M. D. XXXIX.
Auec Priuileige pour dix ans.
Q
VELCONQVE
estoille ait sur toy son aspect
(Si ainsi est qu’aulcun certain respect
Du ciel haultain, ou infaillible essence
De destinée ait sur Humains puissance)
Ie veulx le cours que Nature te donne
En ceste vie estre tel que i’ordonne,
Et que desire. Or vien doncq en ce monde
Sur tel desir : et en terre profonde
Retourne, apres que ton heure viendra.
En premier lieu, ta foy ce poinct tiendra
Qu’il est vng Dieu tout puissant et vnicque
-11-
En ses effectz : et si ce sans replicque
Tu crois par foy, et en luy ta fiance
Soit toute mise (o Dieu quelle asseurance,
O quel repos) allors tu congnoistras
Comme en tout bien et honneur accroistras,
Et sans tristesse ou langueur indecente,
Tu passeras de ce monde la sente :
L’amour de Dieu de soy a tel pouuoir,
Que de tout bien vng mortel peult pouruoir.
Apres cela par toy bien obserué,
Rendz mon esprit prudemment preserué
De vices telz : c’est asscauoir enuie,
Ambition, et que ne te deuie
De la raison ire a raison contraire :
Finablement (pour du tout te parfaire)
Tout vice euite, et toute volupté :
Et lors seras des saiges reputé
Saige, et prudent, entier et vertueux.
Plus, tu seras aux aultres fructueux
Par bon exemple. Et ainsi veulx que naisses
O mon enfant, et non aultres richesses
Ie te souhaite. En telle sorte né,
Plus que Crœsus tu seras fortuné,
-12-
Quant est aux biens : c’est que pour heritage
(Vray don de Dieu) liberté de courage
Tousiours auras, et esprit invincible :
Te desirer plus grand bien n’est possible.
Estant muny de force tant haultaine
Tu te riras de fortune incertaine :
Et soit pour toy temps bon ou malheureux
Tousiours auras le visage d’heureux,
Tel que vertu, vertu dicte virile,
A en tout faict, soit amy, ou hostile.
Ayme vertu qui ha telle puissance,
Qu’en tous hazartz elle donne constance.
Oultre (a dresser tes mœurs) il est besoing
Que d’acquerir scauoir tu preignes soing.
Les lettres font qu’on congnoist pleinement
Ce que concoipt vng chascun element :
Soit en la mer, en l’air ou en la terre :
Doncq il te fault vng si grand bien acquerre.
Par tel scauoir tousiours constant seras :
De monstre aulcun tu ne t’esmouueras :
Mais tu croiras le tout faict par Nature
(Mere de tout, de Dieu puissance pure)
Et par icelle a sa fin tout venir.
-13-
O quel grand bien te voirras aduenir
Si tu congnois des choses l’origine
L’accroissement, et ce, qui les termine.
Ce congnoissant, il n’est rien tant horrible
Qui peur te fasse, et feusse le terrible
Bruict du tonnoirre, ou Pluton le noir dieu,
Horribles faictz à toy seront vng ieu.
Voila, mon filz, le bien que te desire
Affin que seur de tout tu puisses rire :
Feust que le ciel, la terre et mer salée
Toute Nature ensemble feust meslée
Comme aultresfois a esté rude forme,
Non diuisée, et vng chaos difforme.
Or maintenant recoy ce que diray,
Car briefuement icy ie t’instruiray
D’aulcuns bon poinctz : par lesquelz sans dommage
Consumeras tout le cours de ton aage,
Et ne craindras ny peril, ny dangier
Par fainct amy, ou par fainct estrangier.
Premierement, si apres le deces
De tes parentz tu as des biens assez,
Il ne les fault consumer follement
(Comme vng prodigue) ou immoderêment :
-14-
Car certain est que ton pere et ta mere
Ne les ont quis sans trauail bien austere.
Par quoy ne doibs despendre briefuement
Ce qui s’acquiert par labeur longuement.
Doncq grandz bancquetz, ou braue superflue
Tu ne fairas : ou aultre chose indeue :
Comme de suiure ou berland ou paillarde :
De tout cela le sage homme se garde.
Il te fault doncq du tien ainsi vser
Que n’ays affaire a l’autruy t’amuser,
Ou demander secours en indigence
Et pauureté : car de tout temps l’vsance
Est et sera que l’homme sans auoir
N’est rien prisé : combien que de scauoir
Il ait autant qu’eut Homere le docte,
Ou que Platon, Demosthene, Aristote,
Ou que Virgile, ou le tant eloquent
Marc Ciceron. Brief, on se va mocquant
De tout lettré si en biens il n’abonde.
Par quoy si veulx prisé viure en ce monde,
Aye du bien : aultrement seras beste
Voire eusses tu de scauoir pleine teste.
Et d’auantage, il te fault regarder
-15-
Qu’impossible est que te puisses garder
De faict meschant, si trop grand pauureté
Sur toy son dard a vne fois iecté :
Et que ne sois du tout en desespoir,
N’ayant de viure ou moyen, ou pouuoir.
Lors nulle craincte au pauure contredict :
Tout cas meschant aussi tost faict que dict.
Pour euiter tel dangier, et diffame,
L’homme prudent en telle sorte drame
Ses biens, qu’il n’ha iamais necessité,
Et auec loz peult garder equité.
Ainsi fairas pour acquerir honneur
Et ne tomber iamais en deshonneur.
Si toutesfois (comme chose louable)
Ie te commande estre en biens espargnable,
Ie n’entends pas que sur toy auarice
Ait aulcun lieu : car ce n’est moindre vice
Que de despendre insolemment le sien.
Par quoy donne ordre, en despendant le tien,
Que de prodigue et auare le nom
Chasses au loing : et ainsi bon renom
Tu acquerras. Vng moyen est honneste
En toute chose : en tout sois doncq modeste.
-16-
Mais en cecy ie te veulx aduertir
Qu’en espargnant ne te doibs diuertir
De faire bien aux pauures par pitié.
Vng tel vouloir, vne telle amytié
Entre mondains a Dieu plaist grandement
Et tant, que par ce au ciel benignement
Sommes receuz, et euitons le gouffre
D’enfer. Si doncq ton prochain pauure souffre
Quelque indigence, aye compassion
De ton semblable et consolation
Donne luy lors. Par ainsi auras faict
La volunté de Dieu, et tel bienfaict
Ne perira iamais. Ayme trop mieulx
Pauures nourrir, que garder escutz vieulx.
Ainsi doibt faire homme humain a l’humain :
Ou aultrement dict doibt estre inhumain.
Contre ce poinct, si tu n’as aulcun bien
De tes parentz, ou du tout tu n’as rien,
Il ne fault pas pour cela t’addonner
A gaing villain, ny aulcun ranconner,
Tromper, destruire : et ainsi deuenir
Riche. Au contraire il te fault paruenir
Aux biens mondains, sans d’aulcun la ruine.
-17-
Ou aultrement sur toy l’ire diuine
Se monstrera : et en fin tu perdras
Ce, qu’aultresfois par fraude acquis auras :
Car biens acquis par fallace rusée
Communêment n’ont pas longue durée.
Apres auoir disposé sagement
De ton estat domesticq : tellement
Te conduiras, que tous te soint amys
Et nulz ne soint contre toy ennemys.
Ce qu’aduiendra si ne blesses personne
Par dict, ou faict : ainsi raison l’ordonne.
Mais tout ainsi que les mouches a miel
Scauent congnoistre et le succre et le fiel,
Et de fleur toute vng peu premier sauourent,
Que sur aulcune (en se paissant) demourent :
Par tel aduis les amys fault eslire,
Et follement a tous ne se reduire.
Si pour amy aulcun tu veulx nommer
Premierement il te fault consommer
Vng muy de sel auecq luy priuêment,
Beuuant, mengeant, parlant communêment
Triste, ou ioyeulx : c’est, que deuant le prendre
Pour vray amy, en tout puisses entendre
-18-
Quel homme il est et d’esprit et de mœurs :
Saiges ainsi sont de leurs amys seurs.
Et si le fais, lors pourras reueler
A tel amy, ce que craindrois celer :
Soit de cueur gay les gayes entreprinses,
Ou de langueur les facheuses surprinses.
O quelle crainte, o quelle fascherie
Donne l’amy meschant, par tromperie
S’il veult troubler le sien amy loyal,
Et comme traistre et meschant desloial
Veult reueler les propos amyables,
Qui par deuis (comme non dommageables)
Se sont tenus entre eulx. O quelle peste !
Pour obuier a tel mal, t’admonneste
Que sois secret, et caches saigement
Ce, qui te peult (s’il est legierement
Communicqué a l’amy) par apres
Porter dommage. O Dieu, o quelz regretz,
Se veoir trahi par personne choysie
En amytié, d’amytié dessaisie.
Par quoy te fault vser d’vng tien amy
Si comme apres te peult estre ennemy.
Par tel moyen iamais ne doubteras
-19-
Langue legiere, et asseuré seras
D’vn tien amy, si ennemy se faict
Et par courroux de toy il se deffaict.
Quant aux flateurs euiter ilz se doibuent
Comme amys faulx qui leurs amys decoiuent.
Euite aussi deceptifz rapporteurs :
Qui en estantz de tout mal apporteurs
Veulent tousiours nouuelles colliger,
Pour l’escoutant par leurs dictz affliger,
Et mettre en soing, rapportant chose faulce :
Ou aultre cas, qui sottement t’exaulce.
A ces deux maulx le remede est patent.
Si le flateur par loz te vient flatant
Et par rapportz le rapporteur t’esmeult,
Regarde bien en toy ce qu’estre peult
Ou vray, ou faulx : par ceste seule reigle
Tu ne seras entre flateurs aueugle
(C’est asscauoir par gloire transporté)
Et ne croiras le faulx bruict rapporté
Par rapporteurs : mais tous deux chasseras
Comme poison, et rien d’eulx n’aymeras.
Apres cecy ie te veulx informer
Comme tu doibz tes seruantz reformer,
-20-
Si tu en as. Sur tout garde toy bien
Que de ton faict seruiteur saiche rien :
Le seruiteur est vne mort presente,
Le seruiteur n’est que de mort attente.
(Tel est le dict de noz peres antiques)
Par quoy ie veulx que de toutes practiques
Que meneras seruiteur rien ne sache :
A seruiteurs tousiours tes secretz cache.
Et te parforce entre telle vermine
De haultain maistre entretenir la mine :
Et pour le moins, si amour meritée
Ilz n’ont vers toy, ta face redoubtée
Soit parmy eulx. Puis si de ta maison
Sortent en fin, fais qu’aulcune raison
Ilz n’aynt de toy reueler quelque vice
Qui par leur dict te porte preiudice.
Or de rechef de moy prendz ce præcepte
Qu’homme prudent iamais son serf n’accepte
Pour compaignon : car telle est la nature
D’vng seruiteur, que plus tost il endure
Cent mille coups, que par doulceur honneste
Il se reduise a ce, qu’on l’admonneste.
Ce neantmoins ainsi le fault traicter,
-21-
Qu’occasion il n’ayt de detracter
Aulcunement de ta complexion.
Auoir te fault consideration
Que seruiteurs sont oustilz animez
Meritantz d’estre au moins de nous aymez
Pour le seruice ou iournal, ou nocturne,
Que d’eulx auons tant en heur, qu’infortune.
Passons plus oultre : et venons a la femme,
Que tu prendras pour euiter diffame
D’homme meschant, et paillard dissolu.
Quant a ce point, tu seras resolu
De la traicter non comme ta seruante
Mais comme amye, et compaigne adherente
A toy mary. Doncq amyablement
L’entretiendras, et non seruilement.
En ce moyen le genre feminin
Se doibt traicter comme genre begnin,
Mollet et tendre, et a rigueur contraire,
Et qui se veult par grand doulceur attraire.
Pourtant ne fault la bride luy lascher
Par trop, et tant, que t’en peusses fascher.
Car de soy mesme assez audacieuse
Est toute femme, et de plaisir soigneuse.
-22-
Plus, liberté et franchise illicite
A faictz meschantz les plus saiges incite.
Quant aux habitz, il fault qu’elle s’accoustre
Selon l’estat du mary : et non oultre.
Et a bon droict fol doibt estre nommé
Qui a son bien en braues consommé,
Braues de femme, et habitz excessifz,
Habitz indeuz, et a mal allectifz.
Ce n’est pas tout. Si tu veulx femme prendre,
A la beaulté il ne te fault entendre,
Ou au douaire en richesse abundant.
Plus tost ie veulx que tu t’ailles fundant
Sur l’origine, et race bien famée
Sur bonnes mœurs, vie non diffamée
De celle la, qui ta femme sera :
Car par ainsi Vertu confirmera
L’aultre Vertu en toy desia comprise,
Qui sur Vertu de femme aura maistrise,
Si que semblable a semblable conioinct
Bien gardera ce que Vertu enioinct :
C’est, qu’au mary la femme ait reuerence,
Et ne luy donne ennuy, ou desplaisance.
Et le mary par semblable recueil
-23-
Ne donnera a sa femme aulcun dueil.
Saiche, mon filz, que la beaulté de celle
Que tu prendras (ou soit vefue, ou pucelle)
Pour ton espouse, a la fin s’en ira
Comme rosée, et bien tost perira.
La dote aussi se peult tost en aller
Et de grandeur en petit raualler :
Mais quant aux mœurs, cela tousiours demeure :
Doncques saige est qui des bonnes s’asseure.
C’est grand malheur, quand ce noble lien
De mariage est priué de son bien :
Or son bien est viure paisiblement
L’vng auec l’aultre, et amyablement
S’entretenir, et euiter desbatz.
Ce bien et heur, tous gracieux esbatz
En mariage auras, si scais choisir
Non par ardeur, mais a certain loisir
De bonnes mœurs vne femme remplie
Et en vertu (comme veulx) accomplie.
Or maintenant ma Muse i’enfleray,
Et plus haultz poincts de scauoir traicteray.
Si le cas est que tu sois citoien
En quelque ville, il te fault tel moyen
-24-
Allors garder, que rien tu n’entrepreignes
Plus qu’aulcun aultre, et que rien ne dedaignes
Des loix, statuts, coustumes et edictz,
Qui en commun par les chefs seront dictz.
Et s’il aduient que tu ays quelque office,
Ou magistrat, euiter fault tout vice
D’orgueil, de gloire, et ostentation,
De pillerie, et orde ambition
D’amasser biens par facons deshonnestes.
Les magistratz et offices sont faictes
Non pour brauer, ou grandz biens acquerir,
Mais seruir ceulx qui viennent requerir
Iustice et droict, si on leur faict iniure :
Soit doncq esgalle enuers tous ta censure.
Par dons, presentz, et corruptiues offres,
Garde toy bien que le pauure tu souffres
Estre priué du bon droict qu’il demande.
Or ou argent aux bons les yeulx ne bende.
Sois raisonnable a tous, et droicturier :
Ne prise plus vng duc qu’vng cousturier,
Quant a iustice : et icy est le poinct,
Ou doibz penser, et ne t’esmouuoir poinct
Pour riche, ou pauure, et a tous estre esgal,
-25-
Droict mainctenir, et chastier le mal.
Brief, qui iustice a desir de garder
En son office, il se doibt engarder
De porter l’vng plus que l’aultre : et le droict
Garder a tous. Ainsi il aduiendroict
Que pauure, et riche auroit esgallement
De ses procez bon et brief iugement.
Oultre cecy, note que grand rigueur
Ne doibt auoir en vn Iuge vigueur :
Doulceur plus tost, et moyenne clemence
Tu retiendras en iectant ta sentence.
Si telz estatz fortune ne t’addresse,
Mais (comme royne, et de tous biens maistresse)
Elle te tire en quelque court de Roy,
Aultres facons estre conuient en toy,
Que ie n’ay dict encores : car il fault
Que soys subtil, simulateur, et cault :
Pour ce qu’en court toute cautelle abonde,
Et en telz artz vng courtisan se fonde.
Sois doncq subtil, et ne crains te vanter,
Si courtz de Roys tu viens a frequenter :
Parle d’audace, et non poinct en craintif,
En tout scauoir dy toy superlatif.
-26-
Par tel babil en court on se maintient :
Par tel babil le plus fol saige on tient :
Par tel babil et effrontée audace
On voit plusieurs souuent entrer en grace.
Quand tout est dict, ne frequente la court,
Si en audace et babil tu es court :
Car le babil audacieux conduict
Ceulx qui en court desirent auoir bruict.
Il est bien vray que faire bonne mine
N’est pas mauluais : par cela on affine
Ouy les plus fins : et l’ignorant on pense
Par bonne mine estre plein de science.
Voyla les tours d’vng courtisan ruzé :
Et sans iceulx on se trouue abuzé
Suiuant la court. Garde doncq bien ces choses,
Si quelque fois suyure la court proposes.
Parlons plus hault. Si le Roy tel te trouue,
Que quelque charge il te baille, et esprouue
Ce que scais faire, il te fault loyal estre
Totallement, et bien seruir tel maistre.
Ne sois larron, et pas ne t’enrichis
Soubdainement : car si en rien flechis,
Et quelque faulte as commise, combien
-27-
Que sans reproche auras tenu ton bien
Durant le pere, icelluy trespassé,
Ton faict sera par ses hoirs compassé :
Et si on peult (tant peu soit) sur toy mordre,
Ne pense pas y pouuoir donner ordre
Sans souffrir peine, et bien tost mort honteuse.
Croy moy mon filz : c’est chose dangereuse
De mal verser en affaires de Prince :
Trop mieulx vauldroit à iamais estre mince
De biens mondains, que te mettre en danger,
Qui peult ta vie et honneur ledanger.
Fais doncq si bien, si tu as d’vng Roy charge,
Que par ton crime en rien il ne te charge.
Vng courtisan peult des biens amasser,
Sans faire crime, ou droict oultrepasser :
Et ce faisant il sera hors de craincte
D’auoir enfin par le Roy quelque attaincte.
Sur ce propos : si l’occasion s’offre
De quelque bien, ne refuse telle offre,
Car le refus est souuent dommageable,
Tant est fortune inconstante et muable.
Ioinct que souuent vng Roy n’ha soubuenance
Enuers ses serfz vser de recompense :
-28-
Et d’vng nouueau il est plus curieux,
Que guerdonner le seruice des vieulx.
Il ne fault rien qu’vng nouueau aduolé
Pour estre tost en la court affolé,
Et de faueur priué totallement :
Car en la mer n’y a tel mouuement,
Et n’y auoit le temps passé a Romme
(Quand on faisoit les officiers) comme
On voit en court. Celuy, qui le premier
Tantost estoit, tost sera le dernier,
Et par enuie hors de son siege mis,
Banny, chassé, de son estat demis.
Ainsi la court est de changement pleine,
Pleine d’enuie et d’esperance veine.
Que fairas doncq ? Veulx tu suyure la guerre ?
Ne le fais pas : car on n’y peult acquerre
(Pour le present) honneur : ou grand renom.
I pense tu y estre art gardé ? Non :
Ce que faisoient noblement les Rommains,
Et ce faisant ont acquis honneurs mainctz,
Quand subiuguoient Païs et Regions
Par leurs souldartz comprins en legions,
Qui tant scauoient du noble art militaire :
-29-
Mais maintenant de cela se fault taire,
Car on ne garde en la guerre aulcun art,
Et tout se faict par fortune et hazart.
Tu ne voirras vne guerre conduicte,
Ainsi qu’il fault, ny prudêmment deduicte.
Tu voirras bien (en passant le païs)
Larcins, forfaictz, laboureurs inuahiz
(Par gens de guerre) et de bien exilés,
Battus, meurtriz, iniuriés, pillés.
Voirras aussi le pucellage osté
A mainte vierge : et rauir du costé
De son mary la femme bien viuante.
La veufue aussi esplorée et dolente
Contraincte a mal. Voila ce que gendarmes
Font maintenant par leurs gentilz vacarmes.
Mais quand ilz sont de leurs païs tirez,
Dieu scait comment les verrois retirez
De leur audace, et extresme insolence.
L’vng son harnois, l’aultre iecte sa lance,
Tousiours battu, repoulsé, surmonté,
Prins prisonnier, deffrocqué, desmonté :
Et l’ennemy iamais ne desmonter
Iamais ne battre, ou par armes dompter.
-30-
Voyla, mon filz, ce qu’en guerre voirras
Au temps qui court. Qui plus est, tu n’oirras
Dire aux vaillantz et prudentz cappitaines,
Que pour leur art, et leurs extresmes peines,
Pour leur vertu, pour leur grande vaillance
Sur aultres aynt aulcune preminence.
Vertu n’est plus comme il fault honoree,
Vertu n’est plus pour ses faictz decoree.
A ceste cause, o mon filz doulx et cher,
Ie ne voy poinct que tu doibues chercher
Suiure le train de guerre maintenant.
Mais ie veulx bien que le cas aduenant
Qu’en ton pays il y eust guerre ouuerte,
Tu craignes moins de la vie la perte,
Que par cruelz et felons ennemyz
En seruitude à iamais tu soys myz.
Et est il rien plus horrible, ou estrange,
Que l’ennemy veoir qui ton pays mange ?
Et par fureur sur ton bien s’esuertue ?
Qui ta maison desrobbe, frappe, tue,
Brusle, viole, arrache de la tette
Ton sang, ton filz, ou ta fille qui tette ?
Et qui pis est, apres tout cest oultrage,
-31-
Les biens rauiz estre mis en seruage ?
Plus tost mourir au combat vaillamment
Tu doibz, que d’estre ainsi villainement
Vaincu, destruict, reduict serf miserable.
La seruitude aux bestes est sortable,
Non pas a l’homme haultain et de grand cueur,
Subiect a nul, et d’ennemys vaincueur.
Trop plus content doibz souffrir mille mors,
Que de permettre estre reduict au mords
De seruitu, seruitu trop villaine,
Non conuenante a la franchise humaine.
Iusques icy i’ay deduict en briefz termes
Reigles, et poinctz, ausquelz si te confermes,
Et si les suictz, fortune ne craindras :
Heureux seras, et au hault bien viendras
D’esprit tranquille. O mon filz, croy ton pere,
Qui par vertu a vaincu impropere
Tel, et tant grand, que malheureuse enuie
A peu forger, pour le priuer de vie.
Le fort bouclier de vertu et prudence
Contre enuieux ay eu pour resistence :
Et comme vng roc les ondes rompt et brise
Sans estre esmeu en rien : par telle guise
-32-
Des enuieux i’ay surmonté l’effort,
Et Dieu mercy me trouue le plus fort.
Si tel rampart contre enuieux tu fais
En te riant tu les voirras deffaictz :
Et ta vertu en fin sera maistresse,
Et eulx mourront de rage et de destresse.
Au demeurant, quand la fin de ton aage
Sera venue, et fauldra le passage
Commun à tous (i’entendz la mort tant dure)
Passer, a Dieu obëis, ne murmure.
La mort est bonne et nous priue du mal,
La mort est bonne, et nous oste du val
Calamiteux : et puis nous donne entree
Au ciel (le ciel des ames est contree)
Prends doncq en gré, quand d’icy partiras,
Et par la mort droict au Ciel t’en iras.
En cest endroict il ne fault auoir foy
A ceulx disantz (et ne scauent pourquoy)
L’Ame et le Corps tous deux mourir ensemble.
L’Ame est du Ciel, a son pere resemble
(C’est Dieu) qui n’ha, et ne peult auoir fin :
Aussi n’ha il l’Ame au Corps mise, affin
Qu’auec le corps par la mort soit mortelle.
-33-
Croy (et est vray) que l’Ame est immortelle,
Et que de Dieu a prins son origine,
Qui ne meurt poinct, et que mort n’extermine
De l’heritage aux biens viuantz promis,
De l’heritage ou nous serons tous myz
Par le merite (o diuine clemence)
De Iesuchrist : et en telle fiance
Meurs, quand plaira a Dieu d’icy t’ouster
Ou aultresfois luy a pleu te bouter.