The Project Gutenberg eBook of Le nouvel amour This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Le nouvel amour Author: Eugène Marsan Release date: July 29, 2022 [eBook #68637] Language: French Original publication: France: Chez Madame Lesage Credits: René Galluvot (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE NOUVEL AMOUR *** LE SAGE ET SES AMIS LE NOUVEL AMOUR EUGÈNE MARSAN A PARIS CHEZ MADAME LESAGE DU MÊME AUTEUR: PASSANTES.--Aux Éditions du Divan. CHRONIQUE DE LA PAIX.--A la Nouvelle Revue française. LES CANNES DE M. PAUL BOURGET et le BON CHOIX DE PHILINTE.--Au Divan. LES FEMMES DE CASANOVA.--Au Pigeonnier. STENDHAL CÉLÉBRÉ A CIVITAVECCHIA.--Chez Édouard Champion, hors commerce. Le premier des trois portraits de femmes qui sont ici rassemblés a paru dans un vieux numéro du _Divan_, celui du mois d’octobre 1912. Il n’était pas inutile de rappeler son ancienneté, puisque l’on a imité depuis le ton et la coupe de ces compositions. Le lecteur devra se souvenir que l’homme ainsi peint--dans les monologues de l’amour--est un personnage fictif, un héros de roman, et ne point détester l’auteur, qui n’en peut mais. E. M. Le Nouvel Amour Vous êtes vraiment majestueuse, comme il faut, bien vêtue. Aurez-vous jamais du chic? PARLÉ.--Votre chapeau, tendresse, a sa coiffe trop étroite, et votre jupe, n’est-elle pas trop longue? Allez, boudeuse! Pourquoi cette moue qu’il est sûr que vous faites? Moquez-vous donc de moi: vous êtes assez belle! Pour enlever ses bottines, elle aime décidément à s’asseoir par terre. Je ne sais pas si elle a raison, elle est trop grande... Seulement, elle est toujours charmante parce qu’elle ne fait rien exprès. * * * * * Un instant, j’ai cru que votre bas retomberait, et il me semble (prenez-y garde) que j’aurais détourné les yeux. Vous devriez porter aussi, malgré tout votre système de jarretelles, de bonnes jarretières rondes, froncées à la vieille. Car vous ôtez votre corset avant vos bas. * * * * * Ce que je dis, ce que je pense, et ce que vous comprenez, ne sont pas trois mêmes choses. Si chacun de nous lisait tout à fait dans le cœur des autres, nous perdrions tous la tête. PARLÉ.--Ne me dites rien de votre amie Jacquine. Quand une Flamande a cet air-là, elle l’a bien. * * * * * Pourquoi donc, avec cette bouche, avec ces yeux que vous aviez, parlez-vous à présent du ciel étoilé? Quel amour véritable! J’ai cru que vous alliez crier: «Oito oh!» * * * * * Elle entrouvrait les lèvres avec l’avidité des carpes de Fontainebleau, lorsqu’elles se précipitent sur le pain qui sombre. Je figurais à ses yeux de métaphysicienne l’Amour en soi; mais pour les fibrilles de son être (_caro, carnis_), j’étais l’ange ou l’animal que lui désigne mon prénom. Elle a d’ailleurs la bouche un peu grande, mais qui m’a plu et me plaira. * * * * * Quel bruit! Elle va casser toute cette porcelaine. * * * * * Vous avez les hanches les plus fortes que j’aie vues à une femme svelte, l’épaule grasse, la nuque un peu bombée, autant de délices, et de beaux yeux gris ou bleus. Mais je crois que je recommence à vous préférer cette Romaine--un souvenir--tournée pour paraître dans un Giorgione, et qui était donc cuivrée ou dorée, plutôt que brune. Elle et moi, nous nous nourrissions de jambon de Parme, de brousse fraîche et de muscats, dans une soupente, au dernier étage d’un palais. Nous nous régalions d’une eau froide, dont la seule buée sur le cristal désaltérait. Tous ces plaisirs ensoleillés me suivent. C’est où va mon regard, vous savez, alors qu’il vous inquiète. Ne croyez pas cependant que je méprise nos plaisirs septentrionaux: les miracles de ce feu dans la grotte rectiligne, ni toute la neige qui est sur vous, ni le reflet de la flamme sur cette neige, ô Galsvinte! * * * * * Que j’aime à vous voir debout! Ne croyez pas, belle fille, que votre vrai nom vous aille mieux que celui que je vous ai donné, la première fois, pour narguer un peu tout ce nord qui régnait tout à coup dans mes pensées surprises, dans mes pensées charmées. * * * * * Lorsque je vous taquine, ne vous égarez pas, ne vous agitez pas. Tout à l’heure, votre flanc droit a soulevé le rideau. Les passants vous auraient vue, beaucoup plus belle que vous ne naquîtes, si je vous avais rappelée brusquement. * * * * * Il est vrai que je vous aurai appris bien des choses. Notamment qu’il est vilain de geindre, et plus décent de se moquer, lorsqu’on est triste. Cependant, je vous dois réciproquement beaucoup. Comme il est instructif d’aimer! * * * * * Oh! ne me rompez pas la tête, avec votre _Lilienmilch_! C’est une affreuse chimie. Je préfère mille fois mon savon de Marseille, avec trois gouttes d’essence. Avant de rire, essayez. Vous ne savez pas ce que c’est, lorsqu’il est très bon, lisse et blanc, doux comme l’amande nouvelle. _Lilienmilch_, lait de lys. Ce mot finira par me capter. Je vous en ferai un autre nom, pour vous nommer quand nous sommes tous les deux seuls, tout seuls au monde comme à présent. Ce village de la Grèce, dont on m’a parlé, qui s’appelle Méligala, c’est à peu près la même idée. Mais le mot est plus noble... L’autre, pour un savon, que de poésie! Vous avouerez que l’allemande est une langue nigaude. * * * * * Oui, voyons. Oui! Je le sais très bien, que vous n’êtes pas Allemande, mais d’une espèce de contrée exiguë bien que souveraine, dont les manuels pour le baccalauréat méconnaissent l’histoire. * * * * * Je ne suis point du tout fâché. Jamais vous ne fûtes si tendrement chérie. Je vous dis seulement: «Ne soyez pas agaçante!» Dans mes yeux, vous pouvez connaître le reste, et combien je vous aime. Je vous demande seulement de ne pas repartir dans vos nuages. Votre ingénuité me plaît surtout lorsqu’elle est un peu terre à terre. * * * * * Mains froides, cœur chaud, ou bien c’est la joue qui brûle. * * * * * Si tu avais un enfant, et qu’il fût de moi, je te l’enlèverais. Je l’enlèverais, je partirais, je m’en irais avec notre enfant, je ne sais où... en Albanie. Peut-être ne voudrais-tu pas d’un parti si romanesque. Tu voudras garder l’enfant avec toi, et te réconcilier à temps, et mentir. Mais il me suffirait de connaître ton mari, il me suffirait de l’apercevoir, je crois: j’aurais peine à t’aimer... Ainsi, quoique tu ne l’aimes plus, tu dépends encore de ton ancien serment. Même refusée, ta personne n’est plus libre. Tu vois que je suis gentil: je n’imagine pas que tu me sois infidèle, et je t’ai mis des larmes dans les yeux parce que je te l’ai dit. Attention. Ne nous risquons pas, ou pas encore, ne nous risquons pas trop loin sur cette voie des confidences à perte de vue. Elles enchantent d’abord le cœur, puis le navrent, le laissent vide ou trop nu, mal content, comme dévalisé. Toi et moi, si nous sommes deux fous, je ne suis peut-être pas le moindre. Battons-nous à coups de poètes, qui permettent de voiler. Tu verras que mes livres sont les meilleurs. Mais ce que tu appelles mon prosaïsme, ce goût du vrai, cette cruelle et pitoyable curiosité (sans compromission), ce n’est pas toi qui le tireras au clair. Dieu n’est pas bon: tu vois bien qu’il pleut à verse. * * * * * Ces gens qui marchent dans la rue, dont tu entends le pas, et que tu ne connais pas. L’un de ces inconnus deviendra peut-être ton ami sans que tu saches jamais, ni lui, qu’un certain jour, comme tu étais très émue, il a passé sous ta fenêtre. * * * * * Ne crois pas que je devienne imbécile. Sans moi vous alliez oublier votre fourrure. Tu avais plus perdu l’esprit que moi, grande sotte! Vous n’êtes pas dehors, et vous êtes redevenue timide. Je la connais, votre timidité d’apparat, je sais les grandes déterminations qu’elle cache ou plutôt qui la rompent soudainement. * * * * * Encore un peu de Xérès, pour vous donner l’idée du soleil qu’il fait en Andalousie. Un peu de Xérès, un dernier baiser, sans défaire votre rouge... Je voudrais vous aimer toujours. * * * * * Si je vous l’avouais à présent, que je vous aime bien, vous me croiriez. Et il y a un certain amour dont je suis peut-être incapable, un amour d’entière donaison. Le désir et l’amitié m’enchantent pourtant. Et que les deux agréments se joignent, ou que l’amitié naisse du désir comblé, deux créatures auront mis la main sur un grand bonheur. * * * * * «Cette espèce bizarre de créatures qu’on appelle le genre humain...» Je cite Fontenelle, dans la _Pluralité des Mondes_. * * * * * Je voudrais t’avoir connue il y a longtemps, je voudrais que nous eussions l’un de l’autre des souvenirs d’enfance, petite fille, les mêmes souvenirs. La Méchante Je ne vous ai jamais demandé, je crois: «A quoi penses-tu?» Je vous ai toujours caché un grand nombre de mes pensées, toutes celles qui pouvaient nourrir la faim de l’âme. C’est pourquoi nous fumons tant de cigarettes. * * * * * J’en suis toujours à me demander comment vous avez fait pour que je vous surprisse une fois. Jamais, dans le même moment, je n’ai tant vu de votre personne que ce premier jour, lorsque vous ne m’étiez rien encore, et que je vous étais si peu. Pauvre petite chose! Vous n’avez guère d’appâts visibles, mais vous connaissez l’empire de vos imperfections mêmes, celui de votre ligne mince et de son acuité. Vous étiez capable d’avoir choisi--comme une héroïne de Bourget--l’heure du jour, vous aviez mesuré l’élévation de la lampe, vous aviez préparé jusqu’à la couleur, jusqu’au parfum de la chambre, et contrefaisiez pourtant la petite fille étonnée. La grande pièce était sombre. Elle était claire en deux endroits, claire près de vous, et claire sur la longue fourrure blanche où vous aviez probablement médité de tomber, devant les flammes rosissantes. Aux fenêtres, la nuit était aussi noire que le fer de l’âtre, où les bûches mourantes donnaient la réplique aux feux lointains de la campagne. Il avait plu sur les vitres. Quel silence, ah! comédienne! Comme vous avez bien su prononcer à mi-voix mon nom. De manière à marquer tout ensemble la surprise, le contentement, et que vous cédiez sans aimer au sourd instinct irrésistible. A quelle flatteuse Vénus! * * * * * Lorsque vous avez tué votre mari, il était en passe de devenir ministre d’État, et vous avez rendu un si grand service à ses rivaux qu’ils vous l’ont peut-être payé. Il a suffi qu’ils fussent adroits. Vous ne l’avez point assassiné. Il n’est mort que de peine. On m’a dit que vous étiez allée jusqu’à séduire un jour, séance tenante, votre déménageur. Je voudrais savoir comment vous vous y êtes prise, et ce que vous avez pu lui dire, pour commencer. Comment ne l’avez-vous pas intimidé? Quel usage du monde il vous aura fallu! Je ne suis pas curieux de l’entre-deux. Pas curieux de vos sensations avec un autre. Et que ce fût celui-là! En y repensant, je crois que j’aimerais à apprendre surtout combien vous avez tremblé de peur, ensuite. * * * * * Je vous ferai voir un jour, dans un récit très bien conduit, de quel visage Mérimée éclata de rire au nez de George Sand. Je vous ai déjà touché un mot de cette scène, légèrement et par allusion. Vous me dîtes brusquement que je n’étais pas Mérimée. Mais, ni vous Sand, chérie, bien que vous soyez, à coup sûr, plus redoutable. Je vous ai seulement répliqué que ce n’était pas la question, et par un raisonnement général sur la logique féminine. Je rompais, je me repliais, je cachais mes armes. Il me semble que, contre vous, presque tout est licite. Je n’avais pas encore le courage de me priver de toi. * * * * * Ils auraient pu fonder une société, les amis de ton mari, un cercle, et la livrée à tes couleurs. * * * * * Je meurs d’envie d’en discourir devant toi à bouche ouverte, mais peut-être suffit-il que je me rappelle tout ce que j’ai su, et que tu le lises dans mes yeux, sans en être tout à fait certaine. Et je t’enlace pourtant, voici sur ta bouche la mienne. Sale bête! Moque-toi donc de moi un instant, sans rire, ou donne-toi cette illusion, tandis que tes bras me serreront comme malgré toi. * * * * * Je commence à le savoir, qu’il y a des défauts pour créer de toutes pièces un charme. J’en ai adoré une autre, petite aussi et blonde, qui était brèche-dent. Mais rassurante. La grâce imprévue de sa bouche s’accordait aux enfances qu’elle faisait. Au lieu que toi, dans ton apparente débilité, on ne sait quelle terrible folie te mène. Ni jusqu’où. * * * * * J’aurais parié que tu avais la jambe trop maigre et la poitrine nulle. Mais, après tout, c’est à peine si je le sais encore. Si tu n’es pas laide, tu n’es pas jolie, assurément, avec ton étrange petit nez oblique et tout cet embrouillamini de ta face. Un miracle que le dieu Paris renouvelle tous les matins. Je ne méconnais pas ce profond coussin de tes cheveux, où tu joues à faire l’endormie, ni tes yeux violets, quand filtre ce long regard, ni tant de grâces bien apprises, ô Perfide! Tu vois, l’on te parlerait en style de tragédie. Il n’y a pas d’horreur que tu doives prendre la peine de te refuser, n’ayant que tes paupières à relever pour rattraper l’innocence. * * * * * Je te compare à un oiseau--laisse-moi dire--à un oiseau des Iles. La chair n’y est rien, tout est plume. * * * * * Qu’il y ait encore des gens pour se figurer une vie moderne, disent-ils, toute privée de romanesque. Ils n’ont pas prévu la guerre de cinq ans, qu’il ne faut pas nommer des deux mondes, pour garder un nom à celle qui pourra suivre, et ils ne t’ont pas vue. Assise sur ton divan, sage, réservée, lustrée, polie. Et tant d’affreux secrets dans ta brillante petite tête. Tant d’affreux secrets dans ce cœur méchant, à peine voluptueux, mais avide, tyrannique, mais facile et égoïste à plaisir, et tout gâté, comme un fruit. * * * * * Il te fallait des perles. C’est de quoi est mort l’infortuné. * * * * * Votre mine de grande dame, comme elle tombe vite, quand vous vous mettez à couper un sou en quatre, en certains cas! Alors, tout charme s’efface: l’enfantin regard lance des lames de couteaux, et cette voix que vous tenez si douce, d’habitude, quelle pitié, si vous saviez, de l’entendre, altérée par l’avarice! Il m’est arrivé de vous y surprendre, et si vite que vous ayez recomposé votre visage, vous n’avez pas su vous empêcher de rougir. C’est-à-dire que vous redeveniez soudain jolie. Quels philtres remêlez-vous? Je me défierai de votre thé. * * * * * Vous me rendrez cette justice, que j’ai toujours tout craint de vous, qu’il n’y a pas de honte que je n’eusse redoutée, si vous m’aviez mieux tenu. Par bonheur, vous m’avez toujours senti libre, frémissant, prêt à échapper. L’ambition de m’asservir vous a rendue prudente. Je vous ai vue quelquefois qui m’observiez entre vos cils. * * * * * La mémoire de certains moments, où j’espère n’avoir pas entièrement révélé tout le plaisir que vous me donniez, me ramenait toujours. Tourments du désir que la défiance traverse, et de la volupté, pour douce qu’elle soit, ou déchirante, qui ne s’élève pas jusqu’au bonheur. Je vous aurais nommée mon enfant et ma sœur, si je l’avais pu sans remords. * * * * * Vous laissez le beau linge blanc aux belles femmes. Vous ne mettez sur vous que des toiles d’araignée, bleues, vertes, roses, si bizarrement coupées que votre pantalon ne ressemble à rien. L’on vous verrait trop bien au travers, s’il n’y en avait tant que vous superposez, sachant que votre forme a moins de pouvoir que leur légèreté et leur chaleur. Vous ne découvrez pas beaucoup plus que vos bras et votre épaule, mais l’on ne sait plus jusqu’où monte la soie de vos deux bas. La vôtre rivalise. Si vous versez une mortelle douceur dans toutes les veines, une à une, votre tête n’est pourtant rien. Qu’une ombre. La gouache d’un éventail. * * * * * Vous voulez m’entendre et que je contente votre malice, puisque c’est encore du jeune Raoul que vous me parlez. Je l’ai rencontré tout seul, l’autre jour, chez Mme X..., la joue en feu. Il m’a dit qu’elle l’avait d’abord baisé sur la bouche et qu’il s’était brusquement détourné pour lui tendre la joue, parce qu’elle a de fausses dents et qu’il craignait d’en être mordu. Si vous souriez, ne croyez pas que je sois tombé dans un piège ni que je te fasse l’honneur d’être jaloux. Je sais que vous savez à présent tout ce que vous vouliez savoir, tant sur la dame que sur l’adolescent. Vous souriez en outre, parce que vous songez que je ne serais pas plus fort entre vos mains, s’il vous plaisait, que cet innocent. Quand aurez-vous fini de vous trahir? * * * * * Tout le monde a su que vous aimez à faire souffrir. Savoir si mon tour viendra. Ronronnez, ronronnez. Le temps que vous allongiez la patte, je serai loin. Vous m’enseignez des plaisirs psychologiques qui me sont nouveaux. Quand vous me menacerez bien, je vous imposerai un traité. Vous ne me livrerez pas à la calomnie, et je tairai que vous avez la jambe torte. * * * * * Ce sont des fluides, dont vous avez la disposition. Il vous suffit de bouger, sorcière, il vous suffit de ciller. Il faut bien que je me convainque que vous m’aimez, au moins un peu, du moins à votre façon, puisqu’en signe de ce désir que vous n’avouez jamais en clair, votre regard vacille. A peine si vous souriez, avec un air de faiblesse, dans l’amas de vos mousses, qui sont roses aujourd’hui. Dans l’amas de vos mousses, pareille à un sorbet. * * * * * Vous êtes tout à fait comme ces glaces aux myrtilles de l’été dernier, rouge et douce-amère. Je les détestais et ne cessais d’en reprendre. Vous laissez le même arrière-goût. * * * * * Votre main immobile est d’une beauté qui effraye, mince et veinée. * * * * * Pâle et léger bijou, ivoire, corail, est-ce que vous respirez encore? Je voudrais voir un souffle traverser votre linge, ô poupée, petite poupée! _Si je vous le disais pourtant!_... Si je vous disais que je n’ai pour vous ni tendresse, ni faiblesse, nulle amitié, que je suis sans confiance, que je ne sens pas même cette obscure sympathie qu’il arrive de donner à une passante. Jamais ne m’abandonnerai. Jamais ne m’apitoierai. Le misérable destin de l’humanité, ce n’est pas toi,--ou c’est bien toi, de la tête aux pieds. Nulle autre que toi. * * * * * Est-ce que tant de fragilité finira par m’émouvoir? Est-ce que j’aurai besoin d’imaginer ce que j’aurais souffert, quand tu m’aurais trompé, si je t’avais aimée. * * * * * Blonde, ce n’est rien dire. Tu es comme les blés à l’instant qu’ils ont cessé d’être verts. Comme une jeune pousse. Comme une boîte de poudre de riz ouverte dans un rayon de soleil. * * * * * Tu peux bien pleurer, à présent, tu peux bien pleurer à te rompre les veines. Tu sens à cette heure sans lumière quelle solitude est la tienne, que dans toutes les maisons du monde vivent des cœurs amis, et nul qui batte pour toi, non certes le mien, tu dois pourtant le deviner. Tu écoutes chanter la petite fille qui saute à la corde sous le reverbère. Tu te souviens de ta propre enfance et que tu te croyais assez bonne. Tu penses qu’un jour tu seras vieille, une laide vieille, à peine cette fleur de ta joue sera-t-elle fanée. Malheureuse, à quoi penses-tu? A quoi penses-tu donc, malheureuse, qu’un homme a plaisir à oublier? La Déesse Raison Vous avez beau dire. Vous êtes une sorte de pieuse femme, dont la dévotion est à rebours. Si vous étiez païenne vraie, vous compteriez douze grands dieux, ou du moins une foule de petits dieux d’humeur variable. Il y en aurait un que vous chéririez par dessus tout: celui qui nous a conduits, vous et moi, jusqu’au même lit sombre. Vous rappelez-vous que nous avons tout à coup cessé de nous bien voir? Il avait mis son bandeau sur nos yeux. Il s’est enfui, lorsqu’il a vu que vous étiez plus près de pleurer, ingrate, que de rire. Vous dites que c’était votre conscience. O ma pauvre amie! * * * * * Nous nous connaissions à peine, oui. Le premier enchantement passé, vous vous apercevez que vous ne me connaissez pas du tout. Il était bien temps! Si vous aviez été bonne catholique... Je sais (ne grincez pas des dents) que, si vous aviez été bonne catholique, vous pouviez pécher de même. Sans doute, auriez-vous été plus curieuse de mon âme,--bonne précaution--plus curieuse de mon caractère, et vous seriez tourmentée, peut-être désespérée: vous n’auriez pas un tel dépit. * * * * * Nous ne disputerions pas comme nous faisons, au travers de nos baisers... Quel sera le dernier? Nous ne croiserions pas méchamment nos paroles, nos regards, nos silences. * * * * * Votre belle bouche, je me demande si vous ne la frottez pas quelquefois de ce piment qu’on nomme en espagnol diablotin. C’est du feu. * * * * * A chaque nouvel amant, George Sand croyait avoir reçu un ordre d’En Haut. Vous n’avez pas fait tant d’expériences qu’elle, mais plus avancée dans la contre-église, vous n’avez pas la ressource de vous croire en communication avec l’Etre Suprême. Vous ne croyez pas au dieu des bonnes gens. Votre dieu est une espèce d’Américain qui ne s’est dérangé qu’une seule fois, au commencement des choses. Depuis, pour rien au monde! Si vous saviez comme il m’agace, cet hérétique, vous vous tairiez sur cela, comme j’ai la politesse de faire, moi qui ne vous en dis presque rien. Vous me laisseriez adorer en paix votre personne. * * * * * Décidément, si j’avais vécu du temps de George Sand, je me serais épris d’elle à force de la détester. * * * * * Vous me laisseriez vous adorer. Connaissez-vous l’étymologie de ce verbe? Tais-toi, ferme ta bouche, que je l’embrasse une fois, dix fois: voilà l’étymologie demandée, celle que je préfère (_os, oris_, la bouche, et non pas _orare_, parler). Quant à _embrasser_, c’est prendre dans ses bras. Comme l’un ne va guère sans l’autre, le sens dérivé a prévalu. * * * * * Vous m’avez dit un jour que vous désiriez voter, que c’était votre droit. Vous ne m’avez pas encore pardonné mon rire. Vous avez excommunié comme il faut ce clérical et cet athée. Mais il avait vos bras sur lui: la chaleur de votre forme passait par eux, comme si votre sang s’était répandu dans ses propres veines. Il n’a pas ri longtemps. * * * * * Par surcroît, vos parents anarchistes vous ont nommée Liberté! Bigre! Il n’y a pas de nom de sainte qui ne soit plus aimable. * * * * * Vous êtes capable de vous imaginer que je vous méprise. Enfermée que vous êtes dans vos idées comme dans une bouderie, vous devinez mal la tendresse, la sympathie, la charité humaine. Eve bien renfrognée... Chacun de nous est si seul au monde! Il n’y a bonheur que de refermer ses bras sur une autre ombre. L’on imagine un instant que le cercle est franchi. Ce sont les âmes qui se veulent marier, et il est dur de penser que les corps y réussissent à peine. * * * * * Lorsque je m’éloigne de vous, avant de me rapprocher encore, et que vous percevez les deux temps de cette action d’admirateur, vous rougissez, avec un petit sourire d’orgueil. C’est un mélange que j’aime. Ce qui émeut en votre visage, avec le regard, c’est la lèvre pourpre et gonflée, le menton un peu gras, moins parfait, plus humain. Sentirez-vous combien me séduit ce corps glorieux, la belle hanche, cet arc de la taille; et ce port, qui donne envie de vous invoquer? Je vous ai montré l’image des trois Grâces de Regnault. Celle de gauche, la tête un peu lourde, serait encore plus triste qu’elle ne plairait pas moins. Sous le bel œil rêveur, le menton est malheureux, l’épaule un peu serve ou vieillie. Le torse, un beau vase.--Son visage, doucement incliné sur l’épaule, au-dessus du bras qui l’enlace, celle de droite a un air de candeur: et, dans le profil de son jeune corps, une légère courbe à rendre fou.--Mais la plus belle, n’est-ce pas cette blonde, entre elles, qui les tient chastement embrassées, et dont nul ne verra jamais le visage? Elles ne ressemblent pas l’une à l’autre, ni vous à elles. Vous êtes pourtant du même style. * * * * * Ah! Romaine. Ah! Guerrière. Minerve aux sourcils rejoints. Je mettrai devant votre portrait une branche de myrte dans un vieux vase d’église, blanc et or, 1830. * * * * * Vous souvenez-vous? Vous ne vous donniez pas alors la peine de m’étudier. Vous me regardiez, ô raisonneuse! Amour vous possédait. Vous baissiez de temps en temps les yeux. Au loin, les gamins arabes s’évertuaient: _Le Cri d’Altjé_! _Les Noubielles_![1] [1] _Le Cri d’Alger_, _les Nouvelles_, journaux algériens du soir. Votre maison était à la frontière des deux empires. Elle regardait le boulevard, la poste et l’école (laïque); de l’autre côté, l’allée sous les palmes, les escaliers, les terrasses, le ciel: cet autre monde que vous n’aimez guère, où j’allais trop souvent écouter les chants de Yamina ou voir danser les Andalouses. Je vous apportais des dattes, des massepains espagnols, des loucoumes. Et je crois, à présent, que vous aurez préféré des petits beurres--L. U.--J’ai cherché aussi, mais vainement, ces laitages italiens, frais dans leurs claies ou sur le linge, et qui ont la forme d’une tresse ou d’un fruit,--ces fromages, si l’on ose dire, dont les bergers de Virgile nourrissaient déjà leurs amours. La lumière vous gêna soudain comme un tiers. Vous avez déroulé le rideau de toile. Dans l’ombre, miroita toute l’eau répandue sur les dalles blanches et noires. Le jour mettait à la haute fenêtre aveuglée un cadre d’or. La brise troublait votre robe. Vous avez laissé tomber la hachette de votre éventail. * * * * * Vous avez la coquetterie de ne porter que du linge blanc, serré, éblouissant. Ainsi paraissez-vous deux fois comme un marbre: carrare et pentélique. Chère, vous avez eu peur que je me méprisse, et j’étais seulement touché de votre enivrement. * * * * * Puis, vous avez voulu me prouver que vous étiez, sans religion, une honnête femme. Vous prononciez des mots abstraits à n’en plus finir, à dormir sans vous, dont votre éloquence emphatique ciselait les majuscules. Vous aviez entrepris, notamment, de me démontrer que les infirmières laïques diplômées ont plus de vertu que les petites sœurs. Et moi, je me rappelais la longue prière matinale des femmes de ma race. L’une d’elles, tant elle fut malheureuse, ne pouvait plus prier sans voir paraître sur son cher visage en oraison des larmes qui la consolaient. Et elle prononçait, mais avec douceur, le même mot magique que vous répétez désespérément: «Justice!» Elle mettait avec sagesse dans un autre lieu que la terre la source d’un si grand bien. Votre bouche, remuée par les petits mouvements de la parole, restait bien belle... Je ne disais mot. Quel nuage a passé sur mes traits ou dans mes yeux, qui soudain déconcerta la douce pédante? J’ai pris votre tête, votre fière tête, votre pauvre tête fanatique, et l’ai reposée sur mon épaule. Tel est le sort. Ni les caresses ni le silence ne suffisaient plus. Vous aviez besoin d’un mot de ma bouche, que je n’ai pas su dire. Vous faisiez sentir à un libertin le rôle du spirituel. * * * * * Je vous opposais, dans mon esprit, des historiettes qui vous auraient scandalisée et qui me plaisent, qui m’ont ému. Je me retrouvais dans une petite ville du sud italien, un soir d’été, entre quatre murs blanchis à la chaux, dans la compagnie d’une femme étonnée par l’étranger. Je l’avais trouvée assise sur le pas de sa porte. Ces logettes n’ont pas d’autre ouverture. Un seuil à franchir, la porte massive à refermer, un être humain à votre discrétion. C’est la même chose là-haut, où les filles attendent et regardent, les unes comme des princesses des “Mille et une nuits”, la plupart en vraies sauvages, et toutes sur leurs talons, leurs mains devant elles. En pays chrétien, la plus pauvre dispose d’une chaise. Elle avait une jupe de cotonnade à fleurs, un corsage à grosses manches, et l’un de ces vastes jupons de toile empesée que l’on mettait après la lessive sur une cage d’osier. Je lui parlais dans sa langue, lorsqu’elle parut en corset à globes, pareille à une image de _Vertus sœurs_ dans l’_Illustration_, du temps que j’étais garçonnet. Nous nous plaisions, ainsi qu’il arrive dans ces rencontres, sans que l’on sache pourquoi, si vite. Je ne me rappelle plus le nom qu’elle m’avoua et qui était peut-être le sien. Elle avait vingt ans. J’ai vu dans le même pays de belles figues séchant au soleil qui tournaient en caramel. Elles lui ressemblent,--et à vous. Elle gardait sur son épaule un dernier lambeau qui m’importunait. Car, en ce monde physique, certains veulent retrouver le tremblement d’une passion primitive, ils veulent rencontrer à la fin ils ne savent quel mystère, avancer jusqu’au point où la sensation est épurée en quelque sorte par son excès et par vertige. Mais, plus belle que vous ne pensez, en me pressant doucement: --_E peccato_, disait-elle. C’est un péché. _La Madonna non vuole._ Vos fictions, à vous, n’ont pas cette grâce ni cette douceur, où l’enfant reparaît dans la femme: dans notre ambitieux dénuement, le passé des cœurs dont nous sommes nés. * * * * * Et si vous étiez païenne vraie, vous ne vous mettriez en peine que de moi seul. Vous laisseriez vos lubies, dont vous ne me convaincrez jamais. Vous m’agacez, je m’en indigne, vous m’étouffez, je vous nomme Paule Bert. Contre la marine une lame Vient mourir Je ne ferai plus rimer âme Et soupir. Je vous dirai: «Mon doux aimé Contemplez La maison de béton armé S’il vous plaît. Ou suivez à perte de vue Le baiser Que reçoit la perche éperdue Du trolley. Comptez les flots, vous ferez bien...» --mon cœur, Ne serait-il en moi plus rien Que laideur? Vous avez ouvert votre fenêtre sur la Méditerranée, et vous regardez l’oscillation indéfinie des vagues. Vous les entendriez clapoter sur la pierre,--si nous étions plus près--du même mouvement qui berce les navires. A cette heure du soir qui tombe, danse une lueur au sommet, tandis que l’ombre flotte dans le creux de chaque lame. Je songe, tu songes, nous songeons... Il règne, sur la vaste nappe des eaux, une majestueuse indifférence, dont on a le cœur un peu plus serré. Fumée... Tu songes que tu verras un jour se répandre dans votre ciel la fumée d’un triste paquebot. Et moi, sur l’autre rive, je t’appellerai en vain, en entendant sonner la moitié des heures de la nuit. TABLE _AVIS_ 1 LE NOUVEL AMOUR 3 LA MÉCHANTE 17 LA DÉESSE RAISON 36 Il a été tiré de cet ouvrage, le deuxième de la collection «Le Sage et ses Amis» 20 exemplaires sur papier du Japon, numérotés 1 à 20.--20 exemplaires sur papier Roma Gris perle, numérotés 21 à 40.--210 exemplaires sur papier Madagascar des papeteries Navarre, numérotés 41 à 250. Il a été tiré, en outre, 75 exemplaires sur papier Roma jaune paille, numérotés en chiffres romains I à LXXV, réservés à Monsieur Édouard Champion, pour la Société des Médecins Bibliophiles et les Bibliophiles du Palais. Cet exemplaire porte le N° ACHEVÉ D’IMPRIMER LE 24 JANVIER 1925 SUR LES PRESSES DES ARTISANS IMPRIMEURS F. LEFÈVRE, DIRECTEUR 23, RUE DE LA MARE A PARIS (XXe) *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE NOUVEL AMOUR *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the trademark license is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. Project Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase “Project Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg™ License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your possession. 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