The Project Gutenberg eBook of Viviane This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Viviane Author: Baron Alfred Tennyson Tennyson Illustrator: Gustave Doré Translator: Francisque Michel Release date: December 12, 2016 [eBook #53722] Language: French Credits: Produced by Laura Natal Rodriguez and Marc D'Hooghe at Free Literature (back online soon in an extended version, also linking to free sources for education worldwide ... MOOC's, educational materials,...) Images generously made available by Gallica (Bibliothèque nationale de France.) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VIVIANE *** Produced by Laura Natal Rodriguez and Marc D'Hooghe at Free Literature (back online soon in an extended version, also linking to free sources for education worldwide ... MOOC's, educational materials,...) Images generously made available by Gallica (Bibliothèque nationale de France.) VIVIANE par Alfred Tennyson Poèmes traduits de l'anglais par Francisque Michel Avec neuf gravures sur acier D'après Les dessins de Gustave Doré PARIS Librarie de L. Hachette et C ie Boulevard Saint-Germain, N° 77 1868 [Illustration: Ayant poussé son noir esquif au milieu d'eux tous, il les eut bientôt dispersés; il enleva cette femme.] A NAPOLÉON III EMPEREUR DES FRANÇAIS CE LIVRE ŒUVRE DU GÉNIE COMBINÉ DE L'ANGLETERRE ET DE LA FRANCE ET PRODUIT D'UNE AMITIÉ ENTRE LES DEUX PEUPLES QUI DOIT SURTOUT SA FORCE A UNE AUGUSTE IMPULSION EST DÉDIÉ PAR SON TRÈS-HUMBLE ET TRÈS-OBÉISSANT SERVITEUR J. BERTRAND PAYNE [Illustration: L'astucieuse Viviane était étendue au pieds de Merlin.] VIVIANE Un orage approchait, mais les vents étaient calmes; et dans la sauvage forêt de Broceliande, contre un chêne creux, si énorme et si vieux qu'on eût dit une tour ruinée, l'astucieuse Viviane était étendue aux pieds de Merlin. L'astucieuse Viviane s'était dérobée à la cour d'Arthur. Elle haïssait tous les chevaliers, et elle entendait dans sa pensée les commentaires qu'ils prodiguaient quand son nom était prononcé; car un jour Arthur, se promenant seul, tourmenté par des bruits fâcheux qui couraient sur la Reine, avait rencontré Viviane. Celle-ci, recevant un gracieux salut du Roi, eût volontiers dissipé l'humeur sombre du prince avec des regards respectueux, pleins de soumission feinte, avec une voix émue, avec des effusions de dévouement, enfin, en lui insinuant discrètement et avec douceur qu'il y avait des gens qui le prisaient bien autrement que ceux qui auraient dû le priser le plus. Le Roi avait jeté sur elle un regard indifférent, et passé outre; mais quelqu'un avait épié cette scène, et ne l'avait point tenue secrète. Ce fut un sujet de rires pendant une après-midi, que Viviane eût entrepris le Roi sans reproche. Après cela, elle s'appliqua à gagner l'homme le plus fameux d'alors, Merlin, qui était versé dans tous les arts, qui avait construit les ports, les vaisseaux et les châteaux du Roi, Merlin, qui était barde aussi, et connaissait les cieux étoilés. Le peuple l'appelait magicien. Autour de lui Viviane commença à se jouer avec des discours légers et vifs, de piquants sourires, et des traits de médisance légèrement empoisonnés, qui tantôt effleuraient, tantôt égratignaient. L'Enchanteur, laissant un peu s'adoucir son humeur austère, observait ses espiègleries et ses jeux, lors même qu'il se sentait peu disposé à les approuver, et il riait comme ceux qui regardent les ébats d'un jeune chat. Il en arriva ainsi à tolérer ce qu'il dédaignait à demi; et elle, s'apercevant qu'elle n'était qu'à demi dédaignée, commença à entremêler ses jeux de gravités passagères: elle rougissait ou devenait pâle; souvent, quand elle le rencontrait, elle soupirait profondément, ou fixait sur lui des regards silencieux dans lesquels se peignait un si complet attachement, que le vieillard, bien qu'en proie au doute, n'était pas insensible a sa flatterie; parfois, il caressait un secret désir d'être aimé dans ses vieux jours, et croyait à moitié qu'elle était sincère. C'est ainsi que par moments il flottait; mais elle, elle s'attachait à lui, inébranlable dans son dessein. Et ainsi les saisons se passaient. Merlin tomba alors dans une profonde mélancolie; il quitta la cour d'Arthur et gagna le bord de la mer; là il trouva une petite barque, et y monta. Viviane le suivit; mais il ne prit nul souci d'elle. Elle tint le gouvernail, et lui la voile. La barque, poussée par un vent qui s'éleva soudain, franchit la mer; et, ayant touché les sables de la Bretagne, ils débarquèrent. Viviane suivit Merlin pendant toute la route, jusque dans la sauvage forêt de Broceliande; car Merlin lui avait un jour parlé d'un charme, qui s'accomplissait par des danses entrelacées et des passes mystérieuses. Celui sur qui ce charme était dirigé semblait éternellement renfermé entre les quatre murailles d'une tour, d'où il était à jamais impossible de s'échapper. Et nul ne pouvait jamais le découvrir; lui-même ne pouvait voir personne que l'enchanteur, qui allait et venait, accomplissant son œuvre. Et il restait là comme mort, perdu pour la vie et pour l'action, pour la renommée et pour la gloire. Et Viviane cherchait toujours à exercer ce charme sur le grand enchanteur du temps, s'imaginant que sa gloire serait grande en proportion de la grandeur de celui qu'elle aurait subjugé. Elle était étendue de tout son long, et lui baisait les pieds, comme plongée dans le respect le plus profond et dans l'amour. Un tortil d'or entourait ses cheveux; une robe de samit sans prix, qui la dessinait plutôt qu'elle ne la cachait, se collait sur ses membres souples, semblable en couleur au feuillage des saules pendant les jours de mars, mêlés de vent et de soleil. Tandis qu'elle baisait les pieds de Merlin, elle s'écria: «Foulez-moi, pieds chéris, vous que j'ai suivis à travers le monde, et je vous adorerai; marchez sur moi, et je vous baiserai.» Lui, restait muet; un sombre pressentiment roulait dans sa tête, comme, par un jour menaçant, dans une grotte de l'Océan, la vague aveugle va, parcourant en silence sa longue galerie de rochers: aussi lorsqu'elle leva sa tête qui semblait interroger tristement, quand elle parla et lui dit: «O Merlin, m'aimez-vous?» et une seconde fois: «O Merlin, m'aimez-vous?» puis une fois encore: «Puissant maître, m'aimez-vous?» il resta muet. Et la souple Viviane, étreignant son pied avec force, se glissa près de lui, monta jusqu'à son genou, et s'y assit; elle entrelaça ses pieds cambrés derrière la jambe du devin, passa un bras autour de son cou, et s'attacha à lui comme un serpent, et, laissant pendre sa main gauche, comme une fouille, sur la puissante épaule de Merlin, elle fit de sa droite un peigne, de perles pour séparer les flocons d'une barbe que la jeunesse disparue avait laissée grise comme la cendre. Alors il ouvrit la bouche, et dit sans la regarder: «Ceux qui sont sages en amour aiment beaucoup et parlent peu.» Et Viviane répondit vivement: «J'ai vu autrefois le petit dieu aveugle sur la tapisserie du roi Arthur à Camelot; mais n'avoir ni yeux ni langue! ... ô le sot enfant! Cependant vous êtes sage, vous qui parlez ainsi: laissez-moi croire que le silence est de la sagesse; je me tais donc, et ne demande point de baiser.» Elle ajouta tout de suite: «Voyez, je m'enveloppe de sagesse.» Et autour de son cou et de son sein, jusqu'à ses genoux, elle tira le large et épais manteau de la barbe de Merlin, et elle dit qu'elle était une mouche d'été aux ailes d'or, prise dans la toile d'une grande et vieille araignée tyrannique, qui voulait la dévorer dans ce bois sauvage, sans dire un mot. C'est à quoi Viviane se comparait; mais elle ressemblait bien plutôt à une funeste et charmante étoile, voilée de vapeur grise. A la fin Merlin sourit tristement: «Dans quel but étrange, dit-il, toutes ces gentillesses et ces folies, ô Viviane? que m'annoncent-elles? que veulent-elles de moi? Je vous en remercie néanmoins, car elles ont dissipé ma mélancolie.» [Illustration: Avant touché les sables de la Bretagne, ils débarquèrent.] Et Viviane de répondre avec un sourire plein d'impertinence: «Eh quoi, ô mon maître, vous avez trouvé votre voix? Que l'étrangère soit la bienvenue! Merci enfin! Mais hier vous n'avez pas desserré les lèvres, si ce n'est cependant pour boire. Nous n'avions pas de coupe: j'ai recueilli dans mes blanches mains l'eau de la fontaine qui tombait goutte à goutte d'une crevasse, j'ai fait une jolie coupe de mes deux mains réunies, et je vous l'ai offerte à genoux; alors vous avez bu, mais sans paraître vous en apercevoir, et sans m'accorder un pauvre mot; oui! pas plus de remerciements que n'en aurait donné un bouc, un bouc qui n'a rien de vénérable en lui que sa barbe. Et lorsque nous nous sommes arrêtés à cette autre source, que j'étais épuisée jusqu'à m'évanouir, et que vous vous êtes couché, les pieds dorés par la poussière fleurie de ces belles prairies que nous avions traversées, avez-vous vu que Viviane baignait vos pieds avant les siens? Cependant pas un remerciement; et il en a été ainsi à travers toute cette sauvage forêt, et pendant toute cette matinée où je vous ai entouré de mes tendresses.... Vous me demandez: dans quel but mes gentillesses et mes folies? Sans doute j'avais un but, et qui n'était pas si étrange.... En quoi vous ai-je offensé? Sûrement vous êtes sage; mais un pareil silence montre plus de sagesse que de bonté.» Merlin mit sa main dans celle de Viviane, et dit: «Dites-moi? ne vous êtes-vous jamais étendue sur le rivage en regardant l'écume blanche et recourbée de la vague qui approche, reflétée dans le sable luisant, avant qu'elle se brise? Eh bien! j'ai vu une pareille vague, quoique moins agréable aux yeux, dans le miroir d'un sombre pressentiment; pendant trois jours je l'ai vue, menaçante, prête à déferler. C'est alors que je me suis levé et me suis éloigné de la cour d'Arthur pour échapper à ma noire mélancolie. Vous m'avez suivi sans en être priée; et quand j'ai levé les yeux, et que je vous ai vue toujours attachée à mes pas, c'est sur vous tout d'abord que mon esprit s'est arrêté au milieu des ténèbres qui l'enveloppaient; car, faut-il vous dire la vérité? vous m'avez semblé être cette vague qui allait fondre sur moi et me faire disparaître de la scène du monde avec ma puissance, mon nom et ma gloire. Pardonnez-moi, mon enfant. Vos gentillesses ont tout éclairé de nouveau. Demandez-moi la faveur que vous désirez, car je vous dois trois grâces: l'une pour l'injure que je vous ai faite par ma méprise, la seconde pour les remerciements que j'ai négligés, à ce qu'il paraît, jusqu'à cette heure, la troisième pour vos aimables cajoleries: demandez donc, et recevez cette faveur qui paraît si étrange, et qui ne l'est pas.» [Illustration: Viviane suivit Merlin pendant toute la route, jusque dans le sauvage forêt de Broceliande.] Viviane répondit en souriant tristement: «Oh! elle n'est pas si étrange que ma longue prière pour l'obtenir; elle n'est pas si étrange que vous l'êtes vous-même, ni à moitié si étrange que votre sombre humeur. J'ai toujours craint que vous ne fussiez pas entièrement à moi; et voyez, vous avouez vous-même que vous m'avez fait injure. Le peuple vous appelle prophète: soit! mais vous n'êtes pas de ceux qui peuvent s'expliquer eux-mêmes. Prenez Viviane pour interprète; ce noir pressentiment de trois jours, elle ne l'appellera pas un présage; elle l'appellera une méfiante humeur; c'est ce qui, toutes les fois que je vous ai demandé cette grâce que je réclame encore, vous a fait paraître moins noble que vous n'êtes réellement. Ne voyez-vous pas, mon bien-aimé, qu'une humeur comme celle-là, qui dernièrement vous a assombri l'esprit quand vous m'avez vue attachée à vos pas, doit me faire craindre davantage que vous ne soyez point à moi; oui, elle me fait désirer plus ardemment une nouvelle marque d'attachement, et souhaiter encore plus d'apprendre ce charme de danses entrelacées et de passes mystérieuses, comme une preuve de votre confiance. O Merlin, apprenez-le-moi. Le secret ainsi partagé nous donnera le repos à tous deux. Car, si vous m'accordez, quelque peu de puissance sur votre destinée, moi alors, sentant que vous m'avez jugée digne de votre confiance, je me tiendrai tranquille et je vous laisserai en repos, persuadée que vous êtes à moi. Soyez donc aussi grand que votre nom, sans vous retrancher derrière des faux-fuyants égoïstes. Que vous semblez dur et disposé au refus! Oh! si vous pensez que c'est chez moi méchanceté, et que je veux, à votre insu, essayer ce charme sur vous, pour supprimer votre puissance, votre nom, votre gloire, une pareille pensée est une offense. Alors il vaudrait mieux rompre pour jamais le lien qui nous unit; mais, que vous le pensiez ou non, par le ciel qui m'entend! je vous dis la vérité pure, aussi pure que le sang des enfants, aussi blanche que le lait: O Merlin! puisse cette terre, si jamais Viviane, si jamais son imbécile imagination égarée, même dans l'écheveau embrouillé d'un songe, a pu s'arrêter sur une pareille pensée de trahison... puisse cette terre s'ouvrir jusqu'au plus profond de l'enfer, se refermer sur moi et m'écraser, si je suis une pareille traîtresse! Accordez-moi la grâce que je vous demande; jusque-là je ne pourrai vous donner tout ce que je suis. Cédez à mon désir tant de fois renouvelé: c'est la preuve que je veux de votre amour; car, si sage que vous soyez, je crois que vous me connaissez à peine encore.» Merlin retirant sa main de celle de Viviane, dit: «Si sage que je sois, je ne fus jamais moins sage, trop curieuse Viviane qui parlez de confiance; je ne le fus jamais que lorsque pour la première fois j'ai fait mention d'un tel charme. Et même, puisque vous parlez de confiance, moi je vous dirai: j'ai été trop confiant lorsque je vous ai dit ces choses, et quand j'ai excité en vous ce vice qui a perdu l'homme par la femme dès les premiers temps du monde. Si une grande curiosité est louable chez les enfants, qui ont à connaître le monde et à se connaître eux-mêmes, en vous qui n'êtes pas un enfant (car lorsque j examine les traits de votre visage, je vois qu'il sait dissimuler) en vous je l'appelle... Non! je ne l'appellerai point vice; mais puisque vous vous comparez vous-même à une mouche d'été, je pourrais bien désirer une toile d'araignée qui s'établît en dépit de ses défaites jusqu'à ce que quelqu'un cède de guerre lasse; mais puisque je ne veux pas consentir à vous donner de puissance sur ma vie, mes actions, mon nom et ma bonne renommée, pourquoi ne demandez-vous jamais quelque autre grâce? Oui en vérité, par la croix divine, j'ai eu trop de confiance en vous.» [Illustration: «C'était te temps où s'agitait pour la première fois la question de fonder une Table ronde.»] Et Viviane, comme la plus tendre villageoise qui ait jamais attendu amoureux à un rendez-vous, répondit les yeux baignés de larmes: «Maître, ne soyez point fâché contre votre servante; caressez-la, faites qu'elle se sente pardonnée, car elle ne se sent pas le cœur d'implorer une autre grâce. Je crains que vous ne connaissiez pas la douce chanson: «Ne vous fiez nullement à «moi, ou ayez pleine confiance.» Je l'ai entendu chanter une fois au fameux chevalier Lancelot, et elle répondra pour moi. Écoutez: «Dans l'amour, si l'amour est vraiment l'amour, si nous sommes possédés de l'amour, la loi et la défiance ne peuvent jamais avoir une puissance égale: la défiance en un point est un manque de foi en tout. «C'est la petite fente dans le luth, qui bientôt rendra la musique muette, et qui sans cesse s'augmentant peu à peu mettra partout le silence. «C'est la petite fente dans le luth de l'amant, ou, dans le fruit conservé, la petite tache creuse, qui, pénétrant à l'intérieur, gâte lentement le tout. «Ce n'est pas la peine de le garder, jetez-le; mais le ferez-vous? Répondez, mon adoré; répondez non. No vous liez nullement à moi, ou ayez pleine confiance.» «O maître, aimez-vous ma douce chanson?» Merlin la regarda et crut à moitié qu'elle était sincère: sa voix était si tendre, sa figure si belle, ses yeux brillaient si doucement à travers ses larmes, pareils à un rayon de soleil sur la plaine à travers une ondée; et cependant il répondit avec une certaine indignation: «Bien différente était la chanson que j'entendis une fois près de cet énorme chêne, non loin du lieu où nous sommes assis. Nous nous étions donné rendez-vous, dix ou douze, pour chasser un animal qui se trouvait alors dans ces forêts sauvages, le cerf aux cornes d'or. C'était le temps où s'agitait pour la première fois la question de fonder une Table ronde, qui, pour l'amour de Dieu et des hommes, comme pour l'amour des nobles actions, devait être l'élite du monde entier, tous s'excitaient l'un l'autre à de nobles faits. Pendant que nous attendions là, l'un de nous, le plus jeune, ne pouvant garder le silence, fit éclater dans une chanson un tel enthousiasme pour la gloire, et sa chanson retentit de tels accents de trompette et d'un si terrible cliquetis de fer, que lorsqu'il s'arrêta nous brûlions de lancer ensemble nos traits. Et nous l'aurions fait si le bel animal, excité par le bruit, n'était parti à nos pieds, et, comme une ombre d'argent, n'avait fui dans la campagne brumeuse. Nous chevauchâmes toute la journée à travers la brume, luttant contre un vent violent, prêtant toujours l'oreille à l'écho de cette superbe chanson, et poursuivant les éclairs des cornes d'or; enfin elles s'évanouirent près de la fontaine des Fées, cette fontaine où le fer rit, comme faisaient nos guerriers. Les enfants y jettent leurs épingles et leurs clous en criant: «Ris, petite fontaine;» mais touchez-la d'une épée, elle murmure furieusement autour de la pointe. C'est là que nous perdîmes le cerf. Cette chanson était belle: mais, Viviane, quand vous m'avez chanté cette douce chanson, il m'a semblé que vous connaissiez ce maudit charme, que vous l'essayiez sur moi, que j'étais couché, et que je sentais mon nom et ma gloire se retirer lentement loin de moi.» [Illustration: «Nous chevauchâmes toute la journée à travers la brume, luttant contre un vent violent.»] Et Viviane répondit en souriant tristement: «Oh! mon nom et ma gloire se sont écoulés loin de moi à jamais, depuis que je vous ai suivi dans cette sauvage forêt pour vous consoler, parce que je vous voyais triste. Hélas! quels cœurs ont les hommes! leur abnégation n'atteint jamais si haut que celle des femmes. Quant à ce qui est de la renommée, quoique vous méprisiez ma chanson, écoutez un couplet de plus; c'est la dame qui parle: «Mon nom, autrefois à moi, maintenant à toi, est plus étroitement à moi; car la réputation, si je pouvais avoir une réputation, serait ton bien, et la honte, si tu pouvais avoir de la honte, serait pour moi: ainsi ne te fie nullement à moi, ou aies pleine confiance.» «Ne parle-t-elle pas bien? Et il y en a plus encore... cette chanson est comme le beau collier de perles de la reine, qui se rompit pendant la danse, et les perles se répandirent à terre; quelques-unes furent perdues, d'autres soustraites, certaines conservées comme des reliques. Mais jamais deux perles semblables, deux perles sœurs, ne coulèrent le long du fil de soie pour se baiser sur le cou blanc de la reine. Il en est ainsi de cette chanson: elle vit dispersée en plusieurs mains, et chaque ménestrel la chante différemment; cependant, il s'y trouve un vers bien vrai, la perle des perles: «L'homme rêve à la «gloire, quand la femme veille pour aimer.» Oui, vraiment, l'amour, fût-il des plus grossiers, se taille une part dans le présent et dans la réalité, s'en nourrit et en profite, sans souci du reste; mais la gloire, la gloire qui suit la mort, n'est, rien pour nous; et qu'est-ce que la gloire pendant la vie, sinon une demi-diffamation, un éclat mêlé d'obscurité? Vous-même, vous savez bien que l'envie vous appelle le fils du démon; et comme vous semblez être le maître de tous les arts, on ferait volontiers de vous le maître de tous les vices.» [Illustration: «Sans lui parler, je me penchai vers lui, je pris son pinceau, et j'effaçai l'oiseau.»] Et Merlin mit sa main dans celle de Viviane, et dit: «Un jour j'étais à la recherche d'une herbe magique; je trouvai un jeune et joli écuyer assis tout seul; il s'était taillé dans le bois un écu de chevalier, et y peignait des armes de fantaisie: un vol d'aigle d'or en champ d'azur, avec le soleil en chef dextre, et cette devise: «Je poursuis la gloire.» Sans lui parler, je me penchai vers lui, je pris son pinceau, et j'effaçai l'oiseau; à la place je fis un jardinier greffant, avec ces mots pour devise: «Plutôt l'utilité que la gloire.» Vous l'eussiez vu rougir; mais ensuite il devint un vaillant chevalier. O Viviane, je crois, quant à vous, que vous m'aimez bien; quant à moi, je vous aime quelque peu; restez en repos: l'amour doit avoir quelque repos et quelque plaisir en lui-même et ne sollicitez pas trop une grâce, ne soyez pas trop ardente à obtenir une preuve contre celui que vous dites aimer; mais la gloire chez les hommes n'étant qu'un moyen plus puissant de servir, l'humanité, doit avoir en elle-même peu de repos et de plaisir, et ne travailler qu'en vassale pour servir l'amour plus grand en face de qui paraît bien mesquin l'amour qui attire une créature vers une autre créature. Pour avoir été utile, j'ai eu de la renommée; et la renommée à son tour, en s'accroissant, m'a permis d'être utile encore. Voilà la grâce que je puis accorder. Y en a-t-il une autre? Les hommes ont cherché à me ravaler parce que j'ai essayé d'agrandir leur esprit; et alors l'envie m'a appelé le fils du démon; la pauvre bête venimeuse, croyant servir son propre intérêt, a voulu frapper qui valait mieux qu'elle; mais elle a manqué son coup, et en ramenant sa griffe, elle s'est blessée elle-même au coeur. Ah! c'était des jours bien doux que ceux où j'étais tout à fait inconnu; mais lorsque mon nom s'éleva, la tempête éclata sur la montagne et je n'y fis pas attention. Je sais bien que la gloire est une demi-diffamation; cependant je dois accomplir ma tâche. Quant à cette autre gloire, cette gloire douteuse, au moins qui n'a pas d'enfants, quant au bruit que feront autour de mon tombeau les générations qui ne sont pas encore nées, je n'en ai pris nul souci. Il est une étoile nébuleuse, la seconde d'une ligne d'étoiles qui semblent figurer une épée sous un baudrier de trois étoiles: je ne l'ai jamais contemplée sans rêver à quelque charme puissant enfermé dans cette étoile pour réduire la gloire au néant. Si donc je crains de donner pouvoir sur moi par ce charme, de peur que vous ne m'abusiez, ayant ce pouvoir, quelque sincèrement que vous pensiez m'aimer à présent (comme ces fils de rois, aimant tant qu'ils sont en tutelle, qui sont devenus tyrans une fois arrivés au pouvoir), je craindrais plutôt de perdre ma liberté d'action que ma gloire si, poussée moins par la méchanceté que par quelque accès de colère, ou peut-être par un caprice d'affection exagérée et pour me garder tout à vous seule, ou par une soudaine boutade de jalousie féminine, vous essayiez ce charme sur celui que vous dites aimer.» Et Viviane répondit en souriant comme en colère: «N'ai-je pas juré? On doute de moi. C'est bon! Eh bien! gardez-le, votre secret, gardez-le; je saurai bien le trouver; et quand je l'aurai trouvé, prenez garde à Viviane. Femme, et tenue en défiance, nul doute que je ne ressente quelque subit accès de colère engendré par votre manque de foi; et votre belle épithète est exacte aussi car cet amour sans réserve que je ressens n'étant point payé par le cœur tout entier peut bien mériter votre nom d'_exagérée_.... Traitée comme je le suis, je m'étonne tous les jours d'aimer encore. Et quant à ma jalousie féminine, pourquoi non? Oui, dans quel but, si ce n'est dans un but de jalousie, et pour me rendre jalouse si j'aime, ce beau charme a-t-il été inventé par vous-même? Je crois bien que par tout le monde vous tenez emprisonnées çà et là de belles captives, enfermées entre les quatre murs d'une tour dont il est à jamais impossible de fuir.» Alors le Maître puissant lui répondit gaiement: «J'ai eu bien des amours dans ma jeunesse amoureuse; pour les conserver je n'avais besoin d'autre charme que la jeunesse et l'amour; et cet amour sans bornes dont vous faites tant de bruit peut maintenant vous assurer le mien: ainsi vivez sans charme. Quant à ceux qui l'ont mis les premiers en œuvre, il y a des siècles que leur poignet ne tient plus à la main qui faisait les passes, que leurs chevilles sont séparées des pieds qui exécutaient les danses; mais voulez-vous écouter la légende en récompense de votre chanson? «Tout au fond de l'Orient il y avait un roi moins vieux que moi, plus âge cependant; car mon sang vigoureux me promet encore bien des printemps. Un pirate basané, dont la barque avait pillé vingt îles sans nom, vint jeter l'ancre dans le port de ce roi; et, en passant devant une de ces îles au lever de l'aurore, il vit deux cités dans un millier de bateaux qui se livraient bataille sur mer pour une femme. Ayant poussé son noir esquif au milieu d'eux tous, il les eut bientôt dispersés; il enleva cette femme, après avoir perdu la moitié de son monde par les flèches de l'ennemi; c'était une vierge si pure, si blanche, si merveilleuse, qu'on dit qu'à chaque mouvement qu'elle faisait elle répandait une lumière autour d'elle. Le forban ayant refusé de la céder au roi, celui-ci l'empala pour ses pirateries. Il la fit reine; mais ces yeux d'insulaire faisaient une telle guerre involontaire, toutefois avec tant de succès, à toute la jeunesse, qu'elle languissait. Les conseils s'éclaircissaient, les armées diminuaient; car, pareille à l'aimant, elle attirait à elle les cœurs de fer les plus rouillés des vieux guerriers. Les animaux eux-mêmes l'adoraient; les chameaux s'agenouillaient sans qu'on le leur commandât, et ces colosses qui, sur leur dos vaste comme une montagne, portent les rois dans des châteaux, pliaient en signe d'hommage leurs noirs genoux, faisant sonner avec leurs trompes souples comme des serpents, pour la faire sourire, les clochettes d'or attachées à ses pieds. Comment s'étonner que, étant jaloux, le roi ait envoyé ses hérauts par tous les cent royaumes qui relevaient de lui, pour trouver un magicien capable d'enseigner au roi quelque charme qui, exercé sur la reine, lui permit de l'avoir toute à lui? En récompense d'un pareil secret, il promettait plus que roi ne donna jamais, une lieue de montagne pleine de mines d'or, une province avec cent milles de côte, un palais et une princesse, tout cela pour le magicien; mais contre ceux qui tenteraient la chose et ne réussiraient pas, le roi prononça une sentence terrible, pour empêcher la liste de s'allonger, et tenir les prétendants en respect, ou, comme un roi qui ne veut pas être joué... leur tête devait pourrir sur les portes de la cité. Et plusieurs essayèrent et ne réussirent point, parce que le charme que la nature avait mis dans la reine était plus fort que le leur; la tête de plus d'un magicien blanchit sur les murs, et pendant plusieurs semaines une troupe de corbeaux affamés resta suspendue comme un nuage au-dessus des tours aux portes de la ville.» Et Viviane, l'interrompant, dit: «Je reste là, et recueille le miel de vos paroles; cependant il me semble que votre langue a quelque peu tourné. Interrogez-vous vous-même. La dame dont vous parlez n'a jamais fait une guerre _involontaire_ avec ces beaux yeux: elle y prenait son plaisir et a rendu son bonhomme jaloux non sans de bonnes raisons. Et il n'y avait donc là ni dame ni demoiselle irritée de la perte d'un amant. Étaient-elles toutes aussi apprivoisées, je veux dire aussi nobles, que leur reine était belle? Comment! pas une pour lui lancer du venin dans les yeux, ou jeter une poudre homicide dans sa boisson, ou faire pâlir son visage avec une rose empoisonnée? Eh bien! ces temps étaient différents des nôtres. Mais trouva-t-on un magicien? dis-moi, te ressemblait-il?» Elle se tut, et serra son bras flexible autour du cou du vieillard, puis se retira en arrière et laissa ses yeux parler pour elle, le contemplant avec des yeux ardents comme une jeune épouse regarde son nouveau maître, qui est bien à elle, et le premier des hommes. Il répondit en riant: «Non, il ne me ressemblait pas. A la fin les officiers du roi partis en quêté de charmes trouvèrent un petit homme chauve à la tête luisante qui vivait solitaire, se nourrissant d'herbages dans un grand désert; il ne lisait qu'un seul livre; et sans cesse occupé à lire, il était devenu si desséché, si amaigri par l'habitude de la pensée, si amaigri que ses yeux avaient pris une grandeur exagérée, pendant que sa peau était collée sur ses côtes et son dos ainsi que sur un mannequin d'osier. Et comme il tenait son esprit fixé vers un seul objet, qu'il n'avait jamais bu de vin ni de liqueur ni goûté de viande, qu'il n'avait jamais connu les désirs sensuels, pour lui, le mur qui sépare les esprits des hommes qui projettent une ombre, était devenu un cristal; il les voyait au travers, entendait leurs voix au delà du mur, et avait appris le secret de leur existence, leurs puissances et leurs forces. Souvent sur l'œil brillant du soleil il étendait la vaste paupière d'un nuage noir comme l'encre, et lui donnait comme cils les lignes obliques d'une pluie d'orage; ou au fort du brouillard et de la pluie battante, quand le lac blanchissait, quand les pins mugissaient et que la montagne rocheuse n'était plus qu'une ombre, il rendait au monde le soleil et la paix. Tel était cet homme. On l'amena par force au roi. Et il apprit au roi un charme tel que personne ne pourrait plus voir la reine; et elle ne vit plus que le roi, qui allait et mettait le charme en œuvre; et elle était comme morte et avait perdu les fonctions de la vie; mais quand le roi parla de sa lieue de mines d'or, de sa province avec cent milles de côte, du palais et de la princesse, le vieillard retourna à son ancien désert et continua à vivre d'herbages; il disparut, et son livre est arrivé jusqu'à moi.» [Illustration: «A la fin, les officiers du roi trouvèrent un petit homme chauve à la tête luissante.»] Et Viviane répondit avec un sourire impertinent: «Vous avez le livre; le charme y est écrit; c'est bon; écoutez mon conseil: faites-moi connaître tout de suite ce charme, car gardez-le comme un coffre à secret dans un autre coffre, chacun d'eux fermé et cadenassé trente fois, et ensevelissez le tout sous une montagne pareille à celle qui recouvre de sa masse verdoyante les morts après une bataille acharnée sur quelque dune sauvage au-dessus de la mer orageuse; malgré tout, je saurai trouver un moyen imprévu de déterrer, de prendre, d'ouvrir le livre, de trouver et de lire le charme. Et si alors je l'essayais, qui pourrait me blâmer?» Et souriant comme sourit un maître au sujet de qui n'est pas de son école, ni d'aucune, si ce n'est de celle où l'ignorance aveugle et nue lance, sans rougir, ses jugements bruyants sur toutes choses, tout le long du jour, il lui répondit: «Vous, lire le livre, ma jolie Viviane! Oui, oui! il n'a que vingt pages; mais chaque page a une ample marge, et ces marges encadrent un carré de texte qui a l'air d'un petit point, et l'écriture n'est pas plus grande que les pattes d'une puce; et chaque carré du texte renferme un charme terrible, écrit dans une langue morte depuis longtemps, si longtemps que des montagnes se sont élevées ensuite avec des cités sur leurs flancs.... _Vous_, lire le livre! Et toutes les marges sont écrites, et couvertes en tous sens de commentaires, condensés à l'extrême, difficiles à l'esprit et aux yeux; mais les longues veilles de ma longue vie m'ont rendu ce livre facile. Et personne ne peut lire le texte, pas même moi; et nul ne peut lire le commentaire que moi: c'est dans le commentaire que j'ai trouvé le charme. Oh! les effets en sont bien simples; un enfant pourrait s'en servir pour faire du mal à qui que ce soit, sans pouvoir jamais le défaire. N'insistez pas davantage; car quand bien même vous n'essayeriez point ce charme sur moi, quand bien même vous tiendriez le serment que vous avez juré, vous pourriez peut-être l'employer contre quelqu'un des chevaliers de la Table ronde; et tout cela, parce que vous vous imaginez qu'ils jasent sur vous.» Et Viviane, fronçant le sourcil avec une colère vraie, dit: «Qu'osent dire de moi ces menteurs à panse bien nourrie? _Eux_, courir la campagne en redresseurs de torts! ils vivent tranquillement à table, le couteau et le verre en main. _Eux_, s'imposer des vœux sacrés de chasteté! Si je n'étais une femme, je pourrais raconter certaine histoire. Mais vous êtes un homme, et vous comprenez les choses honteuses, que la pudeur défend d'expliquer. Que pas un de tout leur troupeau ne s'attaque à moi. Pourceaux!» Sans souci des paroles qu'elle venait de dire, Merlin répondit: «Vous n'émettez qu'une accusation générale et vague, née d'un accès d'humeur, j'imagine, et sans preuve. Si vous savez quelque chose, formulez l'accusation que vous savez, pour qu'on voie si elle doit subsister ou tomber.» Et Viviane répondit en fronçant le sourcil avec colère: «Eh bien! que dites-vous de messire Valence, lui à qui un de ses parents laissa la garde de sa femme et de deux jolis enfants, avant de partir pour des pays éloignés? A son retour, au bout d'un an, il en retrouva, non pas deux, mais trois: le pauvre enfant était là, dormant, âgé seulement d'une heure! Que dit l'heureux père? Un enfant de sept mois aurait été un présent plus agréable. Ces douze lunes écoulées depuis son départ lui rendaient sa paternité incertaine.» Alors Merlin répondit: «Je connais cette histoire. Messire Valence épousa une dame étrangère; quelque cause l'avait tenu séparé de sa femme; ils avaient eu un enfant; cet enfant vivait avec elle; elle mourut. Un parent, voyageant pour ses propres affaires, fut chargé par Valence d'amener l'enfant au logis. L'enfant y fut amené et non pas trouvé; voilà la vérité.» --«Oh! oui, dit Viviane, voilà une histoire bien vraisemblable. Que dites-vous alors du doux messire Sagramore, cet homme ardent? La chanson dit: «Cueillir la fleur dans sa saison, je ne crois «pas que ce soit trahison.» O maître, dirons-nous qu'il est trop empressé celui qui cueille sa douce rose avant l'heure?» Et Merlin répondit: «C'est vous qui êtes trop empressée à ramasser une triste plume tombée de l'aile de cet odieux oiseau de proie qui ne s'attaque qu'à la bonne renommée des gens. Il n'a jamais fait tort à sa fiancée. Je connais l'histoire. Une furieuse bouffée de vent éteignit la flamme de sa torche au milieu des mille chambres et du labyrinthe de corridors du palais d'Arthur; il trouva une porte et, en tâtonnant, il sentit les ornements sculptés qui se déroulant autour, lui firent croire que c'était la sienne; épuisé de fatigue, il se dirigea vers le lit et s'endormit, homme sans tache à côté d'une vierge sans tache; et l'un et l'autre dormit, sans savoir que quelqu'un dormait à côté de lui. Enfin l'aube s'étant levée perça la rosace du royal palais d'Arthur, d'un chaste rayon qui s'arrêta en rougissant sur le couple qui rougissait, et sur-le-champ il se leva sans dire un mot, et se sépara d'elle; mais quand la chose fut répandue à la cour, le monde stupide, par le bruit qu'il fît, les força de se marier, et il se trouve qu'ils sont heureux, étant purs.» --«Oh oui! dit Viviane, cela était bien vraisemblable aussi. Mais que dites-vous donc du beau messire Perceval et de l'horrible impureté qu'il commit, ce saint jeune homme, cet agneau de Dieu sans tache, plutôt comparable à un noir bélier du troupeau de Satan? Quoi, dans l'enceinte du cloître, parmi les tombes de cuivre des chevaliers, et à côté des froides pierres des morts!» Merlin répondit, sans souci de cette accusation: «Perceval est un homme tempérant et pur; mais une seule fois dans sa vie il se laissa troubler par du vin nouveau. Il alla alors se promener dans le cloître pour rafraîchir sa tête échauffée. Là une des bergères de Satan s'empara de lui et voulut le marquer du sceau de son maître; et qu'il ait péché, cela n'est pas croyable; car regardez sa figure!... Mais s'il a succombé, qu'importe! c'est le péché que l'habitude fait pénétrer en brûlant dans notre sang, et non l'heure unique dans une vie, l'heure ténébreuse qui amené le remords avec elle, qui imprimera sur nous plus tard la marque qui nous dira de quel troupeau nous ferons partie; autrement ce saint Roi, dont on chante les hymnes dans les églises serait le pire de tous les rois. Mais votre mauvaise humeur s'est-elle apaisée en se donnant libre cours, ou vous en reste-t-il encore?» Et Viviane répondit en fronçant le sourcil, toujours en colère: «Oh oui! Et que dites-vous de Messire Lancelot, mon cher ami? Est-il traître ou loyal? Ce commerce qu'il a avec la reine, je vous le demande, est-il jusque dans la bouche des enfants, ou se le raconte-t-on à l'oreille dans les coins? Le connaissez-vous?» Merlin répondit tristement: «Sans doute, je le connais. Messire Lancelot, dans le principe, partit comme ambassadeur pour aller chercher la reine, et elle le prit pour le Roi; c'est ainsi qu'elle s'enamoura de lui. Laissons-le en repos; mais n'avez-vous pas un seul mot de loyale louange pour Arthur, le roi sans reproche, l'homme sans tache?» Et Viviane répondit avec un éclat de rire: «Lui? Est-il bien un homme, lui qui sait, et ferme les yeux? lui qui voit ce qu'est fait sa belle épouse, et ferme les yeux? Par là le bon roi veut s'aveugler, et il s'aveugle ainsi que toute la Table ronde sur toutes leurs impuretés. Moi-même, si je n'étais point une femme, je pourrais lui donner le joli nom que le peuple donne à tant de vigueur virile; je pourrais l'appeler le principal auteur de leur crime; et, s'il n'était pas un roi couronné, je l'appellerais un lâche et un sot.» Alors Merlin, révolté, et se parlant à lui-même, s'écria: «O cœur loyal et doux! ô mon maître! mon roi! O toi, l'homme dévoué, toi le gentilhomme sans tache, toi qui, contre le témoignage même de tes yeux, voudrais trouver tous les hommes sincères et loyaux, toutes les femmes pures, comment, dans la bouche d'interprètes au cœur bas, parce que ta délicatesse extrême ne peut être comprise de créatures dont chaque sens est aussi perfide et aussi corrompu que la vase humide qui coule au milieu de la rue, comment ta blanche pureté est-elle réputée blâme?» Mais Viviane jugeant Merlin vaincu par ses instances, recommença, et laissa sa langue furieuse courir, comme un incendie, sur les noms les plus nobles, les souillant, diffamant, défigurant, jusqu'à ne pas même vouloir que Lancelot fût brave, ni Galahad pur. Ses paroles eurent un autre résultat que celui qu'elle voulait. Merlin abaissa ses sourcils buissonneux, lit une arcade de neige à ses yeux caves, et se murmura à lui-même: «Lui révéler le charme! Voilà, si elle le connaissait, comment elle médirait de moi, pour prendre ensuite quelque autre crédule dans son piège; et si elle ne le connaît pas, voilà aussi comment elle médira. Qu'a dit cette femme impure? que nous ne pouvons nous élever aussi haut que les femmes? Nous pouvons à peine descendre aussi bas: car les hommes entre eux diffèrent au plus comme le ciel de la terre; mais les femmes, entre les meilleures et les pires il y a la même distance qu'entre le ciel et l'enfer. Je connais les chevaliers de la Table ronde: ce sont mes amis de vieille date, tous braves, plusieurs généreux, et quelques-uns chastes. Je soupçonne qu'elle couvre avec des mensonges les blessures de son amour-propre: elle les aura provoqués et n'aura pas réussi; c'est pour cela qu'elle les traite avec tant d'amertume: car les plus belles tentatives peuvent échouer, quoique des courtisanes, comme elles peignent leur visage, peignent leurs discours des couleurs du cœur qu'elles n'ont pas. Je ne veux point qu'elle connaisse le charme: neuf fois sur dix ceux qui vous flattent en face vous mordent par derrière. Et ceux, ô bonne âme, qui sont les plus prompts à imputer à quelqu'un un crime, sont les plus disposés à le commettre, et imputent aux autres ce qu'ils font eux-mêmes, manquant du sens moral; ou bien quelque vil désir de ne pas se sentir les plus vils des hommes leur fait tout niveler; que dis-je, ils diminueraient la montagne et l'égaleraient à la plaine pour donner à tout un égal abaissement. Et les courtisanes sont semblables à la foule en ceci: si elles aperçoivent quelque tache ou quelque imperfection dans un homme renommé, loin de s'affliger que les plus grands dans l'humanité soient si petits, elles se gonflent de je ne sais quelle joie insensée, et jugent la nature entière d'après ses pieds d'argile, sans vouloir lever les yeux et voir sa tête divine couronnée d'un feu sacré, et allant toucher d'autres mondes. Je suis fatigué de cette femme.» Il prononça, tantôt à voix basse, tantôt en remuant seulement les lèvres, ces paroles à moitié étouffées dans la blanche toison de son cou et de son menton, épaissie par tant d'hivers. Mais Viviane, saisissant quelques-unes des paroles que lui dictait son irritation, et entendant le mot de _courtisane_ murmuré deux ou trois fois, s'élança des genoux du vieillard et se tint debout roule comme une vipère gelée: vue affreuse, que de voir à ces lèvres roses de vie et d'amour, succéder subitement le hideux grincement de dents d'un squelette de mort! Ses joues étaient blanches; de rapides frémissements de colère enflaient sa délicate narine; sa main à moitié fermée, agitée par un tremblement nerveux, descendit jusqu'à sa ceinture et sembla y chercher quelque chose. Si elle y eût trouvé un poignard (car en un clin d'œil le faux amour se tourne en haine), elle aurait tué le divin vieillard; mais elle n'en trouva pas. Son œil à lui était calme, et alors soudain elle se prit à pleurer amèrement comme un enfant qu'on a battu; elle pleura longtemps, longtemps de ces larmes qu'on ne peut consoler. Puis sa voix trompeuse se fraya un chemin à travers ses sanglots: «O cœur plus cruel qu'on n'en vit jamais dans un roman ou qu'on n'en chanta dans un poème! O amour vainement prodigué! O cruel! il n'y a rien de bizarre ou d'étrange, rien qui semble honteux (car quelle honte y a-t-il dans l'amour, si l'amour est sincère, et non ce qu'est le vôtre?), rien que la pauvre Viviane n'ait fait pour gagner la confiance de celui qui l'a appelée comme il vient de faire. Tout son crime, tout, oui tout son crime, ç'a été son désir de se l'attacher tout entier.» Elle rêva quelque temps, puis elle joignit les mains, avec un cri perçant, et dit: «Frappée au cœur par les plus chers sentiments de mon cœur! Échaudée comme le chevreau dans le propre lait de sa mère! Tuée par un mot pire qu'une vie de coups! J'ai cru qu'il était bon, étant grand: ô Dieu! que n'ai-je aimé un homme plus petit! J'aurais trouvé en lui un plus grand cœur. Hélas! moi qui, occupée seulement à caresser ma vraie passion, voyais les chevaliers, la cour, le Roi, obscurs à côté de votre éclat; moi qui aimais à amoindrir celui des autres hommes à cause de ce grand plaisir que j'avais de vous asseoir seul sur l'autel de mon culte... j'ai ma réponse, et désormais la route de la vie, qui me semblait semée de fleurs avec vous seul pour guide et pour maître, devient le sentier des falaises qui s'arrête brusquement, et se termine par une ruine... sans qu'il me reste rien qu'à me traîner en rampant dans quelque horrible grotte, et là, si le loup m'épargne, finir ma vie en pleurant, tuée par une dureté sans nom.» Elle s'arrêta, se détourna, laissa tomber sa tête; le serpent d'or glissa de ses cheveux, le lacet se détacha et se déroula; elle pleura de nouveau, et le bois sombre devint plus sombre encore à l'approche silencieuse de la tempête. Cependant la colère de Merlin mourait lentement en lui, et il laissa sa sagesse l'abandonner pour faire place au calme du cœur; il crut à moitié que Viviane était sincère, et il l'appela pour lui offrir asile dans le chêne creux: «Abritez-vous de l'orage,» dit-il; et ne recevant pas de réponse, il regarda son épaule soulevée par les sanglots, sa figure qu'elle cachait dans sa main, comme en proie à une douleur ou à une honte extrêmes. Alors il essaya trois lois, par les termes les plus touchants, de calmer son esprit agité; mais en vain. A la fin, elle se laissa gagner par lui; et de même que l'oiseau captif qui vient de s'envoler de sa cage y revient, cette soi-disant créature offensée, ce faux cœur simple, revint a son premier perchoir et s'y posa. Pendant qu'elle était assise là, se laissant tomber à moitié des genoux de Merlin, à moitié nichée contre son cœur, voyant des larmes couler lentement de sa paupière fermée encore, le doux magicien, plus par bonté que par amour, étendit autour d'elle un bras protecteur. Mais elle se dégagea vivement, se leva les bras croisés sur la poitrine, et se tint dans l'attitude d'une femme vertueuse profondément offensée, et rougissant devant lui; puis elle dit: «Il ne doit plus y avoir d'amour entre nous deux désormais. En effet, si je mérite l'épithète grossière que vous m'avez donnée, que pourrait-on vous accorder que votre cœur sans délicatesse pût juger digne d'être accepté? Je partirai. En vérité, une seule chose maintenant (mieux eût valu trois fois mourir que de la demander une seule) pourrait me faire rester: c'est cette preuve de confiance si souvent réclamée en vain. Combien j'en avais besoin, je le vois avec douleur, après ce mot indigne que vous avez prononcé! Oui! je pourrais, qui sait? vous croire une fois de plus. Oh! ce qui était autrefois pour moi une simple fantaisie est maintenant devenu l'immense besoin de mon cœur et de ma vie. Adieu, pensez à moi avec bonté; car je crains que ma destinée ou ma faute, dédaignant la jeunesse enjouée pour votre vieillesse, soit de vous aimer toujours. Mais avant de vous quitter, laissez-moi vous jurer une fois de plus que si j'ai, en ceci, attenté à votre repos, puisse le juste ciel, qui s'obscurcit au-dessus de moi, envoyer un coup de foudre qui, épargnant toute autre chose, réduise ma tête coupable en cendres, si je mens.» À peine avait-elle cessé que, partant du ciel (car la tempête était maintenant arrivée au-dessus d'eux), un dard de feu déchira un chêne géant et joncha tout alentour la terre sombre de débris de branches et d'éclats de bois. Merlin leva les yeux et vit l'arbre qui brillait, rayé de lueurs blanches, au milieu des ténèbres. Mais Viviane, craignant que le ciel n'eût entendu son serment, éblouie par les zigzags livides de l'éclair, et assourdie par les grondements et les craquements qui le suivirent, se rejeta rapidement en arrière, en s'écriant: «O Merlin! bien que vous ne m'aimiez pas, sauvez-moi, sauvez-moi!» Elle se colla à lui, l'embrassa étroitement, et, dans sa frayeur, l'appela son cher protecteur; mais, dans sa frayeur, elle n'oublia pas ses ruses, elle songea encore à agir sur son esprit, et l'embrassa étroitement. A ce contact, le pâle sang du magicien, comme une opale chauffée, prit des couleurs plus vives. Elle se reprocha d'avoir redit des contes, des on-dit; elle tremblait de peur, et elle pleura en s'accusant d'impertinence; elle appela Merlin son seigneur, son maître, son enchanteur, son barde, son étoile argentée du soir, son dieu, son Merlin, la seule passion de toute sa vie. Cependant, au-dessus de leurs têtes, la tempête mugissait toujours, et les branches pourries craquaient secouées par la pluie torrentielle; et, tandis que la lumière et les ténèbres alternaient, ses yeux et son cou brillaient et disparaissaient. Enfin l'orage, sa première explosion de colère une fois terminée, alla visiter d'autres pays; on entendit au loin ses gémissements et sa voix, et la forêt ravagée fut rendue une fois de plus à la paix. Et ce qui n'aurait jamais dû être avait eu lieu: Merlin vaincu et excédé par les discours de Viviane, s'était rendu, avait révélé tout le charme et s'était endormi. [Illustration: Merlin vaincu et excédé par les discours de Viviane, s'était rendu, avait révélé tout le charme et s'était endormi.] Alors, en un moment, elle exécuta le charme, avec les danses entrelacées et les mouvements mystérieux. Merlin était étendu comme mort, et dans le creux du chêne perdu à la vie, à l'action, à la renommée, à la gloire. Alors, disant: «Je me suis rendue maîtresse de sa gloire,» et s'écriant: «ô vieillard imbécile!» la courtisane s'élança dans la forêt, le fourré se referma derrière elle, et l'écho de la forêt répéta: «_Imbécile._» FIN DE VIVIANE. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VIVIANE *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. 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START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase “Project Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg™ License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your possession. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate. While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate. Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in the U.S. unless a copyright notice is included. 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