Title : Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine rédigé en 851
Author : active 10th century Abu Zayd Hasan ibn Yazid Sirafi
active 9th century Sulayman al-Tajir
Illustrator : Andrée Karpelès
Translator : Gabriel Ferrand
Release date : September 30, 2021 [eBook #66430]
Language : French
Credits : Laurent Vogel, Pierre Lacaze and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
IL A ÉTÉ TIRÉ DU PRÉSENT OUVRAGE: 15 EXEMPLAIRES IMPRIMÉS EN DEUX ENCRES SUR VÉLIN D'ARCHES A LA FORME, RENFERMANT UNE DOUBLE SUITE EN NOIR ET EN BISTRE DES PLANCHES HORS TEXTE SUR PAPIER DE SOIE JAPON TYCOON, NUMÉROTÉS DE 1 A 15;
140 EXEMPLAIRES IMPRIMÉS EN DEUX ENCRES SUR VÉLIN D'ARCHES A LA FORME, NUMÉROTÉS DE 16 A 155;
1.500 EXEMPLAIRES IMPRIMÉS SUR VÉLIN BOUFFANT DES PAPETERIES DE PAPAULT, NUMÉROTÉS DE 156 A 1655.
Nº
1,093
Copyright by Éditions Bossard, 1922.
AMICISSIMO
MAURITIO GAUDEFROY-DEMOMBYNES,
DOCTISSIMO IN GALLICA LINGUARUM ORIENTALIUM
SCHOLA PROFESSORI
HUNC LIBRUM
d. d. d.
Translator.
[Pg 11]
Le manuscrit actuellement inscrit sous le nº 2281 du fonds arabe de la Bibliothèque Nationale de Paris, provient de la bibliothèque de Colbert où il entra en 1673 et fut catalogué sous le nº 6004, ainsi qu'en fait foi une note de la main du bibliothécaire, Étienne Baluze. On sait que cette riche bibliothèque passa au comte de Seignelay, petit-fils de Colbert, et entra dans la Bibliothèque Royale que continue la Bibliothèque Nationale, vers 1730. Renaudot, qui avait accès chez le comte de Seignelay, y découvrit le manuscrit en question et en publia une traduction sous le titre suivant: Anciennes relations des Indes et de la Chine de deux Voyageurs Mahométans qui y allèrent dans le IX e siècle; traduites d'arabe: avec des Remarques sur les principaux endroits de ces Relations . A Paris, chez Jean-Baptiste Coignard, 1718, in-8º, pp. XL -397 + 8 ff. n. ch. Le titre ne porte pas le nom du traducteur; il est indiqué seulement dans le privilège royal que l'auteur du livre est «le sieur Eusèbe Renaudot [1648-1720], Prieur de Frossay et de Chateaufort, l'un des Quarante de l'Académie Française». Renaudot n'avait parlé qu'incidemment du manuscrit sur lequel avait été faite sa traduction. Deguignes le retrouva dans l'ancien fonds arabe du département des manuscrits (nº 597), et lui consacra deux articles: l'un dans le Journal des Savants de novembre 1764; l'autre dans le tome I des Notices et [Pg 12] Extraits des manuscrits de la bibliothèque du Roi (1788, p. 156 et suiv.). Le texte arabe en fut publié en 1811, par Langlès, et Reinaud en donna une traduction nouvelle intitulée: Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine dans le IX e siècle de l'ère chrétienne, texte arabe imprimé en 1811 par les soins de feu Langlès, publié avec des corrections et additions et accompagné d'une traduction française et d'éclaircissements (Paris, 1845, in-12; t. I, pp. CLXXX + 154; t. II, pp. 105 + 202 de texte arabe).
Reinaud a été l'un des plus grands orientalistes du XIX e siècle. La plupart de ses travaux sont extrêmement remarquables; on les apprécie mieux encore si on se rappelle qu'à l'époque où il écrivait, les éditions de texte étaient rares: on travaillait sur manuscrit. Le premier volume de sa Géographie d'Aboulféda: Introduction générale à la géographie des Orientaux (Paris, 1848, in-4º, pp. VIII + 464), par exemple, reste toujours l'ouvrage fondamental pour l'histoire ancienne de la géographie, telle que la concevaient les auteurs musulmans. Rien de pareil n'a été écrit depuis quatre-vingts ans, sans doute parce qu'on ne pouvait mieux faire. Le jour où une nouvelle édition en sera publiée, on trouvera à y ajouter, mais sauf de légères corrections, cette magistrale étude pourra être réimprimée, tant le fond en est solide et sûr.
On ne peut en dire autant de la Relation des voyages , et c'est ce qui justifie la présente traduction. Dans sa traduction et ses commentaires, Reinaud a commis quelques erreurs géographiques graves et n'a pas su restituer la vraie leçon de plusieurs toponymes que le copiste a inexactement transcrits.
Ainsi, Kalah ou Kalâh-bâr de la péninsule malaise est identifié à la pointe de Galle de Ceylan et au Coromandel; [Pg 13] Tiyûma, l'île du sud-est de la péninsule malaise, est écrit dans le manuscrit Batûma que Reinaud a lu Betûma et qu'il place inexactement, avec Renaudot, aux environs de Madras; le pays de Ḳamâr (Reinaud a lu Comar ) est identifié au cap Comorin, alors qu'il s'agit du Khmèr ou ancien Cambodge, etc. Dans nombre de cas, la fausse leçon du texte arabe provient simplement du fait que le scribe a placé au-dessous de la lettre les points diacritiques qui devraient être mis au-dessus ou inversement. Notre connaissance plus approfondie de l'Inde, de l'Indochine et de la Chine nous permet de restituer à coup sûr l'orthographe exacte, beaucoup mieux qu'on ne pouvait le faire en 1845. La collection dans laquelle est publiée la présente traduction ne comporte pas l'utilisation de caractères orientaux; je renvoie donc pour toutes les lectures nouvelles à mes Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks relatifs à l'Extrême-Orient (Paris, in-8º, t. I, 1913; t. II, 1914) où on en trouvera la justification.
Le texte du manuscrit nº 2281 comprend deux livres. Le livre I été rédigé par Sulaymân lui-même ou par un scribe inconnu d'après les récits du marchand Sulaymân, qui effectua plusieurs voyages en Inde et en Chine. A la page 51 du texte édité par Langlès, il est dit que Sulaymân revit un fakir dans un endroit de l'Inde où il l'avait vu une première fois seize ans auparavant. Le livre II est dû à Abû Zayd Ḥasan de Sîrâf qui, vers 916, ajouta à la relation de Sulaymân des renseignements complémentaires sur l'Inde et la Chine et en rectifia les inexactitudes. Ce dernier n'est ni voyageur, ni marin; c'est un simple érudit que la géographie intéresse, qui se tient au courant de la situation politique et économique de l'Inde et de la Chine auprès des marchands, et enregistre les découvertes [Pg 14] nouvelles des gens de mer. Sîrâf, l'ancien grand port d'armement de la côte orientale du golfe Persique, représenté aujourd'hui par le bourg de Ṭâhireh qui est par 27° 38´ de latitude Nord; Sîrâf est tout à fait indiqué pour une enquête de ce genre: les marins et commerçants de l'Océan Indien tout entier y fréquentent; Chinois, Javanais, Malais, Indiens, Arabes d'Arabie, de Mésopotamie, de Socotora et de la côte orientale d'Afrique; Persans, Syriens et Byzantins viennent y échanger leurs produits et articles de commerce. Les marchands notables de Sîrâf, qui reçoivent ces étrangers, n'ignorent pas leurs mœurs et coutumes, auxquels ils se conforment scrupuleusement. Dans le dernier chapitre du livre II, Abû Zayd rapporte que, lorsque ces marchands invitent certains Indiens à un repas, l'amphitryon prend grand soin de ne pas enfreindre les tabous alimentaires de ses invités. Aux IX e et X e siècles, Sîrâf est ainsi le grand emporium maritime des mers du Sud où tous les peuples de la mer se rendent, de Sofâla de l'Afrique sud-orientale, de Djedda de la mer Rouge, de la Chine méridionale et de la lointaine Java. Dans cette mêlée des peuples les plus divers, par la race, la religion et la langue, un érudit en quête de nouvelles, trouvera tous les éléments désirables pour se documenter à souhait. Abû Zayd n'a pas manqué d'utiliser ces informateurs bénévoles et il complète heureusement la relation de voyage de Sulaymân. Vers ce IX e siècle de notre ère, l'Asie méridionale et l'Afrique orientale ont connu une activité maritime et commerciale et une prospérité sans égale dans l'histoire. C'est que règne alors en Chine, la glorieuse dynastie des T'ang (618-906); dans le sud de Sumatra, la grande dynastie des Çailendra de Çrîvijaya (le Che-li-fo-che des Chinois, le Sribuza des Arabes), inconnue hier encore et dont j'espère écrire [Pg 15] bientôt l'histoire (cf. Journal Asiatique , juillet-août 1919, pp. 149-200); à Baghdâd, les illustres Khalifes abbassides Hârûn ar-Rašîd (786-809) et son fils Al-Mâmûn (813-833), tous deux contemporains de Charlemagne. Commerce, navigation, arts, lettres, sciences ont été pratiqués alors par les Chinois, Indiens, Malais et Arabes avec un égal succès. Dans son Dictionary of Islam , T. P. Hughes qualifie de «période augustinienne de la littérature arabe», le règne de Al-Mâmûn; mais par un heureux synchronisme, cette appréciation peut s'appliquer à presque toute l'Asie méridionale. Au Khmèr, l'ancien Cambodge, Jayavarman II meurt en 869 après un règne de 67 ans. Jayavarman III lui succède; puis Indravarman I er qui commencera la merveilleuse construction d'Angkor. Le Čampa voisin, l'actuel Annam, a atteint, à cette époque, un haut degré de culture. A Java, vers la fin du IX e siècle, le centre de l'île occupé depuis une centaine d'années par le Çailendra de Sumatra, recouvre son indépendance: on y élèvera bientôt le célèbre Boro-Budur.
Quelque douze siècles auparavant, vers le IV e ou III e siècle avant notre ère, des gens du Kaliṅga de la côte orientale de l'Inde se rendent en Birmanie, au Cambodge, au Čampa et dans l'Indonésie occidentale (Sumatra-Java). Ils y introduisent non pas une langue dravidienne, mais leur langue littéraire: le sanskrit—le fait est notable et j'y reviendrai ailleurs,—leurs religion, arts, mœurs et coutumes. Cette haute culture, implantée en pleine sauvagerie, s'est développée sans arrêt, et on ne sait ce qu'il faut admirer le plus, du zèle des maîtres ou de l'application des élèves à retenir leurs enseignements. On s'étonne et on regrette qu'un poète sumatranais ou javanais, khmèr ou čam n'ait pas manifesté sa gratitude à l' Alma [Pg 16] mater indienne par une Prière sur l'Acropole , devant la chaussée des Géants d'Angkor ou les terrasses du Boro-Budur; sans doute n'est-il pas encore né de Renan en Indochine ou en Indonésie. L'Inde a même perdu jusqu'au souvenir de son antique mission civilisatrice. Dans son magistral mémoire: Pour l'histoire du Râmâyaṇa (Paris, 1918, p. 153), Sylvain Lévi le remarque discrètement: «Nous avons lu dans notre itinéraire le nom de Java; on peut lire toute la suite de la littérature sanskrite sans soupçonner, fût-ce même par une simple allusion, l'existence des grands royaumes indochinois, Cambodge et Čampa, où l'Inde avait apporté ses dieux, ses arts, sa langue littéraire, enfin l'appareil complet de sa civilisation.» Mais il semble bien que les temps sont changés: les jeunes générations indiennes élevées à l'école occidentale ont maintenant conscience du grand passé de leur pays; les leçons des maîtres européens ont porté leur fruit. La jeune Inde, qui a pris pour devise: Swarajya is my birthright , a le devoir de justifier ses aspirations dans tous les domaines.
Je publierai prochainement dans le t. III de mes Relations de Voyages , une carte arabe du XII e siècle représentant l'Océan Indien, la mer de Chine et les mers du grand archipel d'Asie, tels qu'on les concevait à cette époque. Elle a été établie d'après les cartes originales du manuscrit 2222 du fonds arabe de la Bibliothèque Nationale et d'un manuscrit identique d'Oxford, contenant la géographie du monde connu à cette époque et dressée en 1154 par le géographe arabe Abû ʿAbdallah aš-Šerîf al-Idrîsî, plus connu sous le nom de Edrîsî—il était né à Ceuta en 1099 et mourut vers 1154.—Ptolémée fait des mers précédentes une unique mer intérieure entourée de terres de tous côtés. A cet effet, la côte orientale d'Afrique, à partir [Pg 17] du cap Guardafui, est orientée d'Ouest en Est, et son extrémité est reliée à la Chine extrême-orientale. Dix siècles après le géographe d'Alexandrie, Edrîsî reproduit servilement la configuration de cet océan austral et n'y apporte que la légère modification suivante: cette mer intérieure est ouverte en Extrême-Orient et mise en communication avec l'Océan Environnant le monde, autre légende grecque. Plusieurs textes arabes disent, en effet, que l'Océan Environnant n'est pas autre chose que l'Ὠκεανός des Grecs. La projection de la côte orientale d'Afrique d'Ouest en Est a considérablement diminué l'étendue de l'Océan Indien et des mers voisines, et le dessin des terres continentales et insulaires en a été profondément modifié. La péninsule indienne a à peu près complètement disparu; les îles de l'Indonésie occidentale sont réparties de la 7 e section à la 10 e ; Sumatra est morcelée en plusieurs îles dont l'une, l'île de Ḳomor ou Malây, est un composé de Madagascar, de la péninsule malaise et de la Birmanie, que le cartographe situe au sud de l'Inde orientale et de la Chine. Un certain nombre d'îles mentionnées par Edrîsî n'ont pas été identifiées encore. Enfin, la division du monde en climats et des climats en dix sections s'étendant de l'Extrême-Occident à l'Extrême-Orient, est également un emprunt aux anciens géographes grecs.
Comme les cartographes musulmans qui l'ont précédé, Edrîsî et ses successeurs orientent leurs cartes le Sud en haut de la feuille; le Nord, au bas; l'Ouest, à la droite du lecteur, et l'Est, à sa gauche, à l'inverse des nôtres. Cette disposition que reproduisent certaines cartes de notre Moyen Age, a été initialement empruntée aux Chinois par les Musulmans qui l'ont transmise à l'Europe.
[Pg 18]
L'itinéraire suivi par le marchand Sulaymân pour se rendre du golfe Persique en Chine, est assez nettement indiqué pour pouvoir être suivi sur les cartes modernes. De Sîrâf, le voyageur se rend à Mascate; de Mascate à Kûlam du Malabar (l'actuel Quilon); de Kûlam, dans le golfe du Bengale en passant par le détroit de Palk, au nord de Ceylan, et on fait escale à l'île Langabâlûs (l'une des Nicobar); de Langabâlûs à Kalah ou Kalâh-bâr (le port de Kra ou Krah de la côte occidentale de l'isthme de ce nom, un peu au-dessus du 10 e degré Nord, sur la péninsule malaise); de Kalah à l'île de Tiyûma (l'île de Tioman actuelle, dans le Sud-Est de la péninsule malaise); de Tiyûma à Kundrang (vraisemblablement à l'embouchure de la rivière de Saïgon, au cap Saint-Jacques); de Kundrang au Čampa, c'est-à-dire à la capitale du Čampa à cette époque; de Čampa à Čundur-fûlât ou îles de Čundur qui ne peut guère se situer qu'à l'île de Hainan; et de Čundur-fûlât, par le détroit appelé Portes de la Chine , à Ḫânfû ou Canton. La dernière partie de l'itinéraire prête à discussion, mais on ne saurait l'entreprendre ici; cette question sera traitée dans une autre publication avec le témoignage des textes orientaux nécessaires. Des indications concordantes sont fournies par Ibn Ḫordâdzbeh (844-848), Ibn al-Faḳîh [902), Ibn Rosteh (vers 903), Masʿûdî ( Les Prairies d'or , 943; Le livre de l'avertissement , 955) et d'autres encore. Je renvoie pour tous ces textes à mes Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks relatifs à l'Extrême-Orient , où ils ont été réunis et commentés.
Sulaymân n'indique pas la durée du voyage pour la traversée du golfe Persique, mais de Mascate en Chine seulement. Au total, à partir de Mascate, il fallait compter plus de 4 mois, ainsi répartis:
[Pg 19]
de Mascate au détroit de Palk
1 mois
de Quilon du Malabar à Kra
1 —
de Kra à l'île de Tioman
10 jours
de Tioman à Kundrang (cap Saint-Jacques?)
10 —
de Kundrang à Čampa
10 —
de Čampa à Čundur-fûlât (Hainan?)
10 —
de Čundur-fûlât à Ḫânfû-Canton
1 mois
C'était donc quelque cinq mois pour la traversée de bout en bout, de Sîrâf à Ḫânfû.
En tenant compte des rectifications apportées à la traduction de Reinaud, on pourra lire avec fruit le discours préliminaire placé en tête du tome I de sa Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine (p. I-CLXXX ). Les notes de Reinaud sur nombre de passages du texte sont également à lire et on y renvoie une fois pour toutes.
Le texte du livre I du manuscrit 2281 est mauvais; son rédacteur savait mal l'arabe et la traduction en est vraiment malaisée. On a tenté d'en rendre le sens en se tenant aussi près que possible de l'original et en utilisant naturellement la version de Reinaud. Le livre II qui a pour auteur Abû Zayd Ḥasan, est moins incorrect, mais laisse encore à désirer. Dans les deux cas, il s'agit d'un manuscrit unique dont aucun autre exemplaire n'a été retrouvé.
Le manuscrit 2281 a été copié sur un manuscrit acéphale. Son propriétaire ou le copiste ont remplacé le commencement du texte par quelques lignes de leur cru, en y ajoutant un titre nouveau. Ce début apocryphe de vingt lignes a été imprimé en italique. Je lui ai restitué son véritable titre, ainsi que l'avait justement indiqué Reinaud. On a également comblé la lacune dans la description des mers, en empruntant des passages identiques à [Pg 20] des auteurs contemporains: Ibn Wâdhih qui dicitur Al-Jaʿqûbî, Historiae (éd. M. Th. Houtsma, t. I, Leyde, 1883, in-8º, p. 207) et Masʿûdî ( Les Prairies d'or ). Ces additions qui complètent le texte de Sulaymân, ont été placées entre parenthèses carrées []. On trouvera au glossaire les renseignements nécessaires pour l'explication des termes techniques et la situation des toponymes peu connus. Enfin, un index analytique facilitera les recherches.
Les renseignements que fournissent les deux livres sur l'Inde et la Chine sont, en certains cas, manifestement inexacts, notamment en ce qui concerne l'anthropophagie des Chinois. C'est une vue de ces deux pays par un oriental de race, langue et religion différentes. J'ai l'intime conviction que ni Sulaymân, ni les informateurs de Abû Zayd n'ont sciemment altéré la vérité. Tous ceux qui ont vécu en Orient et en Extrême-Orient ont entendu conter des histoires non moins merveilleuses que celles qui sont relatées dans le manuscrit 2281, le Livre des Merveilles de l'Inde (texte arabe par van der Lith, trad. franç. de M. Devic, Leyde, 1883-86, in-4º) et dans tant d'autres ouvrages arabes du même genre (cf., par exemple, celle que j'ai rapportée dans la préface de mes Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks , t. I, p. II ). On en conclut que l'oriental a une tendance particulière à transporter les faits les plus simples sur le plan du merveilleux; que le marin et le voyageur orientaux sont plus imaginatifs encore que leurs compatriotes sédentaires. Mais il faut se rappeler aussi que Sulaymân et Abû Zayd vivaient aux IX e et X e siècles de notre ère et que notre moyen âge a connu de semblables déformations de la réalité. Ces croyances n'ont, du reste, pas disparu: elles vivent encore dans le folk-lore des campagnes de l'Europe occidentale et on peut recueillir tous [Pg 21] les jours des témoignages de leur persistance dans les récits légendaires de nos populations rurales. En fait, l'humanité tout entière est avide de merveilleux et l'Orient et l'Occident se rencontrent dans leurs mêmes rêves de souverains bienfaisants, de richesses obtenues par miracle, de triomphe du bien sur le mal, d'aide donnée par des génies secourables à l'innocent persécuté. Sans doute, dit le proverbe, «le vice est toujours puni»; mais «la vertu aussi», répliquait notre grand Flaubert. Et la vie, la dure vie moderne se charge impitoyablement de nous mettre en garde contre de telles illusions. Ces illusions charmantes ont été celles de notre enfance, et je plains sincèrement ceux qui n'en ont pas été les victimes ravies, trop tôt désillusionnées.
Vers le commencement du livre II, dans la conversation de l'arabe Ibn Wahab avec le roi de la Chine, Abû Zayd rapporte que ce dernier aurait classé son pays après celui des Arabes. L'erreur est manifeste pour des raisons historiques: l'un des noms de la Chine est Tchong kouo «le Royaume du Milieu», c'est-à-dire le royaume qui est au centre du monde; et, en dehors de la Chine, il n'est que des Barbares. C'est ainsi que les Grecs et les Arabes répartissaient aussi les peuples de l'univers. Il est donc tout à fait impossible qu'un empereur chinois ait pu donner au khalife arabe de Baghdâd, la première place qu'il revendiquait traditionnellement lui-même pour sa dynastie et son propre pays, en sa qualité de Fils du Ciel, souverain de l'Empire du Milieu. L'erreur de Ibn Wahab est certainement voulue, car il ne pouvait pas, à son tour, accorder la première place parmi les souverains et les peuples, au roi d'un pays infidèle, infidèle lui-même, au détriment du khalife abbasside et du peuple arabe élus d'Allah.
[Pg 22]
Les lettres orientales qui n'ont pas d'équivalent en français ont été transcrites:
Le t à trois points, par th anglais, comme dans think ;
Le djîm , par j anglais = dj ;
La spirante sourde, par ḥ ;
La spirante vélaire sourde qui se prononce comme le ch de l'allemand acht , par ḫ ;
Le dzâl , par dz ;
La sifflante palatale par š ;
Les quatre emphatiques suivantes par ṣ , ḍ , ṭ , ẓ ;
La spirante sonore ʿayn , par l'esprit rude ʿ ;
La spirante vélaire sonore ghayn , par gh ;
L'occlusive arrière-vélaire sourde, par ḳ ;
Le son français tch , par č .
Les voyelles longues arabes sont indiquées par l'accent circonflexe.
La pagination entre parenthèse renvoie au texte arabe édité par Langlès.
J'adresse, enfin, de cordiaux remerciements à mes confrères et amis, M. Gaudefroy-Demombynes pour ses précieux conseils dans la traduction de ce texte, et Paul Pelliot, auquel je dois d'utiles indications pour tout ce qui a trait à la Chine.
On admirera, j'en suis certain, les illustrations de ce livre où Mlle Andrée Karpelès s'est montrée, une fois de plus, interprète parfaite de l'Orient.
[Pg 23]
Ce livre renferme ( p. 2 ) une chaîne des histoires (c'est-à-dire un enchaînement d'histoires ayant un rapport l'une avec l'autre) des pays, des mers, de [différentes] espèces de poissons. On y trouve également une description de la sphère, des merveilles du monde; la position géographique des pays et leurs parties habitées, [une description] des animaux, des merveilles et d'autres choses encore. C'est un livre précieux.
Chapitre ayant trait à la mer qui se trouve entre l'Inde occidentale, le Sind, [le pays] de Gog et de Magog (c'est-à-dire l'Asie orientale au nord de la Chine), la montagne Ḳâf (la montagne mythique qui entoure le monde), le pays de Sirandîb (Ceylan) et [le pays de] la victoire de Abû Ḥubayš. Cet Abû Ḥubayš ( p. 3 ) est un homme qui vécut jusqu'à l'âge de 250 ans. Une année, il se rendit dans le [pays de] Magog et il y vit le sage As-Sawâḥ. Celui-ci l'emmena à la mer, lui fit voir un poisson [Pg 24] [sur le dos duquel s'élevait quelque chose] ressemblant à une voile de navire. Parfois, la tête du poisson émergeait et on voyait alors quelque chose d'énorme. Parfois, il rejetait de l'eau par ses évents, et [on apercevait une colonne d'eau] aussi haute qu'un immense minaret [de mosquée]. Lorsque la mer était calme et que les poissons se rassemblaient de toutes parts, il les rassemblait avec sa queue; puis, il ouvrait la bouche, et on voyait alors les poissons [se précipiter] dans son ventre et disparaître comme dans un puits. Les navires qui naviguent dans cette mer craignent ce poisson; aussi, pendant la nuit, font-ils du bruit avec des crécelles, comme celles dont se servent les chrétiens [pour appeler à la prière], pour tâcher d'empêcher que le poisson ne s'appuie sur le navire et ne le fasse couler.
Il y a dans cette mer, un poisson que nous pêchâmes et dont la longueur (p. 4) est de 20 coudées. Nous lui ouvrîmes le ventre et nous en fîmes sortir un autre poisson de la même espèce. Nous ouvrîmes ensuite le ventre du second poisson et il s'y trouvait encore un troisième poisson de la même espèce. Tous ces poissons étaient vivants et frétillaient; ils ressemblaient l'un à l'autre, ayant la même forme.
Le grand poisson dont il vient d'être question et qui s'appelle wâl , a, malgré son énorme taille, pour parasite un poisson appelé lašk qui n'a qu'une coudée de long. Tandis que le wâl fait le maître, sévit sur la mer et détruit les poissons, il est dominé par ce petit poisson [qui se fixe] à la naissance de l'oreille du wâl et y reste attaché jusqu'à ce que celui-ci en meure. Le lašk s'attache également aux navires et le gros poisson n'ose plus en approcher, tant il a peur du petit poisson.
On trouve également dans cette mer un poisson dont [Pg 25] on dit qu'il a une face humaine et qu'il vole au-dessus de l'eau. Le nom de ce poisson est (p. 5) mayj (ou mîj ). Un autre poisson qui se tient dans l'eau, guette le poisson volant et quand ce dernier retombe à la mer [après avoir volé au-dessus de l'eau], il l'avale. Ce poisson s'appelle anḳatûs . Au reste, tous les poissons se mangent les uns les autres.
[La Chine, dit Yaʿḳûbî, est un pays immense. Si [du golfe Persique], on veut se rendre en Chine par mer, il faut traverser sept mers. Chacune de ces mers a sa couleur, son vent, ses poissons, ses brises qui lui sont propres et qui ne se retrouvent pas dans la mer suivante. La première mer est la mer du Fârs (ou de Perse; c'est le golfe Persique) sur laquelle on s'embarque à Sîrâf et qui se termine à Râs al-jumjuma («le cap du crâne», plus connu sous le nom de Râs al-ḥadd, «le cap de la limite, de la frontière»). Elle est étroite; on y trouve des pêcheries (littéralement: des plongeries) de perles.] [1]
[1] Cf. mes Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks , t. I, p. 49.
[La mer du Fârs, dit Masʿûdî dans son Livre des prairies d'or et des mines de pierres précieuses , s'étend jusqu'à Obolla, les Barrages et ʿAbbadân qui font partie du territoire [Pg 26] de Baṣra. Ce golfe a 1.400 milles de long et 500 milles de large là où il prend naissance; parfois, sa largeur entre les deux côtes est de 150 milles [seulement]. Ce golfe a la forme d'un triangle dont le sommet est à Obolla. Le côté oriental du triangle est constitué par la côte persane [où sont situés successivement] le pays de Dawraḳ al-Furs («le vase à goulot des Persans»), la ville de Mahrubân, Sînîz où se fabriquent les tissus brochés et autres étoffes appelés sînîzî (provenant de Sînîz); la ville de Jannâbâ qui donne son nom aux étoffes dites jannâbî (provenant de Jannâbâ); la ville de Najîram qui est sur le territoire de Sîrâf, et le pays des Banû ʿAmâra. Vient ensuite la côte du Kirmân ou pays de Hormûz—Hormûz est située en face de la ville de Sinjâr, dans l'ʿOmân.—Dans le prolongement de la côte du Kirmân et immédiatement après, suit la côte du pays du Makrân, habité par les hérétiques nommés Šurâ; ce pays abonde en palmiers. Puis, c'est Tîz [la capitale] du Makrân; puis, la côte du Sind où sont les bouches du Mihrân (l'Indus), principal fleuve de cette contrée, dont nous avons fait mention précédemment. Dans ces parages, s'élève la ville de Daybul; c'est là que la côte de l'Inde occidentale se joint au territoire de Barûč (l'ancienne Bharukaččha , la Bαρὑγαζα de Ptolémée, le Broach des cartes modernes) où l'on fabrique des lances dites barûčî (provenant de Barûč); enfin, la côte se prolonge sans interruption, tantôt cultivée, tantôt en friche, jusqu'en Chine. Sur la rive opposée aux côtes du Fârs (la Perse), du Makrân et du Sind, se trouvent le pays de Baḥrayn, les îles de Ḳaṭr, le littoral des Banû Judzayma, le pays de ʿOmân, le territoire des Mahara [qui se prolonge] jusqu'au territoire de Râs al-jumjuma (ou Râs al-ḥadd), qui fait partie du territoire de Šiḥr et [Pg 27] de Al-Aḥḳâf («le pays des bandes de sable disposées en courbe»). Le golfe [Persique] renferme plusieurs îles telles que l'île de Ḫârak, nommée aussi pays de Jannâbâ, parce qu'elle fait partie de ce territoire et qu'elle est à peu de parasanges de Jannâbâ; c'est dans cette île que l'on pêche les perles connues sous le nom de ḫârakî (ou perles de Ḫârak). Telle est aussi l'île de Owâl, habitée par les Banû Maʿan, les Banû Mismâr et plusieurs autres tribus arabes; elle n'est qu'à une journée ou même moins des villes de la côte de Baḥrayn. Sur cette côte, qui prend le nom de côte de Hajar, s'élèvent les villes de Zâra et de Ḳaṭîf; à la suite de l'île de Owâl viennent plusieurs autres îles, entre autres celle de Lâfat, ou île des Banû Kâwân, qui fut conquise par ʿAmr bin al-ʿÂṣ, et l'on y voit encore [en 943], une mosquée qui porte son nom; cette île est bien peuplée, couverte de villages et de plantations. Dans son voisinage est l'île de Hinjâm où les marins font leur approvisionnement d'eau; non loin de là sont les îlots connus [par le dicton]: «Kusayr, ʿUwayr et un troisième [îlot] qui ne vaut pas mieux»; et enfin le durdûr (tourbillon) connu sous le nom de Durdûr de Musandam, auquel les marins donnent le sobriquet de Abû Ḥumayr («le père du petit âne»). Ces endroits de la mer sont des îlots noirs qui émergent dans l'air; ils ne renferment ni végétation ni être animé, et sont entourés par une mer profonde, dont les vagues furieuses frappent d'épouvante le navigateur qui s'en approche. Ces [dangereux] parages, compris entre l'ʿOmân et Sîrâf, sont sur la route directe des bâtiments, qui ne peuvent éviter de s'engager au milieu de ces îlots; les uns se trompent [de route et font naufrage], les autres [prennent la bonne route et] arrivent à destination. Cette mer du golfe [Pg 28] Persique, baigne, ainsi qu'on vient de le voir, le Baḥrayn, la Perse, Baṣra, l'ʿOmân et le Kirmân [et se prolonge] jusqu'à Râs al-jumjuma (ou Râs al-ḥadd)... [2] ]
[2] T. I, pp. 238-241; texte et trad. par Barbier de Meynard et Pavet de Courteille.
[La seconde mer, dit Yaʿḳûbî, qui commence à Râs al-jumjuma, est appelée mer Lârwî (ou mer du pays de Lâr, c'est-à-dire du Guzerate); c'est une grande mer; elle contient les îles du Waḳwâḳ et d'autres peuples du Zang. Dans ces îles, il y a des rois. On ne peut naviguer dans cette mer qu'en se guidant sur les étoiles. Elle contient de grands poissons, de nombreuses merveilles et des choses indescriptibles [3] .]
[3] Cf. mes Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks , t. I, p. 49.
[De Râs al-jumjuma (ou Râs al-ḥadd), dit Masʿûdî, les navires, quittant le golfe Persique, passent dans la seconde mer ou mer Lârwî (mer du Lâr ou Guzerate). On n'en connaît pas la profondeur, et on n'en peut déterminer exactement les limites à cause de l'abondance de ses eaux et de son immensité; bien des marins prétendent qu'il est difficile d'en donner une description géographique, tant est grande la multitude de ses ramifications. Toutefois, les navires la traversent communément en deux ou trois mois, quelquefois même en un mois, lorsque le vent est favorable et l'équipage en bonne santé, bien que ce soit la plus considérable et la plus orageuse de toutes les mers réunies sous le nom collectif de mer d'Abyssinie. Elle comprend dans son immensité la mer du Zang (ou côte orientale d'Afrique), et baigne les côtes de ce pays. L'ambre est rare dans la [Pg 29] mer Lârwî, mais il se trouve en grande quantité sur les côtes du Zang et sur le littoral de Šiḥr en Arabie. Les habitants de ce dernier pays sont tous des descendants de Ḳuḍâʿa bin Malik bin Ḥimyar mêlés à d'autres Arabes; on les comprend tous sous le nom de Mahara. Ils ont une chevelure épaisse et tombant sur les épaules; leur langage diffère de celui des Arabes. Ainsi ils mettent le šîn ( š ) à la place du kâf ( k )... Ils sont pauvres et misérables, mais ils ont une race excellente de chameaux, connue sous le nom de race du Mahara, qu'ils montent la nuit, et qui, pour la vitesse, égalent les [Pg 30] chameaux des Bogas (ou Bejas de la côte occidentale de la mer Rouge) et les dépassent même, d'après l'avis de bien des personnes. Ils se rendent avec eux au rivage de la mer, et aussitôt que le chameau aperçoit l'ambre que les flots ont rejeté, il s'agenouille, ainsi qu'il y est dressé, et le cavalier le ramasse. Le meilleur ambre est celui qui se trouve dans les îles et sur les côtes de la mer du Zang; il est rond, d'un bleu pâle, quelquefois de la grosseur d'un œuf d'autruche ou d'un volume un peu moindre. Il y a des morceaux qui sont avalés par le poisson appelé awâl , dont nous avons déjà parlé; lorsque la mer est très agitée, elle vomit de son sein des fragments d'ambre presque aussi gros que des quartiers de roche. Ce poisson les engloutit, en meurt étouffé et surnage ensuite sur les flots. Aussitôt des hommes du Zang ou d'autres pays, qui attendent sur des canots le moment favorable, attirent à eux l'animal avec des harpons et des câbles, lui fendent le ventre et en retirent l'ambre; celui qui était dans les entrailles exhale une odeur nauséabonde, et les parfumeurs de l'ʿIrâḳ et de la Perse le connaissent sous le nom de nadd ; mais les fragments qui se trouvent près du dos sont d'autant plus purs qu'ils ont séjourné plus longtemps dans l'intérieur du corps [4] .]
[4] Livre des prairies d'or , t. I, pp. 332-335.
[Vient ensuite la mer Lârwî, dit encore le même auteur, sur les côtes de laquelle se trouvent les villes de Ṣaymûr, Sûbâra (ancien port de Surparaka, près de Bombay), Tâna (près de Bombay), Sindân, Kanbâya (l'actuelle Cambaye au fond du golfe de ce nom) et d'autres encore, faisant partie de l'Inde occidentale et du Sind [5] .]
[5] Ibid. , p. 330.
[Pg 31]
La troisième mer est la mer de Harkand (golfe du Bengale). Entre cette mer et la mer de Lâr (Guzerate) gisent de nombreuses îles (les Laquedives et les Maldives). On dit que leur nombre s'élève à dix-neuf cents. Ces îles séparent ces deux mers l'une de l'autre. Elles sont gouvernées par une femme. Parfois, [la mer jette sur les côtes] de ces îles de gros morceaux d'ambre; ces morceaux ont quelquefois l'aspect d'une plante ou de quelque chose de semblable. Cet ambre pousse, comme une plante, au fond de la mer. Quand la mer est très houleuse, elle projette l'ambre du fond [à la surface], [et ces morceaux d'ambre] ont la forme de champignons et de truffes.
Dans ces îles que gouverne une femme, on cultive le cocotier (p. 6). Ces îles sont distantes l'une de l'autre de deux, trois ou quatre parasanges. Elles sont toutes habitées et on y cultive le cocotier. La richesse des habitants est constituée par des cauris; leur reine amasse de grandes quantités de ces cauris dans les dépôts royaux. On dit qu'il n'existe pas de peuple plus industrieux que [Pg 32] ces insulaires, au point qu'ils tissent des tuniques d'une seule pièce, avec les deux manches, les deux parements du collet et l'ouverture de la poitrine. Ils construisent des navires, des maisons et exécutent toutes sortes de travaux avec un art consommé.
[Pg 33]
Les cauris leur viennent à la surface de la mer; [le têt de ce mollusque] renferme quelque chose qui vit. [Pour les pêcher], on prend un rameau de cocotier qu'on place sur la surface de l'eau et les cauris s'y attachent. Les insulaires désignent les cauris sous le nom de kabtaj .
La dernière de ces îles est celle de Sirandîb (Ceylan); elle est située dans la mer de Harkand; c'est l'île la plus importante de cet archipel.
(P. 7.) On désigne toutes ces îles (les Laquedives et les Maldives) sous le nom de Dîbajât. A Sirandîb se trouve une pêcherie (litt. une plongerie) de perles. L'île est complètement entourée par la mer. Dans l'île, se trouve une montagne appelée Rahûn, sur laquelle fut jeté Adam—sur lui soit le salut!—[quand il fut chassé du paradis terrestre]. [La trace de] son pied est sur le sommet de la montagne, gravée en creux dans la pierre; au sommet de la montagne, il n'y a que la marque d'un seul pas. On dit qu'Adam—sur lui soit le salut!—en faisant une enjambée, posa son autre pied dans la mer. On dit encore que [la trace du] pied qui se trouve au sommet de la montagne est d'environ soixante et dix coudées [de long].
Autour de cette montagne est une région où on trouve en abondance des pierres précieuses: le rubis, la topaze et le saphir.
Dans l'île de Sirandîb, il y a deux rois; elle est grande et large. On y trouve l'aloès, de l'or, des pierres précieuses, et, dans la mer qui la baigne, la perle et le šank . Celui-ci [est un grand coquillage utilisé comme] trompette dans lequel (p. 8) on souffle; on le conserve comme une chose précieuse.
Lorsque, dans cette mer de Harkand, on a fait route en venant de Sirandîb, [on rencontre] des îles peu nombreuses, [Pg 34] mais immenses, sur lesquelles on n'a pas de précisions. [L'une d'elles est] l'île de Râmnî où règnent plusieurs rois. Son étendue est, dit-on, de 800 ou 900 parasanges [carrées]. On y trouve des mines d'or et [du camphre] appelé [camphre de] Frančûr, qui est le camphre de meilleure qualité.
Ces îles sont suivies d'autres îles, dont l'une est appelée l'île de Nias. On trouve dans ces îles de l'or en quantité. Les habitants se nourrissent de cocos. Ils s'en servent dans la préparation de leurs mets; ils s'enduisent le corps [d'huile de coco].
Lorsque l'un d'eux veut se marier, il ne peut le faire que s'il possède le crâne d'un homme d'entre les ennemis de sa tribu. S'il a tué deux ennemis, il épouse deux [femmes]; s'il a tué cinquante ennemis (p. 9), il épouse cinquante femmes [de sa tribu] pour les cinquante crânes [d'ennemis]. La cause de cette coutume est que les gens de cette île ont un grand nombre d'ennemis; celui, donc, qui est le plus intrépide chasseur de crânes est le plus estimé par ses compatriotes.
Dans cette île, c'est-à-dire dans l'île de Râmnî, on trouve des éléphants en grand nombre, du bois du Brésil et des bambous. Il s'y trouve également une peuplade d'anthropophages. Cette île est baignée par deux mers: la mer de Harkand et la mer de Šalâhiṭ (mer du détroit de Malaka).
Après cette île, gisent des îles appelées Langabâlûs (les îles Nicobar), à population dense. Les hommes et les femmes vont nus, mais celles-ci [recouvrent] la partie du corps comprise entre le nombril et les genoux avec des feuilles d'arbre. Lorsque des navires passent près des côtes de ces îles, les hommes vont à leur rencontre dans des pirogues, petites et grandes, et échangent avec [Pg 35] les marins étrangers de l'ambre et des cocos contre du fer. Ils n'ont aucun besoin de vêtements, car, dans ce pays, il ne fait ni chaud (p. 10), ni froid.
Au delà des îles Langabâlûs, gisent deux îles séparées par une mer appelée mer d'Andâmân. Les indigènes de ces deux îles [sont anthropophages et] mangent les hommes vivants. Ils ont le teint noir, les cheveux crépus, le visage et les yeux horribles, de longs pieds. Le pied de l'un d'entre eux est d'environ une coudée de long. Ils vont nus; ils n'ont pas de pirogues. S'ils avaient des pirogues, ils iraient manger tous ceux qui passent près des côtes de leurs îles. Parfois, les navires restent en panne et ne peuvent pas faire route à cause de [l'absence de] vent. Lorsque la provision d'eau des marins est épuisée, ceux-ci se rendent auprès de ces insulaires pour leur demander de l'eau. Parfois les insulaires s'emparent de quelques marins, mais beaucoup leur échappent.
Au delà de cette île [de l'archipel des Andâmân], se trouvent des montagnes qui ne sont pas sur la route [des navires se rendant en Chine]; on dit qu'elles contiennent des mines d'argent, qu'elles sont inhabitées (p. 11) et que les navires qui veulent s'y rendre n'y parviennent pas tous. Pour arriver à ces montagnes argentifères, on est guidé par une montagne appelée Al-Ḫušnâmî . Un navire passant dans le voisinage, les marins l'aperçurent et firent route dans sa direction. [Arrivés près de la montagne, ils mouillèrent], et le lendemain matin, ils descendirent à terre dans une embarcation. Ils firent du bois et allumèrent du feu. [Sous l'action du feu auquel était soumis le minerai argentifère], une coulée d'argent se produisit, et les marins apprirent ainsi qu'il y avait là de l'argent en [Pg 36] abondance. Ils emportèrent autant d'argent qu'ils le voulurent, mais dès qu'ils furent revenus à bord [avec cet argent], la mer devint houleuse et ils furent obligés de jeter à l'eau tout ce qu'ils en avaient emporté. Depuis cette expérience, des gens organisèrent une expédition à destination de cette montagne argentifère, mais on ne put pas la retrouver. Ces sortes d'aventures sont fréquentes sur la mer. Elles sont innombrables, les îles interdites que les marins ne retrouvent plus; parmi ces îles, il y en a même où il leur est impossible de se rendre [par suite de l'interdiction magique qui les défend contre toute intrusion].
Parfois, on aperçoit dans cette mer [de Harkand] un nuage blanc qui couvre les navires de son ombre; le nuage projette une [sorte de] langue, longue et mince, qui s'allonge jusqu'à ce qu'elle (p. 12) vienne au contact de la mer; alors, la mer se met à bouillonner, [et ce météore] prend l'aspect d'une trombe terrestre qui soulève la poussière et l'élève en colonne. Lorsque cette trombe marine atteint un navire, elle l'absorbe. Ensuite, le nuage monte à une plus grande hauteur et il pleut; l'eau de pluie contient des parcelles provenant de la mer. Je ne sais pas si le nuage emprunte cette eau à la mer ou si ce phénomène se produit autrement.
Chacune de ces mers [orientales] est rendue houleuse par un vent qui l'agite et la rend houleuse au point qu'elle arrive à bouillonner comme l'eau bouillonne dans une marmite. Alors, elle vomit ce qu'elle contenait et le porte sur les côtes des îles qui gisent dans la mer dont il s'agit; elle brise les navires et vomit des poissons morts gigantesques. Parfois, la mer rejette des rochers et des montagnes de la même manière que l'arc envoie la flèche.
[Pg 37]
Quant à la mer de Harkand, il y règne un autre vent que celui-ci, lequel souffle de l'Ouest [ou de l'un des rumbs de l'Ouest] jusqu'au Nord-Nord-Ouest. [Quand il souffle], la mer se met à bouillir comme bout [l'eau dans] la marmite, et elle vomit (p. 13) beaucoup d'ambre. L'ambre est d'autant plus beau que la mer est plus étendue et plus profonde. Quand cette mer, c'est-à-dire la mer de Harkand, est très houleuse, on voit [à sa surface] comme un feu qui flambe. Il y a, dans cette mer, un poisson appelé luḫam ; c'est une bête féroce qui avale les hommes.
(
Lacune d'un ou de plusieurs feuillets.
)
..... Les marchandises [de la Chine n'arrivent qu'] en petite quantité [à Baṣra et à Baghdâd]. L'importation de ces marchandises est peu importante [en pays arabe], à cause des fréquents incendies qui éclatent à Ḫânfû (Canton) [et en détruisent les approvisionnements préparés pour l'exportation]. La ville de Ḫânfû est l'échelle des navires [chinois et étrangers] et l'entrepôt où sont réunies les marchandises des Arabes et des Chinois. Les incendies y détruisent les marchandises, parce que les maisons y sont construites en bois et en roseaux fendus [qui sont facilement inflammables]. Parmi les causes [de la rareté des marchandises chinoises en pays arabe], il faut également mentionner les naufrages des navires [qui effectuent les voyages entre la Chine et le golfe Persique], à l'aller et au retour; les pillages dont ils sont victimes [en cours de route], et les longs séjours que doivent obligatoirement faire [les navires dans les ports intermédiaires], ce qui oblige [les marchands ayant pris passage] à vendre leurs marchandises avant d'arriver à destination en pays arabe. Parfois, le vent chasse (p. 14) [Pg 38] les navires jusqu'au Yémen ou dans d'autres pays où sont alors vendues les marchandises. Parfois encore, un long séjour dans un port est nécessaire pour réparer des avaries ou pour quelque autre mésaventure.
Le marchand Sulaymân rapporte ce qui suit: à Ḫânfû, qui est le rendez-vous des marchands, le souverain de la Chine a conféré à un musulman l'administration de la justice entre ses coreligionnaires venus dans le pays [avec l'assentiment] du roi de la Chine. Les jours de fête, ce personnage dirige les prières rituelles des musulmans, récite le [prône du vendredi] dit ḫuṭba et adresse des vœux à Allah en faveur du sultan des musulmans. Les marchands de l'ʿIrâḳ se soumettent toujours aux jugements rendus par cet homme, car, dans tous ses actes, il n'a souci que de la vérité, et il ne [Pg 39] s'inspire que du Livre d'Allah, le Puissant et le Grand, et des préceptes de l'Islâm.
En ce qui concerne les ports où les navires touchent et font escale, on dit que (p. 15) la plupart des navires chinois effectuent leur chargement à Sîrâf et partent de là; les marchandises y sont apportées de Baṣra, de l'ʿOmân et d'autres ports, et on les charge, à Sîrâf, sur les navires chinois. Le transbordement des marchandises a lieu dans ce port parce que la mer est très houleuse [dans le golfe Persique] et que l'eau est peu profonde dans d'autres endroits. La distance, par mer, de Baṣra à Sîrâf est de 120 parasanges [= environ 320 milles marins]. Quand les marchandises ont été embarquées à Sîrâf, on s'approvisionne d'eau douce et on enlève — enlever (en arabe ḫatifa ) est le terme employé par les gens de mer pour dire mettre à la voile, appareiller —et on appareille à destination d'un endroit appelé Masḳaṭ (Mascate) qui est situé à l'extrémité de la province de l'ʿOmân. La distance de Sîrâf à Masḳaṭ est d'environ 200 parasanges [= 530 milles environ].
Dans la partie orientale du golfe Persique, entre Sîrâf et Masḳaṭ, se trouvent la côte des Banû'ṣ-Ṣafâḳ (p. 16) et l'île de Ibn Kâwân. La même mer baigne les montagnes de l'ʿOmân. Dans cette dernière région gît un endroit appelé Durdûr (le gouffre): c'est un étroit passage entre deux montagnes par lequel peuvent passer les petits navires, mais qui est impraticable aux navires chinois. Là, gisent deux îlots appelés Kusayr, et ʿUwayr qui émergent à peine au-dessus de la mer. Quand nous eûmes doublé ces îlots, nous fîmes route à destination d'un endroit appelé Ṣuḥâr de l'ʿOmân; puis nous fîmes de l'eau douce à Masḳaṭ, à un puits de la ville. On trouve là un troupeau de moutons de [Pg 40] l'ʿOmân. A Masḳaṭ, les navires appareillent à destination de l'Inde occidentale et font route sur Kûlam du Malaya. La distance entre Masḳaṭ et Kûlam du Malaya est d'un mois de navigation avec un vent moyen. Kûlam du Malaya possède un corps de troupes [pour la protection de la ville] et du pays qui en dépend (p. 17); c'est là que les navires chinois acquittent les droits de transit. On y trouve de l'eau douce fournie par des puits. Chaque navire chinois y acquitte un droit de transit de 1.000 dirham (environ 1.000 francs); les autres navires [de moindre tonnage que ceux de Chine] payent [suivant leur tonnage] de 1 à 10 dînâr (environ 22 à 220 francs)].
Entre Masḳaṭ, Kûlam du Malaya et [le commencement de la mer de] Harkand (golfe du Bengale), il y a environ un mois de navigation. A Kûlam du Malaya, on s'approvisionne d'eau douce; puis, les navires enlèvent , c'est-à-dire appareillent à destination de la mer de Harkand. Quand on a traversé cette dernière mer, on arrive à un endroit appelé Langabâlûs dont les habitants ne comprennent ni l'arabe, ni aucune autre langue parlée par les marchands. Ce sont des gens qui ne portent pas de vêtements; il sont blancs et ont peu de barbe. On dit qu'on ne voit jamais leurs femmes, car ce sont les hommes qui se rendent auprès des navires [qui passent en vue de l'île] dans des pirogues faites avec une seule pièce de bois évidée. Ils apportent (p. 18) des cocos, de la canne à sucre, des bananes et du vin de palme. Celui-ci est une boisson blanche: si on le boit au moment même où on vient de le récolter du palmier, il est doux comme le miel; si on le laisse fermenter pendant une heure, il devient [alcoolisé] comme le vin; au bout de quelques jours, il se transforme en [Pg 41] vinaigre. Les insulaires échangent ces produits contre du fer. Parfois, il leur arrive un peu d'ambre qu'ils échangent contre des morceaux de fer. Les échanges se font par signes, de la main à la main, car les insulaires ne comprennent pas la langue [des marins étrangers]. Ceux-là sont de très habiles nageurs. Quelquefois ils volent du fer aux marchands et ne leur donnent rien en échange.
De Langabâlûs, les navires appareillent ensuite pour se rendre à un endroit appelé Kalâh-bâr. On désigne également sous le nom de bâr , un royaume et une côte. Le Kalâh-bâr [fait partie de] l'empire du Jâwaga (Java) qui est situé au sud du pays de l'Inde. Le Kalâh-bâr et le Jâwaga sont gouvernés par un même (p. 19) roi. Les habitants de ces deux pays se vêtissent du [Pg 42] pagne; chefs et gens du commun s'habillent d'un unique pagne.
[A Kalâh-bâr], on s'approvisionne d'eau douce fournie par des puits. Les marins préfèrent l'eau de puits à l'eau de source ou de pluie. La distance entre Kûlam du Malaya qui est situé dans le voisinage de [la mer de] Harkand et Kalah-bâr ( sic ) est d'un mois de navigation.
Les navires appareillent ensuite à destination d'un endroit appelé [l'île de] Tiyûma où ceux qui en veulent trouvent de l'eau douce. La distance [de Kalah-bâr] à Tiyûma est de dix jours de navigation.
Les navires appareillent ensuite à destination d'un endroit appelé Kundrang qui est à dix jours de route [de l'escale précédente]. Ceux qui en veulent y trouvent de l'eau douce. Il en est de même dans les îles de l'Inde occidentale: si on y creuse des puits, on trouve de l'eau douce. A Kundrang, est une haute montagne où vont parfois se réfugier les esclaves et les voleurs fugitifs.
Les navires se rendent ensuite (p. 20) à un endroit appelé Čampa (l'Annam et la Cochinchine actuels) qui est à dix jours de route de l'escale précédente. On y trouve de l'eau douce. On en exporte l'aloès [appelé: aloès] du Čampa. En cet endroit, il y a un roi. Les gens du pays sont bruns; chacun d'eux s'habille avec deux pagnes. Lorsque les navires ont fait leur provision d'eau douce, ils appareillent à destination d'un endroit appelé Čundur-fûlât qui est une île de la mer. La distance entre Čundur-fûlât et l'escale précédente est de dix jours de navigation. On y trouve de l'eau douce.
Les navires appareillent ensuite à destination d'une mer appelée Čanḫay (la mer de Chine occidentale); puis, à destination des Portes de la Chine. Celles-ci sont [Pg 43] des montagnes qui émergent de la mer; entre chaque deux montagnes, il existe une [sorte de] faille qui sert de passage aux navires. Quand Allah leur a fait passer sains et saufs l'escale de Čundur-fûlât, les navires appareillent à destination de la Chine [et ils y arrivent] en un mois, sur lequel ils ont mis sept jours pour franchir les Portes de la Chine. Lorsque les navires ont doublé ces Portes (p. 21) et sont entrés dans les estuaires [des fleuves de la Chine], ils naviguent alors en eau douce et se rendent à la localité du pays de la Chine où on va mouiller et qui s'appelle la ville de Ḫânfû. Toute la Chine est pourvue d'eau douce provenant de fleuves et rivières. Chaque région du pays a son corps de troupes et ses marchés propres.
Sur la côte, le flot et le jusant se produisent deux fois par jour et par nuit; tandis que [dans le golfe Persique] dans la partie comprise entre Baṣra et l'île des Banû Kâwân, le flot n'a lieu que lorsque la lune est au milieu du ciel; et le jusant, au moment du lever de la lune et de son coucher. Dans les parages de la Chine, [au contraire], et jusqu'auprès de l'île des Banû Kâwân, le flot se produit au lever de la lune; le jusant, au moment où elle atteint le milieu du ciel. Il y a un nouveau flot au coucher de la lune et un nouveau jusant quand elle se retrouve en opposition, au milieu du ciel.
(P. 22.) On rapporte que dans la partie orientale de la mer, gît une île appelée Malḥân, située entre Sirandîb (Ceylan) et Kalah (Kra), qui fait partie du pays de l'Inde. Elle est habitée par des noirs qui vivent nus. Lorsqu'ils rencontrent un étranger, ils le suspendent par les pieds, le dépècent en petits morceaux et le mangent cru. Ces noirs qui sont nombreux, habitent une seule île; ils n'ont pas de roi. Ils se nourrissent de poisson, de [Pg 44] bananes, de cocos et de canne à sucre. Il y a chez eux [des parties de l'île] qui ressemblent aux jardins potagers et aux bois [de notre pays].
On rapporte qu'il y a dans la mer un petit poisson volant qui vole à la surface de l'eau; on l'appelle la sauterelle d'eau. On dit encore qu'il y a dans la mer un poisson qui en sort et qui va jusqu'à monter sur un cocotier. Ce poisson boit le liquide contenu dans l'arbre et retourne ensuite à la mer (p. 23). On dit qu'il y a dans la mer un poisson semblable à l'écrevisse; quand il sort de la mer, il se change en pierre. Avec cette pierre, on confectionne, paraît-il, un collyre qu'on utilise contre certain mal d'yeux.
[Pg 45]
On rapporte que près de Jâwaga, il y a une montagne appelée montagne du feu , dont il est impossible de s'approcher. On en voit sortir de la fumée pendant le jour et des flammes pendant la nuit. Au bas de la montagne, sourdent une source d'eau froide potable et une source d'eau chaude potable.
Les Chinois petits et grands portent des vêtements de soie en hiver et en été; mais la soie de meilleure qualité est réservée aux rois. Le reste de la population en fait usage dans la mesure où ils le peuvent. Pendant l'hiver, les hommes portent deux, trois, quatre, cinq pantalons et même davantage, dans la mesure où ils le peuvent (p. 24). Cette pratique a pour but de protéger le bas du corps contre la grande humidité [du pays] qu'ils redoutent. Pendant l'été, ils s'habillent d'une unique chemise de soie ou d'une étoffe analogue. Ils ne portent pas de turban.
Les Chinois se nourrissent de riz. Parfois, en même temps que le riz, ils préparent du kûšân qu'ils versent ensuite sur le riz [en guise de sauce] et les mangent [ensemble]. Quant aux rois, ils mangent du pain de froment et la viande de tous les animaux, des porcs et d'autres encore.
Les fruits de la Chine sont: la pomme, la pêche, le citron, la grenade, le coing, la poire, la banane, la canne à sucre, le melon, la figue, le raisin, le concombre, le ḫiyâr (espèce de concombre), le lotus, la noix, l'amande, l'aveline, la pistache, la prune, l'abricot, la sorbe et le coco. Il y a peu (p. 25) de palmiers en Chine; on en trouve parfois un dans les jardins d'un individu isolé. Les Chinois boivent une sorte de vin fabriqué avec du riz; ils ne fabriquent pas de vin de raisin, et on n'en importe pas. Ils ne connaissent donc pas ce dernier vin [Pg 46] et n'en boivent jamais. Ils fabriquent avec le riz du vinaigre, du vin de riz, une sorte de confiture et d'autres produits de ce genre.
Les Chinois ne sont pas propres. Quand ils sont allés à la selle, au lieu de se laver [pour faire disparaître l'état d'impureté dans lequel ils se trouvent de ce fait, comme il est prescrit aux musulmans], ils s'essuient simplement, au contraire, avec du papier fabriqué en Chine. Ils mangent les [animaux trouvés] morts [qui n'ont pas été égorgés rituellement comme chez les musulmans] et autres choses de même nature, comme le font les sectateurs de Zoroastre, car leur religion ressemble au zoroastrisme. Les femmes chinoises laissent leur tête découverte. Elles mettent des peignes dans leur chevelure. Parfois, on compte dans la chevelure d'une femme vingt peignes d'ivoire et d'autres objets de parure. Les hommes se couvrent la tête d'une coiffure qui ressemble au bonnet des musulmans appelé ḳalanswa . D'après la coutume (p. 26), quand un voleur a pu être arrêté, on le met à mort.
[Pg 47]
Les gens de l'Inde et de la Chine sont d'avis unanime sur ce fait que les [grands] rois du monde sont au nombre de quatre. Celui qu'ils citent comme le premier des quatre est le roi des Arabes, [c'est-à-dire le Khalife de Baghdâd]. Indiens et Chinois sont d'accord à cet égard, sans contredit, que le roi des Arabes est le plus grand des rois, le plus riche et le plus magnifique; que c'est le roi de la grande religion (l'Islâm), au-dessus de laquelle il n'est rien. Le roi de la Chine se place lui-même au second rang, après le roi des Arabes. Viennent ensuite le roi de Rûm (Byzance) et le Ballahrâ, le roi de ceux qui ont les oreilles percées [pour y suspendre des boucles]. Le Ballahrâ est le souverain de l'Inde qui est de plus haute noblesse, ce que reconnaissent les Indiens eux-mêmes (p. 27). Chaque roi de l'Inde est indépendant, mais tous reconnaissent la haute noblesse du Ballahrâ. Lorsque le Ballahrâ envoie des ambassadeurs aux autres rois, ceux-ci prient au nom de ces ambassadeurs, pour faire honneur à celui qu'ils représentent. Le Ballahrâ fait des dons généreux comme le font les Arabes. Il a des chevaux et des éléphants en grand [Pg 48] nombre et beaucoup d'argent. Sa monnaie est le dirham (pièce d'argent) appelé ṭâṭirî ; le poids de chacun de ces dirham est égal à celui d'un dirham et demi de la monnaie du roi.
La façon de dater du Ballahrâ part d'une année du règne du souverain qui l'a précédé ( sic ), tandis que les Arabes datent de l'hégire du Prophète—sur Lui soit le salut!—; au contraire de ceux-ci, les Indiens datent de leurs rois, et leurs rois règnent longtemps: parfois un roi règne pendant cinquante ans. Les sujets du Ballahrâ prétendent que si leurs rois règnent et vivent pendant longtemps, c'est à cause de l'affection qu'ils ont pour les Arabes. Il n'y a pas, en effet, de roi qui ait une plus grande affection pour les Arabes (p. 28) que le Ballahrâ; il en est de même de ses sujets.
Ballahrâ est le titre de tous les rois de ce pays, comme celui de Kisrâ [chez les Persans, de César chez les Romains]; ce n'est pas un nom propre. Le territoire du royaume du Ballahrâ commence à la côte de la mer [occidentale de l'Inde], où se trouve un pays appelé le Konkan qui en est limitrophe [et s'étend] sur la partie du continent [asiatique] se prolongeant jusqu'en Chine. Autour du royaume du Ballahrâ se trouvent de nombreux rois avec lesquels il est en état de guerre, mais il est toujours vainqueur. Parmi ces rois [ennemis], il en est un qui est appelé le roi de Gujra; il commande à une armée importante; aucun autre roi de l'Inde n'a une cavalerie comparable à la sienne. Le roi Gujra est l'ennemi des Arabes, mais il reconnaît cependant que le roi des Arabes est le plus grand des rois. Aucun roi de l'Inde ne hait l'Islâm plus que lui. Il [règne] sur une langue de terre. Il possède de grandes richesses, des [Pg 49] chameaux et des bestiaux en grand nombre. [Dans son pays], les achats se font au moyen de lingots d'argent; on dit qu'il s'y trouve des mines de ce métal. Il n'y a pas (p. 29) dans l'Inde un pays où on est mieux protégé contre les voleurs.
A côté du roi de Gujra est le roi de Ṭâḳan, dont le royaume est de peu d'étendue. Les femmes de ce pays sont blanches; ce sont les plus belles des femmes de l'Inde. Ce roi est pacifique, parce que son armée est peu importante. Il a pour les Arabes autant d'affection que le Ballahrâ.
Dans le voisinage immédiat des royaumes précédents [Pg 50] [du Ballahrâ, des rois de Gujra et de Ṭâḳan], est un roi appelé [roi de] Rahmâ (le Pégou), qui est en guerre avec le roi de Gujra. Ce n'est pas un roi de noble origine. Il est en état de guerre avec le Ballahrâ comme avec le roi de Gujra. Ce roi de Rahmâ a une armée plus forte que celles du Ballahrâ, du roi de Gujra et du roi de Ṭâḳan. On dit que lorsqu'il part en guerre, il emmène avec lui près de cinquante mille éléphants. Il n'entre en campagne que pendant l'hiver (saison des pluies), parce que les éléphants ne peuvent pas se priver de boire; il est donc impossible de les utiliser en campagne en dehors de l'hiver. On dit que, dans l'armée du roi de Rahmâ, les dégraisseurs de drap sont au nombre d'environ (p. 30) 10.000 à 15.000. On fabrique, dans ce pays, des vêtements comme on n'en fabrique nulle part ailleurs: un de ces vêtements peut passer à travers l'anneau d'une bague, tant [l'étoffe] est extraordinairement fine. Cette étoffe est en coton et nous en avons vu un échantillon.
Dans ce pays, les cauris sont recherchés. Ils tiennent lieu de monnaie locale; c'est ce qui constitue la richesse. Les produits du pays sont l'or, l'argent, l'aloès et l'étoffe appelée [en sanskrit] čamara [en crin de la queue du yak tibétain] et avec laquelle on fait des chasse-mouches. Dans ce pays se trouve le bušân tacheté qui n'est autre que le rhinocéros. [Cette espèce de rhinocéros] n'a qu'une seule corne sur le front, et à l'intérieur de cette corne est dessinée l'image d'une créature qui ressemble à l'image d'un homme. La corne est toute noire, mais l'image intérieure est blanche. Le rhinocéros est plus petit que l'éléphant, il est de couleur noirâtre; il ressemble (p. 31) au buffle; il est fort; il n'y a même pas d'animal qui soit aussi fort que lui. Le rhinocéros n'a pas d'articulation au genou ni au pied de devant; la [Pg 51] patte est molle (sans ossature) du sabot à l'aisselle. Il fait fuir l'éléphant; il rumine comme le bœuf et le chameau. Sa chair n'est pas tabou pour les musulmans; nous en avons mangé. Il est très commun dans ce pays où il vit dans les fourrés. On le trouve également dans les autres parties de l'Inde, mais au Rahmâ sa corne est plus belle; on y trouve parfois l'image d'un homme, d'un paon, d'un poisson et d'autres images. [Avec des plaques de cornes taillées dans ce but], les Chinois font des [ornements] de ceintures, et, en Chine, le prix d'une de ces ceintures s'élève jusqu'à deux et trois mille dînâr ou même davantage. Le prix varie suivant le degré de beauté de l'image naturelle dessinée [sur les ornements en corne de la ceinture]. Toutes ces cornes de rhinocéros s'achètent avec des cauris au Rahmâ (Pégou), où ils tiennent lieu de monnaie locale.
(P. 32.) Après le Rahmâ, vient un autre pays situé dans l'intérieur des terres et dont aucune partie n'est baignée [Pg 52] par la mer, appelé le royaume de Lakšmîpura (la ville de la déesse Lakšmî, en Assam). Ses habitants sont blancs, ont les oreilles percées et sont célèbres pour leur beauté. Une partie d'entre eux sont nomades; les autres vivent dans la montagne.
Après le pays de Lakšmîpura, vient une mer qui baigne un royaume appelé Ḳîranj. Il est gouverné par un roi pauvre [mais] fanfaron. [Sur les côtes de ce pays, la mer] dépose beaucoup d'ambre. Le roi possède des défenses d'éléphants. Il y a, dans ce pays, du poivre qu'on consomme frais, parce qu'il y est récolté en petite quantité.
Après ce pays de Ḳîranj, viennent de nombreux royaumes dont Allah seul—qu'il soit béni et exalté!—connaît le nombre. Parmi ces royaumes, on compte celui de Mûja. Le peuple qui l'habite est blanc et s'habille comme les Chinois. On y trouve beaucoup de musc. Dans ce pays, il y a des montagnes blanches (couvertes de neige?) qui sont les plus hautes de la terre. Les Mûja font la guerre aux nombreux rois qui sont autour d'eux. Le musc qu'on récolte dans leur pays est excellent, parfait.
Au delà du royaume de Mûja, se trouvent les rois ( sic ) de Mâbad dont les villes (p. 33) sont nombreuses. Ce pays s'étend jusqu'à celui de Mûja, mais sa population est plus importante et les habitants de Mâbad ressemblent davantage aux Chinois que ceux de Mûja. Comme en Chine, les gouverneurs des provinces sont des eunuques. Le pays de Mâbad est limitrophe de la Chine. Ses rois vivent en paix avec le roi de la Chine, mais ils ne lui sont pas soumis. Chaque année, les rois de Mâbad envoient des ambassadeurs avec des présents au roi de la Chine, et celui-ci fait également des présents à ceux-là. [Pg 53] Le pays de Mâbad est immense. Lorsque les ambassadeurs de Mâbad arrivent en Chine, ils sont gardés avec soin; les Chinois craignent qu'ils ne s'emparent de leur pays, à cause du grand nombre des membres de l'ambassade. Entre le pays de Mâbad et la Chine, il n'y a que des montagnes et des accidents de terrain.
On dit qu'il y a, en Chine, plus de deux cents villes principales qui ont chacune (p. 34) [pour gouverneur] un roi [feudataire] et un eunuque. De ces villes principales dépendent d'autres villes. Au nombre de celles-là est Ḫânfû, où viennent mouiller les navires et dont dépendent vingt villes. On n'appelle ville que les centres urbains possédant le jâdam . C'est une sorte de trompette dans laquelle on souffle. L'instrument est long et de la grosseur des deux mains réunies [autour du corps de l'instrument]; il est enduit de la même matière dont sont recouvertes les porcelaines de Chine. Il a 3 ou 4 coudées de long. Son embouchure est mince, de façon à ce qu'un homme puisse la mettre dans sa bouche. Le son du jâdam porte jusqu'à environ un mille. Chaque ville a quatre portes; à chacune de ces portes, il y a cinq jâdam dont on sonne à certains moments de la nuit et du jour. Dans chaque ville, il y a également dix tambours dont on bat en même temps que sonne le jâdam . On en use ainsi en guise d'hommage rendu au souverain, et les habitants apprennent en même temps qu'il est tel moment (p. 35) de la nuit et du jour. Ils ont, en outre, des points de repère (gnomons) et [des instruments] à poids pour compter les heures.
En Chine, les transactions commerciales se règlent au moyen de fulûs (pièces de cuivre). Le Trésor royal chinois est identique à celui des [autres] rois, mais il n'est pas d'autre roi que celui de la Chine ayant un [Pg 54] Trésor avec une encaisse en fulûs . Ces pièces de cuivre constituent la monnaie du pays. Les Chinois ont de l'or, de l'argent, des perles fines, des étoffes de soie à ramages et de la soie brute, et tout cela en grande quantité; mais [l'or et l'argent] sont considérés comme des marchandises et les fulûs [ou monnaies de cuivre ont seuls cours comme] monnaie du pays.
On importe en Chine de l'ivoire, de l'encens, des lingots de cuivre, des carapaces de tortues de mer et ce bušân que nous avons décrit et qui n'est pas autre que le rhinocéros avec la corne duquel les Chinois font [des ornements] de ceintures.
Les Chinois possèdent un grand nombre de bêtes de somme; ils n'ont pas de chevaux arabes, mais seulement des chevaux d'une autre race. Ils ont des ânes et des chameaux en grand nombre; leurs chameaux ont deux bosses.
Il y a, en Chine, une argile de qualité supérieure avec laquelle on fabrique (p. 36) des coupes (ou bols) qui sont aussi peu épaisses que des bouteilles de verre; on voit par transparence le liquide qu'elles contiennent. Les coupes en question sont fabriquées avec cette argile.
Quand les marins arrivent en Chine par mer, les Chinois [préposés à cet effet] s'emparent de leurs marchandises et les enferment dans des entrepôts. Ils en garantissent la bonne conservation contre tout accident pendant six mois, jusqu'à ce que soit arrivé le dernier navire [venant avec la même mousson]. Les Chinois perçoivent alors un droit d'entrée de 30% [en nature] sur toute marchandise importée et remettent le reste au marchand qui en est propriétaire. Ce dont le roi de Chine a besoin, il l'achète au prix le plus élevé et en paye le montant sur l'heure; il ne fait jamais de tort au [Pg 55] marchand. Au nombre des marchandises d'importation achetées en priorité par le souverain est le camphre, qui est payé 50 fakkûj le mann ; le fakkûj vaut mille fulûs (pièces de cuivre). Le camphre qui n'est pas acheté par le souverain est vendu, [au contraire], à tout autre acheteur la moitié du prix précédent.
Quand un Chinois meurt, on ne l'enterre que l'une des années qui suivent le décès, au jour anniversaire de sa mort. Les gens placent le corps (p. 37) dans un cercueil en bois et laissent le cercueil dans leur demeure. On met sur le cadavre de la chaux pour qu'elle en absorbe tout ce qui est liquide et qu'il se conserve. [Les corps] des rois sont placés dans de l'aloès de Socotora et du camphre. Les Chinois pleurent les morts pendant trois ans; celui qui ne pleure pas [un parent mort] est puni de la bastonnade, la même punition étant infligée aux femmes et aux hommes, et on leur dit: «La mort de ton parent ne t'afflige donc pas?» Les corps sont enterrés dans une fosse, comme le font les Arabes. On ne prive pas le mort de nourriture; les Chinois prétendent qu'il continue à boire et à manger, aussi déposent-ils de la nourriture à côté de lui pendant la nuit. Le lendemain matin, on ne trouve plus rien, et ils disent que le mort a mangé. On ne cesse pas de pleurer le mort et de lui donner de la nourriture tant que le corps reste dans leur demeure. Les Chinois se ruinent [pour accomplir les cérémonies rituelles en l'honneur] de leurs morts; ils y consacrent tout leur argent liquide, [le prix de la vente] de toutes leurs propriétés jusqu'à s'appauvrir pour eux. Autrefois (p. 38), les Chinois enterraient avec le roi ses meubles, ses vêtements et ses ceintures; et les ceintures ont une très grande valeur en Chine; mais cette coutume est maintenant abandonnée, parce qu'un cadavre [Pg 56] fut déterré et qu'on prit tout ce qui avait été inhumé avec lui.
Tout Chinois, pauvre ou riche, petit ou grand, apprend à tracer des caractères et à lire.
Le titre des gouverneurs chinois varie suivant leur grade et l'importance des villes [qu'ils administrent]. Le gouverneur d'une petite ville est appelé [en chinois] ṭûsang : le sens de ṭûsang est «il a administré la ville». Quand il s'agit d'une ville telle que Ḫânfû, le gouverneur a le titre de dîfû . Les eunuques portent le titre de ṭûḳâm ; les eunuques, en Chine, sont en partie originaires du pays. Le grand juge est appelé lakšî mâmkûn . Il y a encore d'autres titres de ce genre [mais nous ne les rapportons pas] de peur de les mal transcrire. Aucun Chinois ne peut être promu au grade de gouverneur s'il a moins (p. 39) de quarante ans. On dit qu'à cet âge, il a été instruit par l'expérience.
Lorsque les gouverneurs de grade subalterne remplissent les fonctions [de juges] dans la ville qu'ils administrent, ils sont assis sur un fauteuil dans une grande salle. Devant eux, se trouve un [autre] fauteuil. On [Pg 57] présente au gouverneur-juge les documents où sont exposés par écrit les plaidoiries respectives des plaideurs. Derrière le gouverneur est un homme debout appelé [en chinois] lîḫû . Si le gouverneur commet une erreur dans le jugement qu'il rend et se trompe, le lîḫû [lui montre son erreur et] le remet dans la bonne voie. On ne tient aucun compte de ce que disent les plaideurs; les arguments qu'ils ont à faire valoir doivent être présentés par écrit. Avant qu'un plaignant se présente devant le gouverneur-juge, un homme qui se tient à la porte du tribunal lit sa requête; si elle est entachée d'irrégularité, il la rend au plaignant pour qu'il la corrige. Les requêtes ne peuvent être remises au gouverneur-juge que lorsqu'elles ont été rédigées par un scribe connaissant la loi. Le scribe inscrit sur (p. 40) la requête la mention suivante:
«Ceci a été rédigé par un Tel fils d'un Tel.» Si la requête est entachée d'irrégularité, le blâme en retombe sur le scribe et il est puni de la bastonnade. Le gouverneur-juge ne siège qu'après avoir mangé et bu afin qu'il ne commette pas d'erreur [comme pourrait le faire un homme en proie à la faim et à la soif]. Chaque gouverneur est payé par le Trésor de la ville qu'il administre.
Le souverain suprême de la Chine ne se montre que tous les dix mois. «Si, dit-il, le peuple me voyait [fréquemment], il ferait peu de cas de moi. L'autorité ne peut se maintenir que par le despotisme, car la foule ignore ce que c'est que l'équité. Il faut donc que nous employions envers elle le despotisme pour que nous soyons vénérés par elle.»
Les terres ne payent pas d'impôt foncier, mais les mâles acquittent un impôt de capitation proportionné à leur situation de fortune. Les Arabes et les autres [Pg 58] étrangers acquittent un impôt spécial (p. 41) pour leurs marchandises; [comme contre-partie de cet impôt commercial, le fisc chinois] assume la garde desdites marchandises.
Lorsque les denrées [alimentaires] sont chères, le roi fait prendre des vivres dans les entrepôts de l'État et les fait vendre à un prix inférieur à celui qui est pratiqué au marché; par ce moyen la cherté de ces denrées ne peut pas se maintenir.
Les fonds que recueille le Trésor royal sont exclusivement fournis par l'impôt de capitation. Je crois que les sommes perçues chaque jour par le Trésor à Ḫânfû, s'élèvent à 50.000 dînâr , et, cependant, ce n'est pas la plus grande ville de la Chine. Parmi les choses que la Chine produit en abondance, le roi se réserve le monopole du sel et d'une [sorte d'] herbe séchée que les Chinois boivent [après l'avoir fait infuser] dans de l'eau chaude (le thé). On vend de cette herbe séchée dans toutes les villes, pour d'énormes sommes. On l'appelle sâḫ ; [cette plante] a plus de feuilles que le trèfle; elle est un peu plus parfumée que celui-ci, mais elle a un goût amer. [Pour confectionner le thé], on fait [d'abord] bouillir de l'eau et on la verse [ensuite] sur cette herbe. Cette infusion fait office d'antidote contre toute indisposition.
Tous les fonds que recueille le Trésor royal sont fournis par l'impôt de capitation, [la vente] du sel et de cette (p. 42) herbe (le thé).
Il y a, dans chaque ville, une chose qu'on appelle darâ ; c'est une cloche qui est placée au-dessus de la tête du gouverneur de la ville et qui est attachée à une ficelle. Cette ficelle se prolonge jusque sur le chemin de façon à ce que tout le monde [puisse la tirer] et que ce soit un [Pg 59] moyen de communication entre le gouverneur et n'importe qui. Elle a environ une parasange de long. Pour peu qu'on tire la ficelle, la cloche se met en mouvement [et sonne]. Celui qui est victime d'une injustice tire cette ficelle et la cloche se met en mouvement [et sonne] au-dessus de la tête du gouverneur. Le plaignant est alors introduit auprès du gouverneur pour qu'il expose son cas lui-même et l'injustice dont il est victime. On procède ainsi dans toutes les régions de la Chine.
Celui qui désire voyager d'un endroit à un autre se fait remettre deux lettres: l'une par le gouverneur, l'autre par l'eunuque [de sa résidence]. Celle-là [est une sorte de passeport] servant pour la route [où sont consignés] les noms du porteur et de ceux qui l'accompagnent, son âge, l'âge de ceux qui l'accompagnent et le nom de la tribu dont il fait partie. Toute personne voyageant en Chine, qu'il s'agisse d'un (p. 43) Chinois, d'un Arabe, ou d'un étranger quelconque, doit être pourvue d'une pièce d'identité. Quant à la lettre délivrée par l'eunuque, [Pg 60] elle fait mention de l'argent et des marchandises que le voyageur emporte avec lui, car, sur les routes, il y a des postes de soldats qui se font présenter les deux lettres remises au voyageur. Lorsque celui-ci arrive à l'un de ces postes, [le contrôleur des passeports] inscrit [sur les lettres le visa suivant]: «Est arrivé ici un Tel, fils d'un Tel, de telle nationalité, tel jour, tel mois, telle année, emportant avec lui telles choses et accompagné de telles personnes.» [Ces mesures ont été prises] pour que le voyageur ne subisse pas de perte d'argent ni de marchandises. Si le voyageur subit une perte quelconque ou meurt, on sait ainsi comment s'est produite la perte et on lui rend [ce qui a été perdu]; s'il est mort, on le rend à ses héritiers.
Les Chinois agissent avec équité dans les transactions commerciales et les affaires officielles. Lorsque quelqu'un prête de l'argent à une autre personne, celui-là écrit un billet à ce sujet; l'emprunteur (p. 44) en écrit un autre sur lequel il appose [en guise de signature] l'empreinte de deux de ses doigts réunis, le médius et l'index. Puis, les deux billets sont réunis, roulés ensemble, et on écrit [une formule] à l'endroit où l'un touche à l'autre; ensuite, on les sépare l'un de l'autre et on remet au prêteur le billet par lequel l'emprunteur reconnaît sa dette. Si, plus tard, le débiteur renie sa dette, on lui dit: «Présente le billet que t'a [remis le prêteur]». Si l'emprunteur prétend qu'il n'a pas de billet [du prêteur], nie, d'autre part, avoir souscrit un billet et y avoir apposé son empreinte [digitale], et que le billet du prêteur ait disparu, on dit alors à celui qui nie sa dette: «Déclare par écrit que tu n'as pas contracté cette dette; mais si plus tard, le prêteur apporte la preuve que tu as contracté [Pg 61] cette dette que tu nies, tu recevras vingt coups de bâton sur le dos et tu seras condamné à payer une amende de vingt mille fakkûj en pièces de cuivre.» Comme un fakkûj vaut mille pièces de cuivre, la somme équivaut à environ deux mille dînâr (ou une quarantaine de mille francs). Vingt coups (p. 45) de bâton entraînent la mort. Aussi personne en Chine n'ose faire une telle déclaration de peur de perdre en même temps la vie et la fortune. Nous n'avons vu personne qui y ait consenti, quand il était requis de faire cette déclaration. Les Chinois sont, [en effet], équitables les uns à l'égard des autres; personne, en Chine, n'est traité injustement. [Dans un procès] les parties n'ont recours ni aux témoins, ni au serment [comme les musulmans].
Lorsque quelqu'un fait faillite, les créanciers le font mettre, à leurs frais, en prison chez le roi, et on lui fait reconnaître sa dette. Après être resté un mois en prison, le roi l'en fait sortir et il fait proclamer publiquement ceci: «Un Tel, fils d'un Tel, est en faillite [ayant dilapidé] l'argent d'un Tel fils d'un Tel.» [Si on apprend ainsi] que le failli avait déposé de l'argent chez quelqu'un, qu'il possède un immeuble ou un esclave, ou quoi que ce soit qui puisse servir de garantie pour sa dette, on le fait sortir [de prison] tous les mois et on lui applique la bastonnade sur les fesses parce qu'il est resté en prison, mangeant et buvant [aux frais de ses créanciers], bien qu'il eût de l'argent [pour les désintéresser]. Il reçoit (p. 46) la bastonnade, qu'on l'ait convaincu on non de posséder de l'argent; il reçoit la bastonnade dans l'un et l'autre cas; et on lui dit [en le châtiant]: «Tu n'as pas fait autre chose que de prendre l'argent des autres et tu l'as dilapidé.» On lui dit encore: «Rends à ces personnes l'argent [que tu leur as [Pg 62] emprunté].» S'il est impossible au failli de payer ses dettes et si le roi a la certitude que le failli ne possède plus rien, on convoque les créanciers et on les désintéresse avec des fonds fournis par le Trésor du Baghbûr , c'est-à-dire du souverain suprême (l'empereur). Celui-ci est désigné par le titre [persan] de Baghbûr qui signifie [en persan] «Fils du ciel» [et qui est la traduction littérale du titre impérial chinois T'ien-tseu ]; en arabe, nous disons Maghbûr . On fait ensuite la proclamation suivante: «Quiconque fera [désormais] des affaires avec cet homme, sera mis à mort.» Ainsi il n'arrivera plus que quelqu'un soit exposé à perdre son argent. Si on apprend que le débiteur a de l'argent en dépôt chez quelqu'un et que le détenteur du dépôt ne l'ait pas fait connaître, ce dernier sera tué à coups de bâton. Le débiteur n'encourt aucune peine de ce fait; mais on prend l'argent et on le partage entre les créanciers; en outre le débiteur ne peut plus faire de commerce avec personne.
Il y a, en Chine, des stèles de pierre (p. 47) de dix coudées de hauteur sur lesquelles on a gravé en creux des inscriptions. Celles-ci traitent des médicaments et des maladies; pour telle maladie [dit l'inscription, on emploie] tel remède. Lorsque le malade est pauvre [et ne peut pas acheter le remède qui lui est nécessaire], le prix lui en est remis par le Trésor royal [pour qu'il puisse se le procurer].
Il n'y a pas, en Chine, d'impôt sur les biens-fonds. On paye seulement un impôt de capitation qui varie suivant l'importance des biens meubles et immeubles de l'imposé.
Lorsqu'un enfant mâle naît, on inscrit son nom auprès du souverain [sur un registre officiel]. Quand l'enfant est parvenu à l'âge de dix-huit ans, il est astreint [Pg 63] à payer l'impôt de capitation; il en sera exempt quand il sera parvenu à l'âge de quatre-vingts ans et il touchera [une pension] du Trésor royal. Les Chinois disent à cet égard: «Nous lui avons fait payer l'impôt quand il était jeune, [il n'est que juste que] nous lui versions une pension maintenant qu'il est vieux.»
Il y a, dans chaque ville, une école et un maître qui donne des leçons aux pauvres et à leurs enfants qui sont nourris aux frais de l'État. Les femmes chinoises ont la chevelure découverte (p. 48), les hommes la tête couverte.
Il y a, en Chine, dans la montagne, un village appelé Tâyû dont les habitants sont de petite taille. Tous les Chinois de petite taille [passent pour] en être originaires. [Dans l'ensemble], les gens de Chine sont bien faits, de haute taille, franchement blancs avec une teinte rouge. Ils ont les cheveux les plus noirs du monde. Les Chinoises laissent pendre leurs cheveux.
Dans l'Inde, lorsque quelqu'un intente contre une autre personne une action qui a pour sanction obligatoire la peine capitale, on dit au plaignant: «Veux-tu soumettre celui que tu accuses à l'épreuve du feu?» S'il répond: «oui», on fait chauffer un morceau de fer jusqu'à ce qu'il soit passé au rouge vif. On dit ensuite à l'inculpé: «Ouvre ta main»; on met sur sa main sept feuilles d'un arbre du pays, puis on met le morceau de fer [rouge] sur les feuilles. L'inculpé se met à marcher, [Pg 64] allant et revenant sur ses pas [pendant un certain temps]; puis, il jette le morceau de fer rouge. On apporte ensuite une bourse (p. 49) de cuir, on y introduit la main de l'inculpé et la bourse est scellée du sceau royal. Trois jours après, on apporte du riz non décortiqué et on dit à l'homme qui vient de subir l'épreuve: «Frotte [entre tes mains ce riz pour en détacher la balle].» Si sa main ne présente aucune trace [de brûlure], l'affaire est jugée; il n'y est pas donné suite et la condamnation à mort n'est pas prononcée contre lui. L'accusateur est alors condamné à payer une amende d'un mann d'or dont le roi touche le montant. Parfois, on fait bouillir de l'eau dans une marmite en fer ou en cuivre jusqu'à ce que [elle développe une telle chaleur] que personne ne puisse en approcher. On jette dans la marmite un anneau en fer et on dit [à l'accusé]: «Mets ta main [dans l'eau bouillante].» [Il faut que l'accusé] retire l'anneau [sans être brûlé pour être déclaré innocent]. «J'ai vu quelqu'un [ajoute Sulaymân], qui mit sa main [dans l'eau bouillante] et l'en retira intacte [sans aucune brûlure]; et l'accusateur est condamné, [comme dans l'épreuve du feu quand le résultat est identique], à payer une amende d'un mann d'or.»
Lorsque le roi de Sirandîb (Ceylan) meurt, on place le cadavre sur un char, près du sol; le cadavre est attaché à la partie postérieure du char, [les jambes en l'air], le dos contre le char [faisant face à l'arrière], de façon à ce que ses cheveux traînent dans la poussière (p. 50) du sol. Une femme ayant un balai à la main, jette de la poussière sur la tête du cadavre royal et dit aux gens réunis à cette occasion: «Eh, vous! Ceci était hier votre roi; il vous gouvernait et son ordre était absolu. [Pg 65] Il en est venu à l'état de renoncement des biens de ce monde où vous le voyez. L'ange de la mort a pris son âme. Ne vous laissez donc plus séduire désormais par [les jouissances de] la vie»; et elle continue à parler dans le même sens pendant trois jours ( sic ). On prépare ensuite [un bûcher dans lequel on met] du sandal, du camphre et du safran; on brûle le corps et ses cendres [Pg 66] sont jetées au vent. Tous les habitants de l'Inde brûlent leurs morts.
Sirandîb (Ceylan) est la plus méridionale des îles de l'Inde dont elle fait partie. Parfois, lorsqu'on brûle le corps du roi, ses femmes se jettent dans le feu et se brûlent avec lui; mais elles peuvent ne pas le faire.
Il y a, dans l'Inde, des gens qui se consacrent à la vie errante dans les bois et les montagnes; ils fréquentent rarement les hommes (p. 51). Ils se nourrissent d'herbes et de fruits sauvages de temps en temps. Ces solitaires se mettent un anneau de fer à la verge pour empêcher toutes relations sexuelles avec les femmes. Certains d'entre eux vivent nus; d'autres se tiennent debout, faisant face au soleil, également nus, mais [recouverts] de quelques peaux de panthères. J'en ai vu un dans l'état que je viens de dire [en un certain endroit]; puis, je continuai ma route. Seize ans après, [je repassai par le même endroit] et je revis cet ascète dans le même état. Je fus étonné que son œil n'ait pas été détruit par la chaleur du soleil.
Dans chaque royaume, la famille royale ne forme qu'une seule maison qui détient toujours le pouvoir royal; c'est elle qui désigne le prince héritier. Les scribes et les médecins forment également des castes et personne ne peut exercer ces professions, s'il ne fait pas partie de leur caste.
Les rois de l'Inde n'obéissent point à un roi suprême, car ils sont seuls maîtres dans leur pays. [Cependant,] le Ballahrâ [porte le titre] de Roi des rois (p. 52) de l'Inde. Quant à la Chine, on n'y désigne pas le prince héritier.
Les Chinois sont débauchés, mais les Indiens réprouvent la débauche et ne s'y livrent pas. Ceux-ci ne boivent pas de vin et n'usent pas de vinaigre de vin; [Pg 67] cette dernière abstention n'a pas pour origine une prescription religieuse: c'est qu'ils n'aiment pas le vinaigre de vin. Ils disent que tout roi qui boit du vin n'est pas un véritable roi. Les Indiens sont entourés par des rois qui leur font la guerre. Ils disent encore: «Comment un roi qui est ivre peut-il diriger l'administration de son royaume?»
Parfois, les Indiens se font la guerre dans un but de conquêtes, mais c'est peu fréquent. Je n'ai pas vu de royaume en soumettre un autre, en dehors d'un peuple habitant le territoire qui fait suite au Pays du poivre (le Malabar). Quand un roi fait la conquête d'un autre royaume, il fait administrer sa conquête par un membre de la famille royale du pays vaincu, qui reste sous la haute main du vainqueur. Les habitants du pays vaincu ne seraient pas satisfaits du nouvel état de choses s'il en était autrement.
(P. 53.) Parfois, en Chine, un gouverneur se soustrait à l'autorité du roi suprême. Il est alors égorgé et mangé. Tous ceux qui sont tués par le sabre, les Chinois en mangent la chair.
En Inde et en Chine, quand on veut se marier, [les familles intéressées] s'adressent mutuellement des compliments, puis se font réciproquement des présents. On célèbre ensuite le mariage au son des cymbales et des tambours. Les présents échangés à cette occasion consistent en sommes d'argent qui sont proportionnées à la fortune des donateurs. Si un homme et une femme sont convaincus d'adultère, l'un et l'autre sont mis à mort, [telle est la loi] dans l'Inde entière; mais si l'homme a violé la femme, il est seul mis à mort. Si la femme a agi de son plein gré, elle est mise à mort avec son amant.
[Pg 68]
En Chine et en Inde, petits larcins et vols importants sont également punis de mort. En Inde (p. 54), quand un voleur a dérobé une pièce de cuivre ou davantage, on prend un long bâton dont l'une des extrémités est taillée en pointe; puis, on fait asseoir le voleur sur la pointe de façon qu'elle lui entre dans l'anus et lui sorte par le gosier.
Les Chinois se livrent à la sodomie avec de jeunes garçons qui en font métier, pour tenir lieu des courtisanes des temples d'idoles [de l'Inde qui se livrent à la prostitution].
Les murs des maisons chinoises sont en bois; les Indiens construisent [leurs maisons] avec des pierres, du plâtre, des briques cuites au feu et de l'argile. Parfois, en Chine, on bâtit également ainsi.
[Chez les musulmans, une femme légitime ou une esclave enceintes ne peuvent se marier à un autre homme que le père de l'enfant conçu, qu'à l'expiration de leur grossesse. Elles sont en état de firaš ]. En Chine et en Inde les femmes en état de firaš n'existent pas. Chinois et Indiens peuvent épouser n'importe quelle femme [même celle qui est enceinte d'un autre homme].
Les Indiens se nourrissent de riz; les Chinois, de froment et de riz. Les Indiens ne mangent pas de froment. Ni les Indiens ni les Chinois ne sont circoncis.
Les Chinois adorent les idoles; ils les prient [comme les musulmans prient Allah]; ils leur adressent des prières (p. 55). Ils possèdent des livres de religion.
Les Indiens laissent leur barbe devenir longue. J'en ai, parfois, vu qui avaient une barbe de trois coudées de long. Ils ne se taillent pas les moustaches [comme les musulmans]. La plupart des Chinois n'ont pas de barbe et pour la plupart d'entre eux, ils sont naturellement [Pg 69] ainsi. En Inde, quand un homme meurt, on lui rase les cheveux et la barbe.
En Inde, lorsqu'un homme est emprisonné ou mis en surveillance, on lui supprime toute nourriture et boisson [Pg 70] pendant sept jours. Les Indiens peuvent se mettre en surveillance les uns les autres.
Chez les Chinois, il y a des juges [spéciaux] qui jugent [certaines affaires] entre Chinois. [Cette juridiction spéciale fonctionne] à côté de celles des gouverneurs [-juges]. Il en est de même chez les Indiens.
Dans la Chine entière, on trouve la panthère et le loup. Quant au lion, il n'y en a ni en Chine ni dans l'Inde.
Les voleurs de grand chemin sont mis à mort.
Les Chinois et les Indiens prétendent que les idoles des temples leur parlent; mais ce sont les desservants des temples qui leur parlent [et leur font croire que ce sont les idoles qui ont parlé].
En Chine et en Inde, on tue (p. 56) les animaux qu'on veut manger, mais on ne les égorge pas [pour en faire couler le sang, comme font les musulmans]; on les frappe sur la tête jusqu'à ce qu'ils en meurent. En Inde et en Chine, on ne fait pas d'ablution après une souillure grave [telle que celle qui résulte des rapports sexuels, chez les musulmans]. Les Chinois ne se lavent pas après être allés à la selle; [ils se contentent de s'essuyer] avec du papier. Les Indiens se purifient chaque jour par des ablutions avant le repas du matin; puis, ils mangent.
Les Indiens n'ont aucun rapport sexuel avec les femmes pendant la période des menstrues; ils les font même sortir de leurs maisons pour éviter d'être souillés par elles. Les Chinois, au contraire, ont des rapports avec leurs femmes pendant la période menstruelle et ils ne les font pas sortir de leurs maisons.
Les Indiens se nettoient les dents [avec le cure-dents]. Personne, en Inde, ne mangerait sans s'être nettoyé les [Pg 71] dents et s'être purifié par des ablutions. Les Chinois n'en usent pas ainsi.
L'Inde est plus étendue que la Chine: sa superficie est double de celle de la Chine. Il y a un plus grand nombre de rois qu'en Chine, mais celle-ci est plus peuplée.
Ni la Chine ni l'Inde n'ont le palmier; (p. 57) mais elles ont d'autres arbres et on y récolte des fruits qui n'existent pas chez nous. Dans l'Inde, il n'y a pas de raisin; il y en a un peu en Chine. L'Inde et la Chine produisent d'autres fruits en abondance. On trouve, dans l'Inde, des grenades en grande quantité.
Les Chinois n'ont pas de science religieuse. Les pratiques de leur culte (le buddhisme) sont originaires de l'Inde; ils croient que ce sont les Indiens qui leur ont apporté les idoles [buddhiques] et que ces derniers ont été leurs éducateurs religieux. En Chine et en Inde, on croit à la métempsycose. Chinois et Indiens tirent d'un même principe religieux [initial] des conséquences différentes.
On pratique, dans l'Inde, la médecine et la philosophie. Les Chinois pratiquent également la médecine; leur principal traitement est la cautérisation.
Les Chinois pratiquent l'astronomie, mais les Indiens pratiquent plus encore cette science.
On ne connaît pas de Chinois ou d'Indien musulman, ni parlant arabe.
En Inde, il y a peu de chevaux; il y en a davantage en Chine. En Chine, il n'y a pas d'éléphants; on ne les laisse pas (p. 58) pénétrer dans le pays parce que ce sont des animaux de mauvais augure.
Les armées du roi de l'Inde sont nombreuses, mais elles ne reçoivent rien pour leur entretien [ni vivres, ni solde]. Le roi ne les convoque qu'en cas de guerre [Pg 72] sainte; les troupes entrent alors en campagne et font elles-mêmes les frais de leur entretien, le roi ne leur fournit rien à cet effet. En Chine, les troupes reçoivent une solde identique à la solde des troupes arabes.
La Chine est un pays plus brillant et plus beau [que l'Inde]. Dans la plus grande partie de l'Inde, il n'y a pas de villes, [le pays est désert]; en Chine, au contraire, il y a, en chaque endroit, une grande ville fortifiée. En Chine, le climat est plus sain et les maladies y sont moins nombreuses [qu'en Inde]. L'air y est si pur qu'on n'y voit pas d'aveugles ni de borgnes, ni de gens difformes. Les infirmes de cette sorte sont, au contraire, nombreux dans l'Inde.
En Chine et en Inde, il y a partout de grands fleuves, beaucoup plus grands que nos fleuves. Il pleut abondamment partout, dans ces deux pays.
Il y a, dans l'Inde (p. 59), beaucoup de déserts; en Chine, tout le pays est habité et cultivé. Les Chinois sont mieux faits que les Indiens. Les vêtements et les bêtes de somme des Chinois se rapprochent davantage de ceux des Arabes [que ceux des Indiens]. En costume et dans les cortèges officiels, les Chinois ressemblent aux Arabes; ils revêtent le vêtement appelé en arabe ḳabâ et la ceinture. Les Indiens se vêtissent de deux pagnes: hommes et femmes se parent de bracelets d'or et de pierres précieuses.
Au delà de la Chine, se trouve le pays des Toguz-Oguz qui sont des Turks, et le ḫâḳân du Tibet. Ce sont ces pays qui constituent la frontière de la Chine du côté des Turks [dans le Nord-Ouest]. Du côté de la mer, [la Chine est limitrophe] des îles de Sîlâ (la presqu'île de Corée). Les habitants [de la Corée] sont blancs; ils échangent des présents avec le souverain de la Chine [Pg 73] (c'est-à-dire qu'ils vivent en paix avec lui). Ils croient que s'ils n'échangeaient pas de présents avec lui, il ne pleuvrait plus dans leur pays. Aucun Arabe n'est allé dans ce pays pour pouvoir nous fournir des informations sur ce peuple. [On sait seulement] qu'on y trouve des faucons blancs (p. 60).
[ Ce qui suit a été ajouté au bas de la page du manuscrit, mais ces lignes sont d'une autre écriture que le texte. ]
Fin du Livre I. Muḥammad, le pauvre, a lu attentivement ce livre, en l'année 1011 de l'hégire [= 1602 de notre ère].
Qu'Allah embellisse sa fin et ce qui vient après elle. Amen!
O Allah, pardonne leurs fautes à l'écrivain de ce livre, à ses père et mère et aux musulmans!
[Pg 74]
Abû Zayd al-Ḥasan qui est originaire de Sîrâf, dit ceci:
J'ai pris connaissance avec soin de cet ouvrage, c'est-à-dire du Livre I, que j'avais été chargé d'examiner attentivement et de compléter avec ce que je savais sur le même sujet, en ce qui concerne les choses de la mer, les rois des pays maritimes, les particularités des peuples des côtes, (p. 61) et avec tout ce que je savais de leurs traditions qui ne se trouve pas dans le Livre précité.
[En examinant ce Livre I], j'ai constaté qu'il était daté de l'année 237 de l'hégire [= 851 de notre ère]. A cette époque [dans la première moitié du IX e siècle de notre ère], les voyages maritimes [du golfe Persique en Inde et en Chine] s'effectuaient normalement par suite du grand nombre de commerçants qui, de l'ʿIrâḳ, se rendaient fréquemment dans ces deux pays. J'ai constaté que tout ce qui est rapporté dans le Livre I est véridique et sincère, à l'exception de ce qui est rapporté au sujet des aliments que les Chinois offrent à leurs morts: si on met ces aliments auprès du mort, pendant la nuit, [Pg 75] on ne les retrouvait plus le lendemain matin, ce qui permettait de prétendre que le mort les avait mangés. Nous avions entendu parler de cette [faculté extraordinaire des morts chinois. Nous y crûmes même] jusqu'au jour où se présenta chez nous quelqu'un qui arrivait de Chine et dans les informations duquel on pouvait avoir confiance. Comme nous l'interrogions à ce sujet, il nia l'exactitude de ce qu'on racontait et il conclut: «Ce qu'on avance à cet égard n'a aucun fondement. On peut donner le même démenti aux sectateurs des idoles qui prétendent que celles-ci leur parlent.»
(P. 62.) Depuis que le Livre I a été écrit, l'état des choses a changé, surtout en Chine. Des événements nouveaux se sont produits qui ont interrompu toutes relations maritimes avec la Chine, ont ruiné ce pays, fait disparaître les lois et morcelé sa puissance. Je vais exposer, s'il plaît à Allah, les informations que j'ai pu recueillir sur ce bouleversement, en indiquant quelle en est la cause.
La cause qui a bouleversé, en Chine, l'ordre et la justice et qui a mis fin à toutes relations maritimes avec le port de Sîrâf [du golfe Persique] dont les navires s'y rendaient, est l'apparition d'un rebelle chinois qui ne faisait pas partie de la famille royale et qui s'appelait Ḫuang Č'ao. Il usa d'abord de ruse et de générosité; puis, il se livra à des attaques à main armée et fit subir des dommages [aux personnes et aux biens]. Il commença à réunir autour de lui des malandrins jusqu'au moment où sa puissance s'accrut et où ses ressources grandirent. Ayant complètement mis en œuvre le plan qu'il avait préparé, il se dirigea vers Ḫânfû (Canton) qui est une des villes de la Chine, celle où se rendent (p. 63) les marchands arabes. Ḫânfû est située à quelques [Pg 76] journées de marche de la mer, sur le bord d'un grand fleuve d'eau douce. Les habitants de Ḫânfû se refusant à laisser entrer Ḫuang Č'ao dans la ville, celui-ci en fit le siège qui dura longtemps, en l'année 264 de l'hégire [= 878 de notre ère]. La ville prise, ses habitants furent passés au fil de l'épée. Des personnes qui ont eu connaissance de ces faits rapportent qu'on massacra 120.000 musulmans, juifs, chrétiens et mazdéens qui étaient établis dans la ville et y faisaient du commerce, sans compter les Chinois qui furent tués. On a pu connaître le nombre exact des victimes de ces quatre religions parce que les Chinois percevaient un impôt sur ces étrangers d'après leur nombre. Ḫuang Č'ao fit couper les mûriers et les autres arbres. Nous mentionnons spécialement les mûriers parce que les Chinois (p. 64) utilisent la feuille de cet arbre pour [la nourriture] des vers à soie jusqu'au moment où le ver s'enferme dans le cocon. La destruction des mûriers fut la cause déterminante qui mit fin à l'exportation de la soie, particulièrement en pays arabe.
[Pg 77]
Après la destruction de Ḫânfû, Ḫuang Č'ao se rendit de ville en ville et les détruisit successivement. Le roi de la Chine s'enfuit en toute hâte lorsque Ḫuang Č'ao approchait de la capitale qui est appelée Ḫumdân (en chinois: Si-ngan-fu). Le roi s'enfuit de Ḫumdân à la ville de Madû qui est contiguë au Tibet et il s'y établit.
La révolte durait et la force du rebelle grandissait. L'intention de Ḫuang Č'ao et le but qu'il se proposait étaient de détruire les villes et de massacrer leurs habitants parce qu'il n'appartenait pas à la famille royale et qu'il désirait ardemment s'emparer du pouvoir. Son projet se réalisa: il devint le maître de la Chine et il l'est encore au moment où nous écrivons (vers 916).
Ḫuang Č'ao se maintint au pouvoir jusqu'au jour où le roi de la Chine envoya un message au roi des Toguz-Oguz (p. 65) qui habitent dans le pays des Turks. Chinois et Toguz-Oguz sont voisins et leurs familles royales alliées. Le roi de Chine envoya à celui des Toguz-Oguz des ambassadeurs pour le prier de le débarrasser de ce rebelle. Le roi des Toguz-Oguz envoya son fils contre Ḫuang Č'ao, à la tête d'une armée très importante par le nombre (—d'après Masʿûdî, les cavaliers et fantassins s'élevaient au chiffre de 400.000 hommes—) pourvue d'équipements et de munitions. A la suite de combats ininterrompus et de batailles importantes, Ḫuang Č'ao fut anéanti. Les uns disent qu'il fut tué, d'autres qu'il mourut naturellement. Le roi de la Chine retourna alors dans sa capitale appelée Ḫumdân. Le rebelle la lui avait détruite; le roi n'avait plus aucune autorité; ses finances étaient en déficit; ses commandants, les chefs de son armée, ses meilleurs soldats étaient morts. De plus, dans chaque province, [d'autres rebelles] s'étaient emparés du pays qui refusaient [d'adresser au roi] une [Pg 78] partie des revenus et retenaient les fonds qui se trouvaient entre leurs mains. Mais le roi de la Chine se sentit contraint par son impuissance, à consentir à amnistier ceux de ces rebelles qui firent une manifestation de soumission (p. 66) et d'allégeance, sans, cependant, aller jusqu'à lui verser le produit de l'impôt ni le reconnaître comme suzerain. La Chine en arriva ainsi à être dans le même état [que la Perse] au temps des Kisrâ (Chosroès), à l'époque où Alexandre fit mettre à mort Darius le Grand et partagea la Perse entre ses généraux. [Les rebelles qui s'étaient emparés de l'administration des provinces chinoises], se prêtèrent mutuellement secours pour arriver à leurs fins, sans avoir ni permission ni ordre du roi à cet effet. Lorsque l'un d'eux devenu fort avait mis son genou sur un plus faible, le vainqueur s'emparait du pays, dévastait tout et en mangeait tous les habitants. Car, d'après la loi chinoise, il est licite de manger de la chair humaine et on en vend couramment au marché. En même temps, les Chinois se mirent à opprimer les marchands [étrangers] qui étaient venus faire du commerce en Chine. La tyrannie arriva à son comble et dépassa toutes les limites [imaginables] (p. 67) vis-à-vis des nâḫodâ (propriétaires de navires) arabes et des maîtres des navires; on imposa aux marchands des obligations auxquelles ils n'étaient pas [légalement] tenus, on s'empara de leurs biens et on se permit de les traiter en violation des prescriptions les concernant. Devant de tels actes, Allah—que Son nom soit exalté!—retira à tous les Chinois ses bénédictions; la mer devint impraticable [à la navigation] et par la toute-puissance de Celui qui régit toutes nos actions—que Son nom soit béni!—le désastre atteignit jusqu'aux pilotes et aux courtiers de Sîrâf et de l'ʿOmân.
[Pg 79]
L'auteur du Livre I a mentionné un certain nombre de lois de la Chine, mais il s'est arrêté là. Il a, [par exemple], cité ce cas: un homme et une femme, tous deux de bonne conduite antérieure, qui commettent l'adultère, sont mis à mort; les voleurs et les assassins encourent la même peine. Les condamnés à mort sont exécutés de la façon suivante. On attache fortement les mains de ceux qui doivent être exécutés, on les lie fortement avec des cordes; puis, on les rejette au-dessus de leur tête de façon qu'elles (p. 68) soient collées à son cou. Ensuite, on fait entrer le pied droit du condamné dans sa main droite qui dépasse; et le pied gauche, dans sa main gauche, les pieds étant tous deux rabattus sur le dos: [dans cette position, le corps] subit une contraction et il est [Pg 80] transformé en boule. Ainsi, le condamné est incapable de faire quoi que ce soit par lui-même et il n'est pas nécessaire de le faire surveiller. Alors, le cou se désarticule de sa jointure, les vertèbres se disjoignent peu à peu du corps, les hanches se disloquent, les membres entrent l'un dans l'autre et la respiration en est gênée. Le condamné est dans un tel état que si on l'abandonnait à lui-même, il en mourrait en peu de temps. Lorsque le condamné a été ligotté comme on vient de le dire, on lui donne avec un bâton un nombre de coups déterminé sur les endroits du corps où la bastonnade est mortelle, et on ne dépasse jamais le nombre de coups fixé. Comme il ne lui reste que le souffle, on le livre à ceux qui doivent le manger.
Il y a, en Chine, (p. 69) des femmes qui ne veulent pas vivre en femmes vertueuses et qui préfèrent s'adonner à la prostitution. D'après l'usage, elles se présentent à l'audience du chef de la police, elles lui déclarent qu'elles n'ont aucun goût pour la vie de femme vertueuse et qu'elles préfèrent être comptées au nombre des prostituées, s'engageant à se conformer aux prescriptions qui régissent ces sortes de femmes. Les prescriptions qui régissent les prostituées sont les suivantes: on prend par écrit l'indication de son origine, son signalement et son adresse, et elle est inscrite au bureau des prostituées. On lui met autour du cou un cordonnet auquel est suspendu un sceau en cuivre portant l'empreinte du sceau royal et on lui délivre un diplôme dans lequel il est mentionné que la titulaire est comptée au nombre des prostituées, qu'elle versera annuellement au Trésor royal telle et telle somme en monnaie de cuivre et que quiconque l'épouserait serait mis à mort. [Dès lors], la femme verse annuellement la somme convenue [Pg 81] et elle peut se livrer sans danger à la prostitution (p. 70). Ces sortes de femmes sortent le soir habillées de vêtements de diverses couleurs, le visage découvert. Elles recherchent les gens étrangers récemment arrivés dans le pays—ceux qui sont libertins et corrompus—et les Chinois. Elles passent la nuit chez eux et s'en vont le lendemain matin. Quant à nous, louons Allah qu'Il nous ait purifiés de tels vices.
Les Chinois règlent toutes leurs transactions avec des pièces de cuivre et évitent les marchands qui se servent de dînâr (pièces d'or), et de dirham (pièces d'argent, comme les Arabes): en effet, si un voleur, disent-ils, s'est introduit dans la maison d'un Arabe qui traite ses affaires en monnaie d'or et d'argent, il peut emporter 10.000 pièces d'or sur son dos et une somme égale en argent monnayé et, du coup, le commerçant est ruiné. Mais si un voleur s'introduit chez un Chinois (p. 71), il ne pourra pas emporter plus de 10.000 pièces de cuivre, ce qui ne représente que 10 mithḳâl d'or (environ 20 francs).
Ces fulûs (pièces de cuivre) sont fabriquées avec du cuivre allié à d'autres [métaux] qui sont fondus avec le cuivre. Les pièces qu'on frappe avec cet alliage sont de la dimension d'un dirham al-baghlî . Dans le milieu de la pièce, on a percé un large trou par lequel passe la ficelle [pour faire une ligature de sapèques]. 1.000 fulûs valent un mithḳâl d'or (environ 2 francs). Chaque ligature comprend 1.600 fulûs divisés en 10 centaines séparées l'une de l'autre par un nœud fait à la ficelle. Lorsque quelqu'un fait l'achat d'une propriété, de meubles, de légumes ou de choses d'une plus grande valeur, il donne des fulûs en quantité égale à la valeur de son achat. On trouve de ces pièces de cuivre chinoises à Sîrâf [du golfe Persique]; des caractères chinois sont gravés sur ces fulûs .
[Pg 82]
Pour les incendies qui éclatent en Chine, la construction des maisons et ce qui a été déjà dit à ce sujet, [voici ce qu'on peut ajouter encore]: les villes, dit-on, sont construites en bois et en roseaux entrelacés (p. 72) comme les objets en roseau fendu qu'on fabrique en Arabie. Sur ce lattis de roseaux, on étend de l'argile qu'on recouvre ensuite d'un enduit spécifiquement chinois qui est fabriqué avec des graines de chanvre. Cet enduit devient aussi blanc que le lait; on en peint les murs qui deviennent extraordinairement brillants. Les maisons chinoises [sont bâties sur le sol même et] n'ont donc pas de marche d'escalier. [Voici l'explication de cette particularité]: tout ce que possèdent les Chinois, ce qu'ils ont amassé, est enfermé dans des caisses montées sur des roues que, en cas d'urgence, on peut faire rouler. Si un incendie se déclare, on pousse ces caisses avec leur contenu et il n'y a pas de marche d'escalier qui empêche de s'éloigner rapidement du feu.
En ce qui concerne les eunuques, l'auteur du Livre I s'est exprimé trop brièvement; [il y a donc lieu d'ajouter ce qui suit:] Les eunuques sont chargés de percevoir l'impôt et tous les autres revenus du Trésor. Les uns sont d'anciens captifs amenés de l'étranger en Chine où ils ont été faits eunuques; d'autres sont des Chinois que leurs parents ont châtré et qu'ils ont ensuite offert en présent au roi; car les eunuques sont spécialement chargés, en Chine, de la gérance des affaires de l'État et du Trésor royal (p. 73). Certains d'entre eux sont envoyés dans la ville de Ḫânfû où se rendent les marchands arabes. Lorsque les eunuques et les gouverneurs des villes se déplacent, ils ont l'habitude de se faire précéder par des gens porteurs d'un instrument en bois semblable à la crécelle [dont les chrétiens d'Orient se [Pg 83] servent pour appeler à la prière], avec lequel ils font un bruit qu'on entend de loin. Personne ne doit rester sur la route par laquelle doit passer l'eunuque ou le gouverneur; si quelqu'un est sur la porte de sa maison, il doit y entrer et fermer la porte. Il en est ainsi jusqu'à ce que soient passés l'eunuque ou le gouverneur chargé de l'administration de la ville. Pas un seul homme du peuple n'oserait rester sur la route [pendant le passage de ces fonctionnaires royaux], tant ils sont craints et redoutés. [Ils font chasser le peuple de la route où ils doivent passer] pour que celui-ci n'ait pas l'occasion de les regarder souvent et ne s'approche pas d'eux pour leur parler.
Les vêtements des eunuques et (p. 74) des généraux chinois sont en soie de première qualité qui n'est jamais exportée en pays arabe. Les Chinois [la recherchent] et elle atteint, en Chine, un prix extrêmement élevé. Un des marchands les plus importants dont l'information ne peut être mise en doute, rapporte qu'il se présenta devant l'eunuque envoyé par le roi dans la ville de Ḫânfû pour y choisir, avant tout autre acheteur, les marchandises importées d'Arabie que le roi désirait. Le marchand vit sur la poitrine de l'eunuque un grain de beauté qui apparaissait sous les vêtements de soie. Il estimait en lui-même que l'eunuque était vêtu d'un double vêtement. Comme le marchand regardait son interlocuteur avec insistance, l'eunuque lui dit: «Je vois que tu ne cesses de regarder ma poitrine. Pourquoi?» Le marchand lui répondit: «J'étais étonné qu'un grain de beauté pût apparaître à travers un double vêtement.» L'eunuque se mit à rire; puis, montrant au marchand la manche de sa robe, il lui dit: «Compte le nombre de vêtements (p. 75) que je porte.» [Le marchand [Pg 84] les compta] et il en trouva cinq, l'un sur l'autre, à travers lesquels apparaissait le grain de beauté. La soie [transparente] dont il est question est de la soie écrue qui n'a pas été foulée. La soie qui sert à habiller les rois est de qualité supérieure et plus admirable encore.
Parmi toutes les créatures d'Allah, les Chinois ont la main la plus habile à dessiner et à façonner; pour l'exécution de toutes sortes de travaux, il n'y a pas de peuple au monde qui puisse faire mieux qu'eux. Un Chinois peut confectionner artistiquement avec sa main des choses que personne autre ne serait capable de faire. [Quand il a terminé un objet d'art], il l'apporte au gouverneur de la ville et réclame une récompense pour le talent dont il a fait preuve en réalisant un travail original. Le gouverneur donne l'ordre que l'objet d'art en question reste exposé pendant un an à la porte de son palais. Si, pendant cette année d'exposition, personne n'y relève un défaut, l'artiste est récompensé par le gouverneur et fait alors partie des artistes officiels de celui-ci. Si, au contraire, on signale un défaut dans l'œuvre d'art, son auteur est écarté par le gouverneur qui ne lui accorde aucune récompense (p. 76). Un jour, un Chinois peignit, sur une étoffe de soie, un épi de blé sur lequel était posé un moineau. Aucun de ceux qui virent ce tableau ne se serait douté que l'épi et le moineau ne fussent pas réels [tant la reproduction était parfaite]. Le tableau resta exposé pendant un certain temps, lorsqu'un bossu qui passait par là se mit à le critiquer. On le fit entrer chez le gouverneur de la ville et, en présence du peintre du tableau, on invita le bossu à justifier sa critique. «Tout homme d'expérience sait, dit-il, qu'un moineau ne peut pas se poser sur un [Pg 85] épi de blé sans le faire pencher. Or, le peintre a représenté l'épi tout droit, sans le faire pencher, bien qu'un moineau soit perché dessus. Il a donc commis une faute.» La critique fut trouvée justifiée et le gouverneur ne donna aucune récompense au peintre. Dans cette circonstance et des circonstances analogues, le but des Chinois en soumettant les artistes à la critique, est de les obliger à se garder de commettre des erreurs et à réfléchir sérieusement quand ils exécutent un ouvrage d'art (p. 77).
Il y avait à Baṣra un homme de la tribu [mekkoise] de Ḳurayš appelé Ibn Wahab, descendant de Habbâr bin al-Aswad [qui, au moment de la prédication de l'Islâm, fit violemment opposition au prophète Muḥammad]. [Lorsque le chef des Zangs eut dévasté Baṣra en 257 de l'hégire = 870 de notre ère], Ibn Wahab quitta cette ville et se rendit à Sîrâf. Il y avait alors, dans ce dernier port, un navire qui allait partir pour la Chine. [Pg 86] Ibn Wahab eut fantaisie d'entreprendre ce voyage et il s'embarqua sur ce navire à destination de la Chine. [Arrivé en Chine], il résolut de se rendre auprès du grand roi du pays. Il alla donc à Ḫumdân; parti de la ville appelée Ḫânfû, il parvint à Ḫumdân en deux mois de voyage. Il attendit longtemps à la porte du palais royal, bien qu'il ait adressé plusieurs demandes d'audience et qu'il ait déclaré qu'il faisait partie de la famille du prophète des Arabes. Au bout d'un certain temps, le souverain chinois prescrivit de donner l'hospitalité à Ibn Wahab en le logeant dans une maison et en le pourvoyant de tout ce qui serait nécessaire. En même temps, le roi écrivit (p. 78) au gouverneur qui le représentait à Ḫânfû, l'invitant à faire une enquête et à prendre des informations auprès des marchands sur cet homme qui se donnait comme parent du prophète des Arabes—qu'Allah Le bénisse!—Le gouverneur de Ḫânfû répondit que la parenté de Ibn Wahab avec le prophète arabe était authentique. Le roi de Chine donna alors audience à Ibn Wahab et lui fit des présents de grande valeur. Celui-ci retourna en ʿIrâḳ avec les présents qu'il avait reçus. [En 303 de l'hégire = 915 de notre ère, au dire de Masʿûdî,] cet homme était devenu vieux, mais il avait conservé toute son intelligence. Il nous fit savoir que, lorsqu'il arriva auprès du roi de Chine, celui-ci lui posa des questions sur les Arabes et lui demanda comment ils avaient anéanti le roi de Perse. Ibn Wahab répondit: «Par la toute-puissance d'Allah et avec son aide et parce que les Persans étaient adorateurs du feu, du soleil et de la lune au lieu d'adorer Allah.» Le roi dit alors: «Les Arabes vainquirent alors le plus puissant des royaumes, celui qui avait le plus de terres cultivées et fertiles, le plus riche, celui où les hommes intelligents étaient en [Pg 87] plus grand nombre et dont la renommée s'étendait le plus loin.» Le roi dit ensuite: «Comment classez-vous les rois [de la terre]?» L'Arabe répondit: «Je ne sais rien à ce sujet.» Le roi dit à l'interprète: «Dis à Ibn Wahab que nous, Chinois, nous comptons cinq rois. Celui qui possède le royaume le plus riche est le roi de l'ʿIrâḳ, parce que l'ʿIrâḳ est au centre du monde et que les autres royaumes l'entourent. En Chine, on le désigne sous le nom de «roi des rois». Après lui, vient le roi de Chine que nous désignons sous le nom de «roi des hommes», parce qu'il n'y a pas de roi qui, mieux que lui, ait établi les bases de la paix, qui maintienne mieux l'ordre que nous ne le faisons dans notre royaume et dont les sujets soient plus obéissants à leur roi que les nôtres. C'est pour cela que le roi de Chine est le «roi des hommes». Vient ensuite le «roi des bêtes féroces»: c'est le roi des Turks (des Toguz-Oguz), qui sont nos voisins. Puis, c'est le «roi des éléphants», c'est-à-dire le roi de l'Inde. On l'appelle aussi en Chine «le roi de la sagesse», parce que la sagesse est originaire de l'Inde. Vient enfin le roi de Rûm (Byzance) que nous appelons «le roi des beaux hommes (rex virorum)» parce qu'il n'y a pas sur terre un peuple (p. 80) aussi bien fait que celui des Byzantins, ni qui ait plus beau visage. Tels sont les principaux rois de la terre; les autres rois ne leur sont en rien comparables.»
Le roi dit ensuite à l'interprète: «Demande à Ibn Wahab si, en le voyant, il reconnaîtrait son maître.» Le roi voulait parler du prophète d'Allah—qu'Allah Le bénisse!—Je lui répondis: «Comment pourrai-je le voir; il est maintenant auprès d'Allah, le Puissant et le Fort.» Le roi reprit: «Ce n'est pas ce que je voulais dire; je voulais parler de son portrait.» Ibn Wahab [Pg 88] répondit affirmativement. Le roi fit alors apporter une boîte; on l'ouvrit et on la mit devant l'Arabe qui y prit des rouleaux de papier. Et le roi dit à l'interprète: «Fais-lui voir son maître.» Je vis alors sur ces rouleaux de papier l'image [peinte] des prophètes et je remuai les lèvres en priant pour eux. Le roi ne savait pas que je reconnaissais les prophètes et il dit à l'interprète: «Demande à Ibn Wahab pourquoi il a remué les lèvres.» L'interprète traduisit et je répondis: «Je priais pour les prophètes.» Le roi demanda encore: «Comment les as-tu reconnus?» Je répondis: «Par les particularités de chacun d'eux que la peinture reproduit (p. 81). Voici Noé dans l'arche qui se sauva avec les siens lorsque [Pg 89] Allah le Tout-Puissant ordonna à l'eau de submerger la terre entière et tous ceux qui l'habitaient; Allah ne préserva de la mort que Noé et sa famille.» Le roi se mit à rire; puis il dit: «Pour Noé, tu as dit vrai en mettant son nom [sur ce portrait]; mais en ce qui concerne le déluge qui aurait submergé la terre entière, nous ne savons rien de pareil. Le déluge n'a atteint qu'une partie de la terre; il ne s'est manifesté ni en Chine, ni en Inde.» Ibn Wahab [me] dit: «Je n'osai pas contredire le roi de Chine et produire les arguments que j'avais à faire valoir, parce qu'il ne l'aurait pas admis. [Je continuai donc à examiner les portraits] et je dis: «Voici Moïse avec son bâton, et les Israélites.» Le roi dit alors: «C'est cela; [mais Moïse] n'était maître que d'un petit pays et son peuple se révolta contre lui.» Je continuai: «Voici Jésus sur son âne, avec ses apôtres.» Le roi dit alors: «Il a duré peu de temps, car son pouvoir ne s'est guère exercé que pendant un peu plus de trente (p. 82) mois.» Ibn Wahab énuméra les particularités des autres prophètes [dont on lui présentait l'image], mais nous nous bornons à rapporter seulement une partie de ce qu'il avait dit. Il affirmait que, au-dessus de chaque portrait de prophète, on voyait une longue inscription [en caractères chinois] et il supposait qu'on y avait mentionné le nom du prophète, l'endroit de son pays où tel événement survint et les motifs de sa mission prophétique. Ibn Wahab dit ensuite: «Puis, je vis l'image du prophète—Qu'Allah Le bénisse et Lui donne le salut!—Il était sur un chameau, et ses compagnons l'entouraient, montés également à chameau; ils étaient chaussés de chaussures arabes; ils avaient des cure-dents [arabes] attachés à leur ceinture (?). Je me mis alors à pleurer. Le roi me fit [Pg 90] demander par l'interprète pourquoi je pleurais, et je répondis: «Voici notre Prophète, notre Seigneur, qui est le fils de mon oncle paternel, mon cousin [parce que nous sommes tous deux Ḳuraychites]—sur Lui soit la paix!—». «C'est vrai, reprit le roi: votre prophète et son peuple ont créé le plus puissant des royaumes; mais le prophète n'a pas pu voir de ses propres yeux [le développement du royaume] qu'il avait créé; ce sont ses successeurs qui le virent.» Je vis ensuite, [continua Ibn Wahab] l'image d'un grand nombre d'autres prophètes (p. 83); certains d'entre eux faisaient un signe de la main droite et tenaient le pouce et l'index réunis comme si, en faisant ce geste [ils voulaient affirmer] la vérité [de leur foi]. D'autres prophètes étaient peints debout, montrant le ciel avec leurs doigts. Il y avait encore d'autres portraits, mais l'interprète me dit qu'ils représentaient les prophètes de la Chine et de l'Inde. Le roi me demanda des renseignements sur les Khalifes arabes et leur apparence extérieure; puis il me posa de nombreuses questions sur les lois religieuses musulmanes et leur objet [et j'y répondis] dans la mesure où je pouvais y répondre. Il dit ensuite: «Quel est, d'après vous, l'âge du monde?» «On diffère d'opinion à cet égard, répondis-je. Les uns disent qu'il date de 6.000 ans; d'autres disent qu'il est moins ancien; d'autres encore qu'il l'est davantage; mais ces divergences sont négligeables.» [A cette réponse] le roi partit d'un formidable éclat de rire; son ministre, qui assistait à l'entretien et se tenait debout, montra également qu'il désapprouvait ce que je venais de dire. Puis, le roi dit: «Je ne pense pas que votre prophète ait dit une telle [sottise].» Je commis la faute de répondre: «Oui, notre prophète a dit cela.» Je vis alors (p. 84) des signes de désapprobation [Pg 91] sur le visage du roi, qui me fit dire par l'interprète: «Pèse bien tes paroles; quand on parle aux rois, on ne le fait qu'à bon escient. Tu as affirmé que les musulmans ne sont pas d'accord à ce sujet; ce qui revient à dire que vous n'êtes pas d'accord sur ce qu'a dit votre prophète; or, il est obligatoire de ne point être en désaccord sur ce qu'ont dit les prophètes; cela est accepté par tous. Fais bien attention à cela et ne dis plus rien de semblable.» Le roi dit encore beaucoup d'autres choses que j'ai oubliées, car il s'est écoulé beaucoup de temps depuis qu'a eu lieu cette conversation. Il me dit ensuite: «Pourquoi t'es-tu éloigné de ton roi [au point de venir en Chine]? Tu étais plus près de sa résidence [que de la mienne] et tu es plus proche de lui par ta résidence et par ta naissance [que tu ne l'es de moi].» A cela, je répondis en racontant ce qui était arrivé à Baṣra [lorsque la ville fut dévastée par les Zangs]: «[Dans ces circonstances, dis-je ensuite], je m'empressai de partir pour Sîrâf où je vis un navire qui allait partir pour la Chine. J'avais entendu parler de l'illustre royaume de Chine et de l'abondance des choses excellentes de toutes sortes qu'on y trouve. Il me fut infiniment agréable que les circonstances me permissent de m'y rendre pour le voir. [Maintenant], je (p. 85) vais le quitter et retourner dans mon pays, auprès du roi [des Arabes] qui est le fils de mon oncle paternel. Je raconterai à ce dernier ce que j'ai vu et dont je puis me porter garant: la puissance de ce roi, l'immensité du pays, les avantages dont j'ai joui et tous les bienfaits dont j'ai été comblé.» Mes paroles firent plaisir au roi. Il donna l'ordre de me remettre un présent magnifique et de me faire transporter à Ḫânfû par les mulets de la poste royale. Il écrivit au gouverneur de Ḫânfû de me bien traiter, de me donner [Pg 92] le pas sur tous les autres fonctionnaires de sa province et de pourvoir à mon entretien jusqu'au moment de mon départ. Je fus ainsi abondamment nourri et je vécus dans le bien-être jusqu'à mon départ de la Chine.»
Nous demandâmes à Ibn Wahab des renseignements sur la ville de Ḫumdân où résidait le roi et [nous le priâmes] de nous en faire la description. Il raconta qu'elle est immense et très peuplée. Cette ville est divisée en deux parties qui sont séparées l'une de l'autre par un chemin long et large (p. 86). Le roi, son ministre, ses troupes, le grand juge, les eunuques royaux et tous ses biens sont dans la partie droite de la ville qui est à l'est. Il ne se mêle à eux aucun individu du peuple, et il n'y a pas de marché. Dans toute la longueur des rues, coulent des ruisseaux; elles sont bordées d'arbres plantés avec art et de maisons spacieuses. La partie gauche de la ville qui est à l'ouest, est occupée par le peuple, les marchands, les entrepôts de marchandises et les marchés. Dès l'aube, on voit les intendants royaux, les fonctionnaires et les esclaves du palais, les esclaves des chefs militaires et leurs agents se rendre, à pied ou à cheval, dans la partie de la ville où se trouvent les marchés et les boutiques; ils y achètent des provisions de bouche et tout ce qui leur est nécessaire. Puis, ils s'en vont et on ne revoit aucun d'eux, dans cette partie de la ville, jusqu'au jour suivant.
En Chine (p. 87), on trouve toutes sortes d'agréments, de beaux bosquets traversés par des rivières; mais le palmier n'y existe pas.
On raconte actuellement (vers 916 de notre ère) un fait qui fut ignoré de ceux qui nous ont précédé, et qui est le suivant: personne n'avait supposé que la mer de Chine et de l'Inde communiquait avec la mer de Syrie (la [Pg 93] Méditerranée orientale); rien de pareil ne serait venu à l'esprit jusqu'à maintenant. Or, il arrive à notre connaissance qu'on a trouvé dans la mer de Rûm (la Méditerranée orientale) des pièces de bois provenant de navires arabes cousues [ensemble, mais non clouées]. Ces navires [avaient fait naufrage et] s'étaient brisés en plusieurs morceaux; les gens qui se trouvaient à bord avaient péri; les vagues avaient mis ces navires en pièces, et la mer, poussée par le vent, avait projeté ces épaves dans la mer des Ḫazars (la mer Caspienne). De là, [ces épaves] arrivèrent dans le golfe de Rûm (mer de Marmara), d'où elles parvinrent dans les mers de Rûm et de Syrie (la Méditerranée orientale). Ceci montre que la mer fait le tour du pays de la Chine, de la Corée, de l'arrière-pays des Turks (p. 88) et des Ḫazars, se jette dans le golfe [de Constantinople] et communique ainsi avec la mer de Syrie. C'est un fait que le type de navire construit avec des pièces de bois cousues ensemble, est une spécialité des constructeurs de Sîrâf; les constructeurs de navires de Syrie et de Rûm (Byzance) clouent, au contraire, ces mêmes pièces de bois, mais ne les cousent jamais l'une à l'autre. [On peut donc légitimement conclure de la trouvaille dans la mer de Syrie de pièces de bois cousues ensemble que ces épaves provenaient de navires construits à Sîrâf qui, de l'Océan Indien, étaient parvenus en Méditerranée orientale et que les mers de l'Inde, de la Chine, la Caspienne, la mer de Marmara et la Méditerranée orientale communiquent l'une avec l'autre, comme il vient d'être dit].
Il est également arrivé à notre connaissance qu'on trouve de l'ambre dans la mer de Syrie. Le fait ne paraît pas admissible et on ne savait rien de pareil autrefois. Il est impossible d'ajouter foi à ce qui a été dit à ce sujet; [Pg 94] pour que ce fait fût vrai, l'ambre n'aurait pu arriver dans la mer de Syrie qu'en passant par la mer d'Aden (la mer Rouge) et de Ḳulzum (golfe de Suez), car cette mer (Rouge) est en communication avec les mers (l'Océan Indien) où se trouve l'ambre. Mais Allah, le Tout-Puissant, a dit [dans le Ḳorân, surate XXVII, verset 62]: «J'ai placé une barrière (l'isthme de Suez) entre ces deux mers (la mer Rouge et la Méditerranée).» Si le fait qu'on m'a rapporté est authentique, [il faut en conclure que l'ambre] a été projeté par la mer, de la mer de l'Inde dans les autres mers, de l'une à l'autre, jusqu'à ce (p. 89) qu'il soit arrivé dans la mer de Syrie.
[Pg 95]
Nous commençons [ce chapitre] par l'histoire de la ville de Jâwaga (Java) parce qu'elle est située en face de la Chine. La distance entre l'une et l'autre est d'un mois de route par mer, et même moins si les vents sont favorables.
Le roi de cette ville est connu sous le titre [sanskrit] de mahârâja (le grand roi). On dit que la superficie [du territoire dont cette ville est la capitale] est de 900 parasanges [carrées]. Ce roi est en même temps souverain d'un grand nombre d'îles qui s'étendent sur 1.000 parasanges de distance et plus encore.
Parmi les états sur lesquels il règne, est l'île appelée Sribuza, dont la superficie est, dit-on, de 400 parasanges [carrées], et l'île appelée Râmî, dont la superficie est de 800 parasanges [carrées]. Dans celle-ci, on trouve des plantations (p. 90) de bois du Brésil, le camphrier et d'autres essences. Fait également partie des possessions du Mahârâja, le pays maritime de Kalah (ou Kra, sur la côte orientale de la péninsule malaise) qui est situé à mi-chemin entre la Chine et l'Arabie. La superficie du pays de Kalah est, dit-on, de 80 parasanges [carrées]. La ville de Kalah est [Pg 96] le marché où se centralise le commerce de l'aloès, du camphre, du sandal, de l'ivoire, de l'étain, l'ébène, le bois du Brésil, de tous les épices et aromates et d'autres produits dont la mention détaillée serait trop longue. C'est dans ce port que se rendent actuellement (au commencement du X e siècle) les navires de l'ʿOmân et c'est de ce port que partent les navires à destination de l'ʿOmân.
L'autorité du Mahârâja s'exerce sur ces îles. Son île à lui, dans laquelle il réside, est aussi fertile qu'une terre peut l'être et les endroits peuplés s'y suivent sans interruption. Quelqu'un, dont le témoignage est digne de foi, a rapporté que lorsque les coqs de ce pays se mettent à chanter à l'aube, comme ils le font en Arabie, ils se répondent les uns aux autres [sur une étendue de pays qui atteint] jusqu'à 100 (p. 91) parasanges et plus encore; [il en est ainsi] parce que les villages sont contigus l'un à l'autre et se succèdent sans interruption; car il n'y a ni déserts ni ruines. Celui qui se déplace dans ce pays en voyageant à pied ou à cheval peut aller où il lui plaira; s'il lui arrive de s'ennuyer ou [Pg 97] que son cheval soit fatigué, il peut s'arrêter où il voudra, [il trouvera toujours un gîte].
Parmi les choses extraordinaires qui sont venues à notre connaissance, en ce qui concerne les traditions de cette île appelée Jâwaga, [je vais rapporter la suivante]. Un ancien roi de cette île qui portait le titre de Mahârâja, avait son palais qui faisait face à un talâg communiquant avec la mer—par talâg on désigne un estuaire comme celui du Tigre, le fleuve de Baghdâd et de Baṣra, où pénètre l'eau de mer avec le flot et où l'eau est douce au moment du jusant. De ce talâg , se formait un petit lac contigu au palais du roi. Chaque matin, l'intendant se présentait devant le roi et lui apportait un lingot d'or en forme de brique (p. 92), pesant un certain nombre de mann dont la valeur m'est inconnue. Puis, devant le roi, l'intendant jetait ce lingot dans le lac. Au moment du flot, l'eau recouvrait entièrement ce lingot et les lingots identiques qui se trouvaient déjà dans le talâg ; au moment du jusant, quand la mer se retirait, les lingots reparaissaient et brillaient au soleil. Le roi les examinait quand il siégeait dans sa grande salle dominant le lac. Cette coutume se maintenait invariable: on jetait tous les jours un lingot d'or dans le lac. Tant que le roi vivait, on ne touchait pas aux lingots. A sa mort, son successeur faisait retirer tous les lingots sans en excepter un seul. On les comptait, on les faisait fondre; puis on en partageait [une certaine quantité] entre les membres de la famille royale, hommes, femmes et enfants; les généraux, les esclaves royaux, en tenant compte (p. 93) de leurs rang et prérogatives respectifs. L'excédent était ensuite distribué aux pauvres et aux malheureux. Puis on inscrit officiellement le nombre des lingots d'or et leur poids. [Dans le procès-verbal rédigé à cette occasion,] [Pg 98] il était mentionné que tel roi ayant régné à telle époque, pendant tant d'années, avait laissé après sa mort tant de lingots d'or dans le lac royal et que ses lingots avaient été partagés, après sa mort, entre les princes et les fonctionnaires royaux. Chez les gens du Jâwaga, c'était une gloire pour un roi qu'eussent été longs les jours de règne et que fût plus grand le nombre des lingots d'or qu'il laissait en héritage.
D'après les annales du pays de Jâwaga, il y avait autrefois un roi de Khmèr [dont il va être question plus loin]. Le Khmèr (ancien Cambodge) est le pays d'où on exporte l'aloès khmèr (aloès cambodgien). Ce pays n'est pas une île, mais [il est situé] sur la partie [du continent asiatique] qui confine au pays des Arabes ( sic ). Il n'y a pas de royaume qui possède une plus nombreuse (p. 94) population que celui de Khmèr. Tous les Khmèrs vont à pied. La débauche et toutes les boissons fermentées leur sont interdites; dans les villes et dans l'empire, on ne trouverait pas une seule personne pratiquant la débauche ou usant de boissons fermentées. Le Khmèr est situé sur la même longitude que le royaume du Mahârâja, c'est-à-dire l'île qui est appelée Jâwaga (Java). Entre ces deux pays, la distance est de dix à vingt jours [de route] par mer, en faisant route dans la direction nord-sud ou inversement; [dix jours avec bon vent et vingt jours] avec un vent moyen.
On raconte que, autrefois, un roi de Khmèr fut investi du pouvoir; il était jeune et prompt à agir. Un jour, il était assis dans son palais qui dominait un fleuve d'eau douce semblable au Tigre de l'ʿIrâḳ—entre le palais et la mer, la distance était d'un jour de route [par le fleuve]—il avait son ministre devant lui. Il s'entretenait avec son ministre et il était question dans la conversation du [Pg 99] royaume du Mahârâja, de l'éclat qu'il jetait, de sa nombreuse population et des îles qui lui étaient soumises (p. 95). «J'ai un désir [dit alors le roi,] que j'aimerais à satisfaire.» Le ministre, qui était sincèrement dévoué à son souverain et qui connaissait sa promptitude à prendre des décisions, lui demanda: «Quel est ce désir, ô roi?» Celui-ci reprit: «Je désire voir devant moi, sur un plat, la tête du Mahârâja, roi de Jâwaga.» Le ministre comprit que c'était la jalousie qui avait suggéré cette pensée à son souverain et il lui répondit: «Je n'aimerais pas, ô roi, que mon souverain exprimât un tel désir. Les peuples du Khmèr et du Jâwaga n'ont jamais manifesté de haine l'un pour l'autre, ni en paroles, ni en actes. Le Jâwaga ne nous a jamais fait de mal. C'est une île lointaine qui n'est pas dans le voisinage de notre pays. [Son gouvernement] n'a jamais manifesté un vif désir de s'emparer du Khmèr. Il ne faudrait pas que qui que ce soit ait connaissance de ce que le roi vient de dire ni que le roi répétât ce propos.» Le roi du Khmèr se fâcha [contre son ministre], n'écouta pas l'avis (p. 96) que lui donnait son sage et loyal conseiller et il répéta le propos devant ses généraux et devant des grands de sa cour qui étaient présents. Le propos passa de bouche en bouche au point qu'il se répandit partout et qu'il parvint à la connaissance du Mahârâja. Celui-ci était un souverain énergique, actif et expérimenté; il était alors arrivé à l'âge mûr. Il fit appeler son ministre et l'informa de ce qu'il venait d'apprendre; puis, il ajouta: «Après le propos que ce fou [de roi khmèr] a rendu public, devant le désir [de voir ma tête sur un plat] qu'il a exprimé parce qu'il est jeune et léger, après la divulgation du propos qu'il a tenu, il est nécessaire que je m'occupe de lui. [Mépriser ses insultes,] serait me faire tort à moi-même, [Pg 100] me diminuer et m'abaisser devant lui.» Le roi prescrivit ensuite à son ministre de garder secrète la conversation qu'ils venaient d'avoir et de faire préparer mille navires de moyenne grandeur, de les équiper, de mettre à bord de chacun d'eux des armes et des troupes vaillantes (p. 97) en aussi grande quantité que possible. [Pour expliquer ces armements,] il déclara ouvertement qu'il désirait faire un voyage d'agrément dans les îles de son royaume; et il écrivit aux gouverneurs de ces îles qui lui étaient soumises, pour les prévenir qu'il allait leur faire visite en effectuant un voyage d'agrément dans les îles. La nouvelle se répandit partout et le gouverneur de chaque île se prépara à recevoir le Mahârâja comme il convenait.
Lorsque les ordres du roi furent exécutés et que les préparatifs étaient terminés, celui-ci s'embarqua et avec sa flotte et ses troupes fit route à destination du royaume de Khmèr. Le roi et ses compagnons se servaient du cure-dent; chacun d'eux s'en servait plusieurs fois par jour. Chacun emportait un cure-dent et ne s'en séparait pas ou le donnait à garder à son domestique.
Le roi du Khmèr n'eut soupçon de ces événements que lorsque le Mahârâja se fut emparé du fleuve conduisant à sa capitale et eut lancé en avant ses troupes. Celles-ci cernèrent (p. 98) la capitale à l'improviste, elles s'emparèrent du roi et entourèrent son palais. Les Khmèrs avaient fui devant l'ennemi. Le Mahârâja fit déclarer par des crieurs publics qu'il garantissait la sécurité de tout le monde; puis il s'assit sur le trône du roi du Khmèr qui avait été fait prisonnier et le fit comparaître devant lui ainsi que son ministre. Il dit au roi du Khmèr: «Qu'est-ce qui t'a poussé à formuler un désir qu'il n'était pas en ton pouvoir de satisfaire, qui [Pg 101] ne t'aurait pas donné de bonheur s'il avait été réalisé et qui même n'aurait pas été justifié s'il avait été facilement réalisable?» [Le roi khmèr] ne répondit pas. Le Mahârâja reprit: «Tu as manifesté le désir de voir devant toi ma tête sur un plat; mais si tu avais également voulu t'emparer de mon pays et de mon royaume ou seulement en ravager une partie, j'en aurais fait autant au Khmèr. Comme tu n'as exprimé que le premier de ces désirs, je vais t'appliquer le traitement que tu voulais me faire subir et je retournerai ensuite dans (p. 99) mon pays, sans m'emparer de quoi que ce soit du Khmèr, qu'il s'agisse de choses de grande ou d'infime valeur. Ma victoire [servira de leçon] à tes successeurs; personne ne sera plus tenté d'entreprendre une tâche au-dessus de ses forces, et de désirer plus qu'il ne lui est échu en partage par la destinée; on s'estimera heureux d'avoir la santé, quand on en jouira.» Il fit alors couper la tête au roi du Khmèr. Puis il s'approcha du ministre khmèr et lui dit: «Je vais te récompenser pour le bien [que tu as essayé de faire] en agissant en [bon] ministre; car je sais bien comment tu avais sagement conseillé ton maître: [quel dommage pour lui] qu'il ne t'ait pas écouté. Cherche maintenant quelqu'un qui puisse faire un bon roi après ce fou, et mets-le à la place de celui-ci.»
Le Mahârâja partit sur l'heure pour retourner dans son pays, sans que lui ni aucun de ceux qui l'accompagnaient emportassent quoi que ce soit du pays de Khmèr. Lorsqu'il fut de retour dans son royaume, il s'assit sur son trône qui dominait le lac [aux lingots d'or] et il fit mettre devant lui le plat contenant la tête (p. 100) du roi du Khmèr. Puis, il fit convoquer les hauts fonctionnaires de son royaume et les mit au [Pg 102] courant de ce qui s'était passé et des motifs qui l'avaient poussé à entreprendre cette expédition contre le roi du Khmèr. [En apprenant cela], le peuple du Jâwaga pria pour son roi et lui souhaita toutes sortes de bonheur. Le Mahârâja fit ensuite laver et embaumer la tête du roi du Khmèr; on la mit dans un vase et on l'envoya au roi qui avait remplacé sur le trône du Khmèr le souverain décapité. Le Mahârâja fit parvenir en même temps une lettre ainsi conçue: «J'ai été poussé à agir comme je l'ai fait vis-à-vis de ton prédécesseur à cause de la haine qu'il avait manifestée contre nous et nous l'avons châtié [pour donner une leçon] à ceux qui voudraient l'imiter. Nous lui avons appliqué le traitement qu'il voulait nous faire subir. Nous jugeons bon de te renvoyer sa tête, car il n'est maintenant pas nécessaire de la retenir ici. Nous ne tirons aucune gloire de la victoire que nous avons remportée contre lui.» Quand la nouvelle [de ces événements] parvint aux rois de l'Inde et de la Chine, le Mahârâja grandit à leurs yeux. Depuis ce moment, les rois du Khmèr, (p. 101) tous les matins, en se levant, tournent le visage dans la direction du pays de Jâwaga (Java), s'inclinent jusqu'à terre et s'humilient devant le Mahârâja pour lui rendre hommage.
Les autres rois de l'Inde et de la Chine croient à la métempsycose; c'est un de leurs articles de foi. Quelqu'un dont le témoignage est digne de foi a raconté qu'un de ces rois fut atteint de la variole. Lorsqu'il fut guéri de cette maladie, il se regarda dans une glace et [Pg 103] se trouva le visage hideux. Apercevant un fils de son frère, il lui dit: «Quelqu'un de ma sorte ne peut rester dans un corps aussi changé que le mien l'a été. Le corps est un réceptacle pour l'âme; quand celle-ci l'a quitté, elle s'incarne de nouveau dans un autre corps. Prends la direction du royaume; je vais séparer mon corps et mon âme pour que celle-ci passe dans un autre corps.» Puis, il se fit apporter un poignard aiguisé et tranchant, et il ordonna qu'on lui tranchât la tête avec ce poignard. On fit ensuite brûler le corps.
[Pg 104]
Par suite de l'extrême sollicitude (p. 102) du gouvernement pour leurs affaires, autrefois, antérieurement aux changements [regrettables] qui viennent de se produire actuellement (au commencement du X e siècle), les Chinois se trouvaient en un état [d'ordre et de paix] inconnu par ailleurs.
Un homme du Ḫorâsân était venu dans l'ʿIrâḳ, y avait acheté beaucoup de marchandises et s'était embarqué à destination de la Chine. Il était extrêmement avare. L'eunuque que le roi avait envoyé à Ḫânfû—Ḫânfû est la ville où se rendent les marchands arabes—et le marchand du Ḫorâsân ne s'entendirent pas sur le choix des marchandises importées par mer qu'avait demandées le roi. Cet eunuque était un des plus importants fonctionnaires royaux; c'était lui qui avait charge des trésors et des richesses du roi (p. 103). Le désaccord entre l'eunuque et le marchand se produisit au sujet d'un achat d'ivoire et d'autres marchandises; celui-ci refusait de vendre si on n'élevait pas le prix proposé. L'eunuque se laissa aller à enlever [de force] ce qu'il y avait de [Pg 105] mieux dans les marchandises apportées par le marchand, sans tenir aucun compte [des protestations du propriétaire], à cet égard. Celui-ci partit [de Ḫânfû] sous un déguisement et se rendit à Ḫumdân, la capitale du grand roi de la Chine qui est à deux mois [de marche de Ḫânfû], et même davantage. Il se dirigea vers la chaîne dont il a été question dans le Livre I [ vide supra , p. 58]. L'usage veut que celui [qui a tiré la chaîne et] fait sonner [la cloche qui est] au-dessus [de la tête] du grand roi [pour le prévenir qu'on en appelle à lui], soit conduit à dix journées de route [de la capitale], comme en une sorte d'exil. Là, il est mis en prison pendant deux mois; puis, le gouverneur de l'endroit se le fait amener et lui dit: «Tu t'es exposé, en en appelant au roi suprême, à la ruine et à verser ton sang, si ta réclamation n'est pas justifiée. Le roi [a nommé à Ḫânfû, dans la ville où] toi et les autres marchands résident, des ministres (p. 104) et des gouverneurs [pour donner suite à vos plaintes], qui n'auraient pas manqué de te rendre justice si tu t'étais adressé à eux. Sache qu'en persistant à demander audience au roi, si ta plainte n'est pas de nature à justifier une telle démarche, tu t'exposes à la mort. [La peine capitale est appliquée en cas de plainte injustifiée adressée directement au roi], pour qu'une autre personne n'ait pas l'audace de suivre ton exemple. Retire donc ta plainte et va-t'en à tes affaires.» Quand quelqu'un retire sa plainte, on lui applique 50 coups de bâton et on le renvoie à l'endroit d'où il est venu; si au contraire, le plaignant maintient sa demande d'audience, il est conduit auprès du roi. C'est la procédure qui fut suivie à l'égard du marchand du Ḫorâsân. Celui-ci maintint sa plainte et demanda un sauf-conduit; on le lui envoya et il parvint jusqu'au roi [qui lui [Pg 106] donna audience]. L'interprète du palais l'interrogea sur son affaire; le marchand raconta ce qui était arrivé avec l'eunuque [de Ḫânfû] et comment celui-ci lui avait pris de force des marchandises. [Il ajouta] que la connaissance de cette affaire s'était répandue à Ḫânfû et qu'elle y était connue de tout le monde. Le roi donna l'ordre de mettre en prison (p. 105) le marchand du Ḫorâsân et de lui fournir tout ce qu'il demanderait pour sa nourriture. Il prescrivit ensuite à son ministre d'écrire aux fonctionnaires royaux de Ḫânfû de faire une enquête au sujet de la réclamation du marchand et de découvrir la vérité. Les mêmes instructions furent données aux Maîtres de la droite, de la gauche et du centre—ce sont ces trois personnages qui, après le ministre, ont le commandement des troupes royales; c'est à eux que le roi confie la garde de sa personne. Lorsque le souverain part en campagne ou en d'autres circonstances, ils l'accompagnent et chacun d'eux prend, auprès du roi, la place [qu'indique son titre].—Chacun de ces trois personnages écrivit [dans le même but aux fonctionnaires placés sous ses ordres].
Tous les renseignements recueillis au cours de l'enquête montrèrent que le marchand du Ḫorâsân avait dit vrai; des informations dans ce sens parvenaient les unes après les autres au souverain, de tous les côtés. Le roi fit alors appeler l'eunuque. Dès qu'il fut arrivé, on confisqua ses biens et il fut destitué de ses fonctions de trésorier royal. Le roi lui dit ensuite: «En toute justice, je devrais te (p. 106) faire mettre à mort, car tu m'as exposé [à être mal jugé] par un homme qui, parti du Ḫorâsân—lequel est situé à la frontière de mon royaume—s'est rendu dans le pays des Arabes; de là, dans l'Inde et, enfin, en Chine pour y rechercher ma [Pg 107] faveur. Tu voulais donc que, en s'en retournant et en repassant dans ces pays où il reverrait les mêmes personnes, il puisse dire: «En Chine, on a agi injustement envers moi, on m'a enlevé mes marchandises de vive force!» Cependant, je ne te ferai pas mettre à mort par considération pour [tes services] passés; mais tu seras [désormais] chargé de la garde des morts, puisque tu as été incapable d'être un [bon] administrateur des vivants.» Et sur l'ordre du roi, l'eunuque fut placé dans le cimetière des rois pour y garder les tombes et pourvoir à leur entretien.
L'une des choses admirables de l'administration chinoise d'autrefois, de la période antérieure à l'époque actuelle (commencement du X e siècle), est la façon dont étaient rendus les jugements, le respect qu'inspiraient les décisions judiciaires. Le gouvernement choisissait [avec soin les juges] pour que les Chinois n'aient aucune inquiétude en ce qui concerne la connaissance des lois [par les magistrats] (p. 107), la sincérité de leur zèle, leur respect de l'équité en toutes circonstances, leur éloignement de toute partialité en faveur des gens de haut rang tant que le droit n'a pas été rétabli, leur scrupuleuse honnêteté à l'égard des biens des faibles et de tout ce qui passe entre leurs mains, [biens des orphelins, etc.].
Lorsqu'on avait décidé de nommer quelqu'un grand juge, avant de l'investir de cette dignité, on l'envoyait dans toutes les villes qui étaient considérées comme les soutiens du pays. Il résidait dans chaque ville pendant un ou deux mois et faisait une enquête sur les affaires des habitants, leur histoire et leurs coutumes. Il s'informait des personnes sur le témoignage desquelles on pouvait compter, de façon à ce que lorsqu'elles lui [Pg 108] auraient fourni des informations, il devenait inutile d'en interroger d'autres. Lorsqu'il avait visité les villes en question et qu'il ne restait plus, dans le royaume, d'endroit important qu'il n'ait visité, cet homme retournait à la capitale et il était investi des fonctions de grand juge.
C'était à lui qu'appartenait le choix des juges et il leur donnait l'investiture. Sa connaissance [des principales villes] du royaume tout entier (p. 108) et des personnes dont, en chaque ville, la nomination s'imposait comme juge provincial, qu'elles fussent originaires de la ville même ou d'ailleurs, était telle qu'elle le dispensait de recourir aux informations de gens qui peut-être auraient eu une opinion partiale ou n'auraient pas dit la vérité en réponse aux questions qui leur étaient posées. [Avec de tels magistrats], il n'y avait pas à craindre qu'un juge transmette au grand juge un fait dont il aurait connu l'inexactitude et qu'il lui montre l'affaire sous un aspect fallacieux.
Tous les jours, un crieur public dit ceci à la porte du grand juge: «Quelqu'un a-t-il une plainte à présenter au roi qui n'est pas visible de ses sujets, contre l'un de ses fonctionnaires, de ses chefs militaires ou l'un de ses sujets? Je suis le délégué du roi pour connaître de toutes ces affaires en vertu des pouvoirs qu'il m'a conférés à cet égard et [des fonctions dont] il m'a investi.» Le crieur répète cette formule trois fois. Il est de règle que le roi ne quitte sa résidence qu'après avoir examiné si la correspondance des gouverneurs contenait quelque injustice évidente ou s'il y avait quelque négligence dans le fonctionnement de la justice et dans l'activité des magistrats. Ces deux ordres de faits une fois bien réglés, la correspondance des gouverneurs ne mentionne plus [Pg 109] que des actes équitables et la justice n'est exercée que par des juges qui l'observent; [dans ces conditions,] l'ordre règne dans le royaume.
En ce qui concerne le Ḫorâsân, [il a été déjà dit que] il est limitrophe de la Chine. Celle-ci est à deux mois de marche de la Sogdiane; les deux pays sont séparés l'un de l'autre par un désert impraticable et des sables qui se succèdent où on ne trouve point d'eau, ni rivière, ni habitants. Ce sont ces défenses naturelles qui ont protégé la Chine contre une attaque des gens du Ḫorâsân.
Dans l'Ouest, la Chine est limitrophe d'un endroit appelé Madû qui est situé sur la frontière [orientale] du Tibet. La Chine et le Tibet sont constamment en guerre l'un contre l'autre. Nous avons rencontré l'un de ceux qui ont voyagé en Chine. Il nous a dit qu'il avait vu un homme portant (p. 110) sur son dos du musc contenu dans une outre. Il était parti à pied de Samarḳande et, allant de l'une à l'autre, il était passé par des villes de la Chine pour arriver enfin à Ḫânfû qui est le port où se réunissent les marchands [arabes] venant de Sîrâf (du golfe Persique). Mon informateur me dit également que la Chine, qui est le pays où vit le chevrotain porte-musc chinois, et le Tibet sont un seul et unique pays que rien ne sépare l'un de l'autre. Les Chinois exploitent les chevrotains qui vivent dans la région voisine de leur propre frontière; les Tibétains en font autant de leur côté. Le musc tibétain est supérieur au musc chinois pour deux raisons: la première est que le chevrotain porte-musc trouve sur la frontière du Tibet des pâturages [où abonde] le nard, tandis que la partie de la Chine qui est limitrophe du Tibet, n'a que des pâturages où poussent d'autres plantes [à l'exclusion [Pg 110] du nard]. La seconde raison de la supériorité du musc tibétain est que les Tibétains conservent les vésicules de musc [prises sur le chevrotain] dans leur état naturel, tandis que les Chinois falsifient (p. 111) les vésicules qu'ils peuvent se procurer. De plus, comme ils expédient leur musc par mer, celui-ci s'imprègne d'humidité [pendant la traversée, ce qui en diminue le parfum et la valeur]. Lorsque les Chinois conservent le musc dans sa vésicule et mettent celle-ci dans un petit vase en terre hermétiquement fermé, le musc [chinois] parvient en pays arabe avec les mêmes qualités que le tibétain [sans avoir été avarié pendant le voyage par mer]. Le meilleur de toutes les qualités de musc est celui que le chevrotain [laisse adhérent] aux rochers des montagnes auxquels il frotte [son ventre] lorsque l'humeur du corps [d'où provient le musc], s'est amassée dans son nombril et qu'elle s'y est rassemblée de toutes les parties [du corps sous les apparences] de sang frais, comme se rassemble le sang quand il se produit un abcès. [Quand cette sorte d'abcès au nombril du chevrotain] est parvenu à maturité, l'animal en est incommodé et se frotte [le ventre] contre les rochers, jusqu'à ce que l'abcès crève et laisse couler son contenu. Lorsque l'abcès a été vidé de son contenu, [la plaie] se sèche et se cicatrise, et l'humeur du corps se réunit au même endroit [pour former un nouvel abcès], comme auparavant.
Il y a, au Tibet, des gens qui sont d'habiles chercheurs de musc et qui ont des connaissances spéciales à cet égard. Lorsqu'ils ont trouvé du musc (p. 112), ils le ramassent, réunissent tout ce qu'ils ont trouvé et le mettent dans des vésicules. Le musc [ainsi recueilli] est remis à leurs rois. Le musc a atteint son plus haut degré [Pg 111] [d'excellence], lorsqu'il est arrivé à maturité dans la vésicule sur l'animal porte-musc lui-même; c'est le meilleur de toutes les sortes de musc; de même que les fruits qui sont arrivés à maturité sur l'arbre, sont bien meilleurs que ceux qu'on a cueillis avant leur maturité.
Voici un autre moyen d'obtenir le musc. On chasse [le chevrotain porte-musc] avec des filets posés verticalement [dans lesquels on le rabat] ou à coups de flèches. Parfois, on excise la vésicule à musc du chevrotain avant que le musc ne soit arrivé à maturité sur l'animal. Dans ce cas, quand la vésicule à musc est excisée sur le chevrotain, le musc a une odeur désagréable qui dure tant qu'il n'est pas arrivé à dessiccation, et il n'y arrive qu'au bout de longtemps. Mais dès que le musc est sec, il change [d'odeur] et devient le musc [odorant que nous connaissons].
Le chevrotain porte-musc ressemble aux gazelles arabes: même taille, même couleur, mêmes jambes fines (p. 113), même bifidité du sabot, mêmes cornes droites [à leur base, puis] recourbées [à leur extrémité]. Le chevrotain a deux dents canines, minces et blanches, à chaque mâchoire, implantées droites de chaque côté du museau. La longueur de chacune de ces canines est d'un empan ou moins; elles ont la forme des défenses d'éléphant. Telles sont les particularités qui différencient le chevrotain des autres espèces de gazelles.
Les correspondances des rois de la Chine adressées aux gouverneurs des villes et aux eunuques sont transportées par les mulets de la poste royale. Ces animaux ont la queue coupée, comme les mulets de la poste officielle en pays arabe. Ces mulets suivent un itinéraire déterminé.
En dehors des coutumes que nous avons déjà décrites, [Pg 112] les Chinois ont encore celle d'uriner debout. Ainsi procèdent les gens du peuple. Mais le gouverneur, les généraux, les gens notables se servent d'un tube en bois vernis (laqué) d'une coudée de longueur (p. 114). Ces tubes sont perforés aux deux extrémités; l'ouverture de la partie supérieure est assez grande pour [qu'on puisse y introduire] le gland de la verge. On se tient debout quand on veut uriner; on tient l'extrémité du tube loin de soi et on urine dans le tube. Les Chinois prétendent que cette façon d'uriner est plus saine pour le corps, et que la pierre, toutes les autres maladies de la vessie proviennent de ce que [les hommes] s'accroupissent pour uriner. Ils prétendent encore que la vessie ne se vide complètement qu'autant qu'on urine debout.
Les Chinois laissent pousser les cheveux sur la tête; [ils ne les coupent ni ne les rasent comme les Arabes]. La raison de cette coutume est que lorsqu'un enfant chinois naît, on ne lui arrondit pas la tête et on ne [Pg 113] l'allonge pas [en la massant dans ce but], comme le font les Arabes. Les Chinois disent que [cette pratique arabe] modifie [fâcheusement] l'état naturel du cerveau et altère l'intelligence. La tête d'un Chinois est difforme, mais sa chevelure abondante cache ce défaut.
(P. 115.) En ce qui concerne le mariage, les Chinois se divisent en tribus et familles identiques aux tribus des Israélites et des Arabes, et leurs relations mutuelles tiennent compte de cette connaissance. On n'épouse pas un parent, ni quelqu'un qui est de même lignage, surtout du côté du père; il faut se marier dans un autre milieu, [car l'endogamie est interdite]. C'est au point qu'on ne se marie point dans sa tribu, comme si, chez les Arabes, un homme de la tribu des Banû Tamîm (ou descendants de Tamîm), ne se mariait pas avec une descendante de Tamîm; un homme des Banû Rabîʿa, avec une femme de la descendance de Rabîʿa; mais qu'un homme de la tribu des Banû Rabîʿa ne pouvait se marier qu'avec une femme de la tribu de Muḍar, et un homme des Banû Muḍar qu'avec une femme des Banû Rabîʿa. Les Chinois prétendent que les mariages exogamiques produisent une remarquable postérité.
[Pg 114]
Dans le royaume du Ballahrâ et dans d'autres royaumes de l'Inde, il y a des gens qui se brûlent volontairement sur un bûcher. Cette coutume provient de leur croyance à la métempsycose; cette croyance s'est implantée dans leur esprit de façon telle qu'elle ne laisse pas de prise au doute.
Lorsqu'ils montent sur le trône, certains rois de l'Inde (p. 116) font cuire du riz qu'on leur présente ensuite sur des feuilles de bananier. Le roi réunit [à cette occasion,] trois ou quatre cents amis [qui s'attachent à lui] de propos délibéré, librement, sans y être aucunement forcés. Après avoir mangé du riz lui-même, le roi en donne à ses amis, et chacun d'eux, à tour de rôle, s'approche, prend un peu de riz et le mange. Lorsque le roi meurt ou est tué, tous ceux qui ont mangé du riz [avec lui dans cette sorte de communion rituelle qui les a liés intimement], doivent se brûler volontairement sur un bûcher, jusqu'au dernier, le jour même où le roi a cessé de vivre. [Le roi mort, ses amis doivent disparaître] sans retard. [Cette obligation est tellement impérative] qu'il ne doit rien rester de ces amis, ni corps, ni trace d'eux-mêmes.
Lorsque quelqu'un a pris la résolution de se brûler [Pg 115] volontairement sur un bûcher, il se rend chez le roi et lui demande l'autorisation [de procéder à sa propre crémation].
[Après avoir obtenu l'autorisation demandée], il circule dans les marchés. Pendant qu'il circule ainsi, [on allume] un bûcher (p. 117) avec beaucoup de bois que des gens sont occupés à faire brûler jusqu'à ce que feu et flammes soient devenus rouge foncé comme la cornaline. Alors, la victime volontaire se met à courir dans les marchés, précédée de cymbaliers et entourée de sa famille et de ses proches. L'un d'eux lui pose sur la tête une couronne de plantes odoriférantes qu'on a remplie de charbons ardents; on y verse de la sandaraque, qui, au contact du feu, [brûle] comme du naphte. La victime marche, et sa tête se met à brûler; l'odeur de chair de sa tête [qui brûle] se fait sentir; mais sa façon de marcher n'en est en rien changée et il ne manifeste aucune émotion. Il en est ainsi jusqu'à ce qu'il arrive au bûcher dans lequel il saute d'un bond et où il se transforme en cendres.
Quelqu'un qui fut témoin du fait, raconte qu'un Indien qui allait se brûler, lorsqu'il fut sur le point de se jeter dans le bûcher, prit un poignard, le plaça en haut de sa poitrine et se fendit le corps jusqu'au-dessous du bas-ventre, de sa propre main. Puis, introduisant sa main (p. 118) gauche [dans le ventre] et prenant son foie, il en arracha autant qu'il put; [pendant qu'il faisait cela], il parlait. Avec son poignard, il coupa un morceau de son foie qu'il donna à son frère [montrant ainsi] combien il méprisait la mort et supportait patiemment la souffrance. Puis il se jeta volontairement dans le feu, [s'élançant] vers la malédiction d'Allah (c'est-à-dire dans l'enfer).
[Pg 116]
Celui qui a rapporté cette histoire prétend qu'il existe dans les montagnes de ce pays, des Indiens dont les coutumes sont identiques à celles des Kanîfiyya et des Jalîdiyya arabes; les uns et les autres ont le même goût pour les choses vaines et insensées. Ces montagnards de l'Inde et les gens de la côte ont un point d'honneur de clan [qui les fait se lancer des défis les uns aux autres] et qui se manifeste ainsi: à chaque instant, un homme de la côte se rend dans la montagne et lance un défi [aux montagnards à l'effet de savoir lequel d'entre eux] supportera le mieux les mutilations volontaires. Les montagnards vont également défier les gens de la côte.
Une fois, un montagnard se rendit chez les gens de la côte pour un défi de ce genre. Ces derniers se rassemblèrent autour de lui (p. 119), les uns en simples spectateurs, les autres pour accepter [éventuellement] le défi. Le montagnard défia ces derniers de faire tout ce qu'il ferait lui-même; s'il leur était impossible de l'imiter, ils se reconnaîtraient vaincus. Il s'assit ensuite sur le bord d'un endroit où poussaient des roseaux et leur ordonna d'arracher l'un d'eux.
Ces roseaux sont aussi flexibles que les nôtres; leur tige ressemble à celle du dann , mais elle est un peu plus forte. Lorsqu'on pose à terre ces roseaux de l'Inde, sur le haut de la tige, ils plient jusqu'à [former un demi-cercle], leur sommet venant près de la terre; mais dès qu'on les lâche, ils reprennent leur première position verticale. Le montagnard [pria quelqu'un] de faire plier un gros roseau en le prenant par le sommet, jusqu'à ce qu'il fût près de sa propre tête; puis il y attacha solidement les nattes de sa chevelure, en serrant fortement. Il prit ensuite son poignard qui [tue] avec la même rapidité [Pg 117] que le feu, et dit aux gens de la côte: «Je vais me trancher la tête avec ce poignard; lorsqu'elle sera séparée du tronc, lâchez immédiatement le roseau. Je rirai bien quand celui-ci reprendra sa position verticale avec ma tête au bout et vous entendrez un léger rire.» (p. 120.) Les gens de la côte ne se sentirent pas capables d'en faire autant.
Ce fait nous a été rapporté par une personne qui ne peut pas être soupçonnée [d'inexactitude]; il est du reste actuellement bien connu, d'autant plus que la ville de l'Inde qui en a été le théâtre est voisine du pays des Arabes et que des nouvelles de cette région [parviennent] continuellement, à chaque instant, en pays arabe.
Voici un autre trait de mœurs de l'Inde. Lorsque quelqu'un, homme ou femme, prend de l'âge et est atteint de débilité sensorielle, la personne arrivée à cet état de décrépitude prie un des membres de sa famille de la jeter dans le feu ou de la noyer dans l'eau. [Ils agissent ainsi parce que] ils croient fermement qu'ils renaîtront. Dans l'Inde, on a coutume de brûler les morts.
[Pg 118]
Dans l'île de Sirandîb (Ceylan), on trouve une montagne de pierres précieuses; [sur ses côtes,] des pêcheries (litt. des plongeries) de perles et d'autres choses encore. Autrefois, [il arrivait qu'on vît] un Indien se rendre au marché armé d'un kris —c'est une sorte de poignard particulier au pays—admirablement trempé (p. 121) et aiguisé. Cet homme mettait la main sur le marchand le plus riche qu'il pouvait trouver, le prenait au collet, dégainait son poignard, l'en menaçait, et faisait sortir le marchand de la ville, en présence de tout le monde, sans qu'il fût possible à qui que ce soit d'empêcher cet enlèvement. Si on avait voulu s'y opposer, le marchand aurait été tué par le bandit qui se serait tué ensuite. Lorsque celui-ci avait fait sortir le marchand de la ville, il réclamait à ce dernier le payement d'une rançon; quelqu'un suivait le marchand tout prêt à racheter sa liberté en payant une grosse somme d'argent comme rançon. Ces attentats se reproduisaient depuis un certain temps [sans être réprimés], lorsqu'un nouveau roi donna l'ordre d'arrêter, coûte que coûte, tout Indien qui enlèverait un marchand dans le but de le rançonner, et il fut fait ainsi. [Sur le point d'être arrêté,] le bandit indien tua le marchand et se tua ensuite; dans plusieurs autres circonstances, le dénouement fut le même, et des [bandits] indiens et des [marchands] arabes perdirent ainsi la vie; mais ces attentats prirent fin et les marchands retrouvèrent la sécurité pour (p. 122) leurs personnes.
Les pierres précieuses rouges (rubis), vertes (émeraudes), et jaunes (topazes) sont extraites de la montagne de Sirandîb—Sirandîb est une île. La plus grande partie de ces pierres apparaît au moment du flot; l'eau [de la mer] les fait rouler hors des grottes, [Pg 119] cavernes, lits de cours d'eau où les pluies (ou les torrents) les ont apportées. Ils ont des inspecteurs chargés de surveiller ces mines au nom du roi. Parfois, on creuse également un puits dans la terre, comme on fait dans les mines, et on en extrait des pierres précieuses auxquelles adhère une gangue qu'il faut enlever.
Dans le royaume de Sirandîb (Ceylan), on pratique une loi religieuse; il y a des maîtres qui se réunissent en conseil, comme se réunissent, en pays arabe, ceux qui enseignent les traditions du Prophète. Les Indiens viennent de tous côtés auprès de ces maîtres et écrivent, sous leur dictée, la vie de leurs prophètes et les préceptes de leurs lois religieuses.
Il y a, à Sirandîb, une grande idole en or pur, à laquelle les marins attribuent un poids extraordinaire. Il y a également des temples pour [la construction] desquels on a dépensé des sommes considérables.
Cette île renferme des juifs (p. 123) en grand nombre et des sectateurs d'autres religions. Il s'y trouve également des manichéens. Le roi permet à chaque secte de pratiquer sa propre religion.
En face de cette île, il y a d'immenses ghubb — ghubb désigne un grand estuaire qui se développe à perte de vue en longueur et en largeur et qui débouche dans la mer. Les marins mettent deux mois et même davantage, pour doubler ce ghubb qui est appelé ghubb de Sirandîb; la route suivie passe au milieu de marais où poussent des arbres et de prés couverts d'eau; c'est un pays tempéré. C'est à l'entrée [orientale] de ce ghubb que se trouve la mer appelée mer de Harkand (golfe du Bengale). Cette région [située dans le golfe de Manaar et le détroit de Palk,] est agréable et saine; une brebis y coûte un demi dirham (environ cinquante centimes). On y a [Pg 120] pour le même prix et en quantité suffisante pour une troupe d'hommes, une boisson cuite composée de miel d'abeille, de grains de dâdî frais [c'est une graine non identifiée qui ressemble à l'orge, est plus longue et plus [Pg 121] mince, d'une couleur noirâtre et d'une saveur amère], et d'autres ingrédients.
Les principales occupations des habitants [de Ceylan] sont de parier sur [les combats de] coqs (p. 124) et de jouer au nard , une sorte de jeu de trictrac. Les coqs de ce pays sont grands et ont de forts ergots. On attache aux ergots de petits poignards affilés; puis, on lance [les coqs l'un contre l'autre]. Les joueurs parient de l'or, de l'argent, des terres, des plantations et d'autres choses encore. Un coq qui est vainqueur [dans les combats], parvient [à valoir ou à gagner] une somme énorme d'or. Il en est de même du nard auquel on joue continuellement des sommes très élevées. [L'engouement pour ce jeu] est tel que les faibles d'esprit, ceux qui n'ont pas d'argent, mais qui veulent faire montre de gloriole et de magnificence, jouent parfois les doigts de leurs mains. Pendant qu'ils jouent [au trictrac], on met à côté d'eux un vase contenant de l'huile de noix [de coco] ou de sésame—il n'y a pas d'huile d'olive dans ce pays—qui est mis sur le feu pour que l'huile soit chaude. Entre les deux joueurs, se trouve une petite hache bien aiguisée. Lorsque l'un des deux joueurs a battu (p. 125) l'autre, il prend la main du perdant, la pose sur une pierre et lui donne un coup de hache qui ampute la main d'un doigt; l'amputé trempe sa main dans l'huile qui est alors très chaude et cautérise la plaie. Mais cette amputation n'empêche pas le perdant de continuer le jeu, et parfois, quand les deux joueurs se séparent, ils ont perdu tous leurs doigts. Il y a même des joueurs qui prennent une mèche, la trempent dans l'huile; puis, la posent sur une des parties du corps et l'allument. La mèche brûle et on sent l'odeur de la chair [grillée]. [Pendant ce temps,] l'homme dont la [Pg 122] chair grille, joue au nard et ne manifeste aucune émotion.
Il règne en cet endroit une dépravation sans frein, aussi bien parmi les femmes que parmi les hommes. C'est au point que, parfois, un marchand étranger demande [ses faveurs] à une des femmes du pays [et même] à la fille du roi. Celle-ci [consent et] va retrouver le marchand dans un endroit boisé, au su de son père. Les hommes âgés de Sîrâf (p. 126) interdisent d'envoyer des navires dans cette région, surtout [lorsqu'il se trouve, à bord], des jeunes gens.
Le régime de bašâra dans l'Inde— bašâra [est la forme arabisée du sanskrit vatsara ] signifiant «pluie»—[est le suivant:] L'été, la saison des pluies dure pendant trois mois sans interruption, nuit et jour, pendant lesquels la pluie ne cesse de tomber. Avant la saison des pluies, les Indiens préparent des provisions de vivres. Lorsque le bašâra commence, ils s'installent dans leurs maisons qui sont construites en bois; les toits en sont épais et recouverts de chaume. [Pendant la saison des pluies] personne ne se montre hors de chez soi, sauf en cas d'affaire importante. C'est pendant cette période de réclusion forcée que les artisans et ouvriers se livrent aux travaux de leur métier. A cette époque, [l'humidité est telle] qu'elle fait parfois pourrir la plante des pieds. Le bašâra fait vivre les gens du pays [car la pluie le rend fertile]; car, s'il ne pleuvait pas, ils mourraient [de faim]. En effet, ils plantent du riz; ils ne connaissent pas d'autre culture et n'ont pas d'autre aliment que le riz (p. 127). Pendant la saison des pluies, le riz se trouve dans les ḥarâmât —mot indien qui signifie «champs de riz»—; il est renversé par terre et il n'est nécessaire ni de l'arroser ni de s'en occuper. [Pg 123] Lorsque le ciel se découvre [et n'est plus caché par les nuages de pluie], le riz a atteint son maximum de croissance en hauteur et en quantité. Pendant l'hiver, il ne pleut pas.
Dans l'Inde, il y a des gens pieux et savants qu'on appelle brahmanes; des poètes qui flattent les rois, des astrologues, des philosophes, des devins, des gens qui tirent des augures du vol des corbeaux et d'autres spécialistes encore. Il y a également des magiciens et une sorte de gens qui font des tours [de prestidigitation] et inventent des choses extraordinaires. C'est surtout à Ḳanawj (Canoge) que ces indications s'appliquent; c'est une grande ville du royaume du [roi] Gujra.
Il y a, dans l'Inde, un groupe de gens qu'on appelle baykarjî . Ils vont nus; leurs cheveux [sont si longs] qu'ils leur recouvrent le corps et les parties sexuelles; leurs ongles sont longs comme des fers de lance et ils ne les coupent que lorsqu'ils se cassent (p. 128). Ils vivent [d'aumônes] comme les pèlerins; chacun d'eux porte, attaché au cou par une cordelette, un crâne humain. [Ils mangent rarement;] lorsqu'ils sont affamés, ils s'arrêtent devant la porte d'un Indien quelconque et on leur apporte immédiatement du riz cuit, car les habitants de la maison [considèrent leur présence comme] une nouvelle de bon augure. [Ces ascètes nomades] mangent le riz qu'on leur donne, dans le crâne qu'ils portent suspendu autour du cou. Quand ils sont rassasiés, ils s'éloignent et ne redemandent de la nourriture que lorsqu'ils en ont un [urgent] besoin.
Les Indiens se livrent à des pratiques religieuses par lesquelles ils croient se mettre en rapport avec leur Créateur—Allah qui est Puissant et Grand, est au-dessus de ce que disent les méchants (Ḳorân, surate [Pg 124] XVII, verset 45)—qui est à une grande distance au-dessus d'eux. Ainsi, quelqu'un fait bâtir sur la route une hôtellerie pour les voyageurs dans laquelle il installe un marchand qui vend aux passants ce dont ils ont besoin; il y installe également une courtisane indienne pour qu'elle se donne gracieusement aux passants. C'est par ces moyens (p. 129) que les Indiens croient s'acquérir des mérites.
Il y a, dans l'Inde, des prostituées qu'on appelle «les courtisanes du buddha». Voici quelle est l'origine de ces courtisanes. Lorsqu'une femme a fait un vœu et qu'ensuite elle met au monde une jolie fille, elle l'amène au buddha—le buddha est l'idole qu'on adore—et lui voue sa fille. Puis, cette femme fait choix pour sa fille, d'une maison dans le marché, suspend une tenture [devant la façade] et fait asseoir sa fille dans un fauteuil de façon à ce que les passants, indiens et étrangers, sectateurs de religions qui le tolèrent, [puissent bien la voir et en user]. [Tout homme] devient maître de la personne de cette femme pour une somme déterminée. Chaque fois que [la courtisane] a réuni une certaine somme, elle la remet aux gardiens du temple de l'idole [à laquelle elle a été vouée], pour être employée aux frais d'entretien du temple. Remercions Allah, le Puissant et le Grand, de ce Ḳorân qu'il a choisi pour nous et par qui il nous a préservé des péchés des infidèles!
L'idole appelée [l'idole du] Mûltân est près de [la ville de] Manṣûra; on y vient [en pèlerinage] (p. 130) de plusieurs mois de marche de distance. [Des pèlerins] y apportent [en présent] de l'aloès indien [de la sorte appelée] ḳâmarûpî ou aloès du Ḳâmarûpa—le Ḳâmarûpa est le nom du pays d'où il provient—c'est la meilleure sorte d'aloès. C'est pour cela qu'on l'apporte [Pg 125] [en présent] à cette idole pour le remettre aux gardiens du temple où il est employé [aux fumigations rituelles] de l'idole. Le prix de cet aloès est quelquefois de 200 dînâr le mann . Parfois, on appose un cachet sur cet [Pg 126] aloès et l'empreinte du cachet s'imprime dans le bois, tant il est tendre. Les marchands [se procurent cet aloès] en l'achetant aux gardiens du temple.
Il y a dans l'Inde, des gens pieux qui, sous l'influence de leur religion, se rendent dans des îles qui ont surgi dans la mer et y plantent des cocotiers. Ils creusent des puits dans ces îles et [en tirent] l'eau moyennant salaire; quand des navires passent par là, ils leur procurent de l'eau.
De l'ʿOmân, viennent des gens dans ces îles où poussent des cocotiers, apportant avec eux des outils de charpentier et d'autres encore. Ils coupent [la quantité] de (p. 131) bois de cocotier qu'ils désirent et, lorsque ce bois est sec, ils le débitent en planches. Ils filent les fibres du cocotier et [avec le fil obtenu], ils cousent ensemble ces planches de cocotier. Ces planches sont employées à construire un navire. Avec ce bois de cocotier, on façonne également des mâts et vergues; avec ses feuilles, on tresse des voiles et avec ses fibres, des ḫarâbât , c'est-à-dire, en arabe, des câbles. Lorsque le navire est entièrement terminé, on le charge de cocos et on part pour l'ʿOmân où on les vend. [Les affaires ainsi faites] donnent de grands bénéfices, car tout ce qu'on a rassemblé [navire construit par le chargeur avec ses agrès et ses voiles, cargaison de cocos] en le choisissant, on a pu le faire soi-même sans avoir besoin de personne.
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Le pays des Zangs (c'est-à-dire la côte orientale d'Afrique au sud du cap Guardafui) est immense. Sa flore qui se compose du durra (sorgho) qui est leur [principal] aliment, de la canne à sucre et des autres arbres, est noire. Les rois des Zangs sont [constamment] en guerre les uns avec les autres. Les rois ont auprès d'eux (p. 132) des hommes qui sont connus sous le nom de muḫazzamûn , «ceux qui ont le nez percé», parce qu'on leur a percé le nez. On leur a mis un anneau au nez, [comme on en met aux chameaux,] et à l'anneau est attachée une chaîne. [Au moment] du combat, ils marchent en tête [des troupes]; l'extrémité de chaque chaîne est tenue par quelqu'un qui la tire en arrière et empêche le combattant d'aller de l'avant pour permettre à des médiateurs d'arranger le différend qui a surgi entre les deux bandes ennemies. Si un arrangement intervient, [les combattants se retirent]; dans le cas contraire, les gardiens attachent soigneusement la chaîne autour du cou des muḫazzamûn et les laissent libres; on se bat; ces combattants restent fermes à leur place et aucun d'eux n'abandonne son poste de combat à moins d'être tué.
Dans le cœur [des Nègres] règne une vénération mêlée de crainte pour les Arabes. Quand ils voient un Arabe, ils se prosternent devant lui et disent: «Voici un homme [Pg 128] du pays où pousse le dattier.» [Ce fait montre] combien ils apprécient la datte et quels sont leurs sentiments intimes [à l'égard des Arabes]. Chez ces nègres, on prononce des ḫuṭba (prône du vendredi où on prie pour le khalife orthodoxe); il n'y a chez aucun autre peuple, de prédicateurs [aussi éloquents] pour prononcer la ḫuṭba qui est dite dans leur propre langue. Il y a dans ce pays, des gens qui se vouent au culte d'Allah; ils sont vêtus de peaux de panthères ou de peaux (p. 133) de singes; ils ont un bâton à la main; et ils recherchent les habitants qui viennent s'assembler autour d'eux. [L'ascète] se tient debout sur ses jambes un jour entier jusqu'à la nuit, prêchant et rappelant à ses auditeurs Allah, le Tout-Puissant. Il leur décrit le sort de ceux d'entre eux qui sont morts, [pécheurs ou infidèles]. C'est de ce pays qu'on exporte les [peaux de] panthères [appelées panthères] du Zang, tachetées de rouge et de blanc, qui sont grandes et fortes.
Dans la mer [de cette région,] se trouve une île du nom de Socotora où pousse l'aloès dit de Socotora. Cette île gît près du pays du Zang et du pays des Arabes. La plupart de ses habitants sont chrétiens pour la raison suivante: lorsque Alexandre le Grand vainquit le roi de Perse, il était en correspondance avec son maître Aristote et lui faisait connaître les pays [nouveaux] qu'il avait occasion [de parcourir]. Aristote lui écrivit de s'emparer d'une île appelée Socotora où (p. 134) pousse l'aloès qui est la plus importante des drogues et sans lequel un médicament n'est point complet. Il ajouta qu'il serait bon de chasser de l'île les habitants qui s'y trouvaient et d'y établir des Grecs pour en assurer la garde; ceux-ci expédieraient l'aloès en Syrie, en Grèce et en Égypte. Alexandre envoya [des troupes qui] firent [Pg 129] évacuer l'île par ses habitants et y installèrent un groupe de Grecs. Il ordonna en même temps aux rois des petits états séparés qui, depuis la mort de Darius le Grand, lui étaient soumis, de veiller à la garde de cette île. Les colons grecs vécurent en sécurité jusqu'à ce qu'Allah envoya Jésus—sur lui soit le salut!—[sur la terre]. L'un des Grecs qui étaient dans ces îles, eut connaissance de la mission de Jésus et tous les colons de Socotora adoptèrent le christianisme comme l'avaient adopté les Romains. Les descendants de ces Grecs christianisés y sont restés jusqu'à nos jours (vers 916), à côté des autres (p. 135) habitants de l'île qui ne sont ni de leur race ni de leur religion.
Il n'est pas question dans le livre I, [des pays et des peuples] maritimes qui se trouvent à droite (c'est-à-dire à l'ouest), quand les navires appareillent de l'ʿOmân et de l'Arabie et se trouvent au milieu de la grande mer (mer d'ʿOmân). C'est que le Livre I ne traite que [des pays et des peuples] qui se trouvent à gauche (c'est-à-dire à l'est) de ce même point et qui comprennent les mers de l'Inde et de la Chine que l'auteur dudit livre avait seules l'intention de décrire.
Dans la mer qui est à droite (c'est-à-dire à l'ouest) de l'Inde occidentale et qui sort du golfe Persique, se trouvent le pays de Šiḥr où pousse l'arbre à encens et le pays [des anciennes tribus arabes] de ʿÂd, de Ḥimyar, de Jurhum et des Tubbaʿ, [les anciens rois du Yemen]. Ces tribus parlent des dialectes arabes très archaïques dont les [autres] Arabes ne comprennent pas la plus grande partie. Ils n'ont pas de demeures fixes et vivent dans la misère et les privations. Le pays qu'ils habitent (p. 136) s'étend jusqu'au territoire d'Aden et aux côtes du Yemen. [La côte se prolonge dans la direction du Nord] jusqu'à [Pg 130] Judda (vulgairement Jedda), de Judda à Al-Jâr et jusqu'à la côte syrienne; puis, elle aboutit à Ḳulzum (près de Suez) et la mer s'arrête là, à l'endroit où, [ainsi qu'il est dit dans le Ḳorân,] Allah le Tout-Puissant a placé une barrière entre les deux mers (la mer Rouge et la Méditerranée). Puis, de Ḳulzum, la côte change de direction [et se prolonge dans le sud], le long du pays des Barbar [de la côte occidentale de la mer Rouge]; puis, cette côte occidentale s'étend toujours dans le sud jusqu'en face du Yemen et jusqu'à ce qu'elle arrive au pays de l'Abyssinie (dans le golfe d'Aden), d'où l'on exporte les peaux de panthères dites peaux de panthères de Berbera; ce sont les peaux les plus belles et de la meilleure qualité; et à [la ville de] Zaylaʿ où on trouve de l'ambre et du dzabal , c'est-à-dire de l'écaille de tortue.
Les navires appartenant à des armateurs de Sîrâf, lorsqu'ils sont arrivés dans cette mer qui est à droite (c'est-à-dire à l'ouest) de la mer de l'Inde (la mer Rouge) et qu'ils sont parvenus à Judda, restent dans ce port. Les marchandises (p. 137) qu'ils ont apportées et qui sont destinées à l'Egypte, y sont transbordées sur des [navires spéciaux, d'un moindre tirant d'eau, appelés] navires de Ḳulzum. Les navires des armateurs de Sîrâf n'osent pas faire route [dans la partie septentrionale] de la mer [Rouge] à cause des difficultés qu'y rencontre la navigation et du grand nombre d'îlots [coralligènes] qui y croissent. Sur les côtes, il n'y a ni rois (ni gouvernement), ni endroits habités. Un navire qui fait route dans cette mer, doit tous les soirs chercher un mouillage abrité par crainte des îlots [sur lesquels il ne manquerait pas de se briser, s'il naviguait pendant la nuit]. [La règle, dans cette mer,] est de naviguer de jour et de mouiller de nuit, car cette mer est sombre et il s'en exhale des [Pg 131] odeurs désagréables. Il n'y a rien de bon dans cette mer, ni au fond, ni à la surface. Elle ne ressemble pas aux mers de l'Inde et de la Chine au fond desquelles on trouve la perle et l'ambre et dont les montagnes renferment des pierres précieuses et de l'or en abondance. Les animaux [qui vivent dans les pays que baignent ces deux mers] ont, dans la bouche, de l'ivoire; la flore [de ces pays comprend] l'ébène, le bois du Brésil, le bambou, l'arbre à aloès, le camphrier, la noix muscade, le girofle, (p. 138) le bois de sandal et d'autres aromates parfumés et d'une odeur pénétrante. Parmi les oiseaux remarquables, [on peut citer] le perroquet et le paon. On y chasse la civette et le chevrotain porte-musc. Il est impossible d'énumérer tout ce qu'on trouve de bien et de bon dans ces pays, tant les produits excellents y sont en abondance.
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Les morceaux qu'on trouve sur les côtes de cette mer [de l'Inde] sont rejetés par les vagues. On commence à rencontrer l'ambre dans la mer de l'Inde, mais on ne sait pas d'où il provient. On sait seulement que le meilleur ambre est celui qu'on trouve à Berbera (sur la côte méridionale du golfe d'Aden) et jusqu'à l'extrémité du pays du Zang, [d'une part], et à Šiḥr et dans le voisinage [d'autre part]. Cet ambre a la forme d'un œuf et il est gris. Les habitants de ces régions vont à sa recherche, montés sur des chameaux, pendant les nuits où la lune brille; ils vont le long des côtes. [Ils montent des chameaux] qui sont dressés à cet effet et qui savent rechercher l'ambre sur la côte. Quand le chameau voit un morceau d'ambre, il s'agenouille et son cavalier va le ramasser. On trouve aussi de l'ambre à la surface (p. 139) de la mer en morceaux d'un poids considérable. Parfois, ces morceaux sont plus ou moins gros qu'un taureau. Quand le poisson appelé tâl voit ce morceau d'ambre, il l'avale; mais lorsque l'ambre est arrivé dans l'estomac du poisson, celui-ci en meurt et flotte au-dessus de l'eau. Il y a des gens qui observent, dans des barques, et qui connaissent l'époque à laquelle les poissons avalent l'ambre. Aussi, lorsqu'ils aperçoivent un poisson qui flotte sur l'eau, ils le tirent à terre avec des harpons en fer enfoncés dans [Pg 133] le dos du poisson, auxquels sont attachées de solides cordes. On ouvre ensuite l'estomac du poisson et on en extrait l'ambre [qu'il a avalé]. La partie de l'ambre qui se trouve près du ventre du poisson, c'est le mand qui répand une mauvaise odeur. On en trouve une certaine quantité chez les parfumeurs de Baghdâd et de Baṣra. La partie du morceau d'ambre qui n'est pas imprégnée de la mauvaise odeur du poisson, est extrêmement pure. Avec les vertèbres du dos de ce poisson, on confectionne parfois (p. 140) des sièges sur lesquels un homme peut s'asseoir et être bien assis. On dit que dans un village situé à 10 parasanges de Sîrâf, appelé At-Tayn, il y a des maisons très anciennes; leur toiture qui est élégante est faite avec les côtes de ce poisson. J'ai entendu dire par quelqu'un que, autrefois, près de Sîrâf, un de ces poissons s'échoua [sur le bord de la mer]. Cette personne alla le voir et trouva des gens qui étaient montés sur son dos avec une échelle légère. Lorsque les pêcheurs prennent un de ces poissons, [ils l'apportent à terre], le mettent au soleil et découpent sa chair en morceaux. Ils creusent une fosse pour y recueillir la graisse. On la puise avec des cuillers quand elle a été liquéfiée par la chaleur du soleil et on la vend aux patrons des navires. Comme elle est mêlée à d'autres matières, on en enduit les navires qui naviguent en mer pour obturer les trous faits par l'alène [en cousant les bordages l'un avec l'autre] et boucher (p. 141) également les interstices entre les bordages. La graisse de ce poisson se vend très cher.
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L'Origine de la formation de la perle est une œuvre d'Allah—que Son nom soit béni!—Il a dit Lui-même, Lui le Tout-Puissant et le Grand [dans le Ḳorân, surate XXXVI, verset 36]: «Gloire à celui qui a créé tous [les êtres] par paires, aussi bien ceux qui germent dans la terre que ceux qui ont une âme et ceux que [les hommes] ne connaissent pas.» La perle commence par être de même dimension qu'une graine d' anjudân (thapsia). Elle en a la couleur, la forme, la petitesse, la légèreté, la finesse et la délicatesse. Elle volette péniblement à la surface de l'eau et tombe sur les bords des navires de plongeurs [qui stationnent sur les bancs d'huîtres perlières]. Puis, elle atteint son plein développement avec le temps, grossit et se durcit. Lorsqu'elle est devenue lourde, elle s'attache au fond de la mer où elle se nourrit de ce que Allah seul sait. Elle n'est alors (p. 142) qu'un morceau de viande rouge qui ressemble à la base de la langue et n'a ni os, ni nerf, ni veine. On diffère d'opinion sur la façon dont se forme la perle. Les uns disent que lorsqu'il pleut, le coquillage [bivalve perlier] vient à la surface de la mer et tient la bouche ouverte jusqu'à ce qu'il ait reçu des gouttes de pluie; ces gouttes se transforment en graines. D'autres prétendent que [la perle] naît du coquillage lui-même: c'est l'opinion la plus exacte parce qu'on trouve parfois dans le coquillage, la perle [Pg 135] qui se développe comme une plante, adhérant au coquillage. On extrait cette perle adhérente du coquillage et c'est cette sorte de perle que les marchands de la mer appellent «perle d'arrachement». Mais Allah est le plus savant!
Parmi les faits extraordinaires dont nous avons entendu parler, en ce qui concerne les moyens de devenir riche, est le suivant: Un Arabe nomade vint autrefois à Baṣra, apportant avec lui une perle qui valait une grosse somme d'argent. Il alla avec la perle chez un parfumeur dont il était l'ami, la lui montra (p. 143) et lui demanda, car il l'ignorait, quelle pourrait en être la valeur. Le parfumeur lui apprit que [cette graine] était une perle. «Mais combien vaut-elle?» demanda l'Arabe. «100 dirham », répondit le parfumeur. L'Arabe trouva que c'était un prix élevé et il demanda encore: «Quelqu'un me l'achèterait-il au prix que tu viens de dire?» Le parfumeur lui versa [immédiatement] la somme de 100 dirham avec laquelle l'Arabe acheta des provisions pour sa famille. Quant au parfumeur, il prit la perle et la porta à Baghdâd où il la vendit pour une grosse somme d'argent qui lui permit d'étendre son commerce.
Le parfumeur rapporta qu'il avait demandé à l'Arabe nomade comment celui-ci s'était procuré cette perle. L'Arabe répondit: «Je passais près de Aṣ-Ṣamân qui est [un village] du pays de Baḥrayn (sur la côte occidentale du golfe Persique), situé à une petite distance de la mer. Je vis, sur le sable, un renard mort dont quelque chose tenait la bouche fermée. Je descendis [de cheval ou de chameau] et je constatai que la chose en question était une sorte de couvercle dont la partie intérieure était blanche et brillante. Je trouvai (p. 144) dans ce couvercle [Pg 136] cet objet rond que je pris.» Le parfumeur apprit ainsi que, initialement, le coquillage était venu sur la côte pour aspirer de l'air, ainsi que c'est l'habitude des coquillages. Un renard passa par là. Lorsqu'il vit le morceau de chair qui est à l'intérieur du coquillage, lequel avait la bouche ouverte, il bondit précipitamment sur le coquillage, introduisit sa tête entre les deux valves ouvertes et saisit le morceau de chair. [Aussitôt], le coquillage ferma ses valves sur le museau du renard. Or, lorsque ce coquillage a fermé ses valves sur quelque chose et qu'il sent une main qui le touche, il est impossible de trouver un procédé pour ouvrir ses valves; il faut le fendre de bout en bout avec un instrument en fer pour en extraire la perle, car le coquillage garde aussi jalousement la perle que la mère son enfant. Lorsque le renard se vit pris [par le museau sur lequel s'étaient refermées les deux valves], il se mit à courir, frappant la coquille sur le sol, à droite et à gauche; mais le coquillage [Pg 137] ne lâchait pas prise. [Au bout d'un certain temps], renard et coquillage moururent. Voilà comment l'Arabe nomade s'empara du coquillage et prit [la perle] qu'il contenait. Allah le conduisit chez le parfumeur et ce lui fut un moyen de se procurer (p. 145) sa subsistance.
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Les rois de l'Inde portent des boucles d'oreilles en pierres précieuses montées sur or. Ils portent autour du cou des colliers de grand prix composés de pierres précieuses rouges (rubis) et vertes (émeraudes); mais ce sont les perles qui ont la plus grande valeur et dont ils font le plus de cas. Actuellement, les perles constituent le trésor des rois et leur réserve financière.
Les généraux et les hauts fonctionnaires portent également des colliers de perles. Les chefs indiens sont portés en palanquin; ils sont vêtus d'un pagne; ils tiennent à la main un objet appelé čatra —c'est un parasol en plumes de paons; ils le tiennent à la main et se préservent ainsi du soleil. Ils sont entourés [quand ils sortent], de leurs serviteurs.
Il y a, dans l'Inde, une caste dont les membres ne mangent jamais deux dans le même plat ni à la même table; ils trouveraient que c'est une souillure (p. 146) et une abomination. Lorsque ces sectaires se rendent à Sîrâf et que l'un des principaux marchands les invite à prendre un repas chez lui, auquel assistent 100 personnes, plus ou moins, il faut que l'amphitryon fasse mettre devant chacun de ces sectaires un plat dans lequel il mange et qui lui est exclusivement réservé. [Pg 139] Quant aux rois et aux notables, dans l'Inde, on prépare pour eux, chaque jour, des tables à manger en feuilles de cocotier excellemment tressées; on confectionne avec ces mêmes feuilles de cocotier des sortes de plats et d'assiettes. Lorsque le repas est servi, on mange les mets dans ces plats et assiettes en feuilles tressées. Lorsque le repas est terminé, on jette à l'eau ces tables, plats et assiettes en feuilles tressées avec ce qui reste d'aliments. Et on recommence le lendemain.
On importait autrefois, dans l'Inde, des dînâr du Sind (p. 147) dont chacun valait un peu plus de 3 dînâr [ordinaires]. On importait également des émeraudes qui venaient d'Égypte, montées sur des cachets et enfermées dans des écrins. On y importait encore du bussad , c'est-à-dire du corail, et une pierre appelée dahnaj (pierre verte assez semblable à l'émeraude); mais [ces importations ont maintenant] cessé.
La plupart des rois de l'Inde, lorsqu'ils donnent audience publique, laissent voir leurs femmes aux gens du pays et aux étrangers; aucun voile n'empêche de les voir.
Voilà ce que j'ai entendu raconter de plus notable, en ce moment même (vers 916), parmi les nombreux récits ayant trait aux choses de la mer. Je me suis abstenu de reproduire les histoires mensongères que racontent les marins et auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes. Se borner aux informations authentiques, même si elles sont en petit nombre, est préférable.
(P. 148.) C'est Allah qui nous dirige dans la voie droite.
Louange à Allah, le Maître des mondes! Qu'Il bénisse les meilleures de ses créatures, Muḥammad et toute la [Pg 140] famille du Prophète! Il nous suffit. O le bon Protecteur et qui aide efficacement!
Collationné avec le manuscrit dont on a pris copie, au mois de ṣafar de l'année 596 de l'hégire (= novembre 1199 de notre ère).
C'est Allah qui nous dirige [dans la voie droite]!
[Pg 141]
Baykarjî. Comme l'a indiqué Reinaud, cette notation fautive est sans doute pour bairâgî .
Bušân , p. 50. Cf. la note que je lui ai consacrée dans mes Relations de voyages , t. II, p. 675.
Dîfû , p. 56. Les textes chinois ne mentionnent aucun titre de ce genre, mais il s'agit vraisemblablement de termes usités dans le peuple que, autant que nous sachions, les ouvrages littéraires ne nous ont pas conservés.
Fulûs , monnaie de cuivre, est le pluriel de fals , qui représente le grec ὀβολὁς ou le latin obolus .
Gujra. Forme arabisée du sanskrit Gurjara . Le pays de Gujra ou du roi Gujra est le Guzerate.
Ḫâḳân, p. 72, = empereur, souverain. C'est un titre étranger inexactement appliqué au roi du Tibet.
Hind désigne le plus souvent l'Inde occidentale, mais Sulaymân et Abû Zayd Ḥasan emploient quelquefois ce nom pour l'Inde entière.
Ḫuang Č'ao. Le texte arabe de Abû Zayd, comme les Prairies d'or de Masʿûdî, ont une leçon fautive qui a été rectifiée d'après les informations chinoises sur ce rebelle.
Ḫušnâmî (Al-), p. 35. Litt. «[la montagne] au bon nom», au nom de bon augure. C'est le persan ḫoš «bon», nâmeh «nom». Cf. mes Relations de voyages , t. I, pp. 2, 37; t. II, p. 674.
[Pg 142]
Inde (amis des rois de l'), p. 114. Cf. l'anecdote rapportée à ce sujet dans le Livre des Merveilles de l'Inde , pp. 115-118.
Jâwaga. Ce toponyme est généralement transcrit Zâbej qui est la lecture usuelle de la graphie arabe. En fait, Zâbej est un barbarisme, car le jîm arabe final est ici en fonction de gutturale sonore. Ainsi que l'avait montré déjà H. Kern, Zâbej , plus exactement Zâbag , doit être restitué en Jâwaga ou Jâvaga , comme l'indiquent les leçons indiennes et chinoises de ce nom géographique.
Ḳaba, p. 72. Sorte de manteau. Cf. Dozy, Dictionnaire détaillé des noms des vêtements chez les Arabes , Amsterdam, 1845, in-8º, pp. 352-362.
Ḳalanswa, p. 46. Sorte de bonnet qu'on porte sous le turban. Cf. Dozy, Dictionnaire détaillé des noms des vêtements chez les Arabes , Amsterdam, 1845, in-8º, pp. 365-371.
Lakšî mâmkûn. Voir Dîfû.
Langabalûs (île de—ou îles Nicobar), pp. 18, 33-35, 40, 41. Les textes chinois et d'autres textes orientaux désignent cet archipel sous le nom de Pays ou Ile des Hommes nus ou des Gens nus. La plus ancienne description de cet archipel est celle de Yi-tsing qui y fit escale en 672. «En allant vers le nord, rapporte le pèlerin chinois, à partir de Kie-č'a [= Kedah de la côte occidentale de la péninsule malaise], on arrive au bout de dix jours au Pays des Hommes nus. Si l'on se tourne vers l'est pour regarder le rivage escarpé, on ne voit, sur une étendue d'un ou deux li , que des cocotiers et des forêts d'aréquiers; cette végétation luxuriante est bien faite pour plaire. Dès que les indigènes voient venir un bateau, ils montent à l'envi sur de petites embarcations qui arrivent au nombre de plus de cent; ils apportent des noix de cocos, des bananes et des objets en rotin ou en bambou; ils viennent demander à faire des échanges; ce qu'ils désirent, c'est uniquement du fer. Pour un morceau de fer grand comme deux doigts, on reçoit de cinq à dix noix de coco. Les hommes sont tous entièrement [Pg 143] nus; les femmes cachent leur sexe avec des feuilles. Si les marchands leur offrent, par plaisanterie, leurs vêtements, ils font aussitôt signe de la main qu'ils ne s'en servent pas... Ce pays ne produit pas de fer; l'or et l'argent aussi y sont rares. Les indigènes se nourrissent uniquement de cocos et de racines d'ignames. On n'y trouve pas beaucoup de riz ni de céréales. Aussi le lou-a [transcription chinoise de lôha , le nom du fer en sanskrit], est, à leurs yeux, ce qu'il y a de plus précieux et de plus cher. Ces hommes ne sont pas de couleur noire; leur taille est moyenne; ils excellent à fabriquer des caisses en rotin tressé; aucun autre pays ne peut les égaler. Si on refuse de faire des échanges avec eux, ils lancent aussitôt des flèches empoisonnées; celui qui en est atteint ne peut plus s'en remettre (Yi-tsing, Les religieux éminents qui allèrent chercher la Loi dans les pays d'Occident , trad. Ed. Chavannes, Paris, 1894, in-8º, pp. 120-121)». Cf. également mes Relations de voyages , à l'index du t. II sous: Langabâlûs , Nâgabârâ , Nicobar , Lâkawâram , Nakkavaram , Ile des gens nus .
Monnaies. Pour les monnaies, poids et mesures, je renvoie, une fois pour toutes, aux Matériaux pour servir à l'histoire de la numismatique et de la météorologie musulmane de H. Sauvaire, dans Journal Asiatique , VII e série, t. XIV, 1879 et suivants.
Liḥû. Voir Dîfû.
Nadd, p. 29. Sur ce parfum, cf. mes Relations de voyages , t. II, pp. 620-625.
Parasange. Ancienne mesure itinéraire de la Perse équivalant à 5.250 mètres.
Poids. Voir Monnaies.
Râmî, p. 95. C'est la même partie de Sumatra qui est appelée Râmnî, p. 33.
Ṭaḳan, p. 49, dans le Nord-Ouest de l'Inde. Les textes de Sulaymân et de Masʿûdî ( Les prairies d'or , t. I, pp. 383-384) ont la même leçon fautive: Ṭâfan . Sur les femmes du Ṭaḳan, celui-ci dit: «Les femmes de ce pays sont les plus gracieuses, les plus belles et les plus blanches de l'Inde; elles sont recherchées dans les [Pg 144] harems, et il en est question dans les livres érotiques; aussi les marins, qui savent tout ce que valent ces femmes qu'on nomme Ṭâḳaniyyât (les Ṭâḳaniennes), tiennent-ils beaucoup à s'en procurer à quelque prix que ce soit.»
Talâg. Le texte a la leçon fautive thalâg avec jîm final qui est en fonction de gutturale sonore. Talâg est la forme arabisée du sanskrit tâḍâga , hindoustani tâḍâg .
Ṭûḳâm. Voir Dîfû.
Ṭûsang. Voir Dîfû.
Zang. La graphie arabe de ce nom est généralement lue Zanj ou Zenj ; mais le jîm final est ici en fonction de gutturale sonore ainsi que l'indiquent l'étymologie et les leçons grecques, chinoises et indonésiennes. Cf. Journal Asiatique , XI e série, t. XVII, 1921, p. 164.
[Pg 145]
A
ʿAbbadân, 25.
Ablutions en Chine et en Inde, 70.
Abricot, 45.
Abû Ḥubayš, 23.
Abû Ḥumayr, 27.
Abû Zayd Ḥasan, 13, 14, 19, 20, 21, 74.
Abyssinie (l'—), 130.
ʿÂd (tribu de —), 129.
Adam (pic d'—), 33.
Aden, 94, 129, 130, 132.
Adultère en Inde et en Chine, 67, 79.
Afrique (côte orientale d'—), 17, 28, 127.
Âge du monde, 90-91.
Aḥḳâf (Al —), 27.
Alexandre le Grand, 128-129.
Aloès, 33, 50, 55, 96, 98, 124-126, 128, 131.
Amande, 45.
Ambre, 28, 30, 31, 35, 37, 41, 52, 93, 94, 130, 131, 132-133.
ʿAmr bin al-ʿÂṣ, 27.
Anciennes relations des Indes et de la Chine , 11.
Andâmân (îles —), 35.
Anjudân (graine d'—), 134.
Ânes, 54.
Anḳatûs (poisson), 25.
Anthropophages, 34, 35, 43.
Anthropophagie des Chinois, 20, 67, 78.
Arabes (les —), 29, 37, 47, 48, 49, 57, 59, 81, 86, 91, 98, 106, 113, 127, 128, 129.
— (roi des —), 47.
Arabie, 29, 82, 83, 95, 96, 98, 106, 110, 112, 117, 128, 129.
Argent, 35, 36, 49, 50, 54.
Aristote, 128.
Armées indiennes et chinoises, 71-72.
Ascètes nomades de l'Inde, 123.
Assam, 52.
Astronomie, 71.
Aveline, 45.
Awâl. Voir Wâl.
[Pg 146]
B
Baghbûr. Voir Ciel (fils du —).
Baghdâd, 15, 21, 37, 47, 97, 133, 135.
Baḥrayn, 26, 27, 28, 135.
Ballahrâ, 47, 48, 49, 50, 66, 114.
Baluze (Étienne —), 11.
Bambou, 34, 131.
Bananes, 40, 44, 45.
Banû ʿAmâra, 26.
Banû Judzayma, 26.
Banû Kâwân, 27, 43.
Banû Maʿan, 27.
Banû Mismâr, 27.
Banû'ṣ-Ṣafâḳ, 39.
Barbar (pays des —), 130.
Barbe et moustache des Indiens et Chinois, 68-69.
Barrages (les —), 25.
Barûč = Broach, 26.
Βαρὑγαζα. Voir Barûč.
Baṣra, 26, 28, 37, 39, 85, 91, 97, 133, 135.
Bastonnade en Chine, 61, 62, 105.
Baykarjî (les —), 123, 141.
Bengale (golfe du —), 18, 31, 119.
Berbera, 130, 132.
Bharukaččha. Voir Barûč.
Birmanie, 15, 17.
Bogas ou Bejas (les —), 30.
Bois du Brésil, 34, 95, 96, 131.
Bombay, 30.
Boro-Budur, 15.
Boucles d'oreilles, 138.
Brahmanes, 123.
Broach. Voir Barûč.
Buddha (idole), 124.
Buffle, 50.
Bušân, 50, 34, 141.
Byzance, 87, 93.
C, Ç, Č
Çailendra (dynastie des —), 14, 15.
Čamara, 50.
Cambodge. Voir Khmèr.
Čampa = Annam et Cochinchine, 15, 16, 18, 19, 42.
Camphre, 34, 55, 95, 96, 131.
Canne à sucre, 40, 44, 45, 127.
Canton. Voir Ḫânfû.
Capitation (impôt de —), 57, 58, 62, 63.
Carte arabe d'Edrîsî, 16.
Cartes avec Sud en haut, 17.
Caspienne (la —), 93.
Castes en Inde, 66, 138.
Čatra, 138.
Cauri, 31, 33, 50.
César, 48.
Ceylan, Voir Sirandîb.
Chameaux, 29, 49, 54.
Chasseurs de têtes, 34.
[Pg 147]
Che-li-fo-che. Voir Çrîvijaya.
Chevaux, 47, 54, 71.
Cheveux (port des — en Chine), 112-113.
Chevrotain porte-musc, 109-112, 131.
Chine, 13, 14, 17, 18, 20, 21, 25, 26, 37, 43, 45, 48, 52, 53, 54, 55, 58, 59, 61, 62, 63, 66, 67, 68, 70, 71, 72, 74, 75, 78, 80, 82, 83, 85, 86, 87, 89, 91, 92, 93, 95, 104, 107, 109, 129.
— (bouleversement politique en —), 75, 77, 78, 104.
— (roi de la —), 47, 54, 57, 58, 77, 78, 83, 86-91, 92, 102, 103, 105-107, 111.
Chinois (les —), 20, 37, 45, 46, 47, 52, 53, 54, 55, 56, 59, 60, 61, 62, 63, 67, 68, 70, 71, 72, 74, 76, 77, 78, 81, 82, 83, 84, 85, 87, 104, 107, 110, 112, 113.
— (malpropreté des —), 46, 70.
Chinoises (les —), 46, 63.
Chrétiens, 76, 129.
Ciel (fils du —), 21, 62.
Citron, 45.
Civette (la —), 131.
Climat de Chine et d'Inde, 72.
Cloche du gouverneur, 58-59, 105.
Cocotier, 31, 33, 34, 35, 40, 44, 45, 126.
Coing, 45.
Colbert, 11.
Concombre, 45.
Confiture de riz, 46.
Constantinople, 93.
Coqs (combats de —), 121.
Corail, 139.
Corée. Voir Sîlâ.
Courtisanes en Inde, 68, 124.
Crémation dans l'Inde, 114, 115, 117.
Crémation des femmes du défunt, 66.
Çrîvijaya, 14, 95.
Cuivre, 54.
Čundur-fûlât, 18, 19, 42, 43.
Cure-dents, 70-71, 100.
D
Dahnaj (pierre verte), 139.
Darâ. Voir Cloche du gouverneur.
Darius le Grand, 129.
Dattes, 128.
Dawrak al-Furs, 26.
Daybul, 26.
Débauche en Chine, Inde, à Ceylan, 66, 122.
Deguignes, 11.
Déluge (le —), 89.
Dîbajât (Ad —), 33.
Dîfû, 56, 141.
[Pg 148]
Dînâr, 40, 58, 61, 81, 125, 139.
Dirham, 40, 48, 81, 119, 135.
— al-baghlî, 81.
Douanes chinoises, 54, 58.
Durdûr (le gouffre), 27, 39.
E
Ebène, 96, 131.
Ecaille de tortue, 54, 130.
Edrîsî, 16, 17.
Egypte, 128, 139.
Eléphants, 34, 47, 50, 51, 52, 71.
Emeraudes, 118, 138, 139.
Encens, 54, 129.
Etain, 96.
Eunuques, 52, 53, 56, 59, 82-83, 104-107, 112.
Etoffe de coton fine, 50.
Exécution des condamnés à mort, 79-80.
F
Faillite en Chine, 61-62.
Fakkûj (monnaie), 55, 61.
Fančûr, 34.
Fârs. Voir Perse.
Faucons blancs, 73.
Fer, 35, 41, 143.
Figue, 45.
Firaš. Voir Mariage avec une femme en état de grossesse.
Froment, 45, 68.
Fulûs (monnaie de cuivre), 53, 54, 55, 81, 141.
Funérailles du roi à Ceylan, 64-65.
G
Gazelles, 111.
Ghubb, 119.
Girofle, 131.
Gnomon, 53.
Gog et Magog, 23.
Golfe Persique. Voir Persique (golfe —).
Gouverneurs chinois, 56, 57, 59, 105, 112.
Grèce, 128.
Grecs établis à Socotora, 128-129.
Grenade, 45, 71.
Guardafui (cap —), 17, 127.
Gujra, 48, 49, 50, 123, 141.
Guzerate, 28, 31, 141.
H, Ḥ, Ḫ
Hainan (île de —), 19.
Hajar, 27.
Ḫâḳân, 72, 141.
Ḫânfû = Canton, 18, 19, [Pg 149] 37, 38, 43, 53, 56, 58, 75, 76, 77, 82, 83, 86, 91, 104, 105, 106, 109.
Ḫarâbât (câbles), 126.
Ḫarak (île de —), 27.
Ḥarâmât (rizières), 122.
Ḫazars (les —), 93.
Ḥimyar (tribu de —), 11, 129.
Hinjâm (île de —), 27.
Ḫiyâr, 45.
Ḫorâsân, 104, 105, 106, 109.
Horloges à poids, 53.
Hormûz, 26.
Ḫuang Č'ao, 75-76, 77, 141.
Ḫumdân, 77, 86, 92, 105.
Ḫušnâmî (Al —), 35, 141.
Ḫuṭba (la — en Chine), 38.
— (la — chez les Zangs), 128.
Hydromel (sorte d'—), 120.
I
Ibn al-Faḳîh, 18.
Ibn Ḫordâdzbeh, 18.
Ibn Kâwân (île de —), 39, 43
Ibn Rosteh, 18.
Ibn Wâdhih. Voir Yaʿḳûbî.
Ibn Wahab, 21, 85-92.
Idoles en Chine et en Inde, qui parlent, 70, 75.
Immatriculation des enfants mâles en Chine, 62.
Impôt foncier, 57.
Incendies en Chine, 82.
Inde, 13, 16, 17, 20, 43, 49, 63, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 74, 87, 89, 102, 107, 114, 117, 122, 123, 129, 138, 139.
— (amis des rois de l'—), 114, 142.
Inde occidentale, 26, 30, 40, 42, 129.
Indiens (les —), 47, 67, 68, 70, 71, 72, 116-117, 119.
— (défis que se lancent les —), 116-117.
Indonésie, 17.
Indus. Voir Mihrân.
Inscriptions médicales en Chine, 62.
Institutions charitables en Inde, 124-125.
Instruction gratuite des pauvres en Chine, 63.
ʿIrâḳ, 30, 38, 74, 86, 87, 98, 104.
Israélites (les —), 89, 113.
Ivoire, 54, 96, 131.
J
Jâdam, 53.
Jalîdiyya (les —), 116.
Jannâbâ, 26-27.
Jâr (al —), 130.
Jâwaga, 41, 45, 95, 97-102, 142.
[Pg 150]
Java, 15, 16, 95.
Jedda, 130.
Jésus, 89, 129.
Judda, 130.
Juifs, 76, 119.
Juges, 56, 57, 70, 107-109.
Jurhum (tribu de —), 129.
K, Ḳ
Kabtaj = cauri, 33.
Ḳâf (montagne —), 23.
Kalah, Kalâh, 12, 18, 19, 41, 42, 43, 95-96.
Ḳalanswa, 46, 142.
Kalinga, 15.
Ḳâmarûpa (le —), 124.
Ḳanawj (Canoge), 123.
Kanbâya = Cambaye, 30.
Kanîfiyya (les —), 116.
Ḳaṭîf ou Al-Ḳaṭîf, 27.
Ḳaṭr (îles de —), 26.
Khmèr (le —), 13, 15, 16, 98-102.
Ḳîranj (pays de —), 52.
Kirmân, 26, 28.
Kisrâ, 48.
Ḳomor (île de —), 17.
Konkan, 48.
Kra, Krah. Voir Kalah.
Ḳuḍâʿa bin Malik bin Ḥimyar, 29.
Kûlam du Malaya ou Malabar, 18, 19, 40, 42.
Ḳulzum, 130.
Kundrang, 18, 19, 42.
Kûšân, 45.
Kusayr (îlot de —), 27, 39.
L
Lac aux lingots d'or, 97-98, 101.
Lâfat (île de —), 27.
Lakšî mâmkûn, 56, 142.
Lakšmîpura, 52.
Langabâlûs (île —), 18, 34-35, 40, 41, 142-143.
Langlès, 12, 13, 22.
Laquedives (îles —), 31, 33.
Lâr = Guzerate, 28.
Lašk (poisson), 24.
Lévi (Sylvain —), 16.
Lîḫû, 57, 143.
Livre de l'avertissement (le —), 18.
Livre des Merveilles de l'Inde (le —), 20.
Lotus, 45.
Loups, 70.
Luḫam (poisson), 37.
M
Mâbad (pays de —), 52, 53.
Madagascar, 17.
Madû, 77, 109.
Maghbûr. Voir Ciel (fils du —).
Mahara (pays des —), 26, 29.
Mahârâja (le —), 95, 96, 97-102.
Mahrubân, 26.
[Pg 151]
Maisons (construction des —) en Chine, en Inde et à Sîrâf, 68, 82, 133.
Makrân, 26.
Malabar, 67.
Malaise (péninsule —), 13, 17, 18.
Malaka, 34.
Malây (île de —), 17.
Maldives (îles —), 31, 33.
Malḥân (île de —), 43.
Manaar (golfe de —), 119.
Mand (sorte d'ambre), 133.
Manichéens, 119.
Mann (unité de poids), 55, 64, 97, 125.
Manṣûra, 125.
Mariage avec une femme en état de grossesse, en Chine et en Inde, 68.
Mariage des Chinois, 67, 113.
Marmara (mer de —), 93.
Mascate. Voir Masḳaṭ.
Masḳaṭ = Mascate, 18, 19, 39, 40.
Massage de la tête des enfants, 112-113.
Masʿûdî, 18, 20, 25, 28, 77, 86.
Mayj (poisson à face humaine), 25.
Mazdéens, 76.
Médecine, 71.
Méditerranée (la —), 93, 94, 130.
Melon, 45.
Mer d'Abyssinie, 28.
— d'Andâmân, 35.
— de Čanḫay, 42.
— de Chine, 92, 131.
— de Fârs ou de Perse, 25.
— de Harkand, 31, 33, 34, 36, 37, 40, 42, 119.
— de Ḳulzum, 94.
— de Lâr ou Larwî, 28, 29, 30, 31.
— de l'Inde, 92, 130, 131, 132.
— de l'Inde occidentale, 48.
— de Rûm, 93.
— de Šalâhiṭ, 34.
— des Ḫazars, 93.
— de Syrie, 92, 93, 94.
— du Zang, 28, 30.
— Rouge, 30, 94, 130-131.
Mers (les sept —), 25 et suiv.
Métempsycose, 71, 102-103, 114.
Mihrân = Indus, 26.
Mîj. Voir Mayj.
Mithḳâl, 81.
Moïse, 89.
Montagnes argentifères, 35.
Morts chinois qui mangent, 55, 74-75.
Moutons, 39.
Muḥammad (prophète —), 85, 87, 89, 90, 91, 119.
Mûja (pays de —), 52.
Mûltân, 124.
Mûriers en Chine, 76.
Musandam, 27.
Musc, 52, 109-112.
Musulmans, 18, 76.
[Pg 152]
N
Nadd, 30, 143.
Nâḫodâ, 78.
Najîram, 26.
Nard (graminée), 109.
Nard (jeu de Ceylan), 121-122.
Navires cousus, 93, 126.
Nias (île de —), 34.
Nicobar (îles —). Voir Langabâlûs.
Noé, 88, 89.
Noix, 45.
— muscade, 131.
Nourriture en Chine et en Inde, 68, 70.
O
Obolla, 25, 26.
Océan Environnant, 17.
Océan Indien, 17, 94.
Ὠκεανός, 17.
ʿOmân, 26, 27, 28, 39, 40, 78, 96, 126, 129.
Or, 33, 34, 50, 54, 97, 98, 131, 138.
Ordalie du feu en Inde, 63-64.
Owâl (île de —), 27.
P
Pagne, 42.
Pal (supplice du —), 68.
Palk (détroit de —), 18, 19, 119.
Palmiers, 45, 71.
Panthères, 70, 128.
Paons, 131.
Papier chinois, 46.
Passeport en Chine, 59-60.
Pêche (fruit), 45.
Peignes à cheveux, 46.
Pégou. Voir Rahmâ.
Peintres chinois, 84-85.
Perles, 25, 27, 33, 54, 131, 134-137, 138.
Perroquets, 131.
Perse, 26, 28, 30, 86, 128.
Persique (golfe —), 18, 25, 26, 27, 28, 37, 39, 74, 75, 109, 129, 135.
Pierres précieuses, 33, 118, 119, 131, 138.
Pistache, 45.
Pluies (saison des —), 122.
Poire, 45.
Poisson de 20 coudées contenant d'autres poissons vivants, 24.
Poisson gigantesque appelé wâl . Voir wâl .
Poisson grimpeur, 44.
Poisson qui se change en pierre, 44.
Poisson volant, 25, 44.
Poivre, 52.
— (pays du —). Voir Malabar.
Pomme, 45.
Porcelaine chinoise, 54.
[Pg 153]
Portes de la Chine, 18, 42, 43.
Poste royale en Arabie, en Chine, 91, 111.
Prairies d'or (les —), 18, 20, 25, 28-30.
Prêt d'argent en Chine, 60-61.
Procès en Chine, 56-57, 61.
Prophètes de la Chine et de l'Inde, 90.
Prophètes de l'Islâm, 88-89.
Prostituées en Chine, 80-81.
Prune, 45.
Ptolémée, 16.
Q
Quilon. Voir Kûlam du Malabar.
R
Rahmâ = Pégou, 50, 51.
Rahûn (mont. de —) ou pic d'Adam, 33.
Raisin, 45, 71.
Râmî (île de —), 95, 143.
Râmnî (île de —), 34.
Rapports sexuels pendant les menstrues, 70.
Râs al-ḥadd, 25, 26, 28.
Râs al-jumjuma = Râs al-ḥadd.
Régime des gens en prison, 69-70.
Reinaud, 12, 13.
Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine , 12, 19.
Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks , 13, 16, 20, 25, 28.
Religion des Chinois, 68, 71.
Renard, 136-137.
Renaudot, 11, 13.
Repas des rois de l'Inde, 139.
Rhinocéros, 50-51.
— (ceinture ornée de corne de —), 51, 54, 55.
— (corne de —), 50-51, 54.
Riz, 45, 68, 114, 122, 123.
Roseaux, 116.
Rubis, 33, 118, 138.
Rûm = Byzance, 93.
Rûm (roi de), 47, 87.
— (golfe de —), 93.
S, Ṣ, Š
Sâḫ. Voir Thé.
Saïgon (rivière de —), 18.
Saint-Jacques (cap —), 18, 19.
Ṣamân (Aṣ —), 135.
Samarḳande, 109.
Sandal, 96, 131.
Šank, 33.
[Pg 154]
Sapèques, 81.
Saphir, 33.
Sawâḥ (le sage As —), 23.
Ṣaymûr, 30.
Scribes légistes en Chine, 57.
Seignelay (comte de —), 11.
Sel, 58.
Šiḥr, 26, 29, 129, 132.
Sîlâ = Corée, 72, 93.
Sind, 23, 26, 30, 139.
Sindân, 30.
Si-ngan-fu. Voir Ḫumdân.
Singes, 128.
Sînîz, 26.
Sinjâr, 26.
Sîrâf, 14, 18, 19, 25, 26, 27, 39, 74, 75, 78, 81, 85, 93, 109, 122, 130, 133, 138.
Sirandîb = Ceylan, 18, 23, 33, 43, 64, 66, 119-122.
— ( ghubb de —), 119.
— (grande idole en or de —), 119.
Socotora (île de —), 55, 128-129.
Sodomie en Chine, 68.
Sogdiane, 109.
Soie chinoise, 45, 54, 83-84.
Solitaires indiens, 66.
Sorbe, 45.
Sorgho, 127.
Sribuza. Voir Çrîvijaya.
Sûbâra, 30.
Suez, 94, 130.
Ṣuḥâr, 39.
Suicide des vieillards, 117.
Sulaymân, 13, 18, 20, 38, 64.
Sumatra, 14, 15, 17.
Šurâ, 26.
Surparaka. Voir Sûbâra.
Syrie, 93, 128, 130.
T, Ṭ
Tabous alimentaires des Indiens, 138.
Ṭâḳan, 49, 50, 143.
Tâl (poisson —), 132-133.
Talâg, 97-98, 144.
Tambours, 53.
Tâna, 30.
Ṭâṭirî (dirham —), 48.
Tayn (village de At —), 133.
Tâyû, en Chine, 63.
Thé, 58.
Tibet, 72, 77, 109, 110.
T'ien-tseu. Voir Ciel (fils du —).
Tigre (le fleuve —), 97, 98.
Tioman (île de —). Voir Tiyûma.
Tiyûma (île de —), 13, 18, 19, 42.
Tîz, 26.
Toguz-Oguz (les —), 72, 77.
Topaze, 33, 118.
Trombe marine, 36.
[Pg 155]
Tubbaʿ du Yemen (les —), 129.
Ṭûḳâm, 56, 144.
Turks (les —), 72, 77, 87, 93.
Ṭûsang, 56, 144.
U
Uriner (manière d' —) en Chine, 112.
ʿUwayr (îlot de —), 27, 39.
V
Vêtements des Chinois et Indiens, 45, 72, 83.
Vin, 66-67.
Vin de palme, 40.
Vin de riz, 46.
Vinaigre de riz, 46.
— de vin, 66.
Volcan de Jâwaga, 45.
Voleurs (punition des —) en Chine et en Inde, 68, 70, 79.
W
Wâḳwâḳ (îles du —), 28.
Wâl (sorte de baleine), 23, 24, 30.
Y
Yaʿḳûbî, 20, 25, 28.
Yémen (le —), 38, 129, 130.
Z
Zâbag, 142.
Zâbej, 142.
Zang (le —), 28, 29, 30, 127-129, 132, 144.
Zangs (chefs des —), 85, 91.
Zâra, 27.
Zaylaʿ, 130.
Zoroastre, 46.
[Pg 157]
[Pg 159]
LA COLLECTION DES
CLASSIQUES DE L'ORIENT
EST IMPRIMÉE SUR LES
PRESSES DE P. MERSCH,
L. SEITZ ET C
ie
, 17, VILLA
D'ALÉSIA, A PARIS.