes d'armées, capables à la fois d'en imposer «à la partie la plus enragée des factieux» et de «donner aux plus raisonnables le moyen de faire le bien»; mais évitant soigneusement de parler de la Constitution[865], annonçant même bien haut qu'elles ne voulaient nullement «s'ingérer dans le gouvernement intérieur de la France[866]», elles adresseraient, «dans un langage raisonnable[867],» une sommation au gouvernement français, sommation dont le premier article serait la faculté pour Louis XVI de sortir de la capitale et d'aller où il voudrait[868]. En attendant,—car ce ne pouvait être là l'œuvre d'un jour, et il fallait «laisser respirer la nation après tant de secousses» et lui donner le temps de «reprendre ses habitudes et ses mœurs avant de juger ce que les circonstances peuvent exiger et souffrir[869]»,—en attendant, le Roi s'efforcerait de gagner la confiance du peuple, combattrait par-dessous l'Assemblée en cherchant à la déconsidérer[870], mais ferait appliquer strictement la Constitution[871], afin que la nation, sentant à l'usage les inconvénients de cette œuvre bâtarde, fût amenée elle-même à en souhaiter le changement. La déclaration des Puissances, survenant alors, rendrait courage aux honnêtes gens en leur donnant un moyen de force et un point de réunion[872], terrifierait les factieux, et le Roi, redevenu ainsi libre, pourrait se joindre au Congrès et s'interposer comme médiateur entre ses sujets et les coalisés[873]. «Seul rôle qui lui convienne, disait la Reine, dans une lettre qu'elle a reconnue comme l'expression exacte de sa pensée[874], tant par l'amour qu'il a pour ses sujets que pour en imposer aux factions des émigrants, qui, par le ton qu'ils ont et qui s'élèverait encore s'ils contribuaient à un autre ordre de choses, replongeraient le Roi dans un nouvel esclavage[875].» Rentré dans la plénitude de son autorité[876], mais sans vouloir aucunement rétablir l'ancien régime[877], «libre de faire telle Constitution qu'il voudrait[878],» il accomplirait,—comme il comptait le faire, s'il avait gagné Montmédy le 20 juin,—d'accord avec les représentants du pays, les réformes nécessaires. Toute la partie saine de la nation viendrait en aide au souverain pour l'exécution de ces réformes, et les révolutionnaires, ayant tout à craindre de l'attitude énergique des Puissances, seraient trop heureux de céder à la justice tempérée par la clémence. Ainsi, l'ordre serait rétabli sans effusion de sang, par le simple accord des Puissances et par l'initiative du Roi. «La Révolution se ferait dans l'intérieur de chaque ville; elle se ferait par l'approche de la guerre, et non par la guerre même[879].» Tel était, autant qu'on peut le retrouver au milieu des innombrables dépêches échangées entre Paris, Vienne, Bruxelles, Stockholm, Saint-Pétersbourg, tel était le plan auquel s'était arrêtée la Reine; plan dont elle poursuivit la réalisation avec une persévérance infatigable, jusqu'à ce que la déclaration de guerre eût rendu une solution pacifique impossible, et pour lequel elle se condamnait à une incessante correspondance, écrivant lettres sur lettres, mémoires sur mémoires, elle qui, disait-elle, «n'en savait pas faire[880]»; plan que Mercy, après quelques hésitations, avait fini par adopter et auquel le Roi avait pu se rallier[881], sans être accusé de duplicité; car, en acceptant la Constitution, il savait qu'elle était impraticable, et tout en l'observant scrupuleusement lui-même, il ne pouvait pas rendre possible ce qui ne l'était pas par sa nature[882]; plan enfin, auquel le chevaleresque Fersen, resté le confident des Tuileries, se consacrait tout entier. Voici les lignes touchantes par lesquelles il protestait de son dévouement absolu et désintéressé; car, la calomnie ne l'avait pas épargné; les ambassadeurs de Suède et d'Espagne avaient osé l'accuser d'ambition: «Ils ont raison, écrivait-il à la Reine; j'avais l'ambition de vous servir, et j'aurai toute ma vie le regret de n'avoir pas réussi; je voulais m'acquitter envers vous d'une partie des obligations qu'il m'est si doux de vous avoir et je voulais leur montrer qu'on peut être attaché à des gens comme vous sans aucun autre intérêt. Le reste de ma conduite leur aurait prouvé que c'était là ma seule ambition et que la gloire de vous avoir servis était ma plus chère récompense[883].» Mais ce plan était-il exécutable et ne reposait-il pas sur une illusion? L'accord des Puissances, qui en était la base essentielle, comment l'obtenir d'anciens adversaires qui se jalousaient l'un l'autre, et qui au fond n'avaient qu'un but commun: l'affaiblissement de la France, suite naturelle de l'anarchie à laquelle le pays semblait condamné? Cette alliance universelle, rêvée par la Reine au nom du principe monarchique attaqué en France, n'était qu'une «attrape», disait le comte de Metternich au baron de Breteuil[884]. La Prusse regardait l'Autriche avec méfiance[885]; l'Autriche n'avait pas plus de confiance dans la Prusse, et se tournait parfois vers l'Angleterre; en attendant, elle se renfermait dans son égoïsme; l'Espagne, dans sa faiblesse; l'Angleterre voyait avec joie, fomentait peut-être sous main une révolution, qui paraissait devoir réduire pour longtemps son éternelle rivale à l'impuissance; la Russie poussait les autres à se jeter dans la mêlée, à la condition de ne rien faire elle-même et pour avoir les mains libres en Pologne. La Suède seule voulait franchement agir. Mais que pouvait-elle toute seule, et l'infortuné Louis XVI n'avait-il pas le droit de dire, quelques mois plus tard, à Fersen: «J'ai été abandonné de tout le monde[886]?» Mais quand bien même on serait arrivé à réaliser cet irréalisable accord, quand bien même cette «médiation armée», que l'honnête et sage Mounier souhaitait comme la Reine et dans laquelle les Constitutionnels eux-mêmes finissaient par apercevoir le remède[887], se serait produite, eût-elle réussi? Bien des esprits vraiment libéraux,—nous venons d'en donner des exemples,—le pensaient. Ils avaient vu si souvent une poignée de factieux terroriser la foule honnête, qu'ils croyaient que la crainte serait un moyen efficace qui pourrait tout rétablir, comme il avait pu tout détruire. C'était une erreur. Ils comptaient sans cette susceptibilité du sentiment national qui se soulevait contre toute apparence d'intervention étrangère et qui, à des menaces de pression, devait répondre par une prise d'armes. Le Roi et la Reine étaient sincères dans leur désir d'éviter la guerre et dans leur conviction qu'ils l'éviteraient; mais, sans le vouloir, ils y allaient infailliblement. CHAPITRE XV L'Assemblée législative.—Son hostilité contre le Roi s'affirme dès le début.—Mécontentement de la bourgeoisie.—La députation de Saint-Domingue est présentée à la Reine.—Le Roi ne veut pas former sa Maison civile.—Projet d'évasion formé, puis abandonné.—Inaction du Roi et de la Reine.—Fluctuations de l'opinion.—Triste situation de la famille royale.—Tiraillements à l'intérieur.—La Reine continue à réclamer un Congrès.—Hésitation de l'Empereur et mécontentement de Marie-Antoinette.—Lettre à Mme de Polignac.—Article menaçant des _Révolutions de Paris_. Cependant, en France, une seconde Législature avait succédé à la première. Par une résolution fatale, où les rancunes de la droite s'étaient malheureusement unies aux rancunes de l'extrême gauche, la Constituante, avant de se séparer, avait décidé qu'aucun de ses membres ne pourrait être réélu. C'était livrer les destinées du pays à tous les tâtonnements de l'inexpérience et à tous les emportements de l'étourderie. Quelles qu'eussent été ses fautes, l'ancienne Assemblée renfermait dans son sein de grands talents, de grandes fortunes, de grands noms; trois ans de pratique des affaires avaient tempéré chez elle bien des ardeurs et modifié bien des préjugés. L'Assemblée nouvelle se composait, pour la majeure partie, d'inconnus, sans situation personnelle et sans éclat: petits gentilshommes de province, petits avocats de bailliages, petits officiers municipaux et procureurs de districts, enivrés de théories vagues, nourris de phrases creuses, sans connaissances politiques et sans idées de gouvernement. «Elle n'est guère, disait plaisamment Staël, que le conseil des avocats de toutes les villes et de tous les villages de France[888].» «On croit, ajoutait l'ambassadeur, que la majorité sera sage[889].» Staël se trompait, et un des nouveaux députés, Hua, avocat au Parlement de Paris, voyait plus juste quand il écrivait: «Le côté droit se compose de cent cinquante Constitutionnels; le côté gauche compte cent cinquante Jacobins, et le centre présente une masse de plus de quatre cents députés qu'on appelle les _impartiaux_: phalange immobile pour le bien et qui ne se remue que par la peur; c'est elle qui donnera la majorité, et elle la donnera, non au côté droit qu'elle estime, mais au côté gauche qu'elle craint[890].» Dès le début, l'Assemblée manifesta l'esprit qui devait la diriger. Le Roi ayant annoncé qu'il viendrait en personne prêter serment à la Constitution, la question du cérémonial à observer pour le recevoir fut immédiatement soulevée. Les Jacobins s'élevèrent bruyamment contre toute forme, non pas même qui rappellerait l'ancien régime, mais qui marquerait simplement une déférence du pouvoir législatif pour l'autorité monarchique. Cédant à leurs déclamations, et la domination passant déjà aux plus violents, l'Assemblée décida qu'on ne donnerait plus au Roi le titre de _Sire_ ni de _Majesté_, que le fauteuil du prince serait placé sur la même ligne que celui du président et que, le monarque une fois arrivé, les députés pourraient s'asseoir et se couvrir. Le lendemain, il est vrai, le décret fut rapporté; mais la gauche avait montré sa force, et l'Assemblée sa faiblesse. Elle avait dû céder cependant à un mouvement incontestable de l'opinion de la capitale. La bourgeoisie parisienne, sincèrement attachée à la Constitution, s'était indignée des attaques de cette nouvelle Législature; la garde nationale avait protesté vivement[891]; de là le rappel du décret. La famille royale trouvait là comme un dernier regain de popularité. Le samedi 8 octobre, elle était allée à la Comédie-Italienne. Lorsqu'elle parut, des acclamations la saluèrent; des applaudissements mêlés de sanglots se firent entendre, et le cri de _Vive la Reine!_ fut encore une fois associé au cri de _Vive le Roi!_ Quelques jours plus tard, le 2 novembre, une députation de Saint-Domingue venait réclamer la protection de Louis XVI contre les désordres qui désolaient l'île. Les colonies expirantes saluaient la royauté qui allait mourir. «Madame, dit à la Reine le chef de la délégation, dans une grande infortune, nous avions besoin de voir Votre Majesté pour trouver tout à la fois des consolations et un grand exemple de courage.» Suffoquée par l'émotion, Marie-Antoinette ne put répondre sur le moment. Elle retrouva les délégués au sortir de la messe. «Messieurs, leur dit-elle, il m'a été impossible de vous répondre; mon silence vous en dira plus que tout le reste[892].» La mise en pratique de la Constitution avait jeté du trouble à la Cour; ce qu'on appelait les _honneurs_ et les prérogatives qui y étaient attachées avaient été supprimés. Plusieurs des dames du palais quittèrent leur service; on ne les remplaça pas, et l'on ne forma pas de Maison civile. Le Roi et la Reine ne pouvaient s'y décider; il leur répugnait de consacrer ainsi officiellement, par la nomination aux charges nouvelles, l'anéantissement des anciennes; il leur semblait que ce serait un triste entourage que cette Maison sans chevaliers et sans dames d'honneur. D'ailleurs, qui consentirait à entrer dans une organisation ainsi modifiée et comme humiliée? «Si cette Maison constitutionnelle était formée, disait la Reine, il ne resterait pas un noble près de nous, et quand les choses changeraient il faudrait congédier les gens que nous aurions mis à leur place[893].» On s'occupa seulement de la Maison militaire qui fut constituée un peu plus tard, sous le commandement du duc de Brissac, mais pour bien peu de temps. Dans cette situation critique, les donneurs de conseils affluaient. L'Espagne acceptait la pensée d'un Congrès; mais elle voulait auparavant que le Roi fût libre et le prouvât en sortant publiquement de Paris. Sortir de Paris! Nul ne le souhaitait plus que Marie-Antoinette; mais était-ce possible dans les conditions indiquées par le Roi d'Espagne? Evidemment non. «On dira toujours ici, répondait la Reine qu'il,—le Roi,—est le maître d'aller où bon lui semblera; mais il ne le peut pas de fait, parce que, outre sa sortie d'ici, qui serait dangereuse et où il serait peut-être obligé de laisser sa femme et son fils, sa sûreté personnelle ne serait nulle part plus qu'ici, puisqu'_il n'y a pas une ville, pas une troupe sur laquelle on puisse compter_[894].» On avait bien formé, dans les premiers jours d'octobre, un projet d'évasion; on devait renouveler, vers la moitié de novembre, et dans des conditions à peu près analogues, paraît-il, la tentative qui avait si mal réussi au mois de juin. Quels étaient les auteurs de ce plan? Quels en étaient les détails? Avec quel concours devait-il se réaliser? La Reine ne le dit pas et nous n'en trouvons pas trace ailleurs. Pourquoi y renonça-t-on? Est-ce par le souvenir de l'échec de Varennes? ou par suite de cette triste constatation qu'on ne pouvait compter ni sur une ville, ni sur une troupe? Cette dernière raison nous paraît la plus probable. Ce qui est certain, c'est que l'idée, annoncée dans une lettre du 19 octobre, semble abandonnée douze jours après, le 31. Mais le bruit en avait transpiré dans le public, semant l'inquiétude et la méfiance contre la famille royale. On en parlait à Paris; on le savait à Coblentz dès le mois d'octobre[895], on fixait même la date, le 27 du mois[896], et par une étrange coïncidence, à l'époque même indiquée par Marie-Antoinette pour l'exécution du projet, la nouvelle se répandit tout d'un coup parmi les émigrés que le Roi avait réussi à quitter heureusement la capitale, et était arrivé à Raisme, près Valenciennes, chez M. de la Marck; tant les secrets de la Cour, même ceux qui avaient le moins de confidents, étaient mal gardés[897]! Déçue dans ses espérances d'évasion, la Reine en revint à son plan primitif: s'effacer le plus possible et laisser agir les Puissances réunies en Congrès. Alors seulement, le Roi pourrait utilement recouvrer sa liberté, afin d'aller défendre devant cette Assemblée européenne les intérêts de la France. «Si nous gagnons jamais ce point, écrivait Marie-Antoinette, c'est tout, et c'est à ce seul but que nous devons tendre[898].» Pour cela, il était essentiel d'endormir les méfiances et de ramener à soi l'opinion. Là-dessus, tout le monde était d'accord, Mercy et la Marck comme Fersen; mais fallait-il s'abandonner complètement au parti révolutionnaire, adopter sans observations ses idées et ses mesures, se désintéresser même du choix des ministres? Ni la Marck, ni Mercy ne le pensaient; ils eussent voulu un ministère homogène et habile, éclairé et fidèle, très constitutionnel, mais très royaliste et très ferme, résolu à se créer dans l'Assemblée une majorité de gouvernement[899]. On ne l'essaya même pas. La Reine était convaincue qu'on ne pourrait trouver ni bons ministres, ni députés dévoués; elle empêcha M. de Moustier d'entrer dans le cabinet[900] et regrettait même d'y avoir appelé Bertrand de Molleville[901]; elle voulait réserver ces hommes pour des temps meilleurs[902]. En attendant, tout allait à la dérive, et le ministère qui, bien composé, eût pu, en face d'une Assemblée discréditée au début, s'assurer une situation prépondérante, se fit l'humble serviteur de la Législative. Cette sorte d'abdication désolait la Marck, qui n'y comprenait rien. «La Reine, écrivait-il à Mercy, la Reine, avec de l'esprit et un courage éprouvé, laisse cependant échapper toutes les occasions qui se présentent de s'emparer des rênes du gouvernement et d'entourer le Roi de gens fidèles, dévoués à le servir et à sauver l'Etat avec elle et par elle. «Si l'on cherche à pénétrer les causes de l'indécision et du _laisser-aller_ qui dominent aux Tuileries, on découvre que, par paresse d'esprit et de caractère, et peut-être aussi par l'abattement qui suit assez souvent de longs malheurs le Roi et la Reine n'ont d'espérance que dans les hasards de l'avenir et dans l'intervention étrangère que laisse entrevoir le Congrès annoncé, et qu'ils pensent qu'en attendant il suffit de quelques démarches privées de leur part pour assurer leur sûreté personnelle. «En combinant cette conduite avec l'agitation démoniaque de vingt-quatre millions de fous, comment prévoir d'autre résultat que l'avenir le plus déplorable[903]?» Découragés comme la Marck, deux des conseillers habituels de la Cour, Malouet et l'abbé de Montesquiou, quittaient Paris, le premier pour aller en Angleterre, le second pour se retirer à la campagne, chez M. du Châtelet[904]. Réussissait-on du moins par cette attitude effacée à conquérir la faveur populaire? On le crut au commencement. Soit fatigue des agitations passées, soit confiance dans l'avenir, il y eut, dans le public parisien, une sorte de temps d'arrêt, sinon de retour en arrière: on était altéré d'ordre et de paix; on ne sentait pas le besoin de destructions nouvelles, puisque les têtes principales étaient renversées[905], et que le Roi semblait se résigner à son rôle de monarque constitutionnel. Pour beaucoup de politiques de l'école de Lafayette, le but était atteint; on voulait s'y tenir. Mais on ne s'arrête pas facilement dans la voie révolutionnaire: derrière les satisfaits, il y a les affamés, et, comme dans une mer agitée, un flot pousse l'autre. La Reine le sentait, et quelque rassurantes que fussent les apparences, avec la douloureuse expérience qu'elle avait puisée dans dix ans de calomnies et trois ans de révolution, elle voyait bien que ce n'était qu'une halte entre deux orages, et que l'abominable meute qui s'acharnait après elle n'abandonnerait pas sa poursuite. «Tout est assez tranquille pour le moment en apparence, écrivait-elle le 19 octobre; mais cette tranquillité ne tient qu'à un fil et le peuple est toujours comme il était, prêt à faire des horreurs; on nous dit qu'il est pour nous; je n'en crois rien, au moins pour moi. Je sais le prix qu'il faut mettre à tout cela; la plupart du temps, cela est payé, et il ne nous aime qu'autant que nous faisons ce qu'il veut. Il est impossible d'aller longtemps comme cela; il n'y a pas plus de sûreté dans Paris qu'auparavant, et peut-être encore moins, car on s'accoutume à nous voir avilis[906].» Ce respect d'ailleurs, dont on affectait d'entourer Louis XVI et sa famille, n'était qu'apparent; au fond, on les traitait en suspects. Chaque nuit, un homme de garde couchait en travers de la porte de leurs appartements[907]. Une fois même, un caporal s'était permis de consigner le Roi et la Reine dans leurs chambres, de neuf heures du soir à neuf heures du matin, et cela avait duré deux jours[908]. Des affidés du club des Jacobins se glissaient jusque dans le service du palais, et le malheureux prince, averti qu'on voulait l'empoisonner, n'osait pas toucher aux plats de sa table; il fallait qu'un serviteur fidèle, l'intendant des petits appartements, Thierry de Ville-d'Avray, lui apportât lui-même le pain et le vin[909]. Le dénuement des augustes prisonniers était extrême; il leur était arrivé de rester pendant neuf jours sans un sou et la Reine avait été sur le point d'être forcée d'emprunter à un dépôt que le prince de Nassau avait fait pour elle; la persuasion où elle était qu'elle ne tarderait pas à être massacrée l'avait seule retenue. «N'étant pas sûre de pouvoir le rendre, avait-elle dit, je ne veux pas nuire à ceux qui nous sont dévoués.» Et l'archevêque d'Aix, qui venait de passer quelques jours à Paris, disait à ce même prince de Nassau: «Quelque idée qu'on puisse se former des malheurs du Roi et de la Reine, l'imagination ne peut les atteindre. Il faut avoir eu le tourment d'en être témoin pour en concevoir toute l'horreur. Et ceux que les Jacobins et les républicains leur préparent les surpassent. Cependant il n'est que trop vraisemblable que leur dessein est de ne les terminer qu'avec leur vie[910].» Mais qu'étaient ces privations physiques à côté des tortures morales? La Reine se voyait seule pour la lutte, pour essayer tout ce qu'elle sentait «si nécessaire au bien général[911]». L'émigration l'avait privée de ses appuis les plus sûrs; vainement avait-elle tenté d'arrêter le courant[912] qui emportait les gentilshommes au delà de la frontière: on ne tenait compte ni de ses avis, ni de ses prières. Au dehors, les Princes armaient, malgré elle et presque contre elle, donnant ainsi un nouveau prétexte aux méfiances de l'Assemblée et un nouvel aliment aux passions populaires. Et, pour endormir ces méfiances, elle était forcée, elle, la femme ardente et fière, de s'abaisser jusqu'à la duplicité, de mendier en quelque sorte les suffrages d'une Assemblée pour laquelle elle n'éprouvait que du dédain, «d'un amas de scélérats, de fous et de bêtes[913],» de parler contre sa pensée, de flatter des gens qu'elle méprisait, de décourager ceux qui jouissaient de sa confiance. «Comprenez-vous, écrivait-elle à Fersen, comprenez-vous ma position et le rôle que je suis obligée de jouer toute la journée? Quelquefois je ne m'entends pas moi-même et je suis obligée de réfléchir pour voir si c'est bien moi qui parle[914].» Dans son intérieur même,—et c'était l'explication de cette apathie apparente que la Marck traitait de paresse de caractère et qui n'était qu'une inaction forcée,—dans son intérieur même, elle se sentait isolée. Ni son mari, ni sa belle-sœur ne partageaient sa manière de voir. Louis XVI sentait les maux qui l'accablaient et les dangers qui menaçaient sa famille; mais il se résignait aux uns et cherchait peu à combattre les autres. Insensible aux objurgations de sa femme, dédaigneux de la mort, mais trop insouciant de la vie, d'un courage réel, mais purement passif, sans vigueur et sans initiative, il n'avait de force que pour souffrir. Plus ardente que son frère, Mme Elisabeth eût été pour une action énergique; elle n'eût pas reculé devant la guerre civile; elle fût volontiers montée à cheval, et ce qui la séduisait, ce n'était pas le plan diplomatique de la Reine, c'était l'attitude des émigrés, du comte d'Artois et du prince de Condé surtout, ralliant autour de leur panache blanc les soldats de la monarchie. Un devoir, héroïquement accepté, la retenait aux Tuileries; mais sa pensée et son cœur étaient à Coblentz. Il y avait, sur cette question de l'émigration, entre les deux belles-sœurs un dissentiment trop profond pour que l'intimité ne fût pas parfois troublée, et je ne m'étonne pas que, dans un moment de découragement, entre l'inertie du Roi et les sympathies de Mme Elisabeth pour les Princes, la malheureuse Reine se soit écriée: «C'est un enfer que notre intérieur[915].» A l'extérieur, elle n'était pas plus heureuse; ses intentions étaient calomniées; la diplomatie des émigrés combattait la sienne et, pour mieux la combattre, affectait de la représenter comme démocrate. Vainement la Reine écrivait-elle à Catherine II pour lui expliquer sa conduite, lui montrer la nécessité qui la forçait à accepter en apparence ce qu'elle désavouait en secret, et invoquer l'appui de la Russie pour ce Congrès dans lequel elle mettait sa dernière espérance; elle n'obtenait que des larmes stériles[916], et cette note dédaigneuse où je ne sais quelle satisfaction inavouée de jalousie féminine pourrait bien inspirer l'ironie de l'autocrate toute puissante: «Qu'on est malheureux, quand on est réduit à avoir pour tout espoir un roseau pour s'accrocher! Mais qu'attendre de gens, qui agissent sans discontinuer avec deux avis divers parfaitement contradictoires[917]?» L'Empereur lui-même ne montrait guère plus de bonne volonté. La Reine avait beau presser son frère de faire quelque chose, Léopold tergiversait toujours, entassait prétextes sur prétextes pour ne pas bouger, et ne semblait pas même se préoccuper des dangers terribles auxquels étaient exposés sa sœur, son beau-frère et son neveu. Depuis l'acceptation de la Constitution, qu'il avait conseillée, il devenait de plus en plus froid. Sur le terrain même du Congrès armé, qui cependant semblait l'engager si peu, il se dérobait, tirait occasion de tout pour ne pas intervenir, ce qui revenait à tout empêcher; car on savait bien que, sans lui, rien ne pouvait se faire. Au fond, il ne pensait qu'à ses intérêts et redoutait, dans le cas d'un conflit avec la France, le soulèvement des Pays-Bas, mal pacifiés depuis Joseph II, et surexcités par le voisinage et les émissaires des révolutionnaires de Paris[918]. Mercy lui-même, ce vieux conseiller de Marie-Antoinette, mais qui n'avait jamais été partisan bien chaud d'un Congrès[919], Mercy, fidèle interprète de la volonté de son maître, désolait la Reine par ses théories: «Notre position est tous les jours plus embarrassante, écrivait le 25 novembre la malheureuse souveraine. Avec cela l'Assemblée est si mauvaise, tous les honnêtes gens si las de tous les troubles, qu'avec de la sagesse, je crois, l'on pourra s'en tirer; mais, pour cela j'insiste toujours pour le Congrès armé, comme j'en ai déjà parlé. Il n'y a que lui qui puisse arrêter les folies des Princes ou des émigrés, et je vois de tous les côtés qu'il viendra, peut-être avant peu, un tel degré de désordre ici, que, hors les républicains, tout le monde sera charmé de trouver une force supérieure pour arriver à une composition générale[920].» A toutes ces instances, Mercy se contentait de répondre: «On croit un Congrès inutile et impossible[921]. On a rendu compte des raisons qui s'opposaient à un Congrès.—Bien d'autres raisons politiques rendraient ce Congrès plus nuisible qu'utile à la France[922].» Et s'élevant contre ceux qui voulaient entraîner l'Empereur dans les hasards, en restant eux-mêmes à l'abri, il énumérait les dépenses déjà faites par l'Autriche pour le Roi de France[923]. C'était assez. Léopold n'était pas d'humeur à prolonger des sacrifices dont il était si mal payé[924], et les ordres de marche donnés aux troupes étaient contremandés. Ainsi, toutes les espérances de Marie-Antoinette s'évanouissaient; tout conspirait contre elle: la faiblesse de son mari et la froideur de son frère; le Congrès armé, sa dernière ressource, la clef de voûte sur laquelle reposait son système de défense, s'écroulait comme le reste, par la faute de sa propre famille; elle n'y put tenir, et, de quelque silence qu'elle eût jadis voilé ses tristesses intimes, elle ne put empêcher l'amertume de son cœur de déborder dans ses lettres: «Je ne récriminerai pas sur le passé, écrivait-elle, le 16 décembre; je ne dirai pas que, si l'Empereur avait exécuté ce que je lui avais demandé dès le mois de juillet et depuis, le Congrès aurait eu lieu, ou du moins serait annoncé, et nous serions dans une autre position..... C'est dans ce moment où le Congrès armé pourrait encore être de la plus grande utilité..... Mais on ne peut pas différer. Voilà le moment de nous servir; si on le manque, tout est dit, et l'Empereur n'aura que la honte et le reproche à se faire, aux yeux de l'univers entier, d'avoir laissé traîner dans l'avilissement, pouvant les en tirer, sa sœur, son neveu et son allié. Je vois peut-être bien vivement; mais le moyen qu'il en soit autrement, quand tous mes intérêts sont réunis[925]?» Avec Fersen, son confident le plus dévoué et le plus intime, elle était plus explicite et plus sévère encore: «Quel malheur, lui disait-elle, que l'Empereur nous ait _trahis_! S'il nous avait bien servis, seulement depuis le mois de septembre, que je lui ai écrit en détail, le Congrès aurait pu être établi le mois prochain, et cela aurait été trop heureux; car la crise marche à grands pas ici et peut-être devancera-t-elle le Congrès: alors, quel abri aurons nous[926]?» Elle ne savait plus à qui se fier, et un jour qu'elle était allée à Saint Cloud pour faire respirer à ses enfants un air plus pur, elle prenait à part Mme de Tourzel et de Tarente: «J'ai besoin, leur disait-elle, d'épancher mon cœur devant des personnes aussi sûres que vous et sur l'attachement desquelles je puis compter. Je suis blessée au vif par les endroits les plus sensibles. J'avais mis, en arrivant en France, ma confiance dans M. de Mercy... Je le regardais comme un père et j'ai la douleur de voir combien j'ai été trompée par le peu de part qu'il prend aujourd'hui à ma triste situation. M. de Breteuil, de son côté, calcule toujours ses intérêts et ne peut nous inspirer une entière confiance. Le Roi est très mécontent de M. de la Queuille, qui écrit des lettres du style le plus singulier[927].» «Nous sommes surveillés comme des criminels, écrivait la malheureuse femme à l'amie de son cœur, la duchesse de Polignac, et en vérité cette contrainte est horrible à supporter. Avoir sans cesse à craindre pour les siens, ne pas s'approcher d'une fenêtre sans être abreuvés d'insultes, ne pouvoir conduire à l'air de pauvres enfants sans exposer ces chers innocents aux vociférations, quelle position, mon cher cœur! Encore, si on n'avait que ses peines! Mais trembler pour le Roi, pour tout ce qu'on a de plus cher au monde, pour les amis présents, pour les amies absentes, c'est un poids trop fort à endurer; mais, je vous l'ai dit, vous autres me soutenez. Espérons en Dieu qui voit nos consciences et qui sait si nous ne sommes pas animés de l'amour le plus vrai pour le pays[928].» Mais cet amour vrai, qui lui en tenait compte? Les journaux ne cessaient de déblatérer contre elle, et Prudhomme imprimait, dans les _Révolutions de Paris_, ces lignes menaçantes: «Antoinette, nous ne te demandons pas des vertus civiques, tu n'es pas née pour en avoir! Mais seulement abstiens-toi de nuire, et enveloppe-toi dans ton manteau de pourpre. Tant que l'hyène des montagnes reste dans son repaire, on ne va point à elle; mais du moment qu'elle descend dans la plaine pour l'ensanglanter, la couronne civique attend le héros de l'humanité qui, au péril de ses jours, aura délivré son pays de cette bête féroce[929].» L'allusion était transparente, et ni la Reine ni les assassins ne pouvaient s'y tromper. C'est dans cette douloureuse situation que s'achevait l'année 1791 et que s'ouvrait l'année 1792. CHAPITRE XVI Premières mesures de l'Assemblée contre les émigrés et les prêtres.—Le Roi demande la dispersion des rassemblements d'émigrés.—Préparatifs de guerre.—Mémoire envoyé à l'Empereur par les Constitutionnels.—Mission de M. de Simolin.—Lettre de la Reine à Mercy.—Voyage de Fersen en France.—Il propose un plan d'évasion, mais le reconnaît impossible.—Représentation du 20 février aux Italiens. La Reine avait raison de le dire, la crise devenait chaque jour plus aiguë. La Législative menait vivement l'assaut du trône et de la Constitution. Une minorité violente dominait l'Assemblée et inaugurait son règne par des mesures agressives dont, par un juste retour des choses, elle devait être plus tard la victime. Le 9 novembre, un décret déclarait suspects les émigrés, prononçait la séquestration de leurs biens et décidait que ceux qui ne seraient pas rentrés avant le 1er janvier 1792 seraient passibles de mort. Le 29, un autre décret édictait des peines sévères contre les prêtres qui n'auraient pas prêté le serment prescrit par la Constitution civile. Le Roi, se renfermant dans ses droits de monarque constitutionnel, sollicité d'ailleurs officiellement par le Directoire du département de la Seine, opposa son veto à ces deux décrets. Mais en même temps, pour donner satisfaction à l'opinion soulevée par les armements des Princes, il écrivit à ses frères pour les engager à rentrer en France. Jamais Louis XVI ni Marie-Antoinette n'avaient approuvé l'émigration[930]; ils avaient essayé d'en détourner leurs plus fidèles serviteurs; ils eussent voulu retenir, ou tout au moins rappeler les gardes du corps[931]. Ils dépêchaient lettres sur lettres, agents sur agents, Viomesnil après Coigny, Goguelat après Viomesnil; ils n'obtenaient rien, sous prétexte que, le souverain étant prisonnier, il fallait agir à l'inverse de ses instructions[932]. Aux lettres officielles, les Princes répliquaient qu'ils refusaient d'obéir à «des ordres évidemment arrachés par la violence[933]». Aux agents, comme Goguelat, on répondait par un persiflage et par l'injonction d'avoir à quitter immédiatement Coblentz, non sans avoir été témoin du peu de respect avec lequel les familiers de la petite cour de Schonburnlust parlaient du Roi et de la Reine, traitant le Roi de «soliveau» et la Reine de «démocrate[934]». Douloureuse situation que celle de Louis XVI! Il voyait autour de lui l'effervescence populaire grandir; il sentait que rien n'excitait plus les passions en France que l'attitude des émigrés au dehors, et que, comme l'écrivait judicieusement Pellenc, «si la haine des abus avait été le principe de la Révolution, presque aussitôt la haine des personnes avait pris la place de la haine des abus[935]». Il savait que la populace avait applaudi hautement au décret contre les émigrés, qui donnait satisfaction à ses rancunes, et que, en y opposant son _veto_, il avait fourni une arme toute puissante à ses ennemis. Et pendant ce temps, à ses lettres intimes comme à ses lettres officielles, ses frères refusaient d'obtempérer! Il avait beau faire, il se débattait dans le vide: ni d'un côté, ni de l'autre, on ne croyait à sa sincérité. L'Assemblée le soupçonnait de connivence avec les émigrés; les Princes l'accusaient de complicité avec les révolutionnaires. Isolé dans son royaume, sans parti, sans défense, il n'attendait quelque amélioration que de l'apaisement des esprits, et les esprits s'aigrissaient chaque jour davantage. Les armements des émigrés provoquaient les décrets de l'Assemblée, comme les menaces de l'Assemblée provoquaient les attaques des émigrés; et le Roi restait entre les deux, spectateur affligé mais impuissant d'un duel à mort, dont sa couronne et sa tête étaient le prix. Dès le 29 novembre, la Législative mettait Louis XVI en demeure d'exiger, des princes de l'Empire, la dispersion des rassemblements de Français armés près de la frontière. Le 14 décembre, un ultimatum fut adressé aux Électeurs de Trèves et de Mayence pour les sommer d'avoir à dissoudre les corps d'émigrés; une armée de cent mille hommes, sous la conduite de Lafayette, Rochambeau et Luckner, devait appuyer la sommation. Les Électeurs, menacés, invoquèrent l'assistance de l'Empereur, et, le 21 décembre, Léopold répondit à la dépêche française par une note assez ferme, où il déclarait que, comme chef de l'Empire, il ne tolérerait aucune violation du territoire impérial. Et pour mieux soutenir ses paroles, il commanda au maréchal Bender, alors à Luxembourg, de protéger, au besoin, l'Électorat de Trèves contre toute agression. Ce n'était point encore la guerre; mais c'en étaient les prémisses: l'Empereur, quoi qu'il en eût, se trouvait forcé d'agir. Les émigrés s'en réjouissaient, malgré la dispersion momentanée que leur imposait Léopold, parce qu'ils voyaient là le début d'un conflit où ils comptaient bien jouer un rôle, et les conseillers de la Reine s'en réjouissaient aussi, parce qu'ils pensaient que l'Empereur, une fois engagé, ne pourrait plus reculer et qu'il devrait en venir forcément au Congrès armé, que son inaction seule avait empêché jusque-là[936]. Mercy lui-même, le temporisateur et prudent Mercy, commençait à croire qu'on ne finirait pas sans une guerre, guerre civile ou guerre étrangère, peut-être les deux à la fois[937]. Rien n'était prêt encore[938]; mais on faisait des préparatifs. Léopold le pacifique devenait belliqueux: «Les Français veulent la guerre, avait-il dit; ils l'auront, mais ils en paieront la dépense[939].» Déjà, l'effectif des troupes autrichiennes en Belgique était augmenté et des ordres donnés pour que tout fût en état au 1er mars[940]. Le roi de Prusse s'était, dès le 14 janvier, déclaré résolu à prendre part au Congrès armé[941]; Catherine II s'y était ralliée elle-même; quant au roi de Suède, il était tout feu[942]. Cette guerre, les Jacobins y poussaient de tout leur pouvoir, parce qu'ils appréhendaient avant tout le Congrès[943]. En revanche, les Constitutionnels la redoutaient, parce qu'ils sentaient bien que, au milieu du choc des armées et du tumulte des passions, le frêle édifice qu'ils avaient échafaudé sombrerait dans la tempête[944]. Ils rédigèrent donc un mémoire pour tâcher d'en détourner l'Empereur, lui représentant les conséquences fatales qu'un conflit pourrait avoir pour la France et pour la sûreté de la famille royale, et alléguant le fâcheux effet qu'avait déjà produit, suivant eux, l'ordre donné au maréchal Bender. Fidèle à son principe de tout accepter sans objection, la Reine consentit à envoyer ce mémoire à Vienne par un émissaire secret, mais, en traînant en longueur, sous prétexte qu'elle n'avait pas de moyen de correspondre sûrement avec son frère[945]. Et elle eut bien soin de lui faire savoir que c'était l'œuvre exclusive de ses conseillers d'occasion, qu'ils n'avaient en aucune façon traduit sa propre pensée, et qu'il était de la dernière importance de bien distinguer son intérêt véritable de tout ce qu'elle était obligée de faire et de dire pour sa sûreté personnelle et celle du Roi[946]. Elle s'applaudissait au contraire du ferme langage que, pour la première fois, avait tenu Léopold et de la crainte qu'il avait inspirée aux Constitutionnels, crainte attestée par la démarche qu'ils faisaient à Vienne; et elle en concluait qu'une déclaration des Puissances, appuyée par des forces imposantes, produirait le même effet sur le pays entier et forcerait l'Assemblée à composer enfin avec le Souverain. Cette diplomatie en partie double, cette contradiction entre les démarches officielles et les sentiments secrets forçaient le Roi et la Reine d'avoir hors de France des agents autorisés, chargés de faire connaître aux Cours étrangères leurs véritables intentions. C'étaient, à Berlin, le vicomte de Caraman; à Saint-Pétersbourg, le marquis de Bombelles; à Londres, l'évêque de Pamiers et M. Crawford; c'étaient avant tout le baron de Breteuil, qui avait les pouvoirs du Roi, et aussi le correspondant de la Reine, le comte de Fersen. Puis, en dehors de ces agents, il y avait les émissaires, tantôt français, tantôt étrangers, parce que ceux-ci, par leur nationalité même, éveillaient moins l'attention des espions de toutes sortes attachés aux Tuileries. Et lorsque, parmi ces étrangers, la Reine rencontrait un homme d'un caractère sûr, d'un dévouement éprouvé, en même temps que d'une autorité reconnue, qui, ayant vu les choses de près, pût les montrer telles qu'elles étaient réellement, elle n'hésitait pas à lui confier la délicate mission de peindre à ses amis et à ses alliés la situation vraie de la France et les sentiments intimes des souverains. Cet homme, au commencement de 1792, fut Jean de Simolin, ministre de Russie à Paris depuis 1784, et qui, après le départ du comte de Mercy, l'avait en partie remplacé dans la confiance de Marie-Antoinette[947]. Simolin devait prendre un congé de quelques semaines. La Reine le fit prier de passer chez elle, le reçut sans cérémonial, en frac et en surtout, dans sa chambre, où bientôt le Roi vint la rejoindre; et là, après avoir soigneusement poussé le verrou de la porte, lui ouvrit son âme tout entière, se répandit en témoignages de reconnaissance pour la Czarine, mais ne dissimula pas son mécontentement de la conduite de l'Empereur qui, dit-elle, «conservait sur le trône la façon de penser d'un petit duc de Toscane, ne prenait aucun intérêt à ses parents[948],» et ne répondait pas même à ses lettres. L'émotion la gagnait; ses yeux étaient humides. Mais, refoulant ses pleurs, elle déroula au ministre russe tout son système, lui expliqua les motifs de sa conduite, lui dépeignit en termes très vifs la situation, et le chargea de la représenter dans toute son exactitude et toute son horreur à Léopold et à Catherine[949]; et comme Simolin, touché lui-même jusqu'aux larmes[950], objectait les dangers qu'une intervention des Puissances pourrait faire courir à la famille royale: «Dites à l'Empereur, répondit-elle, que la nation a trop besoin du Roi et de son fils, pour qu'ils aient rien à craindre; c'est eux qu'il est intéressant de sauver. Quant à moi, je ne crains rien; pourvu qu'ils soient sauvés, tout m'est indifférent, et j'aime mieux courir tous les dangers possibles que de vivre plus longtemps dans l'état d'avilissement et de malheur où je suis[951].» La lettre de la Reine à l'Empereur n'entrait dans aucun détail, se contentant d'accréditer près de lui Simolin, dont elle vantait la sagesse et les manières franches et loyales, et laissant au ministre russe le soin de développer la pensée des prisonniers des Tuileries. Avec Mercy, quoiqu'il fût recommandé à Simolin de ne s'ouvrir à lui qu'avec «quelque réserve[952]», Marie-Antoinette était plus explicite; la lettre qu'elle lui écrivit à cette occasion est trop importante et exprime trop bien les vrais sentiments de la malheureuse princesse pour que nous ne croyions pas devoir la transcrire ici tout entière; Février 1792. «M. de S., qui vous joindra, Monsieur, veut bien se charger de mes commissions. Il compte faire une course pour aller voir le prince Galitzin, et, d'après votre conseil, je l'ai prié de porter directement une lettre de moi à mon frère. L'ignorance totale où je suis des dispositions du cabinet de Vienne rend tous les jours ma position plus affligeante et plus critique. Je ne sais quelle contenance faire ni quel ton prendre; tout le monde m'accuse de dissimulation, de fausseté, et personne ne peut croire,—avec raison,—que mon frère s'intéresse assez peu à l'affreuse position de sa sœur pour l'exposer sans cesse, sans lui rien dire. Oui, il m'expose, et mille fois plus que s'il agissait; la haine, la méfiance, l'insolence sont les trois mobiles qui font agir dans ce moment ce pays-ci. _Ils sont insolents par excès de peur_, et parce que, en même temps, ils croient qu'on ne fera rien au dehors. Cela est clair; il n'y a qu'à voir les moments où ils ont cru que réellement les Puissances allaient prendre le ton qui leur convient; nommément à l'office du 21 décembre de l'Empereur, personne n'a osé parler ni remuer, jusqu'à ce qu'ils fussent rassurés. Que l'Empereur sente donc une fois ses propres injures; qu'il se montre à la tête des autres Puissances avec une force, mais une force imposante, et je vous assure que tout tremblera ici. Il n'y a plus à s'inquiéter pour notre sûreté; c'est ce pays-ci qui provoque à la guerre; c'est l'Assemblée qui la veut. La marche constitutionnelle que le Roi a prise le met à l'abri, d'un côté, et, de l'autre, son existence et celle de son fils sont si nécessaires à tous les scélérats qui nous entourent que cela fait notre sûreté; et, je le dis, il n'y a rien de pis que de rester comme nous sommes; il n'y a plus aucun secours à attendre du temps et de l'intérieur. Le premier moment sera difficile à passer ici; mais il faudra une grande prudence et circonspection. Je pense, comme vous, qu'il faudrait des gens habiles et sûrs pour être informé de tout; mais où les trouver[953]?» Porteur de ces lettres et de ces instructions, M. de Simolin partit de Paris le 7 février, arriva le 9 à Bruxelles, s'aboucha avec MM. de Breteuil, Fersen et de Mercy, et poursuivit sa route sur Vienne. Deux jours après, le 11 février, le comte de Fersen s'acheminait de son côté vers Paris. De tous les souverains que préoccupait la situation du Roi de France, Gustave III était assurément le plus sincère et le plus désintéressé. Il avait accepté le Congrès; il était même disposé à aller plus loin; mais il s'inquiétait avec raison de l'effervescence que ne pouvaient manquer de soulever à Paris les premières menaces des Puissances et du danger qu'aurait alors à courir la famille royale. Déjà même le bruit s'était répandu que, en cas de guerre, le Roi, la Reine et leurs enfants seraient emmenés dans le Midi, probablement dans les Cévennes, sous la garde d'une armée de protestants[954]. Pour éviter ce double péril, d'une insurrection populaire ou d'un enlèvement, et quels que fussent d'ailleurs les risques d'une évasion nouvelle, Gustave jugeait «indispensable»,—et il était en cela d'accord avec l'Impératrice de Russie[955],—que Louis XVI fît tout pour se soustraire aux mains de ses geôliers[956]. Deux moyens étaient ouverts: ou gagner la mer et s'échapper sur un petit bateau anglais qui irait débarquer à Ostende[957], ou prendre la voie de terre, traverser les «forêts de chasse» en évitant les villages[958] et se faire conduire par des contrebandiers jusqu'à une dizaine de lieues de la frontière, où un détachement de troupes légères rencontrerait les fugitifs et protégerait leur sortie[959]. Le Roi, la Reine et le Dauphin partiraient seuls, pour ne pas compliquer les préparatifs; Mme Elisabeth et Madame Royale resteraient à Paris, où il semblait qu'elles ne devaient avoir rien à craindre[960]. Quel que fût d'ailleurs le plan adopté, comme il était urgent qu'il restât secret et qu'il eût été imprudent de le confier à la poste, Fersen fut chargé d'aller le proposer aux prisonniers et l'étudier sur place avec eux. Ce n'était pas d'ailleurs la première fois que des projets de ce genre étaient présentés à la famille royale. Déjà, un autre fidèle du malheur, un Anglais, M. Crawford, qui put séjourner incognito à Paris de décembre 1791 jusqu'en avril 1792, avait, d'accord avec le roi d'Angleterre, proposé à la Reine de quitter la France avec le Dauphin, et tout arrangé pour la fuite[961]. La Reine avait refusé: son devoir était de rester aux côtés de son mari; elle ne voulait pas l'abandonner[962]. Mais, par une coïncidence étrange, au moment même où les conseillers du roi de Suède élaboraient un plan d'évasion, le bruit d'une fuite nouvelle de la famille royale courait dans Paris. Le public en jasait; les journaux en parlaient; on entrait dans le détail: le départ devait s'effectuer par Calais[963]; on fixait même la date, c'était la nuit du 12 au 13 janvier. L'Assemblée et la municipalité s'émurent; le nouveau maire de Paris, Pétion, fit doubler les postes du Château[964], et l'Assemblée, après avoir, le 11 janvier, déclaré infâme tout Français qui prendrait part à un Congrès, destiné à changer la Constitution[965], décréta que nul ne pourrait voyager en France sans un passeport individuel. La Reine, instruite des projets de son confident, et alarmée des dangers qu'aurait à courir, s'il était reconnu, l'organisateur du voyage de Varennes, la Reine lui écrivit d'ajourner, et ce ne fut que lorsque le Roi eut refusé sa sanction au décret sur les passeports[966], qu'elle lui permit de venir. Fersen quitta donc Bruxelles le 11 février, à neuf heures et demie du matin, en chaise de poste, sans domestique, accompagné seulement d'un officier suédois du nom de Reuterswaerd; tous deux avaient un passeport de courrier pour le Portugal, sous des noms supposés, et Fersen, pour mieux se déguiser, portait une perruque[967]. Malgré leur crainte des vexations qu'on faisait alors subir aux voyageurs, ils ne rencontrèrent aucun obstacle. Partout on fut poli; à Péronne même, où un accident de voiture les retint quatre heures, ils n'eurent qu'à se louer des bons procédés de la municipalité et de la garde nationale[968]. Le lundi 13 février, à cinq heures et demie du soir, ils entrèrent sans encombre à Paris. Fersen laissa son compagnon de route, et le soir même, après s'être entendu avec Goguelat, qu'il avait prévenu de son arrivée, il se rendit aux Tuileries par des chemins détournés, ne put voir qu'un instant la Reine, mais y revint le 14, à minuit[969], et trouva la Reine et le Roi. Quelles furent les émotions de ce premier revoir, après huit mois de séparation, on le devine sans peine. Que de confidences échangées entre les prisonniers et le défenseur qui leur avait dévoué sans arrière-pensée sa fortune et sa vie! Que de souvenirs évoqués, que de larmes versées! Ce furent d'abord les ineffaçables souvenirs de Varennes, les angoisses et les avanies de ce douloureux retour; puis les misères du présent, la perspective meilleure peut-être de l'avenir. On parla du projet de fuite; on convint qu'il offrirait de grands avantages, en donnant une impulsion plus vive aux affaires, en facilitant la bonne volonté des alliés[970]. La Reine le sentait bien, et ce n'était pas l'insuccès d'une première tentative qui la décourageait d'une seconde. Mais les difficultés étaient extrêmes: Fersen lui même, qui avait tant à cœur une évasion, dut la déclarer impossible. La famille royale était gardée à vue; tous les bâtiments en partance étaient rigoureusement visités[971]; et, d'autre part, un grand nombre de municipalités, celles de campagne surtout, ne tenant pas compte du _veto_ du Roi, appliquaient le décret sur les passeports, comme s'il avait été sanctionné[972]. La fuite était «physiquement impossible», tant la surveillance était minutieuse[973]. Aux obstacles matériels s'ajoutait un obstacle moral, plus insurmontable peut-être: la conscience du Roi; ayant si souvent promis de rester, il se faisait scrupule de partir. Mais il acceptait, il demandait même qu'un des premiers actes du Congrès fût d'exiger sa sortie de Paris, pour donner, en pleine liberté, son assentiment aux mesures à adopter et ratifier les engagements pris avec les Puissances. Si cette liberté lui était refusée, alors il pourrait tenter de fuir à travers les bois, par l'itinéraire que Fersen conseillait et déclarait possible, et si cette tentative échouait, il consentait pleinement à ce que les Puissances agissent, sans s'occuper de lui. «Il faut, dit-il, qu'on me mette tout à fait de côté et qu'on me laisse faire[974].» C'était la confirmation de ce que la Reine avait déclaré à Simolin. Quant aux démarches qu'il accomplissait, à l'approbation qu'il semblait donner aux actes de l'Assemblée, il ne fallait ni s'en étonner, ni s'y laisser tromper. Une telle conduite de sa part était rendue nécessaire par la situation précaire où il se trouvait et par le désir d'éviter de plus grands maux. Il n'avait sanctionné le décret sur la séquestration des biens des émigrés, que pour empêcher qu'ils ne fussent pillés et brûlés; mais il ne consentirait jamais à ce qu'ils fussent vendus. «Ah çà, dit-il avec sa brusque bonhomie, nous sommes entre nous et nous pouvons parler. Je sais qu'on me taxe de faiblesse et d'irrésolution; mais personne ne s'est jamais trouvé dans ma position. Je sais que j'ai manqué le moment; c'était le 14 juillet; il fallait alors s'en aller et je le voulais; mais comment faire, quand Monsieur lui-même me priait de ne pas partir et que le maréchal de Broglie, qui commandait, me répondait: «Oui, nous pouvons aller à Metz; mais que ferons-nous, quand nous y serons?» «J'ai manqué le moment, et depuis je ne l'ai pas retrouvé. J'ai été abandonné de tout le monde[975].» Le Roi et la Reine se mirent à entrer, sans récriminations, mais avec une émotion qui gagna Fersen, dans le détail de toutes les ingratitudes, de tous les abandons dont ils avaient été, dont ils étaient tous les jours victimes, n'ayant dans le ministère qu'un seul homme, Bertrand de Molleville, qui leur fût vraiment dévoué, trahis par ceux qui leur devaient le plus, et ne pouvant rien attendre que de l'attachement de ceux qui ne leur devaient rien[976]. Dans l'extrémité où ils étaient réduits, avec les progrès de l'esprit révolutionnaire, entre les attaques de l'Assemblée et les insultes de la rue, il ne fallait plus rien espérer de l'intérieur, pas même de l'excès du mal, qui, disait la Reine, «ne saurait enfanter le bien[977]»; il n'y aurait pas de retour sérieux et solide de l'opinion; on ne pouvait compter que sur l'intervention des Puissances. Ce n'était pas seulement le sentiment du Roi et de la Reine, mais celui de leurs conseillers constitutionnels, d'Alexandre de Lameth et de Duport, qui leur répétaient sans cesse qu'un tel état ne pouvait durer, qu'il n'y avait de remède que dans les troupes étrangères, et que, sans elles, tout était perdu[978]. «En tout, écrivait Fersen, résumant à Gustave III ses entretiens avec la famille royale, j'ai trouvé le Roi et la Reine très décidés à supporter tout plutôt que l'état où ils sont, et, d'après la conversation que j'ai eue avec Leurs Majestés, je crois pouvoir vous assurer, Sire, qu'elles sentent fortement que toute composition avec les rebelles est inutile et impossible, et qu'il n'y a de moyen pour le rétablissement de leur autorité que la force et des secours étrangers[979]». Quelque douce qu'eût été, malgré ses tristesses, cette entrevue, Fersen ne crut pas pouvoir la renouveler. La surveillance était si active, et il eût été si fâcheux, pour eux plus encore que pour lui, qu'il fût reconnu! C'était beaucoup déjà d'avoir pu pénétrer deux fois au Château, malgré la vigilance des geôliers. Il repartit donc le 15, et, pour dérouter les soupçons, alla jusqu'à Tours et revint par Fontainebleau. Le 19, à six heures du soir, il était rentré à Paris; mais il n'osa pas retourner aux Tuileries; il se contenta d'écrire pour savoir si l'on n'avait pas d'ordre nouveau à lui donner et resta caché pendant deux jours[980]. Le 21, à une heure du matin, après s'être muni, pour plus de précaution, d'un passeport de courrier[981], il repartait avec son ami Reuterswaerd et, après quelques difficultés dans un petit village, près de Marchiennes, arrivait le 24 à Bruxelles. Si Fersen n'avait pas été tenu à tant de prudence et s'il avait pu se montrer dans Paris, il aurait eu, avant de quitter la France, une fugitive consolation. Le 20 février, la Reine, avec ses enfants, était allée au Théâtre-Italien. On représentait _les Événements imprévus_, de Grétry. Quand on arriva au duo du valet et de la femme de chambre, Mme Dugazon, aussi royaliste que son mari était démocrate, s'inclina devant Marie-Antoinette, en chantant: Ah! comme j'aime ma maîtresse! Ce fut le signal d'un effroyable tumulte. _Pas de maître! Pas de maîtresse! Vive la liberté!_ criaient les Jacobins du parterre.—_Vive le Roi! Vive la Reine!_ ripostait-on des loges. Le public se divisa. Jacobins et royalistes se prirent aux cheveux; mais les royalistes furent les plus forts, et, comme dit Mme Elisabeth, «les Jacobins furent bien battus.» Les touffes de cheveux noirs volaient dans salle. La garde intervint et rétablit l'ordre[982]. On fit répéter le duo jusqu'à quatre fois, et quand Mme Dugazon en vint à ce vers: Il faut les rendre heureux, «Oui! oui!» cria-t-on de toutes parts. Au milieu de toute cette bagarre, la Reine avait conservé le maintien le plus noble et le plus grand calme. Quand elle sortit, elle fut couverte d'acclamations. «C'est une drôle de nation que la nôtre, écrivait Mme Elisabeth à son amie, Mme de Bombelles, en lui racontant cet incident; il faut convenir qu'elle a de charmants moments[983].» Hélas! ces moments étaient rares et ces acclamations bien passagères. Quatre jours après, deux pages de la Reine, reconnus au Vaudeville, étaient maltraités et traînés dans la boue. Quant à la Reine elle-même, elle ne voulut pas s'exposer à être le prétexte de luttes où ses amis n'auraient probablement pas toujours le dessus, et le 20 février fut le dernier jour où elle alla au théâtre[984]. CHAPITRE XVII Mort de Léopold.—Assassinat de Gustave III.—Joie insultante des Jacobins.—Nouveaux outrages contre la Reine.—Attaque violente de Vergniaud.—Dumouriez nommé ministre des affaires étrangères.—Il offre à Marie-Antoinette son concours qui est repoussé.—Le ministère Girondin.—Pâques 1792.—La seule consolation de la Reine, ce sont ses enfants.—Le Dauphin.—M. de Fleurieu est nommé son gouverneur. Malgré l'insuccès de son plan d'évasion, Fersen revenait de Paris «assez content de sa course[985]». Il connaissait maintenant les intentions vraies de Louis XVI et de Marie-Antoinette; il savait le but à poursuivre, et ce but semblait en grande partie atteint. L'accord s'était établi entre le Roi et les Puissances. Le Roi consentait à les laisser agir; les Puissances paraissaient décidées à agir. Le roi de Prusse et le roi d'Espagne, comme le roi de Suède et l'Impératrice de Russie en proclamaient la nécessité: la Suisse républicaine s'alliait pour cela à l'Europe monarchique; l'Empereur lui-même, ce «Florentin» dont la lenteur et le silence avaient si souvent désolé sa sœur, l'Empereur, malgré les conseils de Kaunitz, qui traitait de «lieux communs[986]» les plaintes de la Reine, l'Empereur avait l'air disposé à ne plus s'en tenir aux «déclarations[987]». «Jamais, disait Colloredo à Simolin, je ne l'ai trouvé si animé[988].» Et Mercy, devenu belliqueux, portait la main à son épée en s'écriant: «Il ne reste plus d'autre moyen pour sauver la France et toute l'Europe[989].» Mais un coup imprévu allait renverser tout cet échafaudage si laborieusement élevé. Le 1er mars 1792, Léopold mourait presque subitement, emporté par une violente maladie d'entrailles qui n'avait duré que deux jours[990]. Malgré ses griefs contre l'Empereur, Marie-Antoinette fut vivement émue de cette mort, et dans le premier moment de sa douleur, elle s'écria que son frère,—le bruit d'ailleurs en courut,—avait été empoisonné par les Jacobins[991]. Mais elle n'avait pas le loisir de pleurer; il fallait aviser aux changements que cette perte inattendue allait amener dans l'échiquier politique. Le successeur de Léopold était un adolescent de vingt-quatre ans, faible et maladif; l'Empire demeurait momentanément sans chef, et le principal lieu de la scène politique allait se trouver transporté de Vienne à Berlin[992]. Sans doute, le jeune roi de Hongrie assurait que ses dispositions étaient les mêmes que celles de son père; sans doute, le grand chancelier, prince de Rosemberg, écrivait à la sœur du marquis de Raigecourt: «J'espère que mon nouveau maître restera fidèle à tous les engagements contractés par feu son père et qu'il sera le restaurateur du trône et de l'autorité royale en France[993].» Mais le temporisateur Kaunitz affirmait, à la même heure, «qu'on ne pouvait dire que des choses vagues et que, si l'on travaillait à un concert des Puissances, il était impossible de savoir quand et comment ce concert se pourrait établir[994].» La Reine, inquiète de toutes ces incertitudes et de tous ces retards, se hâta d'envoyer à Vienne Goguelat, sous le nom de Daumartin, afin de demander une réponse positive[995]. «Il n'y a pas de temps à perdre, disait tristement la pauvre femme, car on n'en perd pas contre nous[996].» Il semblait que le malheur s'attachât aux infortunés, pour déconcerter tous leurs plans. Le 16 mars, le chef le plus ardent et le plus dévoué de la coalition, Gustave III, était frappé, dans un bal masqué, d'un coup de pistolet tiré à Stockholm, mais peut-être parti de Paris[997]. «Voilà, disait le blessé au baron des Cars, un coup qui va réjouir vos Jacobins[998].» L'émotion fut grande en effet en France, lorsqu'on apprit que le prince avait succombé, le 29 mars, à sa blessure. Chez les Jacobins ce fut un cri de triomphe: Ankarstroëm et ses complices furent qualifiés de Brutus et de Mutius Scévola[999] et l'on proclama que le poignard est la dernière raison du peuple[1000]. A la Cour, ce fut un cri de stupeur: le Roi et la Reine furent consternés: ils perdaient leur meilleur appui. La veille même de sa mort, Gustave leur avait fait dire «qu'un de ses regrets, en quittant la vie, était de sentir que sa perte pouvait nuire à leurs intérêts[1001]». Lorsque Mme de Tourzel, qui venait d'être instruite du fatal événement chez le Dauphin, descendit chez la Reine, les traits bouleversés: «Je vois à votre visage, lui dit l'infortunée souveraine, que vous savez la cruelle nouvelle que nous venons d'apprendre. Il est impossible de ne pas être pénétrée de douleur; mais il faut s'armer de courage, car, qui peut répondre de ne pas éprouver un pareil sort[1002]?» Et la jeune Madame se jeta dans les bras de sa mère en fondant en larmes. Elles avaient bien raison de pleurer, les malheureuses victimes; leur situation devenait chaque jour plus critique. Toutes les misères qu'entraîne toujours une révolution, l'anarchie qui naît de l'absence de gouvernement et qu'attestent trop tous les écrits du temps, l'anarchie spontanée, comme l'a nommée un grand historien, l'amoindrissement ou la perte des fortunes particulières, l'avilissement de la fortune publique, la banqueroute imminente, la cherté des grains, l'impossibilité de les transporter d'un département à un autre[1003], la famine en perspective, le manque total de numéraire, le peu de confiance dans le papier[1004], les attaques des orateurs à l'Assemblée ou dans les clubs contre la famille royale, les excitations des journaux, les calomnies des gazettiers, tout cela entretenait la population parisienne dans un état de fièvre permanent. Les Jacobins étaient tout à la haine; les républicains ne dissimulaient plus leur espoir. Le Roi lui-même tombait dans un découragement qui allait jusqu'à l'abattement physique. Il restait des jours entiers sans articuler un mot, et il fallut que sa femme se jetât à ses pieds et fît à sa tendresse et à son courage l'appel le plus déchirant, allant jusqu'à lui dire «que, s'il fallait périr, ce devait être du moins avec honneur, et sans attendre qu'on vînt les étouffer l'un et l'autre sur le parquet de leur appartement», pour qu'il sortît enfin de cette torpeur[1005]. On préparait au grand jour, au milieu d'un débordement d'ignobles injures, la déchéance de la royauté. On fabriquait des piques à crochets pour arracher, disait-on, les entrailles des aristocrates, et l'Assemblée accordait aux porteurs les honneurs de la séance[1006]. On en armait des régiments de femmes et l'on projetait de les faire défiler devant la Reine. Le bonnet rouge, ce hideux emblème, faisait son apparition sous les fenêtres du Roi; des motions menaçantes étaient proposées dans le jardin des Tuileries et les insultes de la populace prenaient le caractère le plus grossier et le plus dégoûtant[1007]. Le plan des conjurés s'élaborait à un souper chez Condorcet. Il s'agissait de suspendre le Roi, de s'emparer de l'éducation du Dauphin et de lui donner Condorcet comme précepteur[1008]. Quant à la Reine, on hésitait si on la renverrait purement et simplement en Autriche, comme le voulait Siéyès[1009], si on l'enfermait dans un couvent[1010] ou au Val-de-Grâce[1011], ou si on la traduisait devant la Haute-Cour d'Orléans, sous dix-neuf chefs d'accusation[1012]. La Reine le savait: elle s'attendait _à tout_, et comme un jour elle s'en ouvrait à Mme de Tourzel: «Mais, dit la gouvernante, le Roi ne souffrira jamais l'accomplissement d'un projet si atroce.»—«Je le préférerais,» répondit la vaillante femme, «plutôt que d'exposer ses jours, si son refus devait produire cet effet[1013].» Mais tenant, avant tout, à ne compromettre personne, elle passa plusieurs nuits avec Mme Campan à trier ses papiers et à brûler tous ceux qui pouvaient être dangereux[1014]. On outrageait ses sentiments intimes, on ne respectait même pas sa douleur. A la mort de son frère, on ne permit pas d'en porter le deuil en public. Un officier, qui avait paru avec un crêpe au bras dans le jardin des Tuileries, fut insulté et maltraité[1015], et une tête représentant Léopold fut plantée au bout d'une pique sous le balcon du Château. «Elle,—la mort de l'Empereur,—a fait son effet, disaient les journaux patriotes. Elisabeth s'est confessée le soir même, et Marie-Antoinette, malgré sa réputation de femme forte, en a reçu une atteinte au cerveau. Léopold est mort; mais le plus redoutable de nos ennemis est plein de vie et habite au milieu de nous. Le défunt est entré seul dans la tombe; il nous laisse une sœur!» A l'Assemblée, les orateurs se faisaient les échos des calomnies et des menaces de la presse. Le 10 mars, au moment où la Reine pleurait la mort de son frère, dans la mémorable et orageuse discussion qui aboutit au renvoi de Lessart devant la Cour d'Orléans, Vergniaud s'écriait: «De cette tribune, où je vous parle, on aperçoit le palais où des conseillers pervers égarent et trompent le Roi que la Constitution nous a donné, forgent les fers dont ils veulent nous enchaîner et préparent les manœuvres qui doivent nous livrer à la Maison d'Autriche. Je vois les fenêtres du palais où l'on trame la contre-révolution, où l'on combine les moyens de nous replonger dans les horreurs de l'esclavage, après nous avoir fait passer par tous les désordres de l'anarchie, par toutes les fureurs de la guerre civile. «Le jour est arrivé où vous pouvez mettre un terme à tant d'audace, à tant d'insolence et confondre enfin les conspirateurs. L'épouvante et la terreur sont souvent sortis, dans les temps antiques, de ce palais fameux. Qu'elles y rentrent aujourd'hui au nom de la loi; qu'elles y pénètrent tous les cœurs; que tous ceux qui l'habitent sachent que notre Constitution n'accorde l'inviolabilité _qu'au Roi_. Qu'ils sachent que la loi y atteindra sans distinction les coupables, et qu'il n'y aura pas une seule tête, convaincue d'être criminelle, qui puisse échapper au glaive.» L'allusion était transparente; dans la situation des esprits, dénoncer ainsi la Reine, c'était la désigner aux vengeances populaires et aux poignards des assassins; les menaces sanguinaires du 20 juin et l'échafaud du 16 octobre sont en germe dans ces venimeuses paroles de l'orateur girondin. Au récit de cette affreuse séance, Marie-Antoinette versa, dit-on, des torrents de larmes. «Larmes de haine,» dit M. E. Quinet[1016]. Vouliez-vous donc que ce fussent des larmes d'amour? Qui s'étonnera ensuite que la Reine, ainsi réduite à sauver sa tête et celle de son mari et de ses enfants, placée par les violences dont elle était l'objet en légitime défense, ait cherché au dehors l'appui qu'elle ne trouvait plus au dedans et demandé aux Puissances, à ses parents, à ses alliés, un secours que des hommes politiques de tous les partis, des Constitutionnels comme Duport et les Lameth, des monarchistes comme Mounier et Mallet du Pan, des royalistes comme Breteuil et Bombelles, déclaraient seul capable d'arracher la famille royale aux assassins et la France à l'anarchie? Le 16 mars, Dumouriez fut nommé ministre des affaires étrangères en remplacement de Lessart. Ancien agent de la diplomatie secrète de Louis XV, homme de plume et homme d'épée, souple et insinuant sous des apparences de franchise et de brusquerie, Dumouriez ne tarda pas à prendre une influence sérieuse sur Louis XVI; il ne put gagner la confiance de Marie-Antoinette. Vainement lui fit-il les plus chaleureuses protestations de dévouement; vainement se jeta-t-il à ses pieds en lui affirmant qu'il n'était et ne pouvait être Jacobin; vainement lui saisit-il un jour la main, en la baisant avec transport et en lui disant: «Madame, laissez-vous sauver[1017].» Il crut l'avoir convaincue: il ne l'avait pas ébranlée. On a fait un reproche à la Reine de cette méfiance obstinée; on a dit: Dumouriez, avec son adresse politique et ses talents militaires, eût rétabli la monarchie. Peut-être; il est facile de raisonner et de critiquer après coup. Mais, étant donnés le caractère et l'attitude du personnage, le refus de Marie-Antoinette ne s'explique que trop. Des protestations de fidélité à la royauté, ou des protestations de dévouement aux Jacobins, lesquelles devait-elle croire sincères? Et lui était-il possible d'accepter aveuglément un concours dont, quelques jours auparavant, Dumouriez avait fait hommage à Robespierre et à Collot d'Herbois[1018]? Le 24 mars, Roland et Clavière entraient à leur tour au ministère, qui, un mois après, se complétait par la nomination de Servan. C'était la Gironde qui prenait enfin le pouvoir qu'elle avait si longtemps ambitionné: la Gironde, le parti qui s'était montré le plus acharné contre Marie-Antoinette, celui dont le plus éloquent orateur avait lancé contre elle l'odieuse dénonciation que nous avons dite, et dont l'inspiratrice attitrée, Mme Roland, intelligence élevée, caractère ferme, mais nature envieuse et cœur plein de fiel, poursuivait la Reine d'une haine de femme et avait écrit à Bosc, dès le 26 juillet 1789: «Vous n'êtes que des enfants; votre enthousiasme est un feu de paille; et, si l'Assemblée nationale ne fait pas en règle le procès de deux têtes illustres, ou que de généreux Décius ne les abattent, vous êtes tous f.....[1019].» Pâques approchait. Depuis que son directeur, le curé de Saint-Eustache, avait prêté serment à la Constitution civile, la Reine avait choisi un autre confesseur; mais il lui était interdit de remplir publiquement ses devoirs religieux. Pour donner satisfaction à sa conscience et accomplir la grande loi chrétienne, elle demanda à l'un de ses chapelains de lui dire le jour de Pâques, à cinq heures du matin, une messe qu'elle pût entendre en secret. C'était le 8 avril. La nuit était noire encore; Mme Campan, un bougeoir à la main, accompagna sa maîtresse jusqu'à la chapelle et l'y laissa seule. La princesse resta longtemps absorbée dans ses prières et ses tristes méditations; il faisait déjà petit jour lorsqu'elle rentra chez elle[1020]. Huit jours après, le 15 avril, malgré une protestation indignée de Gouvion et les strophes enflammées d'André Chénier, Paris célébrait une fête en l'honneur des Suisses du régiment de Châteauvieux, condamnés aux galères pour avoir, lors de l'insurrection de Nancy, en 1790, pillé la caisse de leur régiment et tiré sur les gardes nationales et les troupes françaises. C'était la fête de l'indiscipline, du vol et de l'assassinat. On porta en triomphe les forçats libérés; l'Assemblée leur décerna les honneurs de la séance et, le soir, la ville illumina. Mme Elisabeth, dans sa correspondance, plaisanta de ce grotesque défilé, des trois ou quatre cents patriotes avinés, hurlant: _Vive la Nation!_ et _A bas Lafayette!_ et de «Dame Liberté, tremblotante sur son char[1021]». Mais cette cérémonie, qui rappelait le souvenir de M. de Bouillé, fut pour la Reine l'occasion d'un redoublement d'outrages. Le _P. Duchesne_, naturellement, s e distingua dans ce débordement d'infamies; nous en citerons quelques lignes seulement, pour montrer à quel degré était descendue la rage des pamphlétaires: «Ah! f..., quelle joie, quel bonheur, de la voir manger du fromage dans ce beau jour! Je crois l'apercevoir au travers de sa jalousie, comme le jour de la fête de Voltaire; c'est alors, f..., qu'elle rugissait comme un tigre enchaîné de ne pouvoir s'abreuver de notre sang.» «...... Aux piques! f..., braves sans-culottes; aiguisez-les pour exterminer les aristocrates, s'ils osent broncher. Que ce beau jour soit le dernier de leur règne! Nous n'aurons de repos que quand la dernière tête d'aristocrate sera abattue[1022].» Au milieu de ces tristesses et de ces fatigues,—car c'était sur elle seule que reposaient le souci et la peine de la volumineuse correspondance qu'elle entretenait de tous côtés, et de ces mémoires «bien longs» pour elle «qui n'en savait pas faire[1023]»,—une suprême consolation restait à Marie-Antoinette: c'étaient ses enfants; et elle écrivait à Fersen: «Pour moi, je me soutiens mieux que je ne devrais, par la prodigieuse fatigue d'esprit que j'ai sans cesse, en sortant peu de chez moi; je n'ai pas un moment à moi, entre les personnes qu'il faut voir, les écritures et le temps que je suis avec mes enfants. Cette dernière occupation, qui n'est pas la moindre, fait mon seul bonheur, et quand je suis bien triste, je prends mon petit garçon dans mes bras, je l'embrasse de tout mon cœur, et cela me console de tout dans le moment. Adieu[1024].» C'était en effet un bien joli et bien séduisant enfant que le jeune Dauphin, avec ses longs cheveux bouclés, ses grands yeux bleus, son intelligence précoce, déjà mûrie par le malheur, et son cœur plein de tendresse. «Il était impossible, dit Mme de Tourzel, de voir un enfant plus attachant, rempli de plus d'intelligence, et s'exprimant avec autant de grâce. Il saisissait les occasions de dire des choses agréables à ceux qui l'entouraient. Il était très attaché au Roi; mais, comme il lui en imposait, il n'était pas aussi à son aise avec lui qu'avec la Reine, qu'il adorait et à laquelle il exprimait ses sentiments de la manière la plus touchante, trouvant toujours à lui dire quelque chose de tendre et d'aimable. Sa gaîté et son amabilité étaient la seule diversion aux peines journalières dont la Reine était accablée. Elle l'élevait parfaitement, et quoiqu'elle eût pour lui la tendresse la plus vive, je lui dois la justice de dire qu'elle ne l'a jamais gâté, et qu'elle a toujours appuyé les justes représentations qu'on faisait à ce jeune prince[1025].» Lui, de son côté, avait pour sa mère des câlineries charmantes, des délicatesses de sentiments, des effusions de tendresse adorables. Il la parfumait des fleurs de son jardin: il la dévorait de caresses. Un jour,—c'était peu de temps après le retour de Varennes, et les leçons, interrompues par la surveillance sévère à laquelle la famille royale avait été soumise, venaient seulement de reprendre,—la Reine y assistait. «S'il m'en souvient bien, dit le précepteur du Dauphin, l'abbé d'Avaux, à son élève, la dernière leçon avait eu pour objet les trois degrés de comparaison, le positif, le comparatif et le superlatif; mais vous aurez tout oublié?»—«Vous vous trompez, reprit l'enfant; pour preuve, écoutez-moi: le positif, c'est quand je dis: mon abbé est un bon abbé; le comparatif, quand je dis: mon abbé est meilleur qu'un autre abbé; le superlatif,» continua-t-il en regardant sa mère, «c'est quand je dis: Maman est la plus aimable de toutes les mamans.» La Reine prit son fils dans ses bras, le pressa contre son cœur, et ne put retenir ses larmes[1026]. Elle était fière de son enfant, la pauvre mère, et elle le montrait volontiers à ceux qui l'approchaient. «Tandis que la Reine me parlait, raconte Bertrand de Molleville, le petit Dauphin, beau comme un ange, s'amusait à chanter et à sauter dans l'appartement, avec un petit sabre de bois et un bouclier qu'il tenait dans ses mains. On vint le chercher pour souper, et en deux bonds il fut à la porte. «Comment, mon fils,» lui dit la Reine, «vous sortez sans faire la révérence à M. Bertrand?»—«Oh! maman, dit ce charmant enfant en continuant de sauter, M. Bertrand est de nos amis. Bonsoir, Monsieur Bertrand[1027].» Et il s'élança hors de la chambre. «N'est il pas gentil?» me dit la Reine, quand il fut sorti. Il est bien heureux d'être si jeune; il ne sent point nos chagrins, et sa gaîté nous fait du bien.» Mais cette dernière joie même, la malheureuse Reine ne pouvait en jouir tranquillement: on lui disputait son fils. Le Dauphin allait avoir sept ans, l'âge où, d'après la tradition monarchique, il devait sortir des mains des femmes pour passer dans celles des hommes. L'Assemblée ne l'oubliait pas, et, avide d'empiéter sur les droits du père, comme elle avait empiété sur ceux du souverain, elle avait la prétention d'imposer à Louis XVI le choix d'un précepteur. Déjà elle avait dressé des listes sur lesquelles le Roi devait prendre le gouverneur de son fils; on y lisait le nom des principaux meneurs de la gauche: Pétion, Siéyès, Condorcet; on avait même mis en avant Robespierre. C'était à ces philosophes sans foi qu'on voulait que le Roi très chrétien livrât l'âme de son enfant. La Reine en était tourmentée plus qu'elle ne pouvait le dire[1028]. Une motion fut même faite pour que l'Assemblée nommât elle-même le gouverneur du prince royal; mais un dernier sentiment de pudeur retint les députés: la motion fut rejetée. Le Roi en profita pour écrire au président la lettre suivante: 18 avril 1792. «Je vous prie, Monsieur le Président, de prévenir l'Assemblée nationale que, mon fils ayant atteint l'âge de sept ans, j'ai nommé pour son gouverneur M. de Fleurieu: sa probité et ses lumières généralement reconnues, ainsi que son attachement à la Constitution, ont déterminé mon choix.» Cette décision, qui déconcertait les plans de la Gironde, n'eut pas de suites. En fait, M. de Fleurieu ne prit jamais possession du poste auquel l'avait appelé une confiance auguste. Le Roi et la Reine continuèrent, comme par le passé, à diriger l'éducation de leur fils. L'initiative de Louis XVI avait écarté ce danger. Que ne sût-elle conjurer de même ceux qui menaçaient sa couronne, sa famille et sa vie! CHAPITRE XVIII Déclaration de guerre à l'Autriche.—Lettre de la Reine à Mercy, du 30 avril 1792.—Mission de Mallet du Pan.—Premiers échecs des troupes françaises.—Lafayette propose au Roi de se retirer à son armée.—Emotion de Paris.—Dénonciation du Comité autrichien.—Réapparition des mémoires de Mme de la Motte.—Ils sont brûlés à Sèvres.—Licenciement de la garde constitutionnelle.—M. d'Hervilly offre au Roi de chasser l'Assemblée.—Le Roi refuse.—Départ de Barnave.—Décrets du 26 mai sur la déportation des prêtres insermentés, du 8 juin sur la formation d'un camp de vingt mille hommes sous Paris.—Renvoi des ministres girondins.—Dumouriez quitte le ministère.—Le Roi oppose son _veto_ aux décrets. Le 20 avril, Louis XVI déclarait la guerre au roi de Hongrie; il ne s'était décidé à cette résolution qu'à la dernière extrémité, et, en l'annonçant à l'Assemblée, il avait les larmes aux yeux; mais il avait dû céder aux déclamations de la Gironde, à la pression de l'opinion, à l'avis unanime et écrit de ses ministres[1029]. La Reine n'y répugnait pas, comme le Roi; depuis l'échec de toutes ses espérances, elle voyait dans la guerre une suprême ressource[1030], et elle lui semblait moins dangereuse, si c'était l'Assemblée qui en prenait l'initiative[1031]; on ne pourrait pas du moins accuser la famille royale d'avoir poussé en avant les Puissances. Ce pouvait être l'occasion d'un retour de l'opinion; mais cette opinion, il était essentiel qu'on ne fît rien pour l'exaspérer. Aussi, dès le 30 avril, la Reine écrivait-elle à Mercy: «La guerre est déclarée. La Cour de Vienne doit tâcher d'éloigner sa cause le plus possible de celle des émigrés[1032], l'annoncer dans son manifeste, en même temps que l'on pense qu'elle pourrait employer l'ascendant naturel qu'elle a sur les émigrés pour tempérer leurs prétentions, les amener à des idées raisonnables et à se rallier enfin à tous ceux qui défendront la cause du Roi. Il est facile d'imaginer les idées qui doivent faire le fond du manifeste de Vienne; mais, en appelant l'univers à témoin des intentions de cette Puissance, de ses efforts pour conserver la paix, de ses dispositions constantes encore à tout terminer à l'amiable, de son éloignement de soutenir des prétentions particulières ou quelques individus contre la nation, on doit éviter de parler trop du Roi, de trop faire sentir que c'est lui qu'on soutient et qu'on veut défendre. Ce langage l'embarrasserait, le compromettrait, et, pour ne pas paraître conniver avec son neveu, il serait forcé d'exagérer ses démarches et par là de s'avilir, ou de donner un mouvement faux à l'opinion publique. C'est la nation dont il faut parler pour dire que l'on n'a jamais eu le désir de lui faire la guerre. Une observation également importante, c'est d'éviter de vouloir paraître d'abord se mêler des affaires intérieures, ou même de vouloir amener à composition. On a déjà cherché à déjouer les bonnes intentions de Léopold, en faisant répandre qu'il voulait faire une transaction entre tous nos partis. Il est à désirer sans doute que la marche que prendra la Cour de Vienne y amène les Français; mais ce dessein doit être très caché; car ce serait le rendre impossible à exécuter que de le manifester d'abord. Les Français repousseraient toujours toute intervention politique des étrangers dans leurs affaires, et l'orgueil national est tellement attaché à cette idée qu'il est impossible au Roi de s'en écarter, s'il veut rétablir son royaume[1033].» Trois semaines après, un ami de Malouet, un des esprits les plus sages et les plus clairvoyants de cette époque, un écrivain qui n'avait cessé de défendre avec énergie et modération la cause de la monarchie, Mallet du Pan, était chargé d'aller appuyer près des Puissances le plan tracé dans cette lettre et en développer les détails. Avant tout, il insistait sur la nécessité d'engager les Princes et les Français émigrés à ne «point faire perdre à la guerre actuelle, par un concours hostile et offensif de leur part, le caractère de guerre étrangère faite de Puissance à Puissance». Il n'était pas moins urgent que les coalisés, dans le manifeste qu'ils devaient adresser à la France, s'attachassent à «séparer les Jacobins et les factieux de toutes les classes du reste de la nation, à rassurer tout ce qui est susceptible de revenir de son égarement, tous ceux qui, sans vouloir de la Constitution actuelle, craignent le retour des grands abus, tous ceux que le délire de l'esprit, la contagion de l'exemple et la première ivresse de la Révolution ont engagés dans cette cause criminelle, mais qui, n'ayant à se reprocher que des erreurs, de l'exaltation et de la faiblesse, se montreront désarmés et repentants, du moment où on leur présentera une issue sans ignominie et sans dangers personnels». Les Puissances devaient encore «faire entrer dans leur manifeste la vérité fondamentale qu'on n'entend point toucher à l'intégrité du royaume[1034], et que la crainte d'un démembrement est un indigne artifice par lequel les usurpateurs cherchent à donner le change sur le véritable et unique but des Puissances; qu'on fait la guerre à une faction antisociale et non à la nation française». Enfin, il était essentiel «de n'imposer ni de proposer aucun système de gouvernement, mais déclarer qu'on s'arme pour le rétablissement de la monarchie et de l'autorité royale légitime, telle que Sa Majesté entend elle-même la circonscrire[1035]». Tels étaient le but de la mission de Mallet du Pan, le genre de concours que le Roi et Reine réclamaient des Puissances, le programme qu'ils entendaient leur fixer et se fixer à eux-mêmes, et le résultat qu'ils attendaient de la lutte qui allait commencer. Chose étrange! la guerre était déclarée; l'Assemblée la voulait depuis plusieurs mois; les Puissances le savaient; la Reine elle-même les en avait averties[1036]; et ni d'un côté, ni de l'autre on n'était prêt. Les troupes autrichiennes en Belgique étaient dispersées et hors d'état de se défendre; elles étaient d'ailleurs travaillées par des émissaires jacobins et l'on se méfiait de leur fidélité[1037]. Il fallait encore six semaines au moins pour que des renforts sérieux pussent arriver, et si les généraux français avaient poussé vigoureusement les choses, ils eussent pu arriver, presque sans coup férir, jusqu'à Bruxelles[1038]. Mais eux non plus n'étaient point en mesure de marcher. Privée de ses chefs les plus illustres, qui avaient émigré, et d'une partie de ses régiments, qui avaient passé la frontière à la suite de leurs chefs[1039], l'armée française était désorganisée; on le vit aux premières affaires, où elle se débanda sans résistance. Le corps de Théobald Dillon assassinait son général; le corps de Biron fuyait honteusement devant une charge de uhlans; Lafayette était obligé de se replier, et Rochambeau donnait sa démission. Il y eut un moment de terreur à Paris; les uns s'en prenaient au Roi, les autres au ministre, un plus grand nombre à la Reine. L'émotion fut vive dans la bourgeoisie parisienne, et M. de Vaublanc prétend que si, à cette heure, un chef résolu se fût présenté, elle se fût ralliée à lui spontanément pour restaurer l'autorité royale[1040]. Est-ce cette pensée qui détermina Lafayette à venir dans la capitale au mois de mai? Craignit-il que l'Assemblée, dans sa frayeur et dans sa haine, voulût enlever la famille royale? Toujours est-il qu'il fit proposer au Roi, par Malouet, et à la Reine, par M. de Gouvernet, de se retirer au milieu de son armée, dont il répondait. Une division de cette armée eût été postée à Compiègne, et de là, des détachements eussent facilité le départ de la famille royale en s'aidant des gardes suisses et de la partie dévouée des gardes nationaux. Le Roi et la Reine refusèrent: le Roi avec des paroles bienveillantes pour le général, la Reine avec une certaine aigreur[1041]. Ni l'un ni l'autre ne voulaient échanger la tyrannie de l'Assemblée pour la tutelle de Lafayette. Peut-être se souvenaient-ils qu'au moment du renvoi de M. de Narbonne le général s'était emporté jusqu'à dire au garde des sceaux: «Nous verrons lequel, du Roi ou de moi, aura la majorité dans le royaume[1042].» Peut-être aussi avaient-ils encore présent à la mémoire cet avis suprême du puissant tribun, dont le génie leur manquait tant à cette heure: «En cas de guerre, M. de Lafayette voudrait tenir le Roi prisonnier dans sa tente[1043].» Mais pour les révolutionnaires à l'Assemblée et dans la presse, ces premiers échecs militaires servirent de prétexte à de nouvelles diatribes contre la Reine. On l'accusa d'être la cause de la déroute et d'avoir donné des ordres secrets pour occasionner la panique[1044]. La populace fut ameutée, et dès le 1er mai, un Grec, qui habitait la France, et qui avait salué avec enthousiasme les débuts de la Révolution, mandait à ses amis: «Ne vous étonnez pas, si je vous écris quelque jour pour vous apprendre l'assassinat du malheureux Roi et de sa femme[1045].» Quinze jours après, un ami des Girondins, Carra, dénonçait, dans les _Annales patriotiques_, un prétendu Comité autrichien qui, disait-il, se tenait chez la princesse de Lamballe[1046] et préparait, avec la Reine, une Saint-Barthélemy des patriotes, tandis que le Roi, prenant la fuite, livrerait les places fortes et l'armée à l'émigration. Carra fut poursuivi, et, dans le débat qui s'éleva, déclara tenir ses informations de trois députés de la gauche: Merlin de Thionville, Bazire et Chabot. Le juge de paix, Etienne Larivière, qui avait instruit l'affaire, lança un mandat d'amener contre les trois députés, sans se souvenir qu'ils étaient inviolables. L'Assemblée le lui rappela durement en l'envoyant lui-même à la Haute-Cour d'Orléans, antichambre de l'échafaud. Le Roi s'émut; peut-être craignit-il que, dans ces allégations haineuses, on cherchât un prétexte pour réaliser le plan, si souvent prêté aux Jacobins, d'emmener la famille royale dans le Midi pour la livrer aux mains des émeutiers de Marseille et des assassins de la Glacière[1047]. Il jugea que «l'intérêt de l'Etat et sa tranquillité au dedans ne permettaient pas de laisser passer de telles calomnies sous silence», et prescrivit au garde des sceaux d'en traduire les auteurs devant les tribunaux afin que «toute cette affaire fût parfaitement éclaircie[1048]». Les Girondins répondirent à cette lettre du Roi en reproduisant, en pleine Assemblée, les accusations odieuses lancées par leur ami Carra. Brissot, le grand dénonciateur, attaqua en termes violents M. de Montmorin; mais cette fois il dépassa le but et, malgré l'appui de Gensonné, la tentative avorta. En même temps, Pétion, que la Reine, mal inspirée, avait contribué à faire nommer maire de Paris contre Lafayette, et qui ne se servait de sa position que pour mieux battre en brèche la royauté, Pétion signalait au commandant de la garde nationale, dans une lettre rendue publique, de prétendues inquiétudes sur un prochain départ du Roi pendant la nuit, inquiétudes, disait-il, fondées sur des probabilités et des indices, et donnait l'ordre de multiplier les patrouilles, tenant ainsi la population dans de perpétuelles alarmes[1049]. Quelques jours après, le 29 mai, nouvelle alerte, nouveau rassemblement des gardes nationaux, nouvelle promenade armée autour du Château pour surveiller le Roi[1050]. Mais un bruit plus sérieux vint émouvoir les esprits et aggraver la situation. Vers le commencement de 1792, Mme Campan avait été prévenue que Mme de la Motte avait composé un nouveau libelle contre la Reine et l'avait fait passer en France. On ajoutait que c'était avant tout une affaire de chantage et que vraisemblablement le porteur du manuscrit le livrerait pour mille louis. Mme Campan fit part de cette ouverture à Marie-Antoinette; mais la Reine la repoussa, en disant qu'elle avait toujours dédaigné de pareils libelles et que, en outre, si elle avait la faiblesse d'en acheter un pour l'empêcher de paraître, elle n'échapperait pas à l'actif espionnage des Jacobins et leur fournirait par là de nouvelles armes et de nouveaux prétextes. Le raisonnement était sage, et d'ailleurs tant de calomnies immondes inondaient la rue qu'une de plus ou de moins n'avait guère d'importance. Mais Louis XVI n'eut pas la même impassibilité que sa femme: il redouta pour elle le douloureux souvenir que réveillait le nom de Mme de la Motte, et fit acheter par M. de la Porte l'édition entière des _Mémoires_. Au lieu de la détruire sur-le-champ, et en secret, M. de la Porte se contenta d'en enfermer les exemplaires dans un cabinet de son hôtel. Mais les événements marchaient; la violence de l'Assemblée et de la populace croissait d'heure en heure; dénoncé lui-même, M. de la Porte craignit qu'une perquisition, faite chez lui à l'improviste, ne fît découvrir les brochures et ne leur donnât ainsi la publicité redoutée; il résolut de s'en défaire; mais, par une maladresse ou un aveuglement inexplicable, il les fit transporter en plein jour, sur une charrette, à la manufacture de Sèvres, où elles furent brûlées, dans un grand feu allumé tout exprès, en présence de deux cents ouvriers, auxquels il était expressément défendu d'en approcher. Cet excès de précaution et d'imprudence ne fit qu'alimenter les soupçons, en excitant la curiosité sans la satisfaire. Une dénonciation fut faite par les ouvriers, et, malgré les explications du directeur de Sèvres et de M. de la Porte, mandés à la barre de l'Assemblée, on persista à voir dans les pamphlets brûlés les papiers du fameux et imaginaire Comité autrichien. Girondins et Jacobins s'unirent pour dénoncer le complot, et, fidèles à leur système d'abattre un à un les derniers appuis de la monarchie, afin de la renverser plus facilement, ils profitèrent de l'émotion produite pour priver le Roi de sa garde constitutionnelle. Formée, le 16 mars, d'un tiers de troupes de ligne et de deux tiers de gardes nationaux, sous le commandement suprême du duc de Brissac, qui avait sous ses ordres MM. d'Hervilly et de Pont-l'Abbé, cette garde était sincèrement dévouée au Roi; elle eût été, en cas d'émeute, avec les Suisses et la partie saine de la garde nationale, un centre sérieux de résistance[1051]. Elle était en même temps sans hostilité contre les institutions nouvelles et pleine de déférence pour la milice citoyenne; elle en avait donné des preuves en mainte occasion. Il y avait entre les deux corps un désir ardent de vivre en bonne harmonie[1052]. «Tenons-nous bien unis, disaient les gardes du Roi, c'est le moyen d'être forts[1053].» Mais cet accord même excitait la méfiance et la haine des ennemis de la royauté. Des rassemblements menaçants se formaient aux Tuileries; on entourait les gardes; on insultait les officiers; on les accusait de conserver dans la caserne de l'Ecole militaire un drapeau blanc; on les dénonçait à l'Assemblée, qui se déclarait aussitôt en permanence, comme si elle eût été en face d'un immense danger. Bazire, allant droit au but, demanda qu'on licenciât la garde constitutionnelle composée, disait-il, «de prêtres réfractaires, d'émigrés et d'Arlésiens aristocrates.» Et après une longue séance, au milieu de la nuit, la proposition de Bazire, appuyée par Brissot, fut adoptée: la garde constitutionnelle fut dissoute et son commandant, le duc de Brissac, envoyé dans les prisons d'Orléans; il ne devait en sortir que pour être massacré à Versailles, le 9 septembre. Pendant qu'on délibérait ainsi, le commandant en second de la garde, M. d'Hervilly, vint dire à Malouet et à Montmorin: «Quel que soit le décret, je suis sûr de mon corps, et si le Roi le permet, avec dix-huit cents hommes[1054], je chasserai l'Assemblée demain.» Mais le Roi ne le permit pas. Vainement Malouet et Montmorin le supplièrent-ils de ne pas sanctionner le décret de suppression. Vainement M. d'Hervilly lui renouvela-t-il, avec les plus vives instances, la proposition de fondre sur les Jacobins et les factieux de l'Assemblée. «Les scélérats, dit-il, sont faibles, quand on leur résiste, et ce jour peut être un jour bien précieux pour défendre la cause royale. Si nous réussissons, nous ferons le bonheur de la France; si nous succombons, désavouez-moi, accusez-moi et faites tomber sur moi la colère de l'Assemblée.» Vainement fit-on remarquer au Roi que cette avant-garde de M. d'Hervilly pourrait être appuyée par six mille royalistes, enrôlés à Paris par M. de Clermont-Tonnerre. Le Roi, toujours effrayé de la perspective d'un conflit, refusa, et la Reine, à qui souriait toute résolution énergique, mais qui devait s'incliner devant la volonté de son époux, ne put que dire à Mme de Tourzel: «La proposition de M. d'Hervilly est grande et honorable; mais le Roi ne peut se déterminer à l'accepter; et dans cette position, je me reprocherais d'influencer sa décision[1055].» Louis XVI était désarmé; tout lui manquait à la fois; sa garde était licencée, et les Constitutionnels, impuissants et mal écoutés, l'abandonnaient. Barnave, à son tour, s'éloigna, après avoir demandé à la Reine, comme une faveur suprême, l'honneur de lui baiser la main. La Reine lui accorda cette grâce et vit partir les larmes aux yeux, profondément émue elle-même, ce conseiller de la dernière heure, dont elle avait apprécié les nobles sentiments, sans en accepter les idées, et qui devait payer de sa vie son tardif dévouement[1056]. Mais l'Assemblée ne désarmait pas. Le 26 mai, elle avait, par un décret, condamné à la déportation tout prêtre insermenté qui serait dénoncé par vingt citoyens actifs. Le 8 juin, elle décida qu'un camp de vingt mille hommes, composé de cinq hommes par canton, serait formé sous Paris pour le 14 juillet suivant, afin de renouveler la fête de la Fédération et de resserrer ainsi les liens de fraternité entre les départements et la capitale. En réalité, c'était amener sous les murs de Paris une force de vingt mille révolutionnaires, à la disposition des clubs, préparer des soldats pour toutes les émeutes, et constituer à l'Assemblée la garde qu'on avait refusée au Roi. Le projet avait été arrêté aux Jacobins, et le ministre de la guerre, Servan, l'avait présenté à l'Assemblée, sans en avoir parlé au Conseil, ni même en avoir prévenu le prince. Les deux décrets insultaient à la fois Louis XVI dans sa dignité, le menaçaient dans son pouvoir, le froissaient dans sa conscience; il refusa, ou tout au moins ajourna sa sanction. Les trois ministres girondins, Roland, Clavière et Servan, qui, depuis leur entrée aux affaires, n'avaient cessé d'intriguer presque publiquement contre celui qu'ils devaient conseiller et défendre, achevaient de rendre le ministère impossible. Le 10 juin, Roland mit le comble à ces attaques en écrivant au Roi, sous l'inspiration et par la plume de sa femme, une lettre insolente dont, par une suprême inconvenance, il donna lecture en plein Conseil, après avoir juré de la tenir secrète. Dans cette lettre que Dumouriez a traitée «d'impudente diatribe[1057]» et que le dernier éditeur des Mémoires de Mme Roland a qualifiée de «violence inutile et de vilaine action[1058]», Roland censurait brutalement la conduite de Louis XVI et de Marie-Antoinette, intimait au monarque l'ordre de changer de confesseur, et s'emportait jusqu'à l'appeler parjure[1059]. Il le sommait d'exécuter les volontés de la Gironde et l'avertissait que, s'il refusait de sanctionner les décrets, il susciterait contre lui «l'implacable défiance d'un peuple contristé qui ne verrait plus dans son Roi que l'ami et le complice des conspirateurs[1060]». C'en était trop; le 13 juin, Louis XVI renvoya les trois ministres et chargea Dumouriez de leur donner des successeurs. L'Assemblée répondit à cet acte de vigueur, en déclarant que les ministres congédiés emportaient sa confiance, et décrétant l'impression de la lettre de Roland et son envoi aux quatre-vingt-trois départements. Dumouriez demeurait chef du cabinet et Louis XVI se sentait attiré vers cette nature complexe qui ne ressemblait en rien aux ministres qu'il avait destitués; mais Dumouriez déclara qu'il ne pouvait rester d'une manière utile, si la sanction royale n'était donnée aux deux décrets, s'engageant d'ailleurs à transporter à Soissons le camp que Servan voulait former près de Paris. Malgré sa répugnance à réunir ainsi, comme disait la Reine, «vingt mille coquins qui pouvaient le massacrer,» le Roi avait fini par consentir à ce que demandait son ministre, au moins pour le décret du 8 juin; mais, sur le décret contre les prêtres, après un moment d'hésitation et malgré les pressantes instances du général, il demeura inflexible. Le 15 juin, Dumouriez donna sa démission, résolu à quitter Paris et à se rendre à l'armée. Mais, avant de partir, le 18 juin, il alla prendre congé du Roi; l'entrevue fut émouvante. Dumouriez fit une dernière tentative pour vaincre ce qu'il appelait les «scrupules» du souverain; il lui représenta avec force les dangers d'un refus, l'impopularité du clergé; il lui peignit, avec des accents pathétiques, les prêtres massacrés, sa couronne menacée, lui-même, sa femme, ses enfants en proie aux fureurs populaires. «Je m'attends à la mort, répondit le prince simplement, et je leur pardonne d'avance.» Mais il persista dans sa résolution, ne voulant pas ajouter à toutes les peines qu'il endurait la peine plus cuisante d'un remords[1061]. «Dumouriez se retira, a dit un éminent historien, sans avoir compris la grandeur de cette scène, ni la portée du rôle qu'il y avait joué; sans avoir senti qu'il était là pour démontrer à quel point la majesté du devoir est supérieure aux considérations de la politique[1062].» Quelques jours après, il partait pour l'armée de Lukner, dont il allait prendre le commandement. Le 19 juin, usant de son droit constitutionnel, et sollicité d'ailleurs par le Directoire du département de la Seine et par une pétition couverte de huit mille signatures, le Roi opposait formellement son _veto_ aux deux décrets, dont l'un était la plus grave des atteintes à la liberté de conscience proclamée par la Constitution, dont l'autre était une menace perpétuelle pour l'ordre et la liberté du gouvernement. C'était, par un acte parfaitement légal et légitime, jeter le gant à l'Assemblée qui avait voté ces décrets, à la Gironde qui les avait présentés, aux Jacobins qui les avaient conçus, à la populace qui s'agitait dans les faubourgs. Le gant ne devait pas tarder à être relevé. Le Roi ne l'ignorait pas, et, le jour même où il refusait sa sanction aux décrets, il écrivait à son confesseur, M. Hébert, supérieur des Eudistes[1063]: «Venez me voir; je n'eus jamais autant besoin de vos consolations. J'ai fini avec les hommes; c'est vers le ciel que se portent mes regards. On annonce pour demain de grands malheurs; j'aurai du courage[1064].» CHAPITRE XIX Le 20 juin. Depuis longtemps déjà tout se préparait pour un soulèvement; la date avait été choisie: c'était le 20 juin, le double anniversaire du serment du Jeu de Paume et de la fuite de Varennes. Des conciliabules se tenaient au faubourg Saint-Antoine, chez le brasseur Santerre, où, sous l'impulsion de Danton, et avec la connivence du maire de Paris, Pétion, se réunissaient les meneurs habituels de la populace parisienne: Fournier l'Américain, le marquis de Saint-Huruge, le boucher Legendre, le Polonais Lazouski, Alexandre, le chef de bataillon du faubourg Saint-Marcel. Le refus de sanction des décrets, s'ajoutant au renvoi des ministres girondins, vint fournir le prétexte. Dès le 19 au soir, Paris s'agitait; le charme d'une belle soirée attirait les habitants au dehors; dans les rues, sur les places, des groupes se formaient, s'entretenant de la manifestation projetée pour le lendemain. «Aux Tuileries, dit un témoin, il y avait plus de personnes que de grains de sable[1065].» Des journaux, comme les _Révolutions de Paris_, prêchaient ouvertement le renversement de la Constitution et la révolte contre «l'individu royal[1066]». Prévenu de ce qui se passait par le nouveau ministre de l'intérieur, Terrier de Montciel, le Directoire du département, composé de Constitutionnels convaincus et résolus, manda près de lui le maire et les administrateurs de police et les força de donner au commandant général de la garde nationale, Ramainvilliers, l'ordre écrit de «tenir les postes au complet, de doubler ceux de l'Assemblée et des Tuileries, d'avoir des réserves d'infanterie et de cavalerie, et, au besoin, de requérir les troupes de ligne». En même temps, il les avertissait eux-mêmes d'avoir à prendre _sans délai_ toutes les mesures nécessaires pour empêcher les rassemblements contraires à la loi. Malgré ces injonctions si nettes et les dispositions formelles de la loi, rien ne fut fait pour empêcher l'insurrection. La municipalité, au contraire, «informée, dit-elle, qu'un grand nombre de citoyens se proposent de se présenter à l'Assemblée et chez le Roi pour remettre une adresse,» prit un arrêté pour ordonner au commandant général de «rassembler sous les drapeaux les citoyens de tous uniformes et de toutes armes, lesquels marcheront ainsi sous le commandement des officiers du bataillon». C'était légitimer la violation de la loi et rendre la répression impossible en désarmant l'autorité et en donnant en quelque sorte à l'émeute la consécration de la légalité. Tiraillé entre ces prescriptions contraires, Ramainvilliers hésita, se troubla, et finalement s'abstint. Pendant toute la journée du 20, on le chercha partout, sans le trouver. Dès cinq heures du matin, le rappel avait battu; à huit heures, les «faubourgs» se mettaient en marche; vers midi, ils arrivaient à la rue Saint-Honoré. Partis des deux rives de la Seine, ils n'avaient pas tardé à se réunir pour former un groupe compacte, qui se grossissait en marchant de tous les oisifs et de tous les badauds. Les quinze cents hommes de Santerre étaient ainsi devenus vingt mille. Des sapeurs étaient en tête; puis venaient les canons et une voiture portant l'arbre de la liberté qu'on devait planter sur la terrasse des Feuillants. A la porte de l'Assemblée, la colonne s'arrête, et Santerre fait parvenir une lettre au président. L'Assemblée délibérait précisément sur l'accueil qu'elle devait faire aux pétitionnaires. Le président, Français, de Nantes, donne lecture de la lettre qui réclame pour eux l'admission à la barre. Les tribunes applaudissent. «Qu'on les fasse entrer,» crie la gauche.—«Non, non,» riposte la droite. Les interpellations se croisent d'un côté à l'autre de la salle. Quelques individus parviennent à s'introduire; on les fait sortir. Le Manège, qui, depuis le retour du Roi à Paris, servait de lieu de réunion à l'Assemblée, était un grand bâtiment de cent cinquante pieds de long environ, parallèle à la terrasse des Feuillants[1067]. Entre la salle et cette terrasse régnait une longue cour étroite, séparée du jardin des Tuileries par un mur élevé; une petite porte, pratiquée dans le mur, donnait accès dans le jardin. La foule, ne voulant pas s'entasser dans cette cour, où elle eût pu être facilement cernée, s'était massée à l'autre extrémité des bâtiments. La tête de la colonne se pressait au pied de l'escalier qui conduisait à la salle des séances, et, poussée par les flots nouveaux qui survenaient sans cesse, ne pouvant ni avancer ni reculer, elle s'était échappée de côté et répandue dans un jardin voisin, dépendant d'un ancien couvent de Capucins. Ne sachant que faire pendant que l'Assemblée délibérait, les sapeurs plantèrent dans ce jardin l'arbre de la liberté qu'ils traînaient sur un char. D'autres bandes, cependant, cherchant une issue et trouvant partout la place prise, avaient envahi la cour du Manège. Pressées, elles aussi, par les nouvelles couches qui arrivent de minute en minute, étouffant dans cet étroit espace, elles se précipitent vers la porte qui donne dans le jardin des Tuileries. La porte est gardée par un détachement de grenadiers, et des canons sont braqués pour en interdire le passage. Vainement trois officiers municipaux, Boucher René, Bouclier Saint-Sauveur et Mouchet, qui sont allés au devant du rassemblement et se trouvent ainsi en tête de la colonne, réclament l'ouverture de la porte; le commandant du poste les renvoie au commandant général. Les officiers municipaux se rendent au Château et, ne rencontrant pas Ramainvilliers, ils s'adressent au Roi. L'un d'eux, petit homme noir et bancroche, qui joua dans cette journée le triste rôle de mouche du coche révolutionnaire, Mouchet, interpelle Louis XVI et demande qu'on laisse l'entrée du jardin libre pour des citoyens qui, marchant _légalement_, ne peuvent qu'être blessés de se sentir soupçonnés: «Nous-mêmes, ajoute-t-il, avons été affectés de voir des canons pointés sur le peuple. De telles mesures sont plus propres à l'irriter qu'à le contenter.»—«Votre devoir, répond le Roi, est de faire exécuter la loi.»—«Si la porte n'est pas ouverte,» riposte Mouchet, «elle sera enfoncée.»—«Eh bien,» reprend le Roi, «si vous le jugez utile, faites ouvrir la porte des Feuillants. Qu'on défile le long de la terrasse, pour sortir par la porte des écuries; mais faites en sorte que la tranquillité publique ne soit pas troublée. Votre devoir est d'y veiller.» Les officiers municipaux sortent pour transmettre la réponse du Roi; il était trop tard. La porte avait été enfoncée et la foule s'était répandue dans le jardin, d'où il eût été facile alors, avec un peu de bonne volonté et d'énergie, de la faire écouler. L'autre partie de la colonne, ainsi coupée en deux, celle qui se pressait dans la cour des Feuillants, avait fini par être admise dans l'Assemblée. L'orateur de la bande, Huguenin[1068], se présente à la barre et lit une longue et violente diatribe contre le Roi: «Pourquoi faut-il que des hommes libres se voient réduits à la cruelle nécessité de tremper leurs mains dans le sang des conspirateurs? Il n'est plus temps de dissimuler; la trame est découverte; l'heure est arrivée; le sang coulera, et l'arbre de la liberté, que nous venons de planter, fleurira en paix..... Un seul homme ne doit point influencer la volonté de vingt-cinq millions d'hommes.» La gauche applaudit; la droite s'indigne; Mathieu Dumas demande la question préalable sur la pétition. Mais, au milieu des vociférations des tribunes et des menaces de ces bandes qui grondent au dehors, la délibération n'est pas libre. La question préalable est repoussée, et l'Assemblée décide que les citoyens des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel seront admis à défiler devant elle. Un roulement rappelle la foule dispersée dans le jardin des Tuileries, et le défilé commence, au son des tambours et de la musique. Santerre et Saint-Huruge sont à la tête; ils se placent au pied de la tribune et passent en revue leur armée. Puis vient un mélange confus de femmes, d'enfants, de gardes nationaux et de sans-culottes, les uns sans armes, les autres armés de sabres, de piques, de faulx, de haches, de couteaux et même de scies. Deux hommes portent, au bout d'une pique, l'un une vieille culotte, avec ces mots: _Vivent les sans-culottes!_ l'autre, un cœur de veau tout saignant, sous lequel est écrit: _Cœur d'aristocrate!_ De grossiers emblèmes, des enseignes insultantes, des inscriptions menaçantes flottent au-dessus des têtes: _A bas le Veto!_ _Avis à Louis XVI!_ _Le peuple est las de souffrir!_ _La liberté ou la mort!_ La musique joue le _Ça ira_, et la foule tantôt répète les paroles de la chanson populaire, tantôt crie en guise de refrain: _A bas le Veto!_ Parfois, le cortège s'arrête et se livre, au milieu de la salle, à des danses patriotiques. Et l'Assemblée assiste, avec une résignation humiliée, à ce honteux avilissement de la représentation nationale. Le défilé dure près de deux heures. Quand il est terminé, Santerre remercie les députés de l'amitié qu'ils ont bien voulu témoigner aux pétitionnaires, remet au Président, en signe de reconnaissance, un «superbe drapeau[1069]» et court sur la place du Carrousel reprendre le commandement de son armée. Il est trois heures et demie. L'Assemblée lève la séance. En sortant de la salle par la cour du Manège, la colonne, au lieu de regagner la rue Saint-Honoré, avait pénétré dans le jardin des Tuileries, et de là, longeant la façade du Château, elle sortait par le guichet du Pont-Royal. En passant sous les fenêtres elle répétait bruyamment ses cris favoris: _Vivent les sans-culottes!_ _A bas Monsieur et Madame Veto!_ Dix bataillons de la garde nationale étaient là, formant un front de bandière, devant lequel défilaient les faubourgs. Arrivé au Pont-Royal, le cortège sembla prendre la ligne des quais, et l'on put croire un moment que tout se bornerait aux déclamations violentes dont avait retenti l'Assemblée. Il n'en devait pas être ainsi, et tel n'était pas le plan des chefs de l'émeute. L'envahissement du Château faisait partie du programme, en attendant mieux peut-être et en laissant au hasard le soin d'achever. Arrivée en face du Carrousel, la bande, au lieu de continuer sa marche, se détourne et franchit le guichet. La cour du Conseil est envahie; là, le cortège s'arrête et frappe à la porte de la cour Royale. «Nous voulons entrer, crie-t-on, nous ne voulons pas de mal au Roi.» Pour toute réponse, les deux gendarmes qui sont de garde croisent la baïonnette. La foule recule un moment. Mais les gendarmes et les gardes nationaux n'ont pas d'instructions; les uns veulent défendre la porte à outrance, les autres hésitent. «Qu'avons-nous à faire?» demande un capitaine au colonel Rulhière.—«Je n'ai pas d'ordres,» répond Rulhière, «mais je crois que la troupe est ici pour soutenir la garde nationale.» Le commandant général, Ramainvilliers, vient à passer; un lieutenant-colonel de gendarmerie, Carle, court à lui et l'interroge: «Otez les baïonnettes,» répond Ramainvilliers.—«Pourquoi,» riposte Carle indigné, «pourquoi ne m'ordonne-t-on pas tout de suite de rendre mon épée et d'ôter ma culotte?» Ramainvilliers ne réplique rien et disparaît. Pour tout concilier, un des officiers les plus dévoués à la famille royale, Aclocque, engage les chefs de la colonne à choisir vingt pétitionnaires, qu'il promet de conduire au Roi. Une trentaine d'hommes se présentent; on les laisse entrer et le guichet se referme. La foule gronde au dehors. Les bruits les plus propres à irriter les passions populaires circulent, habilement semés et commentés. On raconte «qu'on a vu le matin, au Château, douze ou quinze cents chevaliers de Saint-Louis; qu'on a reconnu dans la cour d'anciens membres de la Maison du Roi supprimée; que les appartements sont remplis de personnes vêtues de noir, animées des intentions les plus contre-révolutionnaires; que ce jour est destiné à renouveler la journée des poignards, etc.». Toutes ces rumeurs se répandent et exaspèrent la populace, déjà surexcitée. Les canonniers des faubourgs, qui sont rangés avec leurs pièces sur la place du Carrousel, font chorus avec la foule. Le commandant du bataillon du Val-de-Grâce, Saint-Prix, essaie vainement de faire rentrer ses hommes, qu'il sait mal disposés, dans leur quartier; les hommes refusent, et, malgré leur chef, chargent leurs canons: «Nous ne partirons pas,» dit un lieutenant... «Nous ne sommes pas venus pour rien; le Carrousel est forcé; il faut que le Château le soit. Voilà la première fois que les canonniers du Val-de-Grâce marchent; ce ne sont pas des j..-f...; nous allons voir.» Et montrant le Château de la main: «A moi, canonniers! Droit à l'ennemi!» Les canonniers s'ébranlent et tournent leurs pièces contre la porte royale. «Si on refuse l'ouverture de la porte,» dit Santerre qui vient d'arriver, «on la brisera à coups de boulets.» Mais il n'en est pas besoin: deux municipaux, Boucher René et un autre, dont le nom est resté inconnu, donnent l'ordre d'ouvrir. Le flot humain se précipite dans la cour des Tuileries; tout entre à la fois: peuple, gardes nationaux, gendarmes. «Je verrai longtemps, a dit un témoin oculaire, seize mille hommes armés, faisant bonne contenance, se croyant obligés de céder à deux municipaux qui leur ordonnent, par la loi, d'en laisser passer vingt mille avec des piques, haches, escaladant avec une vitesse terrible les marches du palais. Jamais les vagues furieuses de la mer ne m'ont semblé si dangereuses[1070].» Quelques officiers dévoués s'efforcent de fermer la porte qui sépare la cour du grand escalier. Les gardes nationaux, découragés par l'attitude de la municipalité, refusent de défendre l'entrée, et comme un des commandants leur dit: «Êtes-vous sûrs qu'il ne se mêlera point, parmi ceux qui se présentent, des hommes capables d'attenter à la vie du Roi?»—«Il vaut mieux,» répondent-ils, «qu'un homme soit égorgé que nous.» C'est avec ce mot, qui justifie toutes les lâchetés et qui autorise tous les crimes, que la dernière porte est franchie, et l'accès de la demeure royale livré à l'invasion. La foule, ne rencontrant plus de résistance, se rue dans l'escalier; elle s'y élance en masses si compactes et avec une telle impétuosité, qu'un des canons du Val-de-Grâce est porté à bras, jusqu'à la troisième salle du Château, la salle des Suisses; là, ses roues s'accrochent dans le tambour d'une porte; cet obstacle inattendu arrête un instant les envahisseurs et redouble les colères. Le bruit court que c'est un canon braqué par les défenseurs de la royauté pour mitrailler le peuple; il n'en faut pas plus pour faire massacrer tous les habitants des Tuileries. Heureusement, sur l'ordre de Mouchet, les sapeurs dégagent le canon et le descendent au pied du grand escalier, où il reste jusqu'à la fin de la journée. Le Roi était dans sa chambre avec sa famille, quand tout à coup il entend frapper à la porte. On ouvre; c'est un de ses fidèles, le chef de bataillon Aclocque, qui vient le supplier de se montrer au peuple. Louis XVI y consent; il passe dans la salle du lit et de là dans celle de l'Œil-de-Bœuf. La Reine veut le suivre; le Roi l'en empêche; on l'entraîne et elle n'a que le temps de dire aux grenadiers: «Mes amis, sauvez le Roi[1071]!» «Plus heureuse qu'elle,»—c'est elle-même qui le dit,—Mme Elisabeth accompagne son frère, et avec elle quelques ministres et quelques gentilshommes: Terrier de Montciel, de Lajard, Beaulieu, l'amiral Bougainville, les maréchaux de Beauvau, de Mouchy, et de Mailly; MM. de Tourzel, d'Hervilly, etc.... «A moi, grenadiers!» dit le Roi. Un certain nombre de gardes nationaux, la plupart du bataillon Sainte-Opportune, accourent avec la Chesnaye, commandant de la 6me légion. «Messieurs, sauvez le Roi!» leur dit Mme Elisabeth, les larmes aux yeux. Tous entourent Louis XVI et tirent leurs sabres. Mais, sur un mot d'Aclocque, qui fait observer que cette attitude menaçante pourrait exposer le prince qu'ils veulent défendre[1072], ils remettent le sabre au fourreau. Une simple porte sépare Louis XVI des envahisseurs; la foule rugit au dehors et ébranle la porte à coups de hache; déjà les deux panneaux du bas ont été brisés, lorsque Aclocque engage le Roi à la faire ouvrir plutôt que de la laisser enfoncer. «Je le veux bien,» répond le prince, «je ne crains rien au milieu des personnes qui m'entourent.» Un huissier ouvre la porte; les masses font irruption: «Citoyens,» dit Aclocque, «reconnaissez votre Roi; respectez-le; la loi vous l'ordonne. Nous périrons tous plutôt que de souffrir qu'il lui soit porté la moindre atteinte.» Ces paroles, prononcées d'une voix haute et ferme, amènent un léger temps d'arrêt dans l'invasion; les gardes nationaux en profitent pour entraîner le Roi dans l'embrasure d'une fenêtre, du côté de la cour; il monte sur une banquette; les grenadiers se placent devant lui. «Sire,» dit l'un d'eux, «n'ayez pas peur.»—«Mon ami,» répond l'intrépide monarque, en prenant la main du grenadier et en l'appuyant sur sa poitrine, «mon ami, mettez la main sur mon cœur et voyez s'il bat plus vite[1073].» Les vagues populaires montent toujours; la foule, un instant hésitante, se précipite en avant et remplit la salle avec des cris de haine et des menaces de mort: _A bas Monsieur Veto, Madame Veto et toute leur sequelle[1074]!_—_Au diable le Veto!_—_Le rappel des ministres patriotes!_—_Il faut qu'il signe; nous ne sortirons point qu'il ne l'ait fait._—Un misérable, un des premiers entrés, armé d'un long bâton, au bout duquel est une lame d'épée très pointue, cherche à foncer sur le Roi; on l'écarte à coups de baïonnettes. Un autre, brun et grêlé de petite vérole, vêtu d'une redingote verdâtre et d'un pantalon de toile, un sabre de la main gauche, un pistolet de la main droite, essaie de percer la foule: «Ousqu'il est, que je le tue?» hurle-t-il.—«Malheureux! le voilà, ton Roi,» lui dit un huissier de l'appartement, «oses-tu le regarder?» Le brigand recule, comme saisi d'une espèce de terreur. Il se fait un moment de silence. Le Roi veut en profiter pour parler; mais une «inondation» nouvelle survient «avec de si horribles cris, dit un rapport, que Dieu tonnant n'eût pas été entendu[1075]». Au premier rang des envahisseurs paraît un brigand du nom de Soudin, soi-disant vainqueur de la Bastille, dont le principal exploit est d'avoir jadis lavé et porté au bout d'une pique les têtes sanglantes de Foulon et de Berthier. Plus loin, gesticule un individu, vêtu d'un habit vert, qui, suivant le mot énergique d'un témoin, passe pour avoir été un _coupe-tête_ en 1789. Toute cette tourbe remplit l'Œil-de-Bœuf, criant, vociférant, ajoutant la menace à l'insulte, brisant les meubles, cassant les glaces, arrachant les serrures, volant les objets précieux, se conduisant, en un mot, dit le rapport du Directoire, «comme s'il s'agissait de faire le siège et le pillage des Tuileries.» «Que voulez-vous? demande tranquillement Louis XVI. Je suis votre Roi; je ne me suis pas écarté de la Constitution.» Sa voix se perd dans le tumulte. Le boucher Legendre s'approche de l'embrasure. «Monsieur...» dit-il. A cette appellation inattendue, Louis XVI fait un mouvement. «Oui, Monsieur, reprend Legendre, écoutez-nous; vous êtes fait pour nous écouter... Vous êtes un perfide; vous nous avez toujours trompés; vous nous trompez encore. Mais prenez garde à vous! La mesure est à son comble; le peuple est las d'être votre jouet.» Et il lit une prétendue pétition, qui, dit Rœderer, «n'était qu'un tissu de reproches, d'injures et de menaces.» «Je ferai ce que la Constitution et les décrets m'ordonnent de faire,» répond simplement le Roi. _A bas le Veto!_ _Le rappel des ministres!_ riposte la foule. Et dans ce ramassis de sans-culottes et de mégères, qui remplit l'Œil-de-Bœuf, les outrages redoublent. Quelques misérables, armés de sabres, cherchent à rompre la ligne de gardes nationaux, pour atteindre le Roi; les grenadiers les repoussent. Louis XVI reste impassible; ni les vociférations, ni les violences ne peuvent altérer son incomparable sérénité. «Dans une circonstance aussi terrible, a dit un témoin non suspect, Louis se conduisit avec une fermeté extrême et une prudence vraiment royale, unies à un calme et à une bonté extraordinaires[1076].» Cependant un individu, qui porte au bout d'un bâton un bonnet rouge, s'approche du Roi et incline vers lui son bâton. Le municipal Mouchet comprend le signe; il prend le bonnet et le donne à Louis XVI qui le pose sur sa tête. La foule applaudit. _Vive la nation! Vive la liberté!_ s'écrie-t-elle. Quelques acclamations de _Vive le Roi!_ se font entendre; mais elles ne rencontrent pas d'écho. Et le brave grenadier Bidaut entend quelques misérables murmurer à mi-voix: «Il a f..... bien fait de le mettre; car nous aurions vu ce qui serait arrivé...., et f....., s'il ne sanctionne pas les décrets, nous reviendrons tous les jours.» Au milieu du rassemblement, une femme porte une épée entourée de fleurs et surmontée d'une cocarde. Le Roi l'aperçoit; il fait un signe. Mouchet, qu'on retrouve toujours partout, prend l'épée et la tend au prince qui la brandit et fait attacher la cocarde à son bonnet. _Vive la nation!_ crie la foule; et le Roi reprend avec elle: _Vive la nation!_ Mouchet lui propose alors de sortir sur la terrasse. Louis XVI refuse. «Je suis bien ici,» dit-il. La chaleur cependant est étouffante. Un garde national, auquel on a fait passer une bouteille de vin et un verre, offre à boire au Roi. «Sire,» dit-il avec une familiarité naïve, «vous devez avoir bien soif; car moi, je meurs..... Si j'osais vous offrir..... Ne craignez rien; je suis un honnête homme, et pour que vous buviez sans crainte, je boirai le premier, si vous le permettez.»—«Oui, mon ami, je boirai dans votre verre,» répond le prince, et élevant le verre: «Peuple de Paris,» dit-il, «je bois à ta santé et à celle de la nation française.» Dans l'embrasure d'une autre fenêtre se tenait Mme Elisabeth. On l'aperçoit: «Ah! crie-t-on, voilà l'Autrichienne! Il nous faut la tête de l'Autrichienne!»—«Ce n'est pas la Reine,» dit l'écuyer de la princesse, M. de Saint-Pardoux.—«Pourquoi les détromper?» reprend vivement la généreuse femme. «Leur erreur pouvait sauver la Reine.» Et apercevant près d'elle, dans cette horde qui l'entoure, menaçante, un jeune homme dont la baïonnette effleure presque sa poitrine, elle écarte doucement l'arme de la main: «Prenez garde, Monsieur,» dit-elle avec un angélique sourire, «vous pourriez blesser quelqu'un, et je suis sûre que vous en seriez fâché.» Cependant, quelques députés, instruits de l'envahissement du Château, y sont accourus de leur propre mouvement. Vergniaud et Isnard haranguent la foule et cherchent à la rappeler au respect de l'autorité; ils ne parviennent pas à se faire écouter. _A bas le Veto!_ _La sanction!_ _Le rappel!_ sont les seules réponses qu'obtiennent leurs exhortations. Enfin, le maire de Paris, Pétion, arrive. Après la séance du conseil où avait été adopté l'arrêté qui légitimait l'insurrection, il s'était retiré avec quelques intimes dans une salle de la maison commune. Il était là, _plein de calme et de sérénité_, dit-il, car les nouvelles qu'il recevait étaient _excellentes_, et le spectacle était beau, tout à la joie et à la gaîté. Vainement le Directoire avait-il, à plusieurs reprises, fait appel à sa vigilance; il ne s'était pas ému. Vers quatre heures et demie pourtant, il avait donné l'ordre d'atteler sa voiture, et, faisant à son devoir le sacrifice de son dîner,—il a pris soin de le remarquer dans son rapport,—il s'était rendu aux Tuileries. Il y arrive vers cinq ou six heures[1077]. Accompagné de Sergent, il traverse la foule qui le salue des cris de _Vive Pétion!_ et s'approche du Roi, qu'il voit avec admiration, dit-il, «couronné du signe de la liberté.» C'est par cette expression qu'il désigne le bonnet rouge. «Sire,» dit-il, «je viens d'apprendre à l'instant la situation dans laquelle vous êtes.»—«Cela est bien étonnant,» riposte sèchement le Roi; «il y a deux heures que cela dure.» Deux grenadiers hissent le maire sur leurs épaules. Il parle au peuple et lui prêche le respect de la loi. Mais il le fait si froidement, suivant le municipal Champion, que les cris redoublent. Un grand jeune homme blond de vingt ou vingt-cinq ans perce là foule et, interpellant le Roi avec des gestes menaçants: «Sire,» dit-il, «je vous demande, au nom des cent mille hommes qui m'entourent, le rappel des ministres patriotes, la sanction des décrets, leur exécution,...... ou vous périrez...» Pétion, qui est là, n'essaie pas un seul instant d'imposer silence à ce forcené. Champion s'indigne de cette lâcheté ou de cette connivence: «Monsieur le maire, dit-il, vous êtes responsable de ce qui peut advenir.» Pétion se décide à haranguer une seconde fois la foule. En face de cette violation de toutes les lois, de ces bandes de brigands qui traitent les Tuileries comme une ville prise d'assaut, de ces outrages persistants à la majesté du Chef de l'État, il parle de la dignité du peuple: «Citoyens, dit-il, vous venez de présenter légalement votre vœu au représentant héréditaire de la nation; vous l'avez fait avec la _dignité_, avec la _majesté_ d'un peuple libre. Retournez chacun dans vos foyers et ne donnez pas occasion d'incriminer vos _intentions respectables_.» Intentions respectables! Et quelques années plus tard, Legendre avouait à Boissy d'Anglas qu'un des buts secrets des chefs du mouvement avait été l'assassinat du Roi! «Les portes de la galerie sont-elles ouvertes?» demande Sergent.—«Oui,» répond le Roi. «J'ai fait ouvrir les appartements; le peuple, en défilant du côté de la galerie, aura le plaisir de les voir.» A ces mots, un mouvement se fait; la curiosité pour les uns, la lassitude pour les autres, déterminent enfin les émeutiers à sortir. Sergent, son écharpe à la main, cherche à régulariser le mouvement, et le défilé commence au bruit des cris, mille fois répétés, de _Vive Pétion!_ _A bas le Veto!_ On voit reparaître, au milieu des bandes en marche, le misérable qui porte au bout d'une pique un cœur de veau sanglant avec ces mots: _Cœur d'aristocrate!_ «Cet homme, rapporte un témoin, affectait de mettre cet horrible emblème sans les yeux du Roi.» L'Œil-de-Bœuf était à demi évacué. Aclocque en profite pour proposer à Louis XVI de se retirer. Ce que le monarque n'a pas accepté de Mouchet, qui est suspect, il l'accepte du fidèle Aclocque; entouré de municipaux et de gardes nationaux qui lui fraient un passage, il se dirige vers une porte dérobée par laquelle il s'échappe, et la foule, privée de sa victime, s'écoule en grondant à travers les appartements. En passant dans la chambre royale: «_Est-ce là_, hurle-t-elle, _le lit du Gros Veto? Ah! il a un plus beau lit que nous, le Gros Veto! Où est-il donc, M. Veto?_» C'est au milieu de ces plaisanteries grossières et de ces sarcasmes que le défilé continue. Tandis que ces tristes scènes se passent à l'Œil-de-Bœuf, une autre bande, conduite par un homme qui devait avoir une connaissance approfondie du palais,—car il l'avait fait passer par une porte dont les gens du service intérieur savaient seuls l'existence,—était montée à la chambre du Dauphin, où l'on espérait trouver Marie-Antoinette[1078]. La Reine venait de la quitter; les bandits, désappointés, brisent les portes à coups de hache, sondent les lits et les armoires, fouillent partout. De hideuses mégères vomissent d'ignobles injures contre la malheureuse princesse, en jurant qu'elles veulent la tenir entre leurs mains, morte ou vive. Un brigand, la hache au poing, l'outrage à la bouche, s'écrie qu'il a enfoncé déjà bien des portes, mais qu'il en enfoncera bien d'autres, pour avoir l'Autrichienne! La Reine avait fait de vains efforts pour accompagner le Roi; quand il avait passé dans la salle de l'Œil-de-Bœuf, elle s'était précipitée pour l'accompagner. On lui avait vivement fermé le passage. Se retournant alors vers ses enfants:—«Sauvez mon fils,» avait-elle dit. Le Dauphin, effrayé en entendant tout ce bruit, poussait des cris lamentables[1079]. Hue le saisit et l'emporte dans l'appartement de Madame Royale, plus éloigné du tumulte. La Reine, le sachant en sûreté, s'élance de nouveau pour retrouver son mari; on la retient. «Laissez-moi, dit-elle, ma place est auprès du Roi; je veux aller mourir à ses pieds[1080].» Des serviteurs fidèles, MM. d'Aubier et de Rougeville, l'arrêtent avec une respectueuse fermeté, et le ministre des affaires étrangères, Chambonnas, lui représente que, loin de sauver le Roi, elle l'exposerait peut-être davantage, que sa place est près de ses enfants. Persuadée par ces raisons, elle se laisse conduire, non sans regret, dans la chambre du Dauphin, où son fils lui est ramené. Mais bientôt l'émeute gronde à la porte; on entraîne la Reine par un passage secret dans la chambre du Roi[1081], puis dans la chambre du Conseil. Elle est là, dans cette dernière pièce, assise[1082], pâle, les jambes agitées par un tremblement involontaire que dissimule la table[1083], entourée de ses enfants, et de Mmes de Lamballe, de la Roche-Aymon, de Tourzel, de Maillé, de Mackau, du ministre Chambonnas, du lieutenant général Wittinghof, et de quelques grenadiers, lorsque commence le défilé à travers les appartements. En entendant le tumulte grandir et les vagues populaires approcher, on entraîne à la hâte Marie-Antoinette dans l'embrasure d'une croisée; on roule devant elle la table du Conseil, et deux cents gardes nationaux environ[1084] se placent sur trois rangs devant cette barricade improvisée, sous le commandement de Mandat. Bientôt l'émeute envahit la salle. Santerre entre le premier et, interpellant les grenadiers: «Faites place, dit-il, pour que le peuple voie la Reine.» Puis se tournant vers Marie-Antoinette: «Madame, reprend-il, vous êtes trompée; le peuple ne vous veut pas de mal. Si vous vouliez, il n'y aurait pas un d'eux qui ne vous aimât autant que cet enfant,» ajoute-t-il, en désignant le Dauphin. «Au reste, n'ayez pas peur, on ne vous fera pas de mal.»—«Je ne suis ni égarée, ni trompée[1085], répond la Reine, et je n'ai pas peur; on ne craint jamais rien, lorsqu'on est avec de braves gens.» Et elle tend la main aux gardes nationaux, qui la saisissent avec transport et la baisent respectueusement. Le hideux défilé commence. Un misérable porte un paquet de verges avec cette inscription: _Pour Marie-Antoinette_; un autre élève une petite potence à laquelle est suspendue une poupée[1086] avec ces mots: _Marie-Antoinette à la lanterne_; un troisième promène une guillotine au bas de laquelle on lit cette phrase sinistrement prophétique: _Justice nationale pour les tyrans. A bas Veto et sa femme!_ Santerre se tient près de Mandat, dirigeant le mouvement et faisant à sa bande, si je puis ainsi parler, l'_exhibition_ de la famille royale: «Regardez, dit-il, voilà la Reine; voilà le Prince royal.» Le pauvre petit Dauphin est là, assis sur la table; un brigand apostrophe Marie-Antoinette: «Si tu aimes la nation,»dit-il d'une voix rauque, «mets ce bonnet sur la tête de ton fils.» Et il lui tend un bonnet rouge. La Reine prend le bonnet et le pose sur la tête du Dauphin. La chaleur est affreuse. Le petit prince étouffe sous cette immonde et épaisse coiffure. Santerre lui-même est ému de pitié: «Otez le bonnet à cet enfant, dit-il, il a trop chaud.» Malgré son calme, la Reine se retourne vers ses amis: «C'est trop fort aussi, murmure-t-elle; cela va au delà de toute patience humaine[1087].» Le mouvement se ralentit un instant; une femme, l'œil en feu, le poing fermé, s'arrête devant Marie-Antoinette: «Tu es une infâme,» vocifère-t-elle, «nous te pendrons.»—«Vous ai-je jamais fait aucun mal?» répond douloureusement la Reine.—«Non, mais tu fais le malheur de la nation.»—«On vous trompe; j'ai épousé le Roi de France; je suis la mère du Dauphin, je suis Française; jamais je ne reverrai mon pays; je ne puis être heureuse ou malheureuse qu'en France; j'étais heureuse, quand vous m'aimiez.» Malgré elle, la femme est touchée de cette douleur et de cette tristesse; elle s'attendrit: «Pardonnez-moi,» murmure t-elle; «je ne vous connaissais pas; je vois que vous êtes bonne.»—«Cette femme est soûle,» dit Santerre, dont cette émotion dérange les plans; et la poussant rudement, il fait continuer le défilé. «Si un de ces scélérats avait osé frapper la Reine dans ce moment, ont raconté des témoins de ces horribles scènes, tous eussent suivi son exemple, et tout ce qui était dans la chambre eût été massacré. Heureusement la majesté de la Reine, peut-être sa beauté, son maintien si noble et si fier, son air d'assurance leur imposa à tous[1088].» A huit heures et demie, les appartements étaient enfin évacués, et la Reine, rassurée par Mme Élisabeth sur le sort de son époux, put aller rejoindre le Roi. Dès qu'elle l'aperçut, elle se jeta dans ses bras en fondant en larmes. Impassible et debout devant l'émeute, elle succombait à l'émotion du revoir. Les députés, présents à cette entrevue, se sentaient eux-mêmes attendris, et l'un d'eux, Merlin de Thionville, ne pouvait s'empêcher de pleurer. La Reine s'en aperçut: «Vous pleurez, Monsieur Merlin, lui dit-elle, vous pleurez de voir le Roi et sa famille traités si cruellement par un peuple qu'il a toujours voulu rendre heureux.»—«Oui, je pleure,» répondit brutalement Merlin; «je pleure sur le malheur d'une femme belle, sensible et mère de famille; mais ne vous y méprenez point; il n'y a pas une de mes larmes pour le Roi ni pour la Reine. Je hais les rois et les reines; c'est le seul sentiment qu'ils m'inspirent; c'est ma religion[1089].» Et le futur régicide, qui se croyait un grand citoyen parce qu'il venait de se montrer grossier, essuya ses larmes. Un autre député, dont le nom n'a pas été conservé, aborda la Reine et, d'un ton familier: «Vous avez eu bien peur,» Madame, lui dit-il, «convenez-en.»—«Non, Monsieur, je n'ai pas eu peur; mais j'ai beaucoup souffert d'être séparée du Roi, dans un moment où ses jours étaient en danger; mais j'avais la consolation d'être avec mes enfants et de remplir un de mes devoirs.»—«Sans prétendre excuser tout,» reprit le député, «convenez, Madame, que le peuple s'est montré bien bon.»—«Le Roi et moi, Monsieur, sommes persuadés de la bonté naturelle du peuple, qui n'est méchant que lorsqu'on l'égare.»—«Quel âge a Mademoiselle?» continua le sot personnage en montrant Madame Royale.—«Ma fille, riposta sèchement la Reine, a l'âge où l'on ne sent que trop l'horreur de pareilles scènes[1090].» Et elle se contenta de tourner le dos. Plus respectueux et mieux inspirés, d'autres représentants félicitaient Louis XVI du courage qu'il avait déployé dans cette journée: «Je n'ai fait que mon devoir,» répondit simplement le Roi. Le marquis de Clermont-Gallerande disait à Mme Élisabeth: «Ah! Madame, le ciel vengera tant de crimes!»—«Ne parlons pas de vengeance,» répondit l'angélique princesse. «Espérons plutôt que Dieu leur pardonnera et les changera[1091].» Cependant Pétion, d'une part, les chefs de la garde nationale, de l'autre, achevaient de faire évacuer le Château. Les émeutiers, privés de direction, se dispersaient sans résistance, mais en se plaignant hautement du résultat de la manifestation. «On nous a amenés pour rien, s'écriaient-ils, mais nous reviendrons et nous aurons ce que nous voudrons.»—«Le coup est manqué, disait de son côté Santerre; le Roi a été difficile à émouvoir aujourd'hui; nous reviendrons demain; nous le ferons évacuer[1092].» A dix heures et demie, tout était terminé; le Château était vide, et la famille royale, rentrant dans ses appartements dévastés[1093], allait enfin prendre un repos, acheté par de terribles angoisses. Quelques jours après, la Reine écrivait ce simple mot à Fersen: «J'existe encore, mais c'est un miracle! La journée du 20 a été affreuse[1094].» CHAPITRE XX Suites du 20 juin.—Entrevue du Roi avec Pétion.—Proclamation de Louis XVI.—Voyage de Lafayette à Paris.—Lettre de la Reine à Mercy.—Attaques des Girondins contre le Roi.—Pétion suspendu, puis rétabli.—Insultes à la famille royale dans le jardin des Tuileries et sur la terrasse des Feuillants.—Un assassin s'introduit aux Tuileries.—Arrivée des fédérés à Paris.—Le Roi se fait faire un plastron.—Tentatives pour arracher la famille royale aux dangers de Paris.—Le prince Georges de Hesse.—Mme de Staël.—Le duc de Liancourt.—Plan de Lafayette.—La Reine refuse tout.—Son antipathie contre Lafayette.—Pourquoi?—Surveillance incessante autour des Tuileries.—La Fédération du 14 juillet 1792.—Alertes continuelles: le 26 juillet.—Lettres de la Reine à Fersen.—Entrée des Marseillais.—Leur conflit avec les grenadiers des Filles-Saint-Thomas.—Dernière lettre de la Reine à Fersen.—Marche des armées coalisées.—Manifeste du duc de Brunswick.—Son effet déplorable.—Avances des Girondins à la Cour.—Les Jacobins redoublent d'efforts.—Pétion demande la déchéance du Roi.—Arrêté de la section Mauconseil.—Préparatifs du 10 août.—Illusions de la Cour.—Son impuissance.—Dernière messe de la famille royale aux Tuileries. Le lendemain de cette déplorable journée, le jeudi 21 juin, de nouveaux attroupements se formèrent; l'alarme se répandit au Château, et le petit Dauphin, se pressant contre sa mère, s'écria en pleurant: «Maman, est-ce que hier n'est pas encore fini[1095]?» Ce même jour, Pétion, le Pilate de la royauté, comme on l'a justement appelé, eut l'audace de reparaître aux Tuileries; il y trouva réunis le Roi et la Reine, avec le procureur du département, Rœderer, et quelques amis: «Sire, dit-il, nous avons appris que vous aviez été prévenu qu'un rassemblement se portait sur le Château. Nous venons vous informer que ce rassemblement est composé de citoyens sans armes qui veulent planter un mai. Je sais, Sire, que la municipalité a été calomniée; mais sa conduite sera connue de vous.» «Elle doit l'être de la France entière,» répondit sèchement le Roi; «je n'accuse personne en particulier; j'ai tout vu.» Pétion chercha à se justifier et à justifier l'émeute: «Sans les précautions prises par la municipalité,» reprit-il, «il serait peut-être arrivé des événements beaucoup plus fâcheux, non pas contre votre personne.» Et fixant la Reine qui était à côté de son mari: «Vous devez savoir, Sire, que votre personne sera toujours respectée.» Son air était provocant. Louis XVI perdit patience: «Taisez-vous,» dit-il d'un ton absolu et d'une voix forte. «Est-ce respecter ma personne, que d'entrer chez moi en armes, de briser mes portes et de forcer ma garde?» «Sire, répondit le maire, je connais l'étendue de mes devoirs et ma responsabilité.» «Faites votre devoir», riposta impérieusement le Roi. «Vous répondez de la tranquillité de Paris. Adieu.» Le surlendemain, 23, le monarque adressait aux Français une proclamation pleine de noblesse, où, après avoir dénoncé au pays les attentats dont il avait été l'objet et dont il avait failli être la victime, il ajoutait ces belles paroles: «Le Roi n'a opposé aux menaces et aux insultes des factieux que sa conscience et son amour du bien public. Le Roi ignore quel sera le terme auquel ils voudront s'arrêter; mais il a besoin de dire à la nation française que la violence, à quelque accès qu'on veuille la porter, ne lui arrachera jamais son consentement à tout ce qu'il croira contraire à l'intérêt public..... Comme représentant héréditaire de la nation française, il a des devoirs sévères à remplir, et s'il peut faire le sacrifice de son repos, il ne fera jamais le sacrifice de ses devoirs.» Un grand mouvement répondit à ce noble langage. «Je ne puis vous dire combien Louis a gagné dans le respect et l'affection de tous, depuis le 20 de ce mois,» écrivait le 24 juin un témoin peu suspect[1096]. L'audace des factieux, le danger couru par la famille royale, l'héroïsme de son attitude, un dernier reste peut-être de cet amour traditionnel que la France avait si longtemps porté au sang de ses rois, amenèrent une réaction de l'opinion. Des adresses indignées arrivèrent de soixante-dix départements[1097]. Vingt mille signataires, tant de Paris que de la province, protestèrent contre ce «crime de lèse-nation[1098]» et réclamèrent énergiquement la répression de l'émeute. Le Directoire du département de la Seine, justement indigné de la conduite de Pétion et du procureur de la Commune, Manuel, leur demanda un compte sévère de l'emploi de leur temps, et les juges de paix de la capitale ouvrirent une enquête. Dès le 28, Lafayette était arrivé à Paris et, au nom de l'armée, avait exigé de l'Assemblée la punition des émeutiers, la suppression du club des Jacobins et l'adoption de mesures vigoureuses pour la défense de l'autorité et du Roi en particulier. La droite l'accueillit par des applaudissements; la gauche par un morne silence et bientôt par des murmures. Au sortir de la séance, la garde nationale l'acclama, et il put croire un moment qu'il avait retrouvé son ancienne popularité. S'il eut cette illusion, elle dura peu. Lorsqu'il fallut passer des paroles aux actes, lorsque le général voulut profiter de la terreur causée par sa brusque arrivée pour dissoudre le club des Jacobins, il ne rencontra partout que froideur et inertie, et il dut renoncer à toute intervention énergique. Le 30, il repartit pour son camp sans avoir osé prendre l'initiative d'aucune mesure et sans avoir laissé d'autre trace d'une démarche qui l'honore qu'une lettre hautaine qui irrita les passions, sans relever les courages[1099]. Le lendemain, 1er juillet, après une discussion orageuse et une longue séance de nuit, l'Assemblée décida le licenciement immédiat de l'état-major de la garde nationale; c'était la réponse de la Gironde à l'impérieuse sommation de Lafayette. Le 4 juillet, la Reine écrivait à M. de Mercy la lettre suivante, la dernière qui lui soit parvenue: «Vous connaissez déjà les événements du 20 juin; notre position devient tous les jours plus critique. Il n'y a que violence et rage d'un côté, faiblesse et inertie de l'autre. L'on ne peut compter sur la garde nationale ni sur l'armée; on ne sait s'il faut rester à Paris ou se jeter ailleurs. «Il est plus que temps que les Puissances parlent fortement. Le 14 juillet et jours suivants peuvent être l'époque d'un deuil général pour la France et de regrets pour les Puissances qui auront été trop lentes pour s'expliquer. «Tout est perdu, si l'on n'arrête pas les factieux par la crainte d'une punition prochaine. Ils veulent à tout prix la république; pour y arriver, ils ont résolu d'assassiner le Roi. Il serait nécessaire qu'un manifeste rendît l'Assemblée nationale et Paris responsables de ses jours et de ceux de sa famille. «Malgré tous ces dangers, nous ne changerons pas de résolution; vous devez y compter, autant que je compte sur votre attachement. Je me plais à croire que je partage les sentiments qui vous attachaient à ma mère. Voilà le moment de m'en donner une grande preuve, en sauvant moi et les miens, moi, s'il en est temps[1100].» La Reine n'avait que trop raison; la situation devenait de jour en jour plus épouvantable: les attaques de l'Assemblée se joignaient aux insultes de la rue et aux vociférations des clubs. Le jour même où Marie-Antoinette écrivait cette lettre, Vergniaud s'élevait violemment contre les prétendues trahisons de la Cour, et dans un mouvement d'une fougueuse éloquence demandait si le sombre génie de Médicis errait toujours sous les voûtes du Palais et si l'on allait voir se renouveler la Saint-Barthélemy et les dragonnades. Quelques jours après, Brissot, non moins violent, s'écriait que frapper la Cour des Tuileries, c'était frapper tous les traîtres d'un seul coup. Marat tonnait contre le palais où «une reine perverse» fanatise « un roi imbécile» et «élève les louveteaux de la tyrannie[1101]». Et comme pour donner raison à ces déclamations, et encourager l'émeute, Pétion, le complice du 20 juin, suspendu le 6 juillet par le Directoire, était rétabli le 13 dans ses fonctions. Aux appels à la violence et à l'assassinat, les violences de la populace répondaient. Des écrits incendiaires étaient répandus à profusion dans la capitale, dans les provinces, dans l'armée. Sur les places de Paris, dans les rues, dans tous les lieux publics, on prêchait hautement l'insurrection. Aux discours se mêlaient les chansons; aux journaux, les pamphlets et les caricatures immondes contre le Roi et la Reine. Le jardin des Tuileries, un moment fermé après le 20 juin, puis rouvert, était sans cesse rempli de femmes qui insultaient tout ce qui tenait à la Cour; on y criait jusque sous les fenêtres un infâme libelle intitulé: _Vie de Marie-Antoinette_, accompagné d'estampes dégoûtantes que les colporteurs montraient au milieu d'éclats de rire outrageants[1101a]. On y chantait aux oreilles de la Reine cet odieux couplet: Madame Veto avait promis De faire égorger tout Paris. Les gardiens avaient voulu imposer silence aux chanteurs; une rixe s'en était suivie, et une des personnes qui accompagnaient la Reine ayant frappé ces misérables à coups de plat de sabre, ils étaient allés se plaindre à l'Assemblée, et l'Assemblée leur avait accordé les honneurs de la séance. Une autre fois, la foule tenta de briser les fenêtres à coups de pierres; on dut fermer de nouveau le jardin, qui ne fut rouvert qu'à la fin de juillet[1102]. Le 21 juillet, un décret avait décidé que la terrasse des Feuillants serait regardée comme une annexe de la salle des délibérations et, à ce titre, resterait ouverte au public. Aussitôt on la sépara du reste du parc par un ruban tricolore, et sur les arbres dont elle était bordée on traça cette inscription: «Citoyens, respectez-vous; donnez à cette faible barrière la force des baïonnettes.» La terrasse des Feuillants fut baptisée: _Terre de la Liberté_; le jardin des Tuileries, c'était la _Terre de Coblentz_. Quiconque osait franchir cette démarcation était hué et traité d'aristocrate. Un jour, un jeune homme, sans faire attention à la consigne, était descendu dans le jardin; des vociférations l'assaillirent; on cria _à la lanterne!_ Immédiatement, le jeune homme ôta ses souliers et essuya avec son mouchoir le sable qui s'était attaché aux semelles. On applaudit et on le porta en triomphe[1103]. Malgré la clôture du jardin, où on ne laissait pénétrer que les personnes munies de cartes[1104], la Reine et ses enfants, dès qu'ils y paraissaient, étaient assaillis par des vociférations tellement épouvantables, partant de la terrasse, qu'ils étaient obligés de rentrer; à partir de la fin de juillet même, ils durent renoncer à s'y promener[1105]. Cependant, lorsque l'enquête sur le 20 juin avait été ordonnée, Marie-Antoinette, apprenant que Hue y serait entendu, l'avait fait venir et lui avait dit: «Mettez dans votre déposition toute la réserve que permet la vérité..... Il faut écarter tout soupçon que le Roi ou moi gardions le moindre ressentiment de ce qui s'est passé. Ce n'est pas le peuple qui est coupable, et, quand il le serait, il trouverait toujours auprès de nous le pardon et l'oubli de ses erreurs[1106].» Et le Roi, au dire de l'ambassadeur des États-Unis, ne songeait encore, au milieu de cette crise, qu'à assurer à la France la liberté[1107] et un bonheur stable. C'est ainsi que le peuple les en récompensait[1108]. Une nuit, vers une heure du matin, la Reine ne dormait pas,—elle s'entretenait avec Mme Campan;—toutes deux entendirent des pas étouffés dans le corridor qui régnait le long de l'appartement. C'était un garçon de salle qui s'était introduit là dans une intention trop facile à deviner. Un valet de chambre, averti par Mme Campan, se jeta sur cet homme et le terrassa. «Madame, dit-il, c'est un scélérat; je le connais, je le tiens.»—«Lâchez-le, répondit la Reine, il venait pour m'assassiner; demain, les Jacobins le porteraient en triomphe.» Et se tournant vers Mme Campan: «Quelle position! dit-elle, des outrages le jour, des assassins la nuit[1109]!» Le lendemain, M. de Septeuil ordonna de changer toutes les serrures. Louis XVI fit plus; il exigea que sa femme quittât le rez-de-chaussée, où elle logeait seule, et où elle était insultée à chaque instant[1110], et montât au premier, dans une chambre de l'appartement du Dauphin. Mme de Tourzel, qui occupait cette chambre, céda sa place à la Reine et s'installa sur un lit de veille qu'on dressait tous les soirs[1111]. On laissait les persiennes et les volets ouverts, afin que l'infortunée souveraine vît poindre le jour, et que ses nuits sans sommeil fussent moins pénibles[1112]. La Reine eut une peine extrême à se décider à ce changement de logement. Il lui répugnait de laisser paraître de l'inquiétude; il ne lui répugnait pas moins de déranger de fidèles serviteurs. Le malheur avait resserré les liens qui l'unissaient à eux et la rendait plus soucieuse encore de leur bien-être: «Cette princesse était si bonne et si occupée de tous ceux qui lui étaient attachés, dit Mme de Tourzel en racontant ce fait, qu'elle comptait pour beaucoup de leur causer la moindre petite gêne. Jamais princesse ne fut plus attachante, ne marqua plus de sensibilité pour le dévouement qu'on lui témoignait, et ne fut plus occupée de ce qui pouvait être agréable aux personnes qui l'approchaient. Croirait-on qu'une Reine de France en était réduite à avoir un petit chien dans sa chambre, pour l'avertir au moindre bruit que l'on ferait entendre dans son appartement[1113]?» Mais le Dauphin, qui aimait passionnément sa mère, était ravi de ce nouvel arrangement. Dès que la Reine était éveillée, il courait à son lit, «la serrait dans ses petits bras, en lui disant les choses les plus tendres et les plus aimables. C'était le seul moment de la journée où cette princesse éprouvât quelque consolation; son seul courage la soutenait[1114].» Au milieu de toutes ces alertes et de toutes ces angoisses, de ces nuits sans sommeil et de ces jours sans repos, de ces fatigues physiques et de ces souffrances morales, la santé de la Reine se soutenait; mieux encore, elle s'était affermie. Dans les temps prospères, elle avait été sujette à des crises nerveuses; à l'heure de la douleur, ces crises avaient disparu. «Les maux de nerfs,» disait-elle avec un mélancolique sourire, «c'était bon pour les femmes heureuses[1115].» Le 14 juillet approchait; l'Assemblée avait décidé qu'on renouvellerait, ce jour-là, la fête de la Fédération de 1790; c'était un moyen détourné de former le rassemblement de vingt mille hommes auquel le Roi s'était opposé. Les fédérés arrivaient de tous côtés; ils avaient été soigneusement choisis parmi les révolutionnaires les plus exaltés et les plus fanatiques. Ceux de Marseille et de Brest se distinguaient par leur violence et leur audace. Accueillis avec transport par les Jacobins, logés gratuitement par la municipalité, défrayés de toutes leurs dépenses sur le trésor public, grisés de vin et de déclamations, fournis de poudre et de cartouches, ces hommes constituaient une force armée toute prête aux mains des factieux. Les plus honnêtes d'entre eux partirent pour le camp de Soissons, où se formait l'armée de réserve, chargée d'appuyer celle de Lafayette et de Luckner; mais ils étaient rares: quinze cents environ[1116], et, malgré le décret de l'Assemblée qui, le 11 juillet, avait déclaré la patrie en danger, les autres restaient à Paris, pour donner le dernier assaut à la monarchie, insultant la famille royale, maltraitant ses amis et se prenant de querelle avec les gardes nationaux des compagnies fidèles. «Il n'est pas de jour, écrivait Montmorin à la Marck, où je ne tremble pour la vie du Roi et de la Reine, et lorsque le soir est arrivé, je remercie la Providence de ce qu'ils existent encore, et, à la vérité, il n'y a qu'elle seule à en remercier[1117].» C'était avec une véritable terreur qu'on voyait arriver cette date du 14 juillet. Louis XVI et Marie-Antoinette devaient assister à la Fédération, et l'on ne doutait pas que le plan qui avait échoué le 20 juin ne fût repris ce jour-là, et que, dans cette foule tumultueuse et hostile, il ne se trouvât des assassins[1118]. On prêchait publiquement le régicide, et il n'y avait guère de jour que quelque officieux ne vînt avertir la Reine de se tenir sur ses gardes[1119]. La pauvre femme n'avait pas un instant de tranquillité. Pour se rassurer un peu, elle insista pour que le Roi se fit faire un plastron qui, en parant les premiers coups, donnât au moins à ses amis le temps d'arriver pour le défendre. Le plastron fut fait, et le prince, afin de calmer les craintes de sa femme, consentit à le porter. «C'est pour la satisfaire, dit-il; mais ils ne m'assassineront pas; leur plan est changé; ils me feront mourir autrement.»—«C'est vrai», reprit la Reine quand Mme Campan lui rapporta ces paroles de Louis XVI; «je commence à redouter un procès pour le Roi. Quant à moi, je suis étrangère; ils m'assassineront. Que deviendront nos pauvres enfants?» Et elle se mit à répandre un torrent de larmes. Mais ce fut en vain que Mme Campan la pressa de porter un corset de même tissu que le gilet du Roi. «Si les factieux m'assassinent,» répondit la pauvre femme, «ce sera un bonheur pour moi; ils me délivreront de l'existence la plus douloureuse[1120].» Depuis longtemps déjà, résignée à mourir, mais ne voulant pas entraîner dans sa perte ceux qui lui demeuraient attachés, elle ne se couchait jamais sans avoir brûlé tous les papiers capables de compromettre ses amis[1121]. Dans cette situation si critique et presque désespérée, les offres de services affluaient; il semblait que le péril multipliât les dévouements. La préoccupation constante de tous ces fidèles de la dernière heure était d'arracher la famille royale à cette prison de Paris, qui était pour elle l'émeute et le danger de mort en permanence. Épouvantée des horreurs du 20 juin, une des amies d'enfance de la Reine, la landgrave Louise de Hesse-Darmstadt, avait envoyé son frère, le prince Georges de Hesse, en France, tout exprès pour tâcher de la sauver. Quel était le plan du prince? Quels étaient ses moyens? Nous l'ignorons; mais il est probable que ce plan ne visait qu'à sauver la Reine seule. L'amie n'avait songé qu'à son amie, elle avait compté sans l'épouse et sans la mère. Malgré toutes les instances, Marie-Antoinette refusa; mais quand le prince Georges repartit, elle lui donna pour la landgrave la lettre suivante, toute pleine d'affectueuse reconnaissance et de douloureuse résignation: «Votre amitié, vos soins, Madame, m'ont touchée jusqu'au fond de l'âme. La personne qui repart pourra vous dire les raisons qui l'ont retenue si longtemps; il vous dira aussi que, même à présent, je n'ose pas le voir chez moi; il m'aurait pourtant été bien doux de parler avec lui de vous, à qui je suis tendrement attachée. Non, ma Princesse, en sentant tout le prix de vos offres, je ne puis les accepter. Je suis vouée pour la vie à mes devoirs et aux personnes chères dont je partage les malheurs, et qui, quoi qu'on en dise, méritent tout intérêt par le courage avec lequel elles soutiennent leur position. Le porteur de cette lettre pourra vous donner des détails sur ce moment-ci et sur l'esprit du lieu que nous habitons. On dit qu'il a beaucoup vu et voit juste. Puisse un jour tout ce que nous faisons et souffrons rendre heureux nos enfants! c'est le seul vœu que je me permette. Adieu, ma Princesse. Ils m'ont tout ôté, hors mon cœur qui me restera toujours pour vous aimer. N'en doutez jamais; c'est le seul malheur que je ne pourrais supporter[1122].» Et s'ouvrant de ce projet à la confidente de ses jours de tristesse, Mme de Tourzel, la Reine lui disait: «Mon parti est pris; je regarderais comme la plus insigne lâcheté d'abandonner dans le danger le Roi et mes enfants. Que serait d'ailleurs la vie pour moi sans des objets aussi chers et qui peuvent seuls m'attacher à une vie aussi malheureuse que la mienne? Convenez qu'à ma place vous prendriez le même parti[1123].» Le projet de Mme de Staël était plus vaste et plus complet que celui du prince de Hesse, car il embrassait toute la famille royale. Une terre, la terre de Lamotte, était à vendre, près de Dieppe. Mme de Staël proposait de l'acheter, d'y mener avec elle un homme sûr, ayant à peu près la taille et la figure du Roi, une femme de l'âge et de la tournure de la Reine, et son fils, qui était de l'âge du Dauphin. Au bout de deux ou trois voyages, ces personnes eussent cédé la place à la famille royale, et, grâce à la faveur que la fille de Necker rencontrait parmi les patriotes, dont elle avait partagé les opinions, mais dont, à cette heure, elle ne partageait plus les illusions, on eût pu sortir de Paris et gagner le château de Lamotte, où l'on eût été en sûreté. Malouet fut chargé de communiquer ce plan au Roi et à la Reine, il n'en reçut que cette réponse décourageante: «que les augustes prisonniers étaient très sensibles à ce que Mme de Staël voulait faire pour eux, mais qu'ils n'accepteraient jamais d'elle aucun service[1124].» Malouet ne se découragea pas cependant. Toujours en quête, avec Montmorin, Lally-Tolendal, Malesherbes, Bertrand de Moleville, des moyens de salut pour la famille royale, il s'était adressé au duc de Liancourt, qui, depuis 1790, commandait à Rouen, et le duc, qui avait quatre régiments sous ses ordres, avait promis de les porter à Pontoise, où les Suisses auraient pu conduire Louis XVI. De là, la famille royale eût gagné Rouen; un yacht, préparé par les soins d'un ordonnateur de la marine, M. de Mistral, l'eût reçue pour la transporter au Havre, et, à la dernière extrémité, en Angleterre. Malouet fit remettre à Louis XVI, par M. de la Porte, une lettre où il développait ce plan, en insistant vivement sur le danger qu'il y avait à rester à Paris. Le Roi lut la lettre sans rien dire et sans en rien communiquer à personne; mais il ne put dissimuler son extrême agitation, et quand la Reine lui en demanda la cause: «C'est, dit-il, une lettre de M. Malouet; mais il y a des exagérations dans ses inquiétudes, et peu de sûreté dans ses moyens..... Nous verrons; rien ne m'oblige encore à prendre un parti si hasardeux..... L'affaire de Varennes est une leçon.» La Reine ne dit rien, et M. de la Porte se retira; mais Montmorin, quand il connut cette réponse, ne put s'empêcher de s'écrier: «Il faut en prendre son parti; nous serons tous massacrés, et cela ne sera pas long[1125].» Le danger en effet devenait si imminent qu'il frappait les moins clairvoyants. Lafayette offrit encore une fois son concours, et, d'accord avec M. de Montciel, ministre de l'intérieur, Lally-Tolendal et l'ambassadeur des États-Unis, le sage et dévoué Gouverneur Morris, il ébaucha un nouveau plan. On eût profité de la fête de la Fédération. Lafayette et le vieux maréchal Luckner, complètement gagné à sa cause, avaient demandé à y assister, au nom de l'armée. Le 15, placés entre eux deux et escortés par cent cavaliers dévoués, le Roi et la famille royale sortiraient de Paris en plein jour; la garde nationale protégerait leur départ, et les Suisses, échelonnés entre la capitale et Compiègne, appuieraient leur marche. Une fois à Compiègne, où quinze escadrons et huit pièces de canon assureraient sa liberté, le Roi, délivré des empiétements de l'Assemblée et de la pression des clubs, se porterait médiateur entre les Puissances et la France, et reprendrait son pouvoir en révisant la Constitution. Si l'Assemblée et les Jacobins s'opposaient à sa sortie légale, les deux généraux se croiraient autorisés par cette mesure inconstitutionnelle à marcher sur Paris à la tête de leurs troupes[1126]. Le projet fut examiné au Conseil des ministres; il fut approuvé à l'unanimité[1127]. Louis XVI, malgré sa répugnance à quitter la capitale[1128], et à se mettre entre les mains des Constitutionnels, auxquels il attribuait la responsabilité de sa déplorable situation[1129], semblait disposé à se prêter à ce plan. Déjà les préparatifs étaient commencés: les Suisses avaient reçu des ordres[1130], lorsque, tout à coup, le prince déclara qu'il était décidé à ne pas partir, qu'il aimait mieux s'exposer à tous les dangers que de donner le signal de la guerre civile[1131]. C'étaient, assure-t-on, les conseils de la Reine, qui, au dernier moment, avaient ainsi modifié la résolution du Roi[1132]. Elle avait pour Lafayette une insurmontable antipathie, et elle disait à Mme Campan qu'il valait mieux périr que de devoir son salut à l'homme qui leur avait fait le plus de mal et de se mettre dans la nécessité de traiter avec lui[1133]. On a vivement reproché à Marie-Antoinette son opposition acharnée à ce projet. On l'a accusée d'avoir sacrifié la monarchie et l'existence même des siens à d'aveugles préventions. Sans doute, il eût été plus politique d'oublier les griefs du passé et de ne plus voir que le dévouement de l'heure présente; mais ce dévouement, la Reine ne croyait pas à son désintéressement et à sa sincérité. Lafayette était toujours à ses yeux l'homme qui avait porté à l'autorité royale les coups les plus sensibles, qui lui avait infligé à elle-même l'injure la plus sanglante, une de ces injures qu'une femme ne pardonne pas[1134]. Le grand orateur dont elle regrettait peut-être alors de n'avoir pas mieux suivi les avis, Mirabeau, l'avait toujours prévenue contre l'ambition brouillonne et la présomptueuse incapacité de celui qu'il appelait dédaigneusement _Gilles-César_, et à ce moment même, ses confidents les plus intimes, Mercy, Fersen, ne lui recommandaient-ils pas, dans leurs lettres, si la nécessité ou des circonstances favorables la déterminaient à quitter Paris, de ne jamais appeler Lafayette, mais de réclamer le concours de provinces fidèles, comme la Picardie[1135]? Ce plan, d'ailleurs, était-on aussi sûr de sa réussite qu'on le prétendait[1136]? La garde nationale s'y fût-elle prêtée? Un exemple tout récent permettait d'en douter. Dans la nuit du mercredi 11 au jeudi 12 juillet, le bruit s'était répandu, dans la garde de service au Château, que la Reine était partie. Le commandant ne put calmer ses hommes qu'en éveillant le Roi à deux heures du matin et en le priant de lui faire voir la Reine. Étaient-ce là des dispositions favorables, soit à une évasion, soit à un départ public? Montmorin, qui transmettait ces détails à son ami la Marck, en arrivait à ce douloureux dilemme: «Depuis que le Roi a licencié sa garde, je crois impossible qu'il sorte de Paris, et très dangereux qu'il y reste.» Et il concluait ainsi: «Le Roi, et surtout la Reine, se sont refusés absolument à toute proposition de sortir de Paris, et, quelque danger que je voie au séjour qu'ils y font, je crois qu'ils ont bien fait[1137].» Malgré ces sombres pronostics, la Fédération se passa tranquillement; mais les alarmes furent vives. Le Roi était, avec toute sa famille, à l'École militaire, attendant le cortège qui était allé poser la première pierre d'une colonne sur l'emplacement de la Bastille. Quand le cortège parut et défila sous le balcon où se tenait la famille royale, des cris formidables de _Vive Pétion!_ éclatèrent de toutes parts; quelques rares cris de _Vive le Roi!_ y répondirent. Louis XVI descendit et se rendit à pied, du pavillon de l'École militaire, à l'autel dressé à l'extrémité du Champ-de-Mars. Sa tête poudrée ressortait au milieu des cheveux noirs des députés et ses vêtements brodés d'or tranchaient sur le costume sombre des gens du peuple qui l'entouraient. «Quand il monta les degrés de l'autel, on crut voir la victime sainte s'offrant volontairement au sacrifice[1138].» La Reine ne l'avait pas perdu de vue pendant ce long et douloureux trajet, au milieu de ces hommes qui, dit un témoin oculaire, «avaient plus l'air d'être réunis pour une émeute que pour une fête[1139].» Un instant, elle l'avait vu disparaître dans la foule[1140]; elle avait poussé un cri; mais ce n'était qu'une fausse alerte; peu après, le Roi reprit sa place près de sa famille. «L'expression du visage de la Reine, dit Mme de Staël, ne s'effacera jamais de mon souvenir; ses yeux étaient abîmés de pleurs; la splendeur de sa toilette, la dignité de son maintien contrastaient avec le cortège dont elle était entourée; quelques gardes nationaux la séparaient seuls de la populace[1141].» Quand le Roi revint à l'École militaire, elle descendit à sa rencontre; le prince la serra dans ses bras avec une affectueuse émotion, et ses enfants l'embrassèrent en pleurant[1142]. La cérémonie terminée, la famille royale remonta en voiture et retourna aux Tuileries. Heureux de la voir vivante, après les inquiétudes qu'avait excitées cette journée, les grenadiers qui entouraient le carrosse ne cessaient de crier: _Vive le Roi! Vive la Reine!_ «Ils étaient tout cœur et tout âme, écrit Mme Élisabeth; cela faisait du bien[1143].» Mais qu'étaient ces cris isolés à côté des acclamations immenses qui avaient accueilli le maire de Paris, le vrai triomphateur du jour, ce fat et misérable Pétion, qui avait abandonné la royauté au 20 juin, qui devait la livrer au 10 août? L'agitation continuait dans Paris. Le bruit courait plus que jamais que l'Assemblée voulait enlever la famille royale, et l'emmener dans le Midi[1144]; pour faciliter l'exécution de ce projet et isoler le Roi de plus en plus, on faisait partir pour le camp de Soissons les trois régiments de ligne qui restaient dans la capitale et deux bataillons de Suisses[1145]. Au Château, on n'avait plus un instant de tranquillité. Les rumeurs les plus absurdes prenaient créance, dès qu'elles étaient hostiles à la famille royale, et donnaient lieu à des mouvements populaires. Le 20 juillet, les fédérés avaient passé la nuit en orgies sur la place de la Bastille; quelques meneurs vinrent leur raconter que la Cour avait fait assassiner les députés patriotes et conservait dix-huit mille fusils au Château. Aussitôt ils prennent les armes «pour exterminer les traîtres». A cinq heures du matin le rappel est battu; quatre mille gardes nationaux se portent aux Tuileries. Pour cette fois, du moins, le danger fut conjuré: Pétion lui-même calma l'effervescence. Mais cette journée néanmoins exerça une influence néfaste sur l'avenir; pendant que la famille royale était réunie avec les ministres dans le cabinet du Roi, attendant l'insurrection et délibérant sur la conduite à tenir, on avait décidé que si les factieux approchaient, le prince et sa famille, n'ayant pas de moyens de se défendre, se retireraient à l'Assemblée: résolution fatale qui ne fut que trop mise à exécution le 10 août[1146]. Quelques jours après, dans la nuit du 24 au 25 juillet, Mme Campan fut avertie que les faubourgs s'apprêtaient à marcher sur les Tuileries; on avait résolu, disait-on, d'enlever le Roi et de l'enfermer à Vincennes. Déjà le tocsin sonnait à Saint-Roch; Mme Campan courut à l'appartement de la Reine; brisée de fatigue, après tant d'insomnies, la malheureuse femme dormait. Le Roi, qui survint, ne voulut pas qu'on la réveillât; on venait d'apprendre d'ailleurs que le mouvement annoncé avait avorté; Pétion, ne se trouvant pas suffisamment prêt, s'y était opposé. Mais la Reine, quand elle s'éveilla, reprocha vivement à sa première femme de chambre d'avoir respecté son sommeil, et comme Mme Campan lui représentait qu'elle avait besoin de réparer ses forces abattues: «Elles ne le sont pas, dit-elle; le malheur en donne de grandes. Élisabeth était auprès du Roi, et je dormais, moi qui voudrais périr à ses côtés! Je suis sa femme et je ne veux pas qu'il courre le moindre péril sans moi[1147].» C'est à ce rôle passif qu'elle était réduite. Si elle n'avait écouté que son courage, elle ne se fût pas si facilement résignée; elle se fût souvenue du mot de Mirabeau, de ce que pouvaient une femme et un enfant à cheval. Périr pour périr, elle eût mieux aimé succomber les armes à la main que d'attendre patiemment la mort par le poignard ou l'échafaud. Mais elle était paralysée par l'inertie de son mari: «Le Roi, disait-elle, a peur de commander et craint plus que toute autre chose de parler aux hommes réunis. Quelques paroles bien accentuées, adressées aux Parisiens, centupleraient les forces de notre parti; il ne les dira pas.... Pour moi, je pourrais bien agir et monter à cheval, s'il le fallait; mais si j'agissais, ce serait donner des armes aux ennemis du Roi. Le cri contre l'_Autrichienne_, contre la domination d'une femme, serait général en France, et d'ailleurs j'anéantirais le Roi en me montrant. Une Reine qui n'est pas régente doit, dans ces circonstances, rester dans l'inaction et se préparer à mourir[1148].» Un jour que l'abbé de Montesquiou lui avait soumis un plan qui demandait beaucoup de conduite et de fermeté: «C'est inutile, répondit-elle tristement, la conduite que vous me proposez ne peut pas se conseiller; celui qui n'a pas en lui le caractère nécessaire pour l'imaginer ne saurait en suivre le conseil[1149].» Ainsi réduite à l'inaction en France, la Reine n'espérait plus guère que de l'étranger. Sa correspondance avec Fersen se multipliait: Fersen, que son père avait voulu rappeler en Suède après l'assassinat de Gustave III, et qui avait noblement refusé, dût-il être réduit à la misère, d'abandonner ses augustes clients[1150]. Elle avait recours aux procédés les plus ingénieux pour dissimuler ces relations. Les lettres étaient presque toujours écrites en chiffres, ou du moins dans un style de convention; elles étaient envoyées, tantôt par des gens sûrs, tantôt, et surtout à l'époque où nous sommes, dans des boîtes de biscottes, dans des paquets de thé ou de chocolat, dans la doublure d'un chapeau ou d'un vêtement, sous forme d'annonce dans un journal[1151]. Les billets succédaient aux billets avec une rapidité et une fréquence extraordinaires; chaque semaine, il y en avait au moins deux, soit de Marie-Antoinette, soit du fidèle Goguelat. A la fin de juillet, ce ne sont plus guère que des cris d'alarme, des appels désespérés. La Reine écrit le 24 juillet: «Dans le courant de la semaine, l'Assemblée doit décréter sa translation à Blois et la suspension du Roi. Chaque jour produit une scène nouvelle, mais tend toujours à la destruction du Roi et de sa famille; des pétitionnaires ont dit, à la barre de l'Assemblée, que, si on ne le destituait pas, ils le massacreraient. Ils ont eu les honneurs de la séance. Dites donc à M. de Mercy que les jours du Roi et de la Reine sont dans le plus grand danger, qu'un délai d'un jour peut produire des malheurs incalculables, qu'il faut envoyer le manifeste sur-le-champ, qu'on l'attend avec une extrême impatience, que nécessairement il ralliera beaucoup de monde autour du Roi et le mettra en sûreté; qu'autrement personne ne peut en répondre pendant vingt-quatre heures: la troupe des assassins grossit sans cesse[1152].» Huit jours après, nouvel appel plus pressant encore. Le 28 juillet, d'Éprémesnil avait été à moitié assommé sur la terrasse des Feuillants[1153]. Le 29, les Marseillais avaient fait leur entrée à Paris. Ramassis de brigands et de gens sans aveu, tourbe cosmopolite, échappée des bagnes de Gênes, d'Espagne et de Toulon[1154], ils apportaient à la populace parisienne un appoint puissant, moins par le nombre,—ils n'étaient guère que six cents,—que par leur audace et leur expérience en fait d'émeutes et de crimes. C'était pour les attendre que Pétion avait ajourné l'émeute du 27 juillet. Le lendemain même de leur arrivée, le 30, ils rencontrent aux Champs-Élysées des grenadiers du bataillon des Filles-Saint-Thomas, qui faisaient un repas de corps chez le restaurateur Dubertier, leur cherchent querelle sans motif, en massacrent un, en blessent une quinzaine, et les autres n'échappent au même sort qu'en se réfugiant dans le jardin des Tuileries, et de là au Château, où on leur prodigue des secours. Vainement les camarades des victimes viennent-ils demander justice à l'Assemblée; la gauche les accueille par des murmures, les tribunes par des vociférations. Ce sont eux qu'on transforme en coupables, et l'on dénonce à la vengeance populaire la Reine et les dames qui ont donné leurs soins aux _assassins_ des braves fédérés. Le 1er août, Marie-Antoinette faisait écrire par Goguelat à Fersen cette lettre désespérée, la dernière qu'ait reçue d'elle son chevaleresque correspondant; l'angoisse l'y rendait même parfois injuste pour les fidèles grenadiers des Filles-Saint-Thomas. «La vie du Roi est évidemment menacée depuis longtemps, ainsi que celle de la Reine. L'arrivée d'environ six cents Marseillais et d'une quantité d'autres députés de tous les clubs des Jacobins augmente bien nos inquiétudes, malheureusement trop fondées. On prend des précautions de toute espèce pour la sûreté de Leurs Majestés; mais les assassins rôdent continuellement autour du Château; on excite le peuple; dans une partie de la garde nationale, il y a mauvaise volonté, et dans l'autre, faiblesse et lâcheté. La résistance qu'on peut opposer aux entreprises des scélérats n'est que dans quelques personnes décidées à faire un rempart de leurs corps à la famille royale, et dans le régiment des gardes-suisses. L'affaire qui a eu lieu le 30, à la suite d'un dîner aux Champs-Élysées, entre 180 grenadiers[1155] d'élite de la garde nationale et des fédérés marseillais, a démontré clairement la lâcheté de la garde nationale et le peu de fond qu'il faut faire sur cette troupe, qui ne peut en imposer que par sa masse. Les 180 grenadiers ont pris la fuite; il y en a eu deux ou trois de tués et une vingtaine de blessés. Les Marseillais font la police du Palais-Royal et du jardin des Tuileries, que l'Assemblée nationale a fait ouvrir..... Pour le moment, il faut songer à éviter les poignards et à déjouer les conspirateurs qui fourmillent autour du trône prêt à disparaître. Depuis longtemps, les factieux ne prennent plus la peine de cacher le projet d'anéantir la famille royale. Dans les deux dernières assemblées nocturnes, on ne différait que sur le moyen à employer. Vous avez pu juger par ma précédente lettre combien il est intéressant de gagner vingt-quatre heures; je ne ferai que vous le rappeler aujourd'hui, en ajoutant que, si l'on n'arrive pas, il n'y a que la Providence qui puisse sauver le Roi et sa famille[1156].» A cette date du 1er août, les armées coalisées étaient en marche. Le duc de Brunswick s'était mis en mouvement le 28 juillet[1157]; il comptait être, au bout de huit ou dix jours, à la frontière[1158], y laisser des corps suffisants pour masquer les places et empêcher leurs garnisons de s'opposer à ses opérations, et se porter lui-même directement sur Paris[1159]. Au moment d'entrer en campagne, le 25, cédant aux vives instances des émigrés, il avait lancé, de Coblentz, un manifeste menaçant. Après avoir exposé les réclamations de l'Empereur et du roi de Prusse pour les princes allemands possessionnés en Alsace et leur intérêt à voir cesser l'anarchie en France, sans vouloir s'enrichir par des conquêtes, ni prétendre «s'immiscer dans le gouvernement de la France», il invitait la partie saine de la nation à rentrer dans les voies de la justice, et s'engageait à protéger ceux qui se soumettraient au Roi. Mais il menaçait d'une punition exemplaire tous ceux qui se défendraient contre ses armes, déclarant que, si la moindre insulte, la moindre violence était faite au Roi ou à la Reine, la ville de Paris serait livrée à une exécution militaire et à une subversion totale. Par quelle déplorable habileté Fersen réussit-il à substituer ce manifeste, dû à la plume d'un émigré, M. de Limon[1160], au texte, modéré et sage, proposé par l'agent accrédité du Roi et de la Reine, Mallet du Pan, et primitivement adopté par les Puissances? Par quel aveuglement surtout, lui qui connaissait la France, qui venait de la traverser tout récemment encore, et qui écrivait «qu'on ne peut compter sur les gardes nationaux, ni sur les gens de bien de Paris, qui craignent de se mettre en avant de peur de recevoir une égratignure, tandis que les scélérats agissent[1161]», ajoutant: «Mon inquiétude pour vous est extrême; je n'ai pas un seul moment de tranquillité[1162]»; par quel aveuglement put-il croire que cette déclaration hautaine et provocante relèverait le courage des amis de la royauté et terrifierait ses adversaires? Comment ne vit-il pas qu'édicter ainsi les derniers supplices contre tous les partisans de la Révolution, c'était en grossir le nombre, les réduire au désespoir, et que les premières victimes de ce désespoir seraient précisément les malheureux souverains qu'on avait la prétention de sauver? Lui-même cependant avait écrit à son ami Taube, en lui envoyant le manifeste: «Voici un moment critique pour eux, Dieu les conserve[1163]!» Et à sa demande, le baron de Breteuil avait envoyé l'évêque de Pamiers à Londres pour obtenir de Pitt une intervention de l'Angleterre en faveur des malheureux otages que d'imprudentes menaces allaient livrer à toutes les colères[1164]. Mais on se faisait, de l'autre côté du Rhin, même parmi les plus sages, d'étranges illusions. Les émigrés avaient si souvent répété que la guerre ne serait qu'une promenade militaire à travers la France, que le duc de Brunswick s'imaginait ne pas rencontrer de résistance[1165], et que Mercy lui-même, si peu disposé, par son âge et son expérience, aux espérances exagérées, écrivait, le 9 juillet, à Marie-Antoinette: «En un mois, on sera sauvé[1166].» On indiquait déjà les étapes de la marche des coalisés: on devait être tel jour à Verdun, tel autre à Châlons[1167]. La Reine elle-même, momentanément rassurée par la parole de Mercy, confiait à Mme Campan, pendant une de ses nuits d'insomnie, que, dans un mois, «elle ne verrait plus cette lune sans être dégagée de ses chaînes[1168].» Et le baron de Breteuil formait déjà le cabinet qui devait prendre la direction des affaires, à la rentrée à Paris[1169]. Quoi qu'il en soit, le résultat de ce manifeste ne fut pas celui qu'en attendaient ses auteurs: «Il ne rallia personne, parce qu'il ne présentait aucun point de ralliement; n'effraya personne, parce qu'il annonçait des prétentions extravagantes, et enfin n'obtint rien, parce qu'il demandait l'impossible. Une partie de la France resta muette à cet appel; l'autre y répondit par des cris de fureur et de vengeance[1170].» A ce moment suprême, pourtant, les Girondins ne voulaient pas encore la république; ils sentaient qu'ils n'auraient point pour eux l'appui de l'armée, même de l'armée du Midi, sur laquelle ils comptaient le plus[1171]. Il y eut un moment d'hésitation dans la marche des ennemis de la royauté. La garde nationale voulait conserver le Roi, comme une sauvegarde contre les représailles des coalisés, et certains chefs de la Révolution s'étaient déjà ménagé les moyens de fuir en Amérique[1172]. Le plan qui souriait le plus à Brissot et à ses amis, c'était de proclamer la déchéance de Louis XVI et de mettre le Dauphin sur le trône, avec Condorcet comme gouverneur et Pétion comme régent. Mais déjà les Girondins étaient débordés et, pour ne pas être laissés de côté, ils étaient obligés de se mettre à la remorque des Jacobins. Le 3 août, Pétion se présente à la barre de l'Assemblée et, au nom de 46 sections de Paris sur 48, demande la déchéance. L'Assemblée, sans discussion, renvoie une pétition à une commission extraordinaire pour faire son rapport le 9 août[1173]. En attendant, tout se prépare pour le dernier assaut qui doit être livré à la royauté. Le Comité insurrectionnel siège en permanence au cabaret du _Cadran-bleu_. La section Mauconseil, sans attendre la décision de l'Assemblée, vote la déchéance; la section du Théâtre-Français, sous la présidence de Danton, se déclare en état d'insurrection[1174]. Les Marseillais, quittant leurs casernes trop éloignées, se transportent au centre de la capitale, dans les sections Poissonnière et du Théâtre-Français[1175], où on les incorpore dans les bataillons révolutionnaires[1176]; on leur donne à profusion du vin et de l'argent[1177]. Westermann est désigné pour prendre le commandement des bandes, à la place de Santerre, dont l'incapacité est trop manifeste, et Panis et Sergent font distribuer aux fédérés les cartouches qu'ils refusent aux gardes nationaux. On fait venir de tous côtés des recrues sur lesquelles on peut compter. Jourdan et les massacreurs de la Glacière sont à Paris[1178]. «Jourdan et ses compagnons sont réunis à Santerre, mandait Malouet à Mallet du Pan; les promenades dans les rues, les hurlements sont horribles. Les affiches, les placards ont la même couleur de sang. Jamais cette ville de boue n'a été aussi infecte, aussi pestilentielle[1179].» En même temps, on éloigne de la capitale les derniers défenseurs de la royauté. Dès la fin de juillet, un officier suisse écrivait: «Ils sont parvenus à faire sortir de Paris toute la force armée. Voilà les cinq régiments de ligne et les deux tiers des régiments des gardes-suisses, que l'on craignait, hors d'état de nuire aux factieux. Bientôt nous allons voir commencer la tragédie[1180].» Les troupes de ligne, en effet, dont l'Assemblée redoutait le bon esprit, avaient été envoyées à l'armée[1181]; trois cents Suisses avaient été dirigés sur la Normandie, sous prétexte de protéger la circulation des grains et l'on avait enlevé à ceux qui restaient à Paris leurs douze canons[1182]. Pour achever de désorganiser la résistance, la municipalité arrête que la garde de service au Château sera chaque jour composée de citoyens de toutes les sections. Tout est prêt pour se porter en armes aux Tuileries et y déposer le Roi. Le jour seul est encore incertain. Successivement fixé au 4, puis au 6, il est enfin arrêté pour le 9 au soir, lorsque l'Assemblée aura délibéré sur la pétition des sections de Paris; ce jour-là, si, à onze heures, justice n'est pas rendue au peuple par le Corps législatif, «à minuit le tocsin sonnera, la générale sera battue et tout se lèvera à la fois[1183]». En attendant, la terreur règne dans la capitale; les députés qui osent encore, nous ne dirons pas se montrer favorables au Roi, mais simplement ne pas exécuter servilement les volontés des clubs, sont insultés et maltraités[1184]. On répand les bruits les plus lugubres. On annonce qu'on promènera la Reine dans une cage de fer avant de la conduire à la Force, qu'on enfermera le Roi à l'Hôtel-de-Ville, puis au Temple[1185]. Dès le 2 août, on vend dans les rues un imprimé qui n'est que le programme de la journée qu'on prédit, et le médecin Brunier peut le remettre à Mme de Tourzel[1186]. Une agitation effrayante régnait dans le peuple, et une femme, très liée avec les révolutionnaires, écrivait cette phrase sinistre: «Il pleuvra du sang; je n'exagère point[1187].» A ces menaces directes et publiques, qu'avait à opposer la royauté? Rien que des promesses vagues, des espérances fragiles, et, hélas! des illusions obstinées: la marche lointaine encore du duc de Brunswick, l'argent donné aux chefs des factieux, Pétion, Danton[1188], Santerre, pour empêcher l'insurrection et qui ne sert qu'à la payer; et, au Château, neuf cents Suisses, quelques rares gardes nationaux fidèles, et une centaine de gentilshommes. Qu'était-ce contre les bandes dirigées par Barbaroux et Westermann? Vainement les fidèles de la dernière heure, les Malouet, les Malesherbes, les Morris, les Lally-Tolendal, présentèrent-ils, le 7 août, un suprême projet d'évasion. Vainement offrirent-ils de conduire la famille royale à Pontoise ou à Compiègne[1189], sous la protection des grenadiers d'Aclocque et des Suisses de Courbevoie, en partant en plein jour, à huit heures du matin, du Pont-Tournant, et en avertissant le président de l'Assemblée qu'on allait à Compiègne, en vertu de la Constitution[1190]. Le Roi refusa, et Mme Élisabeth se contenta de répondre que l'insurrection annoncée n'aurait pas lieu, qu'on en avait pour garant la parole de Pétion et de Santerre, qui, moyennant sept cent cinquante mille livres, s'étaient engagés à ramener les Marseillais dans le parti de Sa Majesté[1191]. Malgré cette confiance apparente et étrange, l'alarme régnait en permanence au Château. Si l'on avait pu croire, pendant quelque temps, comme le disait Morris, que les gardes nationaux et les Parisiens voudraient conserver Louis XVI «comme la protection la plus efficace contre le pillage et les insultes des ennemis[1192]», depuis le 20 juin on ne pouvait plus guère avoir cette confiance: on ne cherchait qu'à gagner du temps; mais on était gardé à vue. Pour prévenir une fuite, dont le bruit s'était encore une fois répandu, les fédérés faisaient chaque jour et chaque nuit des patrouilles autour des Tuileries[1193]. Les hommes à pique, avant d'aller, le bonnet rouge sur la tête, faire à l'Assemblée des motions incendiaires, défilaient près du Château, en chantant d'injurieux couplets; «on eût dit qu'ils venaient reconnaître les lieux, avant de l'attaquer[1194].» On insultait la Reine jusque sous les fenêtres de ses petits cabinets qui donnaient sur la cour, et Mme de Tourzel, dont les appartements étaient au rez-de-chaussée, n'osait plus y conduire le Dauphin[1195]. Un Marseillais, le sabre au poing, criait aux Suisses en faction à la porte du Carrousel: «Misérables, c'est la dernière garde que vous montez; nous allons vous exterminer tous[1196].» Chaque jour, chaque nuit, ce sont des alertes nouvelles[1197]. Le Roi brûle ses correspondances[1198]; la Reine ne se couche qu'une fois sur deux[1199], et elle en est réduite, nous l'avons vu, à avoir un petit chien dans sa chambre pour l'avertir en cas de danger[1200]. Toute la nuit du 4 au 5 août, l'on s'attend à être égorgé[1201]. Louis XVI est debout: «Ah! qu'ils viennent!» dit le malheureux prince, résigné à son sort; «dès longtemps je suis préparé; mais,» ajoute-t-il avec une sollicitude touchante, «qu'on n'éveille pas la Reine[1202].» Le dimanche 5 août, la famille royale allait à la chapelle des Tuileries entendre la messe pour la dernière fois. Pendant qu'elle traversait la galerie pour s'y rendre, un certain nombre de gardes nationaux la saluèrent des cris de _Vive le Roi!_ Mais aussitôt les autres répondirent par de formidables huées: «_Pas de Roi! A bas le Veto!_» Et le soir, aux vêpres, les musiciens, chantant le _Magnificat_, se donnèrent le mot pour «tripler le son de leurs voix d'une manière effrayante», en psalmodiant: _Deposuit potentes de sede[1203]!_ C'était le dernier outrage. Cinq jours après, la sinistre prédiction des musiciens de la chapelle allait être accomplie. CHAPITRE XXI Le 10 août. La journée du jeudi 9 août avait été relativement tranquille, malgré les bruits alarmants qui circulaient. Le Roi, après le dîner, avait joué au billard avec Mme Élisabeth[1204] et la pieuse princesse avait écrit à son amie Mme de Bombelles: «Cette journée, qui devait être si vive, si terrible, est le plus calme possible[1205].» Le soir, tout change; je ne sais quelle agitation sinistre règne dans la capitale; les dames du palais n'osent pas venir à la Cour, de peur d'être insultées. A minuit, le tocsin sonne au clocher des églises; bientôt au bruit du tocsin se mêle celui des tambours qui battent, les uns la générale, les autres le rappel; les sections s'arment; les faubourgs s'ébranlent et se mettent en marche. Aux Tuileries, il y a environ neuf cents Suisses, deux cents gentilshommes et quelques compagnies de gardes nationaux fidèles. C'est peu; mais cette petite troupe est sous les ordres d'un chef résolu et dévoué, Galiot de Mandat, ancien capitaine aux gardes françaises. Dès le matin, il a pris des dispositions énergiques pour la défense: les ponts sont gardés et il sera facile d'empêcher les faubourgs de se réunir en coupant la communication et en chargeant les colonnes pour les disperser[1206]. Les Suisses occupent la cour du Château, la chapelle et la porte royale, le bas du grand escalier du Roi et de la Reine[1207], tandis que les grenadiers des Filles-Saint-Thomas sont rangés en bataille vis-à-vis de la grande porte[1208]. Malheureusement les soldats n'ont pas de cartouches: à peine trois coups par homme[1209]. Les Suisses eux-mêmes n'en ont pas trente[1210], et le commandant est sans ordres. Vers onze heures, Pétion, cédant aux instances réitérées de Mandat, vient au Château. Le Roi l'interpelle brusquement: «Monsieur, dit-il, vous êtes maire de Paris; il paraît qu'il y a beaucoup de mouvement; veut-on recommencer le 20 juin?»—«Sire, la fermentation est grande, mais je cours à l'Hôtel-de-Ville rétablir la tranquillité.»—«Non, Monsieur,» reprend la Reine qui devine les projets de Pétion; «c'est sous vos yeux que tout a été organisé; vous allez, comme maire, signer l'ordre de repousser la force par la force; vous resterez près de la personne du Roi.» Pétion, déconcerté, signe l'ordre, puis il s'esquive, et, après une courte apparition à l'Assemblée, retourne dans sa maison, où, suivant le plan arrêté avec ses amis, il se fait consigner pour le reste de la journée. Au Château, on avait été assez rassuré pendant les premières heures: on avait confiance dans les forces dont on disposait et que Mandat avait habilement placées aux point les plus importants, dans la cour, dans le jardin, aux guichets. Des avis, qu'on croyait sûrs, représentaient d'ailleurs le rassemblement comme n'ayant pas la gravité qu'on lui supposait d'abord[1211]. La Reine avait même envoyé son fils se coucher sous la garde de la fidèle Mme de Tourzel; mais, en l'embrassant, elle n'avait pu retenir ses larmes: «Maman,» disait l'enfant, comme s'il devinait le danger, «pourquoi pleurez-vous? Je voudrais bien ne pas vous quitter cette nuit.»—«Soyez tranquille, mon fils, je ne serai pas loin de vous[1212].» Mais l'anxiété n'avait pas tardé à renaître; les mauvaises nouvelles parvenaient, pressantes et précises. La famille royale était réunie dans la chambre du Conseil; la princesse de Lamballe, la princesse de Tarente, Mme de Tourzel et sa fille, les ministres, deux municipaux, Borie et Leroux, le procureur général syndic du département, Rœderer, quelques serviteurs zélés, l'entouraient. Au milieu des angoisses croissantes, l'étiquette traditionnelle avait été levée: il n'y avait pas eu de coucher du Roi; la Reine et Mme Elisabeth étaient assises sur de simples tabourets[1213]. Quelques amis dévoués arrivaient de moment en moment, s'asseyant partout, sur les tables, sur les consoles, par terre. La Reine parle à chacun de la manière la plus affectueuse, réchauffant le zèle et soutenant les courages: «Messieurs, dit-elle aux gardes nationaux qui sont dans la chambre du Conseil, tout ce que vous avez de plus cher, vos femmes, vos enfants, dépend de notre existence; notre intérêt est commun[1214].» Mais parmi ces défenseurs de la dernière heure, l'harmonie ne règne pas; les préventions de certains gardes nationaux contre les gentilshommes persistent. Le chef de légion la Chesnaye veut faire éloigner les volontaires royalistes. La Reine s'y oppose vivement: «Vous ne devez pas, dit-elle, avoir de défiance de ces braves gens qui partageront vos dangers et vous défendront jusqu'à leur dernier soupir[1215]. Je réponds de tous ceux qui sont ici; ils marcheront devant, derrière, dans le rang, comme vous voudrez; ils sont prêts à tout ce qui pourra être nécessaire: ce sont des hommes sûrs[1216].» Personne ne s'était couché au Château; seul le Dauphin dormait[1217]. Vers trois heures du matin, on entend dans le lointain comme le bruit houleux des vagues qui approchent. Un coup de fusil retentit dans la cour même des Tuileries[1218]: «Hélas! dit la Reine, ce ne sera pas le dernier!» Elle fait lever et habiller son fils; elle ne veut pas que les factieux trouvent au lit l'hériter du trône, et depuis ce moment elle le garde toujours près d'elle. «Maman,» dit le pauvre enfant, ému à la vue du trouble qu'il voit autour de lui et déjà familiarisé avec les journées, «maman, pourquoi ferait-on du mal à papa? Il est si bon[1219]!» La nuit était admirable, le ciel pur, l'air calme; la tranquillité de la nature contrastait avec l'agitation de la rue et l'anxiété des âmes. Par les croisées ouvertes, on entendait tous les bruits de la grande ville. L'aube paraît; Mme Élisabeth court à la fenêtre. «Ma sœur, dit-elle, venez donc voir lever l'aurore.» Le disque du soleil commençait à se dégager, rouge de sang[1220]. Cependant un ordre impérieux de la municipalité appelle Mandat à l'Hôtel-de-Ville. Déjà le commandant n'a pas répondu à une première dépêche. Pressé par Rœderer[1221], il n'ose résister à une seconde et part entre quatre et cinq heures du matin[1222]; mais un pressentiment sinistre l'a saisi: «Je ne reviendrai pas,» dit-il[1223]. Il ne se trompait pas. A peine arrivé à l'Hôtel-de-Ville, il trouve la Commune insurrectionnelle installée à la place de la Commune légale. Huguenin, qui la préside, lui reproche avec violence les mesures qu'il a prises contre le peuple, le somme de les révoquer, et, sur le refus de Mandat[1224], ordonne de le transférer à l'Abbaye. C'est le signal de la mort. Au sortir de la salle du Conseil, on casse, d'un coup de pistolet, la tête du malheureux commandant et son corps est jeté à la Seine. Dès lors, la petite garnison des Tuileries n'a plus de chef, et la résistance est désorganisée. Le bruit devient plus distinct; les vagues se rapprochent. La Reine supplie le Roi de se montrer à ses défenseurs et de les échauffer par sa présence, par son exemple, par un mot d'encouragement. Louis XVI cède aux instances de sa femme[1225]; il paraît au balcon, vêtu d'un habit violet, la coiffure dérangée, le teint animé, les yeux rougis par l'insomnie[1226]. De chaleureux vivats l'accueillent. Il traverse les appartements pour gagner la cour. La Reine, ses enfants, Mme Élisabeth, la princesse de Lamballe l'accompagnent. Quand il passe dans la grande galerie, un vif enthousiasme se manifeste: ces vieux gentilshommes, volontaires de la dernière heure, prêts à se faire massacrer eux-mêmes, acclament la royauté qui va mourir; l'émotion gonfle les poitrines, les pleurs baignent les yeux; des cris de _Vive le Roi!_ éclatent de toutes parts[1227]. Le bataillon des Filles-Saint-Thomas occupe la galerie de Diane. La Reine lui parle avec cette grâce et ce cœur qu'elle met à tout ce qu'elle dit, et ces braves gens sont tout transportés[1228]. «Ils semblent, a dit un historien contemporain, renouveler la scène sublime de _Moriamur pro rege nostro_[1229].» On était moins sûr des postes extérieurs, où Pétion avait fait placer des bataillons hostiles[1230]. Le Roi ne veut pas exposer sa famille à un accueil douteux, malveillant peut-être. Parvenu dans le vestibule du grand escalier, il fait remonter sa femme, sa sœur et ses enfants et continue seul cette suprême revue. Ce fut un tort peut-être: ce que la bonté un peu molle et le courage résigné du Roi ne firent pas, l'attitude plus déterminée de la Reine et la beauté touchante du Dauphin eussent pu l'obtenir. Il était six heures environ, lorsque Louis XVI descendit dans la cour. Inquiet et troublé, malgré sa contenance sereine, il ne sut pas dire un mot aux gardes nationaux qui se pressaient autour de lui. On crie cependant encore _Vive le Roi! Vive Louis XVI! Nous le défendrons jusqu'à la mort! Qu'il se mette à notre tête! A bas les Jacobins[1231]!_ Mais le Roi reste muet. A mesure qu'on s'éloigne du Château, autour duquel sont groupées les troupes fidèles, l'accueil devient plus froid. A la terrasse du bord de l'eau, il devient hostile. On crie: _Vive la Nation! A bas le Veto! A bas le gros cochon!_[1232] Quelques canonniers—la plus mauvaise partie de la garde nationale—s'attachent au prince, en lui répétant ces cris outrageants, «comme les mouches, dit un témoin oculaire, poursuivent l'animal qu'elles se sont acharnées à tourmenter[1233].» A la terrasse des Feuillants, des brigands armés de piques joignent leurs vociférations menaçantes à ces clameurs hostiles; quelques-uns même descendent dans le jardin et les serviteurs fidèles qui accompagnent l'infortuné monarque sont obligés de l'entourer d'une double ligne pour le protéger[1234]. «Grand Dieu! c'est le Roi qu'on hue!» s'écrie le ministre de la marine, M. Dubouchage[1235]. Louis XVI rentre au Château, le cœur désespéré, et la Reine, qui de loin a suivi du regard toute cette scène et prêté une oreille douloureusement attentive à tous ces cris, dit à Mme Campan: «Tout est perdu; cette revue a fait plus de mal que de bien[1236].» Il est certain cependant,—les documents les plus sûrs, les actes les plus dignes de foi l'attestent,—il est certain que si, à ce moment même, le Roi fût hardiment monté à cheval et se fût mis résolûment à la tête de ses troupes, comme Marie-Antoinette l'en suppliait, il eût eu facilement raison des assaillants, et, suivant le mot énergique de Napoléon, eût balayé toute cette canaille[1237]. Mais le Roi hésite; le Roi a peur de verser le sang; et les municipaux qui sont là ont l'air de n'avoir d'autre but que de désorganiser la défense. Ils circulent dans la cour du Carrousel, disant bien haut que ce serait folie de vouloir s'opposer à un rassemblement aussi nombreux et aussi bien armé; ce n'est qu'à regret qu'ils lisent aux troupes la loi martiale; encore ont-ils bien soin d'ajouter: «Vous ne tirerez qu'autant qu'on tirerait sur vous[1238].» Ces étranges instructions jettent le trouble parmi les gardes nationaux; quelques compagnies font demi-tour; les canonniers, mal disposés pour la plupart, braquent leurs pièces contre le Château, et la gendarmerie à cheval qui occupe la cour du Louvre, se replie sur le Palais-Royal, laissant ainsi la route libre aux insurgés[1239]. Vers sept heures[1240], une foule compacte et houleuse remplit la place Vendôme et la terrasse des Feuillants[1241]. L'avant-garde de l'émeute débouche sur la place du Carrousel; déjà quelques bandits sont à cheval sur la crête des murs, observant tout et appelant leurs camarades[1242]. Les municipaux vont parlementer avec eux; un grand cri répond: «_La déchéance ou la mort!_» Municipaux, commandant en chef, procureur général sont démoralisés; ils remontent près du Roi. Déjà, dans la nuit, Rœderer avait ouvert l'avis d'aller à l'Assemblée. «Monsieur,» avait répondu fièrement la Reine, «il y a des forces ici; il est temps enfin de savoir qui l'emportera, du Roi et de la Constitution, ou de la faction[1243].» Le procureur général s'était incliné; mais il n'avait pas changé d'opinion[1244]. Cette fois, ce sont les municipaux qui prennent la parole: «Sire, dit Leroux, le seul parti à suivre, est de se réfugier dans le sein de l'Assemblée nationale; c'est à l'instant même qu'il faut partir.» —«Vous le croyez?» répond Louis XVI. —«Oui, Sire; dire le contraire à Votre Majesté serait la trahir.» La Reine bondit. Demander asile à l'Assemblée, à cette Assemblée qui n'a rien fait pour prévenir l'émeute et qui, pendant qu'agonise la monarchie, a le triste courage de délibérer tranquillement sur la traite des noirs, abandonner le Château, renoncer à la lutte, mais c'est signer sa déchéance, c'est abdiquer! «Nous retirer à l'Assemblée nationale,» dit-elle d'une voix vibrante, «y pensez-vous?»—«Oui, Madame, l'Assemblée est la seule chose qu'en ce moment le peuple respectera.» Vers sept heures et demie[1245] Rœderer survient, revêtu de son écharpe[1246] et à la tête du Directoire: «Sire, dit-il, Votre Majesté n'a pas cinq minutes à perdre; il n'y a de sûreté pour elle que dans l'Assemblée nationale.»—«Mais, dit le Roi, je n'ai pas vu grand monde au Carrousel.»—«Sire, il y a douze pièces de canon et il arrive un monde énorme des faubourgs[1247].» Le sang de la Reine bouillonne dans ses veines. Se tournant vers ses fidèles serviteurs: «Clouez-moi sur ces murs,» s'écrie-t-elle, «avant que je consente à les quitter[1248]!» Un membre du département qu'elle connaît bien, car il est son marchand de dentelles, M. Gendret, veut appuyer l'opinion de Rœderer: «Taisez-vous, Monsieur,» lui dit vivement la Reine, «laissez parler le procureur général; vous êtes le seul qui ne devez point parler ici; quand on a fait le mal, on ne doit pas avoir l'air de le réparer[1249].» Et se tournant vers Rœderer: «Mais, Monsieur, nous avons des forces.»—«Madame, tout Paris marche, l'action est inutile; la résistance, impossible[1250]. Voulez-vous vous rendre responsable du massacre du Roi, de vos enfants, de vous-même, en un mot des fidèles serviteurs qui vous environnent?»—«A Dieu ne plaise! répond la vaillante femme. Que ne puis-je au contraire être la seule victime[1251]!» Mais son émotion est si violente que, rapporte un témoin oculaire, «sa poitrine et son visage deviennent en un instant tout vergetés[1252].» «Sire, reprend le procureur général, le temps presse; ce n'est plus une prière que nous venons vous faire, ce n'est plus un conseil que nous prenons la liberté de vous donner; nous n'avons qu'un parti à prendre en ce moment: nous vous demandons la permission de vous entraîner[1253].» Le Roi relève la tête, regarde un instant Rœderer, comme pour interroger sa pensée secrète, et, se déterminant enfin: «Allons, dit-il, donnons, puisqu'il le faut, cette dernière marque de dévouement[1254].» «Oui, répond la Reine, c'est un dernier sacrifice; mais,» ajoute-t-elle, en montrant son mari et son fils, «vous en voyez l'objet[1255].» Et interpellant Rœderer: «Monsieur, dit-elle, vous répondez de la personne du Roi; vous répondez de celle de mon fils.» «Madame, réplique Rœderer, nous répondons de mourir à vos côtés; voilà tout ce que nous pouvons garantir[1256].» Vers huit heures et demie[1257], le funèbre cortège se forme. Des grenadiers des Filles Saint-Thomas et des gardes-suisses composent l'escorte. Le Roi marche seul en avant, ayant à ses côtés le ministre des affaires étrangères[1258]. La Reine donne le bras au ministre de la marine[1259] et tient le Dauphin par la main; puis viennent Mme Elisabeth et Madame Royale, Mmes de Lamballe et de Tourzel, quelques serviteurs fidèles comme le prince de Poix et le comte de la Rochefoucauld[1260], les ministres, les membres du département[1261]. Tous les assistants pleurent[1262]; la consternation est générale.—«Nous reviendrons,» dit le Roi.—«Nous reviendrons,» répète la Reine. Mais ni le Roi ni la Reine n'ont d'espoir[1263] et les spectateurs sentent bien, comme eux, suivant le mot de Mlle de Tourzel, que ce qu'ils voient passer, c'est le «convoi de la royauté[1264]». Le Roi s'avance droit, le cœur déchiré, les traits défaits, mais la contenance ferme. La Reine est tout en larmes; elle essuie ses yeux de temps en temps et essaie de prendre un air confiant; mais elle ne peut le conserver que quelques minutes[1265]. Un garde national se méprend sur la cause de ces larmes: «Que Votre Majesté ne craigne rien, dit-il. Elle est entourée de bons citoyens.»—«Je ne crains rien,» répond la Reine, en appuyant la main sur sa poitrine[1266]. Le cortège traverse les salles, descend le grand escalier[1267], sort par la grille du milieu[1268] et s'engage dans le jardin. Les gardes nationaux tiennent la droite; les gardes-suisses, la gauche. La foule, qui se presse sur la terrasse des Feuillants, salue de ses huées les victimes qui s'avancent. Le Roi conserve néanmoins son attitude impassible. La Reine s'appuie un moment sur le bras de M. de la Rochefoucauld: son cœur bat, sa main tremble. Le petit Dauphin, avec l'insouciance de son âge, s'amuse à pousser du pied les feuilles mortes qui encombrent le jardin. «Voilà bien des feuilles, dit le Roi; elles tombent de bonne heure, cette année.» Quelques jours auparavant, Manuel avait écrit dans un journal que la monarchie ne survivrait pas à la chute des feuilles[1269]. Sa prédiction se réalisait. Quand on approche de la terrasse des Feuillants, la foule devient plus houleuse; le chemin est obstrué; pendant dix minutes, le cortège se trouve arrêté au pied de l'escalier du passage des Feuillants. Des cris furieux éclatent dans la populace: «_A bas! A bas! Point de veto! Qu'ils n'entrent pas à l'Assemblée!_» On aperçoit la Reine; les clameurs redoublent: «_Point de femmes! Nous ne voulons que le Roi, le Roi seul[1270]!_» Un grenadier s'empare du Prince royal et le prend dans ses bras. La Reine croit qu'on veut lui enlever son fils; elle jette un cri terrible; le garde national élève le Dauphin au-dessus de sa tête, rassure l'enfant, rassure la mère. Cependant, l'Assemblée, prévenue par le président du Directoire du département de l'arrivée de la famille royale, a envoyé au-devant d'elle une délégation de vingt-quatre membres. «Sire, dit le député qui la conduit, l'Assemblée vous offre, ainsi qu'à votre famille, un asile dans son sein.» Le funèbre cortège reprend sa marche; les membres de l'Assemblée ont remplacé ceux du Directoire. Mais, sur la terrasse des Feuillants, les cris redoublent; la foule se presse; il faut s'arrêter. Un misérable brandit une perche et en menace la famille royale, en criant: «_A bas! A bas[1271]!_» Un homme se détache du groupe et, s'adressant au Roi: «Donnez-moi la main, lui dit-il, je vais vous conduire à l'Assemblée; mais pour votre femme, elle n'y entrera pas; c'est elle qui a fait le malheur de la France.» Rœderer s'élance; avec l'autorisation des députés, il fait gravir l'escalier aux gardes nationaux; il le franchit lui-même et harangue la foule qui rugit autour de lui. Un mouvement se fait: il en profite pour frayer un passage à Louis XVI et à Marie-Antoinette. Au milieu de ces bandes furieuses, qui vomissent des injures et que leur escorte contient à grand'peine, les malheureux souverains entrent à l'Assemblée. Le Roi prend place à côté du président; la Reine et sa famille, derrière lui, sur les bancs des ministres. Le grenadier qui porte le Dauphin le dépose sur le bureau des secrétaires, aux applaudissements des tribunes. L'enfant court à sa mère: «Non, non,» crie une voix; «il appartient à la nation; l'Autrichienne est indigne de la confiance du peuple[1272].» Le calme se rétablit; le Roi prend la parole: «Je suis venu, dit-il, pour éviter un grand crime; je ne saurais être mieux qu'au milieu de vous.» Vergniaud, qui préside, répond: «Vous pouvez compter, Sire, sur la fermeté de l'Assemblée nationale. Ses membres ont juré de mourir en défendant les droits du peuple et les autorités constituées[1273].» Mais la Constitution interdit à l'Assemblée de délibérer en présence du Roi; l'Assemblée décide que Louis XVI et sa famille seront conduits dans la tribune du _Logographe_. C'était un petit réduit grillé, de dix pieds carrés[1274], exposé à l'ardeur d'un soleil brûlant[1275], si étroit qu'à peine pouvait-il contenir quelques journalistes, si bas qu'on n'y pouvait rester debout. Le Roi s'assied sur le devant; la Reine dans un coin; les enfants, Mme Elisabeth et Mme de Lamballe, sur une banquette, derrière laquelle se tiennent quelques amis dévoués[1276]. On arrache les grilles de fer qui séparent la loge de la salle[1277]. Il est dix heures du matin, et c'est là, dans cette misérable hutte, que, pendant dix-huit heures, les prisonniers vont assister à l'agonie de la royauté. Soudain une vive fusillade éclate: on se bat aux Tuileries. Après le départ de la famille royale, la plupart des gardes nationaux étaient retournés chez eux; les Suisses avaient évacué la cour et s'étaient concentrés dans le Château. «Ne vous laissez pas forcer,» avait dit le maréchal de Mailly au capitaine de Durler. Les colonnes insurrectionnelles arrivent et les somment de se rendre; ils refusent héroïquement; semblables à ce grand lion blessé qui a symbolisé leur vaillance dans le rocher de Lucerne, ils gardent fièrement et fidèlement le vieil écusson de France à demi brisé. On cherche à les surprendre; des individus, armés de crocs, s'efforcent de les entraîner par leur fourniment: vains efforts. Puis, subitement, sans qu'on sache qui l'a tiré, un coup de pistolet retentit. Les Suisses font une décharge. Les assaillants, sans essayer de riposter, se dispersent de tous les côtés en désordre, abandonnant leurs canons, évacuant la cour, dégageant le Château, ne se croyant en sûreté que lorsqu'ils sont rendus dans leurs quartiers et montrant, par cette fuite précipitée, ce que valait leur courage, et ce qu'on eût pu faire, si l'on avait tenté de résister. Mais le Roi ne veut pas continuer la lutte: il a horreur de répandre le sang. De sa prison du _Logographe_, il envoie M. d'Hervilly, avec l'ordre de suspendre le feu et d'évacuer le Château. Dociles à ces instructions, les Suisses se replient en bon ordre à travers le jardin. Un nouveau message du Roi leur fait déposer les armes[1278]. Braves contre des adversaires qui ne se défendent pas, les Marseillais reviennent à la charge, se ruent dans le Château, pillent tout, cassent tout[1279], s'acharnent principalement contre ce qui a appartenu à la Reine[1280], brisent les glaces «dans lesquelles Médicis-Antoinette a étudié trop longtemps l'air hypocrite qu'elle montrait au public[1281]», achèvent les blessés, tuent à coups de piques et de sabres les serviteurs du palais et jusqu'au dernier marmiton[1282], incendient les casernes des Suisses[1283] et les écuries du Roi[1284], enfoncent les caves, se grisent de vin et de sang. Les massacres du jardin et de la rue répondent aux massacres du Château: les malheureux Suisses désarmés sont assaillis, mutilés, égorgés; Clermont-Tonnerre est assassiné, et la tête de Suleau est portée au bout d'une pique par Théroigne de Méricourt! Couverts de sang, ivres d'orgies, les vainqueurs d'une royauté qui n'a pas voulu se défendre paraissent à la barre de l'Assemblée et demandent ou plutôt exigent la déchéance. L'Assemblée s'incline devant la volonté des nouveaux maîtres de la France; le président Vergniaud donne lecture d'un décret qui suspend le Roi de ses fonctions jusqu'à la réunion d'une Convention nationale et décide que la famille royale sera transférée au Luxembourg, sous la sauvegarde des citoyens et des lois, et qu'on nommera un gouverneur au Prince royal. En attendant, le Roi ne devant plus être entouré que de gardes nationaux, on intime aux fidèles, qui l'accompagnent et le protègent encore, l'ordre de se retirer. Les dévoués serviteurs s'éloignent tristement; mais le comte de Chabot, qui fait partie de la garde nationale, court revêtir son uniforme et revient se mettre en faction à la porte de la tribune du _Logographe_[1285]. Du fond de sa prison, le Roi voit les pétitionnaires se succéder à la barre, les mains ensanglantées, l'injure à la bouche; il voit déposer sur le bureau les dépouilles des Tuileries; il entend discuter et proclamer sa déchéance; il reste impassible et résigné. La Reine conserve sa fière attitude; sa lèvre se plisse avec un sourire de dédain pour tous ces misérables qui l'outragent avant de la tuer. Une seule disposition du décret l'émeut: c'est celle qui décide qu'on nommera un gouverneur au prince royal; elle prie plusieurs députés de chercher à parer ce coup qui lui est si sensible; ils y réussissent d'autant plus facilement, dit Mme de Tourzel, que «l'Assemblée qui projette l'établissement de la république s'embarrasse peu de donner un gouverneur à Monseigneur le Dauphin[1286]». Mme Élisabeth baisse la tête; Madame Royale pleure; le Dauphin, brisé de fatigue, s'est endormi sur les genoux de sa mère. La chaleur est suffocante; on étouffe dans ce réduit sans espace et sans air. Le visage du pauvre enfant est inondé de sueur; la Reine veut l'essuyer; mais son mouchoir est lui-même trop trempé; elle demande celui de M. de la Rochefoucauld qui se trouve près d'elle; ce mouchoir est teint du sang de ses défenseurs[1287]! Vers deux heures du matin[1288], la famille royale est transférée au couvent des Feuillants, situé près de la salle de l'Assemblée. On se met en marche à travers le jardin, au milieu des brigands dont les piques dégouttent de sang, à la lueur des chandelles fumeuses qui, plantées dans le canon des fusils, projettent sur toute cette scène une lueur sinistre. Un instant, la Reine a peur pour son fils; elle le prend vivement des mains de M. d'Aubier qui le porte, et le serre convulsivement sur son cœur. L'enfant, rassuré, dit gaiement: «Maman m'a promis de me coucher dans sa chambre parce que j'ai été bien sage avec ces vilains hommes[1289].» Quatre chambres, ou plutôt quatre cellules, inhabitées depuis plus de deux ans, avec un carrelage en briques à demi détruit et des murs blanchis à la chaux, tel était le nouveau palais du Roi et de la Reine de France. L'architecte de l'Assemblée y avait fait à la hâte porter quelques meubles. Les cellules s'ouvraient toutes sur un long corridor, dont les issues étaient strictement gardées. Le Roi s'établit dans la seconde cellule; la Reine et Madame Royale, dans la troisième; le Dauphin et Mme de Tourzel, dans la quatrième. La première servait d'antichambre; quelques vaillants serviteurs y veillaient sur la royauté déchue. Un souper improvisé fut servi; les enfants seuls y touchèrent. Au dehors, la foule grondait; on réclamait la tête de la Reine. «Que leur a-t-elle donc fait?» demanda tristement le Roi[1290]. Des misérables avaient pénétré jusque dans le corridor qui précédait la chambre du prince, en criant qu'ils l'égorgeraient s'il y avait dans Paris le moindre mouvement en sa faveur. D'autres essayaient d'escalader les fenêtres basses, sans volets ni grilles; ils montaient sur les épaules les uns des autres, pour «raccourcir le gros Veto[1291]». La Reine vint un moment dans la cellule de son mari; à cette heure encore, elle ne pouvait se consoler d'avoir quitté le Château sans essayer de résister: «Peut-être, dit-elle, cela aurait-il tourné autrement, si l'on avait fait attaquer de bonne heure les Marseillais.»—«Par qui» répondit Louis XVI avec un peu d'humeur. La malheureuse femme n'insista pas; au bout de quelques instants, elle retourna dans sa chambre, triste réduit tendu d'un papier vert défraîchi, et se jeta sur son lit, une dure couchette de moine[1292]. Mais, hélas! le sommeil ne visitait guère ses paupières. Ce ne fut que le matin, vers six heures, qu'elle put s'endormir un moment de ce sommeil lourd et si peu réparateur qui suit les grands brisements. Pour ne pas l'éveiller, Mme Élisabeth habilla elle-même les enfants; quand ils furent prêts, elle les amena à leur mère: «Pauvres enfants,» soupira l'infortunée souveraine, «qu'il est cruel de leur avoir promis un si bel héritage et de dire: Voilà ce que nous leur laissons. Tout finit avec nous[1293]!» Dans la précipitation du départ, on n'avait rien pu emporter des Tuileries, et depuis, les appartements avaient été pillés; la malheureuse famille royale n'avait plus rien, ni habits ni argent. On avait volé à Marie-Antoinette sa montre et sa bourse dans le trajet de l'Assemblée aux Feuillants[1294]. Un officier suisse, à peu près de la même taille que Louis XVI, envoya quelques objets pour servir au Roi; la duchesse de Gramont fit parvenir un peu de linge à la Reine; l'ambassadrice d'Angleterre, la duchesse de Sutherland, dont le fils avait le même âge que le Dauphin, donna des vêtements pour le jeune prince[1295], et la fille de Marie-Thérèse, n'ayant plus rien, dut accepter vingt-cinq louis d'une de ses femmes, Mme Auguié[1296]. Le matin, un certain nombre de femmes de la Reine, Mme Campan et sa sœur entre autres, purent la rejoindre. Elle leur tendit les bras en pleurant: «Venez, leur dit-elle, venez, malheureuses femmes, voir une femme plus malheureuse que vous, puisque c'est elle qui fait votre malheur.»—«Nous sommes perdus, ajouta-t-elle; nous voilà arrivés où l'on nous a menés, depuis trois ans, par tous les outrages possibles; nous succomberons sous cette terrible Révolution. Tout le monde a contribué à notre perte[1297].» Pendant trois jours, la famille royale demeura dans le couvent des Feuillants. Pendant trois jours, chaque matin, à dix heures, on la conduisit dans la misérable loge qui l'avait abritée au sortir du Château. Pendant trois jours, le Roi vit les pétitionnaires se succéder à la barre, demander la tête des Suisses qui avaient échappé au massacre ou exiger impérieusement sa propre déchéance. Il entendit l'Assemblée accorder une solde aux héros du 10 août, tandis quelle mettait en accusation le ministre de la guerre, d'Abancourt, et préluder à l'abolition de la royauté, qui légalement existait encore, en ordonnant le renversement des statues des Rois. Pendant trois jours, le monarque fut soumis à cette effroyable torture. Pendant trois jours, chaque soir, les prisonniers furent reconduits à leur cachot, sous l'escorte d'une garde nombreuse qui les défendait à peine de l'assassinat, mais qui ne les défendait pas des outrages. Un jour, dans le jardin du couvent, un jeune homme bien vêtu s'approcha de la Reine et, lui mettant le poing sous le nez: «Infâme Antoinette, dit-il, tu voulais faire baigner les Autrichiens dans notre sang; tu le paieras de ta tête!» A cette atroce insulte, la Reine ne répondit que par le silence du mépris[1298]. L'Assemblée avait décidé que la famille royale serait transférée au Luxembourg; mais le palais de Marie de Médicis ne parut pas assez sûr pour conserver de pareils otages: le Luxembourg, dit-on, offrait des moyens d'évasion par les souterrains qu'il renfermait. La Commune de Paris voulait les prisonniers plus près et plus dépendants d'elle. On proposa l'hôtel du Chancelier, place Vendôme; la proposition fut repoussée. Manuel, au nom de la Commune, vint signifier qu'elle avait fait choix du Temple; et l'Assemblée, s'inclinant devant le pouvoir nouveau que l'émeute avait élevé sur les ruines de la monarchie, s'empressa de déclarer que la famille royale serait enfermée au Temple. Quand la Reine entendit ce nom, elle frémit; je ne sais quel pressentiment sinistre l'agitait et, se penchant vers Mme de Tourzel: «Vous verrez, dit-elle, qu'ils nous mettront à la Tour et qu'ils en feront une véritable prison... J'ai toujours eu une telle horreur pour cette tour que j'ai prié mille fois le comte d'Artois de la faire abattre; c'était sûrement un pressentiment de tout ce que nous y aurons à souffrir..... Vous verrez si je me trompe[1299].» Hélas! elle ne se trompait pas. L'Assemblée décida en même temps que toutes les personnes étrangères à la domesticité du Roi seraient éloignées de lui. «Ah!» s'écria l'infortuné prince, «je suis donc prisonnier! Charles Ier fut plus heureux que moi: on lui laissa ses amis jusque sur l'échafaud[1300]!» Et se tournant vers ceux qui l'entouraient, il leur ordonna de se retirer: «Messieurs,» leur dit la Reine, les larmes aux yeux, «ce n'est que dans ce moment que nous sentons toute l'horreur de notre position; vous l'adoucissiez par votre présence et votre dévouement, et l'on nous prive de cette dernière consolation[1301].» Avant de partir, les dévoués serviteurs déposèrent sur une table l'or et les assignats qu'ils avaient dans leurs poches: ils savaient que la famille royale manquait de tout. Le Roi s'en aperçut et, repoussant doucement de la main ce suprême hommage de la fidélité: «Messieurs, dit-il, gardez vos portefeuilles; vous avez, j'espère, plus longtemps à vivre[1302].» Le 13 août, à six heures du soir[1303], deux grandes voitures de la Cour, attelées chacune de deux chevaux, s'arrêtent à la porte du couvent des Feuillants; les cochers et les valets de pied sont vêtus de gris; c'est la dernière fois qu'ils vont servir leurs maîtres déchus. Le Roi, la Reine, leurs enfants, Mme Élisabeth, la princesse de Lamballe, Mme de Tourzel et sa fille, le maire, le procureur de la Commune et un officier municipal montent dans la première voiture. Le Roi, la Reine, le Dauphin et Madame sont dans le fond[1304]; Mme Élisabeth, Mme de Lamballe et Pétion, sur le devant; Mme de Tourzel et sa fille, à l'une des portières; Manuel et le municipal Collonge, sur la banquette en face[1305]. Oublieux des plus vulgaires égards, ces deux hommes et Pétion gardent leur chapeau sur la tête. Dans le second carrosse s'installent deux officiers municipaux et la suite de la famille royale. Le Roi conserve un visage impassible; la Reine est sombre; le Dauphin, avec l'insouciance de son âge, tourne les yeux de tous côtés pour voir la foule[1306]. Le cortège se met en mouvement. Des gardes nationaux, à pied, l'arme renversée, entourent les voitures; mais des milliers de brigands[1307], armés de piques, se mêlent à l'escorte, vomissant des injures et des blasphèmes; parfois l'encombrement est si grand que les chevaux ne peuvent avancer. Alors Pétion et Manuel mettent la tête à la portière, pour réclamer le passage, mais ne font rien pour empêcher les insultes. Sur la place Vendôme, le carrosse du Roi s'arrête; on veut que le monarque déchu contemple à loisir la statue de Louis XIV qu'une populace en délire a renversée de son piédestal. «Voilà, Sire, comme le peuple traite les rois,» dit Manuel.—«Il est heureux, Monsieur,» réplique Louis XVI, rouge d'indignation, «que sa fureur ne s'exerce que sur des objets inanimés[1308].» Le cortège reprend par les boulevards[1309] sa marche lente et sans cesse embarrassée par des obstacles. Ce long martyre va durer près de deux heures et demie[1310]. Les voitures avancent au pas, au milieu des masses compactes et hostiles qui crient: _Vive la nation! A bas le Roi!_ Les officiers municipaux, chargés d'escorter les prisonniers, affectent de s'associer à ces cris et même de les provoquer. «Il est impossible, dit un témoin oculaire non suspect, de décrire cette ignominie[1311].» La nuit se fait déjà lorsqu'on arrive au Temple. Par une odieuse ironie, les fenêtres sont illuminées comme pour une fête; le salon est éclairé par une infinité de bougies[1312], et c'est à la lueur sinistre des lampions qui insultent à sa déchéance que la famille royale fait son entrée dans la cour du Palais. Santerre le premier vient au devant d'elle et fait signe aux voitures d'avancer jusqu'au perron; mais un geste des municipaux contremande l'ordre de Santerre et les augustes prisonniers doivent descendre au milieu de la cour. Les membres de la Commune se tiennent près du Roi, le chapeau sur la tête, et ne lui donnant d'autre titre que celui de _Monsieur_; un homme à longue barbe, nommé Truchon, affecte même de répéter à tous propos cette qualification. La foule hurle aux abords du Palais; pour éclairer sa joie bruyante et mieux mettre en lumière la défaite de la royauté, on a placé des lampions sur les parties saillantes des murs extérieurs[1313]. Il est huit heures et demie du soir; les portes se referment avec un bruit lugubre, et dans ce palais, transformé pour elle en cachot, la famille royale ne va pas tarder à voir se réaliser cette prophétique parole d'un de ses plus fidèles amis: «L'histoire nous apprend combien est court, pour les monarques détrônés, le passage de la prison à la tombe[1314]!» CHAPITRE XXII Le Temple.—Description.—Le palais du grand prieur.—La Tour du Temple.—La grosse et la petite Tour.—La famille royale est enfermée provisoirement dans la petite Tour.—Le 19 août, on la sépare de ceux qui l'ont accompagnée.—Vie des prisonniers.—Sentiments de la Reine sur l'invasion.—Cléry entre à la Tour.—Les journées de septembre.—On apporte sous les fenêtres du Temple la tête de la princesse de Lamballe.—Outrages aux prisonniers.—Turlot et Rocher.—Abolition de la royauté.—Le Roi est transféré dans la grosse Tour.—La famille royale y est transférée à son tour.—Le Dauphin est séparé de sa mère et remis à son père. Le Temple! Quelle somme d'inénarrables douleurs rappelle ce nom! Tout ce que la haine peut inventer de tortures, tout ce que la brutalité peut imaginer d'insultes, la famille royale l'a souffert. Toutes les amertumes qui peuvent abreuver le cœur d'un homme ou d'un roi, Louis XVI les a ressenties. Toutes les larmes que peuvent contenir les yeux d'une femme et d'une reine, Marie-Antoinette les a versées. Des cinq prisonniers, sur lesquels se fermaient, le 13 août au soir, les portes du Temple, trois ne devaient en franchir le seuil que pour monter à l'échafaud. Le quatrième, un enfant, ah! la mort prompte eût été plus douce que le long et abominable supplice auquel allait le condamner l'infamie de ses bourreaux! L'enclos du Temple, dans lequel venaient d'être introduits les prisonniers, renfermait deux bâtiments bien différents: l'un, vaste hôtel sans style, appelé palais du grand Prieur, ancienne résidence des Vendôme et des Conti, et en dernier lieu du comte d'Artois; l'autre, tour carrée à quatre étages, surmontée d'un toit pointu et flanquée aux quatre angles de tourelles rondes aux toits aigus. A la grande Tour, était adhérente une tour plus petite et plus basse, ornée de deux tourelles en poivrière, et sans communication directe avec le bâtiment principal. La petite porte qui y donnait accès ressemblait au guichet d'une prison[1315]. Les étages, beaucoup plus bas que ceux de la grosse Tour, ne contenaient guère chacun que deux pièces et un cabinet placé dans une des tourelles; l'autre tourelle renfermait un escalier en colimaçon, qui montait jusqu'à la plate-forme. Un escalier plus large, mais se rétrécissant à mesure qu'il s'élevait, partait du rez-de-chaussée et reliait les étages entre eux. C'est dans ce bâtiment, qui avait servi de logement au conservateur des archives du Temple, M. Barthélemy, que fut conduite la famille royale. Elle devait y rester jusqu'à ce que les appartements qu'on lui destinait dans la grosse Tour fussent prêts. Le souper était à peine fini, triste souper, auquel, dit Mme de Tourzel, «personne n'était tenté de toucher[1316],» qu'un municipal s'empara du Dauphin, qui tombait de sommeil, et, lui faisant traverser un souterrain, l'emporta rapidement dans sa chambre. Mme de Tourzel le suivit aussi vite qu'elle put, coucha l'enfant et s'assit sur une chaise, plongée dans de mornes réflexions. Bientôt la Reine vint la rejoindre, lui serra la main, en murmurant: «Ne vous l'avais-je pas bien dit?»—«Et, s'approchant du lit de cet aimable enfant, qui dormait profondément, les larmes lui vinrent aux yeux en le regardant. Mais loin de se laisser abattre, elle reprit sur-le-champ ce grand courage qui ne l'abandonna jamais, et elle s'occupa de l'arrangement des chambres de ce triste séjour[1317].» La Reine fut installée au deuxième étage, dans l'ancien salon de M. Barthélemy. Le mobilier, dont une main pieuse nous a laissé la description, conservait les restes d'un certain luxe: il était en lampas bleu et blanc[1318]. Madame Royale avait un petit lit dans la chambre de sa mère. Mmes de Tourzel et Saint-Brice couchaient dans la chambre du Dauphin; Mme de Lamballe, dans une antichambre obscure qui réunissait les deux pièces. Dans la tourelle attenant à la chambre du jeune prince, était la garde-robe, commune à la famille royale, aux municipaux et aux soldats; il fallait, pour s'y rendre, traverser la chambre du Dauphin. Le Roi occupait le troisième étage; son appartement avait été meublé à la hâte; sur les murs pendaient des gravures peu décentes; il les enleva lui-même: «Je ne veux pas, dit-il vivement, laisser cela sous les yeux de ma fille.» La petite tourelle lui servait de cabinet de lecture. Dans un tout petit réduit à côté logeaient Hue et Chamilly. Mme Élisabeth avait été établie dans une ancienne cuisine, horriblement sale; elle avait fait mettre un lit de sangle près d'elle pour Mlle de Tourzel; mais il était difficile de dormir. La pièce qui précédait cette cuisine servait de corps de garde, et l'on peut juger du bruit qui s'y faisait[1319]. La chambre de la Reine étant plus grande, puisqu'elle avait servi de salon, c'était là qu'on se réunissait dans la journée; le Roi lui même y descendait dès le matin. Mais les prisonniers n'avaient pas la consolation d'être seuls: un municipal, qui changeait d'heure en heure, était toujours dans la pièce où ils se tenaient. «La famille royale leur parlait à tous avec une telle bonté, dit Mme de Tourzel, qu'elle parvint à en adoucir plusieurs[1320].» Au moment du repas, on descendait au premier étage où se trouvait la salle à manger[1321]; à côté de la salle à manger était une bibliothèque, qui contenait de douze à quinze cents volumes. Vers cinq heures du soir, on se promenait au jardin, promenade pénible où l'on était exposé à toutes les insultes, mais dont le Roi et la Reine n'hésitaient pas à affronter les ennuis pour procurer un peu d'air à leurs enfants[1322]. De là ils voyaient travailler à leur prison. Les travaux de défense, décidés par la Commune le 13 août, et confiés à Palloy, le démolisseur de la Bastille, se poursuivaient avec ardeur, quoique avec une certaine indécision. On creusait un large fossé; on exhaussait les murs; on abattait les arbres voisins de la Tour; on masquait les fenêtres par où l'on pouvait voir en dehors de l'enceinte. La captivité se resserrait; elle allait devenir encore plus dure par l'isolement. Dans la nuit du 19 au 20 août[1323], deux municipaux se présentèrent au Temple, chargés, disaient-ils, d'emmener «toutes les personnes qui n'étaient pas de la famille Capet». La Reine voulut en vain retenir Mme de Lamballe, alléguant qu'elle était sa parente[1324]; on refusa d'écouter ses réclamations. «Dans la position où nous étions, dit Mme de Tourzel, il n'y avait qu'à obéir[1325].» Madame Royale était «tout interdite»; la Reine manifestait la plus vive douleur, surtout de se séparer de son amie; elle ne pouvait s'arracher de ses bras[1326]. «Soignez bien Mme de Lamballe, dit-elle à Mme de Tourzel et à sa fille. Dans toutes les occasions essentielles, prenez la parole, et évitez-lui autant que possible d'avoir à répondre à des questions captieuses et embarrassantes[1327].» Mme Élisabeth descendit à son tour, encourageant ses malheureuses amies. «Nous embrassâmes pour la dernière fois ces augustes princesses, raconte Mme de Tourzel, et nous nous arrachâmes, la mort dans l'âme, d'un lieu qui nous rendait si chère la pensée de pouvoir être de quelque consolation à nos malheureux souverains[1328].» Les municipaux avaient promis que les prisonniers reviendraient au Temple après avoir été interrogés par la Commune[1329]. Hue revint seul le lendemain. Mmes de Tourzel et de Lamballe furent enfermées à la Force. On sait comment elles en sortirent et sous quel sanglant aspect la belle tête bouclée de Mme de Lamballe reparut sous les murs du Temple. L'isolement était complet et les infortunés princes durent se faire à la vie nouvelle et désormais solitaire que leur infligeait la Commune. Mme Élisabeth descendit du troisième étage au second et prit la place du Dauphin, dont le lit avait été transporté dans la chambre de sa mère; Madame Royale fut réunie à sa tante. Dès lors, réduits à eux-mêmes, les captifs tracèrent le programme de leur journée, programme qui resta le même, avec peu de variations, jusqu'à la translation dans la grosse Tour, le 26 octobre. Le Roi se levait entre six[1330] et sept[1331] heures, se rasait, s'habillait, et passait dans la tourelle, où il restait à prier et à lire jusqu'à neuf heures. La Reine et le Dauphin se levaient plus tôt encore; car en descendant chez eux, à huit heures, Hue d'abord, Cléry ensuite, les trouvaient toujours debout. Ces premières heures de la journée étaient les seules où la malheureuse femme fût libre; les municipaux entraient avec le valet de chambre et ne la quittaient plus. A neuf heures, Marie-Antoinette, Mme Élisabeth et les enfants montaient chez le Roi pour déjeuner. A dix heures, l'on redescendait dans la chambre de la Reine, où l'on passait la journée. Le Roi continuait alors l'éducation de son fils; il lui enseignait le latin, lui faisait réciter des passages de Corneille et de Racine, lui donnait des leçons de géographie et l'exerçait à lever des cartes. L'intelligence précoce du jeune prince répondait aux soins de son père. La Reine, de son côté, s'occupait de sa fille, l'instruisait des principes de la religion et faisait succéder à ces graves enseignements des leçons de musique et de dessin. Le reste de la journée se passait pour elle à coudre, à tricoter et à faire de la tapisserie, quand il ne fallait pas réparer les vêtements du Roi[1332]. A midi, les trois princesses passaient dans la chambre de Mme Élisabeth, pour quitter leur costume du matin[1333], une robe de basin blanc et un simple bonnet de linon, et prendre un vêtement de toile fond brun à petites fleurs[1334]. A une heure, quand le temps était beau, la famille royale descendait au jardin; quatre municipaux et un chef de bataillon de la garde nationale l'accompagnaient. On se promenait dans la grande allée de marronniers, et le jeune prince jouait au palet, à la balle ou à la course. Mais quel supplice que ces promenades, au milieu de visages hostiles, de cris injurieux, de chansons insultantes[1335], de misérables qui affectaient de se couvrir devant les royaux prisonniers! Et lorsqu'on traversait le guichet, si bas qu'on était obligé de se courber pour passer dessous, il fallait recevoir les bouffées de tabac et les rires outrageants des geôliers Rocher et Risbey. Rocher, de sellier devenu municipal, se vantait de son insolence. «Marie-Antoinette faisait la fière, disait-il en ricanant; mais je l'ai forcée de s'humaniser. Sa fille et Élisabeth me font, malgré elles, la révérence; le guichet est si bas que, pour passer, il faut bien qu'elles se baissent devant moi. Chaque fois, je flanque à cette Élisabeth une bouffée de la fumée de ma pipe. Ne dit-elle pas l'autre jour à nos commissaires: «Pourquoi donc Rocher fume-t-il toujours?»—«Apparemment que cela lui plaît,» répondirent-ils[1336].» A deux heures, on remontait dans la Tour; c'était l'heure du dîner. Santerre venait fréquemment y assister; le Roi lui adressait parfois la parole; la Reine, jamais. Après le repas on se rendait dans la chambre de la Reine pour jouer au piquet ou au trictrac. A quatre heures, le Roi se reposait un moment pendant que les princesses lisaient; à son réveil, on reprenait la conversation; le jeune prince travaillait ou jouait. A la fin du jour[1337], la famille royale se réunissait autour d'une table; la Reine ou Mme Élisabeth faisait à haute voix une lecture instructive ou amusante, mais pendant laquelle des rapprochements imprévus et douloureux se présentèrent plus d'une fois. Le Roi y ajoutait des énigmes à deviner, puisées dans une collection du _Mercure de France_, qu'il avait trouvée dans la bibliothèque. A huit heures, le Dauphin soupait et se couchait; c'était toujours sa mère qui lui faisait réciter sa prière. L'enfant ne manquait jamais d'y ajouter une prière spéciale pour Mme de Tourzel et Mme de Lamballe; quand les municipaux étaient là, il faisait ces deux prières à voix basse[1338]. A neuf heures, le Roi soupait à son tour; pendant ce temps-là, Marie-Antoinette ou Mme Élisabeth se relayaient auprès du Dauphin. Après le souper, Louis XVI serrait à la dérobée la main de sa femme et de sa sœur, recevait les caresses de Madame Royale et remontait au troisième étage. La Reine et les princesses se renfermaient chez elles; un municipal restait dans la petite pièce qui séparait les deux chambres et y passait la nuit[1339]. Telle était la vie que menaient les augustes prisonniers: vie si calme et si régulière en apparence, si tourmentée et si sombre en réalité, partagée entre des travaux manuels et l'éducation des enfants; vie de devoir et de souffrance, où il n'y avait qu'une force: la satisfaction de la conscience; qu'un sourire: les ébats joyeux du Dauphin. Les jours s'écoulaient, ramenant leur cortège d'anniversaires douloureux et d'incessantes vexations. Vêtements, linge, couverts étaient en si petite quantité que cela suffisait à peine pour le service journalier. Le Roi n'avait qu'un habit, que Mme Élisabeth était obligée de raccommoder la nuit[1340]; le Dauphin couchait dans des draps troués. L'Assemblée avait décrété que Louis XVI recevrait pour ses dépenses personnelles cinq cent mille livres. Mais le décret n'était pas exécuté et le malheureux monarque était tellement dépourvu d'argent qu'un jour il dut emprunter six cents francs à son valet de chambre pour solder une note de cinq cent vingt-six livres[1341]. On lui refusait des journaux, et le fidèle Hue ne pouvait avoir de nouvelles et en donner à son maître qu'en se hissant jusqu'à une fenêtre à demi bouchée et en écoutant les crieurs de la rue. Un jour, cependant, on avait laissé une gazette en vue dans la chambre du prisonnier; c'est parce qu'on avait inscrit dessus ces mots menaçants que les factionnaires, de leur côté, se plaisaient à graver sur les murs: «Tremble, tyran; la guillotine est en permanence[1342].» On n'était large que pour les frais des travaux destinés à la garde des prisonniers; pour ceux-là, on dépensait sans compter[1343]. Les geôliers espionnaient tout, même l'éducation des enfants. Pendant que la Reine donnait ses leçons à Madame Royale et lui préparait des extraits, un municipal regardait par-dessus l'épaule de la jeune fille, pour s'assurer que ce n'étaient pas des conspirations[1344]. Un jour, on avait failli ne pas laisser entrer des modèles de dessin envoyés par le professeur de la princesse, Van Blaremberg, parce qu'on avait vu, dans ces têtes casquées et laurées, l'image des tyrans coalisés. On dut renoncer à apprendre au Dauphin l'arithmétique: c'était un langage hiéroglyphique, qui devait servir à une correspondance chiffrée[1345]! Tout ce qui entrait à la Tour était rigoureusement visité; le pain était coupé en deux; les plats étaient goûtés; les carafes et cafetières ne pouvaient être remplies qu'en présence des commissaires[1346]. Un jour, on avait fait venir pour le Dauphin un damier; un municipal, du nom de Molinon, fit décoller toutes les cases pour s'assurer qu'il n'y avait rien de caché dessous. Le Roi lui-même n'était pas à l'abri de ces investigations; on fouillait jusque dans ses poches[1347]. Dans la nuit du 24 au 25 août,—jour de sa fête!—on lui enleva son épée. La nuit suivante, un municipal, nommé Venineux, vint, un gourdin noueux à la main, faire une perquisition dans l'appartement du prince, sous prétexte qu'il aurait pu s'évader. D'autres s'opiniâtraient à rester le soir dans la chambre de la Reine jusqu'à l'heure de son coucher et l'on avait une peine infinie à les faire sortir[1348]. La plupart de ces hommes affectaient vis-à-vis des captifs l'attitude la plus insolente et les propos les plus grossiers, chantant la _carmagnole_ et des chansons obscènes[1349]. «Si le bourreau ne guillotinait pas cette sacrée famille, disait le municipal Turlot, je la guillotinerais moi-même[1350].»—«Quel quartier habitez-vous?» demanda un jour la Reine à un autre municipal qui assistait au dîner—«La Patrie», répondit-il brutalement—«La Patrie!» reprit tristement la Reine, «ah! c'est la France[1351].» C'était le moment où les armées coalisées s'avançaient, presque sans résistance, sous le commandement du duc de Brunswick. Marie-Antoinette, qui l'avait appris par Hue, n'ignorait pas non plus la surexcitation que la nouvelle des succès des Prussiens avait causée parmi les Jacobins et le redoublement de colère qui en était résulté contre elle et contre le Roi. Et voici ce que cette femme, accusée d'avoir préparé la ruine et le démembrement de la France, disait à son dévoué confident: «Tout m'annonce que je vais être séparée du Roi. J'espère que vous resterez avec lui. Comme Français, comme l'un de ses plus fidèles serviteurs, pénétrez-vous bien des sentiments que vous devez toujours lui exprimer et que je lui ai souvent manifestés. Rappelez au Roi, quand vous pourrez lui parler seul, que jamais l'impatience de briser nos fers ne peut arracher de lui aucun sacrifice indigne de sa gloire. _Surtout point de démembrement de la France._ Que, sur ce point, aucune considération ne l'égare; qu'il ne s'effraye ni pour sa sœur, ni pour moi. Représentez-lui que toutes deux nous préférons voir plutôt notre captivité indéfiniment prolongée que d'en devoir la fin à l'abandon de la moindre place forte. Si la divine Providence nous fait recouvrer notre liberté, le Roi a résolu d'aller établir momentanément sa résidence à Strasbourg. C'est également mon désir. Il se pourrait que cette ville importante fût tentée de reprendre sa place dans le corps germanique. Il faut l'en empêcher et la conserver à la France... _L'intérêt de la France avant tout[1352]._» On sait quelle fut à ces patriotiques sentiments la réponse de la Convention. Hue ne pouvant suffire au service de la famille royale tout entière, Louis XVI avait demandé qu'on lui adjoignît un homme de peine. On fit droit à cette demande, mais ce fut pour envoyer un ancien employé aux barrières, nommé Tison, vendu à la Commune. Cet homme et sa femme vinrent s'installer au Temple, moins comme domestiques que comme espions. Quelques jours après, le 26 août, un nouvel auxiliaire fut donné à Hue, mais celui-là, quelles qu'eussent été au début les préventions contre lui, se montra fidèle et dévoué jusqu'au bout: c'était Cléry, ancien valet de chambre du Dauphin. Le 2 septembre, une animation inaccoutumée se produisit autour du Temple. Le Roi et sa famille étaient descendus, comme d'habitude, au jardin; on les fit rentrer précipitamment pour les soustraire aux pierres qu'on leur jetait des fenêtres[1353]. Vers cinq heures, un municipal ex-capucin, nommé Mathieu, entra comme un furieux dans la chambre de la Reine, où toute la famille royale était réunie, et s'adressant au Roi: «Monsieur, dit-il, vous ignorez ce qui se passe. La générale a battu; le tocsin a sonné; le canon d'alarme a été tiré; les émigrés sont à Verdun. S'ils viennent, nous périrons tous, mais vous périrez le premier[1354].»—«J'ai tout fait pour le bonheur du peuple, répondit le prince, il ne me reste plus rien à faire[1355].» Le Dauphin effrayé s'enfuit en pleurant. Mathieu se retourna vers Hue: «Je vous arrête,» dit-il; et, lui laissant à peine le temps de faire un paquet de ses vêtements, il l'emmena à l'Hôtel-de-Ville. Après cette scène violente, la Reine ne put dormir de la nuit. L'agitation croissait dans Paris; la générale battait[1356]. Le 3, à huit heures du matin, Manuel vint à la Tour et assura le Roi que Mme de Lamballe et toutes les personnes enlevées du Temple se portaient bien et étaient tranquilles à la Force[1357]. A une heure, Louis XVI voulut descendre au jardin; les municipaux s'y opposèrent[1358]. Vers trois heures, on entendit des cris affreux. Une foule composée d'hommes déguenillés, de femmes ivres, d'enfants en haillons, entourait le Temple, hurlant des chansons révolutionnaires et des menaces de mort; on distinguait les cris: _la Lamballe, l'Autrichienne_. C'étaient les assassins de l'infortunée princesse de Lamballe, qui avaient traîné jusque-là son corps défiguré et le lavaient dans la fontaine du Temple, pour le montrer à sa royale amie. Sa chemise, souillée de boue et de sang, était arborée au bout d'une pique comme un hideux trophée. Au bout d'une autre pique était fixée la tête de la malheureuse victime: ses longs cheveux bouclés, que, par un raffinement horrible, on avait pris soin de poudrer et de friser, flottaient autour du sanglant instrument. Incertains de ce qu'ils devaient faire, n'osant tenter une résistance «impolitique, dangereuse et _peut-être injuste_[1359]», les commissaires s'étaient contentés de tendre au travers de la porte une écharpe tricolore. La bande, un moment arrêtée, grondait devant cette barrière improvisée. On lui refusa l'entrée de la Tour, mais on lui permit celle du jardin. Le municipal Danjou la harangue, et la foule mobile, convaincue peut-être par le sinistre argument de l'orateur[1360], renonce à pénétrer dans la prison. Laissant dans la rue le cadavre de la princesse, mais emportant la tête, à la grande joie du guichetier Rocher, elle se répand sous les fenêtres, vociférant et hurlant; les ouvriers qui travaillent à la Tour et Rocher lui-même se joignent à elle, et tous ensemble, résolus à se donner au moins le plaisir de la douleur et des «grimaces» des prisonniers, appellent à grands cris la famille royale; quelques-uns ajoutent: «Si l'Autrichienne ne se montre pas, il faut monter jusqu'à elle et lui faire baiser la tête de la Lamballe[1361].» Le Roi sortait de table; il faisait une partie de trictrac avec la Reine[1362]. Cléry était descendu pour dîner avec Tison et sa femme, lorsque celle-ci pousse un cri et s'évanouit: elle avait vu la tête de la princesse. Cléry remonte précipitamment; sa figure est tellement bouleversée que la Reine s'en aperçoit: «Pourquoi n'allez-vous pas dîner?» demande-t-elle—«Madame, je suis indisposé.»—Le municipal de service ferme la porte et, s'approchant de la fenêtre, en fait tirer les rideaux[1363]. Plusieurs municipaux et officiers de la garde arrivent. Le Roi leur demande si sa famille est en sûreté. «On fait courir le bruit, répondent-ils, que vous et votre famille n'êtes plus dans la Tour; on demande que vous paraissiez à la croisée; mais nous ne le souffrirons pas. Le peuple doit montrer plus de confiance en ses magistrats.» Les cris redoublent au dehors; on entend distinctement les injures vomies contre la Reine. Le bandit qui tient la tête de Mme de Lamballe est monté sur les décombres des maisons qu'on a abattues pour isoler la Tour, afin de rapprocher davantage du mur son hideux trophée; un autre porte au bout d'un sabre le cœur sanglant de l'infortunée princesse. Un nouveau municipal survient, escorté de quatre hommes députés par le peuple, pour s'assurer que les captifs sont bien encore au Temple. L'un de ces hommes, en habit de garde national, ayant deux épaulettes et armé d'un grand sabre[1364], insiste pour que les prisonniers se mettent aux fenêtres. Les municipaux s'y opposent. «Non, n'y allez pas, quelle horreur!» s'écrie l'un d'eux?, nommé Menessier[1365]. Une altercation s'engage; le Roi en demande la cause: «Eh bien! Monsieur, réplique brutalement le garde national, puisque vous voulez le savoir, c'est la tête de Mme de Lamballe qu'on veut vous montrer[1366]. Je vous conseille de paraître si vous ne voulez pas que le peuple monte ici[1367].» A cette atroce révélation, la Reine tombe évanouie; «c'est le seul moment, dit Madame Royale, où sa fermeté l'ait abandonnée[1368].» Mme Elisabeth et Cléry la relèvent et la placent dans un fauteuil; ses enfants fondent en larmes; l'homme reste là, insensible à cette douleur. «Monsieur,» ne peut s'empêcher de dire le Roi, «nous nous attendons à tout; mais vous auriez pu vous dispenser d'apprendre à la Reine ce malheur affreux.» Ce fut sa seule vengeance. Quand, un peu plus tard, Malesherbes lui demanda le nom de ce misérable: «Celui-là, dit-il, je n'avais pas besoin de le connaître.» L'homme sortit avec ses camarades; «leur but était rempli[1369].» La Reine, revenue à elle, mêla ses larmes à celles de ses enfants et passa, avec sa famille, dans la chambre de Mme Élisabeth, d'où l'on entendait moins les clameurs de la foule. Les assassins étaient toujours là, avec leur abominable trophée. Ce ne fut qu'après de nouveaux et longs pourparlers qu'on put les décider à s'éloigner. Il était huit heures du soir, lorsque le calme se rétablit autour du Temple. Est-il besoin d'ajouter qu'après cette horrible scène la malheureuse Marie-Antoinette ne dormit pas? «Elle passa la nuit à prier et à sangloter[1370].» Mais l'ingénieuse cruauté des persécuteurs n'était pas épuisée. Chaque jour, c'était quelque vexation nouvelle, quelque nouvelle insulte des geôliers. Quand la Reine remontait du jardin à sa chambre, une parodie des couplets de _Marlborough_: Madame à sa tour monte; Ne sait quand descendra, hurlée par des voix avinées, la saluait méchamment au passage[1371]. On plaçait, sous les yeux du Roi et de sa famille, les numéros les plus ignobles du _Père Duchesne_, ou des caricatures infâmes, des inscriptions haineuses: _Madame Veto la dansera..... Nous saurons mettre le gros cochon au régime..... Il faut étrangler les petits louveteaux._ Tantôt c'était une potence à laquelle pendait un cadavre, crayonnée avec ces mots: _Louis prenant un bain d'air_; tantôt une guillotine, au bas de laquelle on lisait: _Louis crachant dans le sac_. Un jour, que je ne sais quelle panique s'était répandue dans Paris, annonçant la marche victorieuse et l'entrée prochaine des armées coalisées, Rocher, l'injure à la bouche, la rage dans les yeux, gravit précipitamment l'escalier et, mettant le poing sous la figure du Roi: «S'ils arrivent, hurla-t-il, je te tue[1372].» «Un soir, raconte Madame Royale, un municipal, en arrivant, dit mille injures et menaces, et répéta ce qui nous avait déjà été dit, que nous péririons tous, si les ennemis approchaient. Il ajouta que mon frère seul lui faisait pitié, mais qu'étant fils d'un tyran, il devait mourir. Voilà les scènes que ma famille avait à supporter tous les jours[1373].» Le 21 septembre, la Convention succédait à la Législative; le même jour, sur la proposition d'un histrion de bas étage, Collot-d'Herbois, elle décrétait l'abolition de la royauté. Le soir, à quatre heures, le municipal Lubin, escorté de quatre gendarmes à cheval et d'une nombreuse populace, vint proclamer cette décision sous les fenêtres du Temple. Lubin avait une voix de Stentor. La famille royale put entendre distinctement les termes du décret qui rompait ainsi solennellement avec les séculaires traditions de la France. Hébert, le trop fameux _Père Duchesne_, et Destournelles, qui fut depuis ministre des contributions publiques, étaient à ce moment de garde au Temple; pendant la lecture de Lubin, ils regardaient le Roi avec une curiosité méchante. Le Roi s'en aperçut; sans manifester d'émotion, il continua de lire un livre qu'il avait à la main. La Reine montra la même fermeté; pas un signe qui pût donner à ces misérables la basse jouissance qu'ils cherchaient[1374]. Le même soir, Cléry, ayant à demander pour le jeune prince des rideaux et des couvertures, formula ainsi sa requête: «Le Roi demande pour son fils...»—«Vous êtes bien hardi, lui dit Destournelles, de vous servir d'un titre aboli par la volonté du peuple. Vous pouvez dire à _Monsieur_, dit-il en montrant Louis XVI, de cesser de prendre un titre que le peuple ne reconnaît plus.» Le Roi ne sourcilla pas. Le lendemain, Mme Élisabeth recommanda à Cléry d'écrire désormais: «Il est nécessaire pour le service de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Louis-Charles, etc[1375].» Le 29, cinq ou six municipaux se présentèrent dans la chambre de la Reine, où toute la famille était réunie. L'un d'eux, nommé Charbonnier, fit lecture d'un arrêté de la Commune qui ordonnait d'«enlever papier, encre, plumes, crayons et même les papiers écrits, tant sur la personne des détenus que dans leurs chambres, ainsi qu'au valet de chambre et autres personnes de service à la Tour; de ne leur laisser aucune arme quelconque, offensive ou défensive; en un mot de prendre toutes les précautions nécessaires pour ôter tout commerce de _Louis le Dernier_ avec autre personne que les officiers municipaux[1376]». Le Roi et les princesses durent remettre ce qu'ils avaient; les commissaires fouillèrent dans les chambres, dans les armoires, cherchant partout, «même avec dureté[1377],» et emportant les objets désignés dans l'arrêté. Néanmoins, la Reine et Madame Royale réussirent à cacher et à conserver leur crayon[1378]. Le soir du même jour, comme le Roi venait de souper et s'apprêtait à remonter dans sa chambre, un municipal lui dit d'attendre. Un quart d'heure après, les six municipaux qui étaient déjà venus le matin, Hébert en tête[1379], reparurent et lurent un nouvel arrêté, ordonnant la séparation des prisonniers[1380] et la translation immédiate du Roi dans la grosse Tour. Quoique prévenu de cette résolution, le Roi en fut vivement affecté; la Reine fondit en larmes. Mais Hébert ne se laissait pas attendrir. Il fallut se quitter. Cléry accompagna son maître dans sa nouvelle prison. Malgré les instances de Santerre, et quoiqu'on eût appliqué à ces travaux une partie des cinq cent mille francs destinés à l'entretien de la famille royale, l'appartement du monarque déchu était à peine achevé; pas de meubles dans la chambre: un lit seulement; les peintres et les colleurs travaillaient encore, et l'odeur était insupportable. Cléry passa la première nuit sur une chaise, dans la chambre du Roi; le lendemain, le prince obtint que son valet de chambre occupât une petite pièce près de lui. A l'heure habituelle, à neuf heures, le Roi voulut se rendre chez sa femme pour déjeuner; on ne le lui permit pas. La Reine, Mme Élisabeth et les enfants furent servis à part; la Reine ne voulut rien prendre. Sa douleur était sombre et morne[1381]. A dix heures, Cléry entra, avec des municipaux; il venait chercher des livres pour le Roi. A sa vue, la douleur des prisonnières redoubla; elles fondaient en larmes et firent au fidèle serviteur mille questions, auxquelles il ne put répondre qu'avec réserve, à cause de la présence des municipaux. La Reine, s'adressant à ces derniers, renouvela vivement sa demande d'être réunie à son mari, au moins quelques instants et à l'heure des repas. «Ce n'étaient plus des plaintes ni des larmes, dit Cléry,c'étaient des cris de douleur.»—«Eh bien! dit un municipal effrayé ou touché par cette explosion, ils dîneront ensemble aujourd'hui; nous ferons demain ce que la Commune prescrira.» Ses collègues y consentirent, mais intimèrent la défense de parler bas et en langue étrangère; il fallait parler haut et _en bon français_[1382]. Quoique la faveur fût bien mince, la joie fut immense. La Reine, ses enfants dans les bras, Mme Élisabeth, les mains levées au ciel, remerciaient Dieu de ce bonheur inattendu. Les municipaux eux-mêmes se sentirent attendris; quelques-uns ne purent retenir leurs larmes. L'un d'eux, l'un des plus atroces, le savetier Simon, cette hideuse figure qu'on commence à voir apparaître dans l'histoire du Temple, dit assez haut: «Je crois que ces b... de femmes me feraient pleurer.» Et s'adressant à Marie-Antoinette: «Lorsque vous assassiniez le peuple, au 10 août, vous ne pleuriez point.»—«Le peuple est bien trompé sur nos sentiments,» répliqua doucement la pauvre femme[1383]. Le dîner fut servi dans la chambre du Roi, où toute la famille se rendit; si douloureux que fût ce revoir, on avait tant souffert de la séparation que la réunion fut presque joyeuse. On n'entendit plus parler de l'arrêté de la Commune et les prisonniers purent se retrouver chaque jour à l'heure des repas, ainsi qu'à la promenade, vers midi. «Le matin, dit Madame Royale, nous restions le temps nécessaire pour que Cléry pût nous peigner, parce qu'il ne pouvait plus venir chez ma mère, et que c'était gagner quelques moments pour rester plus longtemps avec mon père[1384].» Le malheur rend ingénieux. Grâce à d'habiles combinaisons, grâce à la complicité dévouée d'un ancien officier de la bouche du Roi, nommé Turgy, qui avait trouvé moyen de se faire attacher au service de la Tour avec deux de ses camarades, Marchand et Chrétien, grâce parfois à la bonne volonté de certains municipaux, meilleurs que les autres, Cléry réussissait à se procurer quelques nouvelles et à les communiquer aux captifs. Soupçonna-t-on ce pieux complot? Le 26 octobre, Cléry fut traduit devant le tribunal révolutionnaire. L'interrogatoire heureusement fut favorable, et le soir, à minuit, le valet de chambre vint reprendre son service au Temple. Pendant sa courte absence, un grand changement s'était opéré dans l'existence des prisonniers. La Reine, ses enfants et Mme Élisabeth, avaient été transférés dans la grosse Tour. Depuis un mois, les pauvres femmes soupiraient après ce transfert qui les réunissait du moins sous le même toit que Louis XVI; mais on se tromperait, si l'on attribuait à un sentiment de compassion ou de justice cette décision de la Commune. La haine des bourreaux contre la Reine n'était point assouvie et elle était habile à tourmenter la royale victime: le jour même où on la rapprochait de son mari, on la séparait de son fils. Les soins qu'elle prodiguait à cet enfant, la reconnaissance qu'il lui témoignait, les caresses affectueuses dont il la comblait, étaient sa seule consolation depuis son entrée au Temple: on lui enviait même cette suprême et amère jouissance. «Sur les observations faites par l'un des membres de service au Temple, dit l'arrêté du Conseil de service, ratifié le jour même par le Conseil général, que le fils de Louis Capet était jour et nuit sous la direction des femmes, mère et tante; considérant que cet enfant est dans l'âge où il doit être sous la direction des hommes, le Conseil arrête qu'à l'instant le fils de Louis Capet sera retiré des mains des femmes pour être remis et rester entre celles de son père, les jours et nuits.» On tolérait seulement que chaque jour, à l'heure du dîner, il montât «dans l'appartement de ses mère et tante, pendant le temps que son père repose, pour en descendre sur les quatre ou cinq heures». _A l'instant_, suivant le mot cruel des commissaires, l'arrêté fut exécuté, sans qu'on en eût même prévenu la malheureuse mère. L'enfant fut conduit chez son père, et il n'en revint pas. CHAPITRE XXIII La grosse Tour.—Nouvelle organisation de la vie des prisonniers.—Vexations nouvelles.—Municipaux compatissants.—Drouet au Temple.—Le Roi, puis le Dauphin tombent malades.—Installation d'une nouvelle municipalité.—Le bouillon de la Reine.—On enlève à la famille royale tous les instruments tranchants.—Procès du Roi.—Louis XVI traduit à la Convention.—Il est séparé de sa famille.—Ses entretiens avec Malesherbes.—Le Roi est condamné à mort.—Dernière entrevue avec la Reine et ses enfants.—Exécution du Roi. Dernier reste d'une importante maison de Templiers, transformée depuis en dépôt des archives de l'ordre de Malte, la grosse Tour formait une masse imposante de cent cinquante pieds de haut, avec des murs d'une épaisseur moyenne de neuf pieds. Elle avait quatre étages voûtés, soutenus au milieu par un gros pilier, depuis le bas jusqu'à la flèche. L'intérieur, d'une trentaine de pieds carrés, ne formait qu'une seule pièce à chaque étage; mais pour pouvoir y loger les royaux captifs, on avait divisé le second et le troisième, chacun en quatre pièces, par des cloisons en planches. Le rez-de-chaussée, sous le nom de Chambre du Conseil, fut affecté à l'usage des municipaux; le premier servit de corps de garde. Une des quatre tourelles placées aux quatre angles de la Tour contenait l'escalier, qui menait jusqu'aux créneaux; on y avait placé des guichets de distance en distance, au nombre de sept. Pour aller de l'escalier dans chaque étage, il fallait franchir deux portes: l'une était en chêne garni de clous, l'autre en fer[1385]. Au second étage, destiné au Roi, la première pièce était une antichambre, qui donnait accès à toutes les autres. Sur les murs, recouverts d'un papier qui figurait des pierres de taille, on avait placardé la Déclaration des droits de l'homme, imprimée en gros caractères, et encadrée d'une bordure tricolore. En face de la porte d'entrée, était la chambre du Roi; la tourelle qui y était annexée faisait un cabinet de travail et un oratoire; la chambre de Cléry était à gauche, ainsi qu'une quatrième pièce qui servait de salle à manger et était séparée de l'antichambre par une cloison vitrée. Chaque pièce était éclairée par une croisée; mais on avait mis au dehors de gros barreaux de fer et des abat-jour qui interceptaient l'air et la lumière; les embrasures avaient une épaisseur de neuf pieds. La chambre du Roi seule avait une cheminée; le reste de l'appartement était chauffé par un gros poêle placé au centre. Le mobilier était bien simple: un grand lit de damas vert pour le Roi, un petit lit de sangle pour le Dauphin, une commode d'acajou, un secrétaire en bois de rose et quelques sièges; deux baromètres le long des murs; sur la cheminée, une glace et une pendule qu'on ne tarda pas à enlever, parce que le cadran portait: Lepaute, horloger _du Roi_. L'oratoire ne contenait qu'un petit poêle, une chaise de paille, une chaise de canne et un tabouret de crin. Dans la salle à manger, une table d'acajou, une servante, deux encoignures en bois de rose et des chaises. Le troisième étage, réservé aux princesses, était distribué comme le second. La chambre de la Reine était au-dessus de celle du Roi; Madame Royale logeait dans la chambre de sa mère; la tourelle servait de cabinet. Le papier était de couleur tendre, à bandes vertes et bleues; le lit était de damas vert. Le mobilier se réduisait à une commode d'acajou, un grand canapé et quelques sièges. Sur la cheminée, qui fumait beaucoup[1386], la pendule, par une ironie inconsciente ou voulue, représentait la Fortune faisant tourner sa roue. Dans la chambre à côté couchait Mme Élisabeth, sur un misérable lit de fer, revêtu d'une housse en toile de Jouy. Tison et sa femme, les deux espions, occupaient la troisième pièce; l'antichambre servait aux municipaux, qui y demeuraient jour et nuit. Le quatrième étage était vide. Enfin, entre le toit pointu de la Tour et les créneaux régnait une galerie, où la famille royale allait parfois se promener; mais on avait eu soin de placer des jalousies entre les créneaux, pour empêcher les prisonniers de voir et d'être vus. Les précautions les plus minutieuses avaient été prises pour la garde des captifs. A la grande porte de la rue était un portier, nommé Darque, ancien bedeau du Grand Prieur; à la porte de la Tour, le concierge Mathey, et les deux guichetiers, Rocher et Risbey, ces deux misérables dont nous avons déjà parlé. Huit commissaires dont le service durait quarante-huit heures, et qui se renouvelaient chaque jour par moitié, étaient chargés de la surveillance[1387]. Le jour, l'un d'eux était constamment près de Louis XVI, un autre près de Marie-Antoinette; les six autres se tenaient dans la chambre du Conseil. Un effectif de 287 hommes,—réduit, après la mort du Roi, à 240—sous les ordres d'un commandant général et d'un chef de légion, avec deux canons et vingt artilleurs, assurait la garde du Temple[1388]. Un chef de cuisine, nommé Gagnié, avec deux chefs d'office, un pâtissier, un rôtisseur, et les trois officiers de bouche que nous avons déjà nommés, Turgy, Chrétien et Marchand, étaient chargés du service de table; le service intérieur était confié à Cléry et au ménage Tison. Le Roi se levait à sept heures et priait jusqu'à huit[1389]; il lisait l'Office des chevaliers du Saint-Esprit, et, comme on avait refusé de laisser dire la messe au Temple, même les jours de fête, il s'était fait acheter un bréviaire à l'usage du diocèse de Paris. A neuf heures, il allait déjeuner chez la Reine. Cléry montait en même temps, accommodait les cheveux des princesses, et, par ordre de Marie-Antoinette, apprenait à Madame Royale à se coiffer: prévoyant trop bien l'avenir, la malheureuse Reine voulait que sa fille pût se passer de tout service. Après le déjeuner, le Roi donnait quelques leçons au Dauphin jusqu'à onze heures; le jeune prince jouait ensuite jusqu'à midi. C'était l'heure de la promenade, et la famille royale tout entière descendait, quelque temps qu'il fît, parce que la garde, qu'on relevait à ce moment-là, voulait s'assurer par ses yeux de la présence des prisonniers. La promenade durait jusqu'à deux heures, où l'on remontait pour dîner[1390]. Après le dîner, le Roi et la Reine jouaient au trictrac ou au piquet, ou plutôt faisaient semblant de jouer, afin de pouvoir se dire quelques mots[1391]. Pendant ce temps, le Dauphin et Madame Royale jouaient dans l'antichambre au volant ou au siam, ou à d'autres jeux: Mme Élisabeth présidait à ces amusements. C'était l'instant qu'elle choisissait pour faire des questions à Cléry ou lui donner des instructions; le jeune prince et sa sœur, par leurs jeux bruyants, facilitaient ces entretiens de leur tante et du fidèle serviteur, et les avertissaient par un signe, si quelques municipaux, ou ce qui était pire, si Tison ou sa femme, que les bons procédés de la famille royale n'avaient pu désarmer, s'approchaient[1392]. A quatre heures, la Reine montait avec ses enfants: conformément à l'arrêté des commissaires, elle pouvait emmener son fils, pendant que le Roi sommeillait un moment. A six heures l'enfant redescendait chez son père qui le faisait travailler ou jouer jusqu'à l'heure du souper[1393]. Pour s'occuper plus utilement de l'éducation de son fils, le monarque étudiait chaque jour pendant quatre heures, dit Cléry[1394], des auteurs latins ou lisait des livres de voyages et d'histoire naturelle. A neuf heures, après le souper, la Reine déshabillait promptement son fils et le mettait au lit. Les princesses remontaient ensuite et le Roi ne se couchait qu'à onze heures. La Reine, dans la journée, travaillait beaucoup à la tapisserie ou s'occupait de l'éducation de sa fille; elle la faisait étudier et lire à haute voix. Mme Élisabeth passait une partie de son temps à prier à genoux près de son lit[1395]; chaque jour, elle récitait son office et lisait des livres de piété[1396], qu'elle avait fait acheter par Cléry[1397]. Souvent, la Reine lui demandait de les lire tout haut[1398]. Pas plus dans la grosse Tour que dans la petite, les vexations et les insultes n'étaient épargnées aux prisonniers. Dès le 7 octobre, au nom de l'égalité, le Roi avait été dépouillé des insignes de ses ordres. Tout était arbitraire et dépendait de l'humeur ou des caprices des gardiens. Un jour, un municipal défendit à Cléry de monter chez la Reine pour la coiffer; il fallut que la malheureuse femme descendît chez son mari, apportant elle-même tout ce qui était nécessaire à sa toilette. Un autre voulut la suivre, lorsque, à midi, suivant l'usage, elle entrait chez Mme Élisabeth pour quitter sa robe du matin; devant l'inconvenante importunité de cet homme, la Reine dut renoncer à s'habiller. Certains commissaires avaient les exigences les plus bizarres: l'un faisait rompre des macarons ou fendre des noyaux de pêche, pour s'assurer qu'on n'y avait pas caché de billet; un autre forçait Cléry à boire de l'essence de savon, destinée à la barbe du Roi, sous prétexte que ce pouvait être du poison. Un autre encore coupait les marges d'un livre, que Mme Élisabeth renvoyait à la duchesse de Sérent, dans la crainte qu'on n'eût écrit quelque chose dessus avec de l'encre sympathique[1399]. Un autre jour, la Reine avait cassé son peigne; elle priait Turgy de lui en acheter un autre. «Achetez-en un en corne, dit le municipal Dorat-Cubières; le buis serait trop bon pour elle.» La Reine fit semblant de ne pas entendre. Dorat-Cubières était un poète qui avait jadis encensé, dans ses fades petits vers, la famille royale; nul alors n'avait été flatteur plus obséquieux que lui[1400]. On continuait d'interdire l'entrée des journaux au Temple; on ne permettait de les y introduire que lorsqu'ils contenaient quelque infamie contre les souverains déchus, comme cette lettre d'un canonnier qui demandait la tête du tyran Louis XVI pour en charger sa pièce et l'envoyer à l'ennemi, ou cet article odieux dans lequel on déclarait qu'il fallait étouffer les petits louveteaux enfermés à la Tour[1401]. Un jour, un municipal s'approcha de la Reine et des princesses: «Mesdames, leur dit-il, je vous annonce une bonne nouvelle; beaucoup de traîtres émigrés ont été pris; si vous êtes patriotes, vous devez vous en réjouir.»—«Ma mère, raconte Madame Royale, comme à l'ordinaire, ne dit mot, et n'eut pas même l'air d'entendre. Souvent son calme si méprisant et son maintien si digne en imposaient; c'était rarement à elle qu'on osait adresser la parole[1402].» Au milieu de tous ces outrages, parmi ces âmes basses, qui se faisaient un jeu d'insulter au malheur, l'histoire salue avec émotion quelques hommes qui tinrent à honneur de se séparer de ces misérables et d'entourer de leur respect ces grandeurs déchues. C'était l'instituteur Lepître; c'était l'épicier Cortey; c'était Moëlle; c'était Lebœuf; c'était Jobert[1403]; c'était surtout Toulan, ancien membre de la Commune du 10 août, devenu royaliste au contact journalier de ces saintes victimes de la Révolution, Toulan, que les princesses désignaient par le beau nom de _Fidèle_; c'était enfin Michonis, d'abord révolutionnaire fougueux, comme Toulan, mais qui, comme lui, touché par le spectacle de tant d'infortune si héroïquement supportée, devint un des plus zélés serviteurs de ceux dont il avait demandé d'abord à être le geôlier, et, comme Toulan encore, leur sacrifia sa vie. Nous les retrouverons dans le cours de ce récit et nous raconterons les ingénieuses combinaisons de ces dévouements obscurs et courageux, que la fortune ne favorisa pas, mais qui du moins, pendant ces tristes jours, vengèrent l'honneur de l'humanité et, comme les héros des Livres saints, délivrèrent l'âme de la France. Le 1er novembre, une députation de la Convention vint vérifier par elle-même «l'état de situation de la personne de Louis Capet et de sa famille, et prendre connaissance des mesures de sûreté adoptées par le Conseil général de la Commune et le commandant général de la garde nationale de Paris pour la conservation des otages confiés à leur garde[1404]». La députation se composait de l'ex-capucin Chabot, de du Prat, de Drouet, l'homme de Varennes; elle était accompagnée de Santerre et des commissaires de service. Arrivés au Temple vers dix heures du matin, les députés montèrent au second étage, où ils trouvèrent la famille royale réunie. La Reine frémit à l'aspect de Drouet. Cet homme s'assit insolemment près d'elle et, à son exemple, Chabot prit un siège. «Nous venons, dit Drouet, vous demander si vous vous trouvez bien, si vous ne manquez de rien, si vous n'avez pas de plaintes à former.»—«Je ne me plains de rien, répondit le Roi; je ne veux pas me plaindre, lorsque je suis avec ma famille.» Cléry fit observer qu'on ne payait pas exactement les fournisseurs. «La nation n'est pas à un écu près,» répondit Chabot[1405]. Les députés inspectèrent l'appartement en détail, s'assurèrent qu'on n'avait laissé à la disposition des prisonniers ni plumes, ni encre, ni crayons, ni papier; puis ils se transportèrent au troisième, où ils firent les mêmes constatations[1406]. Après le dîner, ils revinrent chez le Roi, posèrent les mêmes questions et obtinrent les mêmes réponses. Drouet monta chez la Reine. Il était pâle; sa voix était faible; il demanda à la Reine d'un ton mélancolique si elle n'avait pas de plainte à former; la Reine ne lui répondit pas. Il renouvela deux fois la question. «Il importe cependant de savoir si vous avez à vous plaindre de quelque chose ou de quelqu'un.» La Reine le regarda d'un œil fier et, sans répondre un mot, elle alla s'asseoir avec sa fille sur son canapé. Drouet, ouvrant et étendant les bras comme un homme étonné, mais qui a plus de dépit peut-être que de regret, s'inclina et sortit. Voyant l'émotion de sa mère, Marie-Thérèse la pressait dans ses bras et lui baisait les mains, lorsqu'elle l'entendit adresser ces paroles à Mme Elisabeth: «Pourquoi, ma sœur, l'homme de Varennes est-il remonté? Est-ce parce que c'est demain le jour des Morts[1407]?» Oui, c'était le lendemain le jour des Morts, et c'était aussi l'anniversaire de la naissance de Marie-Antoinette. Mais cet anniversaire, si joyeusement fêté jadis, comment le célébrait-on aujourd'hui et quels souhaits adressait le peuple de Paris à cette souveraine dont il avait été autrefois amoureux? «Nous entendîmes, raconte Madame Royale, un grand bruit de gens qui demandaient la tête de mon père et de ma mère, ayant la cruauté de venir crier cela sous nos fenêtres[1408].» Le 14 novembre, le Roi tomba malade d'une assez forte fluxion; on demanda son dentiste; la Commune délibéra pendant trois jours et refusa. Le 22, la fièvre survint; cette fois la Commune fut inquiète et permit au premier médecin de Louis XVI, M. Le Monnier, de se rendre à la Tour; mais il n'y entrait jamais sans avoir été fouillé et il ne pouvait parler qu'à haute voix. La Reine et les princesses passaient leurs journées au chevet du Roi, partageant avec Cléry le soin de le servir; mais, la nuit, il fallait remonter en laissant l'auguste malade seul avec son valet de chambre. La Reine avait inutilement demandé que son fils ne restât pas dans cet air vicié par la fièvre et vînt coucher dans sa chambre: les municipaux ne le permirent pas. Sous cette influence malsaine, l'enfant tomba malade à son tour; la coqueluche se déclara. Mais vainement la malheureuse mère sollicita-t-elle la faveur de passer les nuits près de son fils; les municipaux la repoussèrent brutalement, et la pauvre femme dut remonter chez elle, rongée par l'inquiétude et dévorée par l'insomnie. Le jour seulement elle eut l'autorisation de s'asseoir près du lit de son enfant et de lui prodiguer ses soins. Sous le coup de cette tristesse et de ces angoisses, la famille entière, la Reine, Mme Élisabeth, Madame Royale furent prises par la maladie. Cléry lui-même s'alita à son tour et ce fut le jeune prince, à peine remis de sa toux, qui portait les remèdes au serviteur dévoué. A l'école du malheur, l'enfant avait développé et mûri ses qualités naturelles. Il avait pour tous, mais pour sa mère en particulier, des attentions, charmantes. Jamais il ne disait un mot qui pût éveiller chez elle un souvenir douloureux; il l'entourait des plus délicates prévenances. Voyait-il arriver un municipal plus honnête ou moins haineux que les autres; il courait à la Reine: «Maman,» disait-il, «c'est aujourd'hui M. un tel.» Si c'était, au contraire, quelque figure sinistre qui rappelait de tristes événements, il se taisait ou ne prononçait le nom qu'à voix basse. Un jour, comme il fixait attentivement un commissaire qu'il semblait reconnaître, celui-ci lui demanda où il l'avait vu. Le jeune prince refusa de répondre, puis, se penchant vers sa sœur: «C'est, lui dit-il à voix basse, lors de notre voyage de Varennes[1409].» Le 2 décembre, une nouvelle Commune succéda à la Commune révolutionnaire du 10 août. Dès le soir même, à dix heures, les membres inaugurèrent leur entrée en fonctions en venant au Temple reconnaître les prisonniers[1410]. Mais si ceux-ci attendirent quelque amélioration de ce changement, ils se trompèrent. Les nouveaux commissaires, moins grossiers peut-être que les anciens, étaient d'une méchanceté plus réfléchie et d'une surveillance plus tyrannique. Au lieu d'un municipal près du Roi et de la Reine, il y en eut deux, et il devint dès lors bien plus difficile à Cléry de leur faire passer des avis ou d'obtenir le moindre adoucissement. Le 3, la Reine, malade, n'avait pu prendre aucune espèce d'aliment; elle demanda à Turgy un bouillon pour souper. Turgy l'apporta; mais la Reine, sachant que la femme Tison était aussi indisposée, lui fit donner le bouillon. Turgy pria les municipaux de l'accompagner pour qu'il pût aller en chercher un autre; aucun n'y consentit, et Marie-Antoinette fut obligée de se passer de souper[1411]. Le 7, un municipal,—c'était Moëlle,—vint lire d'une voix altérée un arrêté qui ordonnait d'enlever aux détenus «couteaux, rasoirs, ciseaux, canifs et tous autres instruments tranchants dont on prive les prisonniers réputés criminels et d'en faire la plus exacte recherche tant sur les prisonniers que dans leurs appartements». Le Roi dut livrer tout ce qu'il avait dans ses poches ou ce qui se trouvait dans sa chambre: un couteau qui lui venait de son père, un canif, un petit nécessaire en maroquin rouge, ses rasoirs, un compas à rouler les cheveux, jusqu'à un instrument pour nettoyer les dents; les princesses, leurs couteaux, leurs ciseaux et tout ce qui pouvait servir à leur travail[1412]. «Faut-il donner aussi les aiguilles, car elles piquent bien fort?» dit ironiquement la Reine. Les pauvres femmes durent renoncer dès lors à certains ouvrages qui leur avaient été une distraction pendant les longues heures de la captivité. Un jour, Mme Élisabeth raccommodait les habits du Roi et, n'ayant plus de ciseaux, elle rompait le fil avec ses dents. «Quel contraste!» lui dit le prince; «il ne vous manquait rien dans votre jolie maison de Montreuil.»—«Ah! mon frère, répondit-elle, puis-je avoir des regrets, quand je partage vos malheurs[1413].» Le soir, au dîner, on agita la question de savoir si l'on devait laisser les fourchettes et les couteaux aux prisonniers. Quelques commissaires voulaient les enlever; sur les instances de Moëlle[1414], l'avis le moins vexatoire prévalut pourtant, et il fut décidé que la famille royale conserverait ses couteaux et fourchettes, mais qu'on les enlèverait à la fin de chaque repas[1415]. Fût-ce comme compensation à ces vexations nouvelles que, le 9, le municipal Lepître fit accorder un clavecin qui se trouvait à l'entrée de la chambre de Mme Élisabeth, ce qui permit à la Reine d'en donner des leçons à sa fille? Le premier morceau qui lui tomba sous la main portait pour titre: _La Reine de France[1416]!_ Le 11 décembre, à cinq heures du matin, la générale fut battue dans les rues de Paris: la cavalerie et les canons occupèrent le jardin du Temple. Grâce à Turgy et à Cléry, la famille royale connaissait, depuis plusieurs jours déjà, la cause de ce déploiement de forces inusité. Le 3 décembre, la Convention avait décidé que Louis Capet serait traduit à sa barre; c'était ce décret qu'on venait exécuter. A neuf heures, le Roi monta, comme de coutume, pour déjeuner dans l'appartement de la Reine. Il y resta une heure: mais quelles que fussent leurs angoisses, sous l'œil inquisiteur des municipaux, les prisonniers ne pouvaient rien se dire; les regards suppléaient aux paroles. Il fallut enfin se séparer. Le Roi redescendit à sa chambre; le Dauphin, comme d'habitude, l'accompagna. Insouciant du danger et ignorant des événements, le jeune prince insista pour faire une partie de siam. Il n'y fut pas heureux, et par deux fois il ne put dépasser le nombre seize. «Toutes les fois que j'ai ce point de seize, dit-il avec un léger dépit, je ne puis gagner.» Le Roi ne dit rien; mais un tressaillement involontaire agita son visage à ce rapprochement, naïvement cruel. A onze heures, le Dauphin avait quitté le jeu et prenait une leçon de lecture, lorsque deux municipaux vinrent le chercher pour le conduire à sa mère. Louis XVI demanda la cause de ce brusque enlèvement; on se contenta de lui répondre que c'était l'ordre de la Commune: l'accusé devait être séparé de sa famille. L'infortuné père embrassa tendrement son fils et Cléry conduisit l'enfant à sa mère. A une heure, le Roi partit pour la Convention, escorté du maire de Paris, Chambon, du procureur de la Commune, Chaumette, du secrétaire-greffier, Coulombeau, et de Santerre. Le soir, à six heures, il rentra au Temple; son premier soin fut de demander qu'on le conduisît près de sa famille; on refusa, sous prétexte qu'on n'avait point d'ordres. «Mais au moins, dit-il, mon fils passera la nuit avec moi; son lit et ses effets sont ici.» Même silence. Après le dîner le prince insista de nouveau; on répondit simplement qu'il fallait attendre les instructions de la Convention. La Reine et les princesses avaient passé la journée dans de mortelles inquiétudes. La Reine avait tout tenté pour apprendre quelque chose des municipaux qui la gardaient; c'était la première fois qu'elle consentait à les questionner. Les municipaux refusèrent de rien dire. Au retour du Roi, Marie-Antoinette demanda instamment à le voir; elle le fit demander au maire Chambon; le maire ne daigna même pas répondre[1417]. Épuisée par le chagrin, la malheureuse femme n'avait plus la force de pleurer; il semblait presque que la vue même de son fils la laissât insensible. «Mon frère passa la nuit chez elle, raconte Madame Royale; il n'avait pas de lit; elle lui donna le sien et resta toute la nuit debout, dans une douleur si morne que nous ne voulions pas la quitter; mais elle nous força à nous coucher, ma tante et moi[1418].» Le lendemain, la Reine renouvela ses sollicitations; elle redemanda à voir son mari et à lire les journaux qui rendaient compte du procès; elle insista du moins pour que, si la faveur de voir le Roi lui était refusée à elle-même, on l'accordât à ses enfants. Les journaux furent interdits. Quant à la demande de réunion des enfants à leur père, elle fut portée à la Convention. Après une longue délibération, l'Assemblée décida, le 15 décembre, par un faux semblant de pitié que démentaient les termes mêmes de l'arrêté, que «Louis Capet pourrait voir ses enfants, lesquels ne pourraient, jusqu'à son jugement définitif, communiquer avec leur mère et avec leur tante.» C'était accorder et refuser en même temps. Le malheureux prince ne voulut pas d'une faveur qui fût devenue un supplice pour sa femme; il aima mieux s'imposer à lui-même un nouveau sacrifice et laisser à la Reine la douceur de la société de ses enfants. Le soir même, il fit monter dans l'appartement des princesses le lit du Dauphin. Cléry garda le linge et les habits; il fut convenu que tous les deux jours il enverrait ce qui serait nécessaire. Pendant six longues semaines, le Roi demeura ainsi séparé de sa famille; la Reine et les princesses n'eurent de ses nouvelles que grâce au dévouement de Turgy et de Cléry, qui cachaient des billets dans des pelotons de fil ou de laine qu'ils jetaient sous les lits ou descendaient dans l'abat-jour des fenêtres au moyen de ficelles conservées avec soin[1419], grâce aussi à la sensibilité de quelques municipaux, plus humains que leurs collègues. Quelques-uns assuraient à la Reine que le Roi ne périrait pas et que son affaire serait renvoyée aux Assemblées primaires, qui le sauveraient certainement[1420]. Illusions généreuses ou mensonges charitables, qui n'abusaient guère les prisonnières. Le sinistre procès suivait son cours. Le 12 décembre, Louis XVI avait choisi pour défenseur Tronchet, auquel il adjoignit le lendemain Malesherbes, et un peu plus tard de Sèze. Le 15, une députation de la Convention vint lui communiquer les pièces à sa charge. Chaque jour ensuite, les trois défenseurs se rendirent au Temple, où, après de minutieuses investigations des municipaux, ils étaient admis à conférer avec leur client. Le 25 décembre, jour de Noël, le Roi, seul avec lui-même et avec Dieu, écrivit tout entier de sa main son testament, ce monument admirable de sa résignation chrétienne et de son amour pour son peuple. Le 26, l'accusé fut conduit pour la seconde fois à la Convention; dans la crainte que le bruit des tambours et du cortège qui devait venir le prendre n'effrayât la Reine, il la fit prévenir dès le matin. Nous n'avons pas à tracer ici le récit détaillé de cette mémorable et lugubre séance. C'est le jour où de Sèze prononça cet éloquent plaidoyer qui fit plus d'une fois passer un frisson d'émotion dans le cœur des juges les plus prévenus. C'est le jour aussi où Malesherbes, interpellé par le conventionnel Treilhard qui lui demandait: «Qui vous rend si hardi de prononcer ici des noms que la Convention a proscrits?» lui fit cette simple et héroïque réponse: «Mépris de vous-même et mépris de la vie.» Lorsque de Sèze eut achevé son discours, le Roi se leva et prononça d'un ton ferme ces paroles: «Messieurs, on vient de vous exposer mes moyens de défense; je ne vous les renouvellerai point. En vous parlant peut-être pour la dernière fois, je vous déclare que ma conscience ne me reproche rien et que mes défenseurs ne vous ont dit que la vérité.» Mais est-ce que les Conventionnels avaient souci de la conscience, et ne pouvaient-ils pas répondre comme Pilate: «Qu'est-ce que la vérité?» Le lendemain, de Sèze remit au Roi plusieurs exemplaires de son plaidoyer. Un municipal, nommé Vincent, se chargea d'en porter secrètement un exemplaire à la Reine. La malheureuse femme le lut avec une attention haletante; mais elle ne se leurrait d'aucun espoir et d'une main fiévreuse, mais ferme, elle traça sur le premier feuillet ces lignes: «_Oportet unum mori pro populo_[1421].» Le mardi, 1er janvier 1793, fut triste à la Tour. Le matin Cléry s'approcha du lit du Roi et lui demanda la permission de lui offrir ses vœux. «Je reçois vos souhaits,» répondit le prince, en lui tendant une main que le fidèle serviteur arrosa de larmes. Dès qu'il fut levé, il pria un municipal d'aller savoir des nouvelles de sa famille et lui présenter ses vœux pour la nouvelle année. Son ton était si déchirant, qu'un des commissaires, ému, dit à Cléry: «Pourquoi le Roi ne demande-t-il pas à voir sa famille? Maintenant que l'interrogatoire est terminé, cela ne souffrirait aucune difficulté.» Sur ces entrefaites, le municipal qui était allé chez la Reine rentra et annonça au prisonnier que sa famille le remerciait de ses souhaits et lui adressait les siens. Le Roi fut attendri: «Quel jour de nouvelle année!» dit-il tristement. Le soir, Cléry lui fit part de sa conversation avec le commissaire et l'assura que la Convention l'autoriserait certainement à voir les siens. «Dans quelques jours, répondit le prince, ils ne me refuseront pas cette consolation; il faut attendre[1422].» Et cependant, la pensée du malheureux souverain se reportait constamment sur sa famille; il y revenait sans cesse dans ses entretiens avec ses défenseurs et sa voix s'attendrissait, ses yeux se baignaient de larmes, quand il parlait de sa sœur dont la vie n'avait été «qu'affection, dévouement et courage», de ses enfants «si malheureux déjà à leur âge», de la Reine, si insultée, si calomniée, si méconnue: «S'ils,—les Français,—savaient ce qu'elle vaut, disait-il, s'ils savaient à quel degré de perfection elle s'est élevée depuis nos infortunes, ils la révéreraient, ils la chériraient; mais, dès longtemps, ses ennemis et les miens ont eu l'art, en semant des calomnies parmi le peuple, de changer en haine cet amour dont elle fut si longtemps l'objet.» Et passant rapidement en revue la conduite de la Reine et les imputations dont on avait voulu la noircir: «Les factieux ne mettent cet acharnement à décrier et à noircir la Reine, ajoutait-il, que pour préparer le peuple à la voir périr. Oui, mes amis, sa mort est résolue. En lui laissant la vie, on craindrait qu'elle ne me vengeât. Infortunée princesse, mon mariage lui promit un trône; aujourd'hui quelle perspective lui offre-t-il?» En prononçant ces mots, il serrait la main de Malesherbes, et ses yeux se remplissaient de pleurs[1423]. Le 15 janvier, la Convention déclara Louis Capet coupable; le 17, après une séance de vingt-deux heures, une majorité factice de _cinq_ voix prononça contre lui la peine de mort; le même soir, Malesherbes, tout tremblant, vint l'annoncer au captif. Le lendemain, un arrêté de la Commune décida que toute communication serait interrompue entre Louis XVI et ses conseils et que le condamné serait gardé à vue jour et nuit. Le Roi protesta vainement contre ce redoublement de rigueur: sa protestation ne fut pas écoutée. Le 20, la Convention, par 380 voix contre 310, repoussa tout sursis à l'exécution. Le même jour, à deux heures de l'après-midi, le Comité exécutif se transporta au Temple, et le ministre de la justice Garat, le chapeau sur la tête, fit donner lecture, par le secrétaire Grouvelle, du décret de l'Assemblée. Quand ce fut fini, Louis XVI prit simplement le décret, le serra dans son portefeuille, puis, en tirant un papier: «Monsieur le Ministre, dit-il, veuillez communiquer cette pièce à la Convention.» C'était une lettre où le condamné demandait un délai de trois jours pour «se préparer à paraître devant Dieu» et la faculté de voir librement un prêtre qu'il indiquait. Il y joignait l'adresse de ce prêtre que sa sœur lui avait recommandé, l'abbé Edgeworth de Firmont, et insistait pour qu'il lui fût permis d'entretenir sa famille sans témoins. Pendant cette scène cruelle, la contenance du Roi avait été si ferme, sa majesté si haute, qu'Hébert lui-même en avait été touché. «La noblesse et la dignité de son maintien et de son langage, dit-il, m'arrachèrent des pleurs de rage,» et, ne voulant pas laisser paraître son émotion, il s'était retiré. Le sursis fut refusé: la Convention avait hâte d'en finir; les autres demandes furent accordées. On fit chercher l'abbé Edgeworth et Garat le conduisit lui-même au Temple dans sa voiture. Il assura le Roi qu'il n'y avait aucune charge contre sa famille et qu'on la renverrait hors de France[1424]. Les malheureuses prisonnières n'avaient appris la condamnation de Louis XVI que le dimanche 20 au matin, par les colporteurs de journaux qui venaient la crier sous leurs fenêtres. Le même jour, à huit heures du soir, elles apprirent qu'un décret de la Convention leur permettait de descendre chez le Roi. Elles y coururent[1425]. Le prince avait fait passer l'abbé Edgeworth dans la tourelle, de peur que la vue du prêtre ne fît trop de mal aux princesses; il attendait dans la salle à manger. La Convention avait décidé qu'il serait seul avec sa famille; mais la Commune, toujours ingénieuse à tourmenter sa victime, avait exigé que les municipaux assistassent à l'entrevue derrière une porte vitrée. Une misérable lampe-quinquet éclairait la salle[1426]; la table avait été rangée de côté; des chaises, disposées dans le fond, afin de donner plus d'espace; sur la table, une carafe d'eau et un verre. «Apportez de l'eau qui ne soit pas frappée,» avait dit le Roi qui, dans ce cruel déchirement, conservait toute sa présence d'esprit; «si la Reine en buvait, elle pourrait être incommodée.» A huit heures et demie, la porte s'ouvrit; la Reine entra la première, tenant son fils par la main; ensuite Madame Royale et Mme Élisabeth. Tous se précipitèrent dans les bras du Roi. Un morne silence régna pendant quelques minutes et ne fut interrompu que par des sanglots. «Le Roi s'assit; la Reine à sa gauche, Mme Élisabeth à sa droite, Madame Royale presque en face; le jeune prince resta debout entre les jambes du Roi; tous étaient penchés vers lui et le tenaient souvent embrassé[1427].»—«Nous le trouvâmes,—le Roi,—bien changé, raconte Madame Royale. Il pleura de douleur sur nous, et non de la crainte de sa mort; il raconta son procès à ma mère, excusant les scélérats qui le faisaient mourir..... Il donna ensuite des instructions religieuses à mon frère, lui recommandant surtout de pardonner à ceux qui le faisaient mourir, et lui donnant sa bénédiction ainsi qu'à moi[1428].» Et pour produire sur le jeune Dauphin une impression plus forte, il le prit sur ses genoux et lui dit: «Mon fils, vous avez entendu ce que je viens de vous dire; mais comme le serment est quelque chose d'encore plus sacré que les paroles, jurez en levant la main, que vous accomplirez les dernières volontés de votre père.» Mon frère lui obéit en fondant en larmes, et cette bonté si touchante fit encore redoubler les nôtres[1429].» La Reine aurait voulu passer la nuit près du Roi avec sa famille. Le malheureux prince refusa: il avait besoin de calme pour se préparer à la mort. La Reine insista du moins pour le voir un moment le lendemain matin; il y consentit; mais, «quand nous fûmes partis, rapporte Madame Royale, il dit aux gardes de ne pas nous laisser redescendre, parce que notre présence lui ferait trop de peine[1430].» Cette touchante entrevue dura sept quarts d'heure, au milieu des sanglots et des larmes. Pendant ce temps, quatre municipaux, mal vêtus et le chapeau sur la tête, se tenaient dans l'embrasure de la croisée, se chauffant au poêle et surveillant par la cloison vitrée[1431]. A dix heures et quart, le Roi se leva le premier et tous le suivirent. La Reine le tenait par la main droite, s'appuyant sur son épaule, et pouvant à peine se soutenir; le Dauphin, du même côté, était enlacé dans le bras droit de sa mère qui le pressait sur son cœur, et lui-même serrait de sa petite main la main droite du Roi et la main gauche de la Reine, les baisant et les arrosant de ses larmes[1432]; Madame Royale, à gauche, tenait le Roi embrassé par le milieu du corps[1433]; Mme Élisabeth, un peu plus en arrière que sa nièce, avait saisi de ses deux mains le haut du bras gauche de son frère et levait au ciel ses yeux baignés de pleurs[1434]. Louis XVI s'efforçait de conserver son calme; mais il luttait péniblement pour ne pas faiblir[1435]. «Je vous assure, dit-il, que je vous verrai demain matin à huit heures.»—«Vous nous le promettez?» répétèrent-ils tous ensemble.—«Oui, je vous le promets.»—«Pourquoi pas à sept heures?» dit la Reine.—«Eh bien! oui, à sept heures, répondit-il; adieu!» Il prononça cet adieu avec une expression si navrante que les sanglots redoublèrent. Madame Royale tomba évanouie; Cléry la releva et Mme Élisabeth la soutint. Le Roi, voulant mettre fin à cette scène déchirante, serra une dernière fois sur sa poitrine ces chers objets de son affection et, se dégageant doucement de cette émouvante étreinte: «Adieu! Adieu!» murmura-t-il, et il rentra lentement dans sa chambre[1436]. «Ah! Monsieur, dit-il à l'abbé Edgeworth, quelle entrevue! Faut-il donc que j'aime et que je sois si tendrement aimé! Mais c'en est fait; oublions tout le reste pour ne penser qu'à l'unique affaire. Elle seule doit concentrer dans ce moment toutes mes affections et toutes mes pensées.» Pendant ce temps, les princesses remontaient chez elles, et, quoique les portes fussent fermées, on entendait encore, de l'appartement du Roi, leurs gémissements et leurs sanglots[1437]. «Les bourreaux!» s'écriait la Reine, et se tournant vers le Dauphin: «Mon fils, lui dit-elle, promettez-moi que vous ne songerez jamais à venger la mort de votre père[1438].» Puis, déposant sur les cheveux blonds de l'enfant un long et amer baiser, elle le déshabilla et le coucha. Quant à elle, elle se jeta tout habillée sur son lit, «où, dit Madame Royale, nous l'entendîmes toute la nuit trembler de froid et de douleur[1439].» Le lendemain, à six heures et quart, un municipal entra. La Reine était debout; elle crut qu'on venait la chercher pour cette entrevue suprême que son mari lui avait promise la veille. Vain espoir: le municipal venait chercher un livre de prières pour la messe du Roi[1440]. La malheureuse femme espérait encore, espérait toujours, écoutant avec une anxiété navrante le bruit des pas qui gravissaient l'escalier... Attente inutile; personne ne vint. Le Roi s'était couché à minuit et demi; à peine au lit, il s'était endormi profondément. A cinq heures il se leva, fit sa toilette comme à l'ordinaire, entendit la messe à genoux et communia. Quand il eut achevé son action de grâces, il appela Cléry et lui donna divers objets: «Vous remettrez, lui dit-il d'une voix brisée, ce cachet à mon fils...., cet anneau à la Reine; dites-lui bien que je le quitte avec peine;—c'était son anneau de mariage.—... Ce petit paquet renferme des cheveux de toute ma famille; vous le lui remettrez aussi.... Dites à la Reine, à mes chers enfants, à ma sœur, que je leur avais promis de les voir ce matin; mais j'ai voulu leur épargner la douleur d'une séparation si cruelle. Combien il m'en coûte de partir sans recevoir leurs derniers embrassements!» Il essuya quelques larmes et ajouta, avec l'accent le plus douloureux: «Je vous charge de leur faire mes adieux[1441].» A neuf heures, Santerre parut, escorté de municipaux et de gendarmes. Le Roi sortit de son cabinet, où il s'entretenait avec l'abbé Edgeworth: «Vous venez me chercher?» demanda-t-il.—«Oui,» répondit Santerre.—«Je suis en affaires,» reprit le prince avec un accent d'autorité; «attendez-moi ici.» Il rentra dans le cabinet, reçut une dernière bénédiction de son confesseur, sortit de nouveau et, s'adressant à un municipal, Jacques Roux, prêtre apostat, qui se trouvait le plus près de lui: «Je vous prie, dit-il, de remettre ce papier à la Reine, à ma femme.»—C'était son testament.—«Cela ne me regarde pas,» riposta brutalement Jacques Roux; «je ne suis ici que pour vous conduire à l'échafaud.»—«C'est juste,» répliqua le Roi; et se tournant vers un autre municipal, il lui remit le papier. Puis, prenant son chapeau des mains de Cléry, il dit à Santerre d'un ton de commandement: «Marchons.» Une heure après, à dix heures vingt minutes, la tête de Louis XVI tombait sur l'échafaud de la place de la Révolution, et tandis que, autour de la guillotine, une foule en délire accueillait avec des clameurs sauvages le sang royal qui coulait sur elle, au troisième étage de la Tour, deux femmes et deux enfants en larmes, enlacés dans les bras les uns des autres, priaient pour la victime et pour les bourreaux. CHAPITRE XXIV La Reine veuve.—Sa morne douleur.—Maladie de Madame Royale.—On apporte aux prisonnières des vêtements de deuil.—Toulan et Lepitre.—Plan d'évasion préparé par ces deux municipaux et M. de Jarjayes.—Modifications dans le plan.—Nouveau projet; il échoue comme le premier.—Lettre de la Reine à M. de Jarjayes.—Toulan sauve l'anneau et le cachet du Roi.—La Reine les envoie à Monsieur et au comte d'Artois.—Dénonciation de Tison.—Perquisitions nocturnes.—Efforts des amis de la Reine à l'étranger.—Défection de Dumouriez.—Activité et espérances de Fersen.—Tout échoue.—Louis XVII tombe malade.—Le 31 mai.—Chaumette et Hébert viennent à la Tour.—Le baron de Batz.—Michonis.—Plan d'évasion.—La défiance de Simon le fait manquer.—La Tison devient folle.—Louis XVII est enlevé à sa mère.—Il est livré au savetier Simon.—Nouvelle visite de Drouet au Temple.—Le jeune prince brutalisé par Simon.—Désespoir navrant de la Reine.—Elle est transférée à la Conciergerie. La Reine est veuve; elle a appris par les cris de joie d'une populace effrénée que le régicide est consommé. Ses yeux sont secs; elle n'a plus de larmes; elle étouffe[1442]; une violente secousse seule peut la sortir de sa morne torpeur. Avide de se nourrir de son malheur et d'en recueillir les tristes détails, elle espère que Cléry, le dernier fidèle qui soit demeuré avec l'infortuné monarque, pourra venir lui parler encore de celui qui n'est plus; elle en exprime le désir aux municipaux; les municipaux refusent. Elle fait demander des vêtements de deuil très simples pour elle et pour sa famille; on lui répond que la Commune en délibérera. Qu'elle fut longue, cette journée du 21 janvier, au milieu de la brume épaisse qui enveloppait la capitale comme d'un linceul funèbre. Le soir, le Dauphin et sa sœur se couchèrent; mais Madame Royale ne pouvait dormir; la Reine et Mme Élisabeth veillaient auprès du lit du jeune prince, qui, seul au troisième étage de la Tour, sommeillait paisiblement. «Il a maintenant, dit Marie-Antoinette, l'âge qu'avait son frère, lorsqu'il mourut à Meudon; heureux ceux de notre maison qui sont partis les premiers: ils n'ont point assisté à la ruine de notre famille[1443]!» Il était deux heures et demie du matin, mais Tison et sa femme étaient éveillés; étonnés d'entendre parler à cette heure, ils vinrent à la porte pour surveiller les prisonnières: «De grâce, leur dit Mme Élisabeth avec douceur, laissez-nous pleurer en paix.» «L'inquisition, dit M. de Beauchesne, s'arrêta, désarmée par cette voix angélique, et la conspiration des larmes ne fut pas dénoncée[1444].» Le lendemain, quand le Dauphin s'éveilla, la Reine le prit dans ses bras: «Mon enfant, dit-elle, il faut penser au bon Dieu.»—«Maman, répondit-il, moi aussi j'ai bien pensé au bon Dieu; mais quand je l'appelle, c'est toujours mon père qui descend devant moi[1445].» Le 23 janvier, après deux jours d'attente, la Commune, généreuse, accorda les vêtements de deuil réclamés par la veuve et les orphelins; mais elle s'opposa à ce que Cléry, comme le demandait la Reine, continuât près du fils le service qu'il avait fait près du père. Ce fut un nouveau coup pour la Reine. «Rien, dit Madame Royale, n'était capable de calmer ses angoisses; on ne pouvait faire entrer aucune espérance dans son cœur; il lui était devenu indifférent de vivre ou de mourir. Elle nous regardait quelquefois avec une pitié qui nous faisait tressaillir[1446].» Cette pitié la sauva et son amour maternel la tira de ce morne abattement. Madame Royale souffrait depuis quelque temps d'un mal à la jambe; l'inquiétude et la douleur lui avaient aigri le sang. «Heureusement, raconte-t-elle, peu de jours après le 21 janvier, le chagrin augmenta mon mal, ce qui occupa la Reine.» Le bruit s'en répandit même dans Paris et l'ancienne nourrice de la princesse sollicita la faveur de venir la soigner; on repoussa dédaigneusement sa demande, mais on toléra l'intervention de l'ancien médecin des Enfants de France, Brunier. Brunier vint au Temple et l'on devine son émotion, quand il retrouva ses augustes maîtres dans un dénuement tel qu'ils manquaient même de linge pour panser la jambe de la jeune malade; il dut en apporter de chez lui[1447]. Grâce à ses bons soins et à ceux du chirurgien Lacaze, la princesse se rétablit en un mois[1448]. Le 27 et le 30, les habits de deuil furent apportés. En voyant pour la première fois ses enfants en noir, la Reine ne put s'empêcher de dire en soupirant: «Mes pauvres enfants, vous, c'est pour longtemps; moi, c'est pour toujours[1449].» Les vêtements allaient mal; ce fut un bonheur; on laissa entrer au Temple, pour les ajuster, une ancienne femme d'atours de Madame Royale, Mlle Pion. La vue de cette figure amie fit un peu de bien aux captives. «Leurs regards, a raconté Mlle Pion, m'en disaient plus que n'auraient pu faire leurs paroles, et Mgr le Dauphin, dont l'âge excusait les espiègleries, en profitait pour me faire, sous l'apparence d'un jeu, toutes les questions que pouvait désirer la famille royale[1450].» Il semblait d'ailleurs que la surveillance se relâchât un peu. «Les gardes, dit Madame Royale, croyaient qu'on allait nous renvoyer[1451].» Des municipaux compatissants pénétraient à la Tour. Toulan et Lepître, deux héros modestes, trouvaient le moyen, grâce à une ruse ingénieuse, d'être ensemble de service et souvent le dimanche. La première fois qu'ils revinrent après le 21 janvier, «nous trouvâmes, dit l'un d'eux, la famille royale plongée dans l'affliction la plus profonde. En nous apercevant, la Reine, sa sœur et les enfants fondirent en larmes; nous n'osions nous avancer. La Reine nous fit signe d'entrer dans sa chambre. «Vous ne m'avez pas trompée, nous dit-elle; ils ont laissé périr le meilleur des Rois[1452].» Les deux municipaux purent remettre aux captives quelques journaux, et c'est ainsi que les malheureuses femmes apprirent les détails du régicide. Quelques jours après, le 7 février, Lepître apporta un chant qu'il avait composé sur la mort de Louis XVI, et que Mme Cléry avait mis en musique. Lorsque, trois semaines plus tard, le 1er mars, il revint au Temple, la Reine le fit entrer dans la chambre de Mme Élisabeth, où le Dauphin chanta la romance, que sa sœur accompagnait. «Nos larmes coulèrent, raconte Lepître, et nous gardâmes un morne silence. Mais qui pourrait peindre le spectacle que j'avais sous les yeux: la fille de Louis XVI à son clavecin, sa mère assise auprès d'elle, tenant son fils dans ses bras et, les yeux mouillés de pleurs, dirigeant avec peine le jeu et la voix de ses enfants; Mme Élisabeth, debout à côté de sa sœur et mêlant ses soupirs aux tristes accents de son neveu[1453].» Mais ce n'était pas seulement pour offrir à la famille royale ces platoniques consolations que Toulan et Lepître venaient au Temple; ils avaient conçu un projet plus décisif et plus audacieux. Dans Paris, perdus au milieu de la foule, on rencontrait encore des royalistes dévoués: d'anciens serviteurs de la Cour, d'anciens agents de la famille royale rôdaient autour du Temple, cherchant le moyen de s'y introduire et plus encore d'en faire sortir les prisonniers. C'était avant tout le baron de Batz, mal vu de l'émigration, suspect même à Fersen, nous ne savons pourquoi[1454], mais fidèle autant que qui que ce soit, soldat intrépide, conspirateur fécond en ressources, «l'infâme Batz» comme l'appelait Barère, qui avait cherché à enlever Louis XVI, au 21 janvier, et qui, n'ayant pu réussir à sauver le Roi, risquait tout pour sauver sa famille. C'était aussi le chevalier de Jarjayes, maréchal de camp, mari d'une des femmes les plus dévouées de la Reine, ancien agent du Roi à l'étranger, et qui, depuis l'incarcération de ses maîtres, n'avait pas voulu quitter la capitale, afin d'étudier les moyens de leur être encore utile. Ce relâchement momentané de surveillance, dont parle Madame Royale, leur avait peut-être suggéré la pensée qu'une évasion serait possible. Au commencement de mars, un plan fut arrêté entre Jarjayes, Toulan et Lepître. Le premier se chargeait de préparer la fuite au dehors, les deux autres de la rendre possible au dedans. Jarjayes fit faire pour la Reine et Mme Élisabeth des habits d'hommes, que Toulan et Lepître introduisirent à la Tour. Revêtues de ces costumes, ceintes d'écharpes tricolores et munies de cartes semblables à celles des municipaux, les princesses seraient sorties sous ce travestissement. Il était plus difficile d'enlever les enfants, le jeune Roi surtout, plus particulièrement surveillé. Comment déjouer cette surveillance? On en trouva cependant le moyen. Chaque soir, l'homme chargé de nettoyer les réverbères venait les allumer; il était accompagné, pour cette besogne, de deux enfants, à peu près de la taille de Madame Royale et de Louis XVII, et sortait habituellement avant sept heures, heure à laquelle on relevait les sentinelles. Un royaliste dévoué, M. Ricard, inspecteur des domaines nationaux[1455], aurait pris la place de cet homme, et, venant le soir, lorsque la garde aurait été relevée, il aurait, sa boîte de fer blanc à la main, pénétré jusqu'à l'appartement de la Reine. Là, il aurait reçu des mains de Toulan, qui l'aurait vivement et à haute voix gourmandé de n'être pas venu lui-même et d'avoir fait faire la besogne par ses enfants, les deux jeunes princes, accoutrés en petits lampistes, qui seraient ainsi allés retrouver leur mère, sortie avant eux. A l'heure dite et au lieu convenu, trois cabriolets auraient été préparés à l'avance. La Reine et son fils seraient montés dans le premier avec M. de Jarjayes; Madame Royale, dans le second, avec Lepître; Mme Elisabeth, dans le troisième, avec Toulan. Des passeports, bien en règle[1456], ne laissaient pas d'inquiétude pour la route. Le plan avait été concerté de telle sorte qu'on ne pouvait se mettre à la poursuite des fugitifs que cinq ou six heures après leur départ. C'était assez d'avance pour qu'ils pussent gagner les côtes de Normandie, où un bateau attendait près du Havre et les transporterait en Angleterre[1457]. Tout était convenu et la Reine approuvait le projet qui devait être mis à exécution le 8 mars. Malheureusement, le 7, une assez vive agitation se manifesta dans Paris, causée à la fois par la rareté des subsistances et par les mauvaises nouvelles qui arrivaient des armées; les Français avaient dû évacuer Aix-la-Chapelle et lever le siège de Maëstricht; les Autrichiens étaient rentrés à Liège. Sous le coup de ces nouvelles, les sections réclamaient la clôture des barrières pour empêcher la sortie des suspects. Le Conseil se contenta de suspendre la délivrance des passeports pour l'étranger. Mais il n'eût pas été prudent, au milieu de cette agitation et de cette méfiance, de tenter une évasion toujours difficile, plus difficile encore à un moment où l'attention était plus particulièrement en éveil. Il fallut ajourner, puis abandonner le projet. Mais si la fuite de la famille royale était devenue impossible, si celle du jeune Roi, entre autres, tout spécialement surveillé, se heurtait à des obstacles presque insurmontables, ne serait-il pas possible au moins de sauver la Reine, la plus exposée de tous aux haines populaires? Les deux intrépides alliés, Toulan et Jarjayes, étudièrent un nouveau plan. Dans ce plan, c'était encore Toulan, seul, cette fois, qui se chargeait de faire sortir Marie-Antoinette et de la mener dans un lieu déterminé, où elle eût retrouvé Jarjayes. Celui-ci, de son côté, s'était ménagé les moyens de la conduire en sûreté. Mais la Reine accepterait-elle cette combinaison? Consentirait-elle à fuir seule, laissant sa belle-sœur, ses enfants surtout, entre les mains de leurs bourreaux? Les prières de Toulan et de Jarjayes, les supplications de Mme Élisabeth, la certitude que cette tante admirable serait une admirable seconde mère pour les orphelins, avaient fini par triompher des répugnances de Marie-Antoinette. Elle s'était résignée, non sans des retours terribles, et des velléités incessantes de refus, à se prêter au désir de ses sauveurs. Le jour de l'évasion approchait; on était à la veille, au soir; les enfants étaient couchés; mais Madame Royale ne dormait pas; la Reine et Mme Élisabeth causaient ensemble, avec quelle angoisse, avec quelle souffrance de cette imminente séparation, on le devine. «Résolue au sacrifice qu'on lui demandait, raconte M. de Beauchesne, qui a recueilli, sur cette scène émouvante, les précieux souvenirs de la duchesse d'Angoulême, la Reine était assise auprès du lit de son fils: «Dieu veuille que cet enfant soit heureux!» dit-elle.—«Il le sera, ma sœur,» répondit Mme Élisabeth en montrant à la Reine la figure naïve, ouverte, douce et fière du Dauphin.—«Toute jeunesse est courte comme toute joie,» murmura Marie-Antoinette, avec un serrement de cœur indicible; «on en finit avec le bonheur, comme avec toute autre chose!» Puis, se levant, elle marcha quelque temps dans sa chambre en disant: «Et vous-même, ma bonne sœur, quand et comment vous reverrai-je? C'est impossible! C'est impossible[1458]!» Et lorsque, le lendemain, Toulan vint, prêt au départ, et tout heureux à la pensée qu'il allait sauver la veuve de son Roi, la Reine s'avança vers lui: «Vous allez m'en vouloir, lui dit-elle, mais j'ai réfléchi. Il n'y a ici que danger; mieux vaut mort que remords.» Et elle le chargea pour Jarjayes du billet suivant, qui a été révélé pour la première fois par Chauveau-Lagarde: «Nous avons fait un beau rêve. Voilà tout. _Mais nous y avons beaucoup gagné_, en trouvant dans cette occasion une nouvelle preuve de votre entier dévouement pour moi. Ma confiance en vous est sans bornes. Vous trouverez toujours en moi du caractère et du courage; mais l'intérêt de mon fils est le seul qui me guide. _Quelque bonheur que j'eusse éprouvé à être hors d'ici_, je ne peux consentir à me séparer de lui. Je ne pourrais jouir de rien sans mes enfants, _et cette idée ne me laisse pas même un regret_[1459].» «Je mourrai malheureuse, avait encore dit la Reine à Toulan, si je n'ai pu vous prouver ma gratitude.»—«Et moi, Madame, avait répondu Toulan, si je ne puis vous montrer mon dévouement.» Ce dévouement, le fidèle municipal ne tarda pas en à donner une nouvelle preuve. Il savait avec quelle ardeur la Reine et les princesses désiraient posséder les derniers souvenirs du Roi, ces objets précieux que l'infortuné monarque avait remis à Cléry pour Marie-Antoinette et que la Commune n'avait pas permis à Cléry de porter à la royale destinataire. L'anneau, le cachet de Louis XVI, le petit paquet de cheveux, repris au fidèle serviteur à la sortie du Temple, le 1er mars[1460], tout cela était placé sous les scellés et conservé dans l'appartement du condamné. Avec une rare habileté, Toulan trouva moyen de les enlever et d'apporter à la Reine ces chères reliques du martyr. La Reine les reçut en pleurant d'attendrissement et de joie; mais elle craignit que quelque dénonciation de Tison, que quelque perquisition minutieuse ne fît découvrir ces précieux gages de l'affection de son mari, et, pour les mettre en sûreté, elle se décida à les envoyer à l'étranger. Ce fut encore aux deux vaillants complices, Toulan et Jarjayes, qu'elle s'adressa: Toulan reçut les objets, et Jarjayes se chargea de les porter à Monsieur et au comte d'Artois, avec des lettres des royales prisonnières. «Ayant un être fidèle, sur lequel nous pouvons compter, écrivait la Reine à Monsieur, j'en profite pour envoyer à mon frère et ami ce dépôt qui ne peut être confié qu'en ses mains. Le porteur vous dira par quel miracle nous avons pu avoir ces précieux gages; je me réserve de vous dire moi-même le nom de celui qui nous est si utile. L'impossibilité où nous avons été jusqu'à présent de pouvoir vous donner de nos nouvelles et l'excès de nos malheurs nous font sentir encore plus vivement notre cruelle séparation; puisse-t-elle n'être pas longue! Je vous embrasse, en attendant, comme je vous aime, et vous savez que c'est de tout mon cœur[1461].» Et elle écrivait au comte d'Artois: «Ayant trouvé enfin un moyen de confier à notre frère un des seuls gages qui nous restent de l'être que nous chérissons et pleurons tous, j'ai cru que vous seriez bien aise d'avoir quelque chose qui vienne de lui; gardez-le en signe de l'amitié la plus tendre avec laquelle je vous embrasse de tout cœur[1462].» La mission fut remplie. Jarjayes pourtant ne partit pas tout de suite: il espérait toujours. Mais lorsque Barnave fut arrêté, le général, qui plus d'une fois avait servi d'intermédiaire dans les relations des Constitutionnels avec la Cour, craignit d'être arrêté lui-même, et, redoutant avec l'éloquent député une confrontation qui aurait pu être compromettante pour tous deux et surtout pour la Reine, il se décida à se réfugier à Turin[1463]. C'est de là que, par l'entremise du roi de Sardaigne, il fit parvenir à Monsieur et au comte d'Artois les souvenirs de Louis XVI et les lettres de Marie-Antoinette. Mais, avant de partir, il avait reçu de la «grande et infortunée souveraine» le billet suivant: «Adieu, je crois que, si vous êtes bien décidé à partir, il vaut mieux que ce soit promptement. Mon Dieu que je plains votre pauvre femme! T. vous dira l'engagement formel que je prends de vous la rendre, si cela m'est possible. «Que je serai heureuse, si nous pouvons être bientôt réunis! Jamais je ne pourrai assez reconnaître ce que vous avez fait pour nous. «Adieu! Ce mot est cruel[1464].» Ainsi l'isolement se faisait chaque jour davantage; le cercle de fer se resserrait autour des prisonnières; elles conservaient pourtant encore,—ce billet le prouve,—l'espoir d'une délivrance possible et peut-être prochaine. Illusion trop tôt démentie. Le 27 mars, Robespierre demandait le bannissement des Bourbons, à l'exception de Marie-Antoinette, qui devait être traduite devant le Tribunal révolutionnaire, et du fils de Capet, qui resterait détenu à la Tour du Temple. La Convention, pour cette fois, passa à l'ordre du jour; mais la Commune avait-elle eu vent des généreux desseins de Toulan et de Jarjayes? Sa méfiance devenait plus soupçonneuse; sa haine, plus persécutrice. Un jour, le 25 mars, le feu avait pris à la cheminée de la Reine. «Le soir, dit Madame Royale, Chaumette, procureur de la Commune, vint pour la première fois reconnaître ma mère et lui demander si elle ne désirait rien. Ma mère demanda seulement une porte de communication avec la chambre de ma tante; les deux terribles nuits que nous avions passées chez elle, nous avions couché, ma tante et moi, sur un des matelas par terre. Les municipaux s'opposèrent à cette demande; mais Chaumette dit que, dans l'état de dépérissement où était ma mère, cela pourrait être nécessaire à sa santé et qu'il en parlerait au Conseil général. Le lendemain, il revint à dix heures du matin avec Pache, le maire, et cet affreux Santerre, commandant général de la garde nationale. Chaumette dit à ma mère qu'il avait parlé au Conseil général de sa demande pour la porte et qu'elle avait été refusée. Elle ne répondit rien. Pache lui demanda si elle n'avait point de plainte à porter. Ma mère dit non, et ne fit pas d'attention à ce qu'il disait[1465].» Des précautions nouvelles étaient prises; on élevait un mur dans le jardin; on mettait des jalousies au haut de la Tour; on bouchait tous les trous avec soin[1466]. Le 1er août, la Commune décida «qu'aucune personne de garde au Temple n'y pourrait dessiner quoi que ce soit, que les commissaires de service ne devraient avoir aucune communication avec les personnes détenues ni se charger d'aucune commission pour elles, que Tison et sa femme ne pourraient sortir de la Tour ni communiquer avec qui que ce soit au dehors[1467]». Mais cette prohibition nouvelle, si dure pour les captives, l'était aussi pour les Tison: ils n'avaient plus le droit de voir personne, pas même leurs parents. Un jour qu'on leur avait refusé de laisser monter leur fille,—c'était le 19 avril,—Tison entra dans une violente colère et, ne sachant sur qui faire retomber sa rage, il s'en prit naturellement aux prisonnières et à ceux qui semblaient leur témoigner quelque intérêt. Il déclara à Pache, qui se trouvait à la Tour, que certains municipaux parlaient bas à la Reine et à Mme Élisabeth. Sommé de donner leurs noms, il dénonça Toulan, Lepître, Brunot, Moëlle, Vincent et le médecin Brunier, et ajouta que les captives avaient des correspondances avec le dehors. Comme preuve, il raconta qu'un jour, après souper, la Reine, en tirant son mouchoir, avait laissé tomber un crayon et que chez Mme Élisabeth il y avait des pains à cacheter, de la cire et des plumes dans une boîte. Sa femme, mandée, répéta la même chose; la dénonciation, signée des deux espions, fut envoyée à la Commune qui, après avoir fait apposer les scellés chez les municipaux suspects, décida qu'une perquisition minutieuse serait faite au Temple. Le 20, à dix heures trois quarts du soir[1468], les princesses venaient de se coucher, lorsque Hébert arriva, escorté de plusieurs municipaux; à l'odieux de l'inquisition il avait voulu ajouter la terreur de la surprise, en pleine nuit. Les prisonnières se levèrent précipitamment. Hébert leur lut un arrêté de la Commune, qui ordonnait de les fouiller «à discrétion[1469]». On chercha dans tous les meubles, partout, même sous les matelas. Le jeune prince dormait; on l'arracha durement de son lit pour fouiller dedans: sa mère le prit dans ses bras, tout transi de froid. La visite dura cinq heures jusqu'à quatre heures du matin: on ne trouva rien, sauf, sur la Reine, un portefeuille de maroquin rouge qui contenait quelques adresses et un porte-crayon d'acier sans mine, et chez Mme Elisabeth un bâton de cire rouge ayant déjà servi et un peu de poudre de buis. A Marie-Thérèse on enleva un sacré-cœur et une prière pour la France. Furieux de n'avoir saisi que ces bagatelles, Hébert et ses acolytes forcèrent la Reine et Mme Élisabeth à signer le procès-verbal de perquisition, les menaçant, en cas de refus, de leur enlever Louis XVII et Marie-Thérèse[1470]. Trois jours après, ils revinrent, et cette fois ils découvrirent, sous le lit de Mme Élisabeth, un chapeau d'homme, renfermé dans une cassette; c'était un chapeau que Louis XVI avait porté au commencement de sa captivité au Temple et que sa sœur lui avait demandé, afin de le conserver en souvenir de lui[1471]. Une pareille relique était suspecte; les commissaires emportèrent le chapeau, malgré les supplications de Mme Élisabeth; mais ils durent avouer dans le procès-verbal qu'ils n'avaient trouvé «aucun vestige de correspondance avec le dehors, ni de connivence entre elles,—les prisonnières,—et les six membres du Conseil, inculpés dans le rapport de Tison[1472]». Les six municipaux n'en furent pas moins suspendus de leurs fonctions, et les deux plus compromis, Toulan et Lepître, rayés de la liste des commissaires chargés de la surveillance du Temple. Cependant, à l'étranger, les amis de la famille royale ne restaient pas inactifs; Fersen redoublait ses démarches près de toutes les Cours. Mais comment amener un accord, quand les Cours, quand les fidèles même de la monarchie étaient divisés? Catherine II n'aimait pas Marie-Antoinette[1473]; l'Autriche se méfiait de la Prusse[1474]; la Russie était mécontente de l'Autriche[1475]; Fersen lui-même était rempli de préventions contre la Marck et Mercy[1476]. Il ne se décourageait pas cependant. Dès le mois de septembre 1792, il avait voulu faire agir l'Angleterre, qui, n'étant pas alors en guerre avec la France, aurait peut-être été écoutée à Paris; mais Pitt était resté froid et s'était borné à des protestations d'intérêt platonique. L'Espagne seule avait fait faire des observations par l'organe de son ambassadeur. L'assassinat du 21 janvier avait été la réponse de la Convention aux déclarations de l'Angleterre et de l'Espagne. Après la mort de Louis XVI, l'Autriche avait songé à réclamer la Reine. «Faute de n'avoir pas cru possible l'assassinat du Roi de France, écrivait Mercy à la Marck devenu prince d'Arenberg, peut-être n'a-t-on pas fait tout ce qui était faisable pour prévenir cette horreur. Tâchons du moins qu'il n'en soit pas de même à l'égard de cette infortunée Reine, qui doit devenir maintenant le constant objet de notre sollicitude[1477].» Mais on ne tarda pas à renoncer à ces démarches, dans la crainte qu'elles fussent tout au moins inutiles, et peut-être nuisibles. «L'intérêt que l'Empereur manifestera pour sa tante, disait Fersen, ne sera-t-il pas une raison pour les factieux et un moyen dont ils se serviront pour la perdre, en réveillant les haines contre les Autrichiens et montrant la Reine comme étrangère et complice des crimes qu'ils ont imputés au Roi[1478]?» Ne valait-il pas mieux, à force d'argent et de promesses, gagner quelques meneurs influents, comme Laclos, Santerre, Dumouriez[1479]? Dumouriez surtout, alors à la tête d'une armée victorieuse, et qui, ancien serviteur de la monarchie, pouvait avoir la pensée de la restaurer avec Louis XVII. Quelque temps après, en effet, comme pour donner raison aux prévisions du dévoué Suédois, les Constitutionnels,—c'est le mot dont il se sert,—proposaient au baron de Breteuil d'obtenir un décret de bannissement pour la Reine et ses enfants; ils exigeaient pour cela six millions, payables lorsque les prisonniers eussent été en sûreté sur la terre étrangère; le baron demanda les six millions à Pitt, qui fit des objections, et l'affaire n'eut pas de suite[1480]. Mais un peu plus tard, un homme de confiance de Dumouriez vint à son tour s'aboucher avec M. de Breteuil[1481]: le général était las du despotisme de la Convention, indigné de la mort du Roi et des atrocités qui se commettaient à Paris. Le baron s'adressa de nouveau à l'Angleterre, qui, cette fois encore, traîna en longueur. Mais, avec ou sans les émigrés, Dumouriez poursuivait son plan. Le 12 mars, il avait avec les commissaires de la Convention une vive altercation. Le 25, il recevait à son quartier général le colonel autrichien Mack, envoyé du prince de Cobourg, et, après avoir exhalé devant lui tous ses griefs contre le gouvernement révolutionnaire, il s'écriait: «Il nous est impossible de rester plus longtemps spectateurs tranquilles de tant d'horreurs. Je veux disperser cette criminelle Convention, rétablir la royauté constitutionnelle, proclamer le Dauphin roi de France, sauver les jours de la Reine.» Quelques jours après, l'accord était fait entre le prince allemand et le général français. Cobourg s'engageait à ne pas inquiéter Dumouriez, et celui-ci, à la tête de son armée, devait marcher sur Paris, dissoudre la Convention et restaurer la monarchie. «Un exprès, envoyé par le vicomte de Caraman au baron de Breteuil, écrivait Fersen tout joyeux sur son _Journal_, a apporté l'arrangement fait par Dumouriez avec le prince de Cobourg. J'en envoyai une estafette en porter la nouvelle en Suède. La joie fut très vive. J'en eus d'autant plus que je ne craignais plus rien pour la Reine[1482].» Mais déjà les intrigues renaissaient. En cas de rétablissement de la monarchie, qui aurait la régence? L'entourage de Monsieur la demandait pour lui[1483]; les amis de la Reine, s'appuyant sur les précédents, la revendiquaient pour elle, et il n'était pas bien sûr que Dumouriez vainqueur ne réclamât un titre auquel la grandeur du service rendu semblerait lui donner quelque droit. Pour prévenir ces conflits et régler l'attitude à prendre, Fersen voulait envoyer d'une part à Vienne et à Hamm le marquis de Limon, afin de décider Monsieur à renoncer à ses prétentions; d'autre part, à Paris, l'évêque de Pamiers, Mgr d'Agout, afin de «voir la Reine au moment de sa délivrance, pour l'instruire de sa position et lui donner des conseils sur ce qu'elle aurait à faire[1484].» Et lui-même rédigeait une longue lettre à Marie-Antoinette pour lui expliquer toute sa politique. Il fallait se servir de Dumouriez, sans se livrer à lui; car c'était un «gueux qui dans le fait n'a cédé qu'à la nécessité et n'a voulu se bien conduire que lorsqu'il voyait l'impossibilité de résister plus longtemps[1485]». C'était néanmoins un auxiliaire utile pour le rétablissement de la monarchie en son entier, telle que la Reine la voulait et que les circonstances le permettaient. Car il saurait d'une part neutraliser l'influence des émigrés; de l'autre résister aux Puissances, comme l'Angleterre et l'Autriche, qui avaient intérêt à «donner à la France un gouvernement qui la tienne dans un état de faiblesse». On formerait un Conseil de régence où l'on aurait soin de contrebalancer les influences diverses, les Princes par Dumouriez, Monsieur par le baron de Breteuil. «Il faudra écrire à l'Empereur, aux rois de Prusse et d'Angleterre. Ils ont été parfaits pour vous, surtout le roi de Prusse. Il faudrait aussi écrire à l'Impératrice, mais une lettre simple et digne; car je ne suis pas content de sa conduite; elle n'a jamais répondu à votre lettre.» En tout cas, «jusqu'au moment où vous serez reconnue régente et où vous aurez formé votre Conseil, il faut faire le moins possible et payer tout le monde en politesses[1486].» Ainsi l'on réglait tout, on partageait les places, on distribuait les honneurs, comme si l'entreprise, qui n'était pas encore commencée, avait déjà abouti. Le cœur se serre en lisant dans tous ses détails ce plan d'une restauration qui ne devait pas se faire et en songeant que celle sur la tête de laquelle l'ardente imagination de Fersen voyait déjà rétablie la couronne de France, ne devait plus avoir d'autre couronne que celle du martyre. Mais à ce moment, qui doutait du succès? Quand les généraux de la République abandonnaient la République, comment ne pas croire au rétablissement de la monarchie? L'illusion fut de courte durée; le jour même où Fersen traçait à la Reine ce plan de conduite, il apprenait la ruine complète de ses rêves: depuis quatre jours déjà, Dumouriez était en fuite; abandonné par son armée, fusillé par les volontaires, il avait dû se réfugier à Mons avec tout son état-major[1487]. Un dernier espoir restait: l'échange des prisonniers du Temple contre les commissaires de la Convention, livrés par Dumouriez et détenus à Maëstricht. Des négociations furent entamées; elles échouèrent[1488], et cette chance suprême s'évanouit. Au lieu de la délivrance ce fut la maladie qui entra à la Tour. Tant de souffrances morales et physiques avaient altéré la santé des prisonniers. Madame Royale était venue coucher dans la chambre de sa mère, dans la crainte que la Reine ou le Dauphin ne se trouvassent mal la nuit et ne restassent ainsi sans secours[1489]. La santé du jeune prince déclinait aussi: pauvre enfant qui, habitué à la vie active, ne prenait presque plus d'exercice et qui, à huit ans, à l'âge où l'on a besoin de bonheur et d'expansion, vivait «toujours au milieu des larmes et des secousses, des saisissements et des terreurs continuelles[1490]». Après le 21 janvier, la Reine avait refusé de descendre au jardin: elle ne pouvait se résoudre à passer devant la chambre vide de son époux. Mais, craignant que le défaut d'air ne fît du mal à ses enfants, elle avait demandé, à la fin de février, l'autorisation de monter avec eux sur la plate-forme de la Tour; humaine ce jour-là, par hasard, la Commune l'avait permis[1491]. C'était l'air du moins et un peu de liberté, lorsque Mme Élisabeth réussissait à entraîner les surveillants derrière le toit de la Tour, afin de laisser la Reine hors de la vue, ou qu'on avait affaire à quelque municipal compatissant, comme Moëlle[1492]. Mais qu'était-ce que cette promenade circonscrite à un espace de quelques pieds carrés, car la flèche aiguë qui surmontait la Tour occupait le milieu de la plate-forme[1493], et il fallait se réduire à faire le tour du parapet. Plus de jeux, plus d'exercices, plus de courses, comme dans le jardin. Sans doute, la vue était belle; l'air était vif; mais le vent aussi était violent à cette hauteur et l'ombre des murs souvent perfide. Un jour, au commencement de mai, au retour de cette triste promenade, le jeune Roi se plaignit d'un point de côté; le 9, à sept heures du soir, il fut pris d'une fièvre violente, accompagnée de mal de tête. Il ne pouvait rester couché, parce qu'il étouffait. La Reine, inquiète, demanda qu'on fît venir le médecin habituel de ses enfants, Brunier. Le Conseil ne fit que rire des alarmes de la pauvre mère; les municipaux dirent qu'elle s'inquiétait pour rien[1494]. Hébert avait vu à cinq heures l'enfant sans fièvre, et d'ailleurs Brunier était suspect: il s'était découvert respectueusement devant ses anciens maîtres et avait été dénoncé par Tison avec Toulan et Lepître. La fièvre redoubla. Pour ne pas rester dans cet air malsain, Madame Royale quitta la chambre de sa mère et Mme Élisabeth vint la nuit y prendre sa place. La maladie ne cédait pas aux soins maternels: la Reine redemanda un médecin. Cette fois, la Commune se détermina à en accorder un; mais ce ne fut pas Brunier, ce fut Thierry, médecin ordinaire des prisons, «attendu que ce serait blesser l'égalité de lui en envoyer un autre.» Thierry vint le matin et trouva un peu de fièvre à l'enfant; il revint dans la journée et constata que la fièvre était plus forte. Heureusement c'était un brave cœur, estimé comme homme et comme praticien. Il soigna le jeune malade avec dévouement et eut l'attention et le courage d'aller conférer du traitement à suivre avec Brunier qui, connaissant de longue date le tempérament du prince, pouvait mieux indiquer le remède. Le remède en effet,—c'était une médecine,—fit du bien; mais la Reine ne dormit pas de la nuit, parce que la dernière fois que son fils avait été purgé, il avait eu des convulsions affreuses. Le mal céda cependant; mais la fièvre et le point de côté revinrent de temps en temps. La santé du malheureux enfant commençait à s'altérer; elle ne se remit jamais complètement[1495]. Pendant les mois de mai, de juin et de juillet, on trouve, sur les mémoires du citoyen Robert, apothicaire, de nombreux médicaments fournis pour lui[1496]. Le il juin, on s'aperçut même que le jeune prince s'était blessé en jouant sur un bâton[1497], et le bandagiste de la prison dut venir le visiter[1498]. Pour le distraire, pendant qu'il était au lit, la Reine lui lisait _Gil-Blas_. Le contrecoup des agitations de Paris se faisait toujours sentir au Temple. Le 31 mai, on défendit aux prisonniers de monter à la Tour pour prendre l'air. Quelques jours après, à six heures du soir, Chaumette vint avec Hébert; tous deux étaient ivres. Chaumette demanda à la Reine si elle avait des désirs à exprimer ou des plaintes à formuler; la Reine répondit négativement et ne fit plus attention à ses sinistres visiteurs; mais leur présence prolongée lui était odieuse. Mme Élisabeth, pour délivrer sa belle-sœur de ce supplice, demanda à Chaumette pourquoi il était venu et pourquoi il restait. «C'est,» répondit le Procureur de la commune, «que je fais la visite des prisons, et toutes les prisons étant égales, je suis venu au Temple comme ailleurs.» La nuit suivante, Louis XVII se trouva mal; ces accidents arrivaient fréquemment au pauvre enfant, privé d'air et d'exercice; Thierry vint le voir et, pour cette fois, l'indisposition n'eut pas de suite[1499]. Autour du Temple cependant les amis de la Reine veillaient encore. Grâce à la connivence de municipaux compatissants, quelques-uns réussissaient à s'introduire dans la prison, comme ce La Caze, dont parle Fersen, qui trouva Marie-Antoinette peu changée, mais Mme Élisabeth tellement méconnaissable qu'il ne la reconnut que lorsque la Reine l'appela _ma sœur_[1500]. Une autre fois, c'était une Anglaise, Mme Atkyns, qui pénétrait près de la Reine et lui offrait de changer de vêtements avec elle pour faciliter son évasion. Mais il fallait partir seule; cette fois encore Marie-Antoinette refusa[1501]. C'était surtout l'intrépide et infatigable baron de Batz, toujours aux aguets pour saisir une occasion favorable, toujours prêt à jouer sa tête pour sauver les débris de la famille royale. Ancien membre de la Constituante, possesseur d'une grande fortune, qu'il avait généreusement mise à la disposition du Roi[1502], Batz avait trouvé moyen d'acheter ou de gagner plusieurs membres de la Convention et plusieurs municipaux; caché dans Paris, tantôt dans une maison, tantôt dans une autre, il déroutait la police et seul jetait la terreur chez ceux qui terrorisaient la France. Sa principale retraite était rue Richelieu, chez un épicier nommé Cortey, royaliste caché, qui, par ses relations avec Chrétien, juré du Tribunal révolutionnaire et principal agent du Comité de la section—Lepelletier, avait réussi à se faire inscrire parmi les commandants chargés de la garde de la Tour. Grâce à lui, Batz, sous le nom de Forget, fut compris parmi les hommes de service au Temple et put ainsi étudier les lieux pour l'entreprise qu'il méditait. Quand il eut tout examiné, il s'ouvrit à un municipal, jadis révolutionnaire ardent, mais qui, converti, lui aussi, par le spectacle des vertus des prisonniers, dissimulait, sous les apparences d'un civisme bruyant, un dévouement à toute épreuve pour la famille royale, dévouement qu'il devait payer de sa vie. Homme de tête et de sang-froid, Michonis était bien le complice qui convenait à Batz; il se chargea de tout organiser à l'intérieur. En même temps, le baron s'assura, dans sa section, de la coopération active d'une trentaine de fidèles, dont il connaissait le courage et la discrétion[1503]. Mais, pour réussir, il fallait que Michonis et Cortey fussent de service ensemble. Le jour désiré arriva enfin[1504]. Cortey entre au Temple avec son détachement dans lequel Batz figure sous son nom d'emprunt; il distribue le service de manière à mettre ses trente hommes dévoués aux postes de la Tour et de l'escalier ou dans des patrouilles entre minuit et deux heures du matin. A la même heure, Michonis sera de garde dans l'appartement des princesses, tandis que ses collègues resteront dans la chambre du Conseil. C'est lui qui ouvrira la porte aux prisonniers; il les revêtira d'amples redingotes d'uniforme, dont quelques-uns des hommes de Cortey ont pris la précaution de se munir. Les princesses, sous ce déguisement et l'arme au bras, seront placées dans une patrouille au milieu de laquelle on cachera le jeune Roi. La patrouille sera conduite par Cortey, qui, seul, en sa qualité de commandant général, a le pouvoir de faire ouvrir les grandes portes pendant la nuit. Au dehors, dans la rue Charlot[1505], tout est préparé pour une fuite rapide; les mesures ont été bien prises: «elles sont, dit Sénar qui les a connues, aussi hardies que bien menées.» L'heure approche; il est onze heures. Tout à coup Simon arrive essoufflé; un gendarme lui a remis ce billet: «Michonis vous trahira cette nuit; veillez.» En lisant cette dénonciation, Simon a bondi; il a prévenu ses collègues qui l'ont chargé de veiller. «Si je ne te voyais pas ici, dit-il à Cortey, je ne serais pas tranquille.» A ces mots, prononcés d'une voix brusque, à l'attitude de Simon, Batz reconnaît qu'il est trahi; un moment il songe à casser d'un coup de pistolet la tête de l'espion; mais il réfléchit que le bruit de la détonation causera un mouvement général qui compromettra ceux qu'il veut sauver. Simon monte à la Tour et enjoint à Michonis de cesser ses fonctions et de le suivre. Michonis obéit avec un imperturbable sang-froid; en sortant, il glisse un mot à Cortey; mais déjà celui-ci a pris son parti; sous prétexte de quelque bruit entendu au dehors, il fait sortir une patrouille dans laquelle il a placé le baron de Batz. L'entreprise a échoué; mais les conspirateurs sont sauvés. Michonis, conduit à la Commune, y subit un interrogatoire sévère; mais il répond avec une telle présence d'esprit qu'il déconcerte ses juges, et Simon est traité de visionnaire et de calomniateur[1506]. Cependant le remords, lui aussi, faisait son apparition à la Tour. Depuis quelque temps déjà, la femme Tison donnait des marques de dérangement d'esprit; elle ne voulait plus sortir; elle riait, criait, pleurait toute seule; elle parlait de ses fautes, de ses dénonciations, de prison, d'échafaud, de la famille royale, se reconnaissant indigne de l'approcher. La nuit, elle faisait des rêves affreux, poussait des hurlements horribles, qui troublaient le sommeil des captifs. On fit venir sa fille un soir, à dix heures, pour la calmer; l'heure tardive l'effraya encore davantage; elle ne voulait pas descendre; elle criait: «On va nous mettre en prison;» elle se roulait dans l'escalier[1507]. Elle aperçut la Reine et se précipita à ses pieds: «Madame, dit-elle, je demande pardon à Votre Majesté; je suis une malheureuse; je suis la cause de votre mort et de celle de Mme Élisabeth.» Turgy entra; elle courut à lui, se jeta à ses genoux, en répétant sans cesse: «Je suis une malheureuse; je suis cause de la mort de la Reine et de Mme Élisabeth[1508].» Les princesses la relevèrent, cherchèrent à la calmer, la soignèrent avec une pitié, une charité que n'autorisait guère la conduite de cette femme. Elles l'assurèrent qu'elles lui pardonnaient. Mais rien ne pouvait apaiser cette folie, fille du remords; la malheureuse se tordait toujours dans les cris et dans les convulsions. Il fallut appeler huit hommes pour la contenir; le 29 juin[1509], on la transporta dans le château; huit jours après, le 6 juillet, on dut la transférer à l'Hôtel-Dieu, où l'on mit près d'elle une femme, chargée de l'espionner à son tour[1510]. Et la Reine, opiniâtre dans sa miséricorde, écrivait à Toulan, dans un de ces billets que le fidèle Turgy parvenait à soustraire aux recherches des municipaux: «La femme Tison est-elle bien soignée[1511]?» La méchanceté de Tison ne tint pas contre cet admirable pardon des injures. Pris de remords, lui aussi, il s'efforça de faire oublier sa conduite passée en se dévouant, comme Turgy, au service de celles qu'il avait espionnées si longtemps[1512]. Mais la Convention et la Commune n'avaient point de ces repentirs; elles étaient impitoyables dans leur haine; elles persécutaient, parce qu'elles avaient peur. L'image de la royauté, qu'elles avaient cru détruire le 21 janvier, les poursuivait, comme un menaçant fantôme. Louis XVI était mort, mais Louis XVII vivait. Le nom de l'enfant roi revenait sans cesse dans les espérances de ses partisans, dans les préoccupations des bourreaux de son père. Le 30 juin, des membres de la section du Pont-Neuf se rendirent au Comité de Salut public et annoncèrent qu'un complot s'était formé, sous la conduite du général Dillon, pour renverser la Convention, enlever Louis XVII et le proclamer Roi, sous la régence de Marie-Antoinette. Le lendemain, 1er juillet, le Comité de Salut public répondit à cette dénonciation en arrêtant que le jeune Louis Capet serait séparé de sa mère, placé dans un appartement à part, «le mieux défendu de tout le local du Temple,» et remis à un instituteur du choix de la Commune. La Convention s'empressa de sanctionner la résolution de son Comité; dès le 3 juillet, l'arrêté fut mis à exécution. A neuf heures et demie du soir, six municipaux se rendirent au Temple pour ravir l'enfant royal. Le jeune prince dormait; un châle, tendu autour de son lit, à défaut de rideaux, l'abritait contre l'air et la lumière. Assises près de sa couche, la Reine et Mme Elisabeth réparaient, de leurs mains, ses vêtements troués; Madame Royale faisait la lecture à haute voix dans une _Semaine sainte_, que Turgy avait trouvé moyen de faire parvenir à Mme Elisabeth au mois de mars. La religion présidait ainsi à ces tristes veilles; sa voix austère sanctifiait ces travaux et affermissait ces cœurs si tendres contre les sacrifices déjà consommés et ceux qui les attendaient encore. Tout à coup, la porte s'ouvre; les municipaux entrent. «Nous venons, dit l'un d'eux, vous notifier l'ordre du Comité portant que le fils de Capet sera séparé de sa mère et de sa famille.» La Reine se lève, pâle et frémissante. «M'enlever mon enfant!» s'écrie-elle, «cela n'est pas possible! On ne peut pas songer à me séparer de mon fils. Mes soins lui sont nécessaires.»—«Le Comité a pris cet arrêté,» riposte le municipal; «la Convention l'a ratifié; nous devons en assurer l'exécution immédiate.»—«Non, reprend la malheureuse mère, n'exigez pas de moi cette séparation.» Et les mains jointes, les yeux humides, la poitrine haletante, elle se place près du lit avec sa belle-sœur et sa fille, comme une lionne qui défend ses petits. Dans ces mouvements, le châle tombe; l'enfant s'éveille; entendant ce tumulte, voyant sa mère en pleurs, ces hommes menaçants: «Maman, maman,» dit-il, en lui tendant les bras, «ne me quittez pas.» Et la mère saisit son fils, le couvre de baisers, le serre sur son cœur, se cramponne en quelque sorte aux pieds du lit, pour qu'on ne puisse l'en détacher. «Vous me tuerez,» dit-elle, «avant de me l'arracher.» Puis, abdiquant sa fierté pour s'abaisser à la prière, oubliant qu'elle est reine, pour se souvenir seulement qu'elle est mère, elle adjure les ravisseurs d'avoir pitié d'elle et de son enfant; elle se répand en larmes, en sanglots, en supplications. A côté d'elle, Mme Elisabeth et Madame Royale pleurent et prient; elles s'efforcent, mais en vain, d'attendrir le cœur des geôliers; ces hommes n'ont pas de cœur. «A quoi bon toutes ces criailleries? riposte brutalement un des municipaux; on ne le tuera pas, ton fils. Livre-le nous de bonne grâce, ou nous saurons bien nous en rendre maîtres.» Et un autre propose de faire monter la garde pour enlever de force l'enfant[1513]. «Une heure, raconte Madame Royale, se passa ainsi en résistance de sa part,—de la part de la Reine,—en injures, en menaces de la part des municipaux, en pleurs et en défenses de nous tous. Enfin, ils la menacèrent si positivement de le tuer, ainsi que moi, qu'il fallut qu'elle cédât encore, par amour pour nous[1514].» Oui, pour arracher un fils à sa mère, on eut l'odieux courage de menacer cette mère de tuer ses enfants. La plume tombe, en présence d'une telle infamie. Mme Élisabeth et Madame Royale levèrent le jeune prince: la pauvre mère n'avait plus la force de le faire[1515]. On l'habilla longuement, avec quels regards, quels déchirements, quelles lenteurs calculées, Dieu le sait! Quand la toilette fut achevée, la Reine plaça son fils devant elle, et puisant dans sa foi de chrétienne la force de lui parler, elle posa ses deux mains sur la tête de l'enfant: «Mon fils,» lui dit-elle d'une voix grave, «nous allons nous quitter. Souvenez-vous de vos devoirs, quand je ne serai plus auprès de vous pour vous les rappeler. N'oubliez jamais le bon Dieu qui vous éprouve et votre mère qui vous aime. Soyez sage, patient et honnête, et votre père vous bénira du haut des cieux.» Puis, déposant sur le front du pauvre petit une dernière bénédiction dans un dernier baiser, elle le remit aux mains de ses gardiens. L'enfant s'en échappa et s'attacha à la robe de sa mère. «Il faut obéir,» dit-elle tristement, «il le faut.»—«Allons,» dit brusquement un des municipaux, «tu n'a plus, j'espère, de doctrine à lui faire; il faut avouer que tu as fièrement abusé de notre patience.»—«Tu pourrais te dispenser de lui faire la leçon,» riposta un second.—«Ne t'en inquiète pas,» reprit un troisième; «la Nation, toujours grande et généreuse, pourvoira à son éducation.» Et les six municipaux, entraînant violemment le jeune prince, sortirent de la chambre[1516]. Pendant quelques instants encore, on entendit les pas des geôliers qui s'éloignaient et les cris de l'enfant qui se débattait. Puis le silence se fit, et les trois femmes restèrent seules à pleurer auprès d'une couchette vide. La Commune du moins leur épargnait le supplice d'avoir des témoins de leur douleur; à partir de ce jour, les municipaux ne restèrent plus dans la chambre des prisonnières; elles furent toutes les nuits renfermées sous les verroux[1517]. Les gardes ne venaient plus que trois fois par jour, pour apporter les repas et s'assurer que les barreaux des fenêtres n'étaient pas dérangés. Il n'y eut plus personne pour le service; Mme Élisabeth et Madame Royale faisaient les lits et servaient la Reine. Les pauvres femmes aimaient mieux cela; elles pouvaient du moins prier et pleurer en paix. La Convention avait déclaré qu'elle pourvoirait à l'éducation du fils de Capet. On sait comment elle y pourvut. Le précepteur qu'elle donna à Louis XVII fut le savetier Simon, un des plus grossiers et des plus haineux parmi les municipaux auxquels avait été confiée la garde des prisonniers du Temple. Quelques mois après, ce bel et charmant enfant aux joues roses, aux cheveux bouclés, à l'esprit vif, au cœur ardent et tendre, n'était plus qu'un pauvre petit être souffreteux et rachitique, dont on tuait le corps à coups de fouet, dont, ne pouvant tuer l'âme, on tuait l'intelligence à coups de jurons et de chansons obscènes. «Citoyens,» avait demandé Simon aux Comités lorsqu'on l'avait chargé de la garde du jeune roi, «citoyens, que décidez-vous du louveteau? Il était appris pour être insolent; je saurai le mater. Tant pis s'il en crève! Je n'en réponds pas. Après tout, que veut-on? Le déporter?»—«Non.»—«Le tuer?»—«Non.»—«L'empoisonner?»—«Non.»—«Mais, quoi donc?»—«S'en défaire[1518]!» Tel était le programme que la Convention avait tracé à Simon, et que celui-ci devait remplir avec une singulière conscience, si l'on peut se servir du mot de conscience en parlant d'un tel homme! Nous n'avons pas à refaire l'histoire de ce long et douloureux martyre; le récit, tracé de main de maître par MM. de Beauchesne et Chantelauze, a fait pleurer toutes les mères. Depuis que Louis XVII avait été confié à cet étrange précepteur, il n'était pas sorti de sa chambre; les gardes du Temple ne l'avaient pas vu. Le bruit s'était répandu dans Paris qu'il avait été enlevé de son cachot et conduit en triomphe à Saint-Cloud. Pour mettre fin à ces rumeurs, qui amenaient une certaine agitation, le Comité de sûreté générale décida, le 7 juillet, que quatre commissaires, Dumont, Maure, Chabot et Drouet, se transporteraient à la Tour. Le premier acte des commissaires fut de faire descendre l'enfant au jardin, afin qu'il fût vu par la garde montante. A peine là, le jeune prince se mit à appeler sa mère à grands cris et à se plaindre d'être séparé d'elle. «Qu'on me montre,» s'écria-t-il, «la loi qui ordonne de me séparer de ma mère.» Ces cris importunèrent les commissaires. «On le fit taire,» dit laconiquement Madame Royale[1519]. Comment? Elle ne le dit pas; mais on le devine; on le fit monter précipitamment dans sa chambre, où Simon fut chargé de le travailler[1520] et de le dresser. En quittant le fils, les quatre députés entrèrent chez la mère. A l'aspect de Drouet, la Reine ne put retenir un mouvement de répulsion; quand elle l'eut surmonté, «elle se plaignit, dans les termes les plus touchants, de la cruauté que l'on avait eue de lui ôter son fils»[1521]; elle supplia qu'on le lui rendît, qu'on lui permît au moins de le voir aux heures des repas[1522]. Ni prières, ni raisons ne purent fléchir la dureté des commissaires; ils se contentèrent de répondre qu'on croyait nécessaire de prendre cette mesure. Ces hommes ne sentaient rien: «Nous nous sommes transportés au Temple, dit froidement Drouet à la Convention. Dans le premier appartement, nous avons trouvé le fils de Capet jouant tranquillement aux dames avec son mentor. «Nous sommes montés à l'appartement des femmes; nous y avons trouvé Marie-Antoinette, sa fille et sa sœur jouissant d'une parfaite santé. On se plaît encore à répandre chez les nations étrangères qu'elles sont maltraitées; et, de leur aveu, fait en présence des commissaires de la Convention, rien ne manque à leur commodité.» De la scène dramatique du jardin, des réclamations touchantes de la Reine, pas un mot. Non, pour que la pauvre mère pût apercevoir son fils ou avoir de ses nouvelles, ce n'était pas sur la compassion officielle qu'il fallait compter, c'était sur le dévouement de quelques amis, c'était sur elle-même. Le jeune prince allait, de temps à autre, prendre l'air sur la plate-forme de la Tour; la Reine découvrit que, par une petite fenêtre de son appartement, on pouvait voir l'enfant passer dans l'escalier. «Dites à Fidèle,—Toulan,—écrivait Mme Elisabeth,—ma sœur a voulu que vous le sachiez,—que nous voyons tous les jours le petit par la fenêtre de l'escalier de la garde-robe[1523].» La malheureuse femme restait des heures entières à guetter le passage de son fils; quand il était passé, on montait sur la plate-forme, qui avait été divisée en deux par une cloison, et là, par une petite fente, on apercevait encore le jeune Roi. «Nous montions sur la Tour bien souvent, raconte Madame Royale, parce que mon frère y allait de son côté et que le seul plaisir de ma mère était de le voir passer de loin, par une petite fente. Elle y restait des heures entières pour y guetter l'instant de voir cet enfant; c'était sa seule attente, sa seule occupation[1524].» Parfois aussi, on avait des nouvelles du petit prisonnier, soit par les municipaux, soit par Turgy, soit par Tison, qui semblait vouloir faire oublier, par un redoublement de zèle, l'indignité de sa conduite première. Ces nouvelles étaient navrantes: Simon maltraitait son royal élève «au delà de tout ce qu'on peut imaginer[1525]», et Mme Elisabeth dut supplier Tison de cacher, par pitié, toutes ces horreurs à la pauvre mère; elle en savait ou en soupçonnait bien assez[1526]. Mais un jour,—c'était le jour où l'on venait d'apprendre la marche victorieuse des coalisés,—la Reine était sur la Tour, attentive, à son poste d'observation; elle voit monter l'enfant et son geôlier; l'enfant est pâle, l'air souffreteux, la tête baissée; il a quitté le deuil de son père; il porte la carmagnole et est coiffé du bonnet rouge. Et le geôlier est là, le juron et le blasphème à la bouche, injuriant, brutalisant, frappant le pauvre petit. Ce jour-là, la Reine en a trop vu, elle se jette en pleurant dans les bras de Mme Élisabeth, écarte la jeune Marie-Thérèse qui veut à son tour s'approcher de la fente et redescend foudroyée dans sa chambre. «Mes pressentiments ne me trompaient pas,» dit-elle à Mme Élisabeth en fondant en larmes; «je savais bien qu'il souffrait; il serait malheureux à cent lieues de moi que mon cœur me le dirait. Depuis deux jours, je souffrais, je m'agitais, je tremblais; c'est que les larmes que mon pauvre enfant répand loin de moi, je les sens tomber sur mon cœur. Je n'ai plus de goût à rien; Dieu s'est retiré de moi; je n'ose plus prier.» Puis, tout à coup, se repentant de cette dernière parole: «Pardon, mon Dieu, et vous, ma sœur, pardon, je crois en vous comme en moi-même; mais je suis trop tourmentée pour ne pas être menacée de quelque nouveau malheur. Mon enfant! mon pauvre enfant! Je sens, au déchirement de mon cœur, les défaillances du sien.» Marie-Thérèse était à côté; Mme Élisabeth, craignant qu'elle n'eût entendu ces paroles désespérées, alla la consoler; la jeune fille fit sa prière et s'endormit[1527]. Ce nouveau malheur, que redoutait la Reine, n'allait pas tarder à fondre sur elle. Le 1er août, sur un rapport de Barrère, la Convention décida que Marie-Antoinette serait envoyée au Tribunal révolutionnaire et transférée sur-le-champ à la Conciergerie. «Le 2 août, à deux heures du matin, raconte Madame Royale, on vint nous éveiller pour lire à ma mère le décret de la Convention, qui ordonnait que, sur la réquisition du procureur de la Commune, elle serait conduite à la Conciergerie pour qu'on lui fît son procès. Elle entendit la lecture de ce décret sans s'émouvoir et sans leur dire une seule parole; ma tante et moi, nous demandâmes de suite à suivre ma mère; mais on ne nous accorda pas cette grâce. Pendant qu'elle fit le paquet de ses vêtements, les municipaux ne la quittèrent point; elle fut même obligée de s'habiller devant eux. Ils lui demandèrent ses poches qu'elle donna; ils les fouillèrent et prirent tout ce qu'il y avait dedans, quoique ce ne fût pas du tout important. Ils en firent un paquet qu'ils dirent qu'ils enverraient au Tribunal révolutionnaire, où il serait ouvert devant elle. Ils ne lui laissèrent qu'un mouchoir et un flacon, dans la crainte qu'elle ne se trouvât mal. Ma mère, après m'avoir tendrement embrassée, me recommanda de prendre courage, d'avoir bien soin de ma tante et de lui obéir comme à une seconde mère, me renouvela les mêmes instructions que mon père; puis, se jetant dans les bras de ma tante, elle lui recommanda ses enfants. Je ne lui répondis rien, tant j'étais effrayée de l'idée de la voir pour la dernière fois; ma tante lui dit quelques mots bien bas. Alors ma mère partit, sans jeter les yeux sur nous, de peur sans doute que sa fermeté ne l'abandonnât. Elle s'arrêta encore au bas de la Tour, parce que les municipaux y firent un procès-verbal pour décharger le concierge de sa personne. En sortant, elle se frappa la tête à un guichet, ne pensant pas à se baisser; on lui demanda si elle s'était fait du mal. «Oh non! dit-elle, rien à présent ne peut me faire du mal[1528].» Et montant dans une voiture avec un municipal et deux gendarmes, elle partit pour la Conciergerie. CHAPITRE XXV La Conciergerie.—Le cachot de la Reine.—Michonis.—Les Richard.—Tentatives pour sauver la Reine.—Affaire de l'œillet.—Vexations nouvelles.—Le concierge Bault et sa famille.—Nouvelles tentatives d'évasion.—Le complot Basset.—Inaction de l'Autriche. Nous sommes arrivés à la dernière étape: après la Conciergerie, il n'y a plus que l'échafaud. Il était trois heures du matin, quand la Reine arriva dans sa nouvelle prison; au lieu de l'écrouer au greffe, on la conduisit directement à la chambre qui lui était destinée. C'était une petite pièce du rez-de-chaussée, basse, humide et froide[1529], à laquelle menait un grand corridor sombre et que fermait une porte massive, garnie de deux énormes verrous. Le sol, situé au-dessous du niveau de la cour, était carrelé en briques sur champ; sur les murs, le long desquels l'eau ruisselait, quand la Seine était haute[1530], on apercevait encore les lambeaux d'un vieux papier fleurdelysé, rongé par le salpêtre. Cette chambre, appelée chambre du Conseil, parce que c'était là qu'avant la Révolution les magistrats du Parlement de Paris venaient, à certaines époques, écouter les réclamations des prisonniers, était occupée par le général Custine, qui avait dû l'évacuer précipitamment pour faire place à la Reine[1531]. Une fenêtre basse, soigneusement grillée et donnant sur la cour intérieure de la prison, éclairait seule ce sombre réduit; un lit de sangle, une table, deux chaises de paille, un fauteuil de canne[1532], en composaient le misérable ameublement[1533]; sur le lit, des sangles renouées en plusieurs endroits avec des cordes, une paillasse à demi pourrie, un matelas déchiré, une couverture de laine trouée, des draps de toile grossière et grise; pas de rideaux, un vieux paravent[1534]. Les gendarmes, qui couchaient sur un lit pareil à celui de la Reine, le trouvaient trop dur et s'en plaignaient. Il y avait encore une corbeille d'osier pour l'ouvrage, une boîte de bois pour la poudre et une de fer-blanc pour la pommade[1535]. En entrant, la Reine ne put s'empêcher de jeter un regard sur la nudité de ces murs. Le jour grandissait déjà. Elle accrocha sa montre à un clou et s'étendit sur son lit[1536]. Mais la haine de ses bourreaux ne pouvait pas même lui laisser la consolation de la solitude. Dès le matin, deux gendarmes vinrent s'installer dans la chambre de la prisonnière pour la surveiller; on y ajouta une femme pour le service; c'était une vieille personne de quatre-vingts ans, nommée Larivière, ancienne concierge de l'Amirauté, et dont le fils était le porte-clefs de la prison. Mais bientôt cette femme, dont l'attitude avait inspiré une certaine confiance à la Reine, fut changée; on la remplaça par une jeune femme de trente-six ans, la femme Harel, «véritable poissarde,» a dit Rougeville[1537], dont le mari était employé aux bureaux secrets de la police et qui n'avait d'autre mission que d'espionner la captive. La Reine s'en méfia instinctivement et ne lui adressa presque jamais la parole[1538]. Deux nouveaux lits furent apportés en même temps; l'un était destiné à la femme de service; l'autre aux gendarmes, qui ne perdaient jamais de vue leur prisonnière, même, a dit Rougeville, «lorsqu'elle avait des soins naturels à se donner[1539].» Un voleur de la dernière catégorie, nommé Barassin, forçat, espion[1540], à figure de brute et à cœur d'hyène, qui était chargé, dans les prisons, des besognes les plus dégoûtantes et les plus pénibles, pénétrait parfois dans le cachot royal, pour y remplir ses répugnantes fonctions[1541]. Un jour, Beaulieu, alors détenu à la Conciergerie, l'interrogea sur la manière dont y était traitée Marie-Antoinette. —«Comme les autres,» répondit-il. —«Comment? Comme les autres?» —«Oui, comme les autres; cela ne peut surprendre que les aristocrates.» —«Et que faisait la Reine, dans sa triste chambre?» —«La Capet! Va, elle était bien penaude; elle raccommodait ses chausses pour ne pas marcher sur sa chrétienté.» —«Comment était-elle couchée?» —«Sur un lit de sangle, comme toi.» —«Comment était-elle vêtue?» —«Elle avait une robe noire, qui était toute déchirée; elle avait l'air d'une margot[1542].» Quel saisissant tableau dans sa brutalité réaliste! Arrachée à la hâte de la Tour, Marie-Antoinette n'avait pu emporter que bien peu de vêtements. Dès le lendemain, elle en fit demander, et les municipaux du Temple transmirent à ceux de la Conciergerie une redingote et une jupe, deux paires de bas de filoselle, une paire de chaussettes, et un bas à tricoter, renfermé dans une corbeille et que la pauvre mère avait commencé pour son fils[1543]. Mme Élisabeth et sa nièce mirent dans le paquet tout ce qu'elles purent trouver de laine et de soie; elles savaient combien la Reine avait toujours aimé à s'occuper. Au temps de sa prospérité même, elle avait l'habitude de travailler sans cesse; à la Conciergerie ce devait être sa seule distraction. Mais cette distraction même lui fut refusée; l'espoir de la prisonnière et l'ingénieuse affection de sa belle-sœur furent trompées. On ne voulut pas remettre à la Reine les aiguilles à tricoter, dans la crainte, dirent les municipaux, qu'elle ne s'en servît pour attenter à ses jours[1544]. La pauvre femme fut réduite à ne rien faire, dans sa prison, que prier, méditer, songer au triste passé et au triste avenir. Son seul passe-temps était de regarder ses geôliers jouer aux cartes ou de lire quelques volumes que la compassion d'un garde plus humain ou le dévouement d'un serviteur fidèle, comme Hue ou Montjoye, réussissait à lui procurer, les voyages de Cook entre autres, et lorsqu'on lui demandait quels livres elle désirait: «Les aventures les plus épouvantables,» répondait-elle[1545]. En même temps qu'on refusait à la détenue de la Conciergerie des aiguilles, on enlevait aux prisonnières du Temple les tapisseries faites par la Reine et celles auxquelles elles travaillaient elles-mêmes, sous prétexte qu'il pouvait y avoir dans ces ouvrages des signes mystérieux et des moyens de correspondance[1546]. Marie-Antoinette n'avait jamais bu de vin, et elle ne pouvait supporter l'eau de la Seine. La seule boisson qui ne lui fît pas mal était l'eau de Ville-d'Avray; pendant sa captivité au Temple, on n'avait cessé d'y apporter une provision de cette eau. Mme Élisabeth supplia les municipaux d'en faire porter un peu à la Conciergerie, et le 5 août les administrateurs de police y consentirent; chaque jour, deux bouteilles d'eau de Ville-d'Avray furent prélevées sur la provision du Temple pour l'usage de la veuve de Louis XVI. A côté des persécuteurs, il y avait encore des cœurs amis. La Terreur, qui pesait sur la France, n'avait pu comprimer les saintes ardeurs du dévouement et de la pitié. Michonis était toujours là; c'était lui qui veillait sur la Reine et qui, nommé administrateur de police, avait obtenu l'inspection de son cachot. C'était lui qui servait d'intermédiaire entre le Temple et la Conciergerie, et, le 19 août par exemple, allait réclamer les quatre chemises et la paire de souliers non numérotés dont la prisonnière avait «le plus pressant besoin». De leur côté, Turgy et Toulan continuaient leur correspondance par signes, et c'est par eux que, jusqu'à la fin, Mme Élisabeth et Madame Royale purent avoir des nouvelles de la «personne», ainsi qu'elles désignaient Marie-Antoinette[1547]. Mais les précautions les plus minutieuses étaient nécessaires. Le bruit de ces intelligences avait fini par transpirer; aussitôt les princesses, redoutant une perquisition, jetèrent tout ce qu'elles conservaient encore, dissimulé sous leurs vêtements, papier, encre, crayon[1548]; elles n'eurent plus, pour leur correspondance avec Toulan, que de la noix de galle et du lait d'amandes[1549]. Hue avait fait mieux encore: il s'était introduit à la Conciergerie et avait réussi,—sans grande peine d'ailleurs, car le terrain était bien préparé,—à gagner le concierge Richard et sa femme, celle que Mm Élisabeth, dans ses billets, désignait sous le nom de _Sensible_[1550]. C'est par eux qu'il avait des nouvelles de la prisonnière qu'il transmettait à Toulan, que celui-ci, à son tour, au moyen de signaux sur le cor, communiquait à Turgy, et qui allaient jeter un peu de baume sur le cœur des captives du Temple. Faire passer à la Reine des nouvelles de ses enfants, informer Madame Royale et Mme Élisabeth de l'état où se trouvait la Reine, tel était le double but que se proposait Hue,—le _Constant_ de la correspondance,—et que ce généreux quatuor de complices, Turgy et Toulan, Richard et sa femme, l'aidaient fidèlement à remplir. C'étaient des cœurs compatissants que ces Richard. Tout ce qu'ils pouvaient faire pour adoucir la dure captivité de Marie-Antoinette, ils le firent, et ils trouvaient facilement des aides pour ces pieux complots. Un jour la prisonnière avait le désir de manger du melon; Mme Richard courut au marché le plus voisin: «Il me faut un excellent melon,» dit-elle à une marchande qu'elle connaissait.—«Je devine pour qui, répondit la marchande; c'est pour notre malheureuse Reine; choisis, prends ce qu'il y a de plus beau.» Elle-même bouscula tout le tas de melons pour trouver le meilleur. Mme Richard voulut payer: «Garde ton argent,» reprit la brave femme, «et dis à la Reine qu'il y en a parmi nous qui gémissent[1551].» Il n'était pas jusqu'à des chefs révolutionnaires, et des plus en vue, qui ne se laissassent toucher par les malheurs de leur victime ou séduire par l'appât d'une somme d'argent. Manuel avait été un des premiers convertis; Camille Desmoulins s'était pris de pitié; il voulait à toute force sauver la prisonnière[1552]; il ne réussit qu'à se perdre après elle. Hébert lui-même, l'infâme _Père Duchesne_, Hébert se laissait gagner; mais on le soupçonna et, pour détourner les soupçons, il se montra plus violent que jamais[1553]. L'ex-capucin Chabot était tenté par l'appât d'un million que lui offrait la marquise de Janson[1554], et Fersen, toujours intrépide et infatigable, concertait, avec la Marck et Mercy, l'envoi à Paris du maître de ballet Noverre et du financier Ribbes pour gagner Danton, en lui offrant de l'argent et les diamants pris sur Sémonville[1555]. D'un autre côté, le prince de Cobourg renouvelait ses offres pour l'échange de la Reine contre les commissaires arrêtés par Dumouriez[1556]. Le bruit de ces dispositions meilleures chez certains chefs du gouvernement se répandit dans Paris, et un jour la femme de Richard entretint la Reine de la possibilité d'une délivrance; mais la Reine, rendue plus clairvoyante par le malheur, se contenta de secouer la tête: «Ils ont immolé le Roi, dit-elle, ils me feront périr comme lui. Non, je ne reverrai plus mes malheureux enfants ni ma tendre et vertueuse sœur.» Et en disant ces mots elle fondit en larmes. Quoi qu'il en soit, cette compassion des gardiens amenait une sorte de relâchement dans la surveillance. Certains gendarmes avaient des égards pour la prisonnière. L'un d'eux brisait sa pipe, parce qu'il s'apercevait que la fumée de tabac incommodait la Reine et l'empêchait de dormir la nuit[1557]. D'autres, connaissant son goût pour les fleurs, lui apportaient des œillets, des tubéreuses, des juliennes[1558]. La femme Harel s'attendrissait[1559]. Grâce à la complicité des administrateurs de police et des concierges, diverses personnes, des prêtres même[1560], s'introduisaient à la Conciergerie et jusque dans le cachot de la Reine[1561]. L'abbé Émery, détenu lui aussi, pouvait de l'intérieur de la prison, il est vrai, la confesser et s'entretenir quelques instants avec elle[1562]. Et Fouquier-Tinville avouait qu'il y avait à la Conciergerie «beaucoup plus de facilités» qu'au Temple pour avoir des intelligences avec le dehors[1563]. Ce furent ces facilités sans doute qui entretinrent chez quelques serviteurs dévoués la pensée d'enlever la prisonnière et d'épargner ainsi un nouveau crime à la France. «Beaucoup de monde s'intéressa à ma mère, raconte Madame Royale. J'ai appris, depuis sa mort, qu'on avait voulu la sauver de la Conciergerie et que par malheur le projet n'avait pas réussi. On m'a assuré que les gendarmes qui la gardaient et la femme du concierge avaient été gagnés par quelqu'un de nos amis, qu'elle avait vu plusieurs personnes bien dévouées dans sa prison, entre autres un prêtre qui lui avait administré les sacrements qu'elle avait reçus avec une grande piété. L'occasion de se sauver manqua une fois parce qu'on lui avait recommandé de parler à la seconde garde et que par erreur elle parla à la première. Une autre fois, elle était hors de sa chambre et avait passé le corridor, quand un gendarme s'opposa à son départ, quoiqu'il fût gagné, et l'obligea de rentrer chez elle, ce qui fit échouer l'entreprise[1564].» Du premier de ces projets, nous savons peu de chose. Il est probable cependant qu'il avait été conçu par le baron de Batz, «cet infâme, ce monstre,» dont la Convention mettait la tête à prix[1565]; que les gendarmes étaient gagnés et que le plan échoua parce que la Reine manqua de parler à celui de ses gardiens qui, ayant deux redingotes l'une sur l'autre, devait lui en donner une pour la faire sortir de la Conciergerie, d'où un jeune homme appelé Rousset devait la conduire en lieu sûr[1566]. Le second projet, mieux connu, paraît être le complot désigné dans l'histoire sous le nom d'_Affaire de l'œillet_. Parmi les fidèles qui rôdaient autour de la Conciergerie, prêts à sacrifier leur vie pour sauver celle de Marie-Antoinette, était un chevalier de Saint-Louis, nommé Rougeville, l'un de ceux qui avaient été aux côtés de Louis XVI au 20 juin et au 10 août. Par l'intermédiaire d'une Américaine, la veuve Dutilleul, et d'un marchand de bois, nommé Fontaine, Rougeville avait fait connaissance avec Michonis. Tous deux étaient faits pour s'entendre; l'accord fut vite conclu, et un jour, le mercredi 28 août, Rougeville accompagna Michonis à la Conciergerie. La prisonnière était vêtue d'un caraco noir; ses cheveux gris étaient coupés par derrière et sur le front; elle était tellement maigrie que Rougeville ne la reconnut pas sans difficulté, et si faible qu'elle avait de la peine à se tenir debout; aux doigts elle portait trois pauvres anneaux[1567]. «Ah! c'est vous, Monsieur Michonis,» dit-elle; et, s'approchant de lui, elle lui demanda, comme d'habitude, des nouvelles de ses enfants[1568]. Puis, apercevant Rougeville, elle fut saisie d'une telle émotion qu'elle se laissa choir dans un fauteuil[1569]. Un grand feu lui monta au visage[1570]; ses membres tremblaient[1571] et des larmes coulaient de ses yeux[1572]. Rougeville chercha à la rassurer et, s'approchant d'elle, lui fit signe de prendre des œillets où il avait caché un papier[1573]. Mais la Reine était si émue encore qu'elle ne comprit pas tout d'abord, et Rougeville laissa tomber les œillets derrière le poêle[1574]. Puis il sortit avec Michonis[1575]. Ils ne tardèrent pas à rentrer tous deux, rappelés par les gendarmes[1576], et tandis que Michonis occupait ces derniers[1577], la Reine, retirée derrière un paravent[1578], entretenait Rougeville et le suppliait de ne pas s'exposer ainsi. «J'ai des armes et de l'argent,» répondit Rougeville, «prenez courage.» Et il lui promit qu'on la secourrait, qu'il lui apporterait de l'argent pour gagner les gendarmes, etc.[1579]. «Le cœur vous manque-t-il donc?» demanda-t-il.—«Il ne me manque jamais,» répondit la Reine, «mais il est profondément affligé[1580].» Et mettant la main sur son cœur, elle ajouta: «Si je suis faible et abattue, ceci ne l'est pas[1581].» Michonis, craignant que cette scène, en se prolongeant, n'éveillât l'attention des gendarmes, fit un signe à Rougeville et tous deux sortirent: «Je vous fais donc un adieu éternel?» dit la Reine à Michonis, qui lui avait annoncé qu'il n'était pas réélu administrateur de police.—«Non, Madame, répondit-il, si je ne suis plus administrateur, étant encore officier municipal, j'aurai le droit de venir et de vous faire visite, tant que cela vous sera agréable[1582].» Dans cette seconde entrevue, Rougeville avait pu avertir sa royale interlocutrice de la présence des œillets[1583]. Dès qu'il fut parti, profitant de ce que la femme Harel jouait aux cartes avec les gendarmes, la Reine ramassa vivement les fleurs et lut les billets qu'elles renfermaient. Ils contenaient une offre d'argent[1584] et des phrases vagues comme celles-ci: «Que comptez-vous faire? J'ai été en prison; je m'en suis tiré par un miracle; je viendrai vendredi[1585].» La Reine s'empressa de détruire les billets en les déchirant en mille morceaux, puis elle s'efforça d'y répondre et, n'ayant ni papier ni plume, fut réduite à essayer de piquer avec une épingle quelques mots sur un petit morceau de papier: «Je suis gardée à vue; je ne parle ni n'écris; je me fie à vous; je viendrai[1586].» Connaissait-elle dès lors le plan des conjurés? Crut-elle que les gendarmes avaient été déjà gagnés? Quelque invraisemblable que cela puisse sembler, il paraît certain que ce fut elle-même qui, tandis que la femme Harel était sortie pour aller chercher de l'eau, remit ce petit papier au gendarme Gilbert pour le faire passer à Rougeville[1587]. Gilbert prit le billet, le plaça dans sa veste et le transmit à la femme Richard, qui s'empressa de le donner à Michonis, lorsqu'il revint le lendemain 29[1588]. Rougeville revint aussi le 30, comme il l'avait promis, sous un nouveau déguisement, et, s'il faut l'en croire, en profita pour remettre à la prisonnière une certaine somme en louis et en assignats[1589]. L'exécution du projet avait été fixée à la nuit du 2 au 3 septembre. Le concierge et sa femme étaient gagnés. Deux administrateurs avaient reçu de l'argent. Michonis devait aller, à dix heures du soir, prendre la Reine, sous prétexte de la mener au Temple, par ordre de la municipalité et, une fois dehors, il devait la faire évader; Rougeville l'aurait reçue alors et l'aurait conduite en lieu de sûreté, au château de Livry, dit une version[1590], et de là sur les terres de l'Empire. Pour ne pas compromettre le concierge, son livre d'écrou aurait été déchargé. Les conjurés vinrent en effet au jour dit; moyennant cinquante louis, les gendarmes avaient promis de se taire; mais au dernier moment, l'un d'eux, quoique ayant reçu la somme, se ravisa; malgré les instances de Michonis qui arguait des ordres de la municipalité, il déclara que, si l'on faisait sortir la Reine, il appellerait la garde[1591]. Le coup était manqué, et, le 3 septembre, le gendarme Gilbert dénonça le complot. Rougeville put s'échapper; mais Michonis fut arrêté le 4; Richard et sa femme furent incarcérés, et deux députés de la Convention, Amar et Sevestre, accompagnés d'un membre de la municipalité, se transportèrent à la Conciergerie pour faire une enquête. Marie-Antoinette fut interrogée à deux reprises[1592]; avec une admirable présence d'esprit, elle s'efforça d'éloigner toutes les charges qui pouvaient peser sur Michonis et Rougeville. Les enquêteurs ne découvrirent rien, et sans le récit que, deux mois après, Rougeville fit à Fersen, sans le mémoire qu'il envoya, un peu plus tard, au comte de Metternich, et plus tard encore aux Cinq-Cents, nous ne connaîtrions pas aujourd'hui encore les détails du plan élaboré entre les deux fidèles serviteurs de la monarchie[1593]. Mais la Convention avait frémi du danger qu'elle avait couru de perdre sa proie. Le 10 septembre, des administrateurs de police vinrent enlever à la Reine ses derniers bijoux, suspects sans doute de pouvoir servir à corrompre les gardiens: les petits anneaux que Rougeville avait vus à ses doigts[1594] et qui ne contenaient que des cheveux, une montre d'or de Bréguet, cette dernière amie des prisonniers dont elle compte les heures, des cachets, un médaillon renfermant des cheveux aussi, les cheveux du Dauphin, dit-on[1595]. En même temps, la captive était mise au secret, les gendarmes et la femme Harel renvoyés de sa chambre, un factionnaire placé à sa porte, avec ordre de ne la laisser communiquer avec personne que le concierge et sa femme et un autre factionnaire posté dans la cour, avec consigne de ne permettre à qui que ce fût d'approcher de la fenêtre à la distance de dix pas, sous quelque prétexte que ce pût être[1596]. Ce n'est pas tout. Le cachot où un chevalier de Saint-Louis avait pu s'introduire et d'où la Reine avait failli s'échapper n'était évidemment pas assez sûr pour la renfermer désormais. Le 11 septembre, les administrateurs de police revinrent à la Conciergerie «à l'effet d'y choisir un local pour la détention de la veuve Capet, autre que celui où elle est maintenant détenue». Ils visitèrent avec soin les diverses pièces de la prison et finirent par s'arrêter à celle qui servait de pharmacie. Il fut décidé que le pharmacien, Jacques-Antoine Lacour, la débarrasserait le jour même, afin de permettre au citoyen Godard d'exécuter, «dans le plus bref délai possible,» les travaux nécessaires pour la transformer en cachot. La grande croisée qui donnait sur la cour des femmes devait être bouchée au moyen d'une tôle d'une ligne d'épaisseur, jusqu'au cinquième barreau de traverse, et le surplus grillé en fil de fer à mailles très serrées; la seconde croisée, ayant vue sur l'infirmerie, devait être totalement condamnée par le moyen d'une tôle de même épaisseur[1597], et la petite croisée, qui donnait sur le corridor, entièrement supprimée. La porte qui existait serait munie extérieurement de deux verrous, et l'on en ajouterait une seconde, de forte épaisseur, ouvrant à l'intérieur et fermée à l'aide d'une serrure de sûreté. Il existait une gargouille pour l'écoulement des eaux; on décida de la boucher[1598]. Dès que les travaux d'appropriation furent terminés, la Reine fut transférée dans ce cachot; elle n'en devait plus sortir que pour aller au Tribunal révolutionnaire. La surveillance fut rendue plus minutieuse encore. Plus de femmes pour servir la prisonnière; la femme Harel avait été renvoyée après l'affaire de l'œillet; c'était le concierge qui, chaque matin, soignait les cheveux de la Reine[1599]. Les gendarmes jour et nuit dans la chambre, séparés par un simple paravent[1600]; deux sentinelles sous les fenêtres de la cour[1601]; des perquisitions incessantes dans le cachot par des administrateurs de police ou des membres du Comité de Sûreté générale[1602]. Pas de lumière le soir[1603]. Plus de travail le jour, puisque, dès son entrée à la Conciergerie, on lui avait retiré même les aiguilles à tricoter. La Reine lisait et priait; «la plus grande partie de son temps, a dit un témoin oculaire, était consacrée à la prière[1604].» Le malheur avait développé et affermi les sentiments religieux qu'elle devait à son éducation chrétienne et que le tourbillon du monde n'avait pu lui faire oublier; «sa prison, dit Madame Royale, lui avait donné beaucoup de religion[1605].» Plus d'encre ni de crayon; on les avait retirés depuis longtemps; la Reine était contrainte d'écrire avec une pointe, sur la muraille, l'état de son linge. Ses vêtements tombaient en lambeaux; elle n'avait que deux robes, une noire et une blanche, toutes deux également usées; elle n'avait que trois chemises, qu'on lui donnait alternativement tous les dix jours[1606]. La fille du concierge était sans cesse occupée à raccommoder son linge, ses vêtements, ses souliers; elle remit une bordure à sa robe noire[1607]. Brisée par l'émotion, accablée par les privations, le mauvais air, le défaut d'exercice, la santé de la captive s'était altérée, et d'horribles hémorragies venaient encore ajouter à ses souffrances et à sa faiblesse[1608]. Par bonheur, Hue, qui avait toujours des relations avec la Conciergerie, avait réussi, par l'intermédiaire de l'administrateur de police, Dangé, à faire donner à Richard un successeur qui ne lui cédait pas en humanité; c'était Bault, concierge à la Force[1609]. Sous un air rude et sévère[1610], sous le costume d'un Jacobin[1611], Bault cachait un cœur compatissant et, secondé par sa femme et sa fille, il chercha à procurer à son auguste prisonnière les adoucissements compatibles avec la surveillance dont il était lui-même l'objet. Sous prétexte qu'il avait seul la responsabilité des détenus qui lui étaient confiés, il fit sortir les gendarmes de la chambre royale, mit la clef dans sa poche, et la Reine n'eut plus à subir désormais cette odieuse présence que rendaient plus odieuse encore la conversation de ces hommes, leurs blasphèmes, le bruit des verres et la fumée de tabac[1612]. Les gendarmes, consignés à la porte extérieure, accompagnaient bien le concierge, toutes les fois qu'il entrait dans le cachot, mais ils n'y restaient plus seuls. La nourriture de la Reine, sans être luxueuse, fut apprêtée avec soin; elle se composait de café le matin, et, à dîner, de bouilli, de volaille rôtie, de légumes et de dessert[1613]; mais la pauvre femme n'avait guère d'appétit et il lui arrivait souvent de ne pas manger[1614]. Ce modeste menu froissa cependant les sentiments égalitaires de certains municipaux; ils signifièrent au concierge que l'accusée devait être nourrie comme les autres, de l'ordinaire le plus grossier de la prison. «Je n'entends pas cela, répondit Bault, c'est ma prisonnière; j'en réponds sur ma tête. On pourrait tenter de l'empoisonner, il faut que ce soit moi qui veille à ses aliments; pas une goutte d'eau n'entrera ici sans ma permission.» Les municipaux cédèrent; le concierge continua à être chargé de la nourriture de la Reine; il la lui donna du moins saine et convenable, et l'eau fut toujours bien claire et bien limpide[1615]. Mais, pour faire acte d'humanité, il fallait se dissimuler sous le masque de la rigueur et de la persécution. L'automne approchait; le mois d'octobre était froid et pluvieux; dans cette chambre sans feu, où l'eau ruisselait sur le pavé et le long des parois, Bault songea à protéger sa prisonnière contre l'humidité, en tendant autour de son lit une vieille tapisserie. Les administrateurs virent cela et ne cachèrent pas leur mécontentement. «Ne voyez-vous pas, leur dit le concierge, que c'est afin de rompre le bruit et d'empêcher qu'on n'entende rien de la chambre voisine?»—«C'est juste, répondirent les commissaires; tu as bien fait[1616].» Ils eussent blâmé une mesure de pitié; ils devaient approuver une pensée de méfiance. Une autre fois, cependant, Bault était moins heureux; il avait demandé une couverture de coton anglaise pour ajouter à la chétive couverture qui ne mettait guère la captive à l'abri du froid et de l'humidité. Fouquier-Tinville s'emporta: «Tu mériterais d'être envoyé à la guillotine,» répondit-il brutalement. Mais le concierge ne se tint pas pour battu et, ne pouvant obtenir une couverture, il la remplaça par un matelas[1617]. De son côté, Mme Bault, qui avait un jardin à Charenton, en réservait pour la Reine les meilleurs produits, les fruits les plus délicats, et parfois les marchands de la Halle y ajoutaient, comme du temps de Richard, des pêches et des melons[1618]. Au milieu de sa douloureuse solitude, la malheureuse souveraine pensait sans cesse à ses enfants, à son fils surtout. Un jour que Bault entrait dans la prison, elle s'approcha de lui et chercha à lui glisser dans la main une paire de gants et une boucle de cheveux. Mais Bault n'était pas seul; les gendarmes l'accompagnaient comme d'habitude; ils virent le mouvement, et, s'élançant sur le concierge: «Qu'est-ce qu'on vient de te remettre?» dirent-ils. Bault dut ouvrir la main; les gants et les cheveux furent saisis et portés à Fouquier-Tinville. Plus heureuse, quelques jours après, la Reine laissa tomber à ses pieds une pauvre petite jarretière, qu'elle avait tressée, au moyen de deux cure-dents, avec les fils arrachés à la couverture de son lit. Cette fois, elle ne fut pas vue. Bault ramassa le triste et précieux souvenir que, par la suite, Hue réussit à faire passer à la duchesse d'Angoulême, seul reste de cette grande famille, décimée au Temple et à la Conciergerie[1619]. Une dernière et plus imprévue consolation était réservée â la malheureuse femme: grâce à la complicité des geôliers, un prêtre fidèle put pendant Une nuit pénétrer dans le cachot, y dire la messe et lui donner même la communion[1620]. Cette nuit-là, il y eut un peu plus de calme et peut-être un rayon d'espérance dans le cœur de la prisonnière. Les hommes semblaient l'abandonner; Dieu ne l'abandonnait pas. Les dévouements d'ailleurs étaient obstinés. En octobre, un complot s'ébauchait encore pour arracher la victime à ses bourreaux. Quel en était le chef? Était-ce Rougeville? Était-ce Batz? On l'ignore. Les agents subalternes seuls sont connus: le perruquier Basset, une femme bossue, la femme Fournier, le ménage Lemille. On avait gagné un certain nombre de soldats à Paris, à Courbevoie et à Vincennes; on devait exciter une émeute, s'emparer de la Convention et des Jacobins, et, à la faveur du tumulte, délivrer la Reine. Le complot était vaste; comme tous les autres, il échoua. Dénoncés par des espions auxquels ils s'étaient imprudemment confiés, les conjurés furent arrêtés le 12 octobre et payèrent de leur tête leur généreux dessein[1621]. Tandis que ces vaillants luttaient pour disputer à l'échafaud la fille des Césars et que ses geôliers s'efforçaient d'adoucir ses derniers moments, que faisait sa famille pour la délivrer? Dès qu'elle avait été transférée à la Conciergerie, Mercy s'était empressé d'écrire au prince de Cobourg, général en chef de l'armée autrichienne, qui venait d'entrer dans Valenciennes, pour le supplier de porter rapidement un corps de cavalerie sur Paris, afin d'empêcher le crime qui se préparait trop visiblement. «La postérité pourrait-elle croire, s'écriait-il, qu'un si grand attentat a pu être consommé à quelques marches des armées victorieuses de l'Autriche et de l'Angleterre, _sans que ces armées aient tenté quelques efforts pour l'empêcher_[1622]?» Mais Cobourg n'était pas l'homme des coups de main hardis. Soit routine, soit calcul, soit impuissance[1623], il préféra prendre ses quartiers d'hiver[1624], et Mercy fut réduit à écrire, deux mois plus tard: «Je tremble pour la Reine. En lisant les journaux, peut-on se défendre d'un mouvement de terreur[1625]?» Quand Mercy jetait ce cri d'alarme, il était trop tard; le dernier acte du grand drame était commencé, et, suivant le mot de la Marck, la «tache ineffaçable» restait sur le gouvernement autrichien qui, à quarante lieues de Paris, n'avait rien fait pour sauver la tante de son Empereur! CHAPITRE XXVI Procès de la Reine.—Décret de la Convention.—Premier interrogatoire de Marie-Antoinette.—Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray sont désignés pour la défendre.—Le tribunal.—Les jurés.—Audience du 14 octobre.—Acte d'accusation.—Les témoins.—Déposition d'Hébert.—Mot sublime de la Reine.—Manuel et Bailly.—L'officier de gendarmerie de Busne.—Audience du 15 octobre.—Interrogatoire du président.—Tisset et Garnerin.—Réquisitoire de Fouquier-Tinville.—Discours des défenseurs.—Condamnation.—La Reine est ramenée à la Conciergerie. Il y avait deux mois déjà que la Reine avait été transférée à la Conciergerie pour être traduite au Tribunal révolutionnaire, et la haine de ses ennemis n'avait pu encore dresser contre elle un acte d'accusation. Vainement Hébert, jaloux de faire oublier par un redoublement de violence un instant de pitié, vainement Hébert, impatient de voir «raccourcir la louve autrichienne», s'écriait-il: «On cherche midi à quatorze heures pour juger la tigresse d'Autriche, et l'on demande des preuves pour la condamner, tandis que, si on lui rendait justice, elle devrait être hachée comme chair à pâté[1626].» Vainement l'imagination atroce des pourvoyeurs habituels de la guillotine se mettait-elle en campagne, forgeant des prétextes et inventant des crimes. L'œuvre de Héron, même revue et corrigée par Marat, était si absurde, que le Comité de Sûreté générale renonçait à s'en servir[1627]. Le 3 octobre, Billaud-Varennes montait à la tribune: «La femme Capet, dit-il, n'est pas punie... Je demande que la Convention décrète expressément que le Tribunal révolutionnaire s'occupera immédiatement du procès et du jugement de la femme Capet.» Le décret fut rendu; mais, deux jours après, le 5 octobre, Fouquier-Tinville se plaignait qu'en le lui transmettant on ne lui eût transmis en même temps «aucunes pièces relatives à Marie-Antoinette[1628]». Le Tribunal ne savait que faire et Fouquier avait des scrupules. Le Comité de Salut public lui ouvrit les Archives nationales, lui fit communiquer le dossier du procès de Louis XVI; peine inutile: on n'y trouva rien. A bout de ressources, Pache, Chaumette et Hébert se transportèrent au Temple, le lundi 7 octobre, torturèrent longuement par d'infâmes questions Madame Royale et Mme Élisabeth[1629]; ils ne purent tirer de leurs réponses aucune dénonciation contre la Reine. Mais, plus heureux, la veille, avec Louis XVII, ils avaient arraché à l'innocence d'un enfant de huit ans, gorgé d'eau-de-vie et terrorisé par les brutalités de Simon, une odieuse calomnie contre sa mère. Fouquier-Tinville pouvait désormais poser les bases de son «œuvre d'enfer»; son imagination et la haine populaire feraient le reste. Le 12 octobre, à six heures du soir. Marie-Antoinette fut appelée au Palais de justice dans la grande salle d'audience. Vêtue d'une misérable robe noire, elle alla s'asseoir en face de l'accusateur public, sur une banquette, entre deux gendarmes. La salle était sombre. Deux maigres bougies, placées devant le greffier Fabricius, projetaient seules une lueur insuffisante et la Reine ne pouvait distinguer, dans l'ombre où ils se cachaient, les puissants du jour, qui venaient assister, avec une curiosité fiévreuse et méchante, à l'agonie de la veuve du dernier roi de France. Le président Herman commence l'interrogatoire; il passe en revue tout l'édifice laborieusement élevé par Fouquier, tous les griefs des révolutionnaires contre cette femme qui seule a tenu tête à la Révolution: les prétendus millions envoyés à son frère, les relations avec les Princes, le soi-disant Comité autrichien, le _veto_ opposé aux décrets contre les émigrés et contre les prêtres, les complots contre le peuple. D—«C'est vous qui avez appris à Louis Capet cet art d'une profonde dissimulation avec laquelle il a trompé trop longtemps le peuple français, qui ne se doutait pas qu'on pût porter à un tel point la scélératesse et la perfidie?» R—«Oui, le peuple a été trompé; il l'a été cruellement; mais ce n'est ni par mon mari ni par moi.» On arrive à la fuite de Varennes. D—«Vous avez été l'instigatrice principale de la trahison de Louis Capet; c'est par vos conseils, et peut-être par vos persécutions, qu'il a voulu fuir la France, pour se mettre à la tête des furieux qui voulaient déchirer leur patrie?» R—«Mon époux n'avait jamais voulu fuir la France; je l'ai suivi partout; mais, s'il avait voulu sortir de son pays, j'aurais employé tous les moyens pour l'en dissuader; mais ce n'était pas son intention.» On presse la Reine de questions sur ce sujet, comme on l'en avait pressée lors de l'affaire de l'œillet. Comme au 4 septembre, elle répond avec un sang-froid et une présence d'esprit qui ne se démentent pas et qui confondent Herman. D—«Vous n'avez jamais cessé un moment de vouloir détruire la liberté; vous vouliez régner à quelque prix que ce fût, et remonter au trône sur les cadavres des patriotes?» R—«Nous n'avions pas besoin de remonter sur le trône, puisque nous y étions; nous n'avons jamais désiré que le bonheur de la France, qu'elle fût heureuse; mais _qu'elle le soit_, nous serons toujours contents.» ..... D—«Quel intérêt mettez-vous aux armes de la République?» R—«Le bonheur de la France est celui que je désire par-dessus tout.» D—«Vous regrettez sans doute que votre fils ait perdu un trône sur lequel il eût pût monter, si le peuple, enfin éclairé sur ses droits, n'eût pas brisé ce trône?» R—«Je ne regretterai rien pour mon fils, quand mon pays sera heureux.» Herman revient sur le banquet des gardes du corps, les journées d'octobre, les relations de la Reine au Temple et à la Conciergerie avec les administrateurs de police et les officiers municipaux, le complot de l'œillet, etc., épiant les réponses de l'auguste accusée, cherchant à en faire sortir quelque aveu qui puisse étayer le monstrueux et fragile échafaudage de Fouquier, la guettant, pour ainsi dire, dans cette pénombre, comme le tigre guette sa proie..... La Reine lui répond avec une rare aisance et une dignité simple, sans morgue et sans faiblesse; dans cet enchevêtrement de questions embrouillées et confondues à dessein, elle démêle les pièges, elle déjoue les ruses, et, avec un tact étonnant, elle sait à la fois se défendre et ne compromettre personne. Herman, vaincu dans la lutte, lui nomme d'office deux défenseurs, Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray, et donne l'ordre de la reconduire à la Conciergerie. La Reine rentre dans son cachot, où, à partir de ce jour, on la replace sous la surveillance spéciale d'un officier de gendarmerie, qui ne la quitte plus[1630]. Chauveau-Lagarde était à la campagne, lorsqu'on vint lui annoncer la grande et douloureuse mission qui lui était confiée[1631]. Il partit aussitôt pour Paris, et, le 13 au soir, se rendit à la Conciergerie, avec son collègue Tronçon-Ducoudray. La veille, Fouquier-Tinville avait déposé au greffe du Tribunal révolutionnaire l'acte d'accusation qu'il avait réussi à dresser. La Reine en prit connaissance avec une dédaigneuse fermeté et se contenta de faire froidement diverses observations, sans s'inquiéter de la présence du gendarme qui pouvait l'entendre. Plus ému qu'elle et effrayé du volumineux et informe amas de pièces qui constituait le dossier, l'avocat la pria de réclamer un délai indispensable pour l'examen de ces pièces. «A qui faut-il s'adresser?» demanda-t-elle.—«A la Convention nationale,» murmura à mi-voix le défenseur.—«Non,» reprit-elle vivement, en détournant la tête; «non jamais!» Sa fierté de reine et sa dignité de veuve se refusaient à reconnaître l'autorité des assassins de son mari. Chauveau-Lagarde insista, fit valoir l'intérêt de la mémoire de Louis XVI, celui de ses enfants, celui de Mme Élisabeth et, dit-il, «à ces mots de sœur, d'épouse et de mère, la nature l'emporta sur la souveraine, et la Reine, sans proférer une parole, mais laissant échapper un soupir, prit la plume, et écrivit à l'Assemblée, en notre nom, deux mots pleins de noblesse et de dignité, par lesquels en effet elle se plaignait de ce qu'on ne nous avait pas laissé le temps d'examiner les pièces du procès et réclamait pour nous les délais nécessaires[1632].» La demande, transmise à l'accusateur public, demeura sans réponse. Le lendemain, lundi 14 octobre, à huit heures du matin, les débats commençaient. Les juges et les jurés sont à leur poste. Les juges, ce sont: Herman, président, Coffinhal, l'âme damnée de Robespierre, son séide le plus énergique, Deliège, Maire, Donzé-Verteuil. Les jurés, ce sont: l'ex-marquis Antonelle, Renaudin, l'un des plus atroces parmi cette bande d'hommes atroces ou lâches[1633], Fiévée, Besnard, Thoumain, Desboisseaux, Baron, Sambat, Devèze, le chirurgien Souberbielle, qui veut se récuser et auquel le président impose silence en ces termes: «Si quelqu'un avait à te récuser, ce serait l'accusation; car tu as donné des soins à l'accusée, et tu aurais pu être touché de la grandeur de son infortune[1634];» le limonadier Chrétien, le musicien Lumière, l'imprimeur Nicolas, le perruquier Ganney, le menuisier Trinchard, joyeux d'avoir à juger «la bête féroce qui a dévoré une partie de la République[1635]». La Reine est introduite; par un reste de coquetterie féminine, suivant Mercier, ou plutôt par un impérissable sentiment de dignité, elle a donné plus de soins à sa toilette de veuve; ses cheveux, blanchis par la douleur, sont arrangés avec plus d'art; elle a ajouté à son bonnet de linon ordinaire deux barbes volantes, et, sous ces barbes, ajusté un crêpe noir. Elle se tient là, majestueuse et fière, devant ces hommes qui se disent ses juges. Interpellée par le président, elle déclare se nommer _Marie-Antoinette d'Autriche, âgée d'environ trente-huit ans, veuve du Roi de France, se trouvant, lors de son arrestation, dans le lieu des séances de l'Assemblée nationale_. La salle est comble. Plusieurs membres du Comité de Sûreté générale, Vadier, Amar, Vouland, Moïse Bayle, sont assis à côté de l'accusateur public, surveillant les jurés et l'auditoire, encourageant les hésitants, soutenant les faibles, épiant l'agonie de leur victime[1636]. Les tricoteuses aussi sont à leur poste; depuis l'institution du Tribunal révolutionnaire, elles n'ont point eu encore une pareille bonne fortune, et elles viennent se repaître des souffrances de celle qui fut une reine, et une reine adorée. Herman recommande aux jurés la fermeté et l'impartialité! Puis, s'adressant à l'accusée, il l'engage à être attentif (_sic_) à ce qu'elle va entendre. On fait l'appel des témoins et le greffier Fabricius donne lecture de l'acte d'accusation. Antoine Quentin Fouquier-Tinville, accusateur public près le Tribunal révolutionnaire, «Expose...... qu'examen fait de toutes les pièces transmises à l'accusateur public, il en résulte qu'à l'instar des Messaline, Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que l'on qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms, à jamais odieux, ne s'effaceront pas des fastes de l'histoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été, depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français; qu'avant l'heureuse révolution qui a rendu au peuple français la souveraineté, elle avait des rapports politiques avec l'homme qualifié de roi de Bohême et de Hongrie; que ces rapports étaient contraires aux intérêts de la France; que non contente, de concert avec les frères de Louis Capet et l'infâme et exécrable Calonne, lors ministre des finances, d'avoir dilapidé d'une manière effroyable les finances de la France (fruit des sueurs du peuple), pour satisfaire à des plaisirs désordonnés et payer les agents de ses intrigues criminelles; il est notoire qu'elle a fait passer, à différentes époques, à l'Empereur, des millions qui lui ont servi et servent encore à soutenir la guerre contre la République, et que c'est par ses dilapidations excessives qu'elle est parvenue à épuiser le Trésor national.» Fouquier énumère ensuite tous les griefs accumulés par Herman dans le premier interrogatoire. Il accuse la Reine d'avoir ménagé, le 1er octobre 1789, entre les officiers des gardes du corps et ceux du régiment de Flandre «un repas qui avait dégénéré en une véritable orgie, ainsi qu'elle le désirait», d'avoir amené les convives «à chanter, dans l'épanchement de l'ivresse, des chansons exprimant le plus entier dévouement pour le trône et l'aversion la plus caractérisée pour le peuple, à arborer la cocarde blanche et à fouler aux pieds la cocarde nationale»; D'avoir, «par ses agents, occasionné dans Paris et aux environs une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection, à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et de citoyennes se sont portés à Versailles, le 5 du même mois»; D'avoir «tenu, dans son palais, des conciliabules où a été décidée, avec Lafayette et Bailly, la fuite de Varennes; d'avoir elle-même tout ménagé et tout préparé pour cette évasion, ainsi qu'elle en est convenue elle-même dans son interrogatoire[1637]»; D'avoir «voulu l'horrible massacre, qui a eu lieu le 17 juillet 1791, des plus zélés patriotes qui se sont trouvés au Champ-de-Mars»; d'avoir «imaginé de faire discuter, dans ces conciliabules ténébreux, qualifiés depuis longtemps avec raison de _Cabinet autrichien_, contre (_sic_) les lois qui étaient portées par l'Assemblée législative». Il expose encore: «Que la veuve Capet a médité et combiné avec ses perfides agents l'horrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 août, laquelle n'a échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes; qu'à cette fin elle a réuni dans son habitation, aux Tuileries, jusque dans les souterrains, les Suisses qui, aux termes des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet; qu'elle les a entretenus dans un état d'ivresse, depuis le 9 jusqu'au 10 au matin, jour convenu pour l'exécution de cette horrible conspiration; qu'elle a réuni également, et dans le même dessein, dès le 9, une foule de ces êtres qualifiés de _Chevaliers du poignard_, qui avaient figuré déjà dans le même lieu, le 28 février 1791, et depuis, à l'époque du 20 juin 1792; «Que la veuve Capet, craignant sans doute que cette conspiration n'eût pas tout l'effet qu'elle s'en était promise (_sic_), a été, dans la soirée du 9 août, vers les neuf heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses ou autres, à elle dévoués, travaillaient à des cartouches; qu'en même temps qu'elle les encourageait à hâter la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu les balles,—les expressions me manquent pour rendre un trait aussi atroce...;—» qu'on ne peut douter «qu'il n'ait été convenu, dans le conciliabule qui a eu lieu toute la nuit, qu'il fallait tirer sur le peuple, et que Louis Capet et Marie-Antoinette, qui était la grande directrice de cette conspiration, n'ait elle-même donné l'ordre de tirer.» Fouquier relevait ensuite, mais à la fin de son réquisitoire, en quelques phrases rapides, et comme si lui-même en avait eu honte, l'infâme calomnie qui n'avait pu naître que dans l'imagination dévergondée du _Père Duchesne_, et il résumait toute son œuvre en trois chefs principaux. La Reine était accusée: «1o D'avoir méchamment et à dessein, de concert avec les frères de Louis Capet et l'ex-ministre Calonne, dilapidé d'une manière effroyable les finances de la France, et d'avoir fait passer des sommes incalculables à l'Empereur et d'avoir ainsi épuisé le trésor national;» «2o D'avoir, tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires, entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la République, d'avoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans d'attaque et de campagne, convenus et arrêtés dans le Conseil;» «3o D'avoir, par ses intrigues et ses manœuvres, et celles de ses agents, tramé des conspirations et des complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d'avoir, à cet effet, allumé la guerre civile dans divers points de la République et armé les citoyens les uns contre les autres, et d'avoir, par ce moyen, fait couler le sang d'un nombre incalculable de citoyens.» Voilà l'accusation; mais où sont les preuves? Quelles pièces Fouquier a-t-il produites à l'appui de son dire? Les pièces, on n'a même pas laissé aux défenseurs le temps de les vérifier. Les preuves, il n'y en a pas. Ce sera aux témoins à les fournir, s'ils le peuvent. La Reine a écouté en silence la longue lecture du greffier; elle n'a laissé paraître aucun signe d'émotion. A peine, lorsque Fouquier a repris la calomnie d'Hébert, un imperceptible mouvement de dédain a-t-il plissé ses lèvres; mais sa contenance est restée calme et assurée. Le reste du temps, elle a laissé ses doigts errer insoucieusement sur la barre du fauteuil où elle est assise, comme sur un _forté piano_[1638]. L'audition des témoins commence. Le premier introduit, c'est Lecointre, de Versailles; Lecointre, qui jadis se proclamait «un des sujets les plus fidèles» du Roi et de la Reine[1639], aujourd'hui et depuis quatre ans un de leurs ennemis les plus acharnés; Lecointre, un de ceux sur qui a pesé le plus lourdement la responsabilité des journées d'octobre 1789. C'est sur ces journées qu'il est appelé à s'expliquer. Il renouvelle toutes les diatribes qu'il a jadis inspirées au journal de Gorsas; il s'étudie à charger Marie-Antoinette. Marie-Antoinette ne répond que par des dénégations nettes et précises aux allégations de Lecointre et aux questions du président. L'adjudant général Lapierre et le canonnier Roussillon déposent, le premier sur la fuite de Varennes, le second sur la journée du 10 août. Roussillon a vu, prétend-il, lors du pillage des Tuileries, des bouteilles sous le lit de l'accusée, preuve évidente qu'elle avait fait boire les Suisses pour les enivrer. Ici encore la Reine n'oppose qu'un fier démenti aux insinuations grotesques de cet aboyeur subalterne. Il semble d'ailleurs que, dans les récits des témoins, on cherche moins des preuves contre elle qui est perdue d'avance, que contre certains personnages qu'on veut perdre, contre Lafayette, Bailly, Pétion, ou des administrateurs de police, tels que Michonis, Marino, Jobert, etc. L'accusation n'avance pas, quand on introduit Hébert. Hébert raconte des choses vagues: il a trouvé dans un livre de l'accusée des signes contre-révolutionnaires, un cœur percé d'une flèche; il soupçonne Toulan de s'être découvert devant les membres de l'ex-famille royale. Puis ce misérable qui a toutes les bassesses, cet homme qui a vécu comme un infâme et qui mourra comme un lâche, reprend dans le détail l'immonde calomnie qui a fourni à Fouquier le dernier paragraphe de son acte d'accusation. Chose étrange! l'auditoire reste silencieux; les applaudissements sur lesquels Hébert a compté lui manquent; les tricoteuses ont elles-donc plus de pudeur que lui? Le président lui-même, dans les questions qu'il pose à l'accusée, semble oublier la déclaration du substitut du procureur de la Commune; il l'interroge sur Michonis, sur l'affaire de l'œillet, et il laisse dans l'ombre, par un reste de vergogne peut-être, les récits odieux du _Père Duchesne_. Mais il se rencontre un homme qui n'a pas moins d'impudeur qu'Hébert. Un juré,—pourquoi n'a-t-on pas imprimé son nom? a-t-il rougi, plus tard, ou l'éditeur du _Bulletin du Tribunal révolutionnaire_ a-t-il rougi pour lui?—un juré anonyme interpelle Herman: «Citoyen président, dit-il, je vous invite à vouloir bien faire observer à l'accusée qu'elle n'a pas répondu sur le fait dont a parlé le citoyen Hébert, à l'égard de ce qui s'est passé entre elle et son fils.» Cet homme doit être content; son infamie est couronnée de succès. La Reine jusqu'ici n'a opposé qu'un front d'airain et un cœur impassible aux allégations des témoins comme aux déclamations de l'accusateur public. A la question du juré, son front rougit et son cœur s'émeut; elle se soulève à demi sur son fauteuil, et, d'un geste indigné, d'une voix vibrante: «Si je n'ai pas répondu, dit-elle, c'est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère.» Et jetant un regard sur l'auditoire: «_J'en appelle_, continue-t-elle, _à toutes celles qui peuvent se trouver ici!_» Devant ce cri sublime du cœur d'une mère, je ne sais quel courant magnétique passe dans l'assistance; les tricoteuses se sentent remuées malgré elles; peu s'en faut qu'elles n'applaudissent, comme elles ont applaudi au 6 octobre. On entend des cris déchirants; des femmes, dit-on, sont emportées évanouies, et le tribunal est réduit à menacer les perturbateurs de l'ordre[1640]. Hébert frémit et baisse la tête: le cri de la Reine l'a frappé à mort[1641]. Pour couper court aux impressions trop favorables à l'accusée, au gré des juges, on reprend l'audition des témoins. Mais le notaire Silly essaie en vain de réveiller les haines, en déposant, sur la fuite du 20 juin 1791. L'attention n'est plus là; il faut donner à l'émotion des assistants le temps de se calmer, et, à trois heures[1642], l'audience est suspendue. Tant de secousses n'ont point abattu la Reine; sa conscience la soutient. «Vois-tu comme elle est fière?» murmure une femme, en la voyant quitter la salle d'un pas assuré. La Reine entend ce mot; elle s'en émeut; elle a peur d'avoir mis trop de dignité dans ses réponses[1643]. Puis se tournant vers ses défenseurs, elle leur demande ce qu'ils pensent des déclarations des témoins, et sur l'assurance qu'ils lui donnent qu'il ne résulte encore rien de positif des débats: «Je ne crains que Manuel,» dit-elle. A cinq heures, l'audience est reprise. Les dépositions continuent; mais, comme le matin, pas un fait précis, pas une articulation appuyée sur des preuves; des récriminations, des insinuations vagues, des suppositions. Terrasson a vu l'accusée, au retour de Varennes, jeter sur les gardes nationaux «le coup d'œil le plus vindicatif». Reine Millot, «fille domestique,» a entendu dire, en 1788, au duc de Coigny, que Marie-Antoinette avait fait passer à son frère au moins vingt millions, comme s'il était vraisemblable que M. de Coigny, dont elle ne sait même pas le titre, puisqu'elle le qualifie de comte, eût été faire des confidences de ce genre à une servante de bas étage. Elle sait encore qu'un jour la Reine avait sur elle deux pistolets pour tuer le duc d'Orléans et que le Roi a dû la mettre quinze jours aux arrêts dans sa chambre. Comment le sait-elle? Elle ne le dit pas. Labenette, le rédacteur du _Journal du diable_, l'émule subalterne de Marat, déclare que la Reine a envoyé trois hommes pour l'assassiner. Et en dehors de ces affirmations ridicules ou odieuses, pas une preuve, rien, absolument rien. Manuel lui-même, le seul témoin que Marie-Antoinette semble redouter, Manuel ne l'accuse pas. Il se contente de protester qu'il n'a jamais eu de relations avec la Cour ni avec la femme du ci-devant Roi. Et, à vrai dire, dans ce procès, Manuel, comme Bailly qui lui succède, tous deux exemples mémorables de l'inconstance des enthousiasmes populaires, Manuel est plutôt accusé que témoin. En vain fait-on comparaître toute une nouvelle série de témoins; en vain relève-t-on l'affaire de l'œillet; en vain Dufraisne Gilbert, les Richard, la femme Harel, sont-ils pressés de questions sur la visite de Rougeville à la Conciergerie. Rien encore. A onze heures du soir, la séance est levée: juges, jurés et témoins ont besoin de repos. La Reine, accablée de fatigue, torturée par ces longs débats de quinze heures, épuisée de chaleur, d'indignation, de dédain, la Reine a soif; elle demande à boire. Les huissiers sont absents; dans cette foule où chacun, dix ans auparavant, eût brigué l'honneur d'aller lui chercher un verre d'eau et le lui eût présenté à genoux, nul n'a le courage de lui rendre un service que réclame la plus simple humanité. Seul, l'officier de gendarmerie qui l'accompagne, de Busne, ose se dévouer: il lui donne à boire[1644]. La Reine se sent défaillir; sa vue se trouble; en retournant à son cachot, elle se trouve presque mal: «Je n'y vois plus, murmure-t-elle; je n'en peux plus; je ne saurais marcher.» Respectueux, ému de compassion, de Busne lui offre le bras et l'aide à descendre les trois marches glissantes qui conduisent à sa chambre. Le lendemain matin, de Busne, suspect d'humanité et convaincu de pitié contre-révolutionnaire, est jeté en prison à son tour[1645]. Le 15, à neuf heures du matin, l'audience est reprise. C'est le dernier jour de cette horrible agonie; le lendemain, ce sera le jour de la mort. Le premier témoin qui paraît, c'est le vainqueur des Antilles, d'Estaing, «matelot et soldat,» comme il s'intitule; d'Estaing, qui a l'intelligence et la valeur leur militaires, mais auquel manque un sens, le sens du respect de soi-même et des autres. D'Estaing commence par dire qu'il a à se plaindre de l'accusée, qui l'a empêché d'être maréchal de France: mais il n'apporte aucune charge contre elle, et sa déposition même est un hommage au grand cœur de la Reine: «Si les Parisiens viennent ici pour m'assassiner,» lui a-t-il entendu dire le 5 octobre, «c'est aux pieds de mon mari que je le serai; mais je ne fuirai pas.» A d'Estaing succèdent les deux la Tour du Pin, ses anciens compagnons d'armes, bientôt ses compagnons d'échafaud,—tous trois seront guillotinés le 28 avril 1794,—ses égaux en grade, ses supérieurs en grandeur morale. Pas plus que celle de d'Estaing, leurs dépositions ne chargent la Reine. L'ancien ministre de la guerre la salue avec le même respect que jadis dans les galeries de Versailles. On lui demande s'il connaît l'accusée. «Ah! oui, répond-il en s'inclinant, j'ai l'honneur de connaître Madame.» Inculpé comme elle, il se défend et la défend avec une aisance et un courage qui déconcertent les juges. On cherchait des accusateurs, on ne trouve que des apologistes. Et pourtant la passion d'Herman est ingénieuse à harceler Marie-Antoinette. Il revient sans cesse sur les anciens griefs allégués contre elle; il met à nu toute sa vie; il ramasse dans les pamphlets des courtisans et dans ceux des démagogues les vieilles calomnies, enfantées par les haines d'antichambre et les haines de la rue; les dépenses de Trianon, le procès du Collier, la nomination de ministres liberticides, les prétendus millions envoyés à l'Empereur. D.—«Où avez-vous pris l'argent avec lequel vous avez fait construire et meubler le Petit Trianon, dans lequel vous donniez des fêtes dont vous étiez toujours la déesse?» R.—«C'était un fonds que l'on avait destiné à cet effet.» D.—«Il fallait que ce fonds fut _conséquent_; car le Petit Trianon doit avoir coûté des sommes énormes.» R.—«Il est possible que le Petit Trianon ait coûté des sommes immenses, peut-être plus que je ne l'aurais désiré; on avait été entraîné dans les dépenses peu à peu. Du reste, je désire plus que personne que l'on soit instruit de ce qui s'y est passé[1646].» D.—«N'est-ce pas au Petit Trianon que vous avez connu pour la première fois la femme la Motte?» R.—«Je ne l'ai jamais vue.» D.—«N'a-t-elle pas été votre victime dans l'affaire du fameux collier?» R.—«Elle n'a pas pu l'être, puisque je ne la connaissais pas.» D.—«Vous persistez donc à nier que vous l'avez connue?» R.—«Mon plan n'est pas la dénégation; c'est la vérité que j'ai dite et que je continuerai à dire.» D.—«N'avez-vous pas forcé les ministres des finances de vous délivrer des fonds, et, sur ce que quelques-uns d'entre eux s'y sont refusés, ne les avez-vous pas menacés de votre indignation?» R.—«Jamais!» D.—«N'avez-vous pas sollicité Vergennes à faire passer six millions au Roi de Bohême et de Hongrie?» R.—«Non.» On ouvre un paquet, scellé du cachet de la Commune et renfermant les objets trouvés sur la Reine, le 2 août, au moment où elle a été écrouée à la Conciergerie. Il y a là des portefeuilles, des portraits, des cheveux[1647]. L'accusation n'y pourrait-elle découvrir quelque pièce de conviction contre l'accusée? Ne seraient-ce point par hasard des insignes contre-révolutionnaires? Et ce portefeuille de maroquin rouge ou ce livret de moire verte n'auraient-ils pas reçu la confidence de quelque complot contre la liberté? Non, ces portraits sont ceux de la princesse de Lamballe et de deux amies d'enfance, les «Dames de Mecklembourg et de Hesse». Ce portefeuille ne contient que l'adresse du médecin de la Reine ou des femmes chargées de son linge. Ces cheveux sont ceux de son mari et de ses enfants. A défaut d'accusateurs parmi les serviteurs de l'ancien régime et de l'ancienne Cour, ou parmi les hommes de 89, va-t-on au moins en trouver chez les serviteurs de la Révolution, chez les hommes de 93, chez les séides de Robespierre et d'Hébert? Les voici qui défilent devant le Tribunal. Voici Simon, le «gouverneur du fils Capet». Voici Mathey, le concierge de la Tour du Temple. Ont-ils quelque chose de sérieux à alléguer? Contre les administrateurs de police, des accusations vagues, des propos insignifiants, des hypothèses; contre la Reine, rien. En voici un, cependant, un espion de police, Tisset, l'auteur d'un recueil infâme, _le Compte rendu aux sans-culottes de la République française par très haute, très puissante et très expéditive dame Guillotine_, qui, plus heureux ou plus habile que les autres, arrive les mains pleines de faits. Tisset a découvert, chez le trésorier de la liste civile, Septeuil, de nombreuses notes de paiements faits à Favras, Bouillé et autres conspirateurs. Il a vu, il a tenu dans ses doigts _deux_ bons de quatre-vingt mille livres, signés _Antoinette_. Ces bons ont été déposés à la commission des Vingt-Quatre qui, depuis, a été dissoute. Et voici le ci-devant secrétaire de la commission des Vingt-Quatre, Garnerin, qui déclare avoir vu _le_ bon de quatre-vingt mille livres, signé _Antoinette_, au profit de la ci-devant Polignac. Ce bon, comme les autres pièces, a été remis à Valazé, membre de la commission. Garnerin en sait même plus long: il sait que la Cour a fait faire des accaparements, pour «procurer un surhaussement dans le prix des denrées et par là dégoûter le peuple de la Révolution et de la liberté». La Reine, interpellée, déclare n'avoir aucune connaissance de ces accaparements; mais elle interroge à son tour; elle demande de quelle date sont ces deux bons qui, pour Garnerin, se réduisent déjà à un seul, et Tisset, troublé, répond que l'un d'eux est du 10 août 1792, comme si, ce jour-là, pendant l'attaque des Tuileries ou dans la loge du _Logographe_, la Reine avait pu envoyer un bon de quatre-vingt mille livres à Septeuil. L'accusation tombe sous le ridicule, et Valazé lui porte le dernier coup, en transformant le bon de quatre-vingt mille livres en une quittance de quinze ou vingt mille livres, dont il ne se rappelle plus le destinataire. Et cette quittance même, on ne la produit pas. C'est sur cet échec de l'accusation qu'à trois heures de l'après midi l'audience est suspendue. La Reine n'est pas reconduite dans son cachot; on lui apporte un potage qu'elle prend à la hâte: elle a besoin de forces pour cette dernière et mortelle séance qui ne finira que bien avant dans la nuit. A cinq heures, le Tribunal rentre dans la salle. Cette fois ce sont les officiers municipaux et les administrateurs de police, Lebœuf, Jobert, Moëlle, Vincent, Bugnot, Dangé, Michonis, etc., qui sont appelés à déposer; mais ces hommes, dont la plupart se sont conduits envers la captive avec une déférence et un dévouement que plusieurs paieront de leur tête, n'ont rien à alléguer contre elle. Brunier, médecin des Enfants de France, qui a été mandé à diverses reprises au Temple pour leur donner ses soins, n'a rien à dire non plus. On lui reproche de ne s'être approché des enfants de l'accusée qu'avec toutes les bassesses de l'ancien régime. «C'était bienséance et non bassesse,» répond courageusement Brunier. Didier-Jourdeuil déclare avoir vu une lettre adressée par l'accusée au commandant des Suisses, le comte d'Affry, dans laquelle elle lui disait: «Peut-on compter sur vos Suisses? Feront-ils bonne contenance quand il sera temps?» Mais cette lettre, Marie-Antoinette la nie, et Jourdeuil ne peut la représenter. De cette séance comme de celles qui l'ont précédée, que reste-t-il donc? La ridicule déposition de Michel Gointre, qui soupçonne la Reine d'avoir fondé une fabrique de faux assignats à Passy, ou l'absurde question d'Herman, qui lui demande si elle n'a pas conçu le projet de réunir la Lorraine à l'Autriche. Mais d'allégations sérieuses, pas une seule; de pièces authentiques, pas une seule; de bases pour l'œuvre monstrueuse de l'accusateur public, pas une seule. «La Reine, a dit éloquemment un de ses historiens, ne consentit à se justifier que pour justifier les autres et, dans ces longs débats, pas une parole ne lui échappa qui pût mettre un dévouement en péril ou la conscience des juges en repos[1648].» La liste des témoins est épuisée; les angoisses de l'interrogatoire sont finies. Le président demande à l'accusée si elle n'a rien à ajouter à sa défense. «Hier,» répond-elle simplement, devançant le jugement de l'histoire, «hier je ne connaissais pas les témoins; j'ignorais ce qu'ils allaient déposer contre moi. Eh bien! personne n'a articulé contre moi un fait positif. Je finis en observant que je n'étais que la femme de Louis XVI, et qu'il fallait bien que je me conformasse à ses volontés.» Herman déclare les débats terminés et Fouquier-Tinville prend la parole. On n'attend pas de nous que nous analysions ce long réquisitoire, qui n'est que la reproduction de l'acte d'accusation, que l'on connaît. Il y a un point, cependant, sur lequel Fouquier n'ose pas revenir: c'est la déposition d'Hébert. Les défenseurs se lèvent. A minuit, le président les a prévenus que les débats allaient être clos, et qu'ils avaient _un quart d'heure_ pour se préparer. Chauveau-Lagarde parle le premier; il s'est chargé de répondre à l'accusation d'intelligence avec les ennemis de l'extérieur, tandis que son collègue défendra fendra la Reine contre l'accusation d'intelligence avec les ennemis de l'intérieur. «Je ne suis dans cette affaire, dit-il, embarrassé que d'une seule chose, ce n'est pas de trouver des réponses, c'est de trouver des objections[1649].» Et les deux avocats, «avec autant de zèle que d'éloquence», dit le _Bulletin du Tribunal révolutionnaire_, réduisent à néant l'échafaudage laborieusement élevé par Fouquier. «Comme vous devez être fatigué, Monsieur Chauveau-Lagarde,» murmure la Reine à l'oreille de son défenseur, «je suis bien sensible à toutes vos peines[1650].» Ces mots sont entendus, et, séance tenante, sous les yeux même de leur auguste cliente, Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray sont arrêtés. Herman résume les débats, ou plutôt il prononce un nouveau et violent réquisitoire, destiné à montrer aux jurés quelle est la besogne que l'on attend d'eux. «C'est le peuple français, dit-il, qui accuse Marie-Antoinette,» et, retraçant en quelques mots haineux la vie publique de l'accusée, rappelant les événements politiques qui se sont succédé depuis cinq années, évoquant «les mânes de nos frères égorgés par suite des machinations infernales de cette moderne Médicis», il pose les quatre questions suivantes: «1o Est-il constant qu'il ait existé des manœuvres et intelligences avec les Puissances étrangères et ennemis extérieurs de la République, lesdites manœuvres et intelligences tendant à leur fournir des secours en argent, à leur donner l'entrée du territoire français et à y faciliter les progrès de leurs armes? «2o Marie-Antoinette d'Autriche, veuve de Louis Capet, est-elle convaincue d'avoir coopéré à ces manœuvres et d'avoir eu ces intelligences? «3o Est-il constant qu'il a existé un complot et conspiration tendant à allumer la guerre civile dans l'intérieur de la République, en armant les citoyens les uns contre les autres? «4o Marie-Antoinette d'Autriche, veuve de Louis Capet, est-elle convaincue d'avoir participé à ce complot et conspiration?» Les jurés se retirent dans la chambre des délibérations, et l'accusée est emmenée[1651]. Au bout d'une heure environ, les jurés rentrent et, à l'unanimité, répondent affirmativement sur toutes les questions. Par une dernière hypocrisie, Herman exhorte l'assistance à s'interdire toute marque d'approbation, et, faisant ramener Marie-Antoinette, il lui donne lecture de la déclaration du jury. Fouquier prend la parole, et, conformément à l'article 1er de la 1re section du titre I de la IIe partie du Code pénal, requiert contre l'accusée la peine de mort. Le président demande à la Reine si elle a quelques réclamations à faire sur l'application de la peine. La Reine secoue la tête, sans dire un mot. Le président consulte ses collègues; le Tribunal opine à haute voix et Herman déclare que Marie-Antoinette de Lorraine d'Autriche, veuve de Louis Capet, est condamnée à la peine de mort. La Reine reste impassible. Pas une contraction sur son visage; pas une larme dans ses yeux[1652]. Brisée de fatigue, épuisée par la perte de son sang, affaiblie par le manque de nourriture,—elle n'a presque rien pris depuis douze heures,—son incomparable énergie la soutient. Elle ne dit pas un mot, elle ne fait pas un geste; sereine et fière, elle quitte la salle d'audience, la tête haute, et rentre à la Conciergerie, où les gendarmes la conduisent dans le cachot des condamnés à mort[1653]. CHAPITRE XXVII La dernière journée.—Lettre de Marie-Antoinette à Mme Élisabeth.—La Reine s'habille et se jette quelques instants sur son lit.—L'abbé Girard.—Le bourreau Samson.—Préparatifs dans Paris.—La Reine monte dans la charrette des condamnés.—Le trajet de la Conciergerie à la place de la Révolution.—Le comédien Grammont et la citoyenne Lacombe.—L'échafaud.—La mort.—Conclusion. Il est quatre heures et demie du matin; dans quelques heures, le bourreau viendra réclamer sa victime. La Reine demande de l'encre; avant de mourir, elle a besoin d'épancher son âme et d'envoyer à ses enfants et à sa belle-sœur ses dernières pensées avec ses dernières larmes. C'est à Mme Élisabeth qu'elle écrit: «Ce 16 octobre, à 4 h. ½ du matin. «C'est à vous, ma sœur, que j'écris pour la dernière fois. Je viens d'être condamnée, non pas à une mort honteuse,—elle ne l'est que pour les criminels,—mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j'espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments. Je suis calme, comme on l'est quand la conscience ne reproche rien. J'ai un profond regret d'abandonner mes enfants. Vous savez que je n'existais que pour eux, et vous, ma bonne et tendre sœur, vous qui avez, par votre amitié, tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse!» «J'ai appris, par le plaidoyer même du procès, que ma fille était séparée de vous; hélas! la pauvre enfant, je n'ose pas lui écrire[1654]; elle ne recevrait pas ma lettre; je ne sais pas même si celle-ci vous parviendra[1655]. Recevez pour eux deux ma bénédiction; j'espère qu'un jour, lorsqu'ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous et jouir en entier de vos tendres soins. Qu'ils pensent tous deux à ce que je n'ai cessé de leur inspirer, que les principes et l'exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie, que leur amitié et leur confiance mutuelle en fera le bonheur. Que ma fille sente qu'à l'âge qu'elle a, elle doit toujours aider son frère, par les conseils que l'expérience qu'elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer. Que mon fils, à son tour, rende à sa sœur tous les soins, tous les services que l'amitié peut inspirer. Qu'ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union. Qu'ils prennent exemple de nous: combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolation, et, dans le bonheur, on jouit doublement, quand on peut le partager avec un ami, et où en trouver de plus tendre et de plus uni que dans sa famille? Que mon fils n'oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément: «qu'il ne cherche jamais à venger notre mort!» «J'ai à vous parler d'une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine. Pardonnez-lui, ma chère sœur; pensez, à l'âge qu'il a, combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu'on veut et même ce qu'il ne comprend pas. Un jour viendra, j'espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de vos tendresses pour tous deux.» «Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J'aurais voulu vous les écrire dès le commencement du procès; mais, outre qu'on ne me laissait pas écrire, la marche a été si rapide que je n'en aurais réellement pas eu le temps.» «Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j'ai été élevée et que j'ai toujours professée. N'ayant aucune consolation spirituelle à attendre; ne sachant pas s'il existe encore ici des prêtres de cette religion,—et même le lieu où je suis les exposerait trop, s'ils y entraient une fois,—je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j'ai pu commettre, depuis que j'existe; j'espère que, dans sa bonté, il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu'il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tous ceux que je connais, et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j'aurais pu leur causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu'ils m'ont fait. Je dis adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J'avais des amis: l'idée d'en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j'emporte en mourant: qu'ils sachent du moins que jusqu'à mes derniers moments j'ai pensé à eux.» «Adieu, ma bonne et tendre sœur: puisse cette lettre vous arriver! Pensez toujours à moi; je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants. Mon Dieu! qu'il est déchirant de les quitter pour toujours! Adieu! Adieu! Je ne vais plus m'occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre de mes actions, on m'amènera peut-être un prêtre; mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger.» La Reine a pleuré en écrivant cette lettre, non pas sur elle-même, mais sur ses enfants. Elle a pleuré, en songeant aux mains indignes entre lesquelles elle laisse son fils, à ce qu'on lui a déjà fait dire et faire, à ce qu'on le forcera peut-être de dire et de faire encore. Mais il ne faut pas que ces pensées l'amollissent; elle a besoin de tout son courage et de toutes ses forces pour mourir. Elle refoule ses larmes, donne sa lettre au concierge Bault[1656] et se met à genoux, répandant longuement devant Dieu son âme tout entière[1657]. Elle se relève, mange à la hâte une aile de poulet et un petit pain[1658], quitte sa pauvre chemise, toute tachée par les hémorrhagies qui l'épuisent depuis un mois, en met une autre que lui procure la femme du concierge[1659], et, brisée par tant d'émotions, se jette tout habillée sur son lit, enveloppe ses pieds dans une couverture et s'endort[1660]. A six heures, on la réveille: «Voilà, lui dit-on, un curé de Paris, qui demande si vous voulez vous confesser.»—«Un curé de Paris,» murmure-t-elle, il n'y en a guère[1661].» Le prêtre s'avance; il est vêtu en laïque[1662]; c'est un abbé Girard, curé de Saint-Landry, dans la Cité. La Reine le remercie; mais, fidèle à l'engagement qu'elle a pris dans sa lettre, elle refuse de se servir du ministère d'un schismatique. Ce ministère, d'ailleurs, elle n'en a pas besoin. Dieu lui a fait la grâce de lui envoyer, quelques jours auparavant, un prêtre fidèle[1663]; et, s'il faut en croire Madame Royale, ce matin même, agenouillée devant sa fenêtre, elle aurait reçu l'absolution et la bénédiction du curé de Sainte-Marguerite, détenu en face d'elle[1664]. La Reine a froid; l'atmosphère déjà fraîche des premières nuits d'automne, les brouillards du fleuve, l'humidité de la prison glacent son sang dans ses veines. Sur le conseil de l'abbé Girard, elle place un oreiller sur ses pieds et s'absorbe dans le recueillement de ses pensées et de ses muettes prières[1665]. A sept heures, un nouveau personnage entre dans la prison; c'est le dernier acteur de ce drame lugubre, le bourreau. «Vous venez de bonne heure, Monsieur,» lui dit Marie-Antoinette, «ne pourriez-vous pas retarder?»—«Non, Madame, j'ai ordre de venir[1666].» La Reine coupe elle-même ses cheveux[1667] et Samson procède rapidement à la fatale toilette. Puis on attend. Le prêtre essaie quelques exhortations, la Reine ne les écoute que d'une oreille distraite. Sa pensée n'est plus là. Mais l'abbé Girard s'étant hasardé à dire: «Votre mort va expier...»—«Ah!» interrompt-elle vivement, «des fautes, mais pas un crime[1668].» Dès cinq heures du matin, le rappel a été battu dans les quarante-huit sections de Paris. A sept heures, toute la force armée est sur pied; des canons ont été rangés aux extrémités des ponts, places et carrefours, depuis le Palais jusqu'à la place de la Révolution. A dix heures du matin, de nombreuses patrouilles circulent dans les rues[1669]. La foule se presse aux portes de la Conciergerie, impatiente et houleuse; des milliers de sans-culottes[1670] sont là, injuriant leur victime, et attendant leur proie. A onze heures, un mouvement se fait. La porte de la prison s'ouvre; la Reine paraît, majestueuse et fière, comme à Versailles; vêtue d'un déshabillé de piqué blanc[1671], comme pour un jour de triomphe, a dit un témoin oculaire[1672]; chaussée de souliers de prunelle noire, avec des talons très haut, à la Saint-Huberty[1673]; un fichu de mousseline blanche autour du cou; sur la tête un bonnet de linon sans barbes,—elle n'a pu obtenir d'aller nu-tête à l'échafaud[1674];—les coudes retirés en arrière par une grosse ficelle, dont le bourreau tient l'extrémité; le teint pâle, un peu rouge aux pommettes, les yeux injectés de sang, les cils immobiles et raidis[1675]; la lèvre plissée par un ineffable dédain[1676]. Autour d'elle des gendarmes; près d'elle, le curé de Saint-Landry: «Voulez-vous que je vous accompagne?» a dit le prêtre constitutionnel.—«Comme vous voudrez,» a répondu insoucieusement la Reine[1677]. Trente mille hommes forment la haie, depuis la Conciergerie jusqu'à la place de la Révolution[1678]. Cet appareil militaire, cette crainte d'une évasion possible, d'un complot pour enlever la condamnée pendant le trajet[1679], cette foule immense qui roule comme la vague, c'est le suprême et involontaire hommage rendu à la grandeur de Marie-Antoinette; car on n'a pas eu pour cette majesté déchue les mêmes égards que pour son mari. La voiture qui l'attend, acculée à quelques pas de la porte, n'est point un carrosse, comme pour Louis XVI, c'est l'ignoble charrette des condamnés vulgaires, avec ses roues pleines de boue, une planche pour banquette, sans paille ni foin sur le plancher; pour la traîner, un grossier cheval blanc; pour la conduire, un homme en blouse, à figure sévère et sinistre. La Reine ne peut retenir un mouvement de surprise, à la vue de cet étrange véhicule[1680]; mais elle ne tarde pas à dominer cette émotion passagère. Au marche-pied, placé derrière la charrette, on ajoute une petite échelle assez large, de quatre ou cinq échelons. Samson offre la main à la condamnée, pour l'aider à franchir les degrés; la Reine refuse d'un geste et monte seule, sans appui. Elle se place sur la banquette, le dos tourné au cheval; le prêtre s'assied près d'elle. «Voici, Madame, lui dit-il, l'instant de vous armer de courage.»—«Du courage,» reprend-elle vivement, il y a «si longtemps que j'en fais l'apprentissage, qu'il n'est pas à croire que j'en manque aujourd'hui[1681].» Le prêtre insiste; elle lui impose silence, en lui répétant avec fermeté «qu'elle n'est point de sa religion, qu'elle meurt en professant celle de son époux et qu'elle n'oubliera pas les principes qu'il lui a répétés tant de fois[1682]». Le bourreau et son aide sont debout, derrière la Reine, le tricorne à la main, appuyés aux parois de la voiture et mettant «un soin visible à laisser flotter à leur gré les cordes» qui lient les mains de la victime et dont ils tiennent les extrémités. Un pâle soleil d'automne éclaire cette scène. La charrette s'ébranle; les gendarmes ont peine à lui frayer un passage, au milieu de cette masse compacte de sans-culottes et de tricoteuses qui vont bien gagner leur journée. Un silence étrange règne dans cette foule; mais, à l'entrée de la rue Saint-Honoré, les clameurs commencent. Des lazzis grossiers, des plaisanteries sinistres, des injures infâmes, des cris de mort sortent, comme des émanations malfaisantes, des profondeurs de cette populace en délire et se croisent avec des cris de _Vive la République_! _A bas les tyrans[1683]!_ Quelques misérables battent des mains[1684]; le comédien Grammont, à cheval, caracole autour de la charrette, donnant le signal des outrages. Impassible et sereine, «sans abattement ni fierté[1685],» la Reine plane au-dessus de cette tourbe; ses regards se posent sur cette foule haineuse, presque sans la voir, et ses oreilles sont frappées de ces bruits, sans les entendre. A peine si, de temps à autre, quelque insulte, plus odieuse que les autres, réussit à parvenir jusqu'à elle et à ramener un instant sur la terre cette pensée, qui monte, obstinément vers le ciel. Personne aux fenêtres; il ne faut rien au-dessus du niveau brutal de la rue[1686]. Toute sympathie doit se taire; la haine seule a droit de se montrer. Quelques spectateurs, dit-on, pourtant, s'évanouissent de douleur[1687]. La charrette s'avance lentement: il faut, a écrit un journaliste, que la Reine «boive longtemps la mort[1688]». Devant Saint-Roch, le cortège s'arrête; c'est une des stations que l'acharnement ingénieux des bourreaux a ménagées à la victime sur le long chemin de son Calvaire. Sur le perron de l'église est entassée la fine fleur des furies révolutionnaires, le bataillon de la citoyenne Lacombe. Grammont se dresse sur ses étriers, en brandissant son sabre: «La voilà, l'infâme Antoinette, crie-t-il; elle est f....., mes amis!» C'est le signal; un long murmure s'élève de cette foule; les vociférations, les imprécations, les injures viennent se fondre en un immense hurlement de haine et d'insulte. Quelle jouissance pour ces femmes, pour ces _lécheuses de guillotine_, comme les appelait énergiquement la Commune, si elles pouvaient saisir sur le visage de la condamnée un tressaillement, ou dans ses yeux une larme! Mais cette volupté ne leur est pas donnée; sous le coup de l'outrage, la Reine demeure impassible; elle ne voit rien, elle n'entend rien. Cent pas plus loin, en face des Jacobins, il semble qu'elle veuille déchiffrer l'inscription qui surmonte l'arcade du passage[1689]. Elle se penche vers le prêtre constitutionnel et paraît l'interroger. Pour toute réponse, le prêtre élève un petit Christ d'ivoire, et la Reine rentre dans son silence et sa sérénité[1690]. A midi, le funèbre cortège débouche sur la place de la Révolution. Par une dernière et sanglante ironie, l'échafaud est dressé près du Pont-Tournant, au pied de la statue de la Liberté. La Reine jette un long regard sur ces Tuileries, où elle est entrée pour la première fois le 8 juin 1773, radieuse Dauphine, saluée par les acclamations enthousiastes du peuple de Paris; d'où elle est sortie le 10 août 1792, aux cris de rage de ce même peuple, si cruellement mobile; sur ces grands arbres, à l'ombre desquels son fils a joué tant de fois, et dont les feuilles, jaunies par le soleil d'automne, tombent à terre; sur ce palais où elle a vécu trois mortelles années, depuis les journées d'octobre 1789, et en face duquel elle va mourir. Sous le poids de ces souvenirs et de ces pensées, sa tête s'incline et son visage pâlit[1691]. Elle fléchit un moment, oppressée par d'insondables douleurs; mais aussitôt elle se redresse, descend de la charrette «avec légèreté et promptitude» et, «quoique ses mains soient toujours liées,» gravit, sans aide, les degrés de l'échafaud, «avec un air plus calme et plus tranquille encore qu'en sortant de la prison[1692].» En montant l'escalier, elle met par mégarde son pied sur celui du bourreau. Samson laisse échapper un cri de douleur. La Reine se retourne: «Monsieur,» dit-elle, avec une liberté d'esprit et une dignité inouïes dans un pareil moment, «Monsieur, je vous demande pardon[1693]!» Puis elle lève les yeux au ciel et murmure une dernière prière. Quatre minutes après[1694], le couperet national avait accompli son œuvre. L'exécuteur montrait longuement au peuple cette tête sanglante, dont un mouvement convulsif agitait les paupières, et dont un vif incarnat teignait encore les joues. «_Vive la République!_» répondait le peuple. Il était midi et quart. Tout était fini: la fille des Césars était allée rejoindre au ciel le fils de saint Louis. La foule s'écoulait, silencieuse et comme consternée, en proie à ce saisissement involontaire qui oppresse les consciences même les plus endurcies, après l'accomplissement d'un grand crime. Cependant, de cette populace haineuse et assouvie, un homme sortait, se glissait sous la guillotine et trempait son mouchoir dans le sang qui découlait de l'échafaud, comme dans le sang d'une martyre[1695]. Ce sang de la victime, l'histoire l'a recueilli, comme le gendarme Maingot. Elle l'a recueilli, pour en marquer au front les assassins de Marie-Antoinette. «Le premier crime de la Révolution, dit Chateaubriand, fut la mort du Roi; mais le plus affreux fut la mort de la Reine[1696].» «Paris n'a plus un crime à commettre, écrivait le cardinal de Bernis en apprenant l'attentat du 16 octobre. Le dernier ajoute à tous les autres un degré d'horreur et d'infamie inconnu jusqu'à aujourd'hui[1697].» Et Napoléon a dit de son côté: «La mort de la Reine fut un crime pire que le régicide[1698];» crime purement gratuit, puisqu'il n'y avait aucun prétexte à alléguer comme excuse; crime éminemment impolitique, puisqu'il frappait «une princesse étrangère, le plus sacré des otages»; crime souverainement lâche, puisque la victime était une femme «qui n'avait eu que des honneurs sans pouvoir». Quinze jours après[1699], le fossoyeur Joly enfouissait, dans un coin obscur du cimetière de la Madeleine, les restes mutilés de la grande suppliciée et soumettait à l'approbation du président du Tribunal révolutionnaire, Herman, une note ainsi conçue: La Veuve Capet, pour la bière 6 livres Pour la fosse et les fossoyeurs. 25 —[1700] C'était le dernier _Mémoire des fournitures faites pour le service de la Reine de France_! TABLE DES MATIÈRES CHAPITRE PREMIER—Les États généraux.—Impopularité de la Reine au milieu de l'enthousiasme général.—Ouverture des États généraux.—Pressentiments de la Reine.—Les bougies qui s'éteignent.—Mort du premier Dauphin. 1 CHAPITRE II.—Progrès de la Révolution.—Le serment du Jeu de Paume.—La séance royale du 23 juin.—Prise de la Bastille.—Départ du comte d'Artois et des Polignac.—Le Roi va à Paris le 17 juillet.—La nuit du 4 août.—Désordres en province.—Lettres de la Reine à Mme de Polignac.—Menaces de Paris contre Versailles.—Malouet propose vainement de transférer l'Assemblée à Compiègne. 19 CHAPITRE III.—Fermentation à Paris et à Versailles.—Appel de troupes à Versailles.—Banquet des gardes du corps.—Préparatifs des journées d'octobre. 46 CHAPITRE IV.—Journées des 5 et 6 octobre.—Retour à Paris. 58 CHAPITRE V.—Délabrement des Tuileries.—Premières entrevues de la Reine avec la foule; bonne entente réciproque.—Visites officielles des Corps constitués.—Murmures dans le peuple.—Bienfaits de la Reine.—Elle fait retirer des reconnaissances du Mont-de-Piété.—Elle envoie ses bijoux chez son joaillier Daguerre.—Licenciement des gardes du corps.—Pillage de la maison du boulanger François.—Représentation de _Charles IX_.—Comment la famille royale est installée et vit aux Tuileries.—Education des enfants.—Lettre de la Reine à Mme de Tourzel.—Bienfaisance de Marie-Antoinette.—Traits charmants du Dauphin.—Première communion de Madame Royale. 88 CHAPITRE VI.—Travaux de l'Assemblée.—Les biens du clergé sont déclarés à la disposition de la nation.—Suppression des Parlements.—Affaire de Favras.—Sa mort héroïque.—Plan d'évasion d'Augeard.—Démarche du Roi à l'Assemblée, le 4 février 1790.—On présente à la Reine la veuve et le fils de Favras.—Mort de Joseph II.—Publication du _Livre rouge_.—Alarmes aux Tuileries.—Séjour à Saint-Cloud.—Fédération du 14 juillet 1790.—La famille royale est acclamée par les fédérés.—Enquête et rapport de Chabroud sur les journées d'octobre. 115 CHAPITRE VII.—Mirabeau.—Son entrevue avec Necker.—Ses ouvertures au comte de la Marck.—Première note de Mirabeau pour la Cour.—Son entrevue avec la Reine.—Ses projets.—Le Roi et la Reine les écoutent sans les suivre.—Eclats de Mirabeau.—La Reine est de nouveau menacée.—Nouveaux plans de Mirabeau.—Quarante-septième note.—Utilité, mais difficultés de ce plan.—Mort de Mirabeau. 140 CHAPITRE VIII.—Situation alarmante de Paris: l'émeute en permanence.—Démission de Necker.—Départ de Mesdames.—Le 28 février.—Le 18 avril.—Projets de fuite.—Le comte d'Hinnisdal.—Espérances d'évasion de Saint-Cloud.—Plan de Mirabeau.—Hésitations du Roi.—Ouvertures au marquis de Bouillé.—Le projet est discuté, puis arrêté entre la Reine, Fersen et Bouillé.—Le départ, ajourné à plusieurs reprises, est définitivement fixé au 20 juin. 172 CHAPITRE IX.—Fuite de Varennes.—Arrestation de la famille royale et retour à Paris. 198 CHAPITRE X.—La famille royale est gardée à vue aux Tuileries.—Sa vie captive.—La Reine est interrogée par les commissaires de l'Assemblée.—Le 17 juillet.—Le drapeau rouge est déployé au Champ-de-Mars.—Les Constitutionnels se rapprochent de la Cour. 231 CHAPITRE XI.—Négociations de la Reine avec les Puissances.—Projets de l'Empereur.—Projets du roi de Suède.—Projets des émigrés.—Accroissement du nombre et de l'importance de ces derniers.—Leurs dissentiments avec la Cour et avec le baron de Breteuil, agent officiel de la Cour.—Lettre du 30 juillet, écrite par Marie-Antoinette à Léopold, sous l'influence des Constitutionnels.—Missions du chevalier de Coigny et de l'abbé Louis.—La Reine dément par ses lettres secrètes ses lettres officielles.—Pourquoi elle se méfie des Constitutionnels. 240 CHAPITRE XII.—La Reine ébauche un plan.—En quoi il consiste: pas d'action immédiate; des négociations seulement.—Lettre du 8 juillet à Fersen.—Hostilité de la Reine contre les émigrés.—Mauvaise attitude d'un certain nombre de ces derniers contre Marie-Antoinette.—Froideur de Léopold à l'égard des Princes.—Déclaration de Pillnitz.—Sa vraie portée.—Comment est-elle jugée par la Reine.—Lettre du 12 septembre à Mercy.—Cruelle situation de Marie-Antoinette. 260 CHAPITRE XIII.—Achèvement de la Constitution.—La Reine consulte Mercy et Léopold.—On ne peut refuser de sanctionner; car on n'a pas de moyens de résistance.—Conseils divers.—Retour momentané de l'opinion.—Le Roi accepte la Constitution.—Fêtes à Paris.—Enthousiasme populaire. 273 CHAPITRE XIV.—Suites de l'acceptation de la Constitution.—Protestation des Princes.—Lettre de Louis XVI à ses frères.—Lettre de Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt.—Dissentiments entre les Tuileries et Coblentz.—Correspondance de la Reine avec Fersen.—Plan de Marie-Antoinette.—Le Congrès armé.—Pourquoi le plan de la Reine est inexécutable. 286 CHAPITRE XV.—L'Assemblée législative.—Son hostilité contre le Roi s'affirme dès le début.—Mécontentement de la bourgeoisie.—La députation de Saint-Domingue est présentée à la Reine.—Le Roi ne veut pas former de Maison civile.—Projet d'évasion formé, puis abandonné.—Inaction du Roi et de la Reine.—Fluctuations de l'opinion.—Triste situation de la famille royale.—Tiraillements intérieurs.—La Reine continue à réclamer un Congrès.—Hésitations de l'Empereur et mécontentement de Marie-Antoinette.—Lettre à Mme de Polignac.—Article menaçant des _Révolutions de Paris_. 301 CHAPITRE XVI.—Premières mesures de l'Assemblée contre les émigrés et les prêtres.—Le Roi demande la dispersion des rassemblements d'émigrés.—Préparatifs de guerre.—Mémoire envoyé à l'Empereur par les Constitutionnels.—Mission de M. de Simolin.—Lettre de la Reine à Mercy.—Voyage de Fersen en France.—Il propose un plan d'évasion, mais le reconnaît impossible.—Représentation du 20 février aux Italiens. 317 CHAPITRE XVII.—Mort de Léopold.—Assassinat de Gustave III.—Joie insultante des Jacobins.—Nouveaux outrages contre la Reine.—Attaque violente de Vergniaud.—Dumouriez nommé ministre des affaires étrangères.—Il offre à Marie-Antoinette son concours, qui est repoussé.—Le ministère Girondin.—Pâques 1792.—La seule consolation de la Reine, ce sont ses enfants.—Le Dauphin.—M. de Fleurieu est nommé son gouverneur. 334 CHAPITRE XVIII.—Déclaration de guerre à l'Autriche.—Lettre de la Reine à Mercy, du 30 avril 1792.—Mission de Mallet du Pan.—Premiers échecs des troupes françaises.—Lafayette propose au Roi de se retirer à son armée.—Emotion de Paris.—Dénonciation du Comité autrichien.—Réapparition des Mémoires de Mme de la Motte.—Ils sont brûlés à Sèvres.—Licenciement de la garde constitutionnelle.—M. d'Hervilly offre au Roi de chasser l'Assemblée.—Le Roi refuse.—Départ de Barnave.—Décrets du 26 mai sur la déportation des prêtres insermentés, du 8 juin sur la formation d'un camp de vingt mille hommes sous Paris.—Renvoi des ministres Girondins.—Dumouriez quitte le ministère.—Le Roi oppose son veto aux décrets. 349 CHAPITRE XIX.—Le 20 juin. 364 CHAPITRE XX.—Suites du 20 juin.—Entrevue du Roi avec Pétion.—Proclamation de Louis XVI.—Voyage de Lafayette à Paris.—Lettre de la Reine à Mercy.—Attaques des Girondins contre le Roi.—Pétion suspendu, puis rétabli.—Insultes à la famille royale dans le jardin des Tuileries et sur la terrasse des Feuillants.—Un assassin s'introduit aux Tuileries.—Arrivée des fédérés à Paris.—Le Roi se fait faire un plastron.—Tentatives pour arracher la famille royale aux dangers de Paris.—Le prince Georges de Hesse.—Madame de Staël.—Le duc de Liancourt.—Plan de Lafayette.—La Reine refuse tout.—Son antipathie contre Lafayette.—Pourquoi.—Surveillance incessante autour des Tuileries.—La fédération du 14 juillet 1792.—Alertes continuelles: le 26 juillet.—Lettres de la Reine à Fersen.—Entrée des Marseillais.—Leur conflit avec les grenadiers des Filles-Saint-Thomas.—Dernière lettre de la Reine à Fersen.—Marche des armées coalisées.—Manifeste du duc de Brunswick.—Son effet déplorable.—Avances des Girondins à la Cour.—Les Jacobins redoublent d'efforts.—Pétion demande la déchéance du Roi.—Arrêté de la section Mauconseil.—Préparatifs du 10 août.—Illusions de la Cour.—Son impuissance.—Dernière messe de la famille royale aux Tuileries. 387 CHAPITRE XXI.—Le 10 août. 421 CHAPITRE XXII.—Le Temple.—Description.—Le palais du grand prieur.—La Tour du Temple.—La grosse et la petite Tour.—La famille royale est enfermée provisoirement dans la petite Tour.—Le 19 août, on la sépare de ceux qui l'ont accompagnée.—Vie des prisonniers.—Sentiments de la Reine sur l'invasion.—Cléry à la Tour.—Les journées de septembre.—On apporte sous les fenêtres du Temple la tête de la princesse de Lamballe.—Outrages aux prisonniers.—Turlot et Rocher.—Abolition de la royauté.—Le Roi est transféré dans la grosse Tour.—La famille royale y est transférée à son tour.—Le Dauphin est séparé de sa mère et remis à son père. 446 CHAPITRE XXIII.—La grosse Tour.—Nouvelle organisation de la vie des prisonniers.—Vexations nouvelles.—Municipaux compatissants.—Drouet au Temple.—Le Roi, puis le Dauphin tombent malades.—Installation d'une nouvelle municipalité.—Le bouillon de la Reine.—On enlève à la famille royale tous les instruments tranchants.—Procès du Roi.—Louis XVI traduit à la Convention.—Il est séparé de sa famille.—Ses entretiens avec Malesherbes.—Le Roi est condamné à mort.—Dernière entrevue avec la Reine et ses enfants.—Exécution du Roi. 468 CHAPITRE XXIV.—La Reine veuve.—Sa morne douleur.—Maladie de Madame Royale.—On apporte aux prisonniers des vêtements de deuil.—Toulan et Lepître.—Plan d'évasion préparé par ces deux municipaux et M. de Jarjayes.—Modifications dans le plan.—Nouveau projet; il échoue comme le premier.—Lettre de la Reine à M. de Jarjayes.—Toulan sauve l'anneau et le cachet du Roi.—La Reine les envoie à Monsieur et au comte d'Artois.—Dénonciations de Tison.—Perquisitions nocturnes.—Efforts des amis de la Reine à l'étranger.—Défection de Dumouriez.—Activité et espérances de Fersen.—Tout échoue.—Louis XVII tombe malade.—Le 31 mai.—Chaumette et Hébert viennent à la Tour.—Le baron de Batz.—Michonis.—Plan d'évasion.—La méfiance de Simon le fait manquer.—La Tison devient folle.—Louis XVII est enlevé à sa mère.—Il est livré au savetier Simon.—Nouvelle visite de Drouet au Temple.—Le jeune prince brutalisé par Simon.—Désespoir navrant de la Reine.—Elle est transférée à la Conciergerie. 493 CHAPITRE XXV.—La Conciergerie.—Le cachot de la Reine.—Michonis.—Les Richard.—Tentatives pour sauver la Reine.—L'affaire de l'Œillet.—Vexations nouvelles.—Le concierge Bault et sa famille.—Nouvelle tentative d'évasion.—Le complot Basset.—Inaction de l'Autriche. 530 CHAPITRE XXVI.—Procès de la Reine.—Décret de la Convention.—Premier interrogatoire de Marie-Antoinette.—Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray sont désignés pour la défendre.—Le tribunal.—Les jurés.—Audience du 14 octobre.—Acte d'accusation.—Les témoins.—Déposition d'Hébert.—Mot sublime de la Reine.—Manuel et Bailly.—L'officier de gendarmerie de Busne.—Audience du 15 octobre.—Interrogatoire du président.—Tisset et Garnerin.—Réquisitoire de Fouquier-Tinville.—Discours des défenseurs.—Condamnation.—La Reine est ramenée à la Conciergerie. 553 CHAPITRE XXVII.—La dernière journée.—Lettre de Marie-Antoinette à Mme Elisabeth.—La Reine s'habille et se jette quelques instants sur son lit.—L'abbé Girard.—Le bourreau Samson.—Préparatifs dans Paris.—La Reine monte dans la charrette des condamnés.—Le trajet de la Conciergerie à la place de la Révolution.—Le comédien Grammont et la citoyenne Lacombe.—L'échafaud.—La mort.—Conclusion. 578 FIN DU TOME SECOND ET DERNIER 7121.—POITIERS, IMPRIMERIE BLAIS, ROY ET Cie, 7, rue Victor-Hugo. NOTES: [1] «Elle avait cette dignité, ce courage, cette vigueur d'élan dans des occasions dangereuses, qui prouvait une âme née forte; mais il manquait à cette âme de s'être exercée à l'usage de sa force.»—Lettre inédite du baron d'Aubier au baron de Breteuil, communiquée par M. Gustave Bord. [2] Mémoire en forme de doléances des habitants de la paroisse de Dry, universellement accepté par le bailliage de Beaugency, présenté par les députés de ce bailliage à l'Assemblée des trois Etats à Orléans.—_Archives nationales_, B. III. 99. [3] _Ibid._ [4] _Ibid._ [5] Cité par M. Th. Meignan, dans son très curieux article sur _Les registres paroissiaux de l'état civil_.—_Revue des questions historiques_, janvier 1879, p. 149. [6] _Mémoires de Mme Campan_, 228, 229. [7] _Souvenirs d'un page_, 287. [8] _Ibid._ 288. [9] _Mémoires de Weber_, 203. [10] _Ibid._ 204, note. [11] Le Roy, _Histoire de Versailles_, I, 227. [12] On avait voulu lui donner un dais; il l'avait refusé, ne voulant pas, disait-il, d'un honneur réservé au Saint-Sacrement seul.—_Souvenirs d'un page_, 289. [13] _Ibid._ 290. [14] _Souvenirs d'émigration_, par la marquise de Lâge, LXXXVII. [15] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 19. [16] _Souvenirs d'un page_, 288. [17] _Mémoires de Mme Campan_, 227. [18] _Mémorial de Gouverneur Morris_, I, 242. [19] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 20. [20] _Ibid._, 21. [21] _Souvenirs d'un page_, 290.—_Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 21, note. [22] _Correspondance littéraire de Grimm._ [23] _Souvenirs d'émigration_ par la marquise de Lâge. [24] _Mémorial de Gouverneur Morris_, I, 243. [25] _Ibid._ [26] «Il règne dans son ton et dans ses manières toute la _fierté_ que l'on doit attendre des Bourbons.» _Ibid._ [27] _Souvenirs d'un page_, 291. [28] _Correspondance littéraire de Grimm._ [29] _Louis XVI_, par le comte de Falloux, 143. [30] _Mémorial de Gouverneur Morris_, I, 244. [31] _Mémoires de Mme Campan_, 227. [32] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 219, 220. [33] _Mémoires de Mme Campan_, 228. [34] _Le Gouvernement de Normandie_, IV, 384. [35] _Voir_ les détails de cette remise du Dauphin au duc d'Harcourt dans le _Gouvernement de Normandie_, IV, 384 et suiv. [36] Marie-Antoinette à Joseph II, 25 février 1788.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 112. [37] Marie-Antoinette à Joseph II, 27 février 1788.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 112. [38] La même au même, 24 avril 1788.—_Ibid._, 116. [39] La même au même, 16 juillet 1788.—_Ibid._, 118. [40] _Mémoires de Mme Campan_, 230. [41] _Le Gouvernement de Normandie_, IV, 385. [42] _Ibid._, 386. [43] _Souvenirs d'émigration_, par la marquise de Lâge, LXXXVIII. [44] _Mémoires de Mme Campan_, 231. [45] Mme Campan prétend que le Dauphin avait pris en grippe même sa mère. Mais la marquise de Lâge affirme positivement le contraire, et la marquise de Lâge, qui écrit à sa mère le 17 mai 1789, est plus croyable sur ce point que Mme Campan, qui n'a écrit que de souvenir. [46] _Souvenirs d'émigration_, par la marquise de Lâge, LXXXIX. [47] _Souvenirs d'un page_, 290. [48] Récit de M. Lefèvre, secrétaire du duc d'Harcourt, gouverneur du Dauphin.—_Le Gouvernement de Normandie_, IV, 387. [49] Lettres de Boullé, député de Nantes, à ses commettants sur l'ouverture des États généraux.—_Revue de la Révolution_, 1888, II, p. 8 et 11. [50] _Ibid._, p. 34 et 35.—«A midi, raconte Boullé, la députation des Communes a été reçue; le doyen, accompagné de vingt députés choisis au sort parmi les commissaires et les adjoints, a prononcé à Sa Majesté le discours qui avait eu l'approbation de l'Assemblée, _en y ajoutant seulement quelques expressions de regret et de douleur_ sur la perte qui vient d'affliger la France et son monarque.» [51] _Mémoires de Weber_, 209, 210.—Weber se trompe en plaçant cette scène le 8, au retour de Meudon. C'est le 6 que la députation du Tiers fut reçue par le Roi «quoique Sa Majesté, encore dans les premiers instants d'une douleur trop juste, se fût refusé jusqu'ici à voir personne».—Lettres de Boullé.—_Revue de la Révolution_, 1888, II, 36. [52] _Mémoires de Malouet_, 2e édition, I, 283, note. [53] _Notice historique sur la salle du Jeu de Paume de Versailles_, par Ch. Vatel, p. 13. [54] «On fit accroire au peuple qu'il se tramait mille conspirations dangereuses contre ses libertés; les meneurs de la foule virent bientôt que le moment était venu de mettre en branle les masses.» M. de Turckheim à ses commettants, 23 novembre 1789.—_Revue d'Alsace_, avril, mai, juin 1880, 202. [55] _Mémoires de Malouet_, I, 285.—Malouet avait demandé qu'on plaçât dans l'arrêté ou la formule du serment un membre de phrase attestant que les prétentions de l'Assemblée se bornaient à «faire la Constitution de concert avec le Roi». Plusieurs députés se joignirent à lui pour réclamer un amendement analogue. «Cela est juste, leur répondit Bailly, mais je me garderai bien de mettre aux voix votre proposition, _pour qu'elle ne soit pas rejetée_.»—_La chute de l'ancien Régime_, par Aimé Chérest, III, 204. M. Chérest ajoute que Mirabeau «partageait les sentiments de Malouet», mais que «désespérant de les faire prévaloir ce jour-là», il «n'essaya même pas de les exprimer séance tenante.»—_Ibid._, 203. [56] «La démarche des Communes, en se déclarant Assemblée nationale, indépendante des autres Ordres et du Roi lui-même, et en déclarant qu'aucun pouvoir ne la dissoudrait, est, dans le fait, s'emparer de toute l'autorité du royaume. Elles se sont, par un seul décret, rendues semblables au Long Parlement de Charles Ier... Une démarche aussi hardie et aussi désespérée, contraire à tous les autres intérêts du royaume, également funeste à l'autorité royale, au Parlement, à l'armée, ne peut être accordée.»—_Voyages d'A. Young_, I, 342. [57] _Mémoires de Malouet_, I, 284. [58] Mounier, _Recherches sur les causes qui ont empêché les Français de devenir libres_, Genève, 1792, I, 296. [59] _Mémoires de Weber_, 213. [60] _Mémoires de Malouet_, I, 283, 284. [61] _Louis XVI_, par le comte de Falloux. [62] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 57. [63] Un premier conseil avait été tenu le 19 à Marly, où la Cour s'était transportée après la mort du Dauphin. Le second conseil se tint le 21 à Versailles, où la Cour était revenue dans l'intervalle. [64] De Larcy. _Des vicissitudes de la France_, 11.—Les députés de la commune de Strasbourg, très désappointés de l'évanouissement de leurs espérances et très froissés du maintien de la distinction des Ordres, avouaient cependant qu'il y avait dans la déclaration du Roi des «adoucissements réels», et ils écrivaient le soir même du 23 juin aux commissaires de la Bourgeoisie de Strasbourg: «Nous vous observons que si tous les objets annoncés par Sa Majesté, comme soulagement, sont accordés aux peuples, ceux-ci y trouveront des _consolations puissantes_ pour le degré de liberté politique, dont ils attendaient le bienfait de la justice du monarque et des lumières du siècle et qui paraît leur échapper.»—_L'Alsace pendant_ _la Révolution française_, par Rod. Reuss.—_Revue d'Alsace_, juillet, août, septembre 1879, 344.—L'un de ces députés, M. de Turckheim, écrivait plus tard, dans le rapport qu'il adressait à ses commettants, le 23 novembre 1789: «La séance royale du 23 juin, où nous entendîmes pour la dernière fois la voix du monarque, avait manifesté les meilleurs sentiments à l'égard du bonheur de son peuple. Tout ce que réclamaient nos cahiers de doléances était accordé, et si les paysans, si remuants aujourd'hui qu'ils ont été excités par l'artifice, avaient été consultés alors, ils auraient éclaté en protestations de joie et de reconnaissance.»—_Ibid._, avril, mai, juin 1780, p. 201.—A. Young écrivait de même: «Tout le monde connaît les propositions faites par le Roi; le plan était bon; on accordait beaucoup au peuple sur des points essentiels.»—_Voyage en France_, I, 349. «Les Communes, en refusant opiniâtrement ce qu'on leur propose, abandonnent au hasard des avantages certains et inconnus, à ce hasard qui fera peut-être que la postérité les maudira, au lieu de bénir leur mémoire comme celle de vrais patriotes.»—_Ibid._, 355. [65] Paroles textuelles de Mirabeau, données par le marquis de Dreux-Brézé dans les séances de la Chambre des Pairs, des 9 et 15 mars 1833. Cité par le comte de Falloux.—_Louis XVI. Pièces justificatives_, 371. [66] Lally-Tollendal. _Biographie universelle_, article Necker; cité dans les _Mémoires de Malouet_, I, 287. [67] _Le comte de Fersen et la Cour de France._ Introduction, XLVII. [68] «On fit venir des troupes de la province pour inspirer quelque peur aux conciliabules de l'émeute; mais ce n'était qu'un moyen d'intimidation; car la douceur extrême du Roi et son amour pour ses sujets ne lui permirent jamais de songer seulement à verser le sang, pour maintenir son autorité suprême.»—_Mémoires de M. de Turckheim_ à ses commettants, 23 novembre 1789. _Revue d'Alsace_, avril, mai, juin 1880, 202. [69] _Mémoires de Gouverneur Morris_, I, 255. [70] Ferrières raconte qu'à la suite de la séance royale du 23 juin, les députes de la Noblesse, après avoir été chez le comte d'Artois, se présentèrent chez la Reine. «Ce n'était pas à elle, dit-il, qu'on avait le moins d'obligations. La Reine sortit dans le salon de jeu; elle tenait Madame par la main, elle portait le jeune Dauphin sur son bras. Tableau délicieux d'une mère: douce expression de la nature! La Reine présenta M. le Dauphin aux députés, leur disant, avec beaucoup de grâce, qu'elle le donnait à la Noblesse, qu'elle lui apprendrait à la chérir, à la regarder comme le plus ferme appui du trône.»—_Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 59-60. Mais Ferrières ajoute plus loin que ce fut la Reine qui prit l'initiative des instances pour décider Necker à rester.—La démarche de la Noblesse près de la Reine et les paroles de celle-ci nous paraissent surtout dictées par la courtoisie. Si la Reine avait été le principal appui de la réaction aristocratique, les députés de la Noblesse n'auraient-ils pas été chez elle tout d'abord, au lieu de commencer par le comte d'Artois et Monsieur? [71] _Mémoires du comte de Ségur_, II, 208. «Jamais je ne vis plus de dignité dans la douleur, plus de douceur dans l'affliction.» [72] «Le Roi rappelait à M. Necker qu'il l'avait, à quatre reprises différentes, supplié de lui accorder l'autorisation de se retirer, et il disait que l'état actuel des circonstances lui permettait de lui accorder maintenant cette faveur; il l'autorisait donc à s'éloigner, sans retard et sans bruit, et il se réservait de lui donner plus tard des marques de sa faveur royale et de sa satisfaction.»—Mercy à Kaunitz, 23 juillet 1789.—_Relations inédites de la prise de la Bastille_, publiées par J. Flammermont. [73] _Histoire de Louis XVI_, par Droz, II, 304, p. 23. [74] S'il faut en croire Mercy, les gardes suisses même auraient refusé de servir contre le peuple. Mercy à Kaunitz, 23 juillet, 1789.—_Relations inédites de la prise de la Bastille_, publiées par J. Flammermont, p. 23. [75] Voir pour plus de détails la _Prise de la Bastille_, par M. de Poncins (_Brochures sur la Révolution française publiées par la Société biographique_), et la _Prise de la Bastille_, par M. Gustave Bord, directeur de la _Revue de la Révolution_. [76] _Mémoires de Malouet_, II, 9. [77] _Ibid._, I, 290. [78] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 136. [79] _Mémoires de Mme Campan_, 233. [80] _Ibid._, 234. [81] _Mémoires sur la vie et le caractère de Mme la duchesse de Polignac_, par la comtesse Diane de Polignac. Hambourg, 1796, 27, 28. [82] _Mémoires de Mme Campan_, 234. [83] _Mémoires sur la vie et le caractère de Mme la duchesse de Polignac_, 31, 33.—Il avait été question d'abord de rappeler Necker seul, sans les autres ministres, en particulier sans le comte de Montmorin et le comte de Saint-Priest contre lesquels on avait inspiré au Roi de vives préventions. La Reine, persuadée par Mercy que cette exclusion de deux ministres populaires aurait de graves inconvénients dans l'état de surexcitation de la foule, finit par déterminer le Roi à rappeler le ministère tout entier et à faire bon accueil à tous les ministres.—Mercy à Kaunitz, 23 juillet 1789.—_Relations inédites de la prise de la Bastille_, publiées par J. Flammermont, p. 25 et 28, 29, 30. [84] _Voir_ le récit de cette scène touchante dans les _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 141. [85] _Mémoires du comte Valentin Esterhazy, fragments._—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 35. [86] Mercy à Kaunitz, 23 juillet 1789.—_Relations inédites de la prise de la Bastille_, publiées par J. Flammermont, p. 27. [87] _Evénements mémorables arrivés à Verdun au sujet du maréchal de Broglie et son arrivée à Metz._ Paris, Lefèvre. 1789. [88] _Mémoires de Mme Campan_, 236. [89] Journal du comte de Fersen, 14 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 6. [90] _Ibid._—_Voir_ aussi Mercy à Kaunitz, 23 juillet 1789.—_Relations inédites de la prise de la Bastille_, publiées par J. Flammermont, p. 27. [91] _Quinzaine mémorable_, 87. [92] _Ibid._, 93. [93] _Mémorial de Gouverneur Morris_, I, 263.—_Voir_ également, sur ce voyage du Roi à Paris, une lettre du 18 juillet 1789, écrite par un député de Marseille à la marquise de Créquy. Ce député, dont le nom est inconnu, fait remarquer avec raison combien la vérité est difficile à établir, même pour les contemporains. «Les faits opposés, dit-il, sont attestés par des gens qui disent: «_J'y étais_».—_Revue de la Révolution_, septembre 1783, p. 73. [94] «La voiture allait à tour de roue; en conséquence, il fut longtemps en présence de ces bons habitants de Paris.»—_Souvenirs d'un basochien._—_Revue de la Révolution_, mars 1885, 79. [95] _Histoire de la Révolution_, par deux amis de la liberté. «Je constate qu'il avait la figure bouleversée, attérée.»—_Souvenirs d'un basochien._—_Revue de la Révolution_, mars 1885, 79. [96] _Ibid._ [97] _Histoire de France pendant trois mois_, par le cousin Jacques, I, 116.—«Au lieu de _Vive le Roi!_ on criait _Vive la nation!_ Ce à quoi on ajoutait que le Roi serait acclamé plus tard, à son départ, si l'on était content de lui.» Rapport de M. de Simolin au comte Ostermann.—_Revue de la Révolution_, janvier 1886, p. 7. [98] _Mémoires de Bailly_, II, 65. [99] _Histoire de France pendant trois mois_, I, 116. [100] Mercy à Kaunitz, 23 juillet 1789.—_Relations inédites de la prise de la Bastille_, publiées par J. Flammermont, p. 27. [101] _Mémorial de Gouverneur Morris_, I, 205.—«M. le marquis de Lafayette défendit toute manifestation de joie et donna l'ordre que les arrondissements s'assemblassent comme à l'ordinaire pour organiser les rondes.»—Rapport de M. de Simolin au comte Osterman. _Revue de la Révolution_, janvier 1886, p. 7. [102] _Mémoires de Bailly_, II, 61. [103] _Mémoires de Mme Campan_, 239, 240.—Mme Campan donne le commencement du discours que, suivant elle, la Reine devait adresser à l'Assemblée: «Messieurs, je viens remettre entre vos mains l'épouse et la famille de votre souverain. Ne souffrez pas que l'on désunisse sur la terre ce qui a été uni dans le ciel.» Accompagnée de Monsieur, elle devait en même temps demander à l'Assemblée de transporter à quelque distance de Versailles le lieu de ses réunions. Mercy, qui donne ces détails, croit que l'Assemblée, qui commençait à s'effrayer de l'effervescence et de la prédominance de Paris, aurait accepté cette proposition.—Mercy à Kaunitz, 23 juillet 1789.—_Relations inédites de la prise de la Bastille_, publiées par J. Flammermont, p. 29.—La Reine avait projeté d'abord, dans le cas où le Roi eût été retenu prisonnier à Paris, de se retirer avec le Dauphin soit à Valenciennes, soit dans les Pays-Bas. Sur l'observation de Mercy que ce départ serait considéré par le pays, fortement surexcité, comme un enlèvement du Dauphin, elle avait renoncé à cette idée.—_Ibid._, 28. [104] _Souvenirs d'un page_, 302. [105] _Mémoires de Mme Campan_, 241. [106] _Histoire de France pendant trois mois_, I, 118, 119. [107] _Journal de Versailles_ du 22 juillet, no 14, cité dans les _Mémoires de Bailly_, II, 69. [108] _Quinzaine mémorable_, 134. [109] Nous en exceptons l'électeur Etienne Larivière, qui, plus d'une fois, fit à Berthier un rempart de son corps. [110] Vergniaud, plaidoyer pour Durieux.—_Vergniaud, monuments, lettres et papiers_, par Ch. Vatel, II, 68.—_Voir_, sur cette anarchie spontanée dans les provinces, le curieux volume de M. G. Bord: _La prise de la Bastille_, et les magistrales études de M. Taine sur la _Révolution_. [111] _Mémoires sur la vie et le caractère de la duchesse de Polignac._ [112] Joseph II à Léopold, 3 août 1789.—_Joseph II und Léopold von Toscana_, II, 265. [113] Necker étant resté quelques jours sans revenir, et les courriers qui lui portaient son rappel ayant eu de la peine à le trouver, on avait fait courir le bruit que la Reine, par répulsion contre lui, l'avait fait partir pour Bruxelles, afin de «l'éloigner encore plus de la France».—Mercy à Kaunitz, 23 juillet 1789.—_Relations inédites de la prise de la Bastille_, publiées par J. Flammermont, p. 29. [114] _Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette, la Cour et la ville_, de 1777 à 1792, 25 septembre 1789, II, 387. [115] _Procédure du Châtelet_, Malouet, 3e témoin.—Lally-Tollendal, _Lettre à ses commettants_, 85.—On peut lire aussi dans la _Revue d'Alsace_,—octobre, novembre, décembre 1879—les lettres découragées d'un député de Strasbourg, le baron de Turckheim, à cette même époque. M. de Turckheim, très libéral mais très royaliste, ne tarda pas à donner sa démission et à se retirer en Alsace. Dans le rapport qu'il adressa à ses commettants sur sa conduite, le 23 novembre 1789, il écrivait: «Nous ne voulûmes pas au début prendre la parole sans nécessité en présence de quelques centaines d'avocats bavards qui répandaient plus de désordre que de lumières, en présence aussi du _manque complet de liberté_ qui nous empêchait de le faire, depuis qu'une foule sans frein avait été introduite dans la salle de nos séances et que les clubs insolents qui siégeaient dans les cafés du Palais-Royal s'étaient érigés en juges et en vengeurs des affaires de la nation. Nous avons acquis la triste conviction que la voix de la modération ne serait point écoutée.» _Revue d'Alsace_, avril, mai, juin 1880, p. 200.—M. de Turckheim concluait ainsi: «Qui donc entrava la marche des affaires? Je le dis en toute franchise devant Dieu et mes concitoyens: ce ne fut pas la Noblesse qui expia d'une façon cruelle d'antiques et injustes abus; ce ne fut pas le Clergé qui s'offrit à supporter volontairement sa part proportionnelle des impôts, mais qu'on voulut dépouiller de toute propriété. Non, ce fut un petit nombre d'hommes qui s'étaient mis d'accord entre eux pour tout renverser et, sans souci de leurs mandats catégoriques, voulaient pousser à la révolte vingt-cinq millions d'hommes qui auraient pu suivre en repos nos travaux en les bénissant.»—_Ibid._, 203. [116] Le comte de Fersen à son père, 3 septembre 1789. _Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, XLIX. Introduction. [117] _Mémoires de Malouet_, I, 303. [118] Brouillon de lettre de M. le comte d'Estaing à la Reine.—_Rapport de la procédure du Châtelet sur l'affaire des 5 et 6 octobre, fait à l'Assemblée nationale par M. Charles Chabroud, membre du Comité des rapports._ Paris, Imprimerie Nationale, 1790.—Pièces justificatives. La lettre est du 14 septembre. _Rapport de Chabroud_, 49. [119] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 3 et 4. [120] _Voir_ tous les détails de ce plan dans les _Mémoires de Malouet_, I, 393 et suiv. [121] Droz, citant Molleville, II, 470, dit que cette démarche fut faite le 15 septembre. Mais Mallet du Pan, qui était en relations intimes avec Malouet et ses amis, donne la date du 29.—_Mémoires et correspondance de Mallet du Pan_, II, 485. [122] _Exposé de la conduite de M. Mounier_, 55. [123] _Mémoires de Weber_, 254.—_Exposé de la conduite de M. Mounier_, 66. [124] Mounier. _Appel au tribunal de l'opinion publique_, 95. [125] _Exposé de la conduite de M. Mounier_, 66. [126] _Procédure du Châtelet._ Besson, 117e témoin. [127] _Procédure du Châtelet._—Blaisot, 24e témoin. [128] _Ibid._—Faydel, député, 148e témoin. [129] Le Roy. _Histoire de Versailles_, II, 27. [130] Le Roy. _Histoire de Versailles_, II, 29. [131] Lettre des députés de Strasbourg au magistrat de la ville, 25 septembre 1789.—_L'Alsace pendant la Révolution française_, par Rod. Reuss.—_Revue d'Alsace_, octobre, novembre et décembre 1879, p. 480. [132] Le Roy. _Histoire de Versailles_, II, 32, 33. [133] Lettre du Roi écrite de la propre main de Sa Majesté à M. le comte d'Estaing, commandant général de la garde nationale de Versailles, par lui lue à l'Assemblée de l'Etat-major et des capitaines de la dite garde, le 24 septembre 1789 et qu'elle a consignée dans ses registres.—A Versailles, de l'Imprimerie Royale, 1789. [134] Affaire Marie-Antoinette.—Déposition de Lecointre.—_Armoire de fer_, carton 13. [135] «Ils résolurent, dit Mme de Tourzel, d'employer tous les moyens possibles pour empêcher la corruption du régiment de Flandre, le conserver fidèle au Roi, et ils se flattaient d'y réussir, en lui inspirant estime et confiance.» _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 5. [136] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 4. [137] Le Roy. _Histoire de Versailles_, II, 37. [138] Voir notamment Mounier. _Appel à la nation_, p. 113. [139] _Mémoires de Mme Campan_, 268. [140] Premier interrogatoire de la Reine.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 217. [141] Mounier. _Appel au tribunal de l'opinion publique_, 90.—Mounier ajoute: «Beaucoup d'étrangers, et les militaires, lorsqu'ils n'étaient pas en uniforme, avaient conservé l'usage d'une cocarde noire.» [142] _Réponse de la Reine._ A Versailles, de l'Imprimerie royale, 1789.—_Archives nationales._ _Armoire de fer_, carton 13, coté 89. [143] Il était resté environ quatre cents bouteilles de vin du banquet du 1er; c'est pour épuiser cette réserve qu'eut lieu le déjeuner du 3.—_Exposé de la conduite des gardes du corps, à la suite des forfaits d'octobre_, II, 235. [144] Les pauvres n'avaient pas été oubliés dans ces réjouissances; il avait été décidé que chaque compagnie des gardes du corps fournirait une somme de 1500 livres et que les deux mille écus ainsi réunis seraient remis aux curés de Versailles pour être distribués aux indigents; la distribution devait commencer le 6 octobre.—_Exposé fidèle de la conduite des gardes du corps_, 236, 237. [145] Au mois de juin, «un maréchal-des-logis, bas officier avec rang de lieutenant-colonel, est venu dire, au nom de la troupe, au duc de Guiche, capitaine du quartier, que leur devoir était de garder et de protéger la personne du Roi, mais non de monter à cheval pour se battre avec la canaille; qu'en conséquence ils ne feraient pas de patrouilles.»—_Lettres d'un attaché de la légation de Saxe._—_Revue de la Révolution_, août 1884, 36.—_Voir_ aussi _Mémorial de Gouverneur Morris_, II, 16, 28. [146] _Procédure du Châtelet._ Antoine, député, 220e témoin. [147] Lettre de Lecointre au Roi, 5 novembre 1789.—_Archives nationales, Armoire de fer_, carton 13. [148] Gorsas était maître de pension à Versailles.—Le Roy. _Histoire de Versailles_, II, 33. [149] Gouverneur Morris à John Jay, 1er juillet 1789.—Le même à Washington, 31 juillet 1789.—_Mémorial de Gouverneur Morris_, II, 16, 28. [150] Lally-Tollendal.—_Lettre à ses commettants_, 94. Les députés de Strasbourg écrivaient au magistrat de la ville, le 7 octobre 1789, cette phrase significative: «Depuis plusieurs jours la capitale était dans les plus vives inquiétudes sur ses approvisionnements; à peine pouvait-on y avoir du pain, _quoique le jour même de l'insurrection il ait reparu en abondance_.»—_L'Alsace pendant la Révolution française_, par Rod. Reuss. _Revue d'Alsace_, janvier, février, mars 1880. [151] _Procédure du Châtelet._ Lefebvre, 62e témoin—de Foucault, 119e témoin—Tailhardat. 126e témoin. [152] Taine. _Origines de la France moderne; la Révolution_, I, 128. [153] _Procédure du Châtelet._ De Blois, 35e témoin. [154] Mounier. _Appel au tribunal de l'opinion publique_, 123. [155] _Procédure du Châtelet._ De Blois, 35me témoin. [156] _Procédure du Châtelet._ De Blois, 35me témoin. [157] _Procédure du Châtelet._ Brousse des Faucherets, avocat au Parlement, 30e témoin. [158] _Procédure du Châtelet._ Fissour, représentant de la Commune, 30me témoin—Jean Pelletier, négociant. 1er témoin. [159] _Ibid._ Brousse des Faucherets, 30e témoin. [160] _Ibid._ Le même. [161] _Procédure du Châtelet._ Marquis de Fournès, député, 185e témoin. [162] _Ibid._ Maillard, 81e témoin. [163] _Procédure du Châtelet._ Du Granger, garde du corps, 10me témoin;—Rabel, garçon de chambre du Roi, 387e témoin. [164] _Ibid._ De Longuève, député, 15e témoin;—marquis de Virieu, député, 148e témoin;—Feydel, député, 148e témoin. [165] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 292. [166] _Procédure du Châtelet._ Marquis de Digoine, député, 168e témoin. [167] _Ibid._ Marquis de Raigecourt, député suppléant, 204e témoin. [168] _Ibid._ Déposition de Mounier: information faite à Genève. [169] _Procéd. du Châtelet._ De Cubières, cavalcadour du Roi, 269e témoin. [170] _Ibid._ Basire, porte-manteau du Roi, 233e témoin. [171] _Souvenirs d'un page_, 307. [172] M. de Narbonne demandait qu'on lui donnât des troupes et des canons pour aller garder les ponts de Sèvres et de Saint-Cloud, assurant qu'il mettrait toutes ces bandes en fuite.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 7.—M. de Saint-Priest proposait que le Roi se mît lui-même à la tête de ces troupes. [173] _Journées des 5 et 6 octobre 1789_, par le marquis de Paroy.—_Revue de le Révolution_, 5 janvier 1883. [174] Mme de Tourzel prétend que Necker profita d'une absence momentanée de M. de Saint-Priest, qui était allé conduire à Saint-Cyr sa femme prête d'accoucher, pour peser sur la détermination du Roi, un instant ébranlée par MM. de Saint-Priest et de Narbonne.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 8. [175] M. de Barante. _Notice sur le comte de Saint-Priest._—_Etudes historiques et biographiques_, I, 234. M. de Saint-Priest avait été fortement appuyé par le président de l'Assemblée, Mounier, qui, ce soir là, comme on le verra plus loin, passa cinq heures au Château et demanda instamment le départ de la famille royale.—_Mémoires et correspondance de Mallet du Pan_, I, 181, note. [176] M. de Barante. _Notice sur le comte de Saint-Priest._—_Etudes historiques et biographiques_, I, 234. [177] Il y avait deux quartiers à Versailles, le quartier Saint-Louis royaliste, le quartier Notre-Dame, révolutionnaire. [178] M. de Barante. _Notice sur le comte de Saint-Priest._ [179] _Mémoires de Weber_, 267. [180] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 9. [181] «Quelques personnes instruites, dit Rivarol, prétendent que si cette princesse,—la Reine,—était partie, elle n'eût jamais échappé aux assassins, dont toutes les rues qui aboutissent au Château étaient suffisamment garnies.»—_Journal politique national_, 2e série, no XIX.—_Œuvres choisies de Rivarol_, publiées avec une préface par M. de Lescure. Paris, Jouaust, 1880, II, 311. [182] _Voir_, sur toutes ces indécisions, M. de Barante. _Notice sur le comte de Saint-Priest._—_Etudes historiques et biographiques_, I, 33 et suiv. [183] _Evénements de Paris et de Versailles, par une des dames qui a eu l'honneur d'être de la députation à l'Assemblée générale._ Chez Garnery et Volland, p. 4. [184] _Procédure du Châtelet._ Cavalier, chirurgien major du régiment de Flandre, 71e témoin. [185] _Ibid._ Périer, avocat, 243e témoin—Galland, commis de la mairie, 272e témoin. [186] _Ibid._ Girin de la Morte, capitaine d'infanterie, 48e témoin. [187] _Procédure du Châtelet._ De Longuève, député, 155e témoin. [188] _Journées des 5 et 6 octobre 1789_, par le marquis de Paroy.—_Revue de la Révolution_, 5 janvier 1883. [189] _Ibid._ [190] Lettre du comte de Maistre au marquis de Beauregard, citée dans _Un homme d'autrefois_ par le marquis Costa de Beauregard, Paris, Plon, 1877, p. 89. M. de Maistre ajoute que les femmes qui avaient laissé voir qu'elles étaient touchées des bontés du Roi, furent maltraitées par leurs compagnes et fouettées en plein palais de Versailles. [191] _Procédure du Châtelet._ Derosnet, 211e témoin. [192] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 11 et 12. [193] _Procédure du Châtelet._ De Frondeville, 177e témoin. [194] Rivarol, _Journal politique national_, 2e série, no XX.—_Œuvres choisies de Rivarol_, II, 328. [195] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 12. [196] _Procédure du Châtelet._ De Frondeville, 177e témoin. [197] _Journal politique national_, 2e série, no XX.—_Œuvres choisies de Rivarol_, II, 327, 328. [198] «Je vis les banquettes où devaient siéger les députés du pays occupées par des femmes ivres et repoussantes.»—Rapport de M. de Turckheim à ses commettants. _Revue d'Alsace_, avril, mai, juin 1880, 210. [199] De Larcy. _Louis XVI et les États généraux._—_Correspondant_, 25 août 1868. [200] _Journal politique national_, 2e série, no XX.—_Œuvres choisies de Rivarol_, II, 324. [201] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 12. [202] _Journées des 5 et 6 octobre 1789_, par le marquis de Paroy.—_Revue de la Révolution_, janvier 1883. [203] _Journal politique national_, 2e série, no XX.—_Œuvres choisies de Rivarol_, II, 325. [204] «Sur les une heure après minuit, M. de Lafayette sortit du cabinet du Roi et dit que le Roi et la Reine allaient se coucher, qu'il allait en faire autant et qu'il conseillait à tout le monde de se retirer chez soi et de dormir tranquille, que personne n'avait rien à craindre.»—Marquis de Paroy. _Copie de la lettre que j'ai écrite à ma femme le 5 octobre au soir après le départ du Roi pour Paris._—_Revue de la Révolution_, janvier 1883. [205] _Procédure du Châtelet._ Bernardy, 225e témoin.—Mme de Tourzel raconte un fait étrange. D'après elle, les brigands auraient fait dire une messe au curé de Saint-Louis, probablement pour le succès de leur entreprise, y auraient assisté, et ce ne serait qu'après avoir entendu cette messe qu'ils se seraient rués sur le Château.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 13. [206] _Procédure du Châtelet._ De Frondeville, 177e témoin. [207] _Ibid._ Marquis de Digoine, député, 168e témoin. [208] _Ibid._ Gallemand, secrétaire du Comité de Constitution, 373e témoin. [209] Mounier. _Appel au tribunal de l'opinion publique_, 173. [210] _Procédure du Châtelet._ Mme Thibaut, première femme de la Reine, 86e témoin. [211] _Ibid._ Veytard, 91e témoin. [212] _Procédure du Châtelet._ Comte de la Châtre, député, 139e témoin. [213] M. de Varicourt fut égorgé avec des raffinements de cruauté horribles. Nous nous permettons de renvoyer pour ces détails à l'étude plus complète publiée par nous sous ce titre: _Les journées des 5 et 6 octobre 1789_.—_Revue des questions historiques_, octobre 1873. [214] _Procédure du Châtelet._ Chauchard, 101e témoin. [215] _Ibid._ François Dupont, suisse de la vicomtesse de Talaru, 131e témoin.—Ce misérable assassin était modèle dans les ateliers de peintres et s'appelait Jourdan. Il fut désigné dans la suite par le surnom de Coupe-tête.—M. de Maistre affirme que Mounier a vu des femmes qui venaient prendre du pain dans les cuisines du Roi, le tremper dans le sang des gardes du corps et le manger ensuite.—Lettre du comte de Maistre au marquis de Beauregard.—_Un homme d'autrefois_, 89. [216] _Procédure du Châtelet._ Borg, 346e témoin. [217] Lettre du comte de Maistre au marquis de Beauregard.—_Un homme d'autrefois_, 88. [218] _Procédure du Châtelet._ Marquis de Paroy, député, 246e témoin. [219] _Ibid._ Marguerite Andelle, 236e témoin. [220] _Ibid._ De Forget, capitaine de cavalerie, 370e témoin. [221] _Ibid._ Bercy, valet de chambre de la Reine, 100e témoin. [222] _Ibid._ De Miomandre, 18e témoin. [223] _Journal politique national_, 2e série, no XXI.—_Œuvres choisies de Rivarol_, II, 332. [224] _Procédure du Châtelet._ Rabel, garçon de chambre du Roi, 387e témoin. [225] Mme Campan dit qu'il est faux que les brigands aient percé le lit de la Reine à coups de piques, comme le bruit s'en est accrédité; le comte d'Hésecques, dans ses _Souvenirs d'un page_, dit la même chose. Mais le comte de La Châtre, 139e témoin, affirme avoir vu, dans la matinée du 6, le lit de la Reine «bouleversé» par les envahisseurs. Mme de Tourzel le raconte également.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 14. [226] _L'Espion de la Révolution_, I, 90. [227] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 14. [228] _Ibid._, I, 15. [229] _Procédure du Châtelet._ Derosnet, 211e témoin. [230] _Ibid._ Marquis de Digoine, 168e témoin. [231] _Journées des 5 et 6 octobre 1789_, par le marquis de Paroy.—_Revue de la Révolution_, janvier 1883, p. 5. [232] _Mémoires de Weber._ [233] _Procédure du Châtelet._ De Saint-Aulaire, 158e témoin. [234] Mme de Staël. _Considérations sur la Révolution française_, I, 272. [235] Marquis de Paroy. _Copie de la lettre que j'ai écrite à ma femme._—_Revue de la Révolution_, janvier 1883, p. 5. [236] _Procédure du Châtelet._ Jeanne Bessons, femme Tillet, 365e témoin. [237] _Journal politique national_, 2e série, no XXI.—_Œuvres choisies de Rivarol_, II, 339. [238] Il en sera de même au 20 juin et jusqu'au tribunal révolutionnaire. [239] Mme de Staël. _Considérations sur la Révolution française_, I, 272. [240] Marquis de Paroy. _Copie de la lettre que j'ai écrite à ma femme._—_Revue de la Révolution_, janvier 1883, p. 6. [241] Marquis de Paroy. _Copie de la lettre que j'ai écrite à ma femme._—_Revue de la Révolution_, janvier 1883, p. 6. [242] _Mémoires de Lafayette._ [243] _Procédure du Châtelet._ Derosnet, 211e témoin. [244] _Souvenirs d'un page_, 314. [245] _Procédure du Châtelet._ Madier de Montjau, député, 170e témoin. [246] _Ibid._ De Montmorin, 182e témoin;—de Montardat, garde du corps de M. le comte d'Artois, 349e témoin. [247] _Procédure du Châtelet._ Dufraisse-Duché, député, 120e témoin. [248] Mme de Staël, _Considérations sur la Révolution française_, I, 272. [249] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 20. Avec un incroyable sang-froid, la Reine, reconnaissant, dans la foule qui entourait la voiture, un officier des gardes de corps déguisé, le baron de Ros, lui dit tout haut: «Vous irez savoir de ma part des nouvelles de M. de Savonnières et lui direz toute la part que je prends à son état.»—_Mémoires de la marquise de La Rochejacquelein_, édition originale, Paris, Bourloton, 1889, p. 57. [250] Bertrand de Molleville. [251] Lally-Tollendal prétend qu'un coup de feu fut tiré dans le carrosse de la Reine.—_Seconde lettre de Lally-Tollendal à ses amis._ [252] Burke. _Réflexions sur la Révolution de France_, 155. [253] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 21, 22. [254] Mme Elisabeth à Mme de Bombelles, 13 octobre 1789.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 121. [255] _Ibid._ [256] Joseph II à Léopold II, 19 octobre 1789.—_Joseph II und Leopold von Toscana_, II, 281. [257] _Souvenirs de quarante ans_, 47. [258] _Ibid._ [259] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 23. [260] _Mémoires de Weber_, 282. [261] Mme de Staël. _Considérations sur la Révolution française_, I, 274. [262] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 13 octobre 1789.—_Correspondance de Mme Elisabeth_. 121.—Lettres d'un attaché de la légation de Saxe.—_Revue de la Révolution_, septembre 1884, p. 67. [263] _Projet de fête nationale_, par Gonchon, le futur orateur révolutionnaire du faubourg Saint-Antoine.—_Fourcade et Gonchon, les orateurs du faubourg Saint-Antoine, d'après des documents inédits_, par V. Fournel.—_Revue de la Révolution_, août 1887, p. 83, 84. [264] _Mémoires de Mme Campan_, 257. [265] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 26. [266] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 252. Weber donne une autre version de cette anecdote. Selon lui, ce serait Lafayette qui aurait dit à la Reine: «Voyez, Madame, comme le peuple est bon quand on va au-devant de lui.»—«Oui, Monsieur, aurait répondu la Reine; mais vous savez bien qu'il n'en est pas tout à fait de même quand il vient au devant de vous.» Weber ajoute: «M. de Lafayette sentit l'application et ne répliqua rien.»—_Mémoires de Weber_, 290. [267] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 255, 256. [268] Registre des cérémonies de l'année 1789, cité par M. de Beauchesne, _Vie de Mme Elisabeth, pièces justificatives_, I, 354. [269] _Mémoires de Weber_, 282. [270] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 339. [271] _Souvenirs de quarante ans_, 51. [272] Voici les paroles de Fréteau: «Madame, le premier désir de l'Assemblée nationale, à son arrivée dans la capitale, a été de présenter au Roi le tribut de son respect et de son amour; elle n'a pu résister à l'occasion si naturelle de vous offrir ses sentiments et ses vœux. Recevez-les, Madame, tels que nous les formons, vifs, empressés, sincères. Ce serait avec une véritable satisfaction que l'Assemblée nationale contemplerait dans vos bras cet illustre enfant, le rejeton de tant de Rois tendrement chéris de leur peuple, l'héritier de Louis IX, de Henri IV, de celui dont les vertus sont l'espoir de la France. Jamais ni lui ni les auteurs de ses jours ne jouiront d'autant de prospérité que nous leur en souhaitons.» La Reine répondit: «Je suis touchée, comme je dois l'être, des sentiments que m'exprime l'Assemblée nationale. Si j'avais été prévenue de ses intentions je l'aurais reçue d'une manière plus digne d'elle.»—Cité par Beauchesne, _Louis XVII_, I, 54, 55. [273] Le marquis de Nantouillet. [274] Registre des cérémonies de l'année 1789.—_Vie de Mme Elisabeth_, I, 558. [275] _Voir_ sur toutes ces réceptions le _Registre dès cérémonies de l'année 1789_.—_Ibid._, 554, 561. [276] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 13 octobre 1789.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 121. Elle écrivait encore â l'abbé de Lubersac: «La Reine, qui a eu un courage incroyable, commence à être mieux vue par le peuple. J'espère donc qu'avec le temps, une conduite soutenue, nous pourrons regagner l'amour des Parisiens, qui n'ont été que trompés.» Mme Elisabeth à l'abbé Lubersac, 16 octobre 1789.—_Ibid._, 123. [277] Lettre inédite du Dauphin; vente Polignac. [278] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 13 octobre 1789.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 121.—Lettres d'un attaché de la légation de Saxe.—_Revue de la Révolution_, septembre 1884, 67. [279] _Dernières années de la vie et du règne de Louis XVI_, par François Hue. 3e édition, 178. [280] Rue Saint-Honoré, 85. [281] Ce transfert ne fut effectué que sous le Consulat. Un certain nombre d'objets avaient été vendus, le reste est aujourd'hui au Musée du Louvre, soit dans la galerie d'Apollon,—matières dures,—soit dans des armoires vitrées de l'ancien Musée des souverains,—laques japonaises et porcelaines de Chine.—_Voir_ sur ce sujet un curieux article de M. Charles Ephrussi, contenant reproduction de l'inventaire des citoyens Nitot et Besson et le dessin de quelques objets de cette collection. L'article a été publié dans la _Gazette des beaux-arts_ du 1er novembre 1879 sous ce titre: _Inventaire de la collection de la Reine Marie-Antoinette_, 389-408. [282] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 13 octobre 1789.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 120. [283] Lettre de Mme Elisabeth à la duchesse de Polignac.—Vente Polignac. [284] _Mémoires sur la vie et le caractère de la duchesse de Polignac_, 40. [285] Lettre de Mme Elisabeth à la duchesse de Polignac.—Vente Polignac. [286] Quelques gardes nationaux, tout étonnés de leur nouveau rôle, se familiarisaient avec les souverains. Un capitaine, nommé Gendret, marchand de dentelles de la Reine, vint un jour proposer à cette princesse de lui faire donner un concert par la musique de son bataillon. La Reine refusa cette proposition insolite.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 30. [287] Lettres d'un attaché à la légation de Saxe.—_Revue de la Révolution_, septembre 1884, 67. [288] _Ibid._ [289] Lettre de M. Schwendt, député, au Magistrat de Strasbourg, 21 octobre 1789.—_Revue d'Alsace_, janvier, février, mars 1880, p. 71.—M. Schwendt écrit: «Ce matin, en sortant de chez moi, j'ai vu porter sur une pique la tête d'un boulanger.»—_Voir_ aussi, même _Revue_, même numéro, la lettre de M. Levrault, délégué de la garde nationale de Strasbourg, du 22 octobre 1789, et une lettre de Boullé, député de Nantes, du 23 octobre 1789.—_Revue de la Révolution_, décembre 1889, 72, 73. [290] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 341, 342. [291] _Mémoires de Weber._ [292] _L'Espion de la Révolution_, par M. C., membre de plusieurs Académies, Paris, Huit, 1797, I, 106. [293] Beaumarchais au semainier du Théâtre-Français.—_Beaumarchais et son temps_, par Loménie, II, 346, 347.—_Voir_ aussi, sur cette représentation de Charles IX, _Le Théâtre révolutionnaire_, par Jauffret, Paris, Furne, 1869, p. 41 et suiv.—_Le Théâtre de la Révolution_, 1789-1799, avec des documents inédits par Henri Welschinger, 2me édition. Paris, Charavay, 1881, p. 47-48 et 195-197.—_La comédie satirique au_ XVIIIe _siècle_, par G. Desnoiresterres. Paris, Perrin, 1885, 308, 311. [294] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 351. [295] _Le Théâtre de la Révolution_, par H. Welschinger, 197. [296] _Mémoires de Mme Campan_, 257. [297] On avait prétendu qu'un complot contre la famille royale devait recevoir son exécution pendant la messe de minuit de Noël 1789, et on avait pressé le Roi et la Reine de n'y point aller, quoiqu'elle dût être dite dans la chapelle du Château; mais ils refusèrent d'écouter ce conseil de prudence, «trouvant que cet air d'inquiétude ne pouvait que produire un mauvais effet.»—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 43. [298] _Le château des Tuileries_, par P. J. A. R. D. E. (Roussel), I, 51. [299] Millin. _Magasin encyclopédique_, année 1792, p. 169, cité dans la _Bibliothèque de Marie-Antoinette aux Tuileries_, et aussi dans la _Bibliothèque de la Reine Marie-Antoinette au Petit-Trianon_, par Paul Lacroix, XVIII. Le publiciste ajoute: «Ce qui nous a étonnés, ça été de n'y voir que très peu de livres écrits en allemand, langue du pays de Marie-Antoinette.» [300] _Bibliothèque de la Reine Marie-Antoinette aux Tuileries; catalogue authentique publié d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale_, par L. Q. B. Paris, Morgand, 1884. La plupart des livres de cette bibliothèque sont aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale, dans la Réserve. C'est le Roi lui-même qui en avait fait le classement.—_Ibid._ Avertissement, V. [301] _Le château des Tuileries_, par P. J. A. R. D. E., I, 51-53. [302] _Souvenirs de quarante ans_, 49-50. [303] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 27-28. [304] _Ibid._, I, 30, 31. [305] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 18 octobre 1789.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 421. [306] _Souvenirs d'un page_, 322. [307] _Souvenirs d'un page_, 321. [308] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 34. [309] _Ibid._, I, 38. [310] _Mémoires de Mme Campan_, 260.—M. le comte de Reiset raconte de son côté avoir vu chez un de ses amis, M. le marquis de Besplat, au château de la Garenne-Randon près Meulan, une des dernières tapisseries faites par la Reine à Versailles. Cette tapisserie, qui portait encore l'aiguille de la Reine passée entre les fils du canevas, représentait «des attributs de chasse, de guerre, de jardinage dans des médaillons de fil blanc entourés de guirlandes de roses sur un fond de soie amarante». Elle se composait d'un immense canapé, de six grands fauteuils et de deux causeuses.—_Lettres inédites de Marie-Antoinette et de Marie Clotilde de France_, publiées par le comte de Reiset. Appendice, 148.—Après les journées d'octobre le dessin devient plus simple. M. le comte de Reiset a reproduit dans son grand et bel ouvrage sur le _Livre-journal de Mme Eloffe_ le fac-simile d'un morceau de tapisserie fait par la Reine et Mme Elisabeth aux Tuileries et au Temple. Ce sont des fleurs de diverses couleurs, roses et liserons, jetées sur un fond vert olive, très facile à exécuter. _Livre-journal de Mme Eloffe_, II, 395, 397. [311] Marie-Antoinette à la duchesse de Polignac, 12 août 1789.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, III, 186. [312] Lettre du Dauphin à la duchesse de Polignac.—Vente Polignac. [313] _Souvenirs d'un page_, 323. [314] Lettre du Dauphin à la duchesse de Polignac.—Vente Polignac. [315] _Ibid._ [316] _Mémoires historiques_, par Eckard, 11. [317] Cette admirable instruction a été publiée pour la première fois par MM. de Goncourt dans leur belle _Histoire de Marie-Antoinette_. 2e édition, 1860. [318] Notamment pour Brunier.—_Voir_ les _Mémoires de la duchesse de Tourzel_. [319] _Histoire de Marie-Antoinette_, par MM. de Goncourt. Nouvelle édition, 293, 294. [320] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 37. [321] _Mémoires de Weber_, 284, 285. [322] _Souvenirs de quarante ans_, 53, 54. [323] _Le château des Tuileries_, I, 54. [324] Montjoye, _Histoire de Marie-Antoinette_, 252, 253. [325] _Etrennes de la vertu pour l'année 1792._ Paris, Savoye, cité par MM. de Goncourt. _Histoire de Marie-Antoinette._ Nouvelle édition, 297. [326] Montjoye, _Histoire de Marie-Antoinette_, 254. [327] Lettre inédite de Marie-Antoinette du 20 mars 1790.—_Catalogue des lettres autographes_, etc., composant le cabinet de M. le baron de Girardot. Paris, Charavay, 1879. [328] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 31 janvier 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 145. [329] _Journal d'un prêtre parisien_, 1789-1792, publié par la _Revue de la Révolution_, juin 1883, p. 166.—Ce prêtre était l'abbé Rudemare, qui mourut sous la Restauration, curé des Blancs-Manteaux. [330] _Souvenirs de quarante ans_, 56, 57. [331] _Ibid._ [332] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 84. [333] _Journal d'un prêtre parisien._—_Revue de la Révolution_, juin 1883, p. 166.—L'abbé Rudemare était alors vicaire de Saint-Germain-l'Auxerrois. [334] _Ibid._ [335] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 398. [336] _Mémoires de Mme Campan_, 264. [337] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 378. [338] Mme Elisabeth à Mme de Bombelles, 23 février 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 150. [339] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 72. [340] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 382, 385. [341] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 72. [342] _Mémoires d'Augeard_, 197 et suiv. [343] _Ibid._, 230. [344] _Discours prononcé par le Roi et la Reine, assistés de Monseigneur le Dauphin, à la séance mémorable du jeudi 4 février 1790._—Marseille, imprimerie Favet. [345] _Mémoires du marquis de Ferrières_, I, 387.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 53, 56. [346] _Discours prononcé par le Roi et la Reine_, etc., p. 5. [347] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 37. [348] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 58, 59. [349] _Mémorial de Gouverneur Morris_, I, 289. [350] _Mémoires de Mme Campan_, 266. [351] De Beauchesne: _Vie de Mme Elisabeth_, I, 322, note. [352] Joseph II à Léopold II, 10 décembre 1789.—_Joseph II und Léopold von Toscana_, II, 296. [353] Joseph II à Léopold, 8 octobre 1789.—_Joseph II und Léopold von Toscana_, II, 218. [354] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 81. [355] _Mémoires de Mme Campan_, 272. [356] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 80. L'Assemblée envoya néanmoins une députation faire ses compliments de condoléance à la Reine. L'abbé de Montesquiou, qui la présidait, «profita de cette occasion pour rendre au caractère de la Reine l'hommage qui lui était dû, et termina son discours par cette phrase remarquable: «L'Assemblée place son espoir, Madame, dans cette force de caractère qui élève Votre Majesté au-dessus de tous les revers.»—_Ibid._ [357] Lettre de la Reine à la duchesse de Polignac; texte exact, vérifié à la vente Polignac. Il y a quelques erreurs dans le texte donné par les _Mémoires sur la vie et le caractère de la duchesse de Polignac_, p. 40. [358] _Ibid._ [359] _Le Livre rouge._ Paris, Beaudouin, imprimeur de l'Assemblée nationale, rue du Four-Saint-Jacques, no 31, 1790. L'avertissement, signé par les membres du Comité des pensions, est daté du 1er avril 1790. [360] _Voir_ notamment, _Le Livre rouge, ou Liste des pensions secrètes sur le trésor royal, contenant les noms et qualités des pensionnaires, l'état de leurs services et des observations sur les motifs qui leur ont mérité ces traitements._ De l'Imprimerie Royale, 1790. Imprimé en rouge. [361] _Mémoires de Mme Campan_, 268. [362] _Anecdotes du règne de Louis XVI_; cité en note dans les _Mémoires de Mme Campan_, 269. [363] Marie-Antoinette à Léopold II, 29 mai 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 126, 127. [364] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 1er juin 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 164. Mme de Tourzel dit que la Cour partit pour Saint-Cloud le 24 mai, le lendemain de la Fête-Dieu.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 108. C'est évidemment une erreur; la Fête-Dieu était le 3 juin; d'ailleurs les lettres de la Reine et de Mme Elisabeth sont formelles. [365] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 9 juin 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 166. [366] _Souvenirs de quarante ans_, 61. [367] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 29 août 1799.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 178. [368] _Ibid._ [369] _Mémoires de Mme Campan_, 273. [370] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 109. [371] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 9 juin 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 165. [372] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 110. [373] _Souvenirs de quarante ans_, 64. [374] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 2 août 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 173. [375] _Souvenirs de quarante ans_, 60. [376] _Mémoires de Mme Campan_, 277. [377] Le premier Dauphin, mort à Meudon le 4 juin 1789. [378] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 110. [379] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 111. [380] _Mémoires sur la vie et le caractère de la duchesse de Polignac_, 43. [381] Marie-Antoinette à Mercy, 5 octobre 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 139. [382] _Mémoires inédits du comte Valentin Esterhazy._—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth._ [383] Marie-Antoinette à Mercy, 5 octobre 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 139. [384] _Mémoires de Weber_, 294. [385] _Mémoires inédits du comte Valentin Esterhazy._—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 45. [386] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 139. [387] La Marck à Mirabeau, 10 juillet 1790. _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 99.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 138. [388] Marie-Antoinette à Mercy, 12 juin 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 130, 131. [389] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 142. [390] _Mémoires du marquis de Ferrières_, II, 94. [391] Mme Elisabeth à Mme de Bombelles, 10 juillet 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 170. [392] _Souvenirs d'un page_, 336. [393] _Détail de tout ce qui s'est passé au Champ-de-Mars, à la cérémonie de la Fédération, le 14 juillet 1790._ Brochure in-8 de huit pages. [394] _Ibid._ [395] _Mémoires du marquis de Ferrières._ [396] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 148. [397] _Détail de tout ce qui s'est passé au Champ-de-Mars_, etc. [398] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 156. [399] Le comte de Fersen au baron de Taube, 22 juillet 1790.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 78. [400] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 150, 151. [401] _Mémoires de Mme Campan_, 276. [402] _Mémoires de Mme Campan_, 276. [403] _Mémoires de Weber_, 296. [404] _Rapport de Chabroud_, 117. [405] Marie-Antoinette à Léopold, 3 octobre 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 137. [406] _Mémoires de Malouet_, I, 264. [407] «Il est peut être le seul dans l'Assemblée qui ait vu, dès le commencement, la révolution dans son véritable esprit, celui d'une submersion totale, et comme il était loin de la désirer, on ne peut expliquer que par une éclipse de sens moral qu'il ait concouru à des mesures violentes dont il sentait le péril et l'iniquité.»—_Ibid._ [408] _Mémoires de Malouet_, I, 277. [409] _Ibid._, I, 282. [410] _Ibid._, I, 364. [411] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 103, 104. [412] _Ibid._, I, 127. [413] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 94. [414] _Ibid._, I, 112. [415] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 107. [416] Journal de Fersen, 18 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 32. [417] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 124, 125. [418] La Marck à Mirabeau, 13 octobre 1789.—_Ibid._, I, 361. [419] Mirabeau à la Marck, 23 décembre 1789.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 436. [420] «La Reine traite Monsieur comme un petit poulet qu'on aime bien à caresser à travers les barreaux d'une mue, mais que l'on se garde d'en laisser sortir, et le duc de Lévis, qui a voulu brusquer l'aventure, s'est fait refuser une audience. On lui a répondu qu'on l'avertirait.»—Mirabeau à la Marck, 31 décembre 1789.—_Ibid._, I, 442. [421] Mirabeau à la Marck, 27 janvier 1790.—_Ibid._, I, 460. [422] Mirabeau à la Marck, 27 janvier 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction, 150. [423] Mirabeau au Roi, 10 mai 1790.—_Ibid._, II, 13. [424] Mirabeau au Roi, 10 mai 1790.—_Ibid._, I, 156, 157. [425] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, 157. [426] Première note de Mirabeau, 1er juin 1790.—_Ibid._, II, 25. [427] Seconde note de Mirabeau, 20 juin 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 41. [428] Mirabeau à la Marck, 26 juin 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 55. [429] _Ibid._, I, 189. [430] La Marck à Mirabeau, 27 juin 1790.—_Ibid._, II, 61. [431] Marie-Antoinette à Mercy, 29 juin 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold_, II, 133. [432] _Ibid._ [433] L'archevêque de Toulouse au comte de la Marck, 1er juillet 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 72. [434] L'archevêque de Toulouse au comte de la Marck, 1er juillet 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 188. [435] _Ibid._, II, 80, note. [436] Récit du comte de Saillant, neveu de Mirabeau.—_Marie-Antoinette et la Révolution française_, par le comte de Viel-Castel, Paris, Techener, 1859, p. 296. [437] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 189. [438] _Ibid._, I, 191. [439] _Mémoires de Mme Campan_, 289. [440] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._, Introduction, I. [441] _Mémoires de Weber_, 302, note de Barrière.—_Mirabeau et la Constituante_, par H. Raynald, 348. [442] _Mémoires de Mme Campan_, 280. [443] _Marie-Antoinette et la Révolution française_, 299. [444] La Marck à Mirabeau, 29 juin 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 62. [445] Le 22 mai, lors de la discussion sur le droit de paix et de guerre.—_Voir_ les _Mémoires du marquis de Ferrières_, II, 33. [446] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 190. [447] Mirabeau à la Marck, 26 juillet 1790.—_Ibid._, II, 113. [448] Le même au même, 18 octobre 1790.—_Ibid._, II, 237. [449] Dixième note, 9 juillet 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 95, 96. [450] Seizième note, vendredi 13 août 1790.—_Ibid._, II, 126 et suiv. [451] Marie-Antoinette à Mercy, 15 août 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 134. Mme Elisabeth était plus résolue, elle acceptait franchement la guerre civile: «Tu es bien plus parfaite que moi, écrivait-elle à son amie Mme de Bombelles, tu crains la guerre civile; moi je t'avoue que je la regarde comme nécessaire: premièrement je crois qu'elle existe, parce que toutes les fois qu'un royaume est divisé en deux partis et que le parti le plus faible n'obtient la vie sauve qu'en se laissant dépouiller, il m'est impossible de ne pas appeler cela une guerre civile. De plus jamais l'anarchie ne pourra finir sans cela, et je crois que plus on retardera, plus il y aura de sang répandu. Voilà mon principe, il peut être faux; cependant, si j'étais roi, il serait mon guide et peut-être éviterait-il de grands malheurs.» Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 1er mai 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 159. La Reine n'avait point cette même détermination et peut-être sentait-elle l'impossibilité d'une pareille résolution, étant donné le caractère du Roi. [452] Marie-Antoinette à Léopold, 3 octobre 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 137. [453] Dix-huitième note de Mirabeau, 17 août 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 136, 139. [454] Vingt-huitième note, 28 septembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 196, 197. [455] _Ibid._, I, 211. Introduction. [456] Mirabeau à la Marck, 1er septembre 1790.—_Ibid._, II, 158. [457] Le même au même, 18 octobre 1790.—_Ibid._, II, 237. [458] Le même au même, 29 septembre 1790.—_Ibid._, II, 198, 199. [459] L'archevêque de Toulouse à la Marck, 23 octobre 1790.—_Ibid._, II, 252. [460] _Ibid._ Introduction, I, 132. [461] Le 21 octobre, dans l'affaire du pavillon de la marine. [462] Trente-sixième note de Mirabeau, 24 octobre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 266. [463] _Les Mirabeau_, par M. de Loménie, II, 374. [464] _Ibid._, II, 625. [465] Marie-Antoinette à Mercy, 5 octobre 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 139. [466] A propos du duel du duc de Castries avec Charles de Lameth. [467] L'archevêque de Toulouse à la Marck, 15 novembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 323. [468] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, Introduction, I, 229. [469] Mirabeau à la Marck, 13 novembre 1790.—_Ibid._, II, 317. [470] Fersen à Gustave III, 5 septembre 1790.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 79. [471] Duport du Tertre aux sceaux le 22 septembre; Fleurieu à la marine, le 27 octobre; du Portail à la guerre, le 16 novembre; de Lessart aux finances, le 30 novembre. [472] _Mémoires de Mme Campan_, 259, 260. [473] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction, I, 229, 230.—La Marck à Mercy, 30 décembre 1790.—_Ibid._, II, 525.—Ce bruit s'était répandu aussi à l'étranger. Voir la lettre du comte de Vaudreuil au comte d'Artois, du 21 octobre 1790.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, I, 350. [474] La Marck à Mercy, 9 novembre 1790.—_Correspondance du comte de Mirabeau et du comte de la Marck_, II, 300.—Mirabeau fait allusion dans sa 40e note à ce qu'il appelle «l'inconcevable insolence de M. de Lafayette à Saint-Cloud».—_Ibid._, II, 307. [475] La Marck à Mercy, 9 novembre 1790.—_Ibid.,_ Introduction, I, 231. [476] Quarantième note de Mirabeau, 11 novembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 311. [477] Quarante et unième note de Mirabeau, 12 novembre 1790.—_Ibid._, II, 320, 326. [478] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction, I, 231. [479] A propos du pillage de l'hôtel de Castries après le duel du duc avec Ch. de Lameth. [480] La Marck à Mercy, 12 novembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 313. [481] L'archevêque de Toulouse à la Marck, 15 novembre 1790.—_Ibid._, II, 333. [482] Mirabeau à la Marck, 26 novembre 1790.—_Ibid._, II, 361. [483] Le même au même, 5 janvier 1791.—_Ibid._, II, 364. [484] La Marck à Mercy, 6 décembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 395. [485] Quarante-septième note de Mirabeau, 23 décembre 1790.—_Ibid._, II, 434. [486] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 429. [487] Quarante-septième note de Mirabeau, 23 décembre 1790.—_Ibid._, II, 475. [488] _Ibid._, 468 et suiv. [489] _Ibid._, 477. [490] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, 462, 463. [491] Quarante-septième note de Mirabeau, 23 décembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 485, 486. [492] La Marck à Marie-Antoinette, décembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 513. [493] La Marck à Mercy, 26 janvier 1791.—_Ibid._, III, 24. [494] _Ibid._, III, 30. [495] _Ibid._, 24. [496] La Marck à Mercy, 23 février 1791.—_Ibid._, III, 68. [497] La Marck à Marie-Antoinette, 19 février 1791.—_Ibid._, III, 62. [498] La Marck à Mercy, 26 janvier 1791.—_Ibid._, III, 31. [499] Mercy à la Marck, 14 janvier 1791.—_Ibid._, III, 6 et 7. [500] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, Introduction, I, 236. [501] La Marck à Mercy, 26 janvier 1791.—_Ibid._, III, 30. [502] _Ibid._ [503] Le même au même, 30 décembre 1790.—_Ibid._, II, 532. [504] La Marck à Mercy, 30 décembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 524. [505] Le même au même, 26 janvier, 23 février 1791.—_Ibid._, III, 27, 28, 70. [506] Fersen à Gustave III, 8 mars 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 86. [507] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction, I, 233. [508] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction, I, 251.—Ces paroles, contestées par Cabanis, sont affirmées par la Marck. [509] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 3 avril 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 264. [510] _Mémoires de Malouet_, II, 9. [511] _Mémoires du marquis de Ferrières_, II, 143. [512] _Ibid._, II, 222, 223. [513] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 5 février 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 232. [514] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 24 février 1791.—La même à la marquise de Bombelles, 28 février 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 240, 241. [515] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 242. [516] _Mémoires du marquis de Ferrières_, II, 235.—Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 28 février 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 241. [517] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 2 mars 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 244. [518] _Dernières années du règne de Louis XVI_, 210. [519] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 2 mars 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 244. [520] _Ibid._ [521] _Souvenirs d'un page_, 347. [522] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 253.—_Voir_ dans ces Mémoires la réponse des ducs de Villequier et de Duras à l'ordre du jour de Lafayette.—_Ibid._, I, 254 et suiv. [523] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 2 mars 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 245. [524] Le 24 août 1790. [525] Le 26 décembre 1790. [526] Montmorin à la Marck, 18 et 20 mars 1791.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 88 et 97. [527] _Mémoires de Weber_, 309. [528] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 19 avril 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 266. [529] Fersen à Taube, 18 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 102. [530] Hue. _Dernières années du règne de Louis XVI_, 214. [531] _Ibid._ [532] Fersen à Taube, 18 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 103. [533] Hue. _Dernières années du règne de Louis XVI_, 214. [534] On traitait le Roi de b... d'aristocrate et de gros cochon. M. de Gougenot, maître d'hôtel, s'étant approché de la voiture pour prendre les ordres de la Reine, les gardes nationaux l'en arrachèrent. La Reine s'avança pour dire de le laisser: «Voilà une plaisante b... pour donner des ordres,» répondirent les gardes nationaux. Fersen à Taube, 18 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 404. [535] _Mémoires du marquis de Ferrières_, II, 266.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 273. [536] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 21 avril 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 267. [537] Fersen à Taube, 18 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 104. [538] _Mémoires de Mme Campan_, 286.—_Mémoires de Weber_, 311. [539] Fersen à Taube, 18 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 104. [540] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 273, 274. [541] Fersen à Taube, 18 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 105. [542] Hue. _Dernières années du règne de Louis XVI_, 215. [543] Fersen à Taube, 18 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 105. [544] Hue. _Dernières années du règne de Louis XVI_, 217. [545] _Ibid._, 219. [546] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 283. [547] _Mémoires de Mme Campan_, 267, 268. [548] _Ibid._, 273, 274. [549] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 203. [550] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 29 août 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 178. Est-ce à la suite de cette proposition que le bruit se répandit à cette époque chez les émigrés que le Roi devait aller en Flandre? M. de Vaudreuil, qui s'était fait l'écho de ces bruits, n'y croyait pas. «J'ai de la peine à croire, écrivait-il à M. le comte d'Artois, qu'on puisse décider le Roi à sortir de Paris, à moins qu'on ne l'enlève par force.» Le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, 9 septembre 1790.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, I, 287. [551] _Mémoires de Mme Campan_, 269. [552] Fragments de Mémoires du comte Valentin Esterhazy.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 47, 48. [553] Note du 15 octobre 1789.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 369.—Mirabeau ne reculait pas cependant devant une intervention diplomatique des Puissances étrangères: «Il me semble qu'un autre point des plus raisonnables du plan de M..., est, si la paix entre la Prusse et l'Autriche se contient, d'engager ces deux Puissances, sous prétexte des dangers qu'elles peuvent courir elles-mêmes, si jamais ceci se consolide, à paraître non plus pour faire une contre-révolution ou entrer en armes ici, mais comme garants de tous les traités, de l'Alsace, de la Lorraine et comme trouvant fort mauvais la manière dont on traite un Roi. Elles pourraient alors parler le ton qu'on a, quand on se sent le plus fort, en bonne cause et en troupes.»—Marie-Antoinette à Mercy, juin 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 130. [554] Mirabeau à la Marck, 4 juin 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 34. [555] Note du 15 octobre 1789.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, I, 743. [556] Douzième note, 17 juillet 1790.—_Ibid._, II, 104 et suiv. [557] Treizième note, 26 juillet 1790.—_Ibid._, II, 114. [558] Journal de Fersen, 18 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, 1, 32. [559] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction, I, 245. [560] _Mémoires de Mme Campan_, 268. [561] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 24 octobre 1790.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 199. [562] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction. I, 238. [563] _Mémoires du marquis de Bouillé_, 214. [564] _Ibid._, 215 et suiv. [565] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction, I, 244, 245.—_Mémoires du marquis de Bouillé_, 228. [566] _Ibid._ [567] _Ibid._, 229. [568] Marie-Antoinette à Mercy, 20 avril 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 156, 157. [569] Le baron de Breteuil à l'Empereur, 3 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 114.—Le baron de Breteuil était, à l'étranger, l'agent accrédité du Roi et de la Reine. [570] A la mi-mai, on n'avait encore que quatre millions.—Fersen à Breteuil, 16 mai 1791.—_Ibid._, I, 123. [571] Marie-Antoinette à Mercy, 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 130. [572] Fersen à Taube, 1er avril 1791.—Le même à Breteuil, 2 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 90, 97. [573] Fersen à Taube, 7 mars 1791.—_Ibid._, I, 93. [574] Marie-Antoinette à Mercy, 20 avril 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 156. [575] _Mémoires du marquis de Bouillé_, 243, 244. [576] _Ibid._, 245. [577] Fersen à Breteuil, 16 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 123.—On leur demandait vingt ou trente mille hommes environ. [578] Marie-Antoinette à Léopold, 1er juin 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 167. [579] Marie-Antoinette à Mercy, 12 juin 1790.—_Ibid._, 130. [580] Bouillé à Fersen, 18 avril 1791.—Le même au même, 9 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France._ [581] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ Introduction, I, 244. [582] Marie-Antoinette à Mercy, 5 juin 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 172. [583] Manifeste du Roi, 20 juin 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 25, 119. [584] La marquise de Bombelles à la marquise de Raigecourt, 12 juillet 1791.—Archives de M. le marquis de Raigecourt.—Plusieurs émigrés des plus notables pensaient comme le marquis de Bombelles: «Croyez-vous qu'on soit revenu à désirer absolument l'ancien régime?—Non», écrivait, le 9 octobre 1790, le comte de Vaudreuil au comte d'Artois.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, I, 327, 328. [585] Journal de Fersen, 13 septembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 27. [586] Staël à Gustave III, 28 août 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël_, 228. [587] Le prince de Condé écrivait le 27 février: «Le comte d'Artois a reçu par une occasion une lettre du Roi et de la Reine.... celle de la Reine est encore plus forte en faiblesse—que celle du Roi.—Après toutes les mauvaises raisons que vous pouvez imaginer, elle lui demande le _sacrifice de toute idée de contre-révolution_. Voilà la femme que la Queuille et tant d'autres présentent comme un modèle d'énergie.»—_Histoire de l'Emigration: Coblentz_, par Ernest Daudet. Paris, Kolb, 1889, p. 23. [588] Marie-Antoinette à Mercy, 12 juin 1790.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 130. [589] La même au même, 13 février 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, I, 467. [590] Marie-Antoinette à Léopold, 7 novembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 141. [591] Marie-Antoinette à Léopold, 7 novembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 140, 141. [592] Entre autres l'absence d'un relais de poste dans la ville.—_Mémoires du marquis de Bouillé_, 222, 228. [593] _Ibid._, 251. [594] Fersen à Bouillé, 26 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 130. [595] _Mémoires de Mme Campan_, 287 et suiv. [596] _Ibid._, 289. [597] Fersen à Breteuil, 2 avril 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 96. [598] «Il ne faudrait pas passer le 1er juin,» écrivait M. de Bouillé à Fersen, 9 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 122. Il avait déjà écrit le 18 avril: «Tout est impossible si l'on passe l'époque du mois de mai.»—Le même au même, 18 avril 1791.—_Ibid._, I, 107. [599] Fersen à Bouillé, 29 mai 1791.—_Ibid._, 132. [600] Fersen à Breteuil, 30 mai 1791.—_Ibid._, 132. [601] Le même au même, 10 juin 1791.—_Ibid._, I, 137. [602] Fersen à Bouillé, 13 juin 1791.—_Ibid._, I, 137. [603] Marie-Antoinette à Léopold, 22 mai 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 165. Mme de Tourzel prétend qu'il y avait une quatrième personne dans la confidence, le chevalier de Coigny.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel._ [604] Fersen à son père, février 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France._ Introduction, LIX. [605] La berline avait été commandée par la baronne de Korff.—_Fuite de Louis XVI à Varennes_, par M. Bimbenet. Pièces justificatives, déposition du carrossier Louis, p. 51. [606] _Mémoires du comte Louis de Bouillé_, 39. [607] M. de Bouillé aurait voulu d'abord que M. d'Agout allât s'installer à Châlons avec trente gardes du corps déterminés, sous un prétexte quelconque, en réalité pour escorter le Roi de Châlons à Sainte-Ménehould.—Bouillé à Fersen, 9 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 122.—Le Roi ne le voulut pas, dans la crainte d'exciter les méfiances et de faire du mouvement.—Fersen à Bouillé, 26 mai 1791.—_Ibid._, I, 130. [608] Breteuil à Fersen, 24 mai 1791.—_Ibid._, I, 128. M. de Breteuil ne se souciait pas de M. de Saint-Priest, en qui il voyait un rival.—Ibid., et Breteuil à Fersen, 29 mai 1791.—_Ibid._, I, 131. [609] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 308. [610] Fersen à Bouillé, 29 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 132. On avait prétendu que c'était Mme de Tourzel, qui par entêtement de ses prérogatives de gouvernante des Enfants de France avait refusé de céder sa place dans la voiture royale et empêché par là d'emmener M. d'Agout. Mme de Tourzel s'en défend vivement dans ses _Mémoires_: «La Reine, dit-elle, qui fut la seule qui me fit part de ce voyage, ne m'a jamais dit qu'il en fût question et ne parla que de l'obstacle de ma santé,—elle venait d'être fort souffrante;—je n'aurais certainement pas insisté, si elle m'eût témoigné un pareil désir. J'avais d'ailleurs la ressource de prendre la place d'une des deux femmes qui accompagnaient la famille royale dans la voiture de suite. En pareil cas, l'attachement ne consulte ni la convenance ni les droits, et j'aurais alors concilié le devoir, que m'imposait ma place, de ne jamais quitter Monseigneur le Dauphin, avec le désir que Leurs Majestés auraient manifesté de se faire accompagner par une personne dont les services eussent pu leur être plus utiles que les miens.»—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 302, note. [611] Fersen à Bouillé, 9 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 130. [612] Fersen à Breteuil, 16 mai 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 123. [613] _Mémoires de Mme Campan_, 288. [614] «Le major du Royal-Allemand était venu le voir pour prendre ses instructions sur la nouvelle formation. M. de Bouillé lui parla de l'esprit du régiment, et le major ne lui cacha pas que dans le cas où l'on viendrait au secours de notre malheureuse patrie, le régiment serait plutôt disposé à s'y joindre qu'à marcher contre. «Tant mieux, lui répondit M. de Bouillé, tant mieux, Monsieur; j'espère qu'il ne sera pas le seul... Malgré ces bonnes dispositions, il ne faudrait pourtant pas compter sur lui—Bouillé,—dans le cas où l'on ne ferait qu'un simple coup de tête, et l'on craint ici et à Metz que M. le prince de Condé ne veuille agir seul; il ferait une mauvaise besogne.»—Le marquis de Raigecourt au marquis de Gain-Montagnac, 21 avril 1791.—Archives de M. le marquis de Raigecourt. [615] Lettre saisie chez M. de Fersen, du 17 juin 1791. Bimbenet, _La fuite de Louis XVI à Varennes_. Pièces justificatives, 137. [616] Fragments de mémoires du comte Valentin Esterhazy, _Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 55.—_Voir_ aussi, sur tous ces bruits du départ de la famille royale répandus chez les émigrés, la _Correspondance intime du comte de Vaudreuil_. Paris, Plon, 1889. [617] Bimbenet, _La fuite de Louis XVI à Varennes_. Pièces justificatives, 38. [618] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 1. [619] Bimbenet. _La fuite de Louis XVI à Varennes_, 40, 41. [620] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 2. [621] Récit de Madame Royale, dans les _Mémoires de Weber_, 314.—Déclaration de Raffy, commissaire du Comité civil de la section Lepelletier, citée par A. Vitu dans son livre sur la _Maison mortuaire de Molière_. _Figaro_ du 11 novembre 1882, supplément.—«La ci-devant Reine, la veille de son départ pour Varennes, a été goûter dans son beau jardin (de Boutin) à la barrière Blanche, avec ses enfants, pour faire voir qu'elle n'avait point envie de partir.»—Raffy ne se trompe que sur un point: ce n'est pas la veille, mais le jour même de son départ que la Reine alla à Tivoli. [622] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 303. [623] Madame Royale dit sept heures (Weber, 314); Desclaux, garçon de chambre de la Reine, dit huit heures.—Bimbenet.—Pièces justificatives, 45. [624] Bimbenet. _La fuite de Louis XVI à Varennes_, 41. [625] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 307.—Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 315. [626] Journal du comte de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 308. [627] Bimbenet. _La fuite de Louis XVI à Varennes_, 25. Pièces justificatives, 33, 35. [628] Bimbenet. _La fuite de Louis XVI à Varennes_, 56 et suiv. [629] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 307. [630] _Ibid._, I, 303.—Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 315. [631] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 304.—Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 315. [632] Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 315. [633] Le duc de Villequier avait émigré. [634] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 2. [635] Journal de Fersen.—_Ibid._, I, 3. [636] Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 415. [637] «M. de Fersen, dit Mme de Tourzel, jouait parfaitement le rôle de cocher de fiacre, sifflant, causant avec un soi-disant camarade qui se trouvait là par hasard et prenant du tabac dans sa tabatière.»—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 306. [638] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 2. [639] _Ibid._ [640] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 306. [641] Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 315. [642] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 307. [643] Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 315. [644] Déposition de Balthazar Sapel.—Bimbenet. _La fuite de Louis XVI à Varennes._ Pièces justificatives, 60.—Fersen dit qu'on arriva à Bondy à une heure et demi, Sapel dit à trois heures. [645] _Ibid._, 62. [646] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 2. [647] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 312. [648] On arriva à Châlons à quatre heures de l'après-midi.—_Procès-verbal de ce qui s'est passé à Châlons, relativement au départ du Roi vers la frontière, à son arrestation à Varennes, à son retour à Paris et à son séjour à Châlons._ Châlons, Le Roy, 1876, p. 5. [649] Mme de Tourzel affirme que le Roi ne descendit qu'une seule fois dans la route, entra dans une écurie où il n'y avait personne et remonta sur-le-champ dans la voiture. Les enfants descendirent seulement deux fois, dans les moments où les postillons montaient au pas de grandes côtes; «mais cette petite promenade ne causa aucun retard.»—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, 219.—Mais ce témoignage de Mme de Tourzel, si formel qu'il soit, ne nous semble pas pouvoir détruire les témoignages non moins formels des trois gardes du corps et de Mme Brunier.—Bimbenet. _La fuite de Louis XVI à Varennes._ Pièces justificatives, interrogatoires de MM. de Maldent, de Moustier et de Valori et de Mme Brunier, p. 79, 100, 111, 121.—On donnait d'ailleurs aux postillons des pourboires dont la générosité excitait les soupçons. [650] Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 116. [651] Récit fait par la Reine à Fersen.—Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 8. [652] Récit de Madame Royale. _Mémoires de Weber_, 116.—_Mémoires du marquis de Bouillé_, 262. [653] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 316. [654] _Ibid._ [655] Lettre de la municipalité de Sainte Menehould à l'Assemblée. [656] Louis Bonneville de Marsangy.—_Journal d'un volontaire de 1791_, Paris, Perrin, 1888, p. 19. [657] M. de Damas avait aussitôt envoyé un officier à toute bride pour avertir de ce contre-temps MM. de Bouillé et de Raigecourt qui étaient à Varennes. Malheureusement, l'officier ne connaissait pas le pays; il prit la route de Verdun au lieu de celle de Varennes où, par suite de cette erreur, il arriva trop tard.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 317. [658] Le _Journal d'un volontaire de 1791_ décrit ainsi ce passage: «Varennes est à trois lieues de Clermont. Je n'y ai rien remarqué que l'endroit où le Roi fut arrêté. Il semble qu'il ait été fait exprès, par l'impossibilité qu'il y a de passer deux voitures à la fois. C'est une espèce de porte ou d'arcade fort basse, et très étroite. Le pont vient ensuite.» Page 21. [659] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 318. [660] _Second procès-verbal de la municipalité de Varennes._—La municipalité de Varennes, après l'arrestation du Roi, rédigea deux procès-verbaux, fort différents de ton; le premier est respectueux encore de l'autorité royale; le second ne l'est plus.—_Voir_ ces procès-verbaux dans Bimbenet, _La fuite de Louis XVI à Varennes_; Pièces justificatives; et dans l'abbé Gabriel, _Louis XVI, le marquis de Bouillé et Varennes_. [661] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 319. [662] _Ibid._, I, 320. [663] _La fuite de Louis XVI_, par V. Fournel.—_Revue des questions historiques_, octobre 1868.—M. Fournel a publié dans la _Revue des questions historiques_, juillet et octobre 1868, deux articles très étudiés et très remarquables qui semblent donner le récit le plus exact de ce grave événement. [664] _Premier et second procès-verbaux de la commune de Varennes._ [665] _Premier procès-verbal._ [666] _Second procès-verbal._ [667] _Mémoires de Mme Campan_, 475. [668] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 325. [669] Lettre de la municipalité de Sainte-Menehould au président de l'Assemblée nationale, citée dans Gabriel, 313. [670] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 327.—Mme de Tourzel place par erreur cette scène entre Clermont et Sainte-Menehould. [671] Ce dernier détail a été contesté, mais il a été raconté par la Reine elle-même à Fersen. Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 8. [672] _Procès-verbal de ce qui s'est passé à Châlons_, etc., 16. [673] Il existait encore, suivant Mme de Tourzel, des personnes qui avaient été témoins de la première réception et qui fondaient en larmes, en songeant au chemin parcouru depuis lors.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 329. [674] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 329. [675] On en était au _Sanctus_. [676] _Procès-verbal de ce qui s'est passé à Châlons_, p. 23. [677] _Ibid._, 24.—Après le départ du Roi, il y eut des troubles à Châlons; la vie du maire, M. Chorez, fut menacée.—_Ibid._, 25, 26. [678] Gabriel. _Louis XVI, le marquis de Bouillé à Varennes_, 315. [679] _Procès-verbal de ce qui s'est passé à Châlons_, etc., 36. [680] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 332. [681] Récit de la Reine. Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 8. [682] _Procès-verbal de tout ce qui s'est passé à Châlons_, etc., 37. [683] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 8. [684] Barnave eut de longues conversations avec la Reine et avec Mme Elisabeth. Ces conversations sont relatées dans les _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 335 et suiv. [685] Ce récit a été publié par M. Mortimer-Ternaux.—_Histoire de la Terreur._ Pièces justificatives, I, 353 et suiv. [686] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 8. [687] _Mémoires de Mme Campan_, 295.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 339. [688] Récit de Pétion.—_Histoire de la Terreur._ Pièces justificatives, I, 361. [689] Récit de Pétion.—_Histoire de la Terreur._ Pièces justificatives, I, 361. [690] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 334. [691] Récit de Pétion.—_Histoire de la Terreur._ Pièces justificatives, I, 362. [692] _Ibid._ [693] _Louis XVII_, I, 131. [694] Récit de Pétion.—_Histoire de la Terreur._ Pièces justificatives, I, 365. [695] _Louis XVII_, I, 135. [696] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 340.—Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France,_ II, 8. [697] Récit de Pétion.—_Histoire de la Terreur._ Pièces justificatives, I, 368. [698] _Mémoires du marquis de Ferrières_, II, 367. [699] _Mémoires de Weber_, 367. [700] Récit de Pétion.—_Histoire de la Terreur._ Pièces justificatives, I, 370. [701] Staël à Gustave III, 25 juin 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 211. [702] Marie-Antoinette à Fersen, 28 juin 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 142.—Mme Campan prétend (_Mémoires_, 293, 294) que les cheveux de la Reine avaient blanchi subitement pendant les angoisses du voyage de Varennes. Montjoye, dans son _Histoire de Marie-Antoinette_, rapporte le même fait aux journées d'octobre. Nous adoptons plutôt cette dernière version, d'abord parce que Montjoye a écrit son _Histoire_ à une date plus rapprochée des événements que celle où Mme Campan a rédigé ses _Mémoires_, ensuite et surtout parce que Fersen, qui revit la famille royale en février 1792 et qui a laissé le journal de son voyage a gardé le silence sur ce fait qui n'aurait pu manquer de le frapper vivement et qu'il aurait certainement consigné. Ajoutons que Staël, dans sa correspondance écrite au moment même, n'en parle pas non plus. [703] _Mémoires du marquis de Ferrières_, II, 360, 361. [704] Staël à Gustave III, 6 juillet 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 213. [705] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 10 juillet 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 307. [706] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 8. [707] Mme Elisabeth à Mme de Bombelles, 10 juillet 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 307. [708] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 348. [709] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 5. [710] _Mémoires de Malouet_, II, 149. [711] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 348. [712] _Mémoires de Weber_, 367. [713] _Mémoires de Mme Campan_, 293.—Mme Campan rapporte que l'acteur Saint-Prix avait par dévouement demandé à monter la garde dans le corridor qui séparait l'appartement du Roi de celui de la Reine, afin de permettre aux malheureux époux de communiquer entre eux. [714] Journal de Fersen.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 8. [715] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 347. [716] _Souvenirs de quarante ans._ [717] _Mémoires de Weber_, 370. [718] «On ne laisse au Roi que la vie végétale, on admire qu'il s'en contente.» Lettre de Bernis à M. de Flavigny, 22 juin 1791.—Archives de Bernis.—_Le cardinal de Bernis depuis son ministère_, 516. [719] Mme Elisabeth à Mme de Raigecourt, septembre 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 446.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 359, 360. [720] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 360. [721] _Mémoires de Malouet_, II, 159. [722] Bimbenet. _La fuite de Louis XVI à Varennes_, 140, 141. [723] Staël à Gustave III, 17 juillet 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein._ [724] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 358. [725] Staël à Gustave III, 6 juillet 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 213. [726] Gouverneur Morris à Robert Morris, 20 juillet 1791.—_Mémorial de Gouverneur Morris_, II, 83. [727] Droz. _Histoire de Louis XVI_, III, 466. [728] _Mémoires de Mme Campan_, 294. [729] _Mémoires et correspondance de Mallet du Pan_, II, 487, 488. Mallet range parmi les premiers d'André, Chapelier, Baumetz, Lafayette; parmi les seconds, Barnave, Duport et les Lameth. Mallet nous semble sévère et même injuste pour Barnave. [730] Léopold à Marie-Antoinette, 5 juillet 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 182. Le même bruit avait été accrédité à Rome.—Voir _Le cardinal de Bernis depuis son ministère_, 506 et suiv.—_Voir_, sur la joie de l'Empereur, à la nouvelle fausse du succès de l'évasion de la famille Royale, les lettres du comte de Vaudreuil des 29 juin et 3 juillet 1791. Vaudreuil était alors avec les Polignac à Padoue où se trouvait l'Empereur.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 4 et suiv. [731] Léopold à Marie-Antoinette, 5 juillet 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 183. [732] Léopold à Marie-Christine, 5 juillet 1791.—_Marie-Christine, archiduchesse d'Autriche_, par Adam Wolf, traduit par L. V. III, 136. [733] Le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, sans date, juillet 1791.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 13. [734] L'Empereur ne s'était point adressé à la Suède; Gustave III en fut très froissé. [735] Projet de circulaire de l'Empereur, 6 juillet 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, III, 389. [736] Rambaud. _Les Français sur le Rhin_, 147. [737] Léopold à Marie-Christine, 6 juillet 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, III, 387. [738] Staël à Gustave III, 14 août 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 223. [739] Gustave III à Louis XVI, 30 juin 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 143. [740] Fersen à Marie-Antoinette, 27 juin 1791.—_Ibid._, 141.—Staël à Gustave III, 8 juillet 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 214. [741] Mémoire adressé à l'Impératrice de Russie par le roi de Suède, 9 juillet 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, III, 391 et suiv. [742] Mémoire lu par le roi de Suède, à la conférence tenue à Aix-la-Chapelle, dans sa chambre, entre Sa Majesté, Monsieur, le comte d'Artois et l'évêque d'Arras, 5 juillet 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, III, 382. [743] _Journal de mon émigration_, par un garde du corps de la compagnie de Luxembourg.—«Le Roi, arrêté à six lieues des frontières, écrivait Vaudreuil, a dit à l'univers: «J'étais prisonnier: j'ai voulu rompre mes fers;» à tous les bons Français: «Délivrez-moi;» à tous les rois: «Vengez-moi.» On ne peut rien opposer à cela et la force de ces motifs doit retentir dans toutes les âmes.»—Le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, sans date, juillet 1791.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 4. [744] _Voir_, sur l'évasion de Monsieur, la _Relation d'un voyage de Paris à Bruxelles et à Coblentz, en 1791_. Paris, 1823, Urbain Canel. [745] Gustave III à Monsieur, 5 juillet 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, III, 382. [746] Marie-Antoinette à Mme de Lamballe, commencement de juillet 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 148. [747] Journal de Fersen, 24 juillet 1799.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 7. [748] _Ibid._ [749] «Monsieur ferait mieux seul, mais est entièrement subjugué par l'autre». _Ibid._ [750] _Souvenirs et portraits_ du duc de Lévis, 371. [751] Journal de Fersen, 23 juillet 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 6. [752] Il ne faut pas confondre le baron de Bombelles, agent des Princes, avec son frère, le _marquis_ de Bombelles, mari de l'amie de Mme Elisabeth et agent de Breteuil et de la Reine. [753] Le cardinal de Bernis, qui de Rome observait tous ces mouvements et était au courant des plans des émigrés, ne croyait pas à cette coalition effective des Puissances, rêvée par Calonne et son parti: «J'ai toujours cru, écrivait-il à un ami, que la France pouvait seule rompre ses chaînes et reprendre son niveau. Les Puissances étrangères ont leurs embarras et leurs vues; le plus court pour elles, c'est d'envoyer à nos princes quelques belles lettres et des secours insuffisants; elles nous laisseront bientôt nous déchirer et nous dévorer nous-mêmes, et quand la Pologne, la Bavière seront arrangées selon leurs convenances, alors elles se partageront nos lambeaux. Je souhaite de me tromper.» Bernis à Flavigny, 4 janvier 1792.—_Le cardinal de Bernis depuis son ministère_, 520, note. [754] Journal de Fersen, 14 juillet 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 5. [755] La Reine avait et eut jusqu'à la fin des moyens secrets de correspondance avec l'Empereur; si elle écrivait cette phrase, c'était pour que les Constitutionnels ne soupçonnassent pas ces moyens, et ne les contrecarrassent pas. [756] Marie-Antoinette à Léopold, 30 juillet 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 118 et suiv. [757] Ce mémoire ne fut montré qu'à M. de Vaudreuil. «Dans ce mémoire, il (Montmorin) prouve que le comte d'Artois n'a rien fait contre la Constitution, qu'il est encore tout entier, qu'il est encore sans danger; fait un tableau charmant de ce moment et du bonheur de la France, quand toute la famille sera réunie; ajoute que, si le comte d'Artois ne revient pas, il sera déclaré traître à la patrie et encourra toutes les peines de la proscription.» Journal de Fersen, 19 août 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 18. [758] Journal de Fersen, 19 août 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 13. [759] Il était parti de Paris le 2 août. Staël à Gustave III, 4 août 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein._ [760] Fersen à Gustave III, 20 août 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 162. [761] Mercy à Kaunitz, 12 août 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 208. [762] Staël à Gustave III, 25 août 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 226, 227. [763] Marie-Antoinette à Mercy, 29 juillet 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 187. [764] La même au même, 7 août 1791.—_Ibid._, 197. [765] Marie-Antoinette à Mercy, 31 juillet 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 194. [766] La même au même, 1er août 1791.—_Ibid._, 194. [767] Staël à Gustave III, 25 août 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 226. Staël jugeait très sévèrement ces diverses mesures: «Ce manque de respect, écrivait-il, est d'autant plus répréhensible, qu'ayant beaucoup à réparer avec le Roi, l'Assemblée aurait dû sentir que ce n'est pas en outrageant qu'elle peut ramener la confiance et l'union.» [768] Marie-Antoinette à Mercy, 31 juillet 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 193. [769] La même au même, 1er août 1791.—_Ibid._, 194. [770] Mercy à Kaunitz, 12 août 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 208. [771] Fersen au baron de Taube, 17 juin 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 300. [772] Le même au même, 21 mars 1792.—Fersen à Gustave III, même date.—_Ibid._, 215, 216. [773] Marie-Antoinette à Fersen, 8 juillet 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 147, 148. [774] Les meilleurs amis du comte d'Artois, comme le comte de Vaudreuil, avaient tout fait pour l'empêcher d'appeler Calonne près de lui: «Un objet sur lequel je n'ai pas varié, écrivait Vaudreuil au prince, et sur lequel vous avez pris un parti contraire à mon avis, c'est relativement à M. de Calonne. Personne au monde ne l'aime plus que moi, personne n'est plus convaincu de la supériorité de ses talents, de ses ressources, de son génie et de sa loyauté; mais ici il faut considérer que l'opinion a tout fait et qu'on ne peut avoir de succès qu'en ramenant l'opinion et les esprits égarés, en suivant un plan sage mais lent. Est-ce donc l'homme que la calomnie a attaqué, ainsi que vous, qu'il faut mettre en avant lorsqu'il s'agit de parler à l'opinion? Les préventions du Roi et de la Reine ne seraient-elle pas un obstacle éternel à ce qu'ils approuvent tout ce qui viendrait de lui?» Et Vaudreuil ajoute: «Prendre précisément pour guide celui que la Reine hait, que le Roi a sacrifié, n'est-ce pas donner l'occasion à vos ennemis de publier, d'accréditer que vous prenez parti contre le Roi?» Le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, 28 nov. 1789.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil et du comte d'Artois pendant l'émigration_ (1789-1815), publiée avec introduction, notes et appendices, par M. Léonce Pingaud. Paris, Plon, 1889, I, 39, 40. _Voir_ encore lettre du 9 septembre 1790 du comte de Vaudreuil au comte d'Artois, _Ibid._, I, 286, et lettre du 7 juillet 1792 du comte de Vaudreuil au comte d'Entraigues, où se trouve cette phrase: «La haine de la Reine—contre Calonne—est implacable.»—_Ibid._, II, 104. [775] Journal de Fersen, 26 juillet 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 8. [776] «Si la Reine a l'air d'écarter les enragés, c'est à coup sûr pour les endormir. Elle est mère et elle est femme; serons-nous assez barbares pour ne pas lui pardonner des erreurs que ses ennemis n'ont que trop justifiées?... D'ailleurs, c'est Louis XVI et Marie-Antoinette que nous voulons replacer sur le trône; il faut donc dissimuler leurs torts, et nous les exagérons.» M. de Vaudreuil au comte d'Entraigues, 22 août 1791.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 22. Vaudreuil avait eu plus d'une fois à défendre la Reine contre les préventions du comte d'Artois lui-même.—_Voir_ notamment les lettres du 13 février et des 14 et 21 août 1790.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, I, 101, 102, 265, 270, 273. _Voir_ aussi _Coblentz_, par Ernest Daudet, _passim_. [777] Journal de Fersen, 10 et 23 juillet 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 4, 6. [778] _Ibid._, I, 4.—_Mémoires secrets d'Augeard_, 270. Il y avait eu en revanche de sincères accès de joie à la nouvelle prématurée du succès de l'évasion royale. Voir les lettres de Vaudreuil des 29 juin et 3 juillet 1791.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 4 et suiv. [779] _Mémoires secrets d'Augeard_, 278. [780] _Madame Swetchine, sa vie et ses œuvres_, publiées par le comte de Falloux, II, 82. [781] Bernis à Flavigny.—_Le cardinal de Bernis depuis son ministère_, 520. [782] Gustave III à Stedingk, 6 juillet 1791, cité par M. Geffroy.—_Gustave III et la Cour de France_, II, 174. [783] _Mémoires et correspondance de Mallet du Pan_, I, 356. [784] Note du marquis de Bombelles au comte Ostermann, 31 janvier 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 182. Un peu plus tard, la veille même du départ pour Varennes, Vaudreuil, habituellement sage pourtant à cette époque, engageait le comte d'Artois à agir sur le Roi par intimidation et à le menacer d'un abandon total de la noblesse, s'il ne voulait pas lui donner le plein pouvoir qu'il avait confié à Breteuil.—Le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, 19 juin 1791.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, I, 398, 399. [785] La marquise de Bombelles à la marquise de Raigecourt, 26 juillet 1791.—Papiers de famille de M. le marquis de Raigecourt. [786] M. de Simolin au comte Ostermann, 19 août 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 233. Mme Campan raconte de son côté que la Reine lui disait souvent: «Si les émigrés réussissent, ils feront longtemps la loi; il sera impossible de leur rien refuser. C'est contracter avec eux une trop grande obligation que de leur devoir la couronne.»—_Mémoires de Mme Campan_, 270. [787] Marie-Antoinette à Mercy, 7 août 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 197. [788] Marie-Antoinette à Mercy, 16 août 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 223. [789] La même au même, 21 août 1794.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 204. [790] _Marie-Christine, archiduchesse d'Autriche_, par A. Wolf, III, 138. [791] Léopold à Marie-Christine, 30 juillet 1791.—_Ibid._, III, 139, 140. [792] Le même à la même, 5 septembre 1791.—_Ibid._, III, 141. [793] _Ibid._ [794] Le même à la même, 26 août 1791.—_Ibid._, 206. [795] _Mémoires et correspondance de Mallet du Pan_, I, 254. [796] Léopold à Marie-Christine, 1er septembre 1791. _Marie-Christine, archiduchesse d'Autriche_, par A. Wolf, III, 141.—Le duc de Polignac, agent des Princes à Vienne, écrivait de son côté: «Spielmann s'est vanté d'avoir été plus fin que M. de Calonne, parce qu'il l'avait forcé de mettre ou de laisser mettre dans cette déclaration les mots: _Alors et dans ce cas_ qui, selon lui, l'annulent entièrement.»—Le duc de Polignac au comte d'Artois, 13 septembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 321. [797] Marie-Antoinette à Mercy, 12 septembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold, II_, 209. [798] Marie-Antoinette à Mercy, 12 septembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 210. [799] Le comte de Stedingk à Gustave III, 21 octobre 1791.—_Gustave III et la Cour de France_, II, 458. [800] Marie-Antoinette à Mercy, 21 août 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 204. [801] Mercy à Marie-Antoinette, 28 juillet 1791.—_Ibid._, 186. [802] Marie-Antoinette à Mercy, 7 août 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 197. [803] Fersen à Taube, 26 juillet 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 151. [804] Le même au même, 21 septembre 1791.—_Ibid._, I, 188. [805] _Journal de Fersen_, 3 sept. 1791.—_Ibid._, I, 23. [806] Marie-Antoinette à Mercy, 7 août 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 196.—Mallet du Pan rapporte que lui et Malouet avaient fait proposer au Roi, par Montmorin, un plan dans le sens indiqué ici par la Reine: Louis XVI serait allé à l'Assemblée, et là, montrant les dépêches des Puissances, aurait déclaré que, ces Puissances ne le croyant pas libre, il fallait constater sa liberté; qu'en conséquence il demandait à aller à Compiègne ou à Fontainebleau avec sa garde propre et à y choisir un nouveau ministère, qui n'eût coopéré en rien à la Constitution. «Ou l'Assemblée nationale eût refusé, et elle constatait la servitude du Roi; ou elle eût accepté, et le Roi se délivrait des traîtres de son Conseil; il s'en faisait un vigoureux et royaliste affectionné. M. de Montmorin a insisté à trois reprises; il s'est jeté aux genoux de la Reine; tout a été inutile. On s'est effrayé des conséquences et de la crainte d'une insurrection.»—_Mémoires et correspondance de Mallet du Pan_, I, 248. Quoi qu'en dise Mallet, il nous paraît probable que la Reine avait raison; l'Assemblée n'eût pas accepté et certainement la populace n'eût pas laissé exécuter ce plan; tout au moins eût-on gardé le Dauphin comme otage, ce à quoi sa mère ne pouvait consentir. [807] Réflexions de Burke, envoyées à la Reine de France, 20 août 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 246, 247. [808] Marie-Antoinette à Mercy, 7 août 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 196. [809] Mercy à Marie-Antoinette, 20 août 1791.—_Ibid._, II, 244. [810] Marie-Antoinette à Mercy, 26 août 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 205. [811] Marie-Antoinette à Léopold, 8 septembre 1791.—_Ibid._, 207. [812] _Journal d'une bourgeoise pendant la Révolution_, 51. [813] Staël à Gustave III, 28 août, 4 septembre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 228, 231. [814] Le même au même, 28 août 1791.—_Ibid._, 228. [815] Le même au même, 4 septembre 1791.—_Ibid._, 231. [816] Le même au même, 28 septembre 1791.—_Ibid._, 228. [817] Le comte de Stedingk à Gustave III, 21 octobre 1791.—_Gustave III et la Cour de France_, II, 458. [818] Staël à Gustave III, 28 août 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 228. [819] «Il se confirme dans les diverses conversations du Roi et de la Reine que, convaincus l'un et l'autre de l'impossibilité de mettre la Constitution en pratique et appréciés (?) dans cette opinion par ses fondateurs mêmes, ils semblent vouloir attendre le retour de l'opinion publique vers l'autorité royale et ne tenter aucun moyen violent, mais s'occuper uniquement à captiver l'affection du peuple.»—Staël à Gustave III, 1er septembre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 230. [820] _Mémoires de Malouet_, II, 161.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 381. [821] Marie-Antoinette à Fersen, 26 septembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 192. [822] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 383. [823] _Histoire de Louis XVI_, par Droz, III, 509. [824] Staël à Gustave III, 13 septembre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 234. [825] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 392. [826] Staël à Gustave III, 15 septembre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 235. [827] _Ibid._—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 390.—Mme Elisabeth à Mme de Raigecourt, 14 septembre 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 338. [828] _Mémoires de Mme Campan_, 305. [829] Staël à Gustave III, 13 septembre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 234. [830] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 392. [831] _Mémoires de Mme Campan_, 306. [832] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 392. [833] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 25 septembre 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 339. [834] _Mémoires de Mme Campan_, 307. [835] Staël à Gustave III, 29 septembre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 239. [836] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 12 octobre 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 353. [837] _Mémoires du marquis de Ferrières_, II, 200. [838] _Lettre de Monsieur et de M. le comte d'Artois au Roi, leur frère_, brochure imprimée à Pillnitz, 1791. [839] Staël à Gustave III, 22 septembre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 236. [840] Louis XVI à ses frères, septembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 335, 336. [841] _Mémoires du marquis de Ferrières_, III, 17. [842] _Papiers trouvés dans le secrétaire du Roi._ [843] Dans le langage figuré de Mme Elisabeth, le Père veut dire le Roi; la Belle-mère la Reine; le Fils ou le Futur, le comte d'Artois. [844] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 12 septembre 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth._ [845] Le marquis de Raigecourt au marquis de Bombelles, 16 novembre 1791.—Papiers de famille de M. le marquis de Raigecourt. [846] Le comte d'Artois. [847] La marquise de Bombelles à la marquise de Raigecourt, 3 novembre 1791.—Papiers de famille de M. le marquis de Raigecourt. [848] _Voir_ sur toute cette double politique de la Reine et de l'émigration la _Correspondance intime du comte de Vaudreuil et Coblentz_, par M. E. Daudet. _Voir_ aussi notre étude sur _Marie-Antoinette et l'Emigration_, publiée dans le _Correspondant_, en 1875. Les dissentiments avaient commencé dès la sortie de France du comte d'Artois. [849] Fersen à Taube, 21 septembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 190. [850] Marie-Antoinette à Fersen, 31 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 209. [851] Taube à Fersen, 21 octobre 1791.—_Ibid._, I, 201. [852] Fersen à Taube, 26 septembre 1791.—_Ibid._, I, 191. [853] Léopold à Marie-Christine, 17 octobre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 37. [854] Le même à la même, 11 novembre 1791.—_Marie-Christine, archiduchesse d'Autriche_, par A. Wolf, III, 143. [855] _Gustave III et la Cour de France_, II, 200. [856] Fersen à Taube, 36 septembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 191. [857] Marie-Antoinette à Fersen, 26 septembre 1791.—_Ibid._, I, 192. [858] _Ibid._, I, 193. [859] Fersen à Marie-Antoinette, 10 octobre 1791.—_Ibid._, I, 195. [860] Marie-Antoinette à Fersen, 19 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 199. [861] Le même au même, 2 et 7 novembre 1791.—_Ibid._, I, 213. [862] Marie-Antoinette à Mercy, 28 septembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 384. [863] «Le Roi (de France) persiste à croire que... l'action des émigrés ne ferait qu'irriter par l'imprudence qu'ils ont eue de présenter dans tous leurs écrits et déclarations le désir d'une vengeance sans bornes.»—Fersen à Gustave III, 4 mars 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 195.—_Voir_ aussi une lettre de Fersen à Simolin du 28 mars 1792.—_Ibid._, II, 218. [864] Ce projet de Congrès, qui immobilisait les émigrés, exaspérait Calonne. Il écrivait au cardinal de Bernis: «Je ne suis pas étonné que l'intrigant Breteuil, qui ne s'occupe qu'à traverser les projets des Princes et à les réduire à l'inaction, ait enfanté le projet d'un Congrès; mais je m'étonne qu'il ait pu parvenir, comme on le prétend, à le faire adopter par le cabinet de Vienne et peut-être aussi par celui de Madrid.» Calonne à Bernis, 2, 6 septembre 1791. Archives de Bernis.—_Le cardinal de Bernis depuis son ministère_, 518-519, note. [865] Fersen à Taube, 4 novembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 216, 217. [866] Marie-Antoinette à Léopold, 8 septembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 289. [867] _Ibid._ [868] Journal de Fersen, 14 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 6. [869] Marie-Antoinette à Léopold, 8 septembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 290. [870] Mercy à Marie-Antoinette, 6 novembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 220. [871] Le même à la même, 26 octobre 1791.—_Ibid._, 219. [872] Marie-Antoinette à Catherine II, 3 décembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 281. [873] Fersen à Gustave III, 27 novembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 261. [874] Marie-Antoinette à Mercy, 16 décembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 232.—Fersen à Stedingk, 19 janvier 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 134, 135. [875] Marie-Antoinette à Mercy, 28 septembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 385. [876] Fersen à Gustave III, 29 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 181. [877] Simolin à Catherine II, 1er mars 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 259. [878] Fersen à Marie-Antoinette, 2 juin 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 386.—«Il est certain, dit Malouet, que Louis XVI, non plus que M. de Bouillé, n'a jamais eu la pensée de terminer la Révolution autrement que par une constitution raisonnable et libre.»—_Mémoires de Malouet_, II, 122.—A Coblentz, on reprochait à la Reine d'avoir dit qu'elle aimait mieux être la mère d'un roi constitutionnel que la femme d'un roi pourvu d'une tutelle.—_Coblentz_, 151. [879] «Il ne faut pas de guerre civile, dit encore la Reine; il ne faut point, s'il est possible, de guerre étrangère.» Marie-Antoinette à Léopold, 8 septembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, II, 309.—_Voir_ sur le plan de la Reine toute cette lettre du 8 septembre 1791.—_Ibid._, 289 et suite,—et Marie-Antoinette à Catherine II, 3 décembre 1791.—_Ibid._, V, 276 et suiv. [880] La Reine exposait son plan à l'impératrice de Russie, le 3 décembre 1791; à la reine d'Espagne, le 4 janvier 1792; un peu plus tard à la reine de Portugal. Elle ne recevait guère que des réponses vagues. Catherine II, qui n'aimait pas Marie-Antoinette,—Stedingk au duc de Sudermanie, 26 avril 1793,—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 415,—lui envoyait une note peu bienveillante. _Voir_ cette note: _Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 276. [881] Le Roi de son côté recommandait ce plan à Breteuil, le 25 novembre 1791; au roi de Prusse, le 3 décembre 1791; au roi de Suède, le 10 décembre, et au roi d'Espagne vers la même époque.—_Voir_ ces lettres dans les papiers de Fersen et le recueil de M. Feuillet de Conches. [882] Mercy à Marie-Antoinette, 26 octobre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 218. [883] Fersen à Marie-Antoinette, 25 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 202. [884] Fersen à Gustave III, 19 décembre 1791.—_Ibid._, I, 277. [885] Journal de Fersen, 31 octobre 1791.—_Ibid._, I, 33. [886] Journal de Fersen, 14 février 1792.—_Ibid._, II, 7. [887] Mounier à l'Empereur, 13 octobre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 196. [888] Staël à Gustave III, 6 octobre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 240.—La garde nationale parisienne appelait ces députés nouveaux des _va-nus-pieds_. «Il est vrai, ajoute la Marck, qui raconte ce fait, que plus des dix-neuf vingtièmes des membres de cette Législature n'ont d'autre équipage que des galoches et des parapluies. On a calculé que tous ces nouveaux députés ensemble n'ont pas, en biens-fonds, trois cent mille livres de revenu.»—La Marck à Mercy, 10 octobre 1791.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 246. [889] Staël à Gustave III, 8 octobre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 241. [890] _Mémoires d'un avocat au Parlement de Paris, député à l'Assemblée législative (Hua)_, p. 70. [891] La Marck à Mercy, 10 octobre 1791.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 247. [892] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 16. [893] _Mémoires de Mme Campan_, 309, 310. [894] Marie-Antoinette à Fersen, 31 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 209. [895] Journal de Fersen, 20 octobre 1791.—_Ibid._, I, 53. [896] Le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, 28 octobre 1791.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 36, 38. [897] La Reine avait dit que ce plan s'exécuterait du 15 au 20 novembre, et c'est le 23 novembre que le bruit de l'évasion s'était répandu à Coblentz. _Voir_ à ce sujet une curieuse lettre du marquis de Raigecourt à la marquise de Bombelles, citée par nous dans notre étude sur _Marie-Antoinette et l'émigration_.—_Correspondant_ du 10 avril 1875.—Le même bruit s'était répandu en Suisse.—_Voir_ aussi une lettre de Fersen à Marie-Antoinette, du 26 novembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 258. [898] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 31 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 209. [899] Mercy à Marie-Antoinette, 6 novembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 220. [900] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 19 octobre 1791. _Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 199. [901] La Marck à Mercy, 30 octobre 1791.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 259. [902] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 19 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 199. [903] La Marck à Mercy, 10 octobre 1791.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 249. [904] La Marck à Mercy, 30 octobre 1791.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 259. [905] Staël à Gustave III, 8 octobre 1791.—_Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein_, 241. Marie-Antoinette au comte de Fersen, 31 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 219. Le comte de Vaudreuil à l'empereur Léopold, 31 octobre 1791.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 42. [906] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 19 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 199, 200. [907] Le prince de Nassau à Catherine II, 16 décembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 321. [908] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 17 novembre 1791.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 366. [909] _Mémoires de Mme Campan._ [910] Le prince de Nassau à Catherine II, 16 décembre 1791.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 317. [911] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 31 octobre 1791. _Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 209. [912] C'était la Reine qui avait empêché M. et Mme de Lescure, la future marquise de la Rochejacquelein, d'émigrer. «Les défenseurs du trône sont toujours bien, quand ils sont auprès du Roi,» avait-elle fait dire à Mme de Lescure.—_Voir_ le récit de cette scène dans les _Mémoires de la marquise de la Rochejacquelein_. Edition originale. Paris, Bourloton, 1889, p. 66 et suiv. [913] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 31 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 207. [914] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 7 décembre 1791, I, 269.—_Le comte de Fersen et la Cour de France._ [915] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 31 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 207. [916] Le baron de Taube au comte de Fersen, 28 février 1792.—_Ibid._, II, 178. [917] Note autographe de l'impératrice sur la lettre de la Reine de France.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 282. [918] Le comte de Fersen au comte de Stedingk, 19 janvier 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 135. [919] Journal du comte de Fersen, 6 octobre 1791.—_Ibid._, I, 31. [920] Marie-Antoinette à Mercy, 25 novembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 226. [921] Mercy à Marie-Antoinette, 21 novembre 1791.—_Ibid._, 224. [922] Mercy à Marie-Antoinette, 30 novembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 227. [923] _Ibid._ [924] Journal de Fersen, 2 novembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 33. [925] Marie-Antoinette à Mercy, 16 décembre 1791.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 233 et suiv. [926] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 7 décembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 270. [927] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 107, 108. [928] Citée et donnée en fac-simile par Beauchesne.—_Louis XVII_, I, 172. [929] _Réponse aux reproches qu'on nous a fait de n'avoir rien dit à Marie-Antoinette pour l'année 1792._—_Révolutions de Paris_, no 131, p. 52. [930] Marie-Antoinette au comte de Fersen. 31 octobre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 208. [931] La même au même, 19 octobre 1791.—_Ibid._, I, 199. [932] La même au même, 31 octobre 1791.—_Ibid._, I, 208. [933] Monsieur, le 3 décembre, le comte d'Artois, le 5 décembre.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, IV, 260, 261. [934] Fragments de mémoires de M. le baron de Goguelat.—_Mémoires de tous_, III, 398, 405. [935] _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck._ [936] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 9 décembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 271. [937] Mercy à Marie-Antoinette, 2 janvier 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 239. [938] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 6 janvier 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 114. [939] Journal du comte de Fersen, 21 janvier 1792.—_Ibid._, II, 3. [940] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 6 février 1792.—_Ibid._, II, 166. [941] Frédéric-Guillaume au Roi de France, 14 janvier 1792.—_Ibid._, II, 129. [942] Le comte de Fersen à Gustave III, 15 janvier 1792.—_Ibid._, II, 131. [943] «On craint beaucoup ici que l'Empereur n'adopte l'idée d'un Congrès. Je crois qu'on aime mieux ici avoir la guerre.»—Staël à Gustave III, 8 janvier 1792.—_Corresp. diplom. du baron de Staël-Holstein_, 247. [944] Cependant Mme de Tourzel raconte que M. de Narbonne, ministre de la guerre, avait demandé à la Reine de le faire nommer premier ministre, promettant «d'occuper la nation d'une guerre, qu'on lui ferait regarder comme nationale, pour parvenir, par ce moyen, à rendre au Roi l'autorité nécessaire pour le bonheur de la France». La Reine n'avait fait que rire de cette proposition, n'ayant point confiance en M. de Narbonne, qu'elle savait fort ambitieux.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 30 et 31. [945] Le comte de Fersen au baron de Taube, 21 mars 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 215.—_Voir_, sur toutes ces relations de la Reine avec les Constitutionnels, cette lettre de Fersen à Taube et une autre du même jour à Gustave III. [946] Marie-Antoinette à Léopold II, janvier 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 240. [947] _Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, I, 266. [948] Simolin à Catherine II, 11 février 1792.—-_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 169. [949] Le même à la même, même date.—_Ibid._, V, 165 et suiv. [950] Journal du comte de Fersen, 9 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 4. [951] _Ibid._—Simolin à Catherine II, 11 février 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 171. [952] Simolin à Catherine II, 11 février 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 170. [953] Marie-Antoinette au comte de Mercy, février 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 244, 245. [954] Le comte de Fersen au baron d'Ehrenswaerdt, 12 janvier 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 115. [955] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 24 janvier 1792.—_Ibid._, II, 145. [956] Mémoire du roi de Suède au Roi de France.—II, 288 et suiv. [957] Le baron de Taube au comte de Fersen, 16 décembre 1791.—_Ibid._, I, 275. [958] Une note du marquis de Bombelles est ainsi conçue: «De Compiègne on peut, par une suite non interrompue de forêts, se rendre à la frontière sans passer par un seul village; il n'y a qu'un moulin qu'il serait aisé de garnir à temps, et quant à un ou deux passages de rivières, on se servirait de nacelles de cuir, dont les contrebandiers font un usage aussi fréquent que sûr.»—Note du marquis de Bombelles à Catherine II.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 191. Le comte de Vaudreuil parle aussi, dans sa correspondance, d'un inspecteur de chasses nommé Brou, «homme plein d'intelligence, de courage et de fidélité, qui, avec l'aide de gardes bien montés et aussi sûrs que braves» promettait, sur sa tête, de faire évader la famille Royale. Ce Brou était-il un des auteurs et futurs acteurs du plan d'évasion par les forêts?—Le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, 20 octobre 1791.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 32. [959] Le comte de Fersen à Gustave III, 29 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 179, 180. [960] Le baron de Taube au comte de Fersen, 16 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 168. Les Princes avaient, à la même époque, un autre plan d'évasion de la famille royale tout entière. Ce plan avait une certaine analogie avec celui de Fersen, en ce qu'il passait par les forêts et évitait les villages; il aboutissait sur le territoire autrichien, à Marquenoise, à 47 ou 48 lieues de Paris.—En voir les détails dans _Coblentz_, par C. Daudet. _Pièces justificatives_, 357 et suiv. [961] _Mémorial de Gouverneur Morris_, note, I, 350. [962] Journal du comte de Fersen, 29 janvier 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 4. [963] Même journal, 20 janvier 1792.—_Ibid._, II, 3. [964] _Le comte de Fersen et la Cour de France._ Extrait d'une dépêche de la Cour de Saint-Pétersbourg à M. de Zinowief.—_Ibid._, II, 174. [965] Journal de Fersen, 3 février 1792. Le comte de Fersen à Gustave III, 5 février 1792.—_Ibid._, 163. [966] Malgré l'avis de Fersen. Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 8 février 1792.—_Ibid._, II, 167. [967] Journal du comte de Fersen, 12 février 1792.—_Ibid._, II, 5. [968] Même journal, même date.—_Ibid._, II, 5. [969] Le comte de Fersen au baron de Taube, 26 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 177. [970] Le comte de Fersen à Gustave III, 29 février 1792.—_Ibid._, II, 179. [971] Le comte de Fersen au baron de Taube, 26 février 1792.—_Ibid._, II, 177. [972] Le comte de Fersen à Gustave III, 29 février 1792.—_Ibid._, II, 179. [973] Le comte de Fersen au baron de Taube, 26 février 1792.—_Ibid._, II, 177. [974] Journal du comte de Fersen, 14 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 6 et 7. [975] Journal du comte de Fersen, 14 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 6 et 7. [976] Le comte de Fersen à Gustave III, 29 février 1792.—_Ibid._, II, 182. [977] Marie-Antoinette au comte de Fersen. [978] Journal du comte de Fersen, 14 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 7. [979] Le comte de Fersen à Gustave III, 29 février 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 182. [980] Le comte de Fersen au baron de Taube, 26 février 1792.—_Ibid._, II, 177. [981] Le même au même, même date.—_Ibid._, II, 177. [982] _Mémoires de Mme Campan_, 308. [983] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles, 22 février 1792.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 392.—_Voir_ aussi une lettre de la même date à la marquise de Raigecourt. [984] _Mémoires de Mme Campan_, 308. [985] Le comte de Fersen au baron de Taube, 27 février 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 177. [986] Simolin à Catherine II, 1er mars 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 259. [987] Le comte de Fersen à Gustave III, 11 mars 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 205.—_Voir_ aussi le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, 7 mars 1792.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 58, 59. [988] Simolin à Catherine II, 1er mars 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette, e t Mme Elisabeth_, V, 263. [989] Le comte de Fersen à Gustave III, 11 mars 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 205. [990] _Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 313. [991] _Mémoires de Mme Campan_, 317. Le comte de Vaudreuil au comte d'Artois, 7 mars 1792.—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 62. [992] Dépêche du marquis de Noailles, du 6 mars 1792. [993] La marquise de Raigecourt au marquis de Raigecourt, 12 avril 1792.—Papiers de famille à M. le marquis de Raigecourt. [994] Simolin à Catherine II, 17 mars 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 312. [995] Le comte de Fersen à Gustave III, 24 mars 1792.—_Ibid._, V, 362. [996] Marie-Antoinette au comte de Mercy, 2 mars 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 255. [997] C'est l'opinion de l'éditeur des Papiers de Fersen. On voit également, dans les Papiers du marquis de Raigecourt, que la mort de Gustave était annoncée à Paris _quinze jours_ avant l'attentat d'Ankarstroëm. C'est ce que Prudhomme appelait cyniquement: «une épizootie de têtes couronnées.»—_Révolutions de Paris_, no 145, p. 108. [998] _Gustave III et la Cour de France_, II, 294. [999] _Révolutions de Paris_, no 143, p. 5 et 7. [1000] _Révolutions de Paris_, no 143, p. 6. [1001] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 75. [1002] _Ibid._, II, 73. [1003] Le 3 mars, Simonneau, maire d'Etampes, avait été assassiné dans une émeute causée par la cherté des grains. [1004] Marie-Antoinette au comte de Mercy, 2 mars 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 255. [1005] _Mémoires de Mme Campan_, 328. [1006] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 46. [1007] _Mémoires de Mme Campan_, 328. [1008] Le comte de Fersen à M. de Simolin, 28 mars 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 219. [1009] _Mémoires de Mallet du Pan_, I, 261. [1010] Le comte de Fersen à M. de Simolin, 28 mars 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 219. [1011] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 109. [1012] Le baron de Breteuil à François II, 20 mars 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 356. [1013] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 110. [1014] _Ibid._, II, 109.—Mme Campan avait même la précaution d'emporter chez elle une partie de ces papiers afin qu'il n'y eût pas chez la Reine trace d'un trop grand nombre de papiers brûlés. [1015] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt,—25 mars 1792.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 401. [1016] _La Révolution_, par E. Quinet, II,38. [1017] _Mémoires de Dumouriez._—_Mémoires de Mme Campan_, 335. [1018] _Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 330, 331. [1019] _Etude sur Mme Roland et sur son temps_, par M. Dauban, Paris, Plon, 1863, p. LXXXIX. Mme Rolland écrivait encore le 1er juillet 1791, à Bancal des Issarts: «Le Roi est tombé au dernier degré de l'avilissement et il n'inspire que du mépris... Sa personne n'a plus d'autre dénomination que celle de Louis le Faux ou de gros cochon.» _Ibid._, CIII. [1020] _Mémoires de Mme Campan_, 325. [1021] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 18 avril 1792.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 404. [1022] Numéros 120 et 123 du _Père Duchesne_.—Le 1er est intitulé: «_Les grands préparatifs du P. Duchesne pour recevoir les Suisses de Châteauvieux. La grande Ribotte qu'il leur prépare pour les consoler de tous les tourments qu'ils ont endurés pour la liberté. Sa grande joie de voir Madame Veto manger du fromage le jour où ces braves b... seront conduits en triomphe dans Paris. Invitations à tous les sans-culottes, à tous les bonnets de laine de l'armée des Piques, de profiter de cette occasion pour purifier le Champ-de-Mars._» Le second est intitulé: «_Contre les Valets et les Mouchards de Madame Veto qui veulent empêcher la fête que les bons citoyens préparent pour recevoir les Suisses de Châteauvieux. La grande consigne à tous les sans-culottes pour qu'ils aiguisent leurs piques, pour f... le tour aux Aristocrates qui veulent troubler cette fête._» [1023] Marie-Antoinette au comte de Mercy, 2 mars 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 257. [1024] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 7 décembre 1791.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, I, 270. [1025] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, I, 372.—Mme de Tourzel dit encore: «Ce jeune prince était charmant pour la Reine et ne perdait pas une occasion de lui dire des choses tendres et aimables. Aussi l'aimait-elle passionnément, mais _d'une tendresse éclairée, ne le gâtant jamais, et le reprenant toutes les fois qu'elle le trouvait en faute_.»—_Ibid._, II, 17. [1026] _Louis XVII_, I, 161. [1027] _Mémoires de Bertrand de Molleville_, II, 97. [1028] «Je suis bien tourmentée dans ce moment pour le gouverneur de mon fils. Nous nous sommes décidés pour M. de Fleurieu, mais nous ne savons pas encore le moment où nous le dirons.» Marie-Antoinette au comte de Fersen, 30 mars 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 220. [1029] Le Roi, pour couvrir sa responsabilité dans une mesure si grave et à laquelle il répugnait extrêmement, avait tenu à se faire remettre par chaque ministre son avis motivé et signé. Ces avis ne se retrouvèrent pas dans l'armoire de fer. Servan accuse Roland de les avoir fait disparaître.—Servan à Mallet du Pan, 11 mai 1795.—_Mémoires de Malouet_, II, 429. [1030] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 15 avril 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 230. [1031] La même au même, 30 mars 1792.—_Ibid._, II, 221. [1032] La répugnance de la Reine pour les émigrés était plus vive que jamais. Lorsque le marquis de Jaucourt fut nommé à la Législative, il se fit excuser par sa sœur, la comtesse du Cayla, d'avoir cessé de paraître à la Cour. «Mon frère craint de déplaire à Votre Majesté,» disait Mme du Cayla à Marie-Antoinette.—«Dites bien à M. de Jaucourt, répondit la Reine, que je l'aime infiniment mieux à l'Assemblée qu'à Coblentz.»—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, V, 428, note. [1033] Marie-Antoinette au comte de Mercy, 30 avril 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 263, 264. [1034] Sur ces deux derniers points, Mallet réussit pleinement: «On me déclare positivement, dit-il dans ses notes sur les conférences qu'il avait eues avec les ministres de Prusse et d'Autriche, qu'aucune vue d'ambition, d'intérêt personnel, de démembrement n'entre dans le but de la guerre. On m'en donne la certitude, ainsi que, loin d'imposer un gouvernement, on laissera le _Roi absolument maître de se concerter là-dessus avec son peuple_.» _Mémoires de Mallet du Pan_, I, 308.—La Reine de Naples écrivait un peu plus tard de son côté que son frère Léopold «avait fait le vœu de ne pas faire de conquêtes et l'aurait tenu.» Journal du comte de Fersen, 30 août 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 91. [1035] _Voir_ sur toute cette mission de Mallet du Pan ses _Mémoires_, I, 280 et suiv. [1036] Marie-Antoinette au comte de Mercy, 26 mars 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 259. [1037] Le comte de Fersen à Gustave III, 8 mars 1792. Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 24 avril 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 210, 242. [1038] Le comte de Fersen au roi de Suède, 29 avril 1790.—_Ibid._, II, 252. [1039] Après la déclaration de guerre même, Royal-Allemand déserta le 6 mai, les hussards de Berchiny, le 12.—_Répertoire de la Révolution._ [1040] _Mémoires du comte de Vaublanc._ [1041] _Mémoires de Malouet_, II, 216 et suiv. [1042] Pellenc à la Marck, 11 mars 1792.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 297. [1043] _Mémoires de Lafayette_, III, 346. [1044] _Lettres de Coray au Protopsalte de Smyrne, Dimitrios Lotos, sur les événements de la Révolution française_, 145. [1045] _Lettres de Coray au Protopsalte de Smyrne_, 145. [1046] La Reine craignant, si Mme de Lamballe ne rentrait pas en France, d'être contrainte de lui enlever sa place de surintendante, l'avait rappelée. La princesse était revenue; son appartement n'était séparé de celui de la Reine que par un palier d'escalier.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 105. [1047] Le comte de Fersen au roi de Suède, 13 juin 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 299. [1048] Louis XVI au Président de l'Assemblée, 20 mai 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, VI, 56. [1049] Louis XVI à la municipalité, 23 mai 1792.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, VI, 62. [1050] _Lettres de Coray au Protopsalte de Smyrne_, 146. [1051] Malouet prétend qu'on aurait pu réunir en ce moment, pour la défense de la famille royale, un corps de six mille hommes. [1052] _Voir_ sur les bonnes dispositions de la garde constitutionnelle, son dévouement au Roi et son désir d'éviter les conflits avec la garde nationale, les _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 49 et suiv. [1053] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 3 juin 1792.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 410. [1054] Malouet dit douze cents; mais le chiffre exact, donné aussi d'ailleurs par Mme de Tourzel, est de dix-huit cents. [1055] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 118, 119.—_Mémoires de Malouet_, II, 211, 212. [1056] _Mémoires de Mme Campan_, 327. [1057] _Mémoires de Dumouriez_, I, 459. [1058] _Etude sur Mme Roland_, par M. Dauban, 356, note. [1059] _Mémoires de Dumouriez_, I, 459. [1060] _Histoire de la Terreur_, par Mortimer-Ternaux, I, 125. [1061] _Mémoires de Dumouriez_, I, 450-476. [1062] _Louis XVI_, par le comte de Falloux, 268. [1063] _Dernières années du règne et de la vie de Louis XVI_, par Hue, 282. [1064] Malouet à Mallet du Pan, 29 juin 1792.—_Mémoires de Malouet_, II, 351. [1065] _Journal d'une bourgeoise pendant la Révolution_, p. 133. [1066] _Ibid._, 132. [1067] La salle du Manège occupait remplacement d'une partie de la rue de Rivoli, à l'endroit où elle se croise avec la rue de Castiglione. [1068] _Le Journal d'une bourgeoise de Paris_, avec son emphase révolutionnaire, l'appelle «un nouveau Cicéron».—_Journal d'une bourgeoise de Paris_, 137. [1069] _Journal d'une bourgeoise pendant la Révolution_, 138. [1070] Bulletin de ce qui s'est passé aux Tuileries, le 20 juin 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 307. [1071] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 139. [1072] _Ibid._, II, 140. [1073] Bulletin avec détails sur ce qui s'est passé aux Tuileries le 20 juin 1792, par Bergstedt, chargé d'affaires de Suède.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 304. [1074] _Ibid._, II, 303. [1075] Bulletin avec détails de ce qui s'est passé aux Tuileries le 20 juin 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 304. [1076] _Lettres de Coray au Protopsalte de Smyrne_, 151. [1077] Certains témoins disent 5 heures; les autres disent 6 heures. [1078] Bulletin avec détails de ce qui s'est passé aux Tuileries le 20 juin 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 304. [1079] Bulletin de ce qui s'est passé aux Tuileries.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 307. [1080] _Ibid._, II, 304.—_Les dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 272. [1081] _Ibid._, 273, 274.—Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 3 juillet 1792.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 419.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 143. [1082] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 146. [1083] _Souvenirs d'émigration_, par la marquise de Lâge, 32. [1084] Bulletin de ce qui s'est passé aux Tuileries.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 304. [1085] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 147. [1086] _Mémoires de Mme Campan_, 331. [1087] _Souvenirs d'émigration_, par la marquise de Lâge, 33. [1088] _Souvenirs d'émigration_, par la marquise de Lâge, 33. [1089] _Mémoires de Mme Campan_, 332. [1090] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, p. [1091] _Souvenirs d'émigration_, par la marquise de Lâge, 32. [1092] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 275.—_Mémoires de Weber_, 292. [1093] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 149.—Les appartements du Roi, du Dauphin et de Madame Royale étaient ravagés; les portes et les panneaux brisés; les serrures emportées. L'appartement seul de la Reine avait été épargné, parce que les bandes n'y étaient point entrées. La Reine tint à montrer ces dégâts aux députés avant leur départ. [1094] Billet sans date, mais sur lequel Fersen a écrit: reçu le 9 juillet.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 319. [1095] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 154. [1096] _Lettres de Coray au Protopsalte de Smyrne_, 155. [1097] _Mémoires de Malouet_, II, 113. [1098] Lettre de Lafayette à l'Assemblée.—_Mémoires de Lafayette_, III, 339. [1099] Lafayette, dans ses _Mémoires_, fort hostiles à Marie-Antoinette, accuse la Cour et en particulier la Reine de lui avoir fait mauvais accueil et d'avoir fait échouer ses projets. Ceci est démenti formellement par Mme de Tourzel. «M. de Lafayette, dit-elle, s'était présenté au Roi comme défenseur de l'autorité royale, n'ayant d'autre but que de chasser les Jacobins et d'employer pour y parvenir l'ascendant qu'il croyait avoir conservé sur la garde nationale. _On demanda à tout ce qui était attaché au Roi d'avoir pour lui beaucoup d'égards_, et comme son expédition devait avoir lieu le jour même, on avait établi une grande surveillance dans le Château et engagé tous ceux qui l'habitaient à n'en pas sortir ou à être rentrés à huit heures du soir. M. de Lafayette fit la triste expérience du peu de crédit qu'il avait conservé; il ne put retenir qu'une douzaine de gardes nationaux et vit évanouir en quelques heures les espérances qu'il avait fait concevoir sur le succès de sa démarche.»—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 161. [1100] Marie-Antoinette au comte de Mercy, 4 juillet 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 265. [1101] Cité par Beauchesne, _Vie de Mme Elisabeth_, I, 450. [1102] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 1er août 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 340. [1103] Le _Journal d'une bourgeoise de Paris_ (p. 210) attribue ce fait à une dame. [1104] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 21 juillet 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 330. [1105] Hue, 300-302.—_Mémoires de Mme Campan_, 341, 342.—La dernière fois que la Reine parut dans le jardin, sur la terrasse, elle fut brutalement insultée par les fédérés. Cette fois la garde nationale,—c'était le brave bataillon des Filles-Saint-Thomas,—intervint et força les fédérés à se taire. Comme la Reine rentrait au Château, un violent orage éclata; le tonnerre tomba à plusieurs reprises aux environs des Tuileries. Peu de jours après, d'Eprémesnil, s'étant hasardé sur la terrasse des Feuillants, fut reconnu, frappé et eût été massacré sans l'arrivée de la garde nationale.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 188-190. [1106] Hue, _Dernières années du règne de Louis XVI_, 284. [1107] G. Morris à Jefferson, 10 juillet 1792.—_Mémorial de G. Morris_, II, 155. [1108] Le même au même, 1er août 1792.—_Ibid._, II, 159. [1109] _Mémoires de Mme Campan_, 337. [1110] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 199. [1111] _Souvenirs de quarante ans_, 117. [1112] _Mémoires de Mme Campan_, 140. [1113] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 195. [1114] _Mémoires de la duchesse de Tourzel._ [1115] _Mémoires de Mme Campan_, 333, 384. [1116] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 18 juillet 1792.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 425. [1117] Le comte de Montmorin au comte de la Marck, 13 juillet 1792.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 324. [1118] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 11 et 15 juillet 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 326, 327. [1119] La même au même, 6 juillet 1792.—_Ibid._, II, 318. [1120] Elle y consentit cependant un peu plus tard, s'il faut en croire Mme de Tourzel: «M. de Paroy, craignant pour les jours de Leurs Majestés et ceux de monseigneur le Dauphin, me pria d'offrir de sa part à la Reine trois cuirasses de douze doubles de taffetas, impénétrables à la balle et au poignard, qu'il avait fait faire pour elle, pour le Roi et pour monseigneur le Dauphin, et me remit un poignard pour en faire l'essai. Je les portai chez la Reine qui essaya sur-le-champ celle qui lui était destinée et, me voyant le poignard entre les mains, elle me dit du plus grand sans-froid: «Frappez-moi pour en faire l'essai.» Je ne pus soutenir une pareille idée qui me fit frémir et je lui déclarai que rien ne me déterminerait à un pareil geste. Elle ôta sa cuirasse dont je me saisis, je la mis sur ma robe et la frappai du poignard, qui, comme l'avait dit M. de Paroy, la trouva impénétrable à ses coups. La Reine convint alors avec le Roi que chacun d'eux s'en revêtirait, à la première apparence de danger, ce qui fut exécuté.»—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 204, 205. [1121] _Dernières années du règne de Louis XVI_, 371.—_Mémoires de Mme Campan_, 334. [1122] Marie-Antoinette à la landgrave de Hesse-Darmstadt, juillet 1792.—_Lettres de la Reine Marie-Antoinette à la landgrave Louise de Hesse-Darmstadt_, 47. [1123] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 108, 109. [1124] _Mémoires de Malouet_, II, 221-223. [1125] _Mémoires de Malouet_, II, 224-226.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 178, 179. [1126] Lettre de Lally-Tolendal au Roi, 9 juillet 1792.—_Histoire de la Révolution_, par Thiers, II, 440, note. [1127] _Un ministre de Louis XVI, Terrier de Montciel_ par Pingaud, _Correspondant_ du 25 août 1879, p. 590. [1128] Journal du comte de Fersen, 30 août 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 43. [1129] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 179. [1130] _Mémorial de Gouverneur Morris_, I, 345. [1131] Note de Lally-Tolendal, citée par Malouet.—_Mémoires de Malouet_, II, 232, note. [1132] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 11 juillet 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 326. [1133] _Mémoires de Mme Campan_, 336. [1134] Le comte de la Marck au comte de Mercy, 9 novembre 1790.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, II, 300. [1135] Journal du comte de Fersen, 9 juillet 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 21.—Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 10 juillet, 26 juillet 1791.—_Ibid._, II, 323,336.—Le comte de Mercy à Marie-Antoinette, 9 juillet 1772.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 266. [1136] _Mémorial de Gouverneur Morris_, I, 345. [1137] Le comte de Montmorin au comte de la Marck, 13 juillet 1792.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 325. [1138] Mme de Staël. _Considérations sur la France_, I, 382. [1139] _Ibid._, I, 381. [1140] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 177, 178. [1141] Mme de Staël. _Considérations sur la France_, I, 381. [1142] _Mémoires de Weber_, 413. [1143] Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 18 juillet 1792.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 425. [1144] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 21 juillet 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 330. [1145] La même au même, 15 juillet 1792.—_Ibid._, II, 228.—Mme Elisabeth à la marquise de Raigecourt, 18 juillet 1772.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 42. [1146] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 187, 188. [1147] _Mémoires de Mme Campan_, 337, 338.—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, VI, 231, 232. [1148] _Mémoires de Mme Campan_, 340, 341. [1149] _Souvenirs d'émigration_, de la marquise de Lâge, 40.—La marquise de Lâge prétend, sur la foi de l'abbé de Montesquiou, qu'à un certain moment le Roi, convaincu par la Reine et Mme Elisabeth que sa faiblesse avait singulièrement favorisé les factieux, s'était tracé à lui-même un plan de conduite, rempli de sagesse et d'énergie. Quel était ce plan et pourquoi le Roi, après l'avoir arrêté, ne le suivit-il pas? La marquise de Lâge ne le dit pas. [1150] «Mon père me presse de revenir et de tout abandonner; c'est ce que je ne ferai jamais, _dussé-je être réduit à la misère_.»—Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 24 avril 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 242, 243. [1151] _Ibid._ Introduction, I, LXVI. [1152] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 24 juillet 1792.—II, 332, 333. [1153] Rœderer. _Chronique de cinquante jours_, 265, 266. [1154] _Le réveil d'alarme_, par Blanc Gilly, cité par Mortimer-Ternaux.—_Histoire de la Terreur_, II, 143. [1155] Ils n'étaient que 166. [1156] Marie-Antoinette au comte de Fersen, 1er août 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 340, 341. [1157] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 28 juillet 1792.—_Ibid._, II, 338. [1158] _Ibid._ [1159] Le même à la même, 30 juin 1792.—_Ibid._, II, 315. [1160] Journal du comte de Fersen, 29 juillet 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 25, note.—Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 7 et 10 août 1792.—_Ibid._, II, 343, 345. [1161] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 7 août 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 343. [1162] Le même à la même, 10 août 1792.—_Ibid._, II, 345. [1163] Le comte de Fersen au baron de Taube, 29 juillet 1792. _Ibid._, II, 339.—_Voir_ également le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 28 juillet, 8 et 10 août 1792.—_Ibid._, II, 337, 343, 345. [1164] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 10 août 1792.—_Ibid._, II, 345. [1165] Il faut dire qu'à Paris, même parmi des hommes éclairés, cette même croyance avait cours: «Comme l'opinion générale parmi les citoyens, écrivait G. Morris à la date du 10 juin, est qu'aucune opposition sérieuse ne sera faite aux troupes autrichiennes et prussiennes, s'approchant de la capitale, ils,—les gardes nationaux,—regardent la personne de Louis XVI comme la protection la plus efficace qu'ils puissent garder contre le pillage et les insultes.» G. Morris à Jefferson, 10 juin 1792. _Voir_ aussi le même au même, 10 juillet 1792.—_Mémorial de G. Morris_, II, 145, 146. [1166] Mercy à Marie-Antoinette, 9 juillet 1792.—_Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II_, 266. [1167] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 26 juillet 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 336. [1168] _Mémoires de Mme Campan_, 340. [1169] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 26 juillet 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 336. [1170] Dépêche du comte de Mercy au cabinet de Vienne, 3 octobre 1792.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 349.—Mercy avait été si mécontent du manifeste, qu'il aurait voulu que le cabinet de Vienne en fit un autre pour détruire le mauvais effet du premier. G. Morris avait la même impression que Mercy: «La déclaration du duc de Brunswick, écrivait-il, peut se traduire ainsi en peu de mots: soyez tous contre moi, car je suis contre vous tous, et faites bonne résistance, car vous n'avez pas d'espoir.»—G. Morris à Mme Dubourg, 7 août 1792. _Mémorial de G. Morris_, II, 174. Le manifeste avait été connu à Paris le 31 juillet.—_Lettres de Coray au Protopsalte de Smyrne_, 160. [1171] G. Morris à Jefferson, 1er août 1792.—_Mémorial de G. Morris_, II, 160. [1172] _Ibid._ [1173] _Histoire de la Terreur_, par Mortimner-Ternaux, II, 173.—_Histoire de la Révolution française_, par Thiers, II, 222. [1174] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 310. [1175] _Histoire de la conspiration du 10 août_, par Bigot de Sainte-Croix, 16. [1176] _Histoire de la Terreur_, par Mortimer-Ternaux, II, 196. [1177] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, III, 206. [1178] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 305. [1179] Malouet à Mallet du Pan, 28 juillet 1792.—_Mémoires de Malouet_, II, 357. [1180] Lettre de M. de Forestier, publiée par Nettement. _Critique des Girondins_, citée par Beauchesne.—_Louis XVII_, 211.—Détails particuliers sur la journée du 10 août par un bourgeois de Paris. _Mémoires de Weber._ Pièces justificatives, 486. [1181] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 170. [1182] Détails particuliers sur la journée du 10 août par un bourgeois de Paris et Récit de la conduite du régiment des gardes suisses à la journée du 10 août. _Mémoires de Weber_, 485, 496. [1183] Arrêté de la section des Quinze-Vingts.—_Histoire de la Terreur_, par Mortimer-Ternaux, II, 182. [1184] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 154. [1185] _Histoire de la conspiration du 10 août_, par Bigot de Sainte-Croix, 20, 21. [1186] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 201. [1187] _Journal d'une bourgeoise de Paris_, 213. [1188] _Mémoires de Lafayette_, III, 376. [1189] Journal du comte de Fersen, 30 août 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 43. [1190] _Ibid._ [1191] _Mémoires de Malouet_, 231-233.—_Mémoires de Mme Campan_, 242. _Voir_ sur toutes ces négociations les _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 201-204.—Mme de Tourzel dit que les huit cent mille livres étaient pour Pétion et ses amis. [1192] G. Morris à Jefferson, 10 juin 1792.—_Mémorial de G. Morris_, II, 145. [1193] _Histoire de la Terreur_, par Mortimer-Ternaux, II, 192. [1194] _Souvenirs de quarante ans_, 126. [1195] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 193. [1196] G. Duval. _Souvenirs de la Terreur_, II, 115, cité par Feuillet de Conches, VI, 255. [1197] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 307. [1198] _Mémoires de Malouet_, II, 235. [1199] Journal du comte de Fersen, 10 août 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 29. [1200] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 195. [1201] _Mémorial de G. Morris_, 5 août 1792, I, 343.—_Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 307. [1202] _Histoire de la conspiration du 10 août_, par Bigot de Sainte-Croix, 15. [1203] _Mémoires de Mme Campan_, 345. [1204] _Mme Elisabeth_, par la comtesse d'Armaillé, 299. [1205] Mme Elisabeth à la marquise de Bombelles.—_Correspondance de Mme Elisabeth_, 432.—Par une singulière distraction, cette lettre est datée du 10 août. [1206] _Histoire de la Terreur_, par M. Mortimer-Ternaux. Le récit de M. Mortimer-Ternaux est l'un des plus complets et des plus exacts; nous l'avons suivi la plupart du temps. [1207] _Mémoires de Weber_, 415.—_Récit de la conduite des Suisses au 10 août._—_Ibid._, 498. [1208] _Mémoires de Weber_, 415. [1209] _Chronique de cinquante jours_, par Rœderer, 352. [1210] _Récit de la conduite des Suisses._—_Mémoires de Weber_, 498. [1211] Lettre du ministre de la marine Dubouchage, citée par Mortimer-Ternaux.—_Histoire de la Terreur_, II, 265, notes. [1212] _Louis XVII_, I, 214. [1213] _Histoire de la Terreur_, II, 265. [1214] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 211, 212. [1215] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 211. [1216] _Histoire de la Terreur_, II, 266. [1217] Récit du comte de la Rochefoucauld.—_Louis XVII_, II, 214. [1218] Journal du comte de Fersen, 30 août 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 44. [1219] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 322. [1220] _Histoire de la Terreur_, II, 267. [1221] Lettre de Servan à Mallet du Pan, 11 mai 1795.—_Mémoires de Malouet_, II, 433.—_Chronique de cinquante jours_, par Rœderer, 360. [1222] _Mémoires de Melle de Clermont-Gallerande_, note sur la journée du 10 août, III, 521. [1223] Récit du comte de la Rochefoucauld.—_Louis XVII_, I, 213. [1224] _Histoire de la Terreur_, II, 275. [1225] Vers 5 heures.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 210. [1226] Détails sur le 10 août, par un témoin oculaire.—_Mémoires de Weber_, 416, note. [1227] _Louis XVII_, 216. [1228] _Souvenirs de quarante ans_, 129. [1229] Peltier, _Dernier tableau de Paris_. [1230] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 210. [1231] Rapport de Leroux, cité par Mortimer-Ternaux.—_Histoire de la Terreur_, II, 464, note. [1232] Procès-verbal de Leroux, cité par Taine.—_La Révolution_, II, 140. [1233] _Ibid._ [1234] Récit du comte de la Rochefoucauld.—_Louis XVII_, I, 217. [1235] _Chronique de cinquante jours_, par Rœderer, 362. [1236] _Mémoires de Mme Campan_, 347. [1237] Taine, _la Révolution_, II, 240, 241. [1238] Procès-verbal de Leroux.—_Ibid._, II, 242, et _Histoire de la Terreur_, II, 469. [1239] Récit de la conduite des Suisses.—_Mémoires de Weber_, 498. [1240] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 326. [1241] _Ibid._ [1242] _Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, VI, 268. [1243] _Chronique de cinquante jours_, 361. [1244] Rœderer a prétendu plus tard qu'en donnant ce conseil il avait voulu servir une insurrection «légitime et conserver au pays d'utiles otages».—_Moniteur_ du vendredi 24 août 1792, p. 297. Lettre de Servant à Mallet du Pan.—_Mémoires de Malouet_, II, 435.—Rœderer s'est calomnié; le 10 août il fut faible, il ne fut pas traître. [1245] _Mémoires de Weber_, 420. [1246] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 327. [1247] _Chronique de cinquante jours_, 368. [1248] _Histoire de la conspiration du 10 août_, par Bigot de Sainte-Croix, 28.—Rœderer dément ces paroles de la Reine en disant qu'il ne les a pas entendues.—_Chronique de cinquante jours_, 362, note.—Mais Bigot de Sainte-Croix et Hue, qui étaient le 10 août aux Tuileries, comme Rœderer; Fersen, qui recueillait avidement tous les témoignages sur les derniers actes de ses augustes clients, les affirment. Hue cite même comme les ayant entendues MM. de Briges et de Saint-Priest; Fersen, MM. de Viomesnil et de Clermont-Gallerande.—_Histoire de la conspiration du 10 août_, par Bigot de Sainte-Croix, 228.—_Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 328.—_Journal de Fersen_, 11 octobre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 45.—L'opuscule de Bigot de Sainte-Croix a été publié à l'époque même, en 1793; le journal de Fersen est de la même année; les notes de Hue ont été publiées en 1806. Le livre de Rœderer ne l'a été qu'en 1832. [1249] _Chronique de cinquante jours_, 369.—_Récit de Dejoly, ministre de la justice_, cité par Montjoye.—_Histoire de Marie-Antoinette_, 390. [1250] _Récit de Dejoly_, 389. [1251] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 328. [1252] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 214. [1253] _Chronique de cinquante jours_, 369. [1254] _Récit de Dejoly_, 390. [1255] _Histoire de la conspiration du 10 août_, 30. [1256] _Récit de Dejoly_, 390. [1257] _Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, VI, 270. [1258] Bigot de Sainte-Croix. [1259] Dubouchage. [1260] Récit du comte de la Rochefoucauld.—_Louis XVII_, I, 220. [1261] _Récit de Dejoly_, 391. [1262] Récit de Leroux.—_Histoire de la Terreur_, II, 470. [1263] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 214. [1264] _Souvenirs de quarante ans_, 131. [1265] Récit du comte de la Rochefoucauld.—_Louis XVII_, 220. [1266] Déclaration de de Brie, citée par Mortimer-Ternaux.—_Histoire de la Terreur_, II, 293. [1267] _Récit de Dejoly_, 391. [1268] Récit du comte de la Rochefoucauld.—_Louis XVII_, 220. [1269] _Chronique de cinquante jours_, 371. [1270] _Récit de Dejoly_, 390. [1271] _Chronique de cinquante jours_, 372. [1272] _Louis XVII_, I, 223. [1273] _Histoire de la Terreur_, II, 303. [1274] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 339. [1275] _Derniers années de règne de Louis XVI_, par Hue. [1276] _Louis XVII_, I, 224. [1277] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 339.—_Histoire de la conspiration du 10 août_, 43.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 216. [1278] _Histoire de la Terreur_, II, 327. [1279] _Journal d'une bourgeoise de Paris_, 222. [1280] Sainte-Foix au baron de Breteuil, 11 août 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 348. [1281] Prudhomme, _les Révolutions de Paris_, XIII, 236, 237, cité par Mortimer-Ternaux.—_Histoire de la Terreur_, II, 331. [1282] _Histoire de la Terreur_, II, 331. [1283] _Journal d'une bourgeoise de Paris_, 228. [1284] _Lettres de Constantin Stamaly sur la Révolution française_, 100. [1285] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 221, 222. [1286] _Ibid._, II, 223. [1287] Récit du comte de la Rochefoucauld.—_Louis XVII_, 230. [1288] _Ibid._ [1289] Lettre de M. d'Aubier à Mallet du Pan, décembre 1792.—_Ibid._, I, 236. [1290] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 338. [1291] Lettre de M. d'Aubier à Mallet du Pan, décembre 1792. [1292] _Mémoires de Mme Campan_, 356. [1293] _Mémoires de Mme Campan_, 355. [1294] _Histoire de la Terreur_, III, 18, note. [1295] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 339. [1296] _Mémoires de Mme Campan_, 359. [1297] _Ibid._, 355. [1298] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 340. [1299] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 232, 233. [1300] _Mémoires du marquis de Clermont-Gallerande_, note sur la journée du 10 août, III, 525.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 23. [1301] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 230. [1302] _Mémoires du marquis de Clermont-Gallerande_, III, 525.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 230. [1303] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 238. [1304] _Ibid._, 239. [1305] _Souvenirs de quarante ans_, 147. [1306] _Lettres de Coray au Protopsalte de Smyrne_, 165. [1307] Coray dit de quatre à cinq mille.—_Ibid._, 164. [1308] _Souvenirs de quarante ans_, 147. [1309] _Ibid._, 148. [1310] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 240. [1311] _Lettres de Coray au Protopsalte de Smyrne_, 164.—Le grec Coray avait été, au début, un partisan enthousiaste de la Révolution. [1312] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 240. [1313] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 345, 346. [1314] G. Morris à G. Washington, 23 octobre 1792.—_Mémorial de G. Morris_, II, 204. [1315] _Souvenirs de quarante ans_, 149. [1316] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 241. [1317] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 242. [1318] _Louis XVII_, II, 249. [1319] _Souvenirs de quarante ans_, 150. [1320] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 243. [1321] _Ibid._ [1322] _Ibid._ [1323] _Souvenirs de quarante ans_, 152.—_Récit des événements arrivés au Temple_, par Madame Royale, 7. Mme de Tourzel,—_Mémoires_, II, 246,—dit le 18; mais Madame Royale dit très positivement dans la nuit du 19 au 20. [1324] _Récits des événements arrivés au Temple_, 8. [1325] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 246. [1326] _Récit des événements arrivés au Temple_, 8. [1327] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 247. [1328] _Ibid._ [1329] _Souvenirs de quarante ans_, 153. [1330] _Journal de Cléry_, 30. [1331] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 360. [1332] _Ibid._ [1333] _Ibid._, 360 et suiv.—_Journal de Cléry_, 31 et suiv. [1334] _Six journées passées au Temple_, par Moëlle. [1335] _Fragments historiques sur la captivité de la famille royale à la Tour du Temple_, recueillis par M. de Turgy, publiés par M. Eckard dans ses _Mémoires historiques sur Louis XVII_, 344. [1336] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 351, note. [1337] _Mémoires historiques sur Louis XVII_, 83. [1338] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 363. [1339] _Journal de Cléry_, 34. [1340] _Dernières années du règne de Louis XVI_, 360. [1341] _Ibid._, 369. [1342] _Ibid._, 365, 366. [1343] _Voir_ Etat des dépenses faites au Temple depuis le 13 août jusqu'au 30 novembre de l'an Ier de la République française.—_Journal de Cléry._ Eclaircissements historiques, 201-211. [1344] _Récit des événements arrivés au Temple_, 16. [1345] _Journal de Cléry_, 37. [1346] _Fragments historiques sur le Temple_, par Turgy, 346. [1347] _Dernières années du règne de Louis XVI_, 367. [1348] _Ibid._, 370. [1349] _Récit des événements arrivés au Temple_, 10. [1350] _Journal de Cléry_, 37. [1351] _Dernières années du règne de Louis XVI_, 370. [1352] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 376, 377. [1353] _Récit des événements arrivés au Temple_, 11. [1354] _Ibid._ [1355] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 379. [1356] _Récit des événements arrivés au Temple_, 12. [1357] _Ibid._, 13. [1358] _Journal de Cléry_, 27. [1359] Lettre du commissaire de service à l'Assemblée, citée par Mortimer-Ternaux.—_Histoire de la Terreur_, III, 271. [1360] Danjou avait dit, suivant Cléry: «La tête d'Antoinette ne vous appartient pas, les départements y ont des droits.—_Journal de Cléry_, 29.—Le récit de Danjou, reproduit par Beauchesne, _Louis XVII_, I, 294, ne dément pas cet horrible propos. [1361] Récit de Danjou.—_Louis XVII_, I, 295. [1362] _Récit des événements arrivés au Temple_, 13. [1363] _Ibid._ [1364] _Journal de Cléry_, 28. [1365] _Louis XVII_, I, 298. [1366] _Récit des événements arrivés au Temple_, 13. [1367] _Journal de Cléry_, 28. [1368] _Récit des événements arrivés au Temple_, 13. [1369] _Journal de Cléry_, 28. [1370] _Récit des événements arrivés au Temple_, 15. [1371] _Fragments historiques sur le Temple_, par Turgy, 344. [1372] _Récit des événements arrivés au Temple_, 15. [1373] _Ibid._, 17. [1374] _Journal de Cléry_, 41. [1375] _Ibid._, 41, 42. [1376] Archives nationales.—_Louis XVII_, I, 316. [1377] _Récit des événements arrivés au Temple_, 17. [1378] _Ibid._ [1379] Archives nationales.—_Louis XVII_, II, 317. [1380] _Ibid._ [1381] _Récit des événements arrivés au Temple_, 18. [1382] _Ibid._ [1383] _Journal de Cléry_, 45. [1384] _Récit des événements arrivés au Temple_, 18. [1385] _Journal de Cléry_, 50. [1386] _Récit des événements arrivés au Temple_, 19. [1387] Rapport du 1er novembre 1792, de la Commission nommée par le Comité de sûreté générale et la Convention nationale pour surveiller la garde des prisonniers du Temple. Archives nationales.—_Louis XVII. Pièces justificatives_, I, 570. [1388] _Louis XVII. Pièces justificatives_, I, 571. [1389] _Récit des événements arrivés au Temple_, 19. [1390] _Ibid._, 19. [1391] _Ibid._, 20. [1392] _Journal de Cléry_, 53. [1393] _Récit des événements arrivés au Temple_, 20. [1394] _Journal de Cléry_, 52, 53. [1395] _Ibid._, 53. [1396] _Récit des événements arrivés au Temple_, 20. [1397] _Journal de Cléry_, 53. [1398] _Récit des événements arrivés au Temple_, 20. [1399] _Journal de Cléry_, 58, 59. [1400] _Fragments historiques sur le Temple_, par Turgy, 356.—On peut consulter sur Dorat-Cubières, jadis connu sous le nom de Palmezeau, un curieux volume de M. G. Desnoiresterres.—_Le chevalier Dorat et les poètes légers du_ XVIIIe _siècle_, Paris, Perrin, 1887. [1401] _Journal de Cléry_, 56. [1402] _Récit des événements arrivés au Temple_, 21. [1403] _Voir_ sur Jobert les _Mémoires et souvenirs du baron Hyde de Neuville_. Paris, Plon, 1888, p. 72 et suiv. [1404] Rapport du 1er novembre 1792.—Archives nationales.—_Louis XVII_, I, 570. [1405] _Récit des événements arrivés au Temple_, 21. [1406] Rapport du 1er novembre 1792.—Archives nationales.—_Louis XVII_, I, 571. [1407] _Louis XVII_, I, 350, 351. [1408] _Récit des événements arrivés au Temple_, 22. [1409] _Journal de Cléry_, 63. [1410] _Récit des événements arrivés au Temple_, 23. [1411] _Fragments historiques sur le Temple_, par Turgy, 357. [1412] Etat des instruments tranchants et armes offensives et défensives, remises par le citoyen Cléry à Tison, étant de service auprès des prisonniers du Temple.—Archives nationales.—_Louis XVII_, I, 575, 576.—_Journal de Cléry_, 65. [1413] _Journal de Cléry_, 66. [1414] _Six journées passées au Temple_, par Moëlle, 19. [1415] _Journal de Cléry_, 66. [1416] _Souvenirs de Lepitre._ [1417] _Récit des événements arrivés au Temple_, 24, 25. [1418] _Récit des événements arrivés au Temple_, 25. [1419] _Voir_ sur ces ingénieux procédés le _Journal de Cléry_ et les _Fragments historiques_ de Turgy. [1420] _Récit des événements arrivés au Temple_, 26. [1421] Cet exemplaire est conservé, avec l'autographe de la Reine, à la bibliothèque de Saint-Germain-en-Laye. [1422] _Journal de Cléry_, 88. [1423] Entretien de Louis XVI avec Malesherbes.—_Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 435-438. [1424] _Récit des événements arrivés au Temple_, 28. [1425] _Ibid._, 28. [1426] _Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun_, II, 8. [1427] _Journal de Cléry_, 101. [1428] _Récit des événements arrivés au Temple_, 28. [1429] Récit de Madame Royale à Mme la duchesse de Tourzel.—_Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 316. [1430] _Récit des événements arrivés au Temple_, 29. [1431] _Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun_, II, 9. Mme Vigée-Lebrun, fort attachée à la famille royale, avait eu la pensée de retracer dans un tableau cette scène suprême. Elle demanda quelques renseignements à Cléry qui lui écrivit une longue lettre, reproduite dans ses _Souvenirs_. Nous en extrayons le passage suivant, relatif aux costumes de la famille royale: «Le Roi était vêtu d'un habit brun mélangé, avec un collet de même, une veste blanche de piqué de Marseille, une culotte de casimir gris et des bas de soie gris, des boucles d'or, mais très simples, à ses souliers, un col de mousseline, les cheveux un peu poudrés, une boucle séparée en deux ou trois, le toupet en vergette un peu longue, les cheveux de derrière noués en catogan. La Reine, Madame Royale et Mme Elisabeth étaient vêtues d'une robe blanche de mousseline, de fichus très simples en linon, de bonnets absolument pareils, faits en forme de baigneuses, garnis d'une petite dentelle, un mouchoir garni aussi de dentelle, noué dessus le bonnet en forme de marmotte. Le jeune prince avait un habit de casimir d'un gris verdâtre, une culotte ou pantalon pareil, un petit gilet de basin bleu rayé, l'habit décolleté et à revers, le col de la chemise uni et retombant dessus le collet de l'habit, le jabot de baptiste plissé, des souliers noirs noués avec un ruban, les cheveux blonds sans poudre, tombant négligemment et bouclés sur le front et sur les épaules, relevés en nattes derrière, et ceux de devant tombant naturellement sans poudre. Les cheveux de la Reine étaient presque tous blancs, ceux de Madame d'un beau blond clair et ceux de Mme Elisabeth aussi blonds, mais de nuance plus foncée.»—_Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun_, II, 9 et 10. [1432] _Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun_, II, 8. [1433] _Journal de Cléry_, 101. [1434] _Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun_, II, 9. [1435] _Ibid._, II, 9. [1436] _Journal de Cléry_, 101. [1437] _Journal de Cléry_, 102. [1438] _Procès des Bourbons_, II, 153. [1439] _Récit des événements arrivés au Temple_, 31. [1440] _Ibid._ [1441] _Journal de Cléry._ [1442] _Récit des événements arrivés au Temple_, 31. [1443] _Louis XVII_, II, 9. [1444] _Ibid._, II, 10. [1445] _Ibid._ [1446] _Récit des événements arrivés au Temple_, 32. [1447] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 306. [1448] _Récit des événements arrivés au Temple_, 32.—_Quelques souvenirs ou notes fidèles sur mon service au Temple_, par Lepître, 34, 35. [1449] _Louis XVII_, II, 11. [1450] _Mémoires de la duchesse de Tourzel_, II, 306. [1451] _Récit des événements arrivés au Temple_, 32. [1452] _Quelques souvenirs et notes fidèles_, par Lepître, 33. [1453] _Quelques souvenirs etc._, par Lepître, 43.—On raconte que le lendemain, le commissaire qui remplaçait Lepître dit à la Reine: «Vous avez chanté hier; vous avez fait chanter vos enfants; sans doute ce n'étaient que des romances, car vous n'avez pas de chansons patriotiques. Je pense même que vous seriez incapable d'exécuter l'hymne des Marseillais.» La Reine, sans répondre, se serait levée et aurait joué la _Marseillaise_.—Malgré l'autorité de Beauchesne et le témoignage de Gomin qu'il invoque, nous avons peine à croire à l'authenticité de cette petite scène. [1454] Le comte de Fersen au baron de Breteuil, le 6 septembre 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 360. [1455] Eckard, _Mémoires historiques sur Louis XVII_, 147.—Lepître désigne ce quatrième complice seulement par les premières lettres de son nom Guy... et le donne comme un commis du bureau de Toulan.—_Quelques souvenirs ou notes fidèles sur mon service au Temple_, 35. [1456] Lepître, président du Comité, eût fait lui-même les passeports.—_Quelques souvenirs etc._, 40. [1457] _Voir_ sur toute cette affaire la brochure de Lepître: _Quelques souvenirs ou notes fidèles sur mon service au Temple_, 35 et suiv.—_Voir_ aussi _Un complot sous la Terreur_, par M. Paul Gaulot, Paris, Ollendorff, 1889. [1458] Récit de Mme la duchesse d'Angoulême à M. de Beauchesne.—_Louis XVII_, II, 27. [1459] Chauveau-Lagarde. _Note historique sur le procès de Marie-Antoinette et de Mme Elisabeth_, 20. [1460] Paul Gaulot. _Un épisode de la captivité du Temple._—_Revue des questions historiques_, janvier 1889. [1461] _Mémoires historiques sur Louis XVII_, par Eckard, 478. [1462] _Ibid._—Mme Elisabeth avait joint à ces lettres de la Reine les deux billets suivants: A Monsieur: «Je jouis d'avance du plaisir que vous éprouverez en recevant ce gage de l'amitié et de la confiance; être réunie avec vous et vous voir heureux est tout ce que je désire; vous savez si je vous aime, je vous embrasse de tout mon cœur.» Et au comte d'Artois: «Quel bonheur pour moi, mon cher ami, mon frère, de pouvoir, après un si long espace de temps, vous parler de tous mes sentiments! Que j'ai souffert pour vous! Un temps viendra, j'espère, où je pourrai vous embrasser et vous dire que jamais vous ne trouverez une amie plus vraie et plus tendre que moi; vous n'en doutez pas, j'espère.»—_Ibid._, 478 et 479. [1463] Le baron de Jarjayes au comte de Fersen, 18 février 1794.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 431. [1464] La Reine à M. de Jarjayes, sans date, mais avec cette inscription de la main de Jarjayes: «_Copie du billet que j'ai reçu le 2, au moment de mon départ._»—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 408.—On peut consulter, sur toute cette affaire, le récent travail de M. Paul Gaulot dans la _Revue des questions historiques_ de janvier 1889 _Un épisode de la captivité du Temple_, publié depuis en volume sous ce titre: _Un complot sous la Terreur_. [1465] _Récit des événements arrivés au Temple_, 34, 35. [1466] _Ibid._, 34. [1467] Municipalité de Paris, extrait du registre des délibérations du Conseil général du 1er avril 1793.—_Louis XVII_, II, 30, 31, note. [1468] Extrait du procès-verbal dressé par les commissaires nommés à l'effet de faire une perquisition exacte chez les prisonniers détenus à la Tour du Temple, cité par Beauchesne.—_Louis XVII_, II, 40, note. [1469] _Récit des événements arrivés au Temple_, 37. [1470] _Récit des événements arrivés au Temple_, 37. [1471] _Ibid._ [1472] Procès-verbal des commissaires, le 23 avril 1792.—_Louis XVII_, II, 42, note. [1473] Le comte de Stedingk au régent de Suède, 26 avril 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 415. [1474] _Ibid._ [1475] Le comte de Stedingk au régent de Suède, 26 avril 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France._ [1476] Le comte de Fersen à Marie-Antoinette, 8 avril 1793.—_Ibid._, II, 409. [1477] Le comte de Mercy au prince d'Arenberg, 29 janvier 1793.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 369. [1478] Le comte de Fersen au comte de Mercy, 3 février 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 403. [1479] Le comte de Fersen au comte de Mercy, 3 février 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 403. [1480] Journal de Fersen, 10 mars 1793.—_Ibid._, II, 65. [1481] _Ibid._ [1482] Journal du comte de Fersen, 5 avril 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 67. [1483] _Ibid._, 10 avril 1793, II, 69.—Le secrétaire intime de Catherine II, Krapowitzki, écrivait sur son _Journal_ que «le comte d'Artois fut très mécontent de la nouvelle de l'arrangement de Dumouriez avec Cobourg dans la crainte que «la régence ne tombât entre les mains de la Reine».—_Correspondance intime du comte de Vaudreuil_, II, 137, note. [1484] Journal du comte de Fersen, 7 avril 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 67. [1485] Le comte de Fersen à la Reine, 8 avril 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 408. [1486] _Ibid._ [1487] Journal de Fersen, 8 avril 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 68. [1488] Fersen au duc de Sudermanie, 29 avril 1793.—_Ibid._, II, 417. [1489] _Récit des événements arrivés au Temple_, 40. [1490] _Ibid._ [1491] _Récit des événements arrivés au Temple_, 33. [1492] _Six journées passées au Temple_, par Moëlle, 51. [1493] _Ibid._, 46, 50, 51. [1494] _Récit des événements arrivés au Temple_, 38. [1495] _Récit des événements arrivés au Temple_, 41. [1496] Mémoires des médicaments fournis au Temple, pendant les mois de mai, juin et juillet pour Marie-Antoinette, ses enfants et sa sœure (_sic_), par le citoyen Robert, apothicaire, autorisé par la Commune et sur les ordonnances du citoyen docteur Thierry. Archives nationales, E, 629.—_Louis XVII_, 496-499. [1497] Rapport au duc Decaze, cité par Chantelauze.—_Louis XVII_, 171. [1498] Registre des délibérations du conseil général de la Commune, 11 juin 1793.—_Louis XVII_, II, 40, note. [1499] _Récit des événements arrivés au temple_, 41-42. [1500] Journal du comte de Fersen, 22 mai 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 73. [1501] Manuscrit inédit du comte de Frotté, cité par M. de la Sicotière: dans son beau livre, _Frotté et les insurrections normandes_. Paris, Plon, t. Ier, p. 46, 47.—Mme Atkyns fut, pendant la Révolution, la correspondante de Frotté, auquel, après la mort de la Reine, elle offrit sa fortune pour sauver Louis XVII et sa sœur. [1502] On lit dans le Journal de Louis XVI, à la date du 1er juillet 1792: «Retour et parfaite conduite de M. de Batz, à qui je redois cinq cent douze mille livres.» [1503] Parmi les fidèles qui se dévouaient alors avec Batz pour sauver la Reine, il faut citer la comtesse de Rochechouart, qui avait avancé une partie de la somme nécessaire pour acheter des auxiliaires.—_Voir_ les _Souvenirs sur la Révolution, l'Empire et la Restauration, par le général comte de Rochechouart, aide-de-camp du duc de Richelieu, aide-de-camp de l'Empereur Alexandre Ier, commandant la place de Paris, sous Louis XVIII_.—_Mémoires inédits publiés par son fils_, Paris, Plon, 1889, p. 2. [1504] C'était au mois de juin, d'après le baron Hyde de Neuville.—_Mémoires et souvenirs du baron Hyde de Neuville_, p. 72 et suiv. [1505] Parmi ceux qui attendaient dans la rue Charlot se trouvait le jeune Hyde de Neuville.—_Mémoires et souvenirs du baron Hyde de Neuville_, p. 72 et suiv. [1506] Eckard. _Mémoires historiques sur Louis XVII_, 169-176. [1507] _Récit des événements arrivés au Temple_, 43. [1508] _Fragments historiques sur le Temple_, par Turgy, 367-368. [1509] _Louis XVII_, II, 90. [1510] _Récit des événements arrivés au Temple_, 44. [1511] _Fragments historiques sur le Temple_, par Turgy, 370. [1512] _Ibid._, 371, 372. [1513] _Récit des événements arrivés au Temple_, 44. [1514] _Ibid._, 44, 45. [1515] _Ibid._, 45. [1516] Il est bon de conserver les noms de ces six municipaux; ils s'appelaient: Eudes, Gagnant, Armand, Véron, Cellier et Devèze. Les trois premiers furent guillotinés, Eudes et Armand le 10 thermidor, avec Robespierre, Gagnant, après l'affaire de Grenelle. Ils eurent le triste courage de terminer ainsi leur procès-verbal: «La séparation s'est faite avec toute la sensibilité que l'on devait attendre dans cette circonstance, où les magistrats du peuple ont eu tous les égards compatibles avec la sévérité de leurs fonctions.» Registre du conseil du Temple, cité par Beauchesne.—_Louis XVII_, II, 64, note. [1517] _Récit des événements arrivés au Temple_, 45. [1518] _Révélations de Sénar._ [1519] _Récit des événements arrivés au Temple_, 47. [1520] «Silence, Capet, ou je vais montrer aux citoyens comme je te travaille, quand tu le mérites,» disait Simon au jeune prince.—_Louis XVII_, II, 78. [1521] _Récit des événements arrivés au Temple_, 45. [1522] _Récit des événements arrivés au Temple_, 45. [1523] _Fragments historiques sur le Temple_, par Turgy, 374. [1524] _Récit des événements arrivés au Temple_, 46. [1525] _Ibid._ [1526] _Ibid._, 46, 47. [1527] Récit de Mme la duchesse d'Angoulême à Mme la marquise de Saint-Maure.—_Louis XVII_, 95, 96. [1528] _Récit des événements arrivés au Temple_, 47, 49. [1529] Journal de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 102.—_Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 446. [1530] Beaulieu. _Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution française._ [1531] Récit de Rosalie Lamorlière.—Campardon. _Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 183. [1532] Mémoire des dépenses de la veuve Capet à la Conciergerie.—_Ibid._, 58. [1533] Récit de Rosalie Lamorlière.—_Ibid._, 183. [1534] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 102. [1535] _Ibid._ [1536] Archives nationales.—De Goncourt. _Histoire de Marie-Antoinette_, 436. [1537] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 102. [1538] Récit de Rosalie Lamorlière.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 185. [1539] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1792.—_Le comte de Fersen à la Cour de France_, II, 102. [1540] Archives nationales.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 191. [1541] _Ibid._ [1542] Beaulieu.—_Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution française._ [1543] _Récit des événements arrivés au Temple_, 50. [1544] _Ibid._, 50, 51. [1545] On trouve dans les _Mémoires des dépenses de la veuve Capet à la Conciergerie_: Pour loyer de livres, seize livres, soit 16.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 59. [1546] _Récit des événements arrivés au Temple_, 53. [1547] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 102. [1548] Archives nationales.—_Louis XVII_, II, 119, note. [1549] _Récit des événements arrivés au Temple_, 52. [1550] _Fragments historiques sur le Temple_, par Turgy, 374, 375. [1551] _Dernières années du règne de Louis XVI_, par Hue, 446, note. [1552] _Mémoires et correspondance de Mallet du Pan_, II, 497. [1553] _Ibid._ [1554] _Mémoires historiques sur Louis XVII_, par Eckard. Pièces justificatives, 483, note. On lit aussi dans une note adressée par le Comité de Salut public à Fouquier-Tinville cette phrase: «Ne pas parler de la femme Janson qui avait gagné Chabot.»—Archives nationales, W. 389, dossier 904, 2me partie, pièce 91: citée par M. Léon Lecestre dans son remarquable article: _Les tentatives d'évasion de Marie-Antoinette au Temple et à la Conciergerie_.—_Revue des questions historiques_, avril 1886, p. 551, note. [1555] Journal du comte de Fersen, fin août 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 86-91. [1556] _Ibid._, 87. [1557] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye. [1558] Interrogatoire de la femme Harel.—Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 15 et 16. [1559] _Voir_ sa déposition dans l'affaire de l'œillet.—_Ibid._ [1560] Nous nous permettons de renvoyer à un travail publié par nous dans la _Revue des questions historiques_ de janvier 1870, sous ce titre: _La communion de la Reine à la Conciergerie_. Nous croyons y avoir prouvé que des prêtres purent s'introduire dans le cachot de la Reine, notamment l'abbé Magnin, plus tard curé de Saint-Germain-l'Auxerrois. [1561] Premier et second interrogatoires de la Reine.—Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie._ [1562] _Vie de l'abbé Emery_, I, 362, 363. [1563] Réquisitoire de Fouquier-Tinville contre Michonis, Dangé, etc.—Archives nationales, section judiciaire. W. 297, no 261. [1564] _Récit des événements arrivés au Temple_, 55. [1565] Procès instruit à la requête de l'accusateur public contre les complices de Batz et de la conspiration de l'étranger.—_Mémoires historiques sur Louis XVII_, par Eckard. Pièces justificatives, 479, 481. [1566] _Ibid._, 197. [1567] Journal de Fersen, 17 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 101. [1568] Journal de Fersen, 17 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 101. [1569] _Ibid._ [1570] Interrogatoire de Defraisne.—Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 33. [1571] Interrogatoire de Gilbert.—_Ibid._, 23. [1572] Interrogatoire de Defraisne.—_Ibid._, 33. [1573] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 101.—Le gendarme Gilbert dit _un_ œillet; Rougeville et Fersen, d'après lui, disent _des_ œillets. [1574] Interrogatoire de Gilbert.—Affaire de l'œillet,—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 23. [1575] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 101. [1576] _Ibid._—Second interrogatoire de la Reine.—Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 44.—Interrogatoire de Michonis, 26 brumaire an II.—Affaire Michonis. Dangé, etc.—Archives, nationales, W, 297, no 261. Cette sortie et cette rentrée de Michonis et Rougeville sont attestées par le récit de Fersen qui le tenait de Rougeville, par le second interrogatoire de la Reine et par celui de Michonis dans l'affaire où il fut condamné à mort. (Affaire Michonis, Dangé, etc.) «Avons observé au répondant que non seulement il a mené une fois le particulier qu'il a déclaré ne pas connaître dans la chambre occupée par la veuve Capet, mais au moins deux fois, ce qui est constaté au procès, et que c'est au moins à la seconde fois que la veuve Capet a pris et ramassé un billet et un œillet.» «R.—Qu'il ne l'y avait mené qu'une seule fois, mais observe qu'étant ressorti avec lui, il fut rappelé par l'un des gendarmes, que lui, répondant, rentra dans la chambre d'Antoinette, que le particulier y rentra également.»—_L'accusée_: «Il est venu (Rougeville) deux fois en l'espace d'un quart d'heure.»—Procès de la Reine.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 301. Gilbert dépose de même «que l'accusée se plaignait aux gendarmes de la nourriture qu'on lui donnait, mais qu'elle ne voulait pas s'en plaindre aux administrateurs; qu'à cet égard, il appela Michonis qui se trouvait dans la cour des Princes avec le particulier porteur de l'œillet, et que Michonis est remonté.»—_Ibid._, 202. [1577] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la cour de France_, II, 101. [1578] Interrogatoire Defraisne.—Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 33. [1579] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 101. [1580] Second interrogatoire de la Reine.—Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 47. [1581] _Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 101. [1582] Interrogatoire de Gilbert.—Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 24. [1583] D. Nous vous avons demandé si le même homme ne vous avait pas fait tenir un billet; vous avez répondu non; le contraire a déposé oui. R.—Je réponds que _la seconde fois qu'il est entré dans ma chambre_, j'ai appris qu'il y avait un œillet; je n'y avais pas fait assez attention pour m'en être aperçue.» Second interrogatoire de la Reine.—Affaire de l'œillet.—_Ibid._, 44. [1584] _Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 44. [1585] _Ibid._, 43, 44. [1586] _Ibid._, 46.—Ce petit billet, presque illisible, a été déchiffré en 1876 par M. Pilinski, paléographe, pour le livre de M. le comte de Reiset.—_Lettres inédites de Marie-Antoinette et de Marie-Clotilde de France_, 170.—C'est lui qui a déchiffré les deux derniers membres de phrase. [1587] Interrogatoire de Gilbert.—Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 23.—Rapport fait par le citoyen Gilbert au citoyen Dumesnil.—_Ibid._, 2. [1588] Interrogatoire de Michonis, Dangé, Lebœuf, etc.—Archives nationales, section judiciaire W, 297, no 261. [1589] Mémoire de Rougeville au comte de Metternich, cité par M. Lecestre. _Les tentatives d'évasion de Marie-Antoinette._—_Revue des questions historiques_, avril 1886, p. 552. [1590] _Lettres inédites de Marie-Antoinette et de Marie-Clotilde de France_, par le comte de Reiset, 167. [1591] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 101, 102. [1592] Citons seulement un passage de son premier interrogatoire. D.—Comment, ayant avoué que vous ne désirez que la prospérité et la grandeur de la nation française, avez-vous pu manifester un désir aussi vif d'employer tous les moyens pour vous réunir à votre famille en guerre avec la nation française? R.—Ma famille, c'est mes enfants; je ne puis être bien qu'avec eux, et sans eux, nulle part. D.—Vous regardez donc comme vos ennemis ceux qui font la guerre à la France? R.—Je regarde comme mes ennemis tous ceux qui peuvent faire du tort à mes enfants.—Premier interrogatoire de la Reine. Affaire de l'œillet.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 12. [1593] On a de Rougeville trois versions de l'affaire de l'œillet. Une première fois, le 18 novembre 1793, arrêté comme espion par les Autrichiens, il fut interrogé par Fersen qui a consigné dans son journal les réponses du prisonnier. Cinq mois plus tard, en avril 1794, il envoya un mémoire justificatif au comte de Metternich. Enfin, en l'an V, il en adressa un autre aux Cinq-Cents. M. Lecestre, dans son travail sur _Les tentatives d'évasion de Marie-Antoinette_, s'est appuyé sur les deux dernières versions. Nous nous sommes surtout guidés d'après la première, qui, étant la plus rapprochée de l'événement, nous a paru devoir être la plus exacte et que corroborent d'ailleurs les documents officiels. Rougeville, comme le remarque justement M. Lecestre, est un peu hâbleur; il aime à poser et il faut se défier de certains développements emphatiques de ses mémoires. Fersen le jugeait de même et, après l'avoir vu, il écrivait sur son _Journal_: «Je trouvai un homme un peu fou, très entiché de lui, de ce qu'il fait, se donnant une grande importance, mais pensant bien et nullement espion.»—Journal de Fersen, 18 novembre 1793.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 160. [1594] _Ibid._, II, 102. [1595] Procès-verbal du département de la police, cité par M. de Beauchesne.—_Histoire de Mme Elisabeth_, II, 153, 154, note. [1596] _Ibid._, II, 154. [1597] Cette seconde croisée ne fut probablement pas bouchée entièrement: Chauveau-Lagarde dit que la lumière pénétrait dans le cachot de la Reine par _deux_ petites croisées, garnies de barreaux de fer. [1598] Archives nationales, W, 297, dossier 261, cote 3ème.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 55-57. [1599] _Récit exact_, par la veuve Bault, 10. [1600] _Ibid._, 14. [1601] _Ibid._, 15. [1602] _Ibid._, 6. [1603] _Ibid._, 14. [1604] _Ibid._, 14. [1605] _Récit des événements arrivés au Temple._ [1606] _Récit exact_, 7. [1607] _Ibid._, 7. [1608] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 102.—Récit de Rosalie Lamorlière.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 195. [1609] Récit de Rosalie Lamorlière.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 186. [1610] _Ibid._, 187. [1611] _Récit exact_, par la veuve Bault, 13, 14. [1612] _Récit exact_, 6. [1613] Mémoire des dépenses de la veuve Capet à la Conciergerie.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 58. [1614] Journal du comte de Fersen, 18 novembre 1792.—_Le comte de Fersen et la Cour de France_, II, 102. [1615] _Récit exact_, par la veuve Bault, 5. [1616] _Récit exact_, par la veuve Bault, 5. [1617] _Ibid._, 9. [1618] _Ibid._, 5. [1619] _Récit exact_, par la veuve Bault, 13. [1620] Nous avons jadis étudié cette question dans un article publié par la _Revue des questions historiques_ (janvier 1870) sous ce titre: _La communion de Marie-Antoinette à la Conciergerie_. Quelque invraisemblable que paraisse le fait, il nous a semblé appuyé sur des témoignages trop formels et trop sérieux pour qu'il ne faille pas l'admettre. Le prêtre qui put ainsi, au péril de ses jours, pénétrer à la Conciergerie, s'appelait l'abbé Charles Magnin et devint, à la Restauration, curé de Saint-Germain-l'Auxerrois. M. Hyde de Neuville, dans ses _Souvenirs_, confirme le fait, et M. F. de Vyré, dans son étude sur _Marie-Antoinette_ (Paris, Plon, 1889) en apporte de nouvelles preuves. [1621] _Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 139-159.—Il semble que le complot ait reçu un commencement d'exécution. Basset déclare avoir à sa disposition _cinquante-deux_ hommes, casernés à Courbevoie, p. 156.—Or, un citoyen Maire dénonce cinquante-deux volontaires qui se sont absentés de la caserne de Vanves «la veille de l'exécution de la veuve Capet», pour «aider à l'exécution de l'infâme projet de la conspiration contre la République».—Extrait d'une lettre de Juille la Roche (le dénonciateur) à Leblanc.—_Ibid._, 151.—Il en résulte que le plan fut d'enlever la Reine dans le trajet de la Conciergerie à l'échafaud. Basset disait avoir gagné quinze cents hommes. [1622] Le comte de Mercy au prince de Cobourg, 10, 17 et 18 août.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 403, 406, 407.—La Marck écrivait de même à Mercy: «Il faut qu'on comprenne à Vienne ce qu'il y aurait de pénible, j'oserai dire de fâcheux pour le gouvernement impérial, si l'histoire pouvait dire un jour qu'à quarante lieues d'armées autrichiennes formidables et victorieuses, l'auguste fille de Marie-Thérèse a péri sur l'échafaud, sans qu'on ait fait aucune tentative pour la sauver. Ce serait une tache ineffaçable pour notre empereur.» La Marck à Mercy, 14 septembre 1793.—_Ibid._, 419.—_Voir_ aussi le journal de Fersen pendant cette même période. [1623] Lire dans Sybel: _Histoire de l'Europe pendant la Révolution française_, II, 369 et suiv., le chapitre intitulé: Motifs de Cobourg pour ne pas marcher sur Paris. D'après la correspondance de Mercy et de Starhemberg, l'inaction de Cobourg aurait été causée par la désertion des troupes anglaises, hollandaises et hanovriennes qui le quittèrent après la prise de Valenciennes, pour aller faire le siège de Dunkerque.—_L'invasion française en Belgique._—_Revue de la Révolution_, janvier, février 1886. [1624] Le comte de Mercy au baron de Thugut, 15 septembre 1793.—_Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck_, III, 431. [1625] Le comte de Mercy au prince d'Arenberg, 13 octobre 1793.—_Ibid._, III, 437, 438. [1626] _Le Père Duchesne_, no 296.—Aux Jacobins on avait nommé une commission pour dresser l'acte d'accusation. [1627] _Voir_ les détails dans Montjoye. _Histoire de Marie-Antoinette_, 477-481. [1628] Lettre de Fouquier-Tinville au président de la Convention nationale, 5 octobre 1793.—Archives nationales, Armoire de fer, dossier de Marie-Antoinette.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 63. [1629] «Chaumette m'interrogea ensuite sur mille vilaines choses dont on accusait ma mère. Je répondis avec vérité: cela n'était pas, mais une fausse calomnie. Ils insistèrent beaucoup, mais je me tins sur la négative, qui était la vérité.»—_Récit des événements arrivés au Temple_, 59. [1630] _Notes sur le procès de Marie-Antoinette_, par Chauveau-Lagarde, 8. [1631] Chauveau-Lagarde dit qu'il a été prévenu le 14 octobre; c'est évidemment une erreur, puisque les débats ont commencé le 14 _au matin_. [1632] Voici le texte de ce billet, retrouvé dans les papiers de Courtois: «Citoyen président, les citoyens Tronçon et Chauveau, que le tribunal m'a donnés pour défenseurs, m'observent qu'ils n'ont été instruits qu'aujourd'hui de leur mission; je dois être jugée demain et il leur est impossible de s'instruire, dans un si court délai, des pièces du procès et même d'en prendre lecture. Je dois à mes enfants de n'omettre aucun moyen nécessaire pour l'entière justification de leur mère. Mes défenseurs demandent trois jours de délai; j'espère que la Convention les leur accordera.»—_Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth_, VI, 530. [1633] _Voir_, sur Renaudin, une anecdote épouvantable dans les _Révélations de Sénar_, 245. [1634] _Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 98. [1635] Lettre de Trinchard à son frère. _Ibid._, 99. [1636] _Révélations de Sénar_, 247. [1637] Elle y avait dit tout le contraire. [1638] _Moniteur_ du 27 octobre 1793. [1639] Dans une adresse au Roi en date du 9 novembre 1789, adresse imprimée par Grangé, rue de la Parcheminerie, et conservée aux Archives nationales, Armoire de fer, carton 13, Lecointre commence ainsi:—«Sire, _un de vos sujets les plus fidèles_ vient avec confiance déposer aux pieds de Votre Majesté l'hommage de son respect. Et il termine en demandant à prouver que les habitants de Versailles, dont _il fait partie_, sont «_incapables de déplaire au meilleur des Rois_». [1640] Mme Simon Viennot. _Marie-Antoinette devant le XIXe siècle_, Paris, Augé, 1838, II, 351.—Renseignement communiqué par les frères Humbert, témoins oculaires. [1641] Un juré du tribunal révolutionnaire, Vilate, a raconté, dans son livre sur les _Causes du 9 thermidor_, que le soir même du supplice de la Reine, Robespierre, dînant avec Saint-Just et Barrère, aurait manifesté un très vif mécontentement contre «cet imbécile d'Hébert», dont la déposition avait donné à Marie-Antoinette, à son dernier moment, «ce triomphe d'intérêt public». Robespierre aurait dès lors pris la résolution de se défaire d'un complice si compromettant. [1642] _Notes sur le procès de Marie-Antoinette_, par Chauveau-Lagarde, 11. [1643] _Ibid._, 25. [1644] _Notes sur le procès de Marie-Antoinette_, par Chauveau-Lagarde, 8, note. [1645] _Ibid._—_Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 512.—_Exposé_ par de Busne.—_Ibid._, 534. [1646] _Voir_ sur les dépenses du Trianon, le chapitre XVI, tome Ier. [1647] Voici la liste exacte des objets saisis sur la Reine le 2 août, telle qu'elle résulte du procès-verbal d'audience: «Un petit livret couvert de moire verte, contenant huit feuillets, dont quatre gommés, sur le premier desquels sont écrits au crayon les adresses suivantes: _Bréguet, quai de l'Horloge du Palais, no 65_; _Madame Salantin, chez Madame Lapassade, rue de Grenelle-Saint-Germain, no 14_; _Mademoiselle Vion, rue Saint-Nicaise, chez Mademoiselle Augié, no 22_; _Madame Chaumette, rue de Bourgogne, faubourg Saint-Germain, no 44_; _Brunier, rue Sainte-Avoye, hôtel Caumartin, no 90_.—Plus un petit portefeuille de maroquin rouge, une servante de maroquin vert avec un nécessaire à charnières d'acier; une petite boîte en façon de chagrin, contenant deux portraits de femme sous verre; une autre petite boîte pareille dans laquelle un portrait de femme, qu'elle a déclaré être la Lamballe; plus un rouleau de vingt-cinq louis simples en or, une petite boîte d'ivoire contenant miroir et quelques papiers sur lesquels il n'y avait rien d'écrit, ainsi que quelques petits paquets renfermant des cheveux que l'accusé (_sic_) a déclaré être de son époux et de ses enfants.» [1648] De Goncourt. _Histoire de Marie-Antoinette_, p. 466. [1649] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 508. [1650] _Notes sur le procès de Marie-Antoinette_, par Chauveau-Lagarde, 45.—Mme de Staël avait envoyé de Londres d'éloquentes et courageuses _Réflexions sur le procès de la Reine_; elles n'eurent malheureusement pas plus de succès que la défense de Chauveau-Lagarde. [1651] Procès-verbal d'audience.—_Marie-Antoinette à la Conciergerie_, 118. [1652] Chauveau-Lagarde croit que la Reine a été «anéantie par la surprise» et que «jusqu'au dernier moment elle avait conservé de l'espoir».—_Notes sur le procès-verbal de Marie-Antoinette_, 46.—Malgré l'autorité d'un tel témoignage, nous avons peine à nous rallier à l'opinion du défenseur; il nous semble que depuis longtemps la Reine avait perdu toute illusion. En tout cas, si elle a été un moment «anéantie par la surprise», le moment de défaillance a été bien court et cet étonnement peu visible. Le _Moniteur universel_ et le _Bulletin du Tribunal révolutionnaire_ sont d'accord pour dire qu'on ne remarqua nulle altération sur le visage de la condamnée, et Chauveau-Lagarde lui-même écrit qu'«elle ne donna pas le moindre signe de crainte, ni d'indignation, ni de faiblesse». [1653] _Six journées passées au Temple_, par Moëlle, 67, 78. [1654] A la dernière page d'un exemplaire de l'_Histoire de Marie-Antoinette_ par Montjoye, acheté par nous à la vente de M. de Beauchesne, se trouve une note manuscrite de M. de Montmerqué, ainsi conçue: «Il y avait une lettre de la Reine adressée à Madame, que Louis XVIII lui a remise et que vraisemblablement on connaîtra un jour.» Nous ne savons sur quoi se basait cette opinion de M. de Montmerqué; mais elle nous semble complètement réfutée par les termes même de la lettre de la Reine à Mme Elisabeth. [1655] Cette lettre en effet ne parvint jamais à Mme Elisabeth. Remise par le concierge à Fouquier, elle fut saisie chez ce dernier par les commissaires de la Convention chargés de visiter ses papiers et jointe aux pièces de son procès.—Ce fut là sans doute qu'elle fut prise par le Conventionnel Courtois, qui, en 1816, la fit transmettre par une personne sûre à Louis XVIII. [1656] _Récit exact_, par la veuve Bault, 15. [1657] _Récit des événements arrivés au Temple_, 62. [1658] _Six journées passées au Temple_, par Moëlle, 68. [1659] _Ibid._, Nous passons à dessein sous silence une scène dramatique et poignante, racontée par Rosalie Lamorlière, servante à la Conciergerie, dans les _Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la Reine de France_: la Reine ne pouvant, même à cet instant suprême, obtenir du gendarme qui la garde la permission de changer de linge sans témoin. Le récit de Rosalie Lamorlière a pour auteur ou tout au moins pour rédacteur Lafont d'Aussonne, qui nous est justement suspect, nous avons dit ailleurs pourquoi.—_La communion de Marie-Antoinette à la Conciergerie_, _Revue des questions historiques_, 1er janvier 1870. Du reste, si ce récit peut être vrai dans sa première partie, jusqu'à l'affaire de l'œillet, il est certainement faux en ce qui touche les derniers moments de la Reine. Rosalie Lamorlière n'a pu assister cette malheureuse princesse dans la douloureuse matinée du 16 octobre, attendu que, depuis que Bault avait remplacé Richard, nulle autre femme que la fille de Bault ne fut chargée du service de Marie-Antoinette.—_Récit exact_, par la veuve Bault, 7. En outre, la Reine ne fut pas ramenée ce jour là dans son cachot, mais dans la cellule des condamnés à mort.—_Six journées passées au Temple_, par Moëlle, 68. Ajoutons enfin que le récit du gendarme Léger, rapporté par Moëlle (_Ibid._), dément formellement celui de Rosalie. [1660] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 513. [1661] _Révolutions de Paris_, no 212, p. 96. [1662] _Moniteur_ du 27 octobre 1793. [1663] _La communion de Marie-Antoinette à la Conciergerie. Revue des questions historiques_, janvier 1870.—_Voir_ aussi, sur ce sujet, l'étude concluante que M. Victor Pierre vient de publier dans la _Revue des questions historiques_, janvier 1890, sous ce titre: _Marie-Antoinette à la Conciergerie_. [1664] _Récit des événements passés au Temple_, 62, 63. [1665] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 513. [1666] _Révolutions de Paris_, no 212, p. 96. [1667] _Ibid._ [1668] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 514. [1669] _Révolutions de Paris_, no 214. [1670] Le _Père Duchesne_ dit deux à trois cent mille, no 299. [1671] _Moniteur_ du 27 octobre 1793.—_Révolutions de Paris_, no 214. [1672] Lettre de Barthélémy Bimbenet de la Roche, citée par A. de Ségur: _Un épisode de la Terreur_. Bimbenet de la Roche était un jeune soldat de l'armée de Condé, détenu à la Conciergerie, et qui de son cachot vit plusieurs fois passer la Reine pendant ces tristes jours. Ses lettres à sa famille ont été publiées par M. de Ségur dans le volume cité plus haut. Il mourut lui-même sur l'échafaud avec la foi d'un martyr, le 25 février 1794. [1673] La Reine aurait perdu un de ses souliers en montant à l'échafaud; le soulier, ramassé par un homme du peuple, aurait été acheté par M. de Guernon-Ranville, père du ministre de la Restauration.—_Lettres inédites de Marie-Antoinette et de Marie-Clotilde de France_, par le comte de Reiset, 190, 191. D'autre part M. Gustave Bord, l'érudit directeur de la _Revue de la Révolution_, possède un fragment de la boucle d'un soulier de la Reine: la boucle est en soie noire, un peu jaunie par le temps et l'usage; ce fragment appartiendrait aussi à un des souliers que la malheureuse princesse portait en allant à l'échafaud; il avait été envoyé par le baron d'Aubier, valet de chambre de Louis XVI et l'un de ceux qui restèrent dévoués à la famille Royale jusqu'à la fin, au baron de Breteuil. M. de Reiset, d'ailleurs, comme le baron d'Aubier, s'accorde à dire que la Reine avait le pied extrêmement petit. [1674] _Révolutions de Paris_, no 212, p. 97. [1675] Récit d'un témoin oculaire, le vicomte Charles Desfossés, cité par Beauchesne dans _Louis XVII_. Le vicomte Desfossés termine sa description par ces mots: «Ce portrait fut tracé en rentrant chez moi.» [1676] _Voir_ le portrait tracé au trait par David. [1677] _Révolutions de Paris_, no 212. [1678] _Ibid._, no 214. [1679] Il n'y eut aucune tentative de ce genre; il y eut probablement des espérances, comme cela semble résulter du récit du vicomte Desfossés et de la présence à Paris de ces cinquante-deux soldats qui avaient quitté la caserne de Vanves la veille de l'exécution. En tout cas, il y eut des dévouements qui s'offrirent comme otages pour la royale victime. On conserve aux Archives nationales,—section judiciaire, Armoire de fer, carton 17, no 179,—la lettre d'un comte de Linange qui, le 15 octobre, propose à la Convention d'aller à Vienne négocier de la paix avec l'Empereur sur la base de la mise en liberté de la Reine. [1680] _Révolutions de Paris_, no 212, p. 96. [1681] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 515. [1682] Lettre de Bimbenet de la Roche, citée dans _Un épisode de la Terreur_, par A. de Ségur, 68.—Bimbenet ajoute: «Savez-vous de qui nous tenons ce trait? De ce prêtre lui-même qui le soir se trouva dans une société où tout le monde ne partageait pas ses sentiments, et il fit de la Reine le plus pompeux éloge.»—_Ibid._, 69.—L'abbé Girard d'ailleurs abjura plus tard ses erreurs et revint au catholicisme. [1683] _Moniteur_ du 27 octobre 1793. [1684] _Révolutions de Paris_, no 212, p. 96. [1685] _Moniteur_ du 27 octobre 1793. [1686] _Rougyff_, ou _la France en vedette_, no 35. [1687] _Histoire de Marie-Antoinette_, par Montjoye, 516. [1688] Audouin, _Journal universel_, no 1423. [1689] Cette inscription était ainsi conçue: _Atelier d'armes républicaines pour foudroyer les tyrans_. [1690] Récit du vicomte Desfossés, _Louis XVII_, II, 147. [1691] _Le Magicien républicain_, par Rouy, cité par Dauban: _La démagogie à Paris en 1793_, 461. [1692] _Ibid._ [1693] _Révolutions de Paris_, no 212. [1694] _Le Magicien républicain_, par Rouy, cité par Dauban: _La démagogie à Paris en 1793_, 461. [1695] Cet homme était un ancien gendarme, nommé Maingot, il fut arrêté.—_Voir_ sur l'instruction de cette affaire le beau livre de M. Campardon, _Marie-Antoinette à la Conciergerie_. [1696] Discours à la Chambre des Pairs, séance du jeudi 23 février 1816. [1697] Bernis à Limon, 6 novembre 1793.—_Le cardinal de Bernis depuis son ministère_, 539. [1698] _Mémoires d'un ministre du trésor public_, III, 123. [1699] Le 11 brumaire an II, 1er novembre 1793. [1700] Mémoire possédé par M. Fossé d'Arconne, cité par MM. de Goncourt.—_Histoire de Marie-Antoinette_, 488. ┌────────────────────────────────────────────────────────────────────┐ │ Note de transcription: │ │ │ │ La page titre du premier volume donne 1892 comme date de │ │ publication. │ │ │ │ Corrections: │ │ p. 73: La fayette ⟶ Lafayette. │ │ p. 190: 20 avril 1771 ⟶ 20 avril 1771. │ │ pp. 192 et 194: juin 1701 ⟶ juin 1791. │ │ p. 339: si on l'enfermerait... ⟶ si on l'enfermait.... │ │ p. 339: si on la traduirait... ⟶ si on la traduisait.... │ │ │ │ Les numéros de notes suivants manquaient dans le texte et ont été │ │ rajoutés: p. 91 note 268, p. 198 note 596. │ │ │ │ Page 84 a trois numéros de notes (1, 2, 2, renumérotés 245, 246, │ │ 246a) mais seulement deux notes. │ │ │ │ Page 392 a deux numéros de notes (1, 2, renumérotés 1101, 1101a) │ │ mais seulement une note. │ │ │ │ Erreurs non-corrigées: │ │ p. 380: ... sans les yeux du Roi.... Sous les yeux? Dans les yeux? │ │ p. 505: ... Le 1er août.... Ou ... le 1er avril.... Les deux dates │ │ apparaissent dans des éditions différentes. │ │ Note 856, p. 293: 36 septembre 1791. Devrait possiblement être 26? │ │ Note 1090, p. 385: Le numéro de page manque. │ │ Note 1281, p. 436: Le numéro de page est illisible. Peut-être 331? │ └────────────────────────────────────────────────────────────────────┘ *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE, VOLUME 2 (OF 2) *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate. While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. 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